Allongé sur mon plumard, j’regarde le plafond, et le rai de lumière qui y court. Le jour commence à peine à se lever, mais j’dors pas des masses. Pas assez fatigué. Trop d’écart entre l’activité physique et celle du bocal. J’m’étire autant que possible dans un grognement. Le lit est un peu court, et la couverture gratte, mais somme tout, c’est pas si mal. Enfin, si la compagnie était meilleure, en tout cas, et le service plus ponctuel.
J’tends la main pour me gratter le ventre, mais un tintement métallique me rappelle, une fois de plus, que j’suis pas totalement libre de mes mouvements.
J’soupire, et j’attends l’arrivée du maton avec le petit-déj. La tambouille est à peine édible, mais j’suis laissé assez libre de mes mouvements pendant la journée, au moins. Enfin, si on excepte les menottes qui me sont jamais retirées. Au vu de l’heure, il sera pas là tout de suite. Encore deux bonnes heures, j’dirais. J’suis devenu expert pour jauger le temps qui m’sépare de la bouffe, et la relative liberté de me déplacer dans ma cellule de six mètres carrés, grâce à la couleur de la lumière qui passe par le soupirail, et sa position dans mes appartements.
Les autres locataires sont assez inégaux. Certains sont sympas, mais ils ont pris l’habitude de faire la grasse matinée. Moi, pas encore. J’sais pas si j’en aurai le temps. Donc j’cogite, j’ai bien plus que ça à foutre. Ça s’est pas joué à grand-chose, c’est ça qu’est rageant. Mais le passé, c’est le passé. La question qui reste, c’est de savoir ce qu’ils ont sous la main, pour savoir à quel point j’vais finir en exil. Y’a probablement moyen de gratter une longue peine d’emprisonnement, et de repartir de là. J’ai pas semé beaucoup de traces, après tout.
J’fais le compte.
Andrew. Bon, okay. J’dois pouvoir blâmer quelqu’un d’autre, voire passer au travers pour le reste de la famille. Dans la longue liste de mes autres forfaits, j’pense pas avoir laissé de souvenir suffisamment marquant pour qu’ils aient tenus jusqu’au moment où on m’a passé les menottes. Donc ouais, ça doit être jouable de s’en sortir sur, au mieux, un simple meurtre. Avec vol, peut-être ? Encore qu’il me les a clairement tendus, les cristaux, alors…
Reste le souci de la potion de vérité. S’ils me font le coup, faudra que j’mette toutes mes ressources lexicales à contribution pour pas mentir tout en ne répondant pas aux questions. Pasque si j’déballe tout, ils vont avoir besoin de parchemin. J’suis interrompu dans le train-train habituel des mêmes réflexions quotidiennes par le bruit de la porte de la prison qui s’ouvre. Pas qu’elle grince, mais y’a un appel d’air, et le cliquetis du loquet.
Coup d’œil au rai de lumière. Trop tôt pour le garde qui vient me détacher du barreau du lit et m’filer la bouffe.
J’soupire, curieusement content. Les pas se rapprochent, puis la porte s’ouvre jusqu’à ce que Zahria arrive dans mon champ de vision.
« Bonjour, Vrenn.
- Salut, Zahria. Bien dormi ?
- Du sommeil du juste, et toi ?
- Ouais, pareil, comme d’hab’. »
Elle a meilleure mine qu’à ma capture. Et les toubibs l’ont retapé, avec plus d’application que moi. Normal, cela dit, j’aurais mauvaise grâce de m’en plaindre.
« T’es là vachement tôt, aujourd’hui.
- Oui. »
Le silence s’étire un peu, et j’fais pareil, mais moins confortablement. Elle s’est assise sur le seul tabouret de ma demeure, adossée au mur. En inclinant la tête, j’arrive à la voir, tête baissée, mains occupées.
« Tu m’en roules une ?
- Je croyais qu’il était tôt.
- M’faut bien ça pour rajouter du piment dans ma vie. »
Zahria hausse les épaules.
« Andrew, sa famille, le gang des Doigts, c’était aussi pour rajouter du piment dans ta vie ? »
J’soupire et j’secoue la tête autant que j’peux avec les bras attachés au-dessus.
« J’vois pas du tout de quoi tu parles, tu dois faire erreur sur la personne. J’ai un physique un peu commun, on a tendance à m’oublier assez facilement.
- Bien sûr. Mais bizarrement, mes problèmes de mémoire vont beaucoup mieux depuis que t’es ici.
- Ca devait être le stress. T’as l’air moins fatigué, après tout. »
Elle termine la première, se la plante au coin de la bouche sans l’allumer, et s’attelle à la seconde.
« J’essaie juste de comprendre pourquoi, qu’elle reprend.
- Pourquoi quoi. »
J’suis un peu lassé, pasque j’veux pas répondre. C’est l’aller direct vers l’estomac du fenrir, et y’a rien de bon qui en sortirait. Ça se trouve, y’a toute la tripotée des témoins assermentés qui écoutent tous nos échanges, après tout.
« Tu pourras pas nier Andrew.
- Une crise de folie passagère.
- Et pourquoi il t’aurait donné autant d’argent ?
- Ma bonne bouille ? »
Elle allume la première cigarette roulée, me la pose entre les lèvres, et j’aspire la fumée avant de la regarder s’élever au-dessus de moi. Elle s’occupe ensuite de la sienne.
« T’as pensé à comment tes parents réagiraient ? »
J’laisse échapper un rire bref. Puis j’essaie de me projeter, pour de vrai.
« Encore faudrait-il les prévenir qu’ils ont un fils. »
Zahria reste debout à côté de la porte, à fumer sans un mot. De là où j’suis attaché, pas moyen de la voir. Avec la langue, j’fais passer la clope sur le côté de ma bouche, pour pas que la cendre me tombe sur le pif.
« Condoléances pour le tien, au fait. J’l’ai appris que récemment. »
Elle grogne un son inintelligible. Puis j’entends le son de la porte.
« Tu repars déjà ?
- Pour le moment, oui.
- D’acc’. Bonne journée.
- Pas de doute là-dessus. »
Hé, elle m’a pas souhaité la mienne, merde.
C'est la question qui la taraude depuis quelques jours. Que va-t-il advenir d'elle une fois cette histoire terminée ? Les visites qu'elle lui rend tous les matins rythment sa vie. Elle y va de plus en plus tôt, comme si elle avait impatience de l'interroger pour commencer sa journée et passer à autre chose, mais le reste du temps, elle zone chez Luz en jouant avec Dhim, passe parfois un coup de cristal à Elina, elle est même allée voir un verre avec Jack une ou deux fois... mais globalement, elle s'ennuie.
Elle n'ose même pas appeler Calixte, ne sachant pas trop sur quoi il travaille en ce moment, et ayant trop peur de déprimer encore plus s'il lui dit qu'il n'a pas le temps de parler, voire pire, s'il lui raconte ses missions en cours. Alors elle fait le ménage chez Luz, quelques petits boulots de coursière pour récupérer quelques cristaux, et retape la cabane construite avec Elina et Thomas le reste du temps.
Et puis, ça c'est pour elle, mais Vrenn ? Qu'est-ce qu'ils vont en faire ? Ils ne vont certainement pas le garder en prison toute sa vie, c'est un coup à l'oublier, malgré les barreaux anti-magie... Il sera peut-être relâché, après tout, si son dossier est mauvais... Elle écarte vite cette solution de sa tête. Son dossier est le meilleur qu'elle aurait pu monter vu les circonstances, et les magistrats ne sont pas trop cons, normalement. Alors quoi, l'exil ? Un frisson parcourt l'échine de Zahria. C'est vrai qu'il fait froid, et la fumée de sa dernière taffe se perd avec la buée de son souffle chaud.
La flemme de rentrer alors qu'il est si tôt, elle sait qu'elle ne se lèvera plus de son lit si elle fait ça, pas avant demain matin du moins. Alors quoi ? La cabane ? Ouais, pourquoi pas, après tout. Couper du bois la dégourdira un peu. Sur le chemin, elle repense à son entrevue avec Elina quelques semaines plus tôt, dans cette même cabane. A ses réflexions sur Vrenn, et le fait qu'il avait fait un vrai boulot d'enquêteur. Plus elle y pense, et plus elle est convaincue que s'il n'avait pas vu son pouvoir comme une malédiction, Vrenn et elle auraient pu avoir un parcours similaire. C'est sûr que l'entendre parler de ses parents qui ne sont même pas capables de se souvenir de lui, ça fait mal, mais ils n'était pas seuls.
Elle a peu de souvenirs de cette époque, mais son carnet d'enfance en témoigne: elle faisait l'effort de se souvenir de lui. Même si elle est incapable de se rappeler de quoi que ce soit de concret qu'ils aient pu faire ensemble en ce temps, le sentiment d'avoir un ami aussi proche est quelque chose qui laisse une trace. Zahria change alors d'avis, et de direction. Non, pas la cabane. Il y a encore quelque chose qu'elle peut faire. Son dossier est incomplet.
Il lui ouvre la porte, un grand sourire sur les lèvres.
« Oh ! Zahria, c'est toi ! Entre, entre, il fait un froid de canard dehors, tu vas te geler les orteils. »
Ils s'installent près du feu, le café est en train de chauffer et remplit la pièce de son parfum matinal. L'endroit n'a pas changé, pas depuis quelques lunes, pas depuis toutes ces années. Ils discutent de tout et de rien, il lui pose des questions sur sa vie, elle lui répond en évitant les sujets sensibles. Et puis là, un silence, long. Un peu comme ceux qu'il y a régulièrement avec Vrenn le matin. Ironique à quel point ils se ressemblent.
« Monsieur Indrani, je peux vous poser une question ?
- Si je peux y répondre, je ferai de mon mieux...
- Vous vous souvenez de cet enfant ? »
Elle a sorti son cadre et le lui tend. Pas celui qu'elle a utilisé pour la mission, et ce n'est pas l'image d'un Vrenn barbu qu'elle lui montre. Le cadre de son enfance, le cadre brisé, sur lequel il reste encore l'image de Vrenn et elle. Grenn le regarde un bon moment, comme pour essayer de se souvenir, il fronce les sourcils. Il a un petit rayon d'illumination dans le regard, puis oublie à nouveau, il semble lutter intérieurement, avant de lui rendre le cadre.
« Désolée, ma petite Zahria, je ne vois pas qui c'est... Par contre, toi tu n'as pas changé ! Toujours les cheveux aussi rebelles, hein !
- Rien à faire pour les dompter, monsieur Indrani... »
Elle soupire. C'est mal barré. Pourtant, Jack se souvient de lui... Pourquoi est-ce que son propre père n'en est pas capable ? Elle se passe la main sur le visage. Tant pis, elle réessaiera une prochaine fois.
« Je vais bientôt y aller, monsieur Indrani... Est-ce que je peux monter voir la chambre de Vrenn, avant de partir ?
- Oui, oui, vas-y, tu connais le chemin. »
Elle se lève, puis réalise. Pour elle, c'est sorti naturellement, mais pour lui aussi. Leurs regards se croisent, elle le fixe intensément. Son sourire à lui disparaît, et une interrogation naît dans ses yeux.
« Attends... la chambre de qui ? »
L'espoir retombe, mais pas complètement. Il ne l'a pas tout à fait oublié, elle en est maintenant convaincue. Un père n'oublierait pas son enfant... Elle repense à Vrenn lui présentant ses condoléances pour le sien, et semble recevoir un coup de poing au niveau de la poitrine. Elle sert les dents. Pas le moment de flancher, pas devant Grenn. Un petit sourire de circonstance, puis elle s'excuse.
« Non rien, laissez tomber... Quand est-ce que votre femme revient ?
- Elle devrait être là à la fin de la semaine... Tu devrais venir dîner, elle sera ravie de te voir !
- Je n'y manquerai pas. »
Ils se disent au revoir devant le perron, et elle repart immédiatement, direction la caserne.
« Deux fois dans la même journée ? Je suis gâté, dis donc. Ou alors, j'ai beaucoup trop dormi.
- On perd la perception du temps, entre les barreaux, hein ?
- Ouais, un peu. »
Elle a déjà roulé les cigarettes sur le chemin, et se tient face aux barreaux cette fois, pour aider Vrenn à fumer la sienne malgré ses mains liées.
« Tu voulais quelque chose ?
- Ouais... je suis juste venue te dire... »
Les mots ont du mal à sortir. Pourquoi est-ce qu'elle s'en préoccupe, après tout ? Il va finir en exil d'ici quelques semaines, elle ne devrait pas remuer des sentiments douloureux chez lui, ni sa famille, c'est injuste. Elle se retourne, comme pour partir, puis revient sur ses pas. Maintenant qu'elle est là, autant aller jusqu'au bout.
« Pour tes parents... Laisse pas tomber. Les gens peuvent se souvenir de toi, parfois, un peu, que tu le veuilles ou non. La preuve.
- Euh... ouais... merci du conseil...
- J'ai perdu ma seule famille, Vrenn, je te souhaite pas la même chose, c'est tout. Et s'il faut que tu leur rabâches tous les jours qui tu es, fais le. Ça a marché avec Jack, après tout...
- Un peu compliqué, depuis ma prison. Ça veut dire que tu vas m'laisser partir ?
- Nan. Juste comme ça. Roh, et puis laisse tomber, en fait. J'me casse.
- Attends ! La dernière taffe, steuplait. »
Elle l'aide à finir sa cigarette en silence, puis après un dernier regard, s'éclipse. Il est temps d'aller faire cette sieste de quinze heures qu'elle avait prévue avant de jouer les héroïnes.
Hm. Quand la porte se referme, je jauge le passage du temps au petit rai de lumière. Le soleil va bientôt passer de l’autre côté du bâtiment, donc c’est la fin de la matinée. Et, après, plus difficile de suivre l’heure. Par les barreaux de la cage, cela dit, j’vois p’tet dans une des autres cellules. En penchant suffisamment la tête d’un côté et…
Et j’ai pas de raison de me soucier autant du temps.
Facile à dire, que mon vieux se souvient encore de moi, quelque part, au fond de lui, et que j’peux faire des efforts pour que ça aille plus loin. Après tout, il se souvient que j’ai un lien lointain avec la famille, même s’il hésite sur la nature du contact, et qu’il s’y perd à chaque fois. J’parle même pas de ma daronne, toujours par monts et par vaux depuis que j’suis minot, donc affectée d’autant plus par mon pouvoir. C’est trop demander, d’avoir une famille normale et de pas être obligé de mettre en place des dizaines de mesures pour que mes géniteurs se rappellent qu’ils ont pondu un chiard qui s’appelle Vrenn ?
L’effort est trop douloureux à faire. J’suis déjà passé par là. J’ai déjà abandonné. Je hausse les épaules, et j’respire la reste de fumée qui flotte encore dans ma cage.
