Quelques jours plus tôt, la jeune femme s'était rendue à la guilde pour récupérer une quête. A vrai dire, elle se moquait souvent du contenu de la quête en question et se contentait de prendre la première quête solo sur laquelle elle tombait. Seulement voilà, ce jour là, toutes demandaient au moins d'être en binôme. Non pas que la jeune femme n'appréciait pas -elle s'en moquait tout bonnement- mais elle n'avait personne avec qui la réaliser. Travaillant toujours seule, elle n'avait pas de groupe et ne s'était pas liée d'amitié avec d'autres aventuriers...
Finalement, elle se mit en binôme avec un certain Vrenn Indrani. Elle ne le connaissait pas et elle ne comptait pas faire sa connaissance, mais l'hôtesse lui avait assurée que c'était un aventurier expérimenté et qu'il ne serait pas un boulet. Cela suffit à Ain pour accepter de travailler avec lui sur cette quête.
La quête en question consistait à se rendre sur une île à l'est du royaume, Labyrinthia, et y secourir un groupe d'explorateur dont on aurait plus de nouvelles depuis quelques jours. Ain avait déjà entendu parlé de cette île ayant un climat tropical où beaucoup d'aventuriers se perdent dans la jungle. Elle même n'y était encore jamais allée et elle ne savait donc pas exactement ce qui l'attendait. Cependant elle était prête.
Elle avait son épée courte attachée à la ceinture. Un pantalon gris avec un haut ample et noir, cachant ses formes. Les cheveux attachés en queue de cheval sur la nuque, avec sa grande taille elle pouvait aisément passer pour un homme. Dans son sac se trouvait quelques vivres, des affaires de camping et une trousse de premier soin. La base pour partir en quête. Le tout dans un grand sac qui commençait à peser son poids, elle s'était mise en tête d'acheter un sac sans fond mais elle n'avait pas encore eu l'occasion d'en faire l'acquisition.
Vrenn et elle s'étaient donnés rendez vous directement sur la côté est du royaume. Un bateau les attendait pour les mener jusqu'à l'île. Ayant le mal de mer, Ain redoutait cette traversée et avait cherché pendant les quelques jours de voyages de la capitale au point de rendez vous, une solution pour pallier ce mal... En vain.
Elle allait devoir prendre sur elle pendant la journée de traversée.
Actuellement, elle attendait sur le quai que son compagnon du jour arrive. Même si les marins l'avaient invité à monter pour s'installer, elle comptait passer le moins de temps possible sur ce bout de bois flottant...
J’crois que j’ai l’air un peu soucieux quand j’regarde la mer, parce que le vieux loup de mer à côté de moi crache un long jet de chique entre les planches du ponton branlant avant de se tourner vers moi, la peau comme du cuir tannée par le soleil et les éléments. En tout cas, il se donne vachement bien le genre. J’me retiens de lui faire remarquer à voix haute, parce que les marins, en général, c’est teigneux, et que j’ai besoin de prendre le bateau, donc c’est pas le moment de s’embrouiller avec ceux qui vont servir à quelque chose.
J’me suis tapé un voyage de dix mille ans au moins jusqu’à la côte est pour faire plaisir aux pontes de la Guilde. Ma théorie actuelle, c’est que quand y’a une mission un peu pourrave qui traîne, ils prennent tous les dossiers des examinateurs, les épinglent à un mur, et après avoir descendu une bouteille de whisky hors de prix, ils jouent aux fléchettes. Celui qui prend le plus de tirs gagne le droit d’aller se peler le cul au bout du monde, et eux se réveillent le lendemain en s’en rappelant à peine. Sans s’en rappeler, dans mon cas.
Bref, l’hôtesse m’a dit que j’bosserai avec Ain Lucy Sunrick. Connais pas, et pas eu le temps de ramasser son profil dans les archives, mais on m’a assuré que ce serait top. J’espère bien, parce que la mission est pas trop dans mon rayon de spécialité. On doit se retrouver ici, et prendre le navire qui nous amène à Labyrinthia avec la marée descendante, et les marées n’attendent personne et…
« Tu vois, p’tit gars, m’aborde le vieux marin, ça, c’est un temps magnifique pour la côte est. »
Pourquoi il me cause, ce con ? Il se sent seul, c’est ça ? J’regarde à nouveau les vagues qui s’agite, le vent qui manque de m’arracher mon manteau, et le ciel d’un gris à faire pleurer.
« Il fait beau, là ? Que j’peux pas m’empêcher de demander.
- Ah ça, si tu voyais quand c’est la tempête, j’t’assure que… »
Super. J’le laisse débiter son laïus, distrait par l’arrivée de mon compagnon d’aventure. J’vois pas qui ça pourrait être d’autre, le village est assez miséreux, après tout. Grand, genre ma taille ou davantage, bien taillé, armé, le style mercenaire un peu classe, j’dirais. Parfait, il pourra s’occuper des saloperies de la jungle qui nous attend.
« Salut, Ain. J’suis Vrenn. Pile à l’heure ?
- La marée n’attend personne, abonde le vioque.
- Bon, allez, plus qu’à trouver notre passeur et le navire mis à disposition.
- C’est le mien, intervient papy. Le navire est juste là. »
Il pointe pas un navire, plutôt un genre de frêle esquif qu’a dû connaître des jours meilleurs, probablement au siècle précédent. La voile est rapiécée de pleins de couleurs différentes, et y’a un genre de petite cabine aux planches mal assujetties. Grosso merdo, il doit faire quinze mètre de long à tout casser, et il remue sur les vagues comme un bouchon dans une carafe de pinard bon marché.
« Ca prend la mer, ça ?
