La princesse et le dragon

Newt avait passé son adolescence à agacer son père, fréquentant des filles par dizaines pour peu qu'elles ne soient pas nobles. Un désir sexuel parfaitement assouvi mais un besoin d'amour constamment creux. Il avait bien compris pour qui son coeur battait, mais elle même s'était mis à voir d'autres gens. Son orgueuil de l'époque l'avait poussé à renchérir, notamment quand il s'était mis avec Queen Milan, une ex avec qui il était encore en bon terme. Puis il y eut Meiros... Il était une mauvaise influence, quelqu'un de nocif. Il avait tout fait pour raisonner Elyssia, mais rien à faire. Il s'était même rapproché de Meiros pour ne pas blesser cette femme dont il réalisait peut à peu l'amour qu'il avait pour elle.

Puis vint l'accident. Une mission, et le pouvoir de Meiros qui pouvait l'aider. Le combat contre les cerberus les avaient épuisés malgré la puissance de feu de Nivom. Le dragon blanc avait attraper son dragonnier avant qu'il ne flanche pour de bon. Newt en selle, jeta un regard vers Meiros, dans un dilemme des pus monstrueux, avant de forcer son dragon à battre en retraite.

L'incident le hantait, notamment parce que la jeune femme lui avait tourné le dos. Elle était même parti et il n'avait rien pu y faire. Les années étaient passé, le jeune noble avait calmé sa vie de séducteur, ayant encore quelques aventures. Puis le dragon de bronze, où il avait failli y laisser sa peau et celle de Nivom. Et enfin, cette transformation. Il se sentait vidé, épuisé. Il avait du tout réapprendre de son corps et s'était finalement plongé dans le travail, prêt à reprendre le poste de son père, qui le tenait depuis près de 25 ans.

Et ce matin là, alors qu'il était descendu en ville, il l'aperçut. Ses cheveux longs, agités par le vent du matin près du port. Les yeux bleus de l'héritier la regardèrent passer, elle ne l'avait pas reconnu. Et sans qu'il n'ait pu se contrôler...

- Elys ? Elys !

Il la rattrapa, effleurant son épaule pour qu'elle se retourne. Il avait grandit dans sa tete, il était un homme moins orgueuilleux, prêt à ravaler sa fierté, quoi que son égo n'était pas rangé complètement. Mais il était prêt à le laisser de côté maintenant qu'elle était revenue et que sa beauté faisant chavirer son coeur après toutes les années, une fois de plus.

- Salut...

Il était encore bien tôt. La ville était tranquille et le soleil caressait la mer de ses premiers rayons timides. Elyssia étira ses bras vers le ciel, accueillant avec plaisir le vent frais qui chatouillait ses joues. Il faisait doux et aucune obligation ne l’empêcherait de profiter de la journée. Elle allait se prélasser sur la plage en matinée, et pourquoi ne pas essayer les nouvelles pâtisseries qui étaient apparues en son absence ? Sourire aux lèvres, heureuse et satisfaite, elle avançait d’un pas enjoué sans se préoccuper des rares âmes qui parcouraient aussi les rues à cette heure.  

L’insouciance la guidait et pas une fois son esprit n’émit la possibilité de faire une mauvaise rencontre. Elle salivait déjà à l’idée d’acheter les billes de sucre qui fondait sur sa langue. Elle marchait avec tranquillité lorsque soudainement, une voix balaya tout le calme qui existait en elle. Son sang se glaça et lorsqu’elle sentit un effleurement contre son bras, elle s’immobilisa. Cette façon familière d’appeler son prénom, ça ne pouvait pas… L’anxiété piqua au fond d’elle et elle hésita à se retourner ou s’enfuir en courant. Finalement, avec une inquiétude, une peur non dissimulée, elle jeta un regard par-dessus son épaule. Et toute trace d’angoisse disparue subitement pour être remplacée par une sincère curiosité. Ses yeux détaillèrent l’homme qui lui faisait face, sans réussir à mettre un nom sur le visage. Qui… était-il ? Son nom avait semblé si naturel entre ses lèvres, pourtant elle ne pouvait se souvenir de lui. Le connaissait-elle ?

Un simple salut lui fut partagé et Elyssia ne cacha pas la curiosité qui s’affichait dans ses pupilles. Elle avait l’impression que ses mots voulaient dire plus qu’une simple salutation à une connaissance. Un sous texte qu’elle n’arrivait pas à comprendre. Comme s’il ne savait pas comment agir avec elle. Comme s’il ne savait pas quoi lui dire en premier. Comme s’ils avaient une histoire, tous les deux. Comme si un malaise existait entre eux. Cependant, elle ne savait qui se trouvait devant elle.

- Bon…jour ? répondit-elle avec un soupçon d’incompréhension, de questionnement et d’hésitation. Allait-elle l’insulter à lui dire qu’elle ne le reconnaissait pas ? Euh… Je suis désolée, mais… je… eh bien, qui es-tu ?

Un petit sourire gêné glissa sur ses lèvres et elle repoussa délicatement une mèche de cheveux derrière elle. Son regard pâle était rivé dans les yeux bleus du garçon, cherchant le moindre souvenir de celui-ci dans sa mémoire. Étrangement, quelque chose en lui lui rappelait bien quelqu’un, mais elle refusait cette possibilité. C’était comme si son désir de le revoir et son inquiétude de le croiser lui faisaient imaginer n’importe quoi. Aussi avait-elle décidé d’être franche avec lui. Lui demander directement qui il était. Et peut-être que les souvenirs reviendraient tout d’un coup.

La princesse et le dragon

Il ne fallait pas oublier que les gens qui l'avaient beaucoup fréquenté avaient oublié sa tête, ou du moins ne connaissent pas la nouvelle. Ses yeux devenus bleus n'avaient rien à envier à leurs prédécesseurs noirs profonds. Il appréciait d'avantage sa nouvelle apparence, plus douce et plus agréable à regarder. Mais les gens n'avaient pas forcément l'habitude de cette tignasse acier qui remplace sa tignasse brune de l'époque.

Elyssia n'avait pas échappé à cela. Son absence, sa rancoeur ajoutée à sa transformation lui permettaient de passer pour un inconnu auprès de la jeune fille. Il croisa son regard et comprit bien qu'il lui rappelait quelque chose, notamment par sa voix qui n'avait pas changé. Avait-il le droit de lui faire subir un pareil retour. Il fallait qu'il assume. Et pourtant, il doutait avoir le courage. Et si elle s'enfuyait ? Que ferait-il ? Pouvait-il la forcer à l'accepter de nouveau. Il soupira un instant face à sa question, résigné.

- Je... fit-il en avisant le sourire sur les lèvres de la jeune femme - et dieu qu'il l'aimait la voir sourire, lui qui l'avait fait pleurer. C'est moi... Newt.