Le temps passe, j’bouffe un bout. Marrant, qu’elle soit passée deux fois. Elle doit avoir trop de temps libre aussi, mais en liberté. Moi, j’trouverais à m’occuper, promis. J’fais quelques exercices, dans ma cellule, pour qu’on se rapproche de la nuit, et du lendemain, pour me fatiguer un peu et perdre des heures. Globalement, c’est à ça que se résume ma vie pour le moment, juste regarder le temps ramper tout doucement comme le rai de lumière, jusqu’à ce que y’en ait plus, puis qu’il revienne.
V’là que j’vais virer philosophe, à force de tourner en rond ici.
Bruit de porte. De l’animation, faut croire. P’tet un nouveau voisin ? Ah, non, ça tape à ma porte. J’lève les yeux du sol, tout en restant avachi sur mon tabouret. Quatre gardes en armure sont là, droit dans leurs bottes, pendant que le geôlier fouille son trousseau de clefs à la recherche de la bonne. L’air de rien, j’essaie d’identifier laquelle c’est. Pourrait m’rendre service, après tout, si j’ai l’occasion d’aller me promener dehors.
« Qu’est-ce qui s’passe ? que j’demande.
- Suis-nous.
- ‘Sûr. On va où ? J’aime autant dire tout de suite, j’suis pas très savonnette, même si c’est votre délire, chez les gardes. »
Pas de réponse, si ce n’est que j’me retrouve rapidement encadré, et que ceux derrière moi me poussent vers la sortie. L’exécution, ça compte comme une sortie ?
« Tu feras gaffe, t’as mal poli ton armure, y’a une tache, là, à l’arrière de l’épaule gauche. Trop occupé à polir l’épée du voisin ?
- Ta gueule.
- Hé, j’essaie juste de rendre service, moi. »
J’ai envie de dire qu’il oubliera vite, mais c’est pas gagné avec les menottes aux mains.
Quand on arrive dehors, dans la cour qui mène aux geôles, j’suis ébloui par la clarté du soleil, et la beauté du ciel, et le vent dans les cheveux, et le bruit des gens autour. Quelques jours en cabane, ça fait réfléchir à ses choses-là, faut croire. Pendant que j’savoure ces sensations, j’en profite pour examiner en détail les issues possibles, les endroits où j’pourrais sauter le mur, les planques possibles. Ben c’est pas fameux. Et y’a pas de monde dans lequel j’échappe à quatre gardes simultanément, sans objets, sans pouvoir, avec les mains liées. Quoique, c’est p’tet des stagiaires ?
Alors que j’envisage de faire une connerie, pour voir, un de ceux derrière moi… une, d’ailleurs, me bouscule pour m’faire avancer. Visage trop carré pour moi, mâchoire un peu prognathe.
« Ouais, ouais, j’avance. »
On reste pas dehors bien longtemps. Deux sentinelles à une porte s’écartent pour laisser passer mon escorte, et on enchaîne des couloirs et d’autres points de contrôle tandis que j’mémorise soigneusement tous les virages que j’ai pris. Puis j’suis introduit dans une pièce assez simple, avec quelques beaux fauteuils, une table, un pupitre, et un siège en bois un peu pourri mais solide. J’suis assis dessus de force, et mes menottes sécurisées pour pas que j’me barre.
La chaise est bancale, putain.
Les murs sont nus, et y’a pas besoin d’être un spécialiste de la décoration et de l’architecture pour comprendre que, par l’autre porte, y’a des gens qui vont entrer pour me demander des trucs. Mais bon, ils font erreur, j’suis un innocent, tout ça est un malentendu, vous avez des témoins, pas de témoins, personne se souvient, personne se souvient jamais…
Jour de Procès. Et pas des moindres, tout le gratin était présent pour y assister. Commandant, Ministre des Armes, Ministre de la Justice, Ministre de la Magie, plusieurs Conseillers Royaux et autres têtes d'affiches des hautes instances du Royaume. Un huit-clos fermé au public pour plusieurs bonnes raisons qu'il fallait visiblement éviter de soulever, le tout marqué par un secret d'état plus ou moins imposé.
Resserrant sa toge, le Haut-Juge Gavot entra dans la salle d'un pas lourd, ses sourcils broussailleux et sa barbe finement taillée rehaussant l'air sévère de son visage encadré de cheveux mi-longs bouclés d'un blanc éclatant. Il n'était pas n'importe qui et si on avait fait appel à lui c'est que l'affaire ne traitait pas de n'importe qui non plus. Ouvrant le dossier devant lui, il frappa son marteau et déclara la séance ouverte.
"Messieurs, Mesdames,
Nous sommes aujourd'hui réunis pour traiter et juger du cas du dénommé Vrenn Indrani dans l'état rapporté par la Soldate Ahlysh.
Nous allons d'abord procéder par l'énonciation des faits qui sera effectuée par la Soldate Ahlysh suite de quoi la défense, en la personne de Vrenn Indrani -non représenté par un officiel- pourra s'exprimer quant à la situation initiale exposée. S'en suivra un appel à témoin, selon les exigences demandées. Un entretien préliminaire pourra donc être réalisé avant de rendre un premier verdict qui sera, par la suite, sujet à évolution au fil des contres-propositions des pôles impliqués dans la prise de décision finale.
Moi, Yeolus Gavot, présiderait la séance en jurant solennellement au nom de la Couronne que mon observation et mon impartialité sauront mener à bien l'affaire qui nous fait face.
Vous pouvez vous asseoir.
Je laisse donc la parole à la Soldate Ahlysh qui peut donc énoncer les faits ainsi qu'apporter les preuves appuyant le sujet du procès du jour.
Mademoiselle, à vous."
Croisant les mains devant lui, son regard gris acier ne trahissait pas plus d'émotions que le ton monocorde et implacable de sa voix. L'oreille attentive aux moindres détails, prêt à poser les questions nécessaires pour éclaircissement, le Haut-Juge Gavot attendait patiemment que le programme se remplisse de lui-même avant de rendre verdict.
modération
Prochaine apparition du MJ:
• Après une réponse chacun (énonciation + défense) pour poser de plus amples questions impliquant les deux partis si nécessaire.
Quand le juge entre et prend la parole, elle a une mine dépitée. Elle le connaît, celui-ci. Il est pas marrant. Il va pas falloir essayer de mettre de l'humour dans sa plaidoirie... A la mention de son nom, précédé du titre "soldate", Zahria grimace. Son regard croise celui du maître-espion, assis un peu plus loin. N'a-t-il pas notifié sa mise à pied ? Ou alors ça l'arrange bien, que l'arrestation de Vrenn soit créditée à la Garde... Peut-être que c'est pour simplifier les choses qu'on lui donne ce titre, pour éviter d'avoir à rentrer dans des détails qui n'ont rien à voir avec l'affaire. Son jugement à elle viendra bien assez vite, et dépendra certainement du résultat de celui-ci. Elina, assise à côté d'elle, risquerait une sanction pour lui avoir prêté ses menottes. Le fait que qualifier Zahria de soldate la protège aussi, quelque part. Ça ferait tâche de salir le nom d'une capitaine. La blonde lui sert la main quand l'Ombre est appelée à la barre, dans un geste d'encouragement. Zahria acquiesce en silence, puis se lève et s'approche du juge.
« Messieurs dames. Je suis ici pour vous présenter les éléments du dossier de la Couronne contre Vrenn Indrani. »
Le maître-espion la fixe. Malgré sa mise à pied, elle a passé pas mal de temps dans son bureau, ces derniers temps, pour préparer le procès. Il lui a donné des conseils, l'a aidée à écrire son discours, à organiser son dossier. Ouais, il doit vraiment avoir un intérêt là-dedans. Le petit vieux se ramollit, ils ne se sont presque pas engueulés depuis qu'elle a arrêté Vrenn. Et ça n'a rien à voir avec le rangement et le tri qu'il fait dans son bureau depuis quelques temps...
« Tout d'abord, et parce qu'il s'agit là de l'élément principal de cette affaire, et qui donne tout son sens à cette assemblée de prestige ici réunie, je vais rappeler à tout le monde quel est le pouvoir de notre prisonnier... Car s'il est facile à exprimer et expliquer, c'est lui qui fait toute la force de monsieur Indrani dans ses affaires illicites. Vrenn Indrani se fait très vite oublier de quiconque ne l'a plus devant lui. »
Petit murmure dans l'assemblée. Est-ce qu'ils sont là pour assister à ce phénomène de foire ? En racontant ce soir à leurs petites familles, autour du dîner, en se gaussant, qu'ils se souviennent du gars qui se fait oublier ? Ils la dégoûte, tous ces curieux, ces gens incapables de comprendre. Vrenn a fait de mauvais choix, dans sa vie, certes, mais son pouvoir a été un fardeau avec lequel il a été obligé de concilier. Elle est convaincue que sous sa carapace, il a un bon fond.
« Afin de réussir à l'appréhender, j'ai été obligée de tenir des notes sur lui, et de les relire tous les matins pour me souvenir de mon affaire. Et la tâche n'a pas été aisée pour trouver des preuves contre lui. Très cher juge et jurés, vous trouverez dans le dossier devant vous des témoignages écrits par d'autres malfrats de son genre, indiquant qu'ils ont déjà travaillé avec lui, et les circonstances dans lesquelles cela s'est passé. Cambriolages, vols, extorsion d'informations, chantage, et même meurtre font partie des nombreux points où l'on peut accabler Vrenn Indrani. J'ai moi même assisté à l'assassinat de Andrew de Terranglae, ainsi qu'une quinzaine de témoins, dont le garde du corps de monsieur de Terranglae, qui témoignera un peu plus tard. Il y a fort à supposer que monsieur de Terranglae a payé monsieur Indrani pour assassiner tour à tour son père, sa soeur puis son frère, sa nièce ayant été une victime collatérale de cette affaire. »
Zahria fixe Vrenn en parlant de la gamine. S'il y a bien un point sur lequel elle n'arrive pas à faire preuve d'empathie, c'est celui-ci. L'enfant était-elle obligée d'y passer aussi ? N'a-t-il aucune trace de clémence lorsqu'il est en mission ? Elle se saisit d'un objet, qu'elle pose sur le pupitre du juge.
« Cette bourse remplie de cristaux dont la clarté vous surprendra a été donné à notre accusé par Andrew de Terranglae quelques secondes avant qu'il ne lui plante une aiguille dans l'oeil, traversant son crâne et signifiant immédiatement la mort d'Andrew. Se sachant suivi, monsieur Indrani a dû décider d'éliminer la dernière personne au courant de l'affaire, avant de se faire oublier. »
On arrive au bout de ses preuves concrètes. Difficile de parler de ce dont personne ne se souvient, de ce dont elle n'a que des suppositions... Mais il faut essayer tout de même.
« A la fin du dossier, vous trouvez un compte-rendu des missions effectuées par monsieur Indrani un peu partout dans le royaume, et vous noterez comme la concordance de ses voyages et celles de divers crimes perpétrés précisément à l'endroit et au moment où il était peut s'avérer troublante. Le dernier document est une copie d'un rapport d'arrestation datant d'il y a vingt ans, à l'époque où monsieur Indrani faisait partie de son premier gang, les Cinq Doigts. Son nom y est clairement consigné, et si c'est la seule fois où il a pu être arrêté et démontré qu'il avait fauté, il est impossible de penser que c'est c'est la seule fois qu'il a pu commettre un crime. »
Et voilà. Elle souffle, soutient le regard perçant du maître-espion pendant quelques secondes. Son visage n'a pas tiqué de tout le long de sa plaidoirie, mais il semble malgré tout satisfait. Il a réussi à la faire parler comme une vraie femme de la noblesse, et si le discours ne fait pas trop récité c'est car il l'a entraînée des heures et des heures durant pour que cela semble naturel. Dire qu'il ne croyait pas dans son enquête au départ... Elle décide de conclure tout de même sa prestation, avant que ce ne soit à Vrenn de parler.
« Cet homme est dangereux, et ne doit pas être remis en liberté sans prendre les plus grandes précautions. Le fait qu'il se fasse oublier dès qu'il sort de votre regard lui donne un véritable atout pour faire ce qui lui chante et ne jamais se faire appréhender. Si on le relaxe, il risque de disparaître et répéter le même schéma sans qu'on ne puisse lui remettre la main dessus une deuxième fois. Je préconise la plus grande prudence quant à son verdict. »
Elle sait parfaitement ce qu'il risque. L'exil. Et si elle n'est pas complètement convaincue qu'il le mérite, c'est certainement à cause de l'empathie dont elle fait preuve envers lui. Pourtant elle s'est bien retenue de demander cette sanction. Quelque chose l'empêche de le faire. Elle sait qu'il y a un meilleur verdict à trouver, mais elle n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Pas pour l'instant. Les lèvres du maître-espion se plisse. Dans le discours qu'ils avaient écrit, il était fait mention de l'exil. Est-il déçu qu'elle ait supprimé cette partie ? Tant pis, de toutes façons elle n'a plus la main là-dessus. Zahria croise le regard de Vrenn alors qu'elle retourne s'asseoir et qu'il se lève pour commencer sa défense. Jamais la gamine de neuf ans qu'elle a été n'aurait imaginé se retrouver dans cette situation avec son meilleur ami. Mais maintenant, il faut assumer. Alors c'est ce qu'elle fait. Sa main vient retrouver celle d'Elina et la sert, assez fort pour lui faire mal, assez fort pour laisser passer ses émotions sans qu'elles ne viennent perturber son visage impassible.
Dans le box de l’accusation, j’jauge le public devant lequel j’vais jouer aujourd’hui. C’est plus réduit que j’pensais. Le juge a l’air en bois brut, et quand il se parle, naturellement, la salle écoute. J’le marque comme important, au-delà de sa fonction. Y’a le gratin du royaume qui s’est déplacé, le Commandant que j’ai croisé dans un arbre un autre jour et qu’a servi à rien, des ministres en veux-tu en voilà… Mais l’audience n’est pas ouverte au tout-venant, c’est select, c’est sur invitation. J’aurais bien aimé ne pas en faire partie.
J’ai les différents morceaux de mon discours de défense qui s’agencent dans ma tête, quand c’est Zahria qui s’pointe pour représenter l’accusation. Soldate, hein. En tout cas, ça explique qu’elle soit venue davantage aujourd’hui, puis tout au long des derniers jours. Une manière de le sentir, d’anticiper ses réactions, de pouvoir le déstabiliser pendant le procès ? En tout cas, j’ai bien envie de m’en griller une, là. Ça faisait probablement partie du plan. J’pose un mouchoir dessus et j’range la pensée dans ma poche. C’est assez secondaire à ma survie.
En tout cas, j’sens qu’elle a bossé le dossier, le discours. Et le pire, c’est qu’elle a raison sur toute une partie. Bon, pas sur tout, encore heureux, avec mon pouvoir qui attire pas mal de curiosité des gens. J’veux dire, j’peux pas être responsable de tous les crimes qui se produisent à chacun de mes déplacements. L’homme est homme. Tiens, je vais le redire, ça. La parole à l’accusé ?
