Elles étaient de retour dans cette rue. Qu’elles soient bien famées ou non en soi n’était pas le soucis. Le réel soucis était qu’elles devaient agir en simple collègues pendant ce temps, et ça créait une frustration certaine pour Nyx. Heureusement, Haru la rassura assez vite en lui indiquant leur destination, l’aidant à passer ce pénible moment. Encore si elles étaient chacun dans leur coin ça irait, elle n’était pas non plus dépendante à l’autre ministre. Mais c’était cette proximité avec l’objet de son désir qui compliquait la tâche. Heureusement, cela se termina rapidement quand Haru lui ouvrit le portail, que Nyx traversa sans se faire prier, sans oublier une petite courbette de politesse en passant devant elle, sûrement le dernier échange de politesse forcée de la soirée.

   Le jardin était grandiose. C’est vrai que, vivant dans son appartement au palais, Nyx n’avait pas un si grand espace à elle. Elle en avait certes plus que la grande majorité des citoyens, mais les espaces verts manquaient cruellement. Mais en tout cas, ce n’était pas parce qu’elle profitait du paysage que la remarque lubrique d’Haru tomba dans l’oreille d’une sourde. Au contraire, cela lui arracha un petit sourire. Il fallait croire que des deux, la culture était plus gourmande que la justice.

   "Je ne savais pas que tu avais une si grande demeure. J’ai toujours vécu au palais, acquérir quelque chose d’encore plus spacieux ne m’avait pas vraiment traversé l’esprit. Trop de travail cette première année peut-être."

   Nyx essayait pour une fois de ne pas faire de faux pas, pour ne pas embarrasser Haru. Elle ne se permettait rien de plus que ce que cette dernière ne s’autorisait. Que ce soit au niveau de la proximité, du langage ou encore plus d’actes plus intimes. Elle n’avait aucune idée de l’image qu’elle souhaitait avoir auprès de son personnel et même si elle aurait au contraire pris un malin plaisir en temps normal à la gêner, elle ne le ferait pas ce soir. Elle ne le ferait même pas du tout avec Haru à vrai dire. Les autres oui, mais pas elle.

   Elle fit rapidement la rencontre de Louise. Haru fit logiquement les présentations, ce à quoi Nyx répondit d’un léger et poli signe de tête, pour ne pas les couper dans leur conversation. Comme quoi, ce n’était pas réellement fini les politesses pour la soirée. Mais ce n’était trois fois rien, et puis comme Haru lui disait, elles allaient rapidement être entre elles. Et ça se confirma très vite puisqu’à peine après avoir congédié son intendante, voilà qu’elle lui attrapait déjà la main, montant à l’étage jusqu’au dernier obstacle à leur soirée, du moins ce qu’elle imaginait être le dernier obstacle.

   "Je m’en voudrais de pénétrer dans une chambre avant sa propriétaire, donc je vais t’attendre ici. Mais prends ton temps, ne t’en fais pas."

   Bien sûr elle souhaitait qu’elle fasse le plus rapidement possible, mais elle ne pouvait clairement pas lui dire de bâcler son entrevue avec sa pupille. Il fallait qu’elle prenne son mal en patience et, qui sait, peut-être que cette pupille en question était adorable et qu’elles pourraient s’entendre. Ça ne ferait qu’aider à se rapprocher de la maîtresse des lieux, et d’une façon plutôt agréable pour tout le monde.

   Avant de vraiment comprendre ce qu’il lui arrivait, Nyx se retrouva contre le mur, avec une femme bien familière contre elle la réduisant au rang de garniture au milieu d’un sandwich. Nyx appréciait la manœuvre, il serait futile de le nier, mais c’était à se demander si elle voulait vraiment voir sa pupille ou si elle ne le faisait que par devoir. Elle eut alors un regard amusé à l’égard d’Haru

   "Je ne sais pas qui manquera le plus à l’autre. Tu as tenu à venir ici pour voir ta pupille qui a besoin de ton attention, ce serait cruel de ma part de lui en priver, non ? Mais si tu as changé d’avis je n’ai rien contre, mais tu ne me feras pas porter le chapeau."