- C’est pas le navire qui prend la mer, c’est la mer qui prend le… »
Pute.
La jeune femme leva les yeux vers la personne qui l’avait interpelé. Un homme, plus agé qu’elle et certainement plus expérimenté si on se fiait à la première apparence. Ain n’irait pas jusqu’à lui confier ses arrières mais elle fut soulager de voir qu’elle n’allait pas faire équipe avec un gamin de seize ans qui venait pour sa première mission. Bien que cela faisait que quatre ans qu’elle était inscrite à la guilde, en quatre ans elle avait déjà beaucoup apprit aux côtés de Shnor.
Elle mit ses pensées de côtés et salua l’homme d’un hochement de tête.
Pas très bavarde la jeune femme. Mais elle n’avait rien d’autre à dire.
Maintenant que les présentations, si on peut appeler cela comme ça, étaient faîtes, ils allaient pouvoir se prendre la mer. Ain eu un haut le coeur à l’idée de monter sur la bateau mais son visage resta inexpressif… Quoi qu’il blanchit un peu lorsqu’elle mit son pied sur le pont.
Ignorant les marins et son compagnon d’aventure, elle alla s’adosser contre le bord du navire, assise à même les planches et posant sa tête dans ses genous. Si il y avait bien quelque chose qu’elle ne supportait pas, c’était la mer. Les vagues qui font bouger le bateau, inlassablement, cela lui retournait l’estomac. Elle n’avait pas peur de chavirer et même, une petite voix au fond d’elle l’espérer, ainsi elle aurait pu abréger ses souffrances, mais il était peu probable que cela arrive et il va falloir qu’elle endure ce calvaire pendant de longues heures…
Déjà qu’habituellement, elle n’était pas sociale. Actuellement elle pouvait encore moins parler. Un marin s’était approché d’elle pour essayer de lui faire la conversation mais elle avait manqué de lui vomir dessus et avait pu de justesse passer la tête par dessus bord pour rendre son déjeuner à la mer.
Quelle première impression devait-elle donner... Non pas qu’elle se souciait des apparences mais elle ne voulait pas que son compagnon de quête la croit incapable. Elle était capable. Mais sur la terre ferme… Elle n’avait qu’une hâte, que ce voyage prenne enfin fin et qu’ils puissent se mettre aux recherches… Puis elle pensa à la fin de la quête, au retour. Il faudrait qu’elle reprenne ce maudit navire. A cette idée, elle se demanda même si elle ne resterait pas sur l’île, tout compte fait…
Le trajet en mer est pas bien terrible. Faut dire que comme prévu, la coquille de noix arrête pas de bringuebaler du sommet au creux des vagues. J’suis pas forcément malade, mais j’ai pas la confiance, malgré la fine équipe qui nous a été fournie. Comme Ain est parti en position pour vomir ses tripes le long du bastingage, j’traîne avec le capitaine du fier esquif. Au moins, j’découvre des nouvelles nuances de vert sur le visage de mon coéquipier.
Important, ça, de trouver les petits plaisirs là où on peut.
« J’t’avais dit qu’on pouvait prend’ la mer, p’tit gars, qu’y f’sait beau ! »
J’acquiesce par réflexe pendant qu’il me raconte ses souvenirs de jeunesse, quand il était beau et fringuant. Marrant, comme les vieux se ressemblent tous. J’espère juste pas finir comme ça, seul, édenté, à bander pour mon bateau et l’eau salée sur laquelle il flotte bon an mal an. En tout cas, Ain aime pas trop discuter, un autre marin s’en est rendu compte, même si c’est davantage à mettre sur le compte des nausées pour le coup. M’enfin, j’suis pas là pour me faire des amis, cela dit, donc, finalement…
A un moment, on entend un choc sourd qui fait trembler le navire.
« Oups, lâche le capitaine. »
Deux autres marins se précipitent par un trou dans le pont, pour se rendre dans ce qui sert de cale où ils entreposent les marchandises et, plus probablement, le poisson qu’ils pêchent.
« S’est passé quoi ? Que j’demande.
- Y’a des bestioles dans l’eau, tantôt. ‘Sûr que c’est l’lévior.
- Le lélévior ?
- Lévior. Un immense serpent d’mer d’deux cent mèt’ de long. On s’connaît depuis qu’y’a cinquante ans, j’ai pêché sa m’man à l’aube d’une froide journée d’hiver. D’puis, il m’traque dès que la mer m’prend.
- Deux cent mètres de long ? »
C’est rien que des conneries. S’il faisait deux cent mètres de long, on flotterait à côté d’un tas d’allumettes. Il essaie d’impressionner les gars de la Capitale, ou quoi ?
« Au moins, assure-t-il.
- Et sinon, y’a un trou dans la coque ?
- Une ‘tite avarie, rien d’bien grave. »
J’jette un œil pour voir si mon binôme a entendu, mais difficile de distinguer la moindre expression à part une grimace nauséeuse. Bah, ça peut pas trop être pire, si ? Surtout qu’un des deux marins remonte.
« L’gars Loïc écope en bas, y’a bon.
- Harharhar ! »
Il faut encore quelques heures avant qu’on arrive à Labyrinthia.
Lévior ? Elle se moquait des serpents géants. D’une part parce qu’elle doutait sérieusement de son existance, le capitaine avait peut-être seulement pêché une anguille un beau matin et avait grandement emplifié l’histoire. Et d’autre part parce que rien n’importait d’autre que son mal à coeur. Elle se forçait à ne penser à rien, surtout pas au navire.
Elle avait tenté de s’endormir afin que le trajet passe plus vite mais en vain. Elle s’était réveillée brusquement en manquant se s’étouffer… Depuis, elle s’était assise en boule et de temps en temps elle se relever pour passer la tête par dessus bord.