Il ferma les yeux en lâchant son nom, s'attendant à une claque, mais il les rouvrit immédiatement pour accrocher le regard de la belle. Et il sentait son corps transpercé de lui faire subir ce retour.

Elle cligna des yeux une première fois. Puis, une deuxième. La commissure de ses lèvres s’affaissa lentement pour laisser la neutralité envahir son visage. Durant un instant, elle fixa celui qui lui faisait face. L’incompréhension passa dans ses yeux. Puis, un éclair de douleur déforma ses traits alors que les souvenirs l’envahissaient, que son cœur se serrait et que ses émotions se bousculaient à l’intérieur. « Newt… » Le nom était doux sur sa langue et pourtant, il lui broyait douloureusement les entrailles. La voix. La façon d’agir. Cette lueur au fond des yeux. Oui, tout lui ressemblait. Mais elle ne voulait pas l’accepter. Parce qu’accepter l’idée qu’il était réellement devant elle en ce moment déchirait son âme en deux. Une ambivalence qui lui faisait si mal.

Elle détourna le regard. Encore aujourd’hui, la seule mention de ce prénom la déstabilisait, affolait son cœur et la gonflait de colère, tristesse, douleur et amour. Elle serra les poings un moment, contenant tant bien que mal la foule d’émotions qui la secouait. Comment pouvait-il la mettre à l’envers si facilement ? Elle détestait cela. Toute cette agitation, cette confusion qui jouait au fond d’elle. Revoir Newt… c’était impossible pour elle. Aussi, la voix qui quitta ses lèvres était si douce qu’elle en était presque inaudible :

- Ce… n’est pas une plaisanterie amusante.

Elle n’arrivait pas à bannir la douleur de ses yeux à la simple pensée de Newt. Car d’un côté, elle avait la folle envie de se jeter dans ses bras, de rire et de s’amuser ensemble comme ils l’avaient si souvent fait. Mais une autre partie refusait de lui pardonner, souhaitant le repousser avec violence et agressivité. Le faire souffrir autant qu’il l’avait fait souffrir. Autant qu’elle souffrait encore. Et si elle savait pertinemment que ce n’était pas une farce, elle ne pouvait se résoudre à accepter la vérité. Elle ne demanda pas pourquoi, ou comment, car tant qu’elle ne savait pas, tant qu’il y avait encore espace pour le doute, elle n’avait pas à lui faire face.

La réaction ne tarda pas et le jeune homme s'insulta intérieurement. Le sourire d'Elyssia, qu'il adorait, tomba et disparut. La douleur passa dans ses yeux et elle détourna le regard, rompant le contact avec le jeune homme, qui sentait en lui le poids de la culpabilité l'attaque une nouvelle fois. Il en avait presque oublié les effets...

Il chercha à raccrocher le regard de la jeune femme, qui souffla doucement que ce n'était pas une plaisanterie amusante. Il fronça les sourcils mais abandonna, détourna à son tour le regard sans pour autant le baisser. Il passa une main dans ses cheveux qui retombèrent sagement sur son front. Il savait qu'il aurait beau le dire, il n'y aurait toujours aucun effet. Mais...

- Désolé... Je...

Il inspira profondément et l'observa un instant. Elle n'avait pas changé, quoi qu'un peu sans doute avec son voyage. Elle était encore au dessus du souvenir fantasmatique qu'il avait d'elle pendant qu'elle était absente. Il posa d'une voix douce :

- Je suis content de te revoir...

Elle avait redouté cette rencontre si longtemps. Et elle n’arrivait pas totalement à se faire à cette nouvelle apparence. Comme si c’était un mensonge. Comme si on voulait voir sa réaction. Et pourtant, il posait sur elle ce regard comme seul Newt le pouvait. C’était vraiment lui, n’est-ce pas ? Pouvait-elle continuer de nier ? Puis, il parla. Un mot. Désolé. Ce mot qu’elle avait souvent entendu. Qu’il lui avait souvent partagé. Il ne pouvait pas changer le passé. Il ne pouvait que s’en vouloir pour ses erreurs. Et si Elyssia le savait bien, ça ne changeait rien à ce qu’elle ressentait. Elle ne pouvait pas le pardonner. Peu importe le nombre de fois qu’il lui partagerait ces mots.

Le regard pâle d’Elys était toujours fuyant. Pourtant, elle était incapable de se concentrer sur autre chose que la voix de Newt. Cette voix qu’elle pourrait reconnaitre entre mille. Même si elle le voulait très fort, sa personne entière était attirée vers lui et elle détestait cela. Elle resta silencieuse. Incapable de se résoudre à répondre à ce pardon. Elle l’entendit inspirer. Elle savait qu’il la regardait. À peine quelques secondes s’écoulèrent avant qu’il rajoute autre chose. Il était… content de la revoir. Elle sentit son cœur se tordre. Et sans crier gare, la colère se déversait en elle. De son côté, elle ne voulait pas le voir. Elle ne voulait pas souffrir. Elle était toujours furieuse contre lui. Il s’imposait à elle comme ça, soudainement. Lui ramenant le passé en plein visage par la simple mention de son prénom. Qu’espérait-il ? Qu’elle était heureuse de recroiser son chemin ? Si elle n’arrivait pas à la bannir de son cœur, elle n’en détestait pas moins sa présence. Tous ces souvenirs, ces émotions. Toute la négativité qui l’envahissait. Elle serra les poings. Son regard enragé se reporta enfin sur lui.

- Qu’est-ce que tu veux ?! À quelle réponse t’attends-tu ?!

Elle fulminait. Sa voix s’élevait dans la rue, inconsciente des rares personnes qui marchaient avec nonchalance, et elle était incapable de contenir la rage qu’elle ressentait. Elle aurait voulu paraitre froide, en contrôle, mais tout se bousculait en elle. À nouveau, la douleur envahit ses pupilles et elle fixa ses yeux dans ceux du garçon.

- Je ne suis pas contente de te voir, Newt…

Une demi-vérité. Car elle ne pouvait oublier son cœur qui s’affolait, mais elle ne pouvait pas nier la rage qui la dominait non plus. Deux contradictions existant dans son petit corps. Deux forces qui s’affrontaient sans relâche, l’épuisant sans cesse. Elle aimait Newt et elle le détestait. Elle s’en voulait et elle lui en voulait. Pourquoi ? Pourquoi ressentait-elle tout cela ? Ça l’enrageait encore plus et elle avait l’envie de le repousser de toutes ses forces. En même temps, elle avait peur de le toucher, peur de ne plus vouloir le lâcher.

- Quand je te vois, je… Je ne sais pas quoi penser. Je te déteste Newt.

Elle avait laissé les mots tombés de ses lèvres. Avec espoir, cela l’éloignerait d’elle.

