Du coin de l'oeil, Rebecca vu Calixte sortir un fusain et marquer ce qu'elle était entrain de dire. Elle trouvait se geste très touchant. Cela lui faisait plaisir que quelqu'un s'intéresse assez à l'herboristerie pour prendre des notes.
- Quand on entretient bien la fleur et qu'on lui donne tout ce qu'elle demande, il est assez simple d'avoir des bourgeons, oui. Nous les utilisons principalement pour nous mêmes, soit dans la nourriture soit dans notre thé.
Sur ces paroles, Rebecca leva sa tasse, indiquant que c'était des fleurs de son inventaire qui ont été utilisées pour le faire.
- Je peux vous donner quelques spécimens de ma collection, si vous le voulez. Bien sûr, seulement ceux qui arrivent à vivre sans trop d'interventions humaines, cela va sans dire.
La conseillère trouvait alors fort déplaisant que son invité ne soit pas assis à côté d'elle, ou du moins, pas sur le canapé. D'un geste, elle l'invita à la rejoindre. L'obscurité environnante se faisait de plus en plus marquer, de telle sorte qu'elle dû allumer quelques bougies pour ne pas s'abîmer les yeux. Quelle heure était-il, en faite ? Depuis combien de temps Calixte était ici ?
Elle l'écoutait parler de ces passions. Elle résuma que le jeune homme s'intéressait à tout. Il ne fallait pas se fermer des portes. La culture était ce qu'il y avait de plus important dans la vie. Personne ne pouvait prétendre tout savoir. Le savoir, c'est le pouvoir après tout.
Rebecca nota mentalement que Calixte avait plusieurs soeurs, à moins qu'il ne coiffait ses frères également. Ne voyez là aucun acte de jugement, la conseillère se voulant neutre dans ce genre de débat, préférant laisser les gens choisirent de mener leur vie comme ils le veulent. Elle remercia le jeune homme d'un hochement de tête pour le compliment qu'il venait de lui faire, à son mari et à elle.
- C'est également un de nos sujets de discussion, voyez vous. J'ai toujours dit à Arthorias qu'il ferait mieux de se couper les cheveux, surtout avec le genre de métier qu'il fait. Mais vous connaissez les gardes et leur entêtement, je ne vous apprend rien.
Elle en avait fait, Rebecca, des monologues sur la chevelure de son mari. "Tu vas te faire mal", "et si on te les attraper lors d'une fuite ?", "s'ils se coincer dans ton armure ?". Mais son doux mari avait fait la sourde oreille à chacune de ses affirmations, au point qu'elle a finalement laisser tomber. S'il se fait mal à cause d'eux, croyez-moi, je rigolerai de son malheur.
- Mais si vous aimez tant la coiffure que ça, pourquoi ne pas être devenu coiffeur ? Je suis sûr que vous seriez beaucoup plus épanoui et libre qu'en étant coursier, non ?
Rebecca commençait à se laisser aller. La curiosité n'était pas une de ses compétences favorites. Elle savait qu'être curieuse pousserait l'interlocuteur à retourner ses questions contre elle. Mais elle voulait bien savoir le parcours de Calixte qui l'a amené à devenir coursier pour la garde.
- Oh, heu, je serai très honoré, répondit-il après un instant à se demander s’il avait bien entendu. Et très intéressé. Ça me permettrait d’en découvrir davantage sur le sujet et de me verdir un peu la main. Ainsi que la morosité des dortoirs. C’est généreux de votre part.
Suivant l’invitation gestuelle de Rebecca – qui plus les minutes passaient plus Calixte pensait à elle sous le nom de « Rebecca » et moins sous celui de « dame Hekmatyar la dulcinée du Capitaine Arthorias » – il trotta jusqu’à elle et s’assit sur le canapé. Au dehors, la pluie semblait avoir enfin réduit sa cadence, mais l’obscurité commençait à s’installer. Regardant son hôte allumer quelques bougies, l’espion se dit qu’il allait peut-être falloir qu’il mette un jour les voiles, même s’il se sentait de plus en plus confortable dans la demeure fleurie. Il préférait affronter quelques gouttes plutôt que le regard de son supérieur indirect s’il devait rentrer et trouver que le coursier avait traîné toute la fin de matinée et l’après-midi avec son épouse. Et encore une rumeur, une !