Le trajet fut un véritable supplice pour elle. Mais il prit fin après de longues heures. Le teint d’Ain avait viré au vert pâle, une curieuse couleur sur un visage humain… Elle n’osait pas regarder par dessus bord de peur que l’horizon lui donne des hauts le coeurs, aussi ce fut un des marins qui vint lui tapoter l’épaule. Elle cru d’abord qu’il venait encore essayer de discuter et avait tenté de le chasser d’un coup de bras mais finalement il lui dit :
A ces paroles, Ain leva brusquement la tête et regarda autour d’elle. Devant elle, toujours cette saloperie d’océan et derrière elle, la terre ferme. Elle n’attendit pas qu’on abaisse la passerelle, elle grimpa sur le bord et elle s’accroupis et bondit en direction de l’île. Heureusement que le navire n’était pas grand, elle n’eu pas de mal à sauter jusqu’à la terre ferme…
Mais même sans les ondulations du sol, les mouvements de la jeune femme avait été trop brusques et un haut le coeur lui vint. Elle couru dans le premier buisson qu’elle trouva et cracha une dernière fois la bile qui lui était monté à la gorge.
Encore nauséeuse, elle s’approcha de son compagnon de route sans dire un mot. Elle allait rester dans cet état encore quelques temps, même si elle avait quitté le navire, le mal de mer ne s’en irait que lentement. Elle prit de grandes bouffées d’air, il avait un goût étrange, très humide et un peu salé mais ce n’était pas seulement la mer, devant eux une jungle imposante se dressait.
Ain aurait bien voulu d’une petite pause pour reprendre ses esprits, mais ils étaient là pour secourir des chercheurs, ils ne pouvaient pas se payer le luxe de retarder les recherches, ils avaient perdu assez de temps comme cela pour venir jusqu’ici.
J’dois dire que j’suis pas mécontent de retrouver la terre ferme, et j’suis pas le seul. J’me demande s’ils vont essayer de réparer leur coquille de noix, mais c’est finalement pas tant mon problème tant qu’ils arrivent à nous faire rentrer chez nous, ce qui est bien mon seul centre d’intérêt. J’me tourne vers le collègue, qu’a l’air soulagé et devrait pas tarder à aller mieux. Va falloir, parce que la jungle, j’m’en méfie salement.
« Ca va ? »
Voilà, j’ai fait du social, qu’on me reproche pas d’être méchant avec les p’tits jeunes de la Guildes. Puis j’me tourne vers la jungle luxuriante qui nous guette, avec tout le boucan qui va avec. Entre le vrombrissement des insectes, les chants des oiseaux et les cris des bêtes non-identifiées, j’sens qu’on va pas s’éclater des masses. Et Ain encore moins que moi, avec l’énorme sac qu’il trimballe sur le dos. J’me sens plutôt mieux, avec mes deux sacs sans fond.
J’sors quand même un long couteau, le genre à tout faire, quasiment une machette à ce stade. J’pourrais pas couper du bois mais écarter des lianes ou des bestioles, ça devrait le faire. Comme l’épée courte d’Ain, en gros. Puis j’me rappelle ce que racontait le résumé de la mission. Normalement, y’a des loustics du ministère de la magie qui viennent en vacances ici pour tripoter un sceau, qui empêche d’accéder à une partie de l’île qu’on suspecte receler de véritables trésors mystérieux. Comme on sait pas ce qu’il y a, on peut toujours fantasmer, comme quand on prend une fille qu’on connaît pas à la Fleur Parfumée.
Du coup, le chemin est censément en partie balisé. J’pointe effectivement du doigt un poteau en bois, manifestement fait par des hommes, sur lequel est accroché un foulard rouge. Il pointe aussi plus profondément dans l’île. J’suppose qu’on va devoir les suivre pour avancer jusqu’au campement avancé ?
« T’as vu, Ain ? Y’a qu’à suivre le petit fil rouge et cette mission devrait se dérouler comme sur des roulettes. »
J’me pose quelques secondes.
« Modulo les monstres terrifiants qu’on risque de croiser, ou la possibilité que les chercheurs soient tous clamsés, cela dit. »
Au pire, j’ai mon anneau d’invisibilité, les monstres commenceront à m’oublier à partir de ce moment-là. Ça sera bonne chance pour le p’tit gars, mais s’il est aussi balaise que j’ai entendu dire, ça devrait pas poser problème, pas vrai ?
« Mais les monstres, t’en feras ton affaire, hein, p’tit gars ? »
Ouais, faut poser les rôles clairement. Moi, les bestioles de plusieurs mètres de haut avec des dents partout, c’est clairement pas mon rayon. J’fais plutôt dans le sociétal, tout ça.
Suivant l’exemple de l’aventurier, Ain sortie son épée afin de se tailler un passage dans le feuillage. Ils n’étaient même pas encore allé profondément dans la forêt qu’elle était déjà très dense. Des lianes tombaient des arbres, des feuilles à tous les niveaux : au dessus de leur tête, dans leurs pieds, dans le visage. Et qui dit forêt humide ni insectes et petites bestioles. A chaque pas qu’elle faisait dans les herbes, elle pouvait voir de petites bêtes sauter, ramper ou courir pour s’éloigner d’elle. Mais tant que ce ne serait que des petites bêtes, ce n’était pas grand-chose. Ain redoutait le moment où ils rencontreraient les gros prédateurs. Ils seraient dans leurs milieu naturel tandit que les aventuriers seraient dans un espace exigues avec des obstacles partout. Ain n’aimait pas cela. Mais elle ferait avec.