C'était pire que la gifle. Pire que si elle le frappait de toutes ses forces. Il ne reposa pas le regard sur elle, le laissa errer sans vouloir la regarder. Il savait qu'il ne tiendrait pas s'il posait juste une seconde les yeux sur elle. Elle fulminait, elle explosa comme s'il avait eut le malheur de l'insulter. En soit c'était peut-être équivalent. Elle le dit clairement, elle n'était pas contente de le revoir. Il pouvait l'encaisser.


Elle attrapa ses yeux et il ne pu que s'y soumettre. Il ne disait plus rien, que pouvait-il dire de toute façon ? Il sentit, non loin, comme alerter par la détresse de son humain, Nivom qui s'approchait par les airs et rapidement, l'ombre du dragon passa au dessus d'eux tandis que tombait la sentence pour Newt.

- Je te déteste Newt.

Un instant, tout fut suspendu. Il sentit comme une épée lui transpercer froidement le coeur. Comme un appel de son âme, Nivom se posa derrière lui, loin et il donna une occasion au dragonnier de décrocher son regard de la jeune femme. Il fit un pas en arrière, prêt à rejoindre son éternel compagnon. Mais...

- Tu... Tu me pardonneras jamais... c'est ça ? demanda-t-il d'une voix extrêmement faible.

Il avait besoin de savoir si c'était ce qui l'attendait. Car il voulait qu'elle lui pardonne, même si ce qu'il avait fait était la goutte de trop, il avait tout gâché avec un égo mal placé et avait du se rendre à l'évidence qu'il ne pouvait s'en prendre qu'à lui, malgré la sagesse acquise sur ces dernières années.

Les mots qui avaient franchi ses lèvres étaient froids, glacials. Gonflés d’agressivité et de conviction. Elle avait voulu l’éloigner d’elle et voilà qu’il reculait d’un pas. Le regard d’Elyssia ne se posa qu’à peine une seconde sur le dragon qui atterrissait avant d’être de nouveau attiré à Newt. Elle aurait pu se montrer surprise, intrigué du changement qu’elle remarquait aussi sur Nivom, mais toute son attention se portait sur cette expression que Newt affichait. Il ne pouvait pas la regarder commença. Elle ne pouvait pas... Elle sentait son cœur se ficeler, prêt à éclater. Il briserait pour de bon cette fois et elle aurait beau ramasser chaque morceau, elle ne serait jamais en mesure de le recoller.  

Malgré toute sa colère, c’était la tristesse qui lui broyait à l’instant le cœur. Il allait lui tourner le dos, disparaitre dans les nuages et elle ne savait pas si elle pouvait l’accepter. Elle avait causé cette situation, certes. C’était ce qu’elle avait voulu. Et pourtant... Maintenant qu’il s’apprêtait à partir, elle voulait le retenir. Et inconsciemment, elle leva la main, ses doigts s’agrippèrent à son vêtement et elle ne bougea plus. Le silence s’étirait sans qu’elle réponde à la question. Le poing serré, elle tirait presque sur le tissu avec possessivité et violence. Elle était incapable de le laisser partir. Elle ne comprenait rien.  

Sourcils froncés, son regard se portait sur le sol. Elle n’arrivait pas à détacher sa main. Elle ne voulait plus le lâcher. Et elle ne disait rien. Elle était toujours en colère. Contre elle. Contre lui. Contre tout. Elle ne voulait pas le perdre, mais elle faisait tout pour ça. Elle voulait qu’il souffre, mais voir cette expression sur son visage lui faisait aussi mal.  

- Je... je ne sais pas, murmura-t-elle d’une voix faible qui cachait toujours une once de colère.

Elle se montrait honnête soudainement. Elle hésitait sans cesse et laissait sa confusion faire surface. Elle s’exprimait. Elle acceptait de lui partager le fond de sa pensée. Elle ne l’avait jamais vraiment fait auparavant. Elle avait toujours tout gardé pour elle. Laissant simplement sa colère et sa haine l’atteindre. Cela faisait des années qu’elle nourrissait cette haine. Sans voir la fin, sans réussir à le pardonner. Le pouvait-elle ? Le voulait-elle ? Elle ne savait plus, car son cœur se déchirait un peu plus chaque jour.

- Chaque fois que je te vois, je repense à Meiros. Et ça me met tellement en colère. J’ai mal, je culpabilise. Je n’ai jamais pu l’aimer comme je t’aime toi. Pourquoi est-ce que je reviens toujours vers toi, Newt ? Pourquoi est-ce que je ne peux jamais te lâcher complètement ? Je déteste ça. Je déteste tout ça. Elle serra les dents, serra les mains avec frustration et impuissance. Elle souffla le reste pour elle-même, sans réaliser que les mots quittaient véritablement ses lèvres. ...et je me déteste aussi.

Sa main tremblait légèrement et des larmes de colère caressaient le coin de ses yeux. Elle clignait des yeux pour les refouler, énervée et confuse. Et elle s’obligea à desserrer sa main qui tenait encore fermement les vêtements du garçon.

Il sentait la tempête qui agitait la jeune femme et il rêvait de la prendre dans ses bras et de tout effacer. Derrière lui, Nivom fit un pas en avant, vers eux, pour voir de quoi il retournait pour les deux humains. Sa jalousie n'avait jamais affecté Elyssia, au contraire, Nivom aimait beaucoup la jeune femme, une première. Elle l'agrippa, sa main se refermant sur l'habit du jeune héritier. Il posa sur elle un regard interrogateur mais elle ne le regardait pas. Il avait sa réponse : elle ne savait pas si elle pourrait le pardonner.

L'air humide chargé d'iode, les couleurs pastelles du soleil à cette heure de la journée. Tout était doux, comme une preuve que ne devait se passer comme ça. Et pourtant. Elle aussi culpabilisait pour Meiros, pour l'amour qu'elle n'avait su lui apporter comme elle l'aimait lui. Et quelque part, le coeur du jeune homme se gonfla de savoir cet amour. Il la laissa finir et quand il sentit ses doigts se détacher, il attrapa sa main et la serra doucement.

- Ma seule excuse pour.. ce que j'ai fait... Ma seule excuse c'est que je voulais te protéger.

La protéger de l'influence néfaste de ce voleur, de lui, mais de pleins de choses. Il avait voulu la protéger par amour pour elle, mais il avait échoué dans sa quête. Et aujourd'hui, il regrettait amèrement.

- Tu sais ce que je ressens pour toi. Je t'ai fait trop de mal et... fit-il avant de soupirer, lâchant dans un souffle : Mais je ne veux t'obliger à rien.

Il avait fait trop de dégats. Elle savait qu'il l'aimait, mais peut-être ignorait-elle a quel point il l'aimait ?

