La princesse et le dragon
Il flottait dans l'air un sentiment de rancune et de peine, allez savoir. Newt commençait à se sentir coupable d'imposer ainsi sa présence à Elyssia, mais dans un élan égoïste, il avait peur que repartir l'empêche de la revoir, et il ne voulait pas.
Elle souligna qu'elle pensait rentrer une fois ses pâtisseries achetées mais décida de profiter de la journée. Il n'en était pas détendu pour autant. Elyssia parla de leur endroit, et Newt sembla presque tombé de haut. L'endroit était une cavité dans une falaise, au bout de la plage, qui était ouverte sur la mer, comme un tunnel. Les piliers rocheux faisaient tenir une voute de pierre attaquée par l'érosion et blanchie par le seul de la mer. Un endroit magnifique et remarquable. Le brun hocha la tête et sourit quand Elys attrapa le paquet de choux à la crème, partant dans une autre direction. Newt la suivit, plus hésitant néanmoins. Après quelques minutes à grignoter en marchant, le jeune homme
Je euh.. Je veux pas m'imposer à toi et je vais....
Il fut interrompu par Nivom se perchant sur un toit de magasin - merci gouverneur que de les avoir fait renforcer... Le dragon carbone glapit vers son dragonnier avant de rejoindre les deux humains. Newt haussa un sourcil :
Comment ça t'as vu une baleine ailée ? Si près ?
Le coup de museau du dragon lui fit comprendre que oui, et que du coup il fallait aller voir si cette bête ne craignait rien en étant aussi proche. La dure vie de chevalier aérien... Le jeune homme s'approcha de la selle de Nivom et se tourna vers Elyssia.
Peut-être... Tu veux venir ?
Entre eux, le silence s’était installé. Ils avançaient, et Elyssia gardait son regard fixé vers l’avant. Elle tenait le sachet de choux contre elle, comme un bouclier rassurant. Par moment, elle attrapait une pâtisserie et la mangeait sans se presser, profitant de la crème chocolatée qui lui chatouillait les papilles. Ses préférés. Et l’idée que Newt s’en souvienne lui faisait tant plaisir, mais elle refusait de l’admettre. Elle était attentive à chacun des gestes du noble qui marchait près elle. Lorsqu’il était près d’elle, elle pouvait jouer l’ignorance, mais ses sens n’oubliaient jamais sa présence et son corps réagissait à sa proximité. Elle sentit l’hésitation dont il faisait maintenant preuve. Et ce fut avec curiosité que la jeune femme jeta un regard vers lui. Au même moment, il se décidait à briser le silence.
Oh. Vraiment. C’était maintenant qu’il y pensait ? Qu’il réalisait que sa présence la déchirait en deux ? Qu’il réalisait qu’il s’imposait égoïstement à elle ? Savait-il à quel point la colère qu’elle ressentait la faisait souffrir ? Et c’était après l’avoir mise à l’envers qu’il voulait partir ? Elle avait cherché à le faire fuir, mais il était resté. Elle l’avait retenu. Aller savoir pourquoi elle n’arrivait pas à simplement tourner le dos et disparaitre à l’horizon. Elle le voulait dans son champ de vision, à proximité. Elle voulait tendre la main et pouvoir attraper la sienne. Un éclair de colère animait ses yeux et elle voulut crier, lui crier ce qu’elle avait sur le cœur. Ah, et puis... Qu’il parte ! C’était ce qu’elle avait voulu de toute son âme. Mais avant de pouvoir laisser libre cours à sa violence, avant que Newt ne puisse même achever sa phrase, Nivom s’imposa.
La rage s’apaisa un moment alors qu’Elys fronçait les sourcils sous la curiosité. Une baleine ailée ? Y avait-il réellement cette créature dans le coin ? Le dragon semblait affirmatif et attendait avec impatience. La colère bouillant dans un coin fut oubliée un moment alors que son regard passionné se posa sur les nuages. Elle… voulait en voir une elle aussi. Au moment où elle le pensait, Newt se tournait vers elle avec une invitation dans ses mots.
- Absolument… murmura-t-elle sans le réaliser.