J’me lève, pas fier ni droit. Un peu voûté, j’me fais plus petit, mais mon regard reste clair, fixe, alors qu’il s’arrête sur chacune des personnes d’importance de la salle.
« Monsieur le juge. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs. Je suis ici parce qu’on m’accuse du meurtre d’Andrew de Terranglae, de sa famille, et d’un ensemble d’autres crimes. »
J’attends quelques secondes.
« Je le confesse. C’est vrai. »
Murmures dans la salle.
« J’ai tué Andrew de Terranglae. Sous les yeux de… la soldate Ahlysh. Cela faisait plusieurs jours, plusieurs occasions, que je fréquentais le Godet Doré. Ce soir-là… J’ai perdu le contrôle. Peut-être était-ce la drogue, l’alcool. Peut-être était-ce tout simplement la convoitise, que vous comprendrez peut-être si comme moi vous n’avez jamais vu autant de cristaux de votre vie. Peut-être était-ce le fait de devoir à nouveau se présenter, comme à chaque jour, à chaque heure, à toute personne déjà croisée le jour précédent, l’heure précédente. Probablement un peu de tout ça. »
Merde, moi aussi, j’ai eu le temps de bosser un discours. Pas grand-chose d’autre, d’ailleurs. Le mieux, c’est d’accepter le seul crime impossible à nier, celui-là. Avec les menottes, les gens de la salle m’auront pas oublié et constitueront des témoins au travers desquels j’pourrais pas passer.
« Ce qu’a dit Ahlysh est vrai. Mon pouvoir est bien de me faire oublier. Mais ce n’est pas de me faire oublier quand j’en ai besoin, pour aller commettre des crimes hypothétiques à l’autre bout du Royaume. Non, c’est de me faire oublier dès que les gens ne me voient plus, sans exercice de ma part, passivement. Ma propre mère ne se rappelle pas m’avoir enfanté, mon père à peine. »
Tristesse ? Nan, personnellement, j’suis concentré, j’enchaîne.
« Et, évidemment, ce pouvoir constituerait le moyen idéal de faire tout un tas de crimes sur tout le continent, avec l’assurance que rien ne remonterait jusqu’à moi. Vous savez, comme il a été dit, je suis Examinateur à la Guilde des Aventuriers. C’est mon travail, mon métier. Quand vous rentrez du travail, quel est votre niveau d’énergie ? De quoi êtes-vous encore capables ? Et on voudrait que j’aie une liste de crimes et de délits longue comme le bras que j’aurais accompli… quand ? Toutes les informations sont disponibles à la Guilde. J’y suis tous les jours ou presque, sauf quand je suis en mission à l’extérieur. Et, surtout, mon pouvoir n’est absolument pas un secret. La Guilde a appris à travailler autour, me donnant un soupçon de vie… normale. »
Ma dernière estocade pour le moment, avant que le juge ne fasse défiler les témoins, je suppose.
« Est-ce que, parce que des crimes sont non-résolus par la Garde, comme il y en a toujours eu, il doit y avoir un seul coupable derrière tous, un coupable que je qualifierais de providentiel ? Le crime a toujours existé, depuis que l’homme est homme, et existeront toujours. J’ai l’impression confuse de constituer un coupable idéal, alors que la seule preuve est l’absence de ces dernières. Est-ce que ce ne serait pas… un peu facile ? »
Je souffle longuement, et j’essaie de jauger l’assemblée.
« Merci de m’avoir écouté. »
J’incline la tête, puis je retourne à mon siège.
L'affaire est ouverte. Tour à tour, attaque et défense se font suite pour exposer la raison de leur venue aujourd'hui. Au fur et à mesure des éléments avancés, des pauses savamment installées entre chaque portions de leur discours, le Haut-Juge Gavot se penche sur le dossier pour rajouter des notes personnelles. Ce cas n'est pas simple. Mais aucun cas ne lui à jamais résisté et cet état de fait ne changera pas aujourd'hui.
Les mains croisées devant lui au niveau de son menton, le Haut-Juge Gavot était entrain de peser le poids des accusations par rapport aux éléments de la défense. Le dossier était facile en surface et le verdict des plus évidents. Mais le pouvoir de l'incriminé rendait les choses complexes. Puis sa défense, bien qu'étant basée sur du vide, faisait du sens malgré tout. C'est comme si il manquais quelque chose d'avance, un élément crucial qui permettrait de lier le tout. Mais à en croire les propos de la Garde qui s'est occupé le cas, ce genre de "quelque chose manquant" était bien là tout le centre du problème initial.
"Hm. Bien, les deux partis ont donc étés entendus.
Il est évident que Monsieur Indrani ici présent mérite amplement son Exil en vue des crimes commis, ne serait-ce que pour l'assassinat de sang froid exécuté sur la personne de Andew de Terranglae. Mais si son pouvoir fonctionne effectivement de la manière dont vous avez décrite, l'Exil ne serait qu'une maigre punition inutile car le criminel serait tout à fait apte à rejoindre le Royaume une fois son existence oubliée de tous après son séjour dans le Grand Nord. L'y envoyer avec la certitude des menottes encore attachées à ses poignets reviendrait à appliquer une peine de mort indirecte ce qui sera, je pense, refusé par la reine Allys Renmyrth.
Ceci étant dit, j'aimerais revenir sur l'ouverture du discours des faits initiaux. Notamment la suspicion de la présence de Monsieur Indrani à travers de multiples affaires criminelles dans le Royaume. Sans preuves concrètes de ce côté là, tout ceci n'est que théorisation et idéalisation de l'incriminé. Auriez-vous de quoi avancer vos doutes Mademoiselle Ahlysh?
Quant au fardeau de votre magie Monsieur Indrani, seule Lucy sais pourquoi la vie vous a ainsi affublé d'un pareil don mais ce tribunal n'est pas fait pour juger nos dieux mais les humains sous leur règne. Cela ne forme en rien une excuse valable pour vos comportements fallacieux dans lesquels vos délits se sont organisés sans risque d'un reproche. Mais en ce qui concerne votre métier au sein de la Guilde, pourriez-vous nous en dire plus sur les conditions et méthodes qui ont rendus possible la pratique quotidienne de votre emploi? Peut-être un collègue ou un officiel de la Guilde serait-il prompt à prendre la parole pour vous?
Une fois ces questions éclaircies, vous êtes libres de faire vos appels à témoins afin que d'autres regards viennent chasser les ombres de cette sombre affaire."
Fermant son ton ferme et sa voix grave d'un point impérial Yeolus Gavot se remis en position d'attente, prêt à recevoir les réponses nécessaires pour continuer son étude du jugement de l'Affaire Indrani.
modération
Prochaine apparition du MJ:
• Après une réponse chacun -réponse aux questions posées-, plus éventuelles interventions de témoins extérieur si appel il y a.
Il apparaît très clairement, une fois ce dernier fini et la parole reprise par le juge, qu'il n'est effectivement pas dupe. Gavot est un gars réfléchi et perspicace, il fallait s'en douter. La grimace revient quand il lui demande des témoignages au sujet des supposées activités illégales de Vrenn quand il a été en mission pour la Guilde. C'est le point noir de son dossier, normal qu'il appuie dessus, mais ça va être compliqué d'expliquer tout ça. Elle a bien un témoin, mais elle ne sait pas ce qu'il va donner... Quand il demande à Vrenn de faire intervenir quelqu'un de la guilde, la grimace s'intensifie. Elle pense immédiatement à Jack. S'il a été d'une grande aide dans son enquête, aucun doute qu'il défendra aussi le barbu avec la même ardeur. Sa naïveté le perdra. Bizarrement, elle serait quand même contente de le voir. Il a cette aura qui calme les esprits autour de lui, c'est agréable.
Inspirant profondément, Zahria lâche la main d'Elina. Elle aurait pu lui demander de témoigner, aussi. Peut-être même qu'elle aurait accédé à ses supplications, au bout d'un moment. Mais il était hors de question de la mettre en danger ou de lui risquer son poste. Zahria mieux que personne comprend ses agissements quant à son connard de père, mais elle sait aussi que l'administration ne sera pas clémente s'ils apprennent ce qu'elle a fait, tout autant capitaine qu'elle soit. Quand elle se lève, elle est plus déterminée que jamais. Vrenn aura ce qu'il mérite, et elle va l'empêcher de continuer à faire du mal. A se faire du mal.
Quand elle repasse à la barre, le regard du maître-espion la retrouve. Pourquoi il la scrute, comme ça ? Il ne lui fait pas confiance, ou quoi ? On dirait qu'il attend quelque chose d'elle, mais elle n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Comme s'il était déjà en haut des escaliers, et la regarder gravir les marches en rampant avec son petit sourire narquois. Qu'est-ce que ça va être bien, de plus voir sa gueule, une fois l'affaire finie... Au pire, si on propose de la réintégrer, elle demandera à faire partie de la régulière. Ou mieux, du Blizzard. Elina la protégera, ce sera tranquille. Mais plus jamais sous les ordres de ce vieux croulant. Elle va finir par faire un ulcère, sinon.
Elle plante son regard dans les yeux du juge, puis reprend la parole, brièvement.
« Haut-Juge Gavot, j'ai deux témoins à vous présenter. Le premier confirmera mes dires sur l'affaire de Terranglae, pas seulement le meurtre d'Andrew, avoué par monsieur Indrani, mais l'intégralité de la famille, pour prendre conscience de la gravité des actes de l'accusé. Le deuxième est un collègue de monsieur Indrani, et par collègue, je ne parle pas de son activité au sein de la Guilde. Mon témoin a accepté de parler en tant qu'indicateur de la Garde pour une peine allégée de ses propres crimes. »
Elle marque une pause. C'est ce deuxième témoin qui sera déterminant. C'est ce deuxième témoin qui a le moins de choses à raconter. La zone d'ombre de son dossier risque d'encore s'agrandir, si son témoignage est trop flou. Mais il faut essayer, malgré tout.
« J'appelle monsieur Nando, le garde de feu Andrew de Terranglae. »
Le balourd se lève, et d'un pas mal assuré, intimidé qu'il est, s'avance. Il salue l'assemblée et s'assoit sur la chaise prévue à son effet.
« Avez-vous déjà vu cet homme, monsieur ?
- C'est difficile à dire, en vrai. Mais j'en ai souvent entendu parler. Mon patron se confiait souvent à moi, quand il était ivre.
- Que vous a-t-il confié, exactement ?
- Qu'il planifiait le meurtre de ses frère et soeur, ainsi que de son père.
- Pourquoi faisait-il ça ?
- Pour hériter, je crois... Andrew n'était pas forcément le gars le plus sain.
- Et dans quel contexte vous a-t-il parlé de monsieur Indrani ?
- Il a dit qu'il avait un gars, un gars qui pouvait se faire oublier, que même lui il avait du mal à savoir comment il s'appelait ou à quoi il ressemblait. Que le gars venait, on lui donnait la cible et une bourse de cristaux, et quelques jours plus tard, l'affaire était résolue, proprement.
- Par affaire résolue, vous parlez de meurtre ?
- Oui. »
Murmure dans la foule. Elle tient son auditoire, visiblement.
« Comment faisait-il appeler l'homme en question ?
- Par un réseau d'informateurs. Apparemment, c'était pas simple de l'atteindre, à cause de son pouvoir. Mais il finissait toujours par venir. C'est ce gars-là qui s'est occupé de toute la famille de Terranglae.
- Merci, monsieur Nando, ce sera tout. »
Il se lève et retourne à sa place, alors que Zahria appelle son deuxième témoin, sans prendre le temps de tirer de conclusion sur ce premier témoignage. Autant les télescoper, ça donnera moins le temps de se rendre compte de la pauvreté du deuxième.
« Monsieur, avez-vous déjà vu cet homme ?
- Nan. J'crois pas.
- Et connaissez-vous le nom de Vrenn Indrani ?
- Ptête bien, mais chuis pas sûr.
- Que pouvez-vous me dire sur votre collègue qui se fait oublier ?
- C'est une légende qu'on se raconte, parmi nous. Paraîtrait qu'il y a un gars, un peu dur à contacter, mais diablement efficace. Il vient, il fait le taf, il se casse, personne ne s'en souvient.
- Par dur à contacter, qu'est-ce que vous entendez exactement ?
- Ça passe par plusieurs bouches, jusqu'à ce qu'il y en ait un qui le trouve. Ou alors, il se fait trouver lui-même.
- Avez-vous déjà travaillé vous-même avec lui ?
- C'est possible, ouais. Mais j'm'en souviens pas.
- Ce sera tout, merci. »
Gavot n'a pas l'air convaincu. Elle ne l'est pas non plus, mais c'est ce qu'elle a dégoté de mieux. Ceux qui étaient un peu plus proches de Vrenn qui avait plus d'informations ont refusé de témoigner. Carte de visite de Jack ou pas, ça n'a pas suffi. Mais elle n'a pas encore joué sa dernière carte. C'est le moment de tenter le coup de poker.
« Monsieur le juge, au vu de ces deux témoignages, je pense que nous pouvons conclure qu'il est extrêmement difficile de parler de monsieur Indrani. Son pouvoir le rend dur à appréhender et à contacter. Pourtant, s'il y a bien quelque chose qui ressort de tout ça, en dehors du côté "légende" qu'il semble exploiter, c'est que malgré le fait qu'on ne se souvienne pas de lui, les racontars laissent traîner des traces sur son existence et la véracité des preuves que j'ai avancé. Au vu de tous ces éléments, je demande donc que l'on soumette monsieur Indrani à la potion de vérité. C'est une occasion très rare de le faire avouer tous ses crimes, et tous ceux auxquels il a assisté. Nous pourrions résoudre un grand nombre de cas avec l'utilisation d'une seule potion, et nous rendre compte de l'immensité de zones d'ombres qu'il nous reste à explorer dans le crime organisé sur notre royaume. »
Et voilà. Elle ne peut pas faire mieux que ça. Si Gavot refuse, ils passent à côté d'une source d'informations énorme. Mais elle est confiante. Tous les témoins que Vrenn pourra sortir n'apporteront rien de plus. Evidemment, qu'il a bossé pour la Guilde, il en avait besoin comme alibi. Mais ça n'empêchera pas que la curiosité d'en savoir plus sera trop forte. Et que, tout aussi chère que la potion puisse être, s'il y a bien une occasion pour laquelle elle sera utile, c'est celle-ci.
J’sens le juge pas hyper réceptif. Faut dire, c’est son boulot, de pas se laisser emporter par les émotions, mais quand ça commence à parler exil et peine de mort, j’dois dire que j’fais pas le malin. Normalement, y’a qu’un seul meurtre avéré, et qu’il est possible de prouver, et j’compte bien là-dessus pour faire valoir que la mort est trop rude pour une erreur faite dans l’impulsion du moment. Mes arguments pour justifier que j’ai perdu les pédales n’ont pas marché, mais j’en trouverai facilement d’autres.