   Elle lui tira alors doucement la langue, lui faisant comprendre qu’elle ne l’aurait pas sur le terrain de la fausse culpabilité. Au final, c’était bien Dame du Lys qui semblait déclarer forfait à demi mot. Si elle voulait faire penser qu’elle laissait la porte ouverte pour Nyx, eh bien cette dernière n’y croyait pas une seule seconde. Il lui semblait évident qu’elle le faisait surtout pour elle même, pour pouvoir lui jeter des coups d’oeil régulièrement. Et histoire d’achever les derniers grains de crédibilité de cette femme, elle lui quémanda carrément un bisou après avoir utilisé de nouveau cette vieille ruse du cou.

   "Ouh, on dirait presque une enfant. Je risquerai de sortir du cadre de la loi à embrasser une petite fille moi..."

   Toujours taquine, elle faisait exprès d’attendre quelques secondes avec cette femme pratiquement déjà sur ses lèvres. Dommage qu’il n’y avait pas de moyen d’immortaliser facilement cette scène, ça aurait valu de l’or. Finalement, elle ne la tortura pas plus longtemps et l’embrassa, plaçant ses mains de chaque côté de la tête de la mendiante. Un baiser pas trop passionné mais pas trop bref non plus, juste ce qu’il fallait. Cependant, alors qu’elle décollait ses lèvres, elle entendit une voix inconnue et tourna la tête par réflexe, voyant une porte se fermer, elle qui n’avait vu personne l’ouvrir. Il ne lui fallut pas longtemps pour mettre ses idées en place et deviner qu’il s’agissait de la fameuse pupille.

   "Eh bien, je crois que tu as fait une bêtise là, enfant du Lys. La gourmandise est un vilain défaut, tu devrais le savoir."

   Elle la repoussa gentiment et délicatement afin d’avoir un peu d’air et ne plus être scotchée au mur. Cette pupille avait besoin d’Haru maintenant et pas plus tard. Et même si elle n’aurait une fois de plus rien contre la garder pour elle seule, elle se devait de lui rappeler ses responsabilités. Elle lui mit alors une petite claque sur les fesses, la poussant par la même occasion vers la porte fermée.

   "Il va falloir grandir vite et devenir super maman du Lys. Occupe-toi d’elle avant de t’occuper de moi, je suis une grande fille. Et au moins maintenant, je pense que les présentations sont faites."

   Elle rit très légèrement pour dédramatiser un peu la scène. En soi, il n’y avait rien de très grave à voir deux femmes s’embrasser, et il faudra peut-être que cette pupille s’y fasse. Selon la tournure des événements, il se pourrait que ce ne soit pas la dernière fois qu’elle allait assister à ça, surtout vu le peu de self-control que semblait avoir sa tutrice.

  Il semblerait qu’Haru avait choisi la mauvaise période pour prendre en charge sa pupille. En plein dans l’âge rebelle apparemment. Nyx était très visiblement en train de retenir un rire, ne voulant pas non plus braquer la jeune fille derrière sa porte qui pourrait penser à une moquerie. Si elle était à la place d’Haru, elle serait sûrement moins calme qu’elle. En effet, elle se contrôlait suffisamment au travail pour ne pas avoir envie de plus de diplomatie dans une journée. C’était d’ailleurs pour ça qu’elle n’avait jamais vraiment été pressée d’avoir des enfants, contrairement à sa sœur. Mais là, c’était le problème de son amante, donc elle prenait ça avec tout le détachement qui lui était permis, la laissant galérer seule alors qu’elle était en partie responsable de tout ça. Et encore, elle pourrait en rajouter, mais elle avait la bonté de ne pas le faire.

  Étonnement, elle eut rapidement accès à la chambre, au regret coupable de Nyx, affichant une légère moue pour son amusement parti trop tôt. Cela dit, cette expression peu sérieuse ne resta pas bien longtemps. En effet, la suite de la scène se déroulant sous ses yeux était plutôt attendrissante. D’un côté, une jeune fille à l’allure et l’attitude fragile, ce qui allait dans le sens de ce que la ministre avait pu apprendre plus tôt dans la journée. De l’autre, une femme plutôt forte et sûre d’elle - Nyx avait pu en faire l’expérience il n’y a pas si longtemps que ça - qui semblait soudainement transformée, se mettant au niveau de sa pupille. C’était donc ça le genre d’amour maternel ? Le voir sous l’angle de l’adulte et non de l’enfant faisait soudainement relativiser sur sa propre jeunesse. Nyx n’avait pas été si horrible que ça, mais pas de tout repos non plus, et la scène la faisait presque se sentir coupable. Presque.