Elle était si prise dans ses émotions qu’elle sursauta presque lorsqu’elle sentit sa main se refermer autour de la sienne. Ce fut un regard incertain qu’elle posa sur leurs mains. Elle hésita une seconde entre la retirer violemment ou apprécier la chaleur de la paume contre sa peau. Elle opta pour l’immobilité, profitant du contact qui faisait battre son cœur. Que… devait-elle faire ? Comment devait-elle réagir ? Elle sentait son cœur fondre douloureusement dans sa poitrine. Savait-il à quel point ses gestes avaient un effet alarmant sur elle ?

Puis, ses mots la ramenèrent à la réalité. Un éclair agressif apparut un instant dans son regard. La protéger. C’était ce qu’on lui avait dit. Ce qu’on avait essayé de lui faire croire. Elyssia n’avait toujours pas accepté la vérité sur Meiros. Il avait été un de ses plus proches amis, elle refusait de penser du mal de lui. Malgré ce que tout le monde disait. Même Newt n’avait pu la faire changer d’avis. Et si c’était sa façon de la protéger, elle n’en voulait pas. Elle détourna de nouveau la tête, lèvres pincées. Son ventre se tordait et elle retira sa main pour la ramener vers elle.

La suite de la conversation attira à nouveau son regard à lui, avec une touche d’étonnement. Ce qu’il ressentait pour elle ? Évidemment, elle savait qu’il l’aimait. Mais… Aimer était un mot bien grand, contenant une foule de nuances. Laquelle s’appliquait parfaitement à leur relation ? Elle l’ignorait. Après tout… Elle ne pouvait pas se rappeler qu’il lui ait déjà dit clairement ce qu’il ressentait. Et elle ne l’avait jamais fait en retour. Des malentendus construits sur des non-dits. Elle l’aimait si fort, s’il l’aimait en retour, pourquoi les choses devaient-elles être si compliquées ? La vie pouvait se montrer impitoyable. Impossible pour eux de revenir en arrière pour effacer le passé.

- Newt… Elle aimait la sensation de son nom contre sa langue. Elle leva une main hésitante, ses doigts frôlèrent la joue du garçon avant de retomber. Elle serra le poing. Pourquoi tout est si compliqué ?

Puis, son regard se porta sur le dragon, qui semblait intrigué par la situation. Elys fit un pas sur le côté, s’approchant de la créature. Un demi-sourire apparut lentement sur ses lèvres. Elle tendit une main avec calme et respect et attendit que le dragon fasse le reste du chemin vers elle.

- Nivom, c’est bien toi ? Tu as aussi changé, mais je reconnais cette étincelle dans ton regard. Je suis désolée de ne pas avoir dit au revoir. Comment vas-tu ?

Avec l’animal, elle se permettait une douceur qu’elle ne se permettait pas avec Newt. Mais si quelqu’un regardait dans son cœur, les mots qu’elle offrait au dragon pouvaient aussi s’appliquer à l’héritier. Elle avait ressenti le besoin de s’éloigner un instant du garçon. Ses émotions jouant aux montagnes russes au creux d’elle commençaient à l’étourdir. Et elle ne voulait pas faire quelque chose qu’elle regretterait ensuite. Entre agressivité et douceur, elle ne savait plus.

Quand sa main resta en contact avec celle d'Elys, Newt sentit la chaleur de son ventre se rependre dans tout son corps. Mais cela ne dura pas et l'agressivité face à ses mots refit surface et le jeune homme frissona de sentir le contact se rompre. Mais la tempête au coeur de la jeune femme semblait encore l'agiter.

Elle leva doucement une main vers lui, effleurant sa joue et il ferma ses yeux bleu acier à ce contact si doux. Pourquoi tout était si compliqué ? Il l'ignorait, il aurait aimer le savoir, mais il aurait surtout préférer avoir la jeune femme dans ses bras, contre son coeur et son corps. Quand il rouvris les yeux, Elyssia observait son comparse gris carbone. Elle tendit la main vers lui, l'interpellant, et l'animal dressa les oreilles, intrigué. Nivom fit un pas en avant puis d'un bond étonnament léger, il s'approche pour poser son museau dans le creux de la main de la jeune femme.

Newt avait toujours vu en l'approbation de Nivom le signe qu'Elys était la femme qu'il devait chérir. Avec Queen, le dragon s'était montré froid, parfois méchant. Avec beaucoup en fait. Sauf Elys. Il était tout l'inverse avec la jeune femme. Quand elle lui demanda comment il allait, le dragon maintenant bien plus petit lâcha ce ronronnement si familier venant de sa gorge. Newt, qui s'était reculé d'un pas, se racla doucement la gorge :

- On... On ne sait pas qui était la femme qui nous a fait ça... Elle voulait nous tuer, enfin, c'est ce qu'elle disait... On en saura pas plus...

Leur agresseur était disparue dans les flammes du dragon, carbonisé jusqu'à disparaitre. Ils n'avaient aucune idée de qui elle était, ni pourquoi elle leur avait fait cela. Il savait seulement qu'elle savait pour son origine. Nivom donna un coup de museau affectueux vers Elyssia, et Newt acheva son explication d'une voix douce :

- On a juste appris à vivre avec. Y a que le physique qui a changé.

Et par là il voulait faire comprendre à la jeune femme que ses sentiments pour elle n'avait pas bougé. Oh oui il l'aimait, il l'aimait à en crever.

Le sourire sur ses lèvres s’étira lorsqu’elle sentit le museau de Nivom se poser au creux de sa main. Pour Elys, Nivom n’était pas qu’un dragon, il était un ami. Il était important à ses yeux et elle était contente de voir qu’il lui accordait encore sa confiance, la laissant poser les mains sur lui sans se montrer agressif. Elle avait toujours adoré caresser ses écailles et si la couleur avait changé, elle appréciait toujours la sensation sous ses doigts. Et ce ronronnement était adorable. Elyssia ressentait ce petit plaisir, cette fierté d’être une des rares personnes à pouvoir s’approcher du dragon sans attirer sa colère.

Son attention se porta à nouveau sur Newt lorsqu’il reprit la parole. Elys laissa son regard sur Nivom, caressant avec plaisir la tête du dragon, mais elle écoutait malgré tout chaque mot que le noble prononçait. Et bien vite, son mouvement s’immobilisa. Les… tuer ? Elyssia laissa sa main retomber, bouleversée par la nouvelle. Elle ne pouvait pas et ne voulait pas imaginer un monde sans Newt. Si elle lui en voulait, si elle était en colère contre lui, si la haine l’envahissait, elle n’avait jamais souhaité sa mort. Et simplement penser qu’il aurait pu ne plus être là à son retour la mettait à l’envers. Elle ne voulait pas revivre une nouvelle fois la perte d’un être cher. Elle sentait un nœud dans sa gorge et la tristesse la domina complètement. Ce fut un coup de museau qui la sortit de ses sombres pensées. Elle posa son regard dans celui du dragon et sentit une vague d’apaisement la calmer. Ils étaient là tous les deux, devant elle. L’heure n’était pas aux idées noires, mais plutôt à ses retrouvailles douloureuses. Mais peu à peu, Elys réalisait qu’elle était contente de les retrouver là. Et non pas de les savoir disparus à jamais.