L’envie avait parlé. Elle ne pouvait pas manquer une telle chance. Et Newt ne se débarrasserait pas d’elle comme ça. Voilà ce qu'elle décida. Il n’aimait pas voir cette douleur dans ses traits, cette tristesse dans ses yeux ? Parfait. Elle allait faire en sorte qu’il assiste à sa souffrance. Elle allait lui montrer qu’elle avait mal. Que tout était sa faute. Qu’elle lui en voulait. Pour cela, elle avait besoin qu’il reste près d’elle. Elle devait aussi contenir cette part qui s’affolait pour un rien lorsqu’il se penchait vers elle. Nier l’effet que lui faisait le son de sa voix. Elle allait lui jeter sa souffrance au visage. Avec violence.
Mais avant tout cela, elle allait admirer une baleine ailée ! Suivant Newt, elle remercia Nivom avant de grimper en selle à la suite du jeune homme.
- Tu sais Newt… Il est trop tard pour hésiter. J’ai fait mon choix. Je resterai près de toi. Alors, regarde-moi. Et n’oublie pas : tu es celui qui a causé tout cela.
Elle parlait doucement, mais aucune chaleur n’était présente dans sa voix. Une note de colère y paraissait même. Puis, elle se tut. Entre colère et envie, son âme ne cessait de se balancer à l’instant. Elle s’agrippa pour ne pas perdre l’équilibre lors de l’envol de Nivom.
La princesse et le dragon
Son malaise ne baissait pas. Il se sentait de trop mais voulait lui offrir la balade. Pour le bien commun, il aurait fallu qu'elle refuse ; il se serait enfuit dans les airs et elle serait retournée à sa vie sans lui. Mais elle accepta. Elle s'approcha et Newt l'aida à se hisser sur la selle du dragon qui faisait l'effort de se baisser - avec Newt, il n'en avait rien à faire... Le noble lui cala les pieds dans les étriers et leva les yeux vers elle quand elle reprit la parole. Tu es celui qui a causé tout cela. Les mots firent mal mais, neutre, Newt ne dit rien et bondit avec agilité sur Nivom, se calant sur les écailles du dragon. Il avait l'habitude aujourd'hui de chevaucher à même les solides écailles.
Agrippe les poignets de la selle, si tu as peur recule toi contre moi. Mes bras t'empêchent de tomber quoi qu'il arrive
En effet, il tenait les sangles de la selle permettant de diriger Nivom et encadrait ainsi la jeune femme assise devant lui. Il poussa un sifflement fort entre ses dents et d'un battement agile d'ailes, le dragon sombre décolla vers la mer. Du ciel, les deux cavaliers pouvaient admirer le ciel, l'horizon et le grand port en dessous d'eux.
L'eau se dessina vite au même titre que trois navires marchands et une masse animale que Newt devina rapidement comme être la baleine, à plusieurs mètres des navires. Il inclina Nivom vers l'amas de monde - si on veut - et lança à l'un des capitaines :
Newt d'Arphéos, je suis le fils du gouverneur. Je vous laisse vous diriger vers le port et je m'occupe de cette créature
Le marin hocha la tête et donna ses ordres tandis que l'animal volant quittait son vol stationnaire vers la baleine. Newt demanda à Elyssia :
Une idée pour qu'on la redirige vers le large ?
Hors de question de se caler contre lui. Peu importe ce qu’il disait. Des moyens pour qu’elle oublie un instant. Et elle ne voulait pas. Elle ne pouvait pas. Son choix arrêté, elle savait ce qu’elle souhaitait. Elle ne cherchait ni joie, ni réconfort. Elle attendait pour voir la douleur dans ses yeux, reflet de la sienne. Souffrance. Chagrin. Amertume. Elle refusait d’être heureuse à ses côtés, de sourire à nouveau. Ce visage froid, cette douce colère berçant ses yeux. Sentiments douloureux. Amour teinté de haine. Elle voulait qu’il la regarde le détester. Son cœur lui faisait si mal. Elle se sentait écrasée par le poids de sentiments qui la dépassaient, qui l’engloutissait. Elle avait passé de longues nuits en larmes. Et les pleurs n’étaient pas tout à fait secs sur ses joues. Les bras de Newt qui l’entourait faisaient battre son cœur d’effroi et de désir tout à la fois. Elle se sentait nauséeuse. Et si elle avait peur de rester, elle refusait de revenir sur ses convictions. Elle avancerait à ses côtés. Savoir qu’elle pouvait rejeter cette douleur et cette colère sur lui l’apaisait. De façon malsaine.