Après tout, avec mon premier discours, j’ai commencé à en apprendre sur lui, donc il faut continuer à creuser ce qui le fait marcher, réagir, pour le pousser dans le bon sens.
« A la Guilde, les entrées se font par une plaque d’examinateur, que je pourrais vous montrer si je l’avais. Je pense qu’elle a été saisie dans tous les cas par la Garde, et qu’elle pourra facilement faire parties des pièces à conviction, ne serait-ce que pour prouver mon identité. Concernant le travail au jour le jour, certains collègues gardaient un souvenir de moi quelques temps, mais j’étais bien référencé dans les listes des examinateurs officiels, avec les horaires travaillés, et la liste des dossiers sur lesquels j’ai travaillés.
Je ne vais faire à personne l’affront d’expliquer en quoi consiste le travail d’un examinateur, mais il est très simple de tracer quelles sont les quêtes et aventuriers sur lesquels j’ai pu enquêter au fil de ma carrière. J’ai d’ailleurs été employé du mois pendant la saison fraîche il y a une dizaine d’années, normalement un cadre magique est toujours accroché avec les autres. »
C’était avant que Jack n’arrive. Depuis, c’est devenu bien plus compliqué, il a un peu tendance à rafler les récompenses. Heureusement, Lou veille au grain, et seul le chiffre vaut pour lui.
« Dans les témoins que j’ai demandés, vous trouverez Lou Trovnik, qui gère les équipes d’examinateurs. »
Je me rassois, et j’laisse Zahria appeler ses témoins. Le gorille du Godet Doré, c’était évident. Puis un autre gars qui sort de nulle part, j’l’ai probablement déjà croisé, je sais pas… il pourrait avoir le même pouvoir que moi, pour ce que j’en sais. J’ai beau creuser, pas moyen de me rappeler si on a déjà échangé sur des boulots, que ce soit en tant qu’intermédiaire ou simple collègue. Bon. Le témoignage du garde du corps est emmerdant, mais c’est jouable. Celui de l’autre, par contre, c’est l’aubaine.
Une fois que Zahria a terminé, j’me lève, et j’rappelle les témoins dans le même ordre. Ce sera le mieux, pour l’impact.
« Monsieur… Nando, c’est ça ?
- Tout à fait.
- M’avez-vous déjà vu ?
- Oui.
- Quand ?
- Le soir où vous avez tué Andrew de Terranglae.
- M’avez-vous vu à une autre occasion ? »
Il hésite visiblement.
« … Oui.
- Vous ne semblez pas sûr de vous, Monsieur Nando.
- C’est que je vois beaucoup de gens, en étant vigile à l’entrée, et…
- Diriez-vous, Monsieur Nando, que j’ai un physique remarquable ? »
J’le laisse me jauger, ma taille moyenne, ma corpulence qui sort pas de l’ordinaire, mes traits somme toute normaux. Puis j’tourne sur moi-même, pour que la salle puisse faire de même.
« Ou diriez-vous, Monsieur Nando, que je ressemble un peu à monsieur tout-le-monde, quelqu’un qu’on pourrait croiser dans la rue plusieurs fois sans s’en rendre compte ?
- Je ne comprends pas bien la question.
- Je cherche à savoir si, nonobstant mon pouvoir, vous ne me confondriez pas avec d’autres clients occasionnels du Godet Doré. »
Il soupire.
« Je ne me souviens pas.
- Merci, Monsieur Nando. Ce sera tout. J’appelle à la barre le deuxième témoin. »
Il arrive, et s’il est en train de témoigner à un procès, c’est qu’il doit pas avoir le choix. Donc il doit s’être fait chopper pour autre chose, sinon jamais un type lié au crime se pointerait ici.
« M’avez-vous déjà vu ?
- Comme j’ai dit avant, je crois pas.
- Et est-ce que Vrenn Indrani, comme nom, ça vous parle ?
- Non plus. Pourquoi on pose les mêmes questions que…
- Pour bien cadrer la suite. Pourquoi êtes-vous ici ?
- Euh, ben, pour témoigner sur le fait que quelqu’un fasse des boulots au sein du monde du crime, mais que personne se souvient, et…
- Pardon, je vais clarifier. Pourquoi quelqu’un qui se revendique comme appartenant au monde du crime, des délits, comme vous le faites manifestement, accepte-t-il de témoigner à un procès ?
- Je… je comprends pas la question.
- Elle est simple, pourtant. N’y a-t-il pas une règle plus ou moins implicite qui dit que, quoi qu’il arrive, on ne coopère pas avec les autorités en témoignant contre des confrères ? Dans l’hypothèse où, bien sûr, je serais un criminel.
- C’est… euh, c’est plus compliqué que ça.
- Pourtant, dans les informations à la criée, on entend régulièrement parler de règlements de comptes, et il y a quelques années, un trafiquant a, de mémoire, été retrouvé pendu après avoir subi des sévices, après avoir accepté de balancer ses copains. Cette affaire vous rappelle-t-elle quelque chose ? »
Il jette un regard vers Zahria.
« Inutile de regarder l’accusation, monsieur. Vous souvenez-vous de cette histoire ?
- Oui. »
En même temps, ça avait fait les gorges chaudes de la Capitale, on en avait parlé pendant des semaines. Et j’avais rien à voir avec le bouzin.
« Donc, je reprends ma question précédente, pourquoi avez-vous accepté de témoigner aujourd’hui ?
- Je… ça m’a semblé être la bonne chose à faire.
- En tant que membre autoproclamé du monde du crime, avez-vous actuellement des problèmes avec la Garde ?
- Ce n’est pas l’objet du procès, si ?
- Oh, si, justement. »
Il baisse les yeux.
« Répondez, ordonne le Haut-Juge.
- Je suis actuellement sous le coup d’une inculpation pour vol avec violences suite à effraction dans la maison d’un riche marchand.
- Merci, que j’fais. Et en témoignant, vous a-t-on fait miroiter une remise de peine quelconque ?
- … Oui.
- Ce sera tout pour le deuxième témoin. J’appelle à la barre Lou Trovnik. »
Il arrive, égal à lui-même, tout sec, austère, avec une liasse énorme de parchemins dont il n’a pas besoin sous le bras. Mais ça lui servira d’appui, pour montrer aux autres qui ne connaissent pas tout par cœur.
« Bonjour, Lou.
- Bonjour, Vrenn.
- Vous vous souvenez de moi ?
- Oui.
- Parfait. En terme de charge de travail, comment qualifieriez-vous le travail d’Examinateur de la Guilde ?
- C’est un travail exigeant, qui demande minutie, organisation, clarté. Il nécessite de lire les rapports des aventuriers, généralement très mal écrits, ainsi que les retours ou les requêtes faits par les clients. A partir de là, il faut identifier les signaux faibles permettant d’évaluer d’une part si la quête est vraie, si son exécution est correcte, et enfin assurer le paiement, tout en assurant le suivi des aventuriers.
- Diriez-vous que le travail d’un examinateur est… comment dire… léger, tranquille, peu fatigant, bref, qu’un examinateur se la touche gentiment ?
- Pas dans mon service.
- Comment évalueriez-vous le travail de Vrenn Indrani ? »
Il tourne quelques pages, probablement pour arriver sur les notes qu’il a à mon sujet. Il ne baisse même pas les yeux dessus.
« Appliqué, ordonné, efficace pour le recouvrement des créances ainsi que l’investigation préalable des quêtes. Moins performant dans l’analyse et la relecture des rapports. Quelques missions ratées à son actif, ratio dans la moyenne haute.
- Merci, Lou, ce sera tout. »
Je ne sais pas si Zahria voudra l’interroger. Y’a pas grand-chose à en tirer d’autre, de toute façon, à part des chiffres et des analyses aussi sèches que sa personne.
« Voilà donc ce que nous avons. Un témoin du meurtre que j’ai fait de sang chaud, qui ne sait pas s’il m’a déjà vu au préalable. Un inconnu que je n’ai jamais vu et qui relate une rumeur qui court dans le monde de la pègre, qui pourrait indiquer n’importe qui, quelqu’un ayant le même pouvoir, un hypnotiseur, que sais-je… et qui témoigne parce qu’il a lui-même maille à partir avec la Justice. Et mon chef, qui souligne bien la charge de travail des examinateurs et l’efficacité que j’ai toujours mis dans mon travail, et qui lève une question plutôt simple : quand est-ce que j’aurais le temps de commettre des crimes ? Quand est-ce que je dors ? »
La réponse, c’est que je dors peu, mais ils n’ont pas besoin de le savoir.
« Une fois de plus, je souligne ne pas remettre en cause ma culpabilité pour le meurtre d’Andrew de Terranglae. Un coup de chaud, voir la bourse de cristaux, je serais bien incapable de dire les raisons de mon acte. Mais au-delà de ça, qu’avons-nous ? Rien. Il n’y a rien. »
Je m’incline en direction des officiels et du Haut-Juge, puis je retourne à ma place, en jetant un regard à Zahria. Si je bois la potion, ça va devenir très compliqué. Il restera la sémantique, je suppose. Mais ça fera léger pour une question directe. Le sérum, ça fait partie du pire qui pourrait m’arriver, j’crois bien.
Les témoins s'enchainent, les avis fusent au rythme des questions posées. Par moment les murmures se lèvent, très vite rappelés à l'ordre par le marteau du Juge Gavot. Soupirant par intermittence, il tourne les pages du dossier devant lui pour tenter de poser les meilleures questions et avoir accès aux meilleures réponses. Mais quand un état de fait est présenté d'un côté c'est presque immédiatement qu'il se retrouve en opposition et par le biais de la même personne qui plus est. Tout et son contraire. L'affaire s'enlise et le Haut-Juge n'aime pas ça.
Embrassant l'auditoire de son regard dur et froid, Yeolus Gavot essaye tant bien que mal de trier toutes les informations qui ont été présentées devant lui. Ses yeux croisent ceux du Maitre-Espion de la Garde, du Commandant, de plusieurs Ministres. Certains se risquent d'une signe de tête d'approbation, marquant leur soutient quant à l'idée simple d'une condamnation arbitraire. Il faut dire que cela aurait le mérite de couper court à cette mascarade d'avis partagés sans élément probant pour mener à un véritable verdict tangible.
"Il me semble clair que l'impasse dans laquelle nous nous trouvons est implicitement liée avec le pouvoir qu'est celui de l'accusé, Vrenn Indrani." lâche finalement le Haut-Juge "Un pouvoir qui provoque l'incertitude, un facteur sur lequel vous semblez visiblement prompt à invoquer pour clamer votre innocence quant à votre lien avec la pègre organisée du Royaume. Votre second témoignage sera d'ailleurs considéré comme non-recevable de part les menaces sous-jacentes de votre discours." conclu t-il en frappant de son marteau pour asseoir sa décision.
Laissant son regard se poser désormais sur la dénommée Zahria Ahlysh, sa bouche se pinça face à la décision qu'il s'apprêtait à rendre. Ce n'était pas son style mais il se refusait à simplement rendre verdict sur une simple suites d'hypothèses toutes aussi volatiles les unes que les autres.
"Il me semble donc qu'effectivement l'usage de la Potion de Vérité soit recommandé afin d'éclaircir les brumes qui recouvrent plusieurs chefs d'accusations précédemment énoncés. Si vous n'avez pas d'autres témoins à faire intervenir pour le moment, je propose de lever momentanément cette séance pour passer le relais aux Interrogateurs de la Garde qui se chargeront d'administrer la dite potion à l'accusé Vrenn Indrani. Je présiderais le dialogue qui s'en suivra, accompagné du Ministre de la Justice de la personne et d'un greffier en la présence de Maitre Elone."
Laissant tomber son annonce qui, une fois de plus, provoqua plusieurs murmures qu'il fit aussitôt taire, Yeolus Gavot jugea hautement les précédents témoins qui se sont suivis à la barre.
"Si l'un des témoins souhaite revenir sur les éléments qu'il a avancé plus tôt, qu'il le fasse maintenant."
Le silence retomba. Sans mouvement de la part de l'audiance, la séance sera donc ajournée pour procéder à l'interrogatoire de l'accusé par biais de Potion de Vérité. Tout pointait en ce sens et la Justice saura triompher de ce sombre imbroglio qu'est le cas Indrani.
modération
Prochaine apparition du MJ:
• Après une réponse chacun.
En cellule.
Avachi sur mon tabouret, j’regarde mon copain le rai de lumière avancer doucement.
Y’a que le silence autour, malgré le fait qu’il fasse jour. Les autres détenus sont calmes, ou dorment encore, j’sais pas. Faut dire qu’on se marre pas tous les jours, ici. Difficile d’avoir une vraie conversation, même avec les menottes. Et la majorité est pas dans une situation aussi mauvaise que la mienne. J’rejoue le procès en boucle dans ma tête, sa fin, les décisions prises.
Aucun témoin a eu quoi que ce soit à ajouter. Sérum de vérité, donc. C’est pas loin d’être la pire option. M’étonnerait qu’ils soient incapables de faire de la sémantique, et que j’puisse m’en sortir sur une pirouette comme ça. Donc ouais, exil dans les terres glacées. On a tous été élevés, biberonnés aux histoires sur l’au-delà de la Frontière, la promesse de mort qui s’y trouve, le climat inhospitalier et les monstres létaux. Et pour les monstres, c’est carrément avéré, d’après les rapports de la Guilde.
J’ai pas envie de mourir.
Craquement de la porte, pas dans l’escalier. J’reconnais le pas de Zahria.
J’soupire.
Ma perception du temps a changé, brusquement. Il passe toujours aussi lentement, et pourtant beaucoup plus vite. La potion de vérité… J’me demande combien de temps il leur faut pour la préparer, ou pour la débloquer du coffre-fort surprotégé dans lequel elle se trouve. Ça se trouve, y’a des kilomètres de paperasse et ils vont pas y arri… Nan, c’est le haut-juge qu’a donné l’ordre, alors ça fait pas un pli. C’est p’tet juste le temps de l’apporter.
Elle ouvre la porte, voit que le tabouret est pris, et s’assied sur le lit défait. J’vois pas bien pourquoi j’me donnerais la peine de le faire, faut dire.
« Contente ? Que j’demande.
- Hm. Je crois bien, oui.
- Tu crois seulement ? Alors que t’as gagné ? »
Sarcastique.
Elle hausse les épaules.
« Et toi, t’es content, Vrenn ?
- Pas tant, j’dois dire. J’aurais mauvaise grâce de m’plaindre, j’suppose, j’connaissais les risques du métier.
- Ah, tu ne clames plus l’innocence ?
- Un peu tard, j’pense.
- Oui. »
Quand on joue, on peut perdre. J’ai gagné pendant vingt piges, puis j’ai perdu. Comme un boxeur qui finit dans les cordes, puis au trou.
« Tu regrettes ?