  Nyx resta donc en silence à les observer à travers la porte, se surprenant à avoir un sourire un peu béat. Elle en venait à se demander ce qu’elle faisait ici. Elle n’avait pas envie d’entacher cette entente entre ces deux femmes. Elle n’entendait pas la plus jeune des deux qui parlait trop bas pour elle, mais elle pouvait deviner à la scène la complicité qu’elles semblaient avoir. Et si elle n’était pas appréciée de cette jeune jolie fleur ? Certes elle était venue pour Haru, mais elle n’avait aucune intention de s’interposer dans une famille si elle n’était pas acceptée par l’entièreté de celle-ci. Certes ce n’était pas une vraie famille sur le papier, ce n’était qu’une tutrice et sa pupille, mais dans les faits, l’impression était toute autre. Jouer sur les textes de loi, c’était au travail qu’elle faisait ça. En privé, le bon sens primait sur la paperasse.

   Nyx laissait un peu d’intimité à cette petite famille, se reculant un peu de la porte et attendant patiemment son tour. Enfin patiemment, jusqu’à un certain point. Elle s’ennuya assez rapidement, commençant à regarder les alentours de plus en plus précisément, prêtant une importance grandissante au plus fin des détails. Le temps avait l’air de passer lentement, chaque minute paraissant une éternité. Cela dit, à la vitesse à laquelle était passé sa fin d’après midi, on pouvait en quelques sortes se dire que ça compensait. Tout ça sans parler bien sûr de ce qui était à venir, ce qui aidait aussi Nyx à patienter. Cela dit, elle aurait pu profiter de ce temps pour planifier quelque chose à l’égard de son amante, mais étrangement elle n’en fit rien.

   Alors qu’elle en venait à se poser des questions vitales comme l’origine des pierres utilisées dans la construction de la demeure, un bruit se fit grandissant en provenance de la chambre, jusqu’à ce que la porte s’ouvre. La ministre s’y tourna rapidement, heureuse de revoir Ha…… Ah non, il ne s’agissait pas d’Haru mais de la jeune pupille. Demi déception pour Nyx, qui se disait que logiquement la seconde femme allait suivre. Mais en attendant, elle avait à faire à une jeune demoiselle particulièrement polie, la fameuse Sekyung, portant à la surprise de Nyx le nom du Lys. Un changement de nom ? Si Haru lui en avait parlé elle avait dû oublier.

   "Enchantée Sekyung, tu peux m’appeler Nyx si tu as envie, ne te formalise pas autant pour moi, je ne suis qu’une invitée ici après tout."

   Qu’une invitée pour l’instant. Mais Nyx voulait essayer de mettre un petit peu à l’aise cette demoiselle. Elle lui tendit la main, l’invitant implicitement à la lui serrer, essayant de faire en sorte de ne pas avoir l’air de la prendre de haut. Après ce qu’elle avait vécu, il y avait de grandes chances qu’elle accuse un certain manque de confiance ou d’autres séquelles du genre, et il fallait faire attention à ne pas les aggraver. Bon, peut-être que le baiser plus tôt qu’elle avait surpris n’avait pas joué dans ce sens, mais Nyx rejetait totalement la faute sur Haru, avec un brin de mauvaise foi.

   "Finalement c’est toi qui as couché ta tutrice ? Elle n’a pas l’air de revenir."

   Elle disait ça sur un ton humoristique. Cependant, il était vrai que Haru tardait un petit peu, et au travers de cette blague elle espérait tout de même savoir ce qu’il en était vraiment, Sekyung étant la plus à même d’en connaître la raison.

   Toutes ces histoires n’avaient pas l’air très claires. Certes Nyx n’était pas très familière avec la relations qu’avaient les deux autres femmes de cette demeure, mais elles agissaient assez étrangement. Était-elle pressée à ce point pour ne pas finir de tout régler avec sa pupille ? C’était bien possible. Mais ce n’était pas Haru le plus inquiétant. Sa pupille avait une attitude plus qu’étrange. Malgré ce sourire de surface, la ministre avait cette impression de faux de la part de Sekyung, pour ne pas dire d’hypocrisie. La seule raison pour laquelle elle n’avait pas encore commencé à essayer de lui tirer les vers du nez était parce qu’elle était chez son amante. De toute façon Sekyung était liée à une affaire en cours, elle aurait tout le temps de s’occuper de tout ça, si cachotterie il y avait réellement.