Ils avaient changé physiquement, certes. Elys ne les aurait jamais reconnus si Newt ne l’avait pas interpellée. C’était étrange de se faire à l’idée que cette nouvelle tête était Newt. Que ce petit dragon foncé était Nivom. Mais quelque part, il était facile de les reconnaitre pour qui les connaissait. Ils avaient appris à vivre avec ce changement. Elys apprendrait aussi. Elle commençait déjà à se faire à l’idée que Newt avait maintenant des mèches bleu acier qui encadraient son visage. Et elle ne détestait pas tout à fait cela. Comme si en regardant ce nouveau visage, elle pouvait enfin voir Newt et non pas Meiros. Elle en restait étrangement bouleversée. La colère de ce qui s’était passé quelques années plus tôt ne la quittait toujours pas, mais… c’était peut-être un pas dans une direction autre que la haine viscérale. Malgré tout, elle ne savait pas si elle voulait oublier sa colère. Si elle voulait lui pardonner. Elle avait peur en le faisant de trahir Meiros, de l’oublier. Elle ne pouvait pas se pardonner elle-même de l’avoir quitté sur une dispute.

Elyssia ne savait pas quoi faire des mots qu’il lui partageait. Elle ne voulait pas comprendre le sens derrière ses paroles, car elle ne voulait pas céder. Non. Absolument pas. Elle n’était pas prête à laisser de côté toute cette colère. Elle détestait toutes ces émotions qu’il lui faisait vivre. Elle sentait sa conviction faiblir par moment, l’envie de se jeter dans ses bras la prenait, mais rapidement, l’animosité revenait la gifler en plein visage.

- Une nouvelle pâtisserie vient d’ouvrir ses portes. J’aimerais bien y faire un tour avant que ce ne soit bondé.

Elle changeait complètement de sujet. Comme si elle voulait ignorer ce qu’il avait dit plus tôt. Elle sentait son cœur s’agiter dans sa poitrine. Était-ce une invitation qu’elle venait de lancer ? Une part d’elle voulait qu’il l’accompagne. Une autre part souhaitait simplement fuir. Elle posa ses yeux pâles sur Newt, hésitant. Puis, elle se détourna, fit quelques pas et s’arrêta. Elle piétina un moment avant de se retourner.

- Comment vas-tu, Newt ?

Pourquoi lui demandait-elle cela ? Voulait-elle réellement savoir ? Son regard posé sur le garçon était incertain et les émotions continuaient de s’y entrechoquer. Son cœur oscillait. Elys voulait être aimée, mais plus encore, elle voulait être aimée de Newt. Mais elle était aussi répugnée et furieuse à l’idée qu’il soit le seul à pouvoir apaiser son cœur blessé.

A regarder Nivom et ses écailles couleur ardoise, Newt n'avait pas vu les réactions d'Elyssia face à son annonce. Regrettait-elle cette colère ? Aurait-elle voulu que le sort les emporte ? Cette bataille n'avait rien couté hormis une aile douloureuse, deux côtes cassées et un relooking. Ils auraient pu y passer, mais Newt ignorait dans quelles conditions. Il préférait se dire qu'ils avaient eut de la chance et seulement ça.

Elyssia semblait coincée dans son ambivalence. Au même titre que Newt qui se divisait entre culpabilité et amour foudroyant, Elyssia tanguait entre colère et désir. Le regard bleu du jeune homme oscillait sur le soleil réfléchit sur le miroir charbonné de son compagnon animal quand Elyssia reprit la parole. Son attention fut tout de suite portée sur la jeune femme, comme un aimant. Mais il fut pris de court.


- Une nouvelle pâtisserie vient d’ouvrir ses portes. J’aimerais bien y faire un tour avant que ce ne soit bondé.

Il fronça les sourcils, doutant de ses mots et de leur sens. Une invitation ? Il en doutait fortement. Mais pourtant dans les yeux de la jeune fille il distinguait ce doute qui leur était commun. Ils redevenaient des enfants. Et Elyssia avançait ses pions, lui demandant carrément comment il allait. Le noble bafouilla avant de sentir Nivom qui lui pressait l'épaule de son museau.

- Je.. Euh... Je crois que oui.

Il marqua une pause, avala sa salive et se maudissant de son attitude d'adolescent. Il leva une seconde les yeux au ciel pour voir la position du soleil. Nivom lâcha un ronronnement et s'ébroua, signe qu'il allait décoller sans doute pour pêcher. Il lacha un glapissement pour les deux humains et décolla comme une flèche, direction la mer. Newt passa une main dans sa tignasse gris bleu et finalement releva le regard vers Elyssia.

- Je peux t'accompagner ..? J'ai juste eut vent de cette ouverture.. J'ai pas pu y passer.

Et ce n'était même pas un mensonge. Il lâcha un sourire timide vers la jeune femme, préférant s'assurer de ses envies.

Elle lui avait demandé comment il allait. Une question qui s’adressait complètement à lui, à sa personne, qui s’intéressait à lui. Depuis leurs retrouvailles, ce devait être la première fois qu’elle lui faisait face. Elys elle-même en fut prise au dépourvu et elle le trouva adorable, tout simplement. Bafouillant, hésitant, il vint à nouveau lui ravir son cœur, chasser un instant la colère pour ne laisser place qu’à l’amour. Ils se faisaient face, comme deux enfants. Un petit Newt, une petite Elys. Incertains, mélangés. Des sentiments trop gros, une innocence qui n’était plus la leur depuis longtemps. Décidément, elle ne se comprenait plus complètement.

Puis, dans son mouvement, Nivom vint la sortir de ses pensées. Elyssia le suivit du regard. Elle leva la main, un signe d’au revoir, espérant le revoir bientôt, car elle aimait la puissance majestueuse des dragons. Parce qu’elle appréciait la créature. Elle se prit à vouloir un jour faire un tour parmi les nuages, mais ses fantaisies furent de courtes durées. Les paroles de Newt concentrèrent à nouveau l’attention d’Elys sur lui. Douceur, puis incompréhension passèrent dans son visage.

Oui. Non. Absolument pas. Peut-être… elle ne savait pas quoi répondre. Elle était pourtant celle à avoir laissé supposer une invitation en premier lieu. Elle s’inquiétait soudainement de ne pas apprécier convenablement les délicieuses pâtisseries avec le garçon à ses côtés. Un arrière-goût de colère aurait le don de gâcher son dessert… En même temps, elle ne pensait pas pouvoir changer d’état d’esprit d’ici quelques minutes. Qu’il soit près d’elle ou non, elle était certaine qu’il dominerait toutes ses pensées malgré tout. Un léger haussement d’épaules. Une hésitation. Elle leva le regard vers lui. Inconsciemment, sa main s’approcha de la sienne, prête à glisser ses doigts contre sa paume, mais elle se ravisa avant. Fermant le poing, elle ramena la main vers elle en détournant le regard. Elle maudissait ses vieilles habitudes, cette envie de contact. Elle n’avait jamais hésité à lui prendre la main auparavant, mais maintenant, tout était différent. Soudainement à nouveau furieuse, elle se tourna, leva le regard vers le ciel. Sourcils froncés, elle prit une inspiration pour calmer son cœur chamboulé.