Vrenn désigna un foulard rouge. Au moins ils avaient une direction à suivre et ne perdraient pas de temps à chercher sur toute île. Mais l’homme avait raison, s’ils étaient encore vivant lorsqu’ils les retrouveraient. La quête avait été émise des jours plus tôt, ils leurs avait fallu encore quelques jours pour arriver jusqu’ici et ce n’est pas dit qu’ils trouveront les chercheurs le jour même. En gros, depuis l’appel à l’aide, il s’était déroulé presque une semaine pendant laquelle tout a pu arriver…
Ain leva les yeux vers Vrenn et haussa les épaules. Sa migraine commençait à passer, elle ne voulait pas la relancer.
Si ils rencontraient des prétadeurs, ils n’auraient pas le choix de les affronter. Fuir dans un endroit pareil c’est synonyme de se perdre. Courir dans la précipitation sans savoir où aller, ce n’était pas une bonne idée. Elle espérait ne pas avoir à devoir battre en retraite. Elle avait déjà rencontré des cas où la fuite était l’unique possibilité, mais elle était en binôme avec Shnor dont le pouvoir était la téléportation. C’était bien plus simple que cela le serait aujourd’hui. D’ailleurs, quel genre de créatures peuvent-ils bien rencontrer sur cette île ? Elle savait qu’il y en avait puisque cette île était catégorisée comme dangereuse -et pas seulement à cause de la végétation qui semble se refermer sur eux- mais elle ne s’était pas renseigné sur le type de monstres qui habitaient là.
Entre deux coups d’épée pour se frayer un chemin, elle fini par demander :
En temps normal, Ain appréciait les marches silencieuses. Elle était habituée à entendre Shnor parler tout seul. Mais dans le cas présent, elle avait besoin d’informations pour savoir à quoi s’attendre.
Ça fait à peine quelques minutes qu’on marche sous la canopée que ma chemise me colle à la peau, tellement l’humidité est forte. Les insectes grouillent tout autour, et je les écrase par réflexe quand ils viennent se foutre sur moi. Ma concentration est de toute façon davantage sur les foulards rouges qui nous guident de loin en loin, et sur le vacarme étranger qui nous encercle de toute part.
Ain est un peu moins verdâtre, et commence à causer. Ahah, j’savais bien que c’était juste la timidité et les nausées qui faisaient qu’il mouftait pas. Puis j’suis intimidant, il paraît, hé ? Ca doit être pour ça. Par contre, s’il me prend pour un aventurier expérimenté, va y avoir comme qui dirait un genre de souci. Vaut mieux clarifier ça tout de suite avant qu’il compte sur moi pour dégommer des bestioles, pister des bidules ou trouver de l’eau.
Encore que l’eau, elle coule des feuilles droit dans ma nuque, alors j’crois bien l’avoir trouvée.
« Ouais, j’pense qu’on peut dire que j’suis un aventurier expérimenté. J’dois pas être loin d’avoir l’âge d’être ton père, après tout. »
Ça, c’est pour le mettre en confiance, le côté un peu paternaliste, ça sera plus simple de lui filer des ordres ensuite. Un grand classique.
« Bon, par contre, j’sais pas ce qu’ils t’ont raconté à la Guilde, mais j’suis Examinateur, en fait. Donc j’fais davantage dans la relation sociale, et l’enquête. Ça doit être pour ça qu’on m’a envoyé avec toi. Alors la nature, c’est pas trop mon truc, mais généralement, j’arrive bien à savoir si c’est vraiment la merde ou si on bidonnerait pas un peu la Guilde des Aventuriers. »
J’écarte une branche et j’la tiens le temps qu’Ain passe.
« Ca arrive plus souvent qu’on croirait, les gens qui mentent pour se faire un alibi, une excuse vis-à-vis d’un proche, une arnaque à l’assurance. Puis j’fais des rapports, j’traite ceux des collègues, et surtout, surtout… j’vérifie que les clients sont bien solvables. »
Ouais, bon, ça fait un peu huissier dit comme ça.
« C’est assez important si tu veux continuer à être payé. »
J’ai un sourire rigolard en disant ça.
« Et j’ai jamais, au grand jamais, foutu les pieds ici. Sinon, tu t’doutes bien que j’aurais tout fait pour pas revenir. »
Ça, c’est le moment où il a vachement moins la confiance, normalement, il se dit qu’il traîne un poids mort de gratte-papier, et tout.
« J’suis pas vraiment un combattant pur, mais j’ai mes talents dans les rapports humains, on va dire. »
Est-ce qu’un coup de poignard dans un coin sombre, ça compte ?
Ouais.
Elle secoua la tête pour sortir cette idée. Ce n’était pas le moment de ressasser de vieilles histoires, elle avait une mission à mener à bien. Après avoir posé sa question, elle s’était tût et n’avait pas répondu à l’examinateur. Elle avait continué à marcher en silence en s’aidant de son épée pour couper les maudites herbes, feuilles et branches qui lui barraient la route. Fermant la marche, elle faisait confiance à Vrenn pour les diriger. Avec l’aide des foulards rouges ce n’était pas bien compliqué mais il fallait veiller à ne pas les perdre de vue, en avançant comme pour le retour. Ain ne comptait pas rester bloquer sur cette maudite île.
Plusieurs heures s’écoulèrent. La marche n’était pas trop fatiguante. La végétation envahissante était assez agaçante mais en dehors de cela, ils n’avaient pas rencontré beaucoup de difficultés. Mais jusqu’où ils allaient devoir avancer dans cette île ? Ain avait prévu de quoi camper au cas où, comme toujours, mais elle ne se sentirait pas en sureté de dormir au milieu de cette jungle. Elle espérait pouvoir terminer cette expédition en une journée mais elle n’en était pas sûre. Le paysage autour d’eux n’avait pas changé, toujours vert et grouillant d’insectes.