Les poings serrés, le regard rivé sur la selle, Elyssia n’admira pas le départ. Mais le déplacement rapide la tira vers la réalité. L’eau qui s’étendait à perte de vue. Les nuages qui s’approchaient. Le port qui se trouvait loin sous ses pieds. Elle en avait le souffle coupé. L’émerveillement enfla en elle jusqu’à s’exposer sur son visage d’un regard pétillant. Le vent soufflait dans ses mèches qui refusaient de tenir tressé. Lorsque la baleine apparut dans son champ de vision, toute son attention se porta sur elle. Elle était si concentrée sur son observation que la voix de Newt la fit tressaillir près d’elle. Elle tourna le visage vers lui, mais regretta aussitôt son choix en se souvenant qu’il se tenait trop près d’elle.
- Euh... je... peut-être que... hum... laisse-moi réfléchir... bafouilla-t-elle en détournant le regard.
Elle s’efforça de diriger son esprit sur la question posée. Comment rediriger la baleine vers le large ? Elle devait ignorer la proximité et l’intimité de laquelle elle se sentait soudainement prisonnière. Pourquoi son corps devait-il réagir de façon aussi contradictoire d’un instant à l’autre ? Elle serra ses mains qui agrippaient la selle. Se concentrer sur la question. Trouver une réponse. Oublier la fièvre qui lui montait aux joues. Elle était aussi inconfortable que détendue contre le jeune homme et elle détestait cette sensation.
- Les baleines ailées aiment dériver librement dans les nuages. Elle récitait ce qu’elle avait lu dans un livre pour obliger son attention à se reporter sur la créature. Elles sont inoffensives. Peut-être que Nivom pourrait guider sa dérive vers l’endroit que nous souhaitons ? Poussons-la vers où nous le voulons ?
Elle émit hypothèses et idées, mais c’était la première fois qu’elle se retrouvait aussi près d’une baleine ailée. Elle ne savait pas réellement leur façon de réagir, mais elle les savait sans malice. Elle leva à nouveau le regard vers Newt, cherchant dans ses yeux approbations ou désaccord. Tout en oubliant son cœur qui faisait toujours des siennes.
La princesse et le dragon
Concentré sur cette mission toute neuve, Newt ne se focalisa plus sur Elyssia, bien qu'il sentait qu'elle luttait pour ne surtout pas le toucher, ou le moins possible. Mais sa mission nouvelle l'occupait : une baleine ailée dans le port pouvait être un danger pour la créature comme pour les autres habitants du port qui sortaient en mer.
Cette créature avait du venir se nourrir et prenait apparemment son plaisir à rester vers le port. Elyssia émit l'idée qu'ils pouvaient la rediriger vers où ils le voulaient. Il fallait surtout qu'elle regagne les cieux. Nivom reprit un peu de hauteur pour ne pas trop s'épuiser en vol stationnaire.
- On va faire ça. Allez Niv' !
Il dirigea le reptile ailé vers la baleine, passant près de sa tête. Allez savoir si c'était le fait que Nivom soit un dragon ou la présence des deux humains, mais la baleine recula de peur. Et Lucy sait à quel point ils tâchaient d'agir doucement. L'animal semi marin plongea entièrement et le dragon du reculer pour leur éviter une douche. Le mammifère du port ressurgit de l'eau et d'un battement d'aile, regagna les cieux. L'héritier fut captivé par ce spectacle mais fut contraint de retourner vers la terre prévenir les marins.
Nivom se posa sur un quai et Newt mit pied à terre pour s'adresser aux marins qui l'attendaient de toute évidence pour savoir si c'était accessible ou non.
- La baleine est repartie, le port peut de nouveau fluctuer. N'hésitez pas à faire appel à la Garde pour ce genre de cas, plutot que d'essayer de le régler par vous-même ! La Garde est à pour ça, elle est là pour vous ! Ne l'oubliez pas.
Le dragon sur les talons, Newt quitta la foule. Une fois éloigné des gens, il aida la jeune femme à quitter le dos mine de rien élever de son comparse.