-Comme tu veux, répondit-elle simplement.

Un soupçon de froideur, d’indifférent. Un soupçon d’espoir et d’envie. Ce n’était ni un refus ni une complète invitation. Elle se mit en marche, feignant de ne pas accorder d’importance à sa décision. Et pourtant, elle ne put s’empêcher de jeter un regard par-dessus son épaule. La suivait-il ? Elle se prit à espérer que oui. Malgré la colère, malgré la froideur, malgré la haine, elle se prenait à espérer qu’il veuille toujours d’elle à ses côtés.

Newt guettait les réactions de la jeune femme face à lui, refusant de commettre la moindre bêtise. Le Grand Port s'éveillait peu à peu, les passages dans les rues se faisaient peu à peu plus nombreux tandis que les boutiques ouvraient. Il leur fallait se décider. Quand la main d'Elyssia s'approcha de la sienne, il esquissa un micro-mouvement vers elle mais sans plus, la laissant se raviser. Finalement, il eut sa réponse ; un "comme tu veux" qui lui arracha mine de rien un maigre sourire. Il était froid ce comme tu veux, distant, imposant une distance. Mais pourtant, il témoignait qu'elle ne rechignais pas complètement à passer un moment avec lui.

Oubliant ce pourquoi il était sorti à l'origine, il s'empressa de suivre la jeune femme. Il aimait voir sa ville le réveillait, il ne rechignais jamais à voir les marchés se monter, les gens sortir et les commerces ouvrir. Il aimait l'ambiance du grand port, plus uniforme qu'à la Capitale. Quelque chose qu'il trouvait chaleureux et pour quoi il était prêt à refuser la couronne d'Aryon pour reprendre le flambeau de son père. Il avait cette chance d'être un gouverneur nommé d'avance.

Newt marchait près d'Elyssia, quelque peu derrière elle ais toujours dans son champ de vision, ne sachant pas trop ou se rendre en fin de compte ; il avait seulement vu dans les dernières autorisations qu'il avait signé l'ouverture de la boutique mais ne l'avait pas géolocalisé. Oh il n'avait rien contre ce petit déjeuner, seulement il n'avait pas spontanément cherché à savoir où aller pour essayer l'endroit. Quand ils passèrent près du port, la musique des marins sur les bateaux lui parvint. Son éternel sourire sur les lèvres, il se surprit à demander à la jeune femme :

- Comment s'est déroulé ton voyage ?

Elle posait un pied devant l’autre. Elle avançait la tête haute, cherchant à se concentrer sur autre chose que le noble qui marchait près d’elle. Elle essayait de penser aux pâtisseries qui l’attendaient, au chemin à parcourir pour se rendre au commerce, mais elle finissait toujours par jeter un nouveau coup d’œil derrière elle. Sans même le vouloir. Pourquoi n’avait-elle pas dit non, tout simplement ? Elle commençait à hésiter sur son choix. Être en sa présence la déstabilisait beaucoup plus qu’elle ne l’avouerait. Elle ne savait plus quelle part de son cœur elle voulait écouter. Un petit soupir quitta ses lèvres, cherchant à détendre ses épaules tendues et la boule d’anxiété qui avait élu domicile en elle. Elle reporta son attention sur la route devant elle. La ville maintenant éveillée, le mouvement se faisait plus présent. Chacun se préparait à la journée et Elyssia s’assura d’éviter les citoyens au travail de si bon matin.

Lorsque la musique du port les atteignit, la jeune femme tourna un instant la tête, ralentissant le pas. Son regard admira les hauts mâts, les voiles blanches et les coques de bois. Elle pensa aux chantiers qui s’animaient. Puis, la voix de Newt s’éleva dans le brouhaha du matin, et Elys de sursauter légèrement tant elle était prise par ses pensées. Elle tourna le regard vers lui. Il souriait. Et Elys aimait son sourire. Sans même le réaliser, son corps se détendit et les mots qu’il avait prononcés prirent lentement un sens dans son esprit. Son voyage ?

Elyssia laissa son regard se balader de nouveau sur les navires. Les souvenirs l’envahirent et un mince sourire étira doucement ses lèvres. Sourire qui s’agrandit alors qu’elle plongeait un peu plus dans les calmes aventures auxquelles elle avait participé et dans les découvertes qui lui avaient ouvert les yeux sur le monde. Elle avait adoré son voyage. Expérience et exploration. Se changer les idées lui avait fait un bien fou. Elle s’était sentie… paisible. Loin de l’agressivité, de l’agitation et du trouble qui l’avait dominé avant son départ. Si ces retrouvailles avaient soulevé à nouveau ce genre d’émotion en elle, la simple pensée de son voyage arrivait à la calmer. Mais Elys n’était pas une jeune femme calme et posée. Rapidement, l’excitation et la joie reprirent le dessus alors qu’elle voulait raconter ses expériences.

- C’était… extraordinaire ! C’est tout à fait différent de lire à propos du royaume et de le parcourir. Je pourrais parler durant des heures des paysages maritimes et terrestres qui ont ravi mon souffle. C’était exceptionnel.

Devant ses yeux défilaient à nouveau les décors qu’elle avait pu admirer. Sa colère envolée comme par magie, elle se laissait entrainer par les émotions positives et agréables que son voyage lui avait offertes. Elle eut même un sourire pour Newt. Se tournant vers lui avec une expression amusée et sincère, si loin de celle qu’elle portait en sa présence normalement, mais un visage qu’il avait pu connaitre avant. Avant que tout ne se complique entre eux. Lorsqu’Elys était encore cette simple boule d’énergie et de joie.

- J’ai beaucoup appris. Il y a tant de choses auxquelles je n’accordais aucune attention avant... Ce voyage m’a permis de réfléchir. À moi. À ce que je veux. À ce que je souhaite pour l’avenir.

Elle leva le regard vers le ciel. Oui, elle avait pris le temps de songer à elle-même. Se découvrir. Savoir ce qu’elle aimait, ce qu’elle voulait. Elle qui n’avait jamais rien pris au sérieux. Qui ne cherchait qu’à s’amuser, à vivre au jour le jour. Elle était toujours la même, bien entendu, mais elle avait aussi pris conscience que l’avenir se devait de recevoir un peu d’attention par moment.