Finalement, Vrenn s’arrêta et Ain leva les yeux. Pourquoi s’arrêter ? Etait-il déjà fatigué ? Cela ne faisait que deux trois heures qu’ils avaient quitté la plage, la jeune femme avait encore de la ressource. Mais elle jeta un coup d’oeil par dessus son épaule et trouva la raison de cette pause.
Un grand ravin, large d’une dizaine de mètre, les empêchait d’aller plus loin. Ain tourna la tête à droite et à gauche afin de trouver un potentiel ponds mais il n’y avait rien à l’horizon.
La jeune femme chercha un indice sur l’autre rive et effectivement, un foulard rouge était accroché à une branche de l’autre côté du ravin. Prudente, Ain se pencha par dessus pour aperçevoir le fond, une cinquantaine de mètre plus bas un violent torrent s’écoulait, certainement jusqu’à la mer. Hors de question de tomber la dedans.
Le pont de corde a dû se casser la gueule pendant une tempête, ou un genre de rat a rongé la corde, ou la foudre est tombée dessus…
« On devrait p’tet regarder, nan ? »
Ben ouais. J’suis pas pisteur ou quoi, mais j’devrais être capable d’avoir une vague idée quand même de ce qui s’est passé. Le souci, c’est qu’il reste pas un morceau de corde, juste les espèces de gros clous qui servaient à l’arrimer. P’tet que quelqu’un est déjà venu faire le ménage en prévision de ? Ou que le rat aurait tout mangé ? T’façon, j’sais pas pourquoi je cherche, j’y connais rien à ces écosystèmes, et j’ai aucune idée de comment ils bossent, les guignols du ministère.
« Bon, faut repartir… Amont ou aval ? Parce que moi j’saute pas dix mètres, même avec de l’élan. »
C’est pile ou face, ça se trouve on va marcher des plombes en plein cagnard pour rien alors que y’avait un passage à gué à cent mètres dans l’autre direction, mais j’le sens plutôt bien. Pour la forme, j’tire une pièce de jeu de mon sac sans fond.
« Pile, amont, face, aval, okay ? »
Et elle tourne en l’air, puis j’manque de pas réussir à la rattraper, quand l’éclat du soleil se reflète dessus et m’arrive en plein dans les mirettes. Mais heureusement, l’entraînement fait ses preuves, et d’un geste précipité, j’la plaque sur le dos de mon autre main, et j’adresse un clin d’œil à Ain. Faut qu’il se détende, parce qu’à ce compte-là j’préfère partir avec une porte de prison.
Encore que les portes de prison ont pas d’épées pour tataner les monstres à ma place, il est vrai.
« Pile ! C’est la direction que j’voulais prendre de toute façon. »
Surtout depuis que la pièce a fait pile, ouais.
« Le gouffre se rétrécira probablement suffisamment pour nous permettre de passer, puis suffira de suivre la rive dans l’autre direction pour revenir ici. »
Comme le plan est décidé, il semble bon de le suivre, mais mon ventre choisit ce moment pour gargouiller traitreusement.
« Cela dit, vu qu’on doit approcher de la mi-journée… Un p’tit casse-dalle ? »
Ain hocha la tête et commença à se mettre en marche quand elle entendit un bruit du grognement. Elle cru d'abord à une bête qui les épiait en bavant puis elle entendit Vrenn qui semblait avoir faim. Ce n'était pas encore le cas de Ain. Alors elle haussa les épaules et lui répondit.
Et elle ne ralentis pas la marche, gardant le rythme établi jusqu'ici. S'arrêter pour manger était une perte de temps en mission quand on pouvait avancer en même temps. Et surtout que s'arrêter dans un endroit aussi paumé que celui ci était le meilleur moyen de se faire repérer par des prédateurs. Rester toujours en mouvement, c'était une des premières choses que Shnor lui avait apprit. Elle ne se retourna même pas pour voir si l'aventurier la suivait mais au bout d'une petite demi-heure, elle fini également par sortir un morceau de viande séchée de son sac pour le machouiller en avançant.
En jetant des petits coups d'oeil vers le fond du ravin, elle remarqua que celui ci était de moins en moins profond. Signe qu'ils s'approchaient de la source. C'était un bon signe mais elle espérer qu'ils puissent trouver un moyen de le traverser. Sur une île inoccupée comme celle-ci, Ain n'était pas sur de pouvoir trouver un autre pond et même si le cours d'eau n'était pas profond, d'après la violence des remoues sur les rochers elle ne voulait pas tenter de le traverser à la nage non plus.
Finalement, ils commençèrent après une petite heure de marche à entendre le bruit d'une cascade. En effet, devant eux une chute d'eau transformait ce qui était une simple rivière en un torrent au fond du gouffre. C'était déjà un progrès encourageant.
On peut pas faire une pause bouffe, mais au bout de vingt minutes, ça arrête d’ergoter pour casser la dalle comme les autres. Faut dire, c’est pas fameux, ce qu’on graille, juste des lanières de bœuf séché. Et après, on s’étonne que j’essaie d’éviter les missions à Perpette-Les-Oies alors que j’pourrais me contenter de déjeuner à la cantoche. Mais bon, après dix minutes à saliver dessus et à mâchouiller, ça devient possible d’arracher un petit morceau, alors c’est bon, on est nourri, y’a pas de quoi se plaindre.