- De m’être fait chopper, ouais. »
Elle me jauge.
« Tu veux une cigarette ?
- Toujours. »
Zahria la roule, les yeux dans le vague, sur le rai de lumière qui bouge plus. Plusieurs heures encore avant qu’il disparaisse. Puis quelques cycles comme ça avant que je disparaisse aussi. Le bon côté, c’est que personne s’en souviendra.
« Tu ne regrettes pas ce que tu as fait ? Les crimes commis ? Le mal occasionné ? »
J’ai un p’tit rire.
« Nan. Si j’l’avais pas fait, quelqu’un d’autre s’y serait collé. C’est comme ça qu’on est.
- On ? Les criminels ?
- Les gens. Que ce soit toi, moi, mon voisin, le mec du bout de la rue ou la nana du pâté de maisons d’à côté, quelqu’un aurait fait mon boulot, pasque y’avait du boulot à faire.
- Mais pourquoi toi, du coup ? Pourquoi pas juste la Guilde ?
- J’sais pas. Ça s’est fait comme ça, comme la plupart des gens. Personne choisit vraiment, on suit juste un tracé qui se fait de lui-même. »
Elle me tend la roulée allumée, s’en prépare une. J’tire la première bouffée les yeux dans le vague.
« Ça marchait bien, c’était simple. Y’avait du défi, pas de questions, pas de conséquences…
- Pour toi. Pour les autres, par contre…
- Ouais ben justement. A défaut d’être retenu, je laissais une trace dans l’histoire avec un petit h. D’ailleurs, ça a marché, puisque t’as réussi à me chopper.
- Juste laisser une trace ?
- Un moyen comme un autre, plus personnel que la Guilde, j’suppose. »
Dans les cellules proches, ça s’agite un peu. Normal, vu l’heure. Le maton devrait pas tarder à passer avec le petit-déjeuner, j’pense. Ils doivent pas nous entendre, cela dit, vu qu’on parle pas très fort. Quand bien même… J’me dis que tout semble assez vain par rapport à la perspective de mon Exil prochain. Cela dit, si j’me fais oublier et que j’parviens à repasser la Frontière dans l’autre sens… Elle tire sur sa clope.
« Tout ce que tu voulais, c’était laisser une trace dans le cours des événements ? Vraiment ?
- Une preuve d’existence en plus des papiers de la Guilde sur lesquels y’a mon blase. Au moins, j’suis devenu un genre de légende, à écouter ton témoin.
- Il n’était pas terrible, d’ailleurs. »
Rire bref.
« Mais ça a suffi.
- Oui. »
Elle a presque l’air plus triste que moi, dis donc.
Elle tapote le bord du lit avec son ongle, puis lève brusquement la tête.
« Bon, je vais y aller.
- T’as même pas fini ta clope.
- Je la finirai en chemin.
- ‘Sûr, j’voudrais pas de retarder. Rentre bien.
- Merci.
- Et reviens quand tu veux, j’bouge pas, pour le moment, mais c’est une édition limitée. »
Quand elle est partie, j’regarde le rai de lumière.
Il a bougé de quelques millimètres, mais j’aurais préféré que non.
Y'a Ruth qui passe sa petite tête par la porte, elle sourit timidement à Zahria sans rien lui dire. Le maître lui commande le thé et le petit déjeuner, et la gamine ressort aussi vite pour aller chercher ça. Il finit par s'asseoir à son bureau, après être passé une dernière fois derrière Zahria alors qu'elle tirait sa chaise, en fronçant les sourcils et retroussant ses narines.
« Vous avez encore fumé, Zahria.
- Je préférai quand vous m'appeliez Ombre, Maître.
- Je n'appelle que mes espions par un nom de code. »
Coup dur. Mais bon elle le savait. De toutes façons elle n'a aucune intention de revenir sur ses ordres. Il la fixe de son regard instigateur, mais ne semble rien vouloir dire de plus. Pourtant c'est lui qui lui a donné rendez-vous. Comme d'habitude, on dirait qu'il la teste, et ça hérisse le poil de la noiraude.
« Pourquoi vous m'avez fait venir ? Le cas de Vrenn Indrani n'est plus entre mes mains.
- Vraiment ?
- Sérieux, ça vous fait pas chier, vous, ces entrevues ? Vous l'avez dit, je fais plus partie de vos espions, vous avez pas mieux à faire que me demander de passer aux aurores pour vous regarder me dévisager ?
- Et vous, vous aviez mieux à faire ? J'ai entendu dire que vous ne faisiez pas spécialement de grasses matinées non plus...
- Vous avez encore mis Calixte sur mon cul ?
- Non, pas le Damoiseau. Pas besoin. »
Zahria soupire en ouvrant et fermant son poing à plusieurs reprises pour se calmer. Il a le don de la mettre dans tous ces états, pour sûr. Ferisen rentre dans la pièce, après un petit salut pour les deux adultes qui sont en plein combat de regards. Il bute sur le prénom de Zahria, manquant de l'appeler Ombre, mais visiblement il a eu des directives à ce sujet. Le gamin se rend compte qu'il vaut mieux garder le silence, et se précipite vers la bouilloire, pour se rendre compte qu'elle est vide, et sortir avec l'ustensile dans l'idée de la remplir.
« Vous ne devriez pas fumer.
- Mais je vous emmerde, bordel, je fais c'que j'veux !
- C'est une odeur facilement détectable.
- Je ne suis plus sous vos ordres. Je ne suis plus actuellement sous les ordres de personne, je vous rappelle.
- Ça reviendra, vous retrouverez bientôt du travail.
- En attendant, si je veux fumer, ça ne concerne que moi. »
Ferisen rerentre, la bouilloire entre les mains, et la pose sur le feu après avoir jeté quelques herbes dedans. Il se dépêche de ressortir, préférant ne pas rester dans cette atmosphère électrique.
« Pourquoi je suis là ?
- Ça me fait plaisir de vous voir, tous les matins.
- Vu la tronche que vous tirez, ça vous fait pas plus plaisir qu'à moi, Maître. Qu'est-ce qui a, j'ai pas dit ce qu'il fallait au procès, vous allez me taper sur les doigts, c'est ça ?
- Vous l'avez dit, vous n'êtes plus sous mes ordres, je ne peux pas vous forcer à dire quoi que ce soit. Le procès ne s'est pas trop mal déroulé. Malgré votre témoin bancal.
- J'avais rien de mieux.
- Des fois, il vaut mieux rien faire que faire une bêtise.
- Pas ma mentalité.
- J'avais remarqué. »
Ils se toisent encore quelques secondes, puis Zahria se lève, agacée.
« Bon, c'est pas que ça me fait chier qu'on se lance des fions comme ça, mais j'ai d'autres choses à faire, en fait.
- Ah, vraiment ?
- Pas vous ?
- Si, absolument. Mais vous pourriez peut-être rester déjeuner, je connais l'état de vos finances.
- Putain, mais vous êtes amoureux de moi, ou quoi ? Vous en avez pas marre de me faire filer ? Vous avez peur que je finisse comme Vrenn, c'est ça ?
- Peut-être. Vous pensez qu'il a choisi de finir comme ça, Zahria ? »
Il écoute aussi ses conversations, ou il a tapé extrêmement juste ? C'est le sujet des questions qu'elle a posé à Vrenn une heure plus tôt. Peut-être que le Maître la connait un peu trop bien, malgré leurs différends. Zahria reste interdite, mais le petit sourire qu'elle voit naître sur les lèvres du Maître lui montre qu'il a compris qu'il la tenait.
« Pourquoi lui, mademoiselle Ahlysh ?
- Parce que j'étais la seule à pouvoir le faire.
- Vraiment ? »
Oui, tiens, vraiment ? Vrenn l'a dit lui-même, il a laissé des traces, un autre n'aurait-il pas pu les suivre, avec un peu de rigueur ? Pourquoi cette affaire lui a-t-elle autant tenu à coeur ? Elle se rassoit, comprenant où le Maître veut la mener.
« Parce que ça aurait pu être moi.
- Quel âge avez-vous, Zahria ?
- Vous le savez très bien. Je viens d'avoir trente-trois ans.
- Et pourtant, vous parlez et vous agissez toujours la gamine que vous étiez il y a dix ans, quand vous êtes revenue de votre précédente mise à pied, la queue entre les jambes. Il serait peut-être temps de mettre un peu de plomb dans votre tête.
- Mais c'est pas bientôt fini ?! Vous vous croyez parfait vous ? Parce qu'on ne sait rien de vous, même pas votre nom, vous vous croyez à l'abri de nos critiques, de nos avis, de nos sentiments, certainement ? Vous vous permettez de juger, assis sur votre trône, sans jamais rien lâcher, et vous vous dites qu'on est que du bétail à guider, c'est ça ? Les espions sont ma famille ! Mes mentors, mes apprentis sont ici, c'est un crève-coeur pour moi que de devoir les abandonner ! Mais je n'avais pas le choix, cette mission... c'était pour la sécurité de tous, pour la sécurité du royaume ! Vous avez refusé de m'aider, et maintenant vous prenez le crédit de mon arrestation ! Ça vous va bien, à vous, qu'il soit envoyé en exil après avoir avoué tous ses crimes, n'est-ce pas ! Un criminel en moins, une chieuse en moins à gérer ! C'est parfait ! Tout bénéf pour votre sale gueule ! Et les autres, les plus dociles, comme Calixte, ou Vaelin, ou Lichael, ils ne diront rien, ils vous laisseront les mener à la baguette sans se demander si vos choix sont bons ou pas ! Mais vous êtes comme les autres, comme les mecs sur lesquels vous nous faites espionner, vous n'en avez rien à foutre de nous, vous êtes là pour toucher votre salaire, gagner vos petits secrets à utiliser contre vos potes nobles, et puis c'est tout ! Vous ne valez pas mieux que moi, vous ne valez pas mieux que Vrenn, il n'a pas eu le choix, lui ! Il a fait ça parce qu'il ne voyait pas d'autre moyen pour s'en sortir ! Parce qu'il n'a pas eu la chance de naître avec un balai en or dans le fion, comme vous ! »
La chaise a fini au sol, et ce bibelot sur la table, écrasé contre le mur. La porte derrière s'est ouverte et refermée dans le même mouvement. Les yeux de Zahria sont exorbités, et plus clairs que jamais, comme si elle essayait de capturer toute énergie autour d'elle. En face, le Maître s'est reculé, mais il a toujours l'air calme. Elle prend de grandes inspirations en le fixant des yeux, puis abat son poing sur le bureau. Il ne bouge toujours pas, alors elle recule de quelques pas puis sort sa tabatière. Le Maître plisse ses lèvres, mais ne fait pas de commentaires.
Elle ouvre la fenêtre après avoir roulé sa cigarette, puis l'allume et fume à la rambarde. Le Maître se lève alors, ramasse la chaise, puis enlève la bouilloire sifflante du feu, pour servir plusieurs tasses. Il va ensuite à la porte, l'ouvre sur les deux recrues en train d'écouter, rouges de honte. Ruth tient un panier de petits pains, avec un éclair au chocolat sur le dessus. Le Maître lui confie quelques morceaux de pains, et la renvoie ainsi que Ferisen, puis vient poser le panier sur la petite table du salon, avant de revenir vers Zahria, qui a presque fini sa cigarette.
« Venez prendre le petit-déjeuner. »
Ne sachant pas vraiment pourquoi elle répond à son ordre, Zahria le suit, et s'assoit dans le petit salon. Il s'est déjà emparé de l'éclair au chocolat, son petit plaisir personnel, en laissant les petits pains fades au reste de l'univers. Même là-dessus, il n'a aucune considération pour les autres.
« Vous avez le droit de vous énerver contre moi. Je pourrais en faire tout autant contre vous, mais ce serait une perte de temps que d'essayer de vous sermonner. »
Elle lui jette un regard noir, lourd de sens.
« Non, n'essayez pas de me fourrer ce petit pain dans le gosier, tuer le maître-espion ne serait pas très bon pour votre dossier, je vous assure.
- J'ai plus de dossier.
- Justement, je vous ai fait venir pour parler de ça, à la base. Vous voulez faire quoi après le procès ?
- Je sais pas encore. La régulière, je suppose. Ou le Blizzard.
- Je vois. Vous n'avez pas beaucoup d'ambition. Avec vos compétences, vous pourriez viser un poste de garde royal. Ou de Lieutenant, peut-être.
- Peu pour moi. Au pire, ils vont certainement recruter à la Guilde. Chez les Examinateurs, notamment. De toutes façons, le procès n'est pas fini.
- Mais il est bon de discuter de vos projets d'avenir. Vous l'avez dit, vous avez déjà trente-trois ans. D'autres, à votre âge, sont déjà mariées et mères. Ça ne vous manque pas ?
- Du tout. Je me vois pas enfermée dans une baraque à gérer des marmots.
- Et l'amour, tout ça ?
- On va vraiment parler de ça vous et moi ?
- Et pourquoi pas ? Après la scène que vous venez de me taper, je peux bien vous poser quelques questions, non ?
- Pas connu l'amour depuis longtemps. Ça m'intéresse pas.
- Dommage. Ça vous calmerait, peut-être. »
Elle sirote son thé, trempant des morceaux de pain dans le liquide chaud pour le ramollir. Qu'est-ce qui lui prend ? Pourquoi il lui pose ce genre de questions ?
« Et votre ami Vrenn... ?
- C'est pas mon ami.
- Monsieur Indrani, vous pensez, qu'il mérite l'exil ? Il n'aurait pas été mieux, dans une petite maison, avec femme et enfants ?
- Faudrait déjà qu'ils se souviennent de lui.
- Mais sans ça ?
- Sans ça, ouais, peut-être qu'il aurait mené une petite vie posée. Mais je suis pas sûre. C'est un gars qui aime l'action, qui aime bouger, qui a besoin de rester en mouvement, qui a besoin de se dépenser.
- Un peu comme vous. »
Elle avale son morceau de petit pain, puis le regarde intensément. Où veut-il en venir ?
« De toutes façons, la question ne se pose pas, il va certainement être envoyé en exil.
- Certainement oui, vous avez obtenu à ce qu'on le passe sous potion de vérité, je vois mal comment il pourrait y échapper.
- Hm. »
Ils finissent leur petit déjeuner en silence, puis Zahria se lève.
« Je vais y aller. Vous savez où me contacter si vous voulez que je repasse.
- Oui, bien sûr. »
Elle prend ses affaires, et quand elle arrive à la porte, il la hèle une dernière fois.
« Zahria ! Vous avez été un très bon élément. Presque aussi bon que Laret Akamil, si l'on en croit les dossiers sur cette espionne de légende. Même si jamais je ne voudrais retravailler avec vous. Vous êtes un calvaire. A la prochaine fois.
- Ouais. Ou pas. »
La brune referme la porte derrière elle et quitte le pôle espionnage. Laret Akamil ? C'est qui, ça ?