- Désolé pour l'interlude politique, mais ils ne comprennent pas qu'ils ne peuvent pas intervenir à leur guise.
Le parfait homme politique, prêt à prendre la relève comme diraient certains.
La baleine s’éloignant du port, les jeunes gens purent retrouver la terre ferme, à la déception d’Elyssia qui aurait bien aimé profiter un peu plus du vol. Tant pis. Elle accepta l’aide du garçon pour descendre et lorsque ses pieds touchèrent le sol, elle mit quelques pas de distance entre elle et lui. Elle ne fit que hocher la tête et un petit : « Hmm-hm » quitta ses lèvres devant les paroles de Newt. Puis, elle tourna légèrement la tête, sans jamais poser son regard sur lui, simplement pour lui partager quelques mots de remerciement.
- Hum… Merci de m’avoir permis de vous accompagner. C’était agréable. De voler, je veux dire.
Une touche d’hésitation glissa dans sa voix, comme si elle ne savait pas trop comment agir. Mais avait-elle su comme agir une seule fois depuis ses retrouvailles avec le garçon ? Elle devait… réfléchir. Elle laissa alors son regard parcourir les quais où ils se trouvaient et soudainement, elle réalisa avec anxiété où elle était.
Oh. Non. Comment avait-elle pu ne pas le remarquer ? Elle savait où ils étaient. Ils étaient bien trop près des chantiers navals de sa famille. Si quelqu’un la voyait, elle imaginait déjà ce qui allait se produire. Ah là... Il fallait qu’elle s’élance du côté opposé le plus rapidement possible. Elle devait fuir ! Elle leva le regard vers Newt, mais avant d’avoir pu ouvrir la bouche, une voix qu’elle connaissait trop bien s’éleva dans son dos.
- Elyssia. Si tu voulais te cacher, tu aurais mieux fait d’éviter le port, tu sais.
Elle entendait l’énervement teinté d’amusement dans la voix de son frère. Elle tourna la tête vers lui et un petit rire embarrassé quitta ses lèvres.
- Mais non. Pas du tout. J’aidais simplement Newt. Et... je comptais te rejoindre par la suite, mon cher grand frère.
Ha. C’était complètement raté pour sa journée de congé improvisé. Si Elyssia n’avait pas un poste permanent dans la compagnie, elle avait tout de même quelques tâches à s’occuper. Son père faisait son possible pour l’intégrer un peu plus au commerce familial, au grand détriment de la jeune femme. Mais bon. Elle ne pouvait pas toujours fuir ses responsabilités. Ou… pouvait-elle ? En tout cas, pas en ce moment. Les yeux de son frère ne la quittaient pas, comme pour l’empêcher de s’échapper au moment où il détournerait le regard. Il la connaissait trop bien.
Elys retint un énorme soupir et se résigna à avancer vers son frère. Après quelques pas, elle s’arrêta, hésita un moment et jeta finalement un regard par-dessus son épaule.
- Au revoir, Newt. Merci pour les choux.
Elle le saluait par politesse, mais il n’y avait aucune chaleur dans ses propos. Elle lui tourna ensuite le dos, sentant tout de même son cœur lui démanger. Elle ne savait vraiment pas ce qu’elle devait faire de ses émotions troubles. Elle avait toujours essayé de nier, refusé de comprendre ou accepter. Il faudrait un jour qu’elle se regarde en face et qu’elle admette ce refoulement de sentiments qui vivaient en elle. Plutôt que de les fuir, elle devrait les vivres. Cela faisait plusieurs mois maintenant. Trop longtemps. Comment pouvait-elle continuer sur cette même lancée ?
La douleur dans les pupilles, elle s’éloigna aux côtés de son frère, évitant soigneusement le regard incertain de celui-ci. La situation lui avait toujours échappé et s’il savait que la relation entre Elys et Newt était compliquée, il ne savait pas comment réagir. Il se contenta de poser une main sur la tête de sa sœur pour lui ébouriffer affectueusement les cheveux, ce qui avait toujours le don d’énerver la plus jeune. L’effet prit et tout de suite, l’ambiance sembla se détendre entre eux. Querelle légère entre frère et sœur, ils s’avancèrent vers les chantiers en laissant derrière ce garçon qui pouvait trop facilement chambouler le cœur d'Elyssia.
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