Rigolant légèrement au commentaire de Rebecca concernant la chevelure de son mari, Calixte se revit en compagnie de son frère aîné, qui tenait mordicus à leurs parents que les exigences de la Garde portaient sur bien d’autres points que sa tendance capillaire. C’était du temps où ils se parlaient encore, même juste brièvement lorsque l’espion coiffait avec tendresse les cheveux de son frère et que celui-ci lui narrait ses derniers exploits. Si sa famille ne s’était pas acharnée à faire de lui le vilain petit canard, et qu’elle avait été moins encline à mettre ses enfants en compétition méritocratique, Calixte était quasi certain que les relations dans la fratrie auraient été meilleures. Mais bon.
- Oui les gardes peuvent être très têtus. Et coquets. Et bavards. Nous sommes pleins de qualités, déclara-t-il avec un sourire.
La question suivante de la jeune femme le surpris. Et son regard se perdit sur l’étendue vaste de livres qui ornaient la bibliothèque, se demandant pourquoi, effectivement, il n’était pas devenu coiffeur. Excellente question, merci de l’avoir posée ; qu’en pensait le Maître-Espion comme plan de fin de carrière ?
- Je suis rentré à l’Académie Militaire par devoir familial, répondit-il finalement. Ma famille est pleine de préceptes et principes à la noix, commenta-t-il en haussant les épaules. Je suis devenu coursier parce que, honnêtement, je n’excelle en pas grand-chose, pour ne pas dire rien. Porter une lettre ou un coli est à la portée du premier venu.
Et Calixte ne s’apitoyait pas sur son sort, il était simplement très réaliste. Et habitué à sa médiocrité.
- Mais comme vous l’avez bien remarqué, et un peu à vos dépends, je suis curieux. Très curieux. Et il n’y a rien de plus satisfaisant pour quelqu’un comme moi de pouvoir voyager de par le Royaume juste pour porter une missive. De pouvoir toquer à une nouvelle porte tous les jours pour déposer un coli. De pouvoir rencontrer de nouvelles personnes et de nouveaux intérêts à chaque étape de ce travail. La coiffure est ce fil d’eau tranquille qui me permet de me ressourcer et me reposer lorsque j’en ai besoin, mais c’est l’univers énivrant de possibilités que m’offre le statut de coursier qui maintien la flamme de mon âme.
Il se tût, puis rit.
- Je m’emballe peut-être un peu quand même. Vous avez le droit de me dire que je dis des bêtises. Cela dit, peut-être que lorsque mes jambes ne seront plus aussi agiles, je me lancerai dans la coiffure pour mes vieux jours. Si mes doigts ankylosés me le permettent. Et vous Rebec… pardon, dame Hekmatyar, comment vous imaginez-vous dans vingt-trente ans ? Toujours au service de Keith Veriano ou dans une immense serre botanique ?
Rappelé à cette notion du temps qui passait inexorablement, Calixte finit par accepter le fait que cette rencontre – finalement plus chaleureuse qu’il ne l’aurait pensé – aurait une fin :
- Merci pour le thé, et ce moment partagé. Mais je ne me suis que déjà trop imposé chez vous. Si votre proposition concernant l’un de vos spécimens tient toujours, je serai enchanté de repartir avec votre sélection. Et peut-être, par la suite, pourrai-je vous en donner des nouvelles… et requérir vos conseils autour d’une nouvelle tasse de thé ? Je crois qu’il y a de très bons salons de thé en ville.
Après une hésitation, se demandant s’il empiétait à nouveau sur la zone de confort de la jeune femme, il nuança :
- Ou je peux aussi juste récupérer le récépissé et partir, ne vous laissant que le souvenir pantois de ma curiosité dérangeante. C’est un scénario tout à fait possible, selon ce que vous préférez.
Rebecca fut étonnée de la question de ce jeune coursier. Non, pas forcément étonné, plus déroutée. Elle n'avait pas forcément pensé à ce qu'elle allait faire plus tard, dans de nombreuses années. Elle était encore qu'au début de sa vie, et penser déjà à la fin de celle-ci pouvait être déroutant. Elle savait avec qui elle allait passer ces 20-30 prochaines années, c'est sûr. Mais où ? Sur quel travaille ? Aura-t-elle des enfants ? Sera-t-elle déjà grand-mère ? Tant de question qu'une jeune femme d'une vingtaine d'années ne doit pas se poser.