Ça n'a pas été simple de rentrer aux archives. Parce que ce satané maître-espion ne lui a pas rendu sa plaque, et il a fallu montrer patte blanche. Surtout après le fiasco de la dernière fois. Mais bon, elle a fini par réussir, et par chance, à trouver des informations sur la fameuse Akamil. Une espionne de légende, a-t-il dit. Pourtant, il n'y a rien de grandiose dans sa carrière d'espionne. Normal, vu que les dossiers confidentiels ne lui sont pas accessibles, à priori. Mais Zahria a eu la bonne idée, l'intuition même peut-être, de chercher la mention de son nom dans les archives des procès. Laret Akamil. Assassinat et vol à main armé. Recrutée parmi les espions au cours de son procès, après avoir proposé d'elle-même de révéler tout ce qu'elle savait grâce à la potion de vérité et de mettre ses capacités au service du Royaume, sous marque d'asservissement. Ce que les gens sont prêts à faire pour survivre... La marque d'asservissement, cet artefact datant de l'esclavage, est désormais interdit, mais pour l'époque, c'était couillu.
Et évidemment, l'histoire fait un peu trop écho avec celle d'un certain malfrat pour que Zahria se dise que les paroles du maître-espion étaient un simple hasard. Etait-ce vraiment elle, qu'il voulait comparer à Laret Akamil ? Est-ce pour ça qu'il la garde près de lui, malgré sa mise à pied ? Qu'il l'a aidée à préparer le procès ? Veut-il la faire remplacer par Vrenn ? Comment compte-t-il donc obliger le barbu à le servir... Non, c'est lui qui a rajouté la demande d'exil dans son discours, celle-là même qu'elle a supprimé face au juge. Il a été très clair là-dessus, Indrani doit être puni. Il n'acceptera pas de travailler avec un gars comme lui, si déjà il n'accepte plus de travailler avec elle. Pourtant, est-il en train de lui offrir une autre solution ?
Ou bien est-ce un hasard complet, et elle voit là une façon de sauver Vrenn, alors qu'il devrait partir en exil ? Pourquoi est-ce qu'elle insiste à chercher une solution, pourquoi est-elle allée voir ses parents, pourquoi se demande-t-elle comment le sortir de ce calvaire dans lequel elle l'a mis elle-même ? S'il n'est que le miroir de sa propre vie, faire de lui un espion, qu'est-ce que ça fait d'elle ? Va-t-elle prendre sa place à lui ? Trop de questions, ça commence à faire mal à la tête. Zahria sort, laissant les documents bien en place, cette fois-ci. Elle retrouve sa chambre, Dhim encore en train de jouer avec la pièce d'échiquier. Elle lui enlève, la cache, puis se couche. Crevée.
Le lendemain, elle a pris sa décision. Il faut tenter. Les paroles de Vrenn et du maître, les paroles d'Elina même, l'ont hanté toute la nuit. Elle ne croit pas au destin, mais elle a compris pourtant, pourquoi ça lui prenait la tête. Vrenn aurait dû être à sa place. Il mérite une chance de se repentir, elle doit la lui laisser.
Sinon, elle ne vaut pas mieux que lui.
Alors quand elle rentre dans la prison, à l'aube comme d'habitude, c'est pour lui proposer un marché. En espérant qu'il joue le jeu.
Il est tard, donc mon copain le rai de lumière est parti depuis longtemps avec le beau blond qui fait le tour du bâtiment. Il fait pas chaud, mais pas trop froid non plus. Au moins, on peut pas leur retirer ça, on est retenu dans des conditions à peu près acceptables. Si ce n’est que la bouffe est pas terrible et la compagnie pas très bonne, évidemment, mais on fait avec ce qu’on a. J’ai même le droit de recevoir des visites qui m’occupent, entre celles de Zahria, souvent, puis d’autres officiels qui viennent pour une raison ou une autre. Le toubib, aussi, s’assurer que j’dépéris pas avant la fin de mon procès.
On tue les gens, mais humainement.
C’est davantage que ce à quoi j’peux prétendre, cela dit.
Ouverture de la porte. Ça doit être pour un des autres. J’ai les yeux fermés, j’somnole gentiment. J’m’ennuie. A en crever, quasiment. Du coup, quand ma cellule s’ouvre, j’peux pas retenir un élan d’enthousiasme, accentué quand j’vois que c’est Zahria. Au moins, elle me parle, pas comme les autres qui viennent juste pour leur boulot.
« La dernière fois que j’t’ai vue deux fois dans la même journée, c’était juste avant le procès. J’dois m’attendre à un truc du genre ? »
J’ai le ton bravache des gens qui vont mourir bêtement, j’m’en rends bien compte, mais j’vais pas me morfondre sur moi-même. Ça ferait mauvais perdant. Puis on sait jamais, j’survivrai p’tet de l’autre côté de la Frontière, ou quoi, avec mon pouvoir. Les monstres m’oublieront possiblement aussi. Ou les gardes à l’entrée, et j’pourrai revenir après quelques semaines.
J’sais pas qui j’essaie de leurrer. Moi, probablement, et ça marche pas très bien.
Zahria reste appuyée contre le chambranle de la porte, me fixe droit dans les yeux, cherche quelque chose sur mon visage.
« J’sais que j’suis pas rasé, hein. »
Elle prend une inspiration, ouvre la bouche, la referme, recommence.
« C’est vrai, ce que tu as dit tout à l’heure sur le fait que tu étais devenu un criminel un peu par hasard ?
- Par hasard, le terme est p’tet un peu fort… Mais ça s’est fait, ouais. Le pouvoir qui voulait, qui facilitait ça.
- Et tu t’es pas dit que le pouvoir pourrait marcher, être utile, dans d’autres circonstances ? »
J’me creuse les méninges.
« Nan, pas vraiment. Y’a pas beaucoup de contextes dans lesquels le fait d’être oublié de tes collègues est super utile.
- Hm. »
Elle a une idée derrière la tête, mais du coup, j’vois pas trop où elle veut en venir. J’me demande si je devrais pas la pousser un peu…
« T’sais, au stade où j’en suis, c’est pas la peine de prendre des gants. Au pire, d’ici quelques semaines, j’serai dans l’estomac du fenrir ou de toute autre bestiole qui rôde de l’autre côté de la Frontière, alors je risque pas de t’en vouloir très longtemps… »
Comme elle répond touours pas, j’continue. J’suis vraiment devenu une putain de pipelette, à force d’être à l’isolation. Encore un peu et ils auraient même pas eu besoin du sérum de vérité pour que j’déballe tout, tellement j’aurais eu envie de parler à quelqu’un. Quoique si j’avais pas été aux portes de la mort, remarque…
« Mais s’ils recrutent chez les prêtres de Lucy, j’veux bien m’engager, promettre d’être gentil et me faire oublier, hein.
- C’est vrai ?
- Les curés ? Ben… J’ai pas envie de mourir. Tout vaut mieux que mourir. »
Elle hoche la tête, à nouveau, puis va s’asseoir sur le tabouret, cette fois.
« Je suis… J’étais une espionne au service du Royaume.
- Ouais. J’supposais bien que t’étais pas Garde. Etais ?
- J’ai été virée pendant ta traque.
- Ah, les nazes. »
Zahria a un petit sourire.
« Oui, un peu. Mais je suis toujours en contact avec le maître espion. Il a proposé de…
- De me recruter ?
- Voilà. Je ne sais pas encore dans quelles conditions, ni pourquoi, mais…
- Mais c’est mieux que mourir.
- Je suppose.
- Ouais. »
J’cligne des yeux.
« Mais pourquoi ? »
Elle cherche ses mots.
« Parce que nos rôles auraient pu être inversés. »
Je peux pas m’empêcher de hausser un sourcil moqueur. Mais d’un autre côté, elle en sait beaucoup plus sur moi que l’inverse, alors…
« Si tu l’dis. Je signe où ?
- C’est le souci. Maintenant, il faut convaincre les autres…
- Ah.
- C’est ça.
- Pasque tu penses que j’pourrais être utile aux espions du Royaume ? Que je risque pas de me faire la malle en pleine nature ? Que j’suis un individu équilibré et sympathique qu’a envie d’assurer le bonheur de son prochain et la pérennité du pays ?
- Je pense que si on te donne les bons ordres, tu les exécuteras correctement.
- Touché. »
Pour de vrai, en plus, j’ai toujours été balaise pour suivre les ordres.
« Euh, du coup, c’est quoi le programme ?
- On réfléchit aux arguments pour demain matin.
- C’est la potion ?
- C’est ça.
- Ah ben, pas de temps à perdre alors… »
La lumière au bout du tunnel, un élan d’espoir…
J’peux pas m’empêcher d’y croire.
Vrenn Indrani. Un cas épineux. Surement l'un des pires de la carrière de haut-juge de Yelous Gavot. Non pas que l'affaire en soit semblait particulièrement complexe mais le pouvoir de l'accusé rendait chaque assomption difficile à cerner, chaque éléments sensibles aux pures théorisations sans aucuns facteurs concrets pour permettre d'enfoncer le clou une bonne fois pour toutes. La potion de vérité était tout indiquée pour permettre de démêler le vrai du faux, du supposé a l'imaginaire. Et qu'importe son habilité avec les mots, Yeolus saura tourner les questions à l'avantage de la justice.
Le lendemain matin...
Après une dernière nuit de quiétude, le prisonnier fut emmené sous bonne escorte dans une des salles d'interrogatoires de la Prison de la Capitale. Deux gardes pour l'encadrer, un pour ouvrir la marche et un dernier pour clore l'arrière. Beaucoup d'attention pour un seul homme mais si il a été capable de perpétrer nombres de meurtre durant ses mouvements dans le Royaume il valait mieux prendre des pincettes et s'attendre à tout.
Du côté des officiels, bon nombre des têtes d'affiches étaient présents et en attente de l'arrivée de l'accusée dans la salle destinée à accueillir l'interrogatoire sous potion de vérité. Entre autres: Ministre de la Justice, Ministre des Armes, Commandant de la Garde, Maitre-Espion et bien entendu le Haut-Juge en personne qui continuait de superviser l'affaire globalement. Un peu plus et la Reine en personne y aurait été presque conviée elle aussi.
La salle quant à elle était d'une sobriété sans nom. Pièce unique sans fioritures, sans fenêtres, éclairée seulement par de simples torches disposées en appliques sur les murs de pierres froides. Plusieurs chaises en bois installées en arc de cercle où siégera le petit comité d'observation, faisant face à un siège unique et bien plus complexe qui accueillera l'accusé quant à lui. Métal renforcé, socle fixé au sol, des liens pour les poignets au niveau des accoudoirs épais et de même au niveau des chevilles avec un petit trépied pour finir le tout. Il y avait même un petit repose-tête de cuir rembourré avec la possibilité de sangler au niveau du cou et des clavicules si besoin est. Le tout bien sûr imbu de métal anti-magie au même titre que les menottes spéciales de la Garde.
Enfin arrivèrent les gardes de l'escorte accompagnés de l'accusé tant attendu. Aucunes surprises dans aucuns regards, tout les membres présents aujourd'hui l'étaient déjà lors du procès préliminaire. Quelques saluts de rigueur puis Vrenn fut installé sur son siège pendant que le Haut-Juge récitait le texte de loi impliquant l'usage du Philtre de Vérité dans le cas de la résolution d'une affaire nébuleuse. Pendant son laïus, un membre de la Section Scientifique de la Commission s'avança armé d'une seringue contenant le dit liquide. Frottant le bras du criminel avec un petit coton imbibé d'alcool, il s'affaira ensuite à inoculer le tout. Puis ils attendirent tous quelques minutes que l'effet de la potion prenne tout son ampleur, échangeant quelques rares messes-basses entres officiels surement pour terminer d'accorder quelques violons.
"Mesdames, Messieurs, je réclame désormais votre attention." Yeolus Gavot se leva de sa chaise, embrassant l'assemblée du regard "Nous allons désormais procéder à l'interrogatoire de l'accusé Vrenn Indrani sous vérification de Philtre de Vérité comme demandé et établi suite au premier procès exécuté. Vous serez toutes et tous témoins de la bonne conduite de cette affaire ainsi que des propos qui seront révélés aujourd'hui. Si tout ces points sont validés par l'ensemble de l'assemblée, je vais donc procéder à l'interrogatoire." il attendit quelques secondes, de quoi voir chaque membres opiner du chef pour faire chacun preuve de leur accord sur la suite des événements. Puis il se retourna vers le sujet du jour.
"Monsieur Indrani. Première question. Vous avez êtes inculpés pour le meurtre de sang-froid sur la personne de Andrew de Terranglae ainsi que pour la participation à l'assassinat des membres de la famille de Terranglae en général. Niez vous ces accusations et votre participation à ces actes criminelles?"
Un temps.
"Deuxième question. Vous êtes membres présumés d'un réseau de crime organisé à travers l'étendu de notre Royaume, ayant participé à plusieurs meurtres prémédités, le tout sous couvert de votre fonction d'Examinateur à la Guilde des Aventuriers. Niez vous ces accusations? Si non, citez moi des noms de cibles ayants été nommées pour vos bons soins."
Un temps.
"Troisième question. Vous avez tiré profit et avantage de votre pouvoir naturel qui crée l'oubli de votre personne chez quiconque vous perd de vue pendant trop longtemps, profitant de cet anonymat magique pour vous enrichir dans le monde du crime. Niez vous ces accusations et cette utilisation fallacieuse de vos talents innés?"
Ce sera tout pour le moment. A coup sûr que les éléments découverts sauront lever le voile sur plusieurs détails encore obscurs de cette affaire.
modération
Prochaine apparition du MJ:
• Après une réponse chacun.
La salle est moins classe que hier, mais y’a toujours du gratin. J’devrais être fier de nécessiter le déplacement d’autant de gens importants. Si j’m’en sors pas, ce sera une belle dernière marque laissée, j’suppose. Quoique, ils en ont probablement pas grand-chose à foutre, et doivent en voir à la pelle, des trucs pareils. Enfin bon, le but c’est qu’ils m’oublient quand je gambaderai à nouveau librement dans les prés, peut-être en tant qu’espion, ou simple garde, ou peu importe tant que c’est pas la Frontière, en fait…
La piqûre fait pas mal pour un sou, mais j’ai une impression étrange. C’est indéfinissable, et pas le moment de se pencher dessus. J’concentre toute mon attention sur le Haut-Juge, et du coin de l’œil j’observe Zahria. J’me rappelle ce qu’on a répété, l’argumentaire prévu pour faire face.
Première question.
C’est une erreur, je m’appelle Jean-Charles d’Ornecourt.
Les mots refusent de sortir de ma bouche, et j’reste figé comme un connard avec la bouche ouverte. Bon, ça valait le coup de vérifier les effets exactes du sérum de vérité, cela dit, c’est pas du gâchis.