Le long du gouffre, en tout cas, ça se creuse de moins en moins, et l’écart semble se resserrer. Pas de quoi sauter de l’autre côté ou pouvoir utiliser les arbres pour passer de l’autre côté, mais ça m’fait dire que j’ai choisi d’aller dans la bonne direction. C’est grâce à ma pièce porte-bonheur, ça. Jusqu’au moment où on arrive à une cascade, et ça, ça veut dire que devrait y avoir moyen de passer.
Au pied de la cascade, c’est pas ça. Elle est pas si haute, p’tet six ou sept mètres ? Mais elle s’effondre avec un fracas caractéristique, et y’a pas une suite de rocher placés convenablement pour permettre un passage qui serait pas du suicide. Puis les climats tropicaux, j’ai aucune envie de savoir si y’a des piranhas ou des sangsues dans la flotte. Donc c’est exclu d’office.
Sur le côté, par contre, y’a un genre de sente qui remonte le long de l’escarpement, façon voie de chèvre ou de cabri. Ain l’a vu aussi, et s’met en route par là sans discuter. Pas bavard, le bonhomme, mais c’est p’tet que la lanière de bœuf séché qu’il a en bouche absorbe toute sa salive, et que du coup il arrive plus à parler. M’a donné soif, en tout cas, donc j’prends deux gorgées à ma gourde, avant d’entamer la montée.
Le tracé est assez clair, pas forcément pratique pour qui n’a pas de sabots, mais y’a suffisamment de racines et de branchages pour parvenir à se hisser. Puis, sans mentir, c’est pas beaucoup plus compliqué que d’escalader la façade d’une barraque en pleine nuit et d’être suspendu en plein air pour fracturer une fenêtre, au final. Une fois en haut, j’passe la main dans ma nuque, j’écrase deux moustiques et j’essuie un peu la sueur qu’a coulé dans cet environnement bien trop chaud et humide. M’rappelle… bref, plus tard.
A deux en haut, c’est le coup de bol : y’a un genre de passage à gué qui semble largement assez praticable. Les pierres ont l’air rendu glissantes par l’écume de la cascade, mais y’a à peine deux ou trois sauts à faire. Bon, si on s’rate, on tombe à l’eau, puis du haut de la cascade, le genre assez mortel et létal, mais rien n’est garanti. J’pointe du doigt et Ain a l’air d’accord.
« Allez, on s’retrouve de l’autre côté ? Ca serait top d’atteindre le campement avant la tombée de la nuit, après tout. »
S’il reste un campement à atteindre en tout cas.
J’prends une grande inspiration et j’fais les trois premiers pas jusqu’au tier du cours d’eau. Premier saut. La pierre d’arrivée est bien plate, et j’me réceptionne sur l’avant des pieds, et j’baisse tout de suite mon centre de gravité. Facile. Dans le même élan, j’fais le bond suivant, caillou incliné, léger déséquilibre, mais dans la bonne direction. J’pousse sur les jambes et j’arrive de l’autre côté en me rattrapant à la branche d’un arbre qui surplombe légèrement l’eau. Même pas eu les pieds mouillés, hé.
« A toi, essaie de pas tomber, j’ai qu’une corde, ok ? »
J’la sors quand même, au cas où. Si mes p’tits jeunes commencent tous à canner, ça va pas le faire…
Ain hocha la tête et le laissa prendre les devant. Après tout, s'il était volontaire ? Elle le vit passer sans trop de problème. Les pierres, bien que certainement glissantes, avaient l'air suffisament stable pour permettre de traverser. Une fois que Vrenn est arrivé de l'autre côté, Ain se prépara également à la traversée. Prudente, elle suivi le même parcours que l'aventurier, sautant de pierre en pierre jusqu'à atteindre l'autre rive. Devraient-ils passer par là au retour ? Si Ain et Vrenn n'auraient pas de problème pour faire le chemin inverse, qu'en est-il des chercheurs qu'ils doivent récupérer ? Il serait bête de les perdre bêtement à cause d'une pierre qui glisse...
Et joignant le geste à la parole. Elle reprit la marche pour longer de nouveau le gouffre dans l'autre sens, afin de revenir jusqu'au marquage. Elle ne prit même pas la peine de soupirer et continua son chemin. Si Vrenn voulait atteindre le campement avant la tombée de la nuit, ils devaient se hâter. Plusieurs heures c'étaient écoulées depuis qu'ils avaient quitté le navire et ils n'avaient aucun moyen de savoir où était ce campement. Le seul indice était les marquages rouges mais qui pouvaient dire s'ils se trouvaient au bout du chemin ou à peine à la moitié ? Ain n'avait aucune idée de la superficie de cette île.
Une heure de marche plus tard, ils rejoingnirent l'arbre marqué par le foulard rouge. Ce détour leur avait déjà fait perdre deux bonnes heures, il ne fallait pas trainer. Se préparant à retourner dans la jungle, Ain sorti son épée afin de dégager les branches et lianes qui lui gênait le passage et commença à s'enfoncer dans la forêt suivant le seul indice qu'ils avaient : un chemin de foulard accroché à des branches.
Avec Ain, on accélère le rythme. Il a pas galéré pour un sou à traverser le cours d’eau, mais c’est encore heureux pour un aventurier qu’a l’air spécialisé dans la partie dangereuse du boulot. Sinon, il aurait pas fait long feu, le p’tit gars. En tout cas, il commence à se faire tard, et si j’sais pas à quelle heure la nuit se couche sous ces latitudes et à cette altitude, au bout d’un moment, faut bien que ça arrive. Donc on accélère, et elle taille un chemin dans la végétation avec son coupe-coupe.