- L’avenir m’a toujours semblé si loin, si distant. Je n’avais jamais prêté attention à ce que je désirais faire de ma vie. Je réalise maintenant que je tourne en rond, sans réellement savoir où je vais. Le sourire s’affaissa lentement sur ses lèvres. As-tu toujours su ce que tu voulais et la direction à prendre pour y parvenir ?

Une curiosité, une incertitude. Elle s’ouvrait à lui, lui partageait l’inquiétude qu’elle ressentait comme elle l’avait si souvent fait par le passé. Une habitude. Un besoin d’être rassurée. Elle ne ressentait pas le besoin de se cacher devant lui. Ses émotions, ses pensées, elle lui jetait au visage avec violence. Elle ne se souciait qu’à peine des apparences. Il la connaissait si bien de toute façon. Comment se cacher ? Alors, elle accepta de lui poser cette question et d’écouter ce qu’il avait à en dire. Sa colère pour l’instant apaisée laissait place à l’hésitation.

Sa question avait eut le mérite de rendre ce si doux sourire à Elyssia, et il en profita pour l'admirer. Ses yeux pétillaient de ce voyage sans doute enchanteur et qu'elle vendait comme tel. Pour lui, l'aventure était tout autre. Il avait déjà parcourus de nombreuses fois le royaume par les airs grâce à Nivom, il pouvait faire ça tout les jours si le cœur lui en disait, survoler les plaines, la mer, l'archipel et les montagnes. Pour lui ce n'était rien, sa notion de l'aventure dépassait Aryon.

Son regard posé sur les bateaux, Newt comprit rapidement à travers ses mots que la jeune femme ressassait ce si beau voyage qu'elle avait fait. Et son sourire s'adressa un temps à Newt. Elle avait appris sur elle plus que lui n'aurait pu jamais en apprendre à travers tout ses voyages aériens. Il eut un sourire attendrie, ému par cette vocation qu'elle avait découverte pour elle, pour cette introspection. Elle leva les yeux aux ciels et son sourire se changea en une chose plus sérieuse dans ses traits. Elle lui posa ses inquiétudes, ses émotions, et une question.

- As-tu toujours su ce que tu voulais et la direction à prendre pour y parvenir ?

Il posa ses yeux bleus sur elle, attentif. Ses traits avaient eux-aussi regagné un air sérieux tandis qu'il réfléchissait. Sans se rendre compte, il avait ralenti jusqu'à s'arrêter, les mains calées à sa ceinture. Il n'avait jamais vraiment eut le choix.

- Dans mon cas... Je n'ai jamais vraiment eut de choix pour ma vie. Je suis né et on avait décidé que je serais gouverneur. Je n'ai eut qu'un seule chemin à prendre, aucune hésitation à avoir et aucun risque de se tromper de route. Et j'aurais beau parcourir le royaume avec Nivom que je n'échapperais finalement pas à ce destin. Je serais gouverneur, un dirigeant qui prend des décisions pour d'autres et peu pour lui-même. Quant aux autres choix... fit-il en laissant sa phrase en suspens, j'aurais dû les prendre plus tôt, et ne pas tout gâcher, que ce soit pour plein de chose.

Son regard dans celui de la jeune femme, Newt laissait transparaitre ce sentiment qu'il n'affichait jamais : un jeune homme qui rêvait d'avancer, de choisir sa vie. Il aurait aimé vivre autre chose, bien qu'il aime sa vie. Il fit un mince sourire à Elyssia, heureux qu'elle ait pu voyager, découvrir ce monde.

- Tu as de la chance, et je ne doute pas que ce voyage fut la plus belle expérience de ta vie.

Il se demandait souvent depuis ses dix-sept ans ce qu'aurait été sa vie si sa mère l'avait gardé avec elle. Peut-être serait-il devenu garde ? Aventurier ? Il n'aurait connu qu'une autre vie, loin de la cour et des mondanités, loin des exigences qu'on avait de lui. Il se serait fait son nom peut-être ou aurait découvert le royaume, ou plus, par dela la mer. Mais dans cette autre vie, Newt e fréquentait pas les mêmes personne, il n'aurait pas fréquenté Elys. Et mine de rien, ces rencontres rendaient sa vie unique et appréciable au possible.

Il reprit sa route vers la pâtisserie avec elle avec un sourire un peu différent mais toujours aussi heureux de l'avoir retrouver.

Sans même y penser, ses pas s’étaient accordés à ceux de Newt. Une habitude qui ne lâchait pas. Elle se prit à ralentir en même temps que lui. Pourtant, son regard restait posé sur le bleu du ciel matinal. La voix de l’homme s’éleva près d’elle et elle écouta. Oh… Lentement, son regard se porta sur lui, puis sur le sol alors qu’elle réfléchissait à ses mots. Elle n’avait pas du tout pensé à ce petit détail en posant sa question de façon innocente et maladroite ; il n’avait pas le choix. Il était fils de gouverneur. Son avenir était déjà finement tracé et il se devait de suivre ce chemin défilant devant ses pieds. Elys n’avait jamais prêté attention à son avenir avant maintenant et elle n’avait jamais accordé la moindre réflexion à celui des autres non plus. Newt avait été si proche d’elle, elle s’était toujours sentie à l’aise à ses côtés. À un point où elle en oubliait qu’il était en voie pour diriger le Grand Port. C’était presque une surprise dès qu’elle se rappelait qu’il n’était pas d’une petite famille noble comme la sienne. Filleul du roi, futur gouverneur. Newt avait un rôle à combler, des obligations qui le suivaient. Oui… Elle avait toujours ignoré cette vérité. Comme si l’admettre avait la possibilité de l’éloigner. Ses pensées ne faisaient aucun sens…

De son côté, Elys avait le loisir de choisir son propre destin. Son frère ainé reprenait le flambeau de l’entreprise familiale et si elle se devait d’aider, elle pouvait aussi choisir de changer de voie. Tant qu’elle ne tarissait pas le nom des Venwarin. Elle avait la chance.

Quant aux autres choix… Elys leva de nouveau les yeux vers Newt. Son regard s’accrocha au sien. Indécision et émoi parcoururent ses pupilles. Puis elle détourna le regard avec une soudaine timidité. Elle ne voulait pas le regarder. Elle ne pouvait pas… Lui faire face. Voir le véritable Newt. Ce qu’il était, ce qu’il souhaitait, ce dont il rêvait. Celui qu'elle aimait. Elle ne savait pas si son cœur pourrait le supporter. Alors, elle le fuyait. Évitant de répondre à ce sourire qu’il affichait. Son visage trahissant son hésitation ; son envie de lui offrir une vie dont il rêvait, et celui de l’empêcher d’avoir ce qu’il désirait. Elys n’était qu’un fouillis sans cohérence. Elle hocha simplement la tête en réponse à sa dernière phrase. Oui, ce fut l’une des plus belles expériences de sa vie. La gorge nouée, elle n’arrivait pas à parler.