« J’avoue le meurtre d’Andrew de Terranglae. Je nie la participation à la mort de la famille de Terranglae de manière générale. »
Zahria m’a dit que la mère, la femme du père, était morte il y a quelques jours des suites de sa maladie et du chagrin. Une aubaine, ça veut dire que j’les ai pas tous tués moi-même.
Deuxième question.
« Je nie ma participation à un réseau de crime organisé à travers tout le Royaume. »
J’ai toujours été indépendant, et n’ai travaillé que sur la base de contrats ponctuels, limités dans le temps, pour des tâches précises.
Troisième question. Plus épineuse. Je me suis enrichi, mais était-ce réellement l’objet ? Bon, de toute façon, à voir le regard énervé que me lance l’espionne, c’est p’tet pas le moment de continuer à faire le p’tit malin, surtout que ça risque de me retomber sur le coin du museau, vu que tout sera basé sur ma bonne foi.
« Je ne nie pas l’utilisation de mon pouvoir dans le monde du crime, je ne nie pas l’enrichissement qui en a découlé, je nie que c’en était l’objectif premier. »
Bon, l’heure du grand saut dans l’inconnu.
« Monsieur le Haut-Juge, mesdames et messieurs les Ministres, Commandant, autres illustres inconnus… »
Petit sourire en coin à ce salut adressé aux gens que j’reconnais pas.
« Je souhaite négocier, avec l’aide de mon avocat improvisé, mademoiselle Zahria Ahlysh, Garde du Royaume. En gage de bonne foi, et sous couvert de la potion de vérité, je tiens à vous assurer que tous les crimes que j’ai commis ne l’ont pas été par nécessité, ou par appât du gain en soi. L’enrichissement dû au crime n’était qu’un à-côté appréciable. Oh, évidemment, jamais je n’ai craché sur les cristaux que cela m’a rapporté, et qui m’ont permis de vivre très confortablement. »
Je jauge la salle, et la plupart des huiles portent maintenant davantage d’attention à ce que je raconte, maintenant que c’est pas juste un jeu de questions-réponses avec le Haut-Juge. C’est qu’ils ont dû en subir, des interrogatoires longs et fastidieux à la recherche de la formule sémantique qui permettrait de faire dire ce qu’on veut entendre à l’accusé, le pousser dans ses retranchements pour le forcer à avouer des crimes qu’on est certain qu’il a pu commettre. J’reprends.
« Cependant, je n’ai finalement, globalement, qu’exécuter des ordres qui venaient d’ailleurs, et si j’ai exécuté ceux du monde du crime, j’aurais tout aussi bien pu exécuter des ordres vertueux, comme ceux de la Guilde. Et pour prouver que je tiens à avoir une discussion sérieuse, je suis prêt à dénoncer tous les criminels avec lesquels j’ai pu travailler au cours des années, ou en tout cas ceux dont je me souviens, en échange d’une amnistie. »
C’est ma partie du boulot, entamer les négociations. Ensuite, j’laisse Zahria et son chef tenter de négocier pour que j’rejoigne leurs rangs. Moi, j’suis prêt à me contenter de la prison à vie, j’y tirerai toujours mon épingle du jeu, dans le pire des cas… Mais une amnistie complète avec promesse de plus utiliser mes pouvoirs, ou travailler pour la Couronne, j’prends aussi, surtout si ça m’permet d’être en liberté…
« Et pour le prouver, je vais répondre à nouveau aux questions qui m’ont été posées. Première question. J’avoue le meurtre du père de Terranglae, de la sœur d’Andrew, de sa nièce, de son frère, puis d’Andrew lui-même, sur sa commande express, à l’exception de sa nièce, qui était un accident malheureux. »
Bon, elle est rentrée dans la chambre au mauvais moment, je l’ai tuée, mais ça restait pas prévu.
« Deuxième question. Je n’ai jamais fait parti d’un réseau de crime organisé, car j’ai toujours été indépendant, un mercenaire, si vous voulez. Cependant, au fil de mes vingt, vingt-cinq années au contact de la pègre, j’ai fréquenté de nombreux réseaux mafieux, dont la majorité existe encore aujourd’hui et sur lesquels je pourrais vous transmettre des informations. »
Véridique.
« Troisième question. Rien à ajouter, je me suis effectivement enrichi, comme précisé, même si ce n’était pas réellement le but premier. Plutôt celui de se sentir exister, d’avoir un but. Et puis, il y avait de la demande, je n’ai fait que l’exécuter. Alors, que ce soit moi plutôt qu’un autre… Mon pouvoir m’y prédisposait. »
Puis un petit rappel des enjeux.
« Sur ce, je suis disposé à fournir des informations les plus détaillées possibles si nous parvenons à nous mettre d’accord. »
J’jette un regard à Zahria. Elle veut intervenir tout de suite, ou elle laisse le Haut-Juge réfléchir avec les tauliers du Royaume ?
La pièce d'échiquier remise par Calixte, de la part du maître-espion, celle qui la représentait sur l'échiquier dans le bureau du maître. Ce message qu'elle a interprété comme l'impossibilité de revenir chez les espions. Sa liberté rendue. Elle ramasse la pièce, et essuie méticuleusement la bave. Pourquoi la garder, pourquoi ne pas l'offrir à Dhim, puisqu'il s'agit visiblement de son jouet préféré ? Il attend sagement, à ses pieds, qu'elle la renvoie, mais Zahria ne peut se résigner à envoyer au loin la pièce, le symbole de sa vie d'espionne.
Alors elle caresse Dhim, incapable de le discipliner au sujet des objets qu'il n'a pas le droit de toucher. Et en retournant la pièce, pour s'assurer qu'elle est bien propre, elle se rend compte que les morsures de l'animal ont laissé des petites traces de partout. Faisant glisser son doigt sur une entaille un peu plus profonde que les autres, elle se rend compte que celle-ci est trop linéaire et propre pour venir de Dhim. Pourtant, elle n'avait jamais remarqué jusqu'à maintenant la moindre entaille sur les pièces... Glissant à peine son ongle dans l'entaille, tout à coup la pièce d'échiquier s'ouvre d'elle-même, laissant tomber un petit objet métallique qu'elle rattrape au vol avant qu'il ne finisse dans la gueule de Dhim.
Un médaillon, fin et sans fioritures, accroché à une chaînette. Un médaillon qu'elle a déjà vu, souvent. Au cou du maître-espion. Qu'est-ce que cela signifie ? La pièce qui s'ouvre, le médaillon à l'intérieur ? Quels secrets le satané maître essaie-t-il encore de cacher ? Elle s'habille en vitesse, prend un thé avec Luz, puis file au bureau du maître, bien décidée à tirer le fin mot de cette histoire avant le début du procès.
Mais le maître est absent, le bureau fermé. C'est tellement rare que l'on pourrait croire que c'est voulu. Zahria passe à la boulangerie en face, paye son croissant, et le grignote distraitement sur le chemin du tribunal. De toutes façons, aujourd'hui, elle lui rend la monnaie de sa pièce. Aujourd'hui, elle lui fout Vrenn sur les bras. Et bonne chance pour la suite. Dans une seule action, elle sauve son ami d'enfance, emmerde le maître-espion et fournit aux espions l'une des meilleures armes qu'ils auraient pu avoir. Une bonne façon de finir sa carrière, finalement.
Vrenn lui lance un regard, comme pour savoir si elle va parler maintenant, alors elle se lève. Après tout, elle a été appelée pour être son avocat. Si les murmures étaient déjà étonnés quand Vrenn a annoncé que Zahria était son avocate, maintenant c'est un brouhaha qui se lève dans la pièce quand elle vient se placer à côté de l'accusé, en face du jury, dans une position presque défensive vis-à-vis du barbu. Le regard du maître ne la quitte pas, celui de Höls, un peu plus loin, semble attendre quelque chose. Le haut-juge demande le silence, et la salle finit par se taire, mais l'on sent dans l'assemblée l'incompréhension, la colère même, parfois juste de l'excitation face à ce retournement de situation. Zahria toussote pour s'éclaircir la voix, puis d'une voix forte, prend la parole.
« Pour ceux qui n'étaient pas là à la précédente session, je me présente à nouveau. Zahria Ahlysh, Garde, j'ai constitué le dossier qui a permis de mettre la main sur l'accusé et de prouver certains de ses actes, l'ait poursuivi et arrêté moi-même, et j'ai mené l'accusation lors de la première partie du procès. Je suis aujourd'hui l'avocat de monsieur Indrani, et je tiens à assurer que je ne suis sous l'influence d'aucun sort, n'ait reçu aucun pot-de-vin, et agit en mon âme et conscience. S'il faut que je passe sous potion de vérité moi aussi pour vous le prouver, je n'hésiterai pas. »
Faisant quelques pas vers le jury, Zahria affiche un petit sourire confiant sur son visage.
« Je ne doute aucunement des agissements passés de monsieur Indrani, ceux qu'il vient de dévoiler et les autres, et suis toujours aussi convaincue qu'il mérite d'être puni pour ceux-ci. Néanmoins, au cours de mon enquête, des derniers jours, et de ce procès, j'ai fini par comprendre que l'accusé n'a jamais cherché à tuer par plaisir, sadisme, et je pense même, comme il l'a dit lui-même, que l'appât du gain n'était que secondaire. Cela n'enlève rien à ses actes, mais a fini par me tirer une réflexion. »
Qu'au delà d'être un connard, Vrenn est un connard obéissant.
« Monsieur Indrani ne cherche qu'à obtenir une part de reconnaissance, à exister, lui qui est maudit par un pouvoir qui oblige ses propres parents à l'oublier. Il n'a jamais fait qu'exécuter les ordres qu'on a lui donné, sans jamais chercher lui-même à être organisateur ou responsable de qui que ce soit. »
Si ce sont les propres arguments de Vrenn - enfin, ceux qu'ils ont travaillé la veille pendant qu'il était en cellule - elle se dit que peut-être qu'en les entendant de sa part, ils feront plus sens pour le jury.
« Le pouvoir de monsieur Indrani, s'il est une malédiction pour lui, a pu être une bénédiction pour tous ces malfrats qui justement, lui ont donné des ordres, et n'ont jamais pu être retrouvés car la trace du crime était impossible à suivre, oubliée. Et cette bénédiction, elle pourrait appartenir à la Couronne, plutôt qu'à ceux qui se battent contre son autorité. »
Elle marque une pause, avant le coup d'éclat. Son sourire disparu, elle plonge son regard dans celui du maître-espion, prête à jouer son dernier coup sur l'échiquier de leur bataille personnelle. Le pion avance, et prend le roi, le fou lui barrant le passage. Echec.
« Je propose aujourd'hui, de laisser Vrenn Indrani nous dénoncer tous ses contacts, tous ceux qu'il pourra, tant qu'il est sous potion de vérité et même après. Tous ceux auxquels nous ne penseront pas à demander, tous ceux que nous mêmes nous auront oublié. Tous ceux qui passeront à la trappe, si jamais nous refusons. En échange de ses informations, je propose de ne pas lier Vrenn Indrani à la Frontière et ses dangers, mais plutôt de le lier au Maître-Espion. Dans son équipe, sous ses ordres, Vrenn Indrani sera une arme redoutable pour la Couronne et la Garde, une arme longtemps retournée contre nous par les hors-la-loi pour lesquels il a pu travailler. »
Puis Zahria se tourne enfin vers Vrenn, pour lui poser une unique question.
« Vrenn Indrani, êtes-vous prêt, sous ces conditions, à vous engager au service du maître-espion, à obéir à ses ordres, quitte à laisser votre vie d'aventurier et de criminel derrière vous, pour ne vous consacrer qu'à la sécurité du Royaume ?
- Sur les conditions standards des espions, oui. »
Malin. Il veut pas se retrouver à faire l'esclave pour le maître-espion. C'est pas Zahria qui va lui donner tort, le vieux est pas tendre, il a raison de se protéger de ça. Elle acquiesce, puis regarde Gavot.
« Ce sera tout pour moi. »
Les choses ne se passaient pas comme prévu. Et cette mascarade d'interrogatoire n'était pas au goût du Haut-Juge Gavot. Si le contrevenant pensait avoir la main en cette journée, sans compter la présence de cette avocate de dernière minute, ils se trompaient tout deux lourdement sur la marche à suivre au sein de la Justice du Royaume. Mais ce n'allait pas être là le dernier mot de Yeolus, loin de là.
Ecoutant tour à tour Indrani ainsi que sa défense en la personne de la soldate Ahlysh, Yeolus resta coi face aux propositions et informations amenées par ce qu'il jugeait être un véritable duo comique à l'humour déplacé. Se frottant la barbe d'un air perplexe, il ne pus prêter la sourde oreilles aux chuchotements échangés dans son dos entre le Commandant de la Garde et le Maitre-Espion présent à ses côtés. Quelque chose tramait, des ficelles dans l'ombre. Quoi qu'aient pus penser ces soit-disant défenseur de la Justice d'Aryon, le simulacre qui s'étendait devant ses yeux allait se retrouver écourter par la manière forte.
"Très bien." sa voix grave résonna, sans affect, sèche, marquant tout le froid qui l'habitait. il leva une main vers les gardes entourant le criminel "Messieurs, préparez une seconde dose de Philtre de Vérité, plus concentrée que la première. Je vous prierais aussi d'amener un second siège ainsi que de quoi inoculer le philtre à Mademoiselle Ahlysh ici présente." les chuchotements dans son dos s'intensifièrent "Et messieurs je vous prierais de garder le silence. Je n'ai que faire de vos affaires internes et si votre présence ici n'est vouée qu'a entretenir des messes basses nous nous passerons de vous." encore plus sec qu'au commencement, sa vindicte eu pour résultat de faire tomber un silence de plomb presque gêné sur l'ensemble de l'assemblée. Höls le fixa de ses yeux d'acier, Gavot ne broncha pas l'ombre d'un instant.
"Il me semble Monsieur Indrani que vous ne comprenez pas la position dans laquelle vous êtes actuellement. Vous êtes enclin à négocier? Nous ne négocions pas avec les criminels, il n'y a pas d'accord.. Vos secrets qui semblent vous faire sourire, nous pouvons vous les arracher de gré ou de force avec le seul pouvoir du temps de notre côté. Si vous désirez tant que ça vous rependre de vos actions, il vas falloir commencer par apprendre la discipline et montrer patte blanche. Vous n'avez pas la main et votre attitude n'est pas celle d'un homme digne de confiance au nom de la Couronne." au fil de son explication, les envoyés de la Commission revinrent avec la nouvelle dose précédemment demandée. Si il avait besoin d'aide pour se délier la langue, ce n'était là qu'un moindre mal. Il recommencerait autant de fois que nécessaire jusqu'à ce qu'il lâche prise et que les informations en découle au-delà de son insolent sourire narquois.