- Keith a tant fait pour moi qu'il m'es difficile d'imaginer ne plus être avec lui plus tard.
Rebecca admirait le plan de futur de Calixte. Elle aimait son sang froid et sa façon de voir l'avenir. Et elle fut presque triste que l'homme se lève pour partir.
- Oui, bien sûr ! Laissez moi le temps d'aller bouturer quelques plants
La conseillère s'éclipsa quelques instants pour aller chercher une paire de ciseaux dans la cuisine. Elle coupait plusieurs branches de plantes et fleurs différentes, d'une hauteur de 10 à 15 cm. Elle enlevait les feuilles en trop, pour n'en laisser que trois sur la branche. Coupé en biseau, chacun des extrait est mis dans un sac.
- Il faut ouvrir les sac tous les deux jours pour éviter le pourrissement. Une fois arriver chez vous, mettez les dans des godets remplis de terre et de sable, puis arrosez régulièrement.
Rebecca lui donnait tous les conseils qu'il fallait pour ne pas que ces bébés meurent tout de suite. En tendant les boutures à Calixte, elle avait l'impression de se séparer d'une part de son âme. Elle avait tellement pris de temps pour les faire fleurir...combien de fois Arthorias lui avait dit de tout jeter ?
- Bien sûr, vous pouvez revenir quand vous voulez pour des conseils ou pour de nouvelles plantes. Cela me ferez plaisir de vous revoir.
Il est vrai que Rebecca avait beaucoup aimé le moment passé avec lui. Bon, c'est également vrai que leur conversation avait assez mal commencé, mais la fin à bien tout remonter.
- Je garde à l'esprit que votre famille a une société de Prévoyance. J'irai en parler à Keith. Il se peut qu'on revienne vers vous pour plus de renseignement.
Le raccompagnant à la porte de sa demeure, elle le salua, non sans lui rappeler qu'il était le bienvenue dans la maison des Hekmatyar. Une fois parti, Rebecca se concentra sur le colis, la vraie raison primaire du coursier. Méticuleusement, elle l'ouvrit. En son centre, trônée une magnifique cravache en cuir rouge. Elle sourit, contente que son mari connaissent aussi bien ses goûts.
- De quelles plantes s’agit-il ? demanda-t-il intrigué à son hôte lorsqu’elle lui tendit le sac.
Il était agréablement étonné qu’elle aille vraiment au bout de sa démarche, et qu’elle acceptait même de le revoir pour parler botanique. A ce train là, les rumeurs concernant Rebecca Hekmatyar allaient rapidement changer. Pas par Calixte directement, mais parce que ses camarades dormant à la Caserne étaient vraiment de vraies pipelettes. Et l’apparition de plantes vertes dans cet univers d’austérité spartiate ne passerait pas inaperçue.
- Cela me ferait également plaisir de vous revoir, sourit l’espion.
Avant de se demander, un peu tard, si sa tournure sonnait comme un flirt. Pour le coup, ce serait une rumeur dont il se passerait bien. Il ne tenait pas particulièrement à devoir affronter Arthorias Hekmatyar. Sauf pour lui tresser les cheveux.
- Oui, n’hésitez pas concernant la Prévoyance.
Il n’était pas prévu qu’il retourne au Grand Port dans les semaines à venir, mais il ferait parvenir une lettre à sa famille s’il s’avérait vraiment que la société Veriano ne possédait pas déjà la Prévoyance et s’y intéressait. Ou alors, il braverait ses cousins de la Capitale. Mais il ne s’était jamais entendu avec eux – et très clairement il ne faisait pas partie de leur vie – et n’avait pas très envie de les voir. D’ailleurs, ils ne tenaient visiblement pas très bien la vitrine des Alkhaia de Eliëir si la compagnie Veriano n’avait pas adhéré au système de Prévoyance. Enfin… pour Rebecca, il ferait peut-être un effort de diplomatie.
Quittant la florale demeure, un peu déçu de ne pas avoir entrevu le contenu du coli ainsi que de devoir retourner sous la pluie et se priver d’une compagnie agréable, Calixte reprit le chemin de la Caserne. Le devoir l’attendait. Son lit aussi. Mais il s’assurerait d’abord de bien mettre en pratique les consignes de Rebecca et de noter ses conseils dans un calepin.
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