   "Je serais heureuse de te faire découvrir mes travaux, Sekyung. Bonne soirée à toi."

   Elle lui souriait chaleureusement, ne laissant rien transparaître de ses interrogations. Les derniers mots de la demoiselle étaient dûr et semblaient confirmer les doutes de Nyx. Il y avait quelque chose qui n’allait pas, elle n’avait clairement pas l’air consolée par ce qu’il s’était passé quelques minutes plus tôt, ou alors il y avait encore autre chose. Elle se demandait si sa tutrice allait le remarquer ou non, mais cette fois elle n’irait pas la pousser. Au contraire, laissant la pupille retourner dans sa chambre avec un chagrin presque certain, Nyx s’approcha de l’autre ministre, bien décidée à lui faire appliquer les remarques déplacée de la jeune fille.

   "Madame, quelle est la suite des événements ? Si madame n’est pas fatiguée, je suppose que l’heure du coucher n’a pas encore sonné"

   Elle la regardait avec cet air taquin qu’elle devait commencer à avoir l’habitude de voir. Peut-être que ce temps passé dans la chambre servait à réfléchir à cet instant précis justement. En tout cas, elle n’allait pas lui sauter dessus de nouveau dans ce couloir, ce serait un coup à encore faire des vagues avec la petite.

  Manger ? C’est vrai que l’estomac de Nyx était passablement vide, d’ailleurs c’est au moment où son amante fit la remarque qu’elle se rappela ne pas du tout avoir touché à son cocktail au bar, et Haru non plus d’ailleurs. Ça la fit légèrement sourire avant que cette dernière ne porte un nouvel assaut dans son cou, lui laissant alors échapper une réaction plus appropriée. Enfin "appropriée", question de point de vue. En tout cas, cette femme semblait avoir faim sur tous les tableaux, et pas seulement celui de la nourriture. Cependant, l’expression de Nyx ne pouvait que trahir son accord avec l’idée de dessert qu’elle venait de suggérer.

  "Tu es décidément intenable… Mais après tout, tu es la maîtresse de la maison, je me dois d’en respecter les règles en vigueur."

  Il s’agissait bien sûr d’un faux reproche tenant plus de la taquinerie qu’autre chose, pendant qu’elle la suivait jusqu’à la cuisine, main dans la main. Deux assiettes étaient déjà présentes, mais Nyx n’y prêta pas plus attention que ça, se disant que la seconde devait sûrement être initialement prévue pour Sekyung. A côté de ça, Haru lui disait qu’elles seraient tranquilles, ce qui, venant de sa bouche, portait un sous entendu qui ne laissait pas de doute.

  "E…."

  Même pas le temps d’en placer une que le sous entendu se transforma directement en acte, se retrouvant rapidement plaquée contre cette femme capable de la plus grande douceur comme la plus grande bestialité. Allait-elle de nouveau faire une référence à l’une de ses oeuvres ? A ce rythme, elle allait devoir démissionner de son travail de ministre pour créer assez de contenu pour pouvoir suivre la cadence. Après un fougueux baiser, Nyx décolla doucement ses lèvres afin de finalement pouvoir en placer une.

  "Depuis quand c’est le dessert qui essaye de découper une part ? On dirait qu’il manque de cuisson..."

  Sans plus attendre, Nyx profita de l’endroit clos pour revêtir sa forme bestiale, annonciatrice du programme à venir, de part sa symbolique même ainsi que son aspect clairement plus légèrement vêtu. Elle ne se laissa pas non plus prier pour retourner l’action et plaquer à son tour la maîtresse de maison contre son propre meuble de cuisine, avec peut-être un peu plus d’entrain, sans vraiment faire attention à ce qu’elle risquait de renverser ou casser. Cette fois, c’était à son tour d’attaquer son cou de baisers délicats et passionnés, essayant de chercher un peu plus bas sous ses vêtements pendant qu’une de ses cornes peut caresser le bord de son visage. Pendant ce temps, ses mains ne sont pas en reste, caressant le dos de la dame sous ses vêtements, sans parler de sa jambe venait innocemment se caler entre celles de sa dulcinée. Il fallait croire que cette fois encore, les deux assiettes n’allaient pas vraiment servir...