Mais c’est peine perdue. On a beau faire de notre mieux, l’obscurité nous rattrape petit à petit alors qu’on continue de suivre les foulards rouges accrochés régulièrement. Ça facilitera pas de les voir, en prime. En plus, la sente est moins bien tracée maintenant qu’on est davantage à l’intérieur des terres, et si c’est d’habitude probablement possible de faire le trajet avant la tombée de la nuit, c’est moins le cas quand on a perdu des heures à faire un détour parce que le pont est tombé.
Résultat, on s’retrouve vite dans le noir, sans être arrivé nulle part sinon une énième clairière ombragée avec de la bouillasse. A la réflexion, on pourrait s’arrêter là, faire un campement de fortune. Personnellement, j’ai à peu près de quoi faire, mais c’est la partie sécurité qui m’inquiète davantage. Et si se déplacer la nuit dans la forêt, ça semble vachement dangereux quand on connaît pas, c’est vrai que le chemin est tracé, donc ça devrait aller, merde.
« On continue, hein ? Ca serait limite davantage dangereux de s’arrêter pour la nuit alors qu’on sait pas grand-chose sur la faune et la flore. C’est comme pour le déjeuner tout à l’heure, pas vrai ? »
Après tout, c’est lui l’expert, apparemment, et j’suis pas si fatigué que ça.
J’avise un bout de bois assez sec par terre, et j’sors ma pierre de feu. Il faut pas bien longtemps pour que ça s’enflamme, et que ça fournisse un peu de lumière aux alentours. Ça attire aussi toute une palanquée d’insectes qui viennent bourdonner autour, mais, ça, à la limite, au-delà d’un côté superficiellement désagréable, c’est plutôt gérable. J’suis davantage inquiet de si on attire un genre de gros monstre qu’il faudra taper, j’suppose ? Enfin, les flammes, c’est censé effrayer les bêtes, remarque.
Avec la torche, en tout cas, on distingue à peu près dans quelle direction aller. Faudra juste faire gaffe à pas se paumer.
Ain haussa les épaules. Elle n'était pas fatiguée et avancer de nuit ne la dérangeait pas au contraire. Camper dans cet environnement ne la rassurait pas. Elle espérait que la mission soit assez rapide pour qu'ils n'aient pas à le faire ou qu'ils puissent trouver un point "sécurisé" avant de faire une pause. Ain jeta un coup d'oeil intrigué à la pierre de feu de l'aventurier, avec ses petits silex elle ne pourraient pas allumer de branche sèche aussi facilement. La lumière de la torche improvisée de Vrenn était comme un petit phare dans la nuit, elle éclairait les quelques mètres autour mais devait certainement être visible depuis des kilomètres, Ain espérait juste que cela n'attire pas de prédateurs...
Il y avait ce risque aussi. Avec l'humidité environnante, il était peu problable qu'un incendis démarre instantanément mais avec toutes ses branches et ses feuilles on étaient sur de rien. Ain en tête, elle dégageait du mieux qu'elle pouvait les lianes, branches devant elle. La lumière de la torche derrière elle suffisait à y voir assez clair. Mais à mesure qu'elle avançait la forêt était de plus en plus dense. Alors qu'un coup d'épée suffisait au début à abattre une branche gênante, elle devait maintenant constamment remuer son arme devant elle pour virer les branchages qui formaient des noeuds sur le passage.
Après un moment elle s'arrêta. Il y avait un problème, pourtant elle était sure de bien avoir suivi la direction des foulards.
Elle se retourna pour chercher derrière eux, mais l'obscurité le lui permettait pas de voir à plus de cinq mètres derrière elle. Chose encore plus intriguante... Le chemin qu'elle avait tracé en coupant les branches avait disparu. Derrière eux, les lianes avaient repris leur emplacement initiale, les enfermant dans une petite cage de végétation. Elle jeta un coup d'oeil à Vrenn, d'un air de demander s'il en savait plus, mais n'espérait pas vraiment de réponse à cette question silencieuse. S'il n'était jamais venu en ces lieux il ne devait pas en savoir plus...
Effectivement, il fait vachement nuit et on a vachement perdu la trace des foulards rouges. P’tet que c’était pas une bonne idée, finalement. En plus, c’est assez dur de marcher tout droit de nuit dans la jungle, parce que t’es forcé de te tourner dans tous les sens pour pas être bloqué par la végétation, les rochers, les creux, les ronces, et autres joyeusetés communément associées à la nature. Y’a des moments, j’te me raserais tout ça pour le remplacer par une place pavée, et à la rigueur on la peint en vert iano, et ça irait très bien.
Le pire, je crois, c’est que tout repousse tellement vite dans la jungle qu’on distingue même plus par où on est passé pour venir, donc pas moyen de retourner au fanion précédent.
« Euh, ben, on fait quoi ? On s’arrête là ? On avance au pif ? »
Continuer au hasard, sans être un expert de la survie en milieu hostile, ça ressemble beaucoup à un gros plan de merde, quand même, disons-le. J’avais peut-être fait preuve d’un optimisme déraisonné un peu plus tôt, mais j’pensais pas qu’on louperait les poteaux et leurs gros foulards rouges. Ça s’trouve, y’en a un qu’a été retiré, ou qu’est tombé, et c’est pour ça qu’on l’a loupé. J’pense même que c’est assez crédible comme thèse.
« T’façon, on est pas capable de revenir en arrière, pas vrai ? Ni de continuer au hasard, on sait pas où on pourrait se retrouver. Donc le mieux, c’est encore de s’arrêter ici et de voir avec le lever du jour ? »
J’vois pas comment on pourrait bien dormir, cela dit. Par précaution, j’grave une flèche qui pointe de là où on vient à peu près dans deux arbres, avec mon couteau.