Son esprit tournait, l’étourdissant sans cesse. Des pensées sur l’avenir, sur ses désirs, sur Newt. Sur ses sentiments, sur ses envies, sur le déchirement qui ne cessait de tirailler son cœur. Et comme c’était parfois le cas lorsqu’elle se laissait dominer par ses pensées, l’image de Meiros s’imposa à elle. Avec son sourire insouciant et son air fier. Qui aurait cru qu’il ne pourrait jamais choisir son destin ? À ce moment, la tristesse l’envahit, la douleur l’écrasa.

Par moment, tout allait bien. Elle souriait, elle vivait. Elle pensait à elle, au futur. L’instant d’après, le passé se rappelait à elle, la noyant dans un chagrin et une culpabilité sans fond. Elle ne s’en sortait pas. Toujours coincée. Simplement en fermant les yeux, les souvenirs revenaient lui torturer le cœur. Elle parlait d’avenir. Elle parlait du présent. Elle oubliait le passé. Et celui-ci se rappelait violemment à elle. Pourrait-elle un jour tourner la page ? Passer à autre chose et laisser la douleur, la colère derrière ? Pourrait-elle guérir son âme blessée ? Elle ne savait pas comment avancer ni comment faire face à cette douleur. Alors, elle souffrait. Et elle voulait que Newt ressente sa douleur et sa culpabilité. Elle voulait qu’il souffre avec elle. Elle ne voulait pas être la seule à se sentir brisée.

Dominée par ses idées sombres, elle s’entoura de ses bras pour reprendre le contrôle. Elle voulait se rassurer, se calmer. Ne pas être vaincue par toute cette négativité qui lui susurrait désagréablement à l’oreille. Elle ne pouvait pas se remettre tout de suite en route. Elle devait s’arrêter un moment et chasser ce désordre d’émotion qui l’envahissait maintenant.

- Je… Elle se tut. Qu’essayait-elle de lui dire ? Que voulait-elle ? Qu’il la rassure ? Qu’il chasse sa douleur ? Impossible. La ligne était mince entre sa colère et sa tristesse. Newt était la cause de tout. De ses hésitations. De sa souffrance. Et si elle cherchait à le détester du plus profond de son âme, elle ne le pouvait pas totalement. …Je te rejoindrai dans quelques minutes. Tu peux partir devant.

Sa voix était si douce. Lourde de sa tristesse. Elle se sentait instable. Une minute, elle était heureuse. La suivante, elle était furieuse. Elle était déstabilisée et ses émotions se bousculaient, cherchant chacune à leur tour à agir sur la situation.

Le vent caressait doucement son visage, cherchant à la rassurer, cherchant à chasser sa peine et sa colère. Elle tenait ses bras serrés contre elle, écoutant les pas de l’homme qui s’éloignait d’elle. Et lorsqu’elle n’entendit plus ses mouvements, elle laissa un long soupir quitter ses lèvres. Soupir qui libéra toute la tension qui s’accumulait dans ses membres. Elle sentait son cœur affolé dans sa poitrine. Il ne savait plus ce qu’il voulait, il ne savait plus comment dominer les émotions qui l’envahissaient. Et Elyssia était tout aussi perdue. La tristesse lui pesait et elle voulait s’en débarrasser. Elle ferma les yeux, prit une grande inspiration et prit plusieurs minutes pour faire le point.

Elle n’avait pas été préparée à revoir Newt. Son cœur l’élançait. Elle ne savait plus ce qu’elle voulait. Sur quelle décision elle voulait se tenir. Que… voulait-elle ? L’image de Meiros ne quittait jamais tout à fait son esprit et ça la faisait souffrir davantage. La tristesse repoussée dans un coin, ce fut à nouveau la colère qui gonfla en elle. Et elle ne savait plus si les larmes qui caressaient ses cils étaient de colère ou tristesse. D’un geste furieux, elle essuya son regard humide. Sa main s’immobilisa sur ses paupières. Elle devait absolument se calmer.

Elle s’était retirée dans un coin tranquille et laissait les réflexions tournées dans son esprit torturé. Elle devrait peut-être rejoindre Newt ? Ou devrait-elle le laisser s’impatienter ? Allait-il rebrousser chemin pour la retrouver ? Le voulait-elle ? Une plainte quitta ses lèvres alors qu’elle replongeait dans cette hésitation, ce doute. Ne sachant jamais vers quel chemin s’avancer. Elle en oublia presque le monde qui l’entourait. Si bien qu’à son retour, Newt la fit sursauter. Elle se retourna avec surprise, une pointe d’incompréhension en voyant les cheveux bleus avant de se souvenir que Newt avait changé. Elle resta silencieuse à l’observer alors qu’il lui montrait un sachet. Délicatement, Elyssia tendit la main pour attraper le sac et l’ouvrir. Son regard s’illumina soudainement. Des choux ! Il n’avait pas oublié ? Une soudaine chaleur réchauffa son estomac et avec contentement elle observa les pâtisseries.

Son regard revint sur Newt et sa courbette exagérée aurait pu lui tirer un sourire. Mais son cœur n’y était pas. La proposition était attirante, mais voulait-elle passer plus de temps à ses côtés ? Au risque de succomber ? Les viennoiseries eurent finalement raison d’elle et elle hocha simplement la tête, en détournant les yeux.

- ...D’accord. J’avais pensé rentrer une fois mes pâtisseries en main, mais c’est une belle journée, alors ce serait dommage de ne pas en profiter.

Mensonge. Elle ne voulait pas rentrer, car elle savait qu’on la ferait travailler. Et elle ne voulait pas. Elle se montrait distante devant Newt, un brin de colère et de tristesse flottait toujours dans l’air. Comme si elle avait peur de le laisser à nouveau toucher son cœur, elle n’osait pas le regarder. Mais sa question suivante vint trahir son air désintéressé :

- Est-ce que… notre endroit est toujours là ?

Un endroit sur la plage, tranquille et caché. Où les reflets de lumières sur l'étendue d'eau était à couper le souffle. Ils y avaient passé plusieurs après-midi étant plus jeunes. Jouant sur la plage, s’amusant et discutant de tout, de rien. La question venait de quitter ses lèvres que déjà elle regrettait. Voulait-elle vraiment revoir cet endroit empli de souvenirs qu’ils partageaient ? Qu’allait-elle ressentir ? Une triste nostalgie ? Une forte colère ? Une étrange indifférence ?  

- Je garde ça, ajouta-t-elle rapidement pour changer de sujet, tout en désignant le sachet de choux à la crème.

Et elle ne put s’empêcher d’en attraper un et de le glisser dans sa bouche. La crème était chocolatée, comme elle adorait. C’était délicieux et elle laissa le bonheur lui caresser la langue alors qu’elle oubliait un moment ses soucis. Elle se mit en marche vers la plage, dans la direction opposée de l'endroit qu'elle avait évoqué.