  Une journée décidément très mouvementée, au sens littéral du terme. Voilà ce que ça donnait de mélanger vie privée et vie professionnelle. On disait souvent que ce n’était jamais bon, mais pour le moment tout cela semblait plutôt agréable. S’il y avait un désaccord futur entre leurs deux ministères voire une incompatibilité entre leurs réformes, il était tout de même beaucoup plus efficace de régler cela de la sorte qu’avec un argumentaire de plusieurs heures.

  Mais bref. Après tout ça et après avoir acquiescé à sa remarque, Nyx se contenta de reprendre son apparence d’origine pendant que cette dame du Lys remettait sa chemise, ne laissant sur elle aucune trace de son méfait. Il fallait bien admettre que cet effet, même si ce n’était pas son intérêt principal, loin de là, était bien pratique pour ce genre de scène. Pour une noble, garder une apparence impeccable était souvent important. Elle mangea ensuite rapidement un morceau - au sens littéral cette fois - avec Haru avant de la suivre dans son bureau.

  "Je te suis, ne t’en fais pas, tout va bien se passer."

  Elle saisit alors sa main chaleureusement tendue, se laissant traîner à travers cette demeure. Nyx n’avait jamais songé avoir aussi grand, bien qu’elle en aurait théoriquement les moyens. Vivre seule dans un espace aussi vaste lui semblerait passablement triste. Au moins Haru avait sa pupille, et dans une moindre mesure des domestiques. Après ça avait justement cet intérêt de donner du travail à des citoyens, ce qui avait son importance aussi. Les pensées de la ministre furent interrompues lorsqu’elles pénétrèrent toutes deux dans ce grand bureau remplis de livres. Elle ne volait pas son titre de ministre de la culture après tout. Elle se demandait si elle pourrait trouver l’un de ses ouvrages sur l’une de ces bibliothèques, mais les plus "importants" ne devaient pas être à la vue de tous comme cela, quoique tout dépendait de l’intimité qu’Haru donnait à cette pièce. Nyx continuait d’observer sagement la pièce après s’être assise sur le divan comme elle venait d’être invitée à le faire, attendant le retour de sa dulcinée partie se changer. Cette dernière ne se fit d’ailleurs pas trop prier et revint assez rapidement vêtue d’une robe de chambre d’une qualité certaine.

  "Belle et désirable jusqu’au bout hein ? Mais on sait bien toutes les deux que les apparences ne survivent pas au sommeil."

  Aucune allusion salace ici, il était juste réaliste et amusant de noter qu’au réveil aucune d’entre elles ne serait bien coiffée et pomponnée, et son sourire taquin ne faisait aucun doute sur ses intentions. Elle se leva prit alors la seconde tenue qu’Haru avait ramené pour elle, se changeant sur place, ne prenant que la peine de se retourner. Après cette journée, un excès de pudeur ne serait pas très utile, et puis autant se débarrasser rapidement de cette discussion à propos de l’affaire.

  "Le plus important c’est que ta pupille aille se plaindre et témoigner elle même. Donc ton rôle à toi c’est de réussir à la convaincre de le faire et servir de soutien moral pour la petite. Ca peut être difficile de parler de son agresseur, donc il ne faut surtout pas la brusquer. Après, puisqu’elle est au courant que je sais, ça pourra peut-être être plus facile pour elle de venir m’en parler en personne. Ensuite de mon côté je pourrais accélérer les choses en faisant passer l’affaire en priorité sur d’autres. L’exil sera sûrement accepté par le couple royal si les faits sont avérés, ce qui sera facilement vérifié au sérum de vérité."

  Après avoir fini d’enfiler sa robe de chambre et vérifié que la taille n’était pas dérangeante, elle revint s’asseoir, ayant soigneusement plié ses vêtements sur le coin de celui-ci. Les jambes pliées, les deux mains posées sur l’assise, l’une posée sur l’autre, et tournée vers la brune, elle adressa à cette dernière un petit sourire rassurant.