« Du coup, on fait du feu, on dort au sol dans une tente ou dans un arbre ? A ton avis c’est quoi le mieux ? »
Savoir déléguer, c’est un peu une des caractéristiques les plus importantes.
Ain secoua la tête.
Pas froid. A vrai dire Ain n'en avait aucune idée, elle ne sentait pas les différences de températures. Elle pouvait deviner lorsque les températures étaient basses quand de la buée se formait lorsqu'elle respirait mais ce n'était pas le cas.
Joignant le gestes à la paroles, elle rangea son épée dans son fourreau à sa ceinture et laissa tomber ses bagages au sol. Pour dormir elle n'en avait pas besoin et il n'y avait rien d'importance à l'intérieur et puis surtout, ils ne feraient que la déranger dans l'escalade de l'arbre. Elle garda juste son arme auprès d'elle, au cas où. Habilement, elle se hissa sur la première branche et continua encore de monter jusqu'à ce percher sur une épaisse branche à deux mètre de haut. Suffisament haut pour voir un danger arriver mais suffissament bas pour pouvoir sauter au sol si la situation l'exigeait. Elle s'installa assise, adossé contre le tronc de l'arbre et croisa les bras, fermant les yeux en attendant le lever du jour. Ils avaient quelques heures devant eux, autant les mettre à profit pour se reposer un minimum. Plus tard ils n'auront peut-etre pas le luxe de pouvoir dormir alors Ain n'allait pas gâcher l'occasion.
Quand même, il est pas bien sympathique. On croirait que j’l’emmerde, alors que j’fais de mon mieux pour qu’on avance sans claquer dans cette jungle de merde. Pas de feu, j’comprends bien, puis il fait pas si froid, donc c’est pas grave. Mais bon, on pourrait bosser dans une bonne ambiance. J’vais l’écrire dans mon rapport, ça, que son père était une tombe et sa mère était une carpe. En tout cas, pas de signe de bêtes qui rôdent pour le moment.
J’grimpe dans un arbre à mon tour, avec un petit casse-dalle. Pour changer du bœuf, j’prends du poisson séché. C’est toujours aussi salé, mais ça n’a pas tout à fait le même goût. Ô joie. Un coup d’flotte pour faire descendre le tout, puis j’me coupe un bout du fromage que j’trimballe. Lui, il a pas trop pris cher depuis le début du trajet, c’est déjà ça. Un peu de pain avec, et j’suis bien pour la nuit, si ce n’est que j’pense que j’aurai une soif terrible d’ici au petit matin.
Mon arbre est plutôt joli et confortable, mais le souci, c’est de pouvoir se reposer suffisamment en restant en équilibre sur la branche fourchue que j’ai élue meilleur lit de la soirée. De mon sac sans fond, j’sors une corde qui m’sert à m’accrocher et éviter que j’tombe comme une merde une fois que j’aurai atteint le sommeil profond, quelques secondes après avoir fermé les yeux.
Visiblement, Ain juge que c’est pas nécessaire d’avoir un tour de garde, mais j’dors que d’un œil en général, et lui aussi probablement s’il a l’habitude de la nature. Donc c’est ce que j’fais après une nouvelle gorgée de flotte.
Y’a des grattements qui me réveillent dans la nuit. J’suis blotti contre le tronc de mon arbre, la corde toujours fermement arrimée. Les étoiles et la lune éclairent suffisamment pour distinguer quelques iguanards plus bas, mais pas de quel type ils relèvent exactement. Ils fouaillent le sol en bas, en poussant des sifflements. Ça grimpe, ces saloperies ? Enfin, aucune chance que ça nous attaque, j’estime.
J’me tourne un peu, puis j’me rendors.
Au petit matin, une fois qu’on est descendu de nos arbres respectifs, j’me tourne vers Ain.
« Bien dormi ? Moi, ça allait. T’as entendu les iguanards ? T’penses que pourrait y avoir un lien ? »
J’vais faire mon eau. Va être temps de retrouver la trace des foulards rouges, si on veut arriver pour le repas du midi. Et ça tombe bien, j’en ai déjà marre des rations de voyage.
Autour de vous la jungle est silencieuse. Pas un seul gazouilli d’oiseau, pas de lapillon qui volent à travers la jungle. Seul quelques bruissements se font entendre autour de vous. Sans ses bruissements, la jungle pourrait paraître morte et vide de la moindre vie.
Que faites-vous ?
PROCHAINE APPARITION MDJ : Un jour, je serai là !
Finalement, les premiers rayons du soleil la força a ouvrir les yeux. Si elle n'avait pas pleinement dormi, elle avait tout de même pu se reposer. Elle descendit de l'arbre comme elle était monté et fouilla dans son sac, elle en sortie sa gourde pour se désaltérer un peu et continua de chercher de quoi grignotter. Et elle fit une grimace.
Erreur de débutant. Ses provisions étant dans son sac, elle ne s'était pas embêtée a le prendre avec elle et dans la nuits, de petits rongeurs semblaient s'être régalés de son repas. Elle soupira. Les petites bêtes étaient bien trop... petite et furtive pour alerter l'aventurière et ils ne représentaient pas de danger imminent... Mais maintenant elle se retrouvait bien embêtée. Elle ne pouvait qu'espérer qu'ils retrouvent vite les chercheurs.
Ain fronça les sourcils. C'était-elle endormie plus profondément que ce qu'elle avait prévu ?
Elle s'arrêta de parler et ses sens étaient en alerte. Elle entendait le bruissement des feuilles des arbres, le sifflement du vent... Mais la forêt semblait déserte. Pas un bruit d'oiseau. Pourtant, ce genre de climat devrait accueillir une faune plutôt variée, mais en cet instant l'île semblait déserte.