En fait, il prêtait même assez peu d'attention aux histoires internes à la famille. Il y en avait toujours eu, et en sa qualité de chef, il ne pouvait pas toutes les gérer. Le temps finissait par guérir tous les maux, sauf un.
Puis, les servants vinrent s'occuper de tout. Une nouvelle table fit son entrée, des nouveaux mets, une soupe toute propre... les différents de la famille, quant à eux, s’assirent à nouveau autour du banquet. Perceval attendit que tout le monde soit bien installé, et cogna sa cuillère trois fois contre son verre en cristal.
« Mes frères, mes sœurs. Si je vous ai réuni ce soir autour de cette table, ce n'est pas par hasard. En réalité, j'avais une excellente raison. » Raison qui, comme par magie, n'avait pas été remarquée par Shir. En fait, le sortilège utilisé sur son esprit devait être tellement puissant que même son petit-frère était incapable de l'outrepasser.
Le chevalier balaya la salle du regard, l'air grave.
« En effet, à compter de demain, je me retirerai de la tête de la famille. Selon l'ordre de succession, c'est Adeline qui héritera de mes fonctions. À vrai dire, je compte également quitter mon poste de capitaine, ainsi que la garde. Tout cela pour devenir... » Il marqua une pause. « Pâtissier. »
Certes, il s'attendait à ce qu'on le regarde avec des yeux ronds, mais il y avait une explication tout à fait plausible.
« J'en profite pour vous annoncer le décès de père et mère. Ils ont été assassinés lors de leur voyage, et j'étais là. J'ai moi-même été mis hors de combat. Je me suis réveillé quelques heures plus tard, sous l'emprise d'un étrange pouvoir. Quelqu'un s'est insidieusement infiltré dans ma tête pour embrumer mes songes. On m'a implanté l'idée de changer de vocation, tout comme celle que la mort de nos parents n'était pas importante. Je dirais même qu'on manipule les racines de mon esprit. » Il hocha la tête. « En ce moment même, je ressens un puissant besoin d'aller cuire du bon pain dès l'aurore. C'est on ne peut plus troublant. »
C'est vrai que la pâtisserie lui faisait de l’œil depuis un moment.
« C'est tout. Maintenant, je m'en vais. Je ne compte pas rester là un jour de plus. Adeline, je te lègue Avalon, puisses-tu en faire bon usage. Au passage, je soupçonne plusieurs personnes d'être à l'origine de ce complot : la famille Redfort, notre oncle Albert, la famille Aldrah, ou encore la famille royale. Ne le demandez pas pourquoi, c'est juste une impression. » Il se leva, puis se dirigea vers l'entrée. « Bon vent, mes frères, mes sœurs. N'hésitez pas à passer dans mon établissement, je vous servirai de délicieux produits. »
Il annonça, forcé de mettre toute sa fratrie au courant.
- Perceval est très sérieux, je n’arrive rien à trouver dans ses souvenirs à ce propos - pas une bribe. Mais il est sérieux ou en tout cas, il pense l’être. Il pense sincèrement que nos parents ne sont plus de ce mode, qu’il va céder sa place à Adeline et devenir… Pâtissier.
La liste des possibles responsables n’avait aucun sens et le départ de “l’Inflexible” fut si soudain que Shir n’eut pas le coeur de l’arrêter dans son mouvement. Toute la scène lui paraissait surréelle et l’hér- l’ex-héritier n’était pas réputé pour son grand sens de l’humour… Qu’allait devenir la famille sans lui ? Dorian avait foi en Adeline mais elle n’avait pas été formée à reprendre si soudainement la succession. Il ne s’agissait pas ici d’avoir le titre d’héritière mais bel et bien de reprendre dès aujourd’hui les rênes du groupe et de la famille - sans cérémonie, sans concertation, sans préparation.
Tétanisé et immobile, l’Espion se contenta de regarder ses frères et soeurs - impassible à l’extérieur, bouleversé dans son coeur.
|
|