  "Si tu as d’autres inquiétudes n’hésites pas à me demander, mais tu ne devrais pas trop t’inquiéter pour ça. Au contraire, tu devrais être le plus apaisé possible pour aider la petite à se sentir mieux"

  Oh, il semblerait qu’Haru était bien plus affectée par tout ça que Nyx ne l’aurait pensé. Était-elle trop sensible ? Ou était-ce la grande ministre de la justice qui ne l’était plus assez ? La vérité était sûrement au milieu et cela la poussait un peu à se remettre en question, mais pour le moment son amante était la priorité.

  "Eh bien déjà il y a l’habitude. Une mauvaise habitude sûrement, mais ça aide à tenir. Sinon, il y a aussi la nécessité de devoir garder la tête haute car ce travail doit être fait. Et puis il y a aussi le petit secret, la touche finale. Se dire que certaines personnes n’attendent qu’une lieu et un horaire qui pourrait les mener à un abuseur d’enfant impuni pour pouvoir faire "connaissance". Mais ce n’est que le fruit du hasard, ce n’est pas comme s’il y avait des moyens de forcer ce genre de destin."

  Ses allusions étaient on ne peut plus clair. Quand le système juridique ne parvenait pas à rendre justice pour une raison ou une autre, il y a toujours une autre entité désireuse de le faire à la place. Bien sûr, ça n’empêchait pas de faire un maximum pour appliquer les règles correctement, mais il fallait toujours une petite porte de sortie.

  L’ambiance commençait à devenir un petit peu morose, mais heureusement Haru trouva le rebond nécessaire pour relancer la conversation sur une note plus légère, arrachant à son auditrice un rictus et un soufflement de nez qu’elle peina à retenir. Avant de répondre, elle prit le temps de se mettre à l’aise, s’allongeant sur le divan sur le dos, la tête délicatement posée sur ses cuisses. D’ici, elle avait une belle vue, et pas seulement sur son minois.

  "Non non il n’y en a pas tant que ça, tu dois être la 134ème de mémoire, j’ai perdu le compte à partir de 50... Non plus sérieusement, il y a beaucoup de travail de recherche, de la lecture, de l’expérience et un brin d’imagination. Après tout, je n’ai eu besoin de tuer personne pour écrire mes romans d’enquête. J’aurais pu tuer mes nombreuses amantes pour faire d’une pierre deux coups, mais ça me semblait moralement limite au vu du poste que j’exerce. Mais tu veux un nombre précis ? Il faudra le mériter, c’est moi d’habitude qui fait passer les interrogatoire."

  Le ton était clairement au second degré et elle ne se faisait pas de soucis pour qu’Haru démêle le vrai du faux là dedans. Et puis avec un peu de chance elle aurait aussi un petit mot sur sa personne, elle qui semblait déterminée à reproduire chaque acte de ses écrits ne faisant pas intervenir un homme. Le faisait-elle à toutes ses conquêtes ? Ou était-ce une sorte de syndrome d’admiratrice ? Elle espérait qu’Haru ne voyait pas ça comme une espèce de relation maîtresse-élève, ce serait horriblement gênant.

  Partie comme elle était, elle ne put vraiment redevenir totalement sérieuse quand son repose tête aborda le sujet de la première ministre. Il était vrai qu’il était de plus en plus difficile d’obtenir une entrevue avec cette dernière, mais Nyx ne s’était jamais réellement posée la question d’une succession. Elle était bien à son poste il fallait dire, il lui correspondait.

  "Sûrement un ministre déjà en place, ce serait le plus légitime. Moi je ne compte pas bouger. Peut-être une personne cultivée, habituée à l’aspect social, avec un certain charisme… Il faudrait trouver une personne de ce genre..."

  Elle attendit quelques secondes après avoir clairement et expressément évoqué les compétences de sa collègue avant de lever une main et tenter de lui mettre une très légère pichenette, visant grossièrement et sans grande conviction.

  "En réalité je ne sais pas vraiment. Si l’occasion se présente, tentes ta chance, la motivation est importante dans ce genre de cas. Je suppose que si tu n’étais pas intéressée tu n’aurais pas posée ce genre de question avant même que le roi et la reine ne se la pose."

  Nyx essayait d’avoir un coup d’avance sur Haru. Visait-elle juste ? Elle allait le voir bien assez vite à sa réaction.