"Quant à vous Mademoiselle Ahlysh, j'ai été prévenu de votre revirement de situation au dernier moment. Je fus bien étonné d'entendre que l'accusation allait se transformer en avocat de la défense en si peu de temps mais force est de constater que non seulement c'est bel et bien le cas mais qu'en plus votre démarche ne semble pas emprunter l'un des chemins les plus vertueux. Vous allez donc être mise sous observation par Philtre de Vérité, en espérant que votre rigueur militaire vous rendra plus amène que votre compère sans quoi vous aurez tout deux l'éternité du Grand Nord devant vous pour continuer de consolider ce lien qui semble vous unir." la menace du jugement de sa phrase n'était pas en demie-teinte mais bel et bien direct et il s'en assura en plongeant son regard dans celui de la demoiselle au moment où le second siège entra afin de préparer la soldate à recevoir les questions qui seront siennes.
Une fois la mise en place terminée, la seconde dose inoculée à Indrani et la première pour Ahlysh, Yeolus se leva de son siège et s'avança de quelque pas. Les mains dans le dos, d'une droiture impeccable, sa puissante stature posait quelque chose d'implacable dans la pièce. Un trait qui lui était propre et dont il comptait bien démontrer tout le sens désormais.
"Nous allons donc reprendre.
Monsieur Indrani. Vous êtes donc coupable du meurtre du Patriarche Terranglae, ainsi que de ses deux fils et de sa fille, puis aussi de la mort de sa nièce. Quels ont été vos motifs et les raisons qui ont conduits à ces crimes?
Vous avez niez votre appartenance au milieu du crime organisé mais avez malgré tout confessez votre collaboration avec ces derniers pendant vingt à vingt-cinq années. Je réitère ma première question mais avez vous officié sous couvert de votre identité d'Examinateur de la Guilde lors de contrats avec la pègre?
De plus, pourriez vous nommer quelques unes de vos victimes passées, que l'on puisse se faire un ordre d'idée de l'ampleur de votre tableau de chasse durant cette vingtaine d'années à perpétuer le crime?"
Il s'agissait là d'entreprendre l'interrogatoire dans la continuité du précédent procès, éclairer les zones d'ombres qui avaient été soulevées, notamment par la Sodate Ahlysh qui allait justement devoir répondre de son comportement .
"Mademoiselle Ahlysh.
Entretenez vous une relation, un lien de nature personnel, avec Monsieur Indrani ici présent? Si oui, pourriez vous m'en dire plus à ce sujet.
Quels sont les motifs de votre revirement de situation, passant ainsi de l'accusation à la défense de l'incriminé en question?
Avez vous conclu une affaire particulière liée à l'ensemble de ce procès, que ce soit avec Monsieur Indrani ou une autre personne pouvant faire figure d'autorité?"
cela devrait suffire pour élaguer les raisons de sa présence en tant qu'avocate de la défense en attendant une seconde salve à même d'apporter plus de précisions sur certains sujets plus précis.
modération
Prochaine apparition du MJ:
• Après une réponse chacun.
J’jette un coup d’œil à Zahria. Son plan pour me faire recruter et éviter que j’me retrouve de l’autre côté de la Frontière, du mauvais côté, en réalité, ne marche pas trop pour le moment. J’exclus pas la possibilité qu’il ne s’agisse que d’une mise en scène un peu élaborée pour me mettre la pression, m’empêcher de considérer les choses comme acquises. Quelque part dans la salle, y’a probablement le maître-espion, mais j’suis pas capable de l’identifier. Y’a Höls, par contre, et si quelqu’un doit intervenir, ce sera sans doute lui. J’le jauge l’air de rien.
Difficile d’identifier sa réaction aux déclarations du Haut-Juge.
J’l’examine aussi, lui. Mais il est tout drapé dans sa justice, son orgueil, le plaisir qu’il ressent sans doute à administrer l’ordre et le châtiment des impies, tout ça, tout ça. J’ravale un petit rictus amer. C’est salement cruel, de se voir miroiter une porte de sortie, fournie par le bourreau qui m’a collé au trou, pour ensuite se la faire fermer au nez.
Mais si y’a une personne que j’lis un peu mieux dans la salle, c’est bien Zahria, et soit elle est vachement meilleure comédienne qu’elle ne l’a laissé paraître jusqu’à présent, soit la tournure actuelle des événements la fait pas vraiment marrer. Faut dire, tel est pris qui croyait prendre, et elle a le droit à l’injection au même titre que moi.
J’en ai même une seconde, c’est dire à quel point on m’estime.
J’grimace quand le liquide coule dans mes veines. Et j’serre les dents face à la compulsion de dire la vérité, la vérité absolue telle que je la conçois. S’il croit que j’vais tout baver, il se fourre le doigt dans l’œil. Certes, ça ferait la nique à mes collègues, qui sauraient pas d’où ça vient, qui aurait pu transmettre des informations importantes sur eux, ce qui serait finalement partir sur un dernier geste d’importance. Mais ça voudrait également dire aider les condés. Et, gratuitement, en claquant quand même dans le blizzard derrière… J’suis pas chaud.
Probablement un reste de fierté mal placée chez un taulard promis au grand nord.
C’est reparti pour un tour.
« J’ai bien tué Andrew, son père, son frère, sa sœur, sa nièce. C’était un boulot. Bien payé, mais y’en a eu d’autres. »
Je hausse les épaules.
« Ouais, c’était une mission comme une autre. Il y avait peut-être aussi une curiosité morbide à voir jusqu’où Andrew allait sombrer dans les ordres d’exécutions familiales. Plus j’y réfléchis, et plus j’me dis que ça a joué. J’entretiens rarement, voire jamais, des liens réguliers avec les clients. Ça impacte trop mon pouvoir, met trop de variables dans son fonctionnement. Ça crée des pistes qu’on peut remonter jusqu’à moi, pour peu qu’on ait assez de volonté… obsessionnelle. »
Coup d’œil à ma droite, à Zahria. Ouais, définitivement.
« Je n’appartiens pas effectivement de facto au crime organisé. Je suis une des innombrables petites mains qui y oeuvrent à l’occasion. Les occasions étaient simplement nombreuses, et là où certains attendent d’être contactés, je recherchais moi-même des contrats quand j’avais du temps libre. Et ces opérations ont bien été sous couvert de mon statut d’Examinateur, qui m’a d’ailleurs servi d’alibi, voire d’outil, toutes ces années. »
Ah ça, être examinateur, y’a des moments, c’était bien pratique pour aller fourrer son nez partout ou communiquer sur la popotte interne de la Guilde auprès des truands. C’est tout, tout ce qu’on trouve dans les dossiers sur les aventuriers, pour peu qu’on sache chercher correctement, et qu’on ait la foi de compiler des informations issues des rapports dégueulasses qu’ils nous pondent.
Par exemple, la revente d’informations sur les pouvoirs, c’était un domaine qui marchait plutôt bien. Difficile d’expliquer comment on a tué un monstre géant et super dangereux sans utiliser son pouvoir, après tout.
« Quant à nommer quelques-unes de mes victimes… »
Je pourrais balancer pêle-mêle les noms que j’ai en tête, mais ça servirait pas trop ma cause, je pense. J’me mords la langue, puis j’prends une grande inspiration.
« Haemdar, un tueur à gages. La Guilde m’avait envoyé avec un aventurier, un traqueur. Jin Hidoru. J’avais en parallèle une mission de soit l’aider à s’en sortir en lui indiquant qui était le commanditaire auquel il serait redevable, soit de le tuer pour m’assurer qu’il ne parle pas trop en prison. J’ai dû le tuer parce qu’il était trop blessé pour fuir. »
Sale histoire, mais j’avais jamais trop pu le blairer, de toute façon.
« Alfonso, un criminel qui avait commencé à percer dans le milieu du crime et qui visait à renverser les patrons de la pègre en vendant davantage d’équité. Les barons ont pas trouvé ça drôle, et ont envoyé une cabale d’assassins à ses trousses. C’est moi qu’ai réussi à le buter. »
Pas peu fier, pour le coup, j’en avais douillé pour y parvenir.
« Klaus von Andrasil, le père d’Elina von Andrasil, Capitaine du Blizzard, la Division du nord de la garde. Je l’ai pas tué, mais j’ai enquêté illégalement sur lui, et me suis introduit à plusieurs reprises chez lui pour y dérober des documents privés qui ont servi dans le cadre de son procès. »
Ça, c’est p’tet un des points qui jouera le mieux pour moi : c’était un sale type, j’ai aidé à l’arrêter, et une Capitaine de la garde est mêlée à l’affaire. Allez, Elina, porte-moi chance.
« Gawyn, un Noble qui habite en bordure de la Capitale. Il enlevait des filles de joie pour les torturer dans ses caves et bazarder les cadavres dans le fleuve. Il a enlevé la poule d’un parrain, qui voulait la récupérer. J’suis arrivé trop tard, elle était déjà morte, mais j’ai tué le noble et fait passer ça pour un suicide. J’étais avec le Capitaine Arthorias Hekmatyar, de la Garde Royale. »
Un autre bon point pour moi, peut-être ? J’vais m’arrêter là, en tout cas, c’est déjà pas mal. Puis la plupart des autres, j’suis pas capable de les nommer, de toute façon, alors…
N’empêche, ça serait cocasse qu’on se retrouve tous les deux en Exil, avec Zahria. Qu’est-ce qu’on se marrerait, les trois premières heures, avant de se faire bouffer par un fenrir.
Pendant le discours de Gavot et l'attente pour les nouvelles doses de potions, Zahria ne peut s'empêcher de se reposer encore et encore ces mêmes questions. Celles qui la taraudent depuis plusieurs jours, celles auxquelles elle croyait avoir répondu, mais sont à nouveau remises en doute. Est-elle prête à risquer sa peau pour ce gars, qu'elle a perdu de vue pendant plus de vingt ans, juste parce qu'elle a l'impression qu'elle aurait pu être à sa place ? Putain de moralité de merde, j'aurais mieux fait de me taire, encore une fois. Enfin bon, c'est trop tard. Ils sont là dedans ensemble, et elle ne va pas retourner sa veste. Elle sait que sa quête revêt une certaine forme de justice, et elle n'en démordra pas tant que Gavot ne l'aura pas vu. Même de l'autre côté de la frontière, face au Fenrir, elle saura qu'elle a fait ce qu'elle devait.
On lui injecte la potion, et ça fait tout étrange. Comme une envie irrépressible de crier leurs quatre vérités aux gens dans la pièce. Sa loyauté envers Elina. Sa rage pour le maître-espion. Sa haine pour tous les spectateurs juste venus pour s'amuser. Sa conviction, pour Vrenn, pour Gavot. Mais elle se tait, parce que ce n'est pas son tour de parler, et que ça viendra bien assez vite. Les questions sont posées, et si celles de Vrenn ne revêtent aucune forme de surprise, Zahria est un peu étonnée pour les siennes, qu'elle essaye de mémoriser, pour mieux pouvoir y répondre quand ce sera son tour. Gavot pense-t-il qu'elle a un lien affectif envers Vrenn ? Voire pire, qu'elle a été achetée ? Enfin, ses questions sont légitimes, mais il ne sera pas compliqué de lever le doute. Après tout, elle n'a fait que dire la vérité, jusqu'à maintenant. Ça ne changera pas grand chose.
Elle écoute Vrenn, en silence, et se permet même un petit sourire agacé quand il fait mention de sa traque obsessionnelle. Elle ne l'a pas volée, celle-là. Par contre, quand il parle du père d'Elina, elle grimace carrément. S'il ne l'a pas mise directement en cause, elle avait décidé de passer cette partie sous silence - bon, finalement, elle n'avait pas été honnête sur toute la ligne, faut-il croire - pour ne pas la mettre en danger. Au fond de la salle, elle reste stoïque, comme à son habitude, mais Zahria sait qu'elle pourrait avoir des soucis, car il suffit que Gavot pose la question du commanditaire, pour que Vrenn soit obligé de tout déballer. Le maître-espion, à la mention de cette affaire, fixe Zahria encore plus intensément, si cela est possible, comme pour l'accuser de lui avoir caché quelque chose. Elle lui lance un regard de défi, l'air de dire: "Vous n'êtes pas le seul à avoir vos secrets."
Vrenn finit sa longue liste, et puis le regard de Gavot se pose sur elle. C'est le moment de délier la langue, paraît-il. Une grande première pour Zahria, la potion de vérité. D'autres espions ont déjà eu l'occasion de témoigner sous ses effets, et lui avait tissé des tableaux quelque peu inquiétants, mais elle n'avait jamais pu tester elle-même. Et c'est sûr que quand on a passé quinze ans dans les services secrets du royaume, il est compliqué de se dire que tous ses secrets peuvent être arrachés dans une seconde, sans qu'on ne puisse rien y faire. C'est le pire cauchemar de tout espion. Mais bon, après tout, Zahria n'est plus espionne, non ? Elle se racle la gorge, puis prend la parole, en fixant Gavot avec assurance.
« Oui, j'entretiens un lien personnel avec monsieur Indrani. Comme mentionné dans le dossier de l'accusation ainsi que pendant la première partie du procès, Vrenn était mon ami d'enfance. La raison pour laquelle, après l'avoir recroisé il y a quelques mois, j'ai décidé de m'intéresser en profondeur à son cas, était le fait que je l'avais déjà connu, et que je n'en avais aucun souvenir. Vous avez dû trouver dans le dossier des extraits de mon journal de l'époque, où l'enfant que j'étais témoignait déjà de la difficulté de tisser un lien avec ce garçon au pouvoir compliqué. »
Zahria marque une pause. Effectivement, la potion de vérité rend particulière loquace. En tout cas, pour elle, c'est le cas. Elle a l'impression d'avoir bu un alcool fort, d'avoir le cerveau embrouillé et en même temps d'y voir limpidement dans ses pensées. Etonnant.
« Quant à connaître la nature exacte de ce lien, si je n'ai aucun souvenir de lui pendant notre enfance, je pense qu'on peut facilement deviner qu'à l'époque, la gamine de huit ans devait avoir un faible pour Vrenn Indrani. Aujourd'hui, le seul lien qui me rattache à monsieur Indrani est celui que vous connaissez: je me suis fait un devoir de le traquer, j'ai appris à raisonner, à penser comme lui pour cela. Nous avons eu l'occasion de discuter pendant sa période en prison, j'ai de la sympathie pour lui et son histoire, à laquelle je m'identifie, et dans d'autres circonstances, nous serions certainement amis. Mais ce n'est pas le cas. Vrenn Indrani m'intéresse surtout pour ce qu'il pourrait apporter à la Couronne. »
Etrange, le nombre de mots qui peuvent sortir de la bouche de quelqu'un quand on a posé une toute petite question. C'était quoi, après, déjà ? Ah oui, le motif du revirement de situation.
« Je suis passée de l'accusation à la défense car, comme je l'ai dit plus tôt, j'ai réalisé à quel point la présence de monsieur Indrani parmi les services secrets pourrait être bénéfique. Aiguillée par les bonnes personnes, j'ai été amenée à faire des recherches qui m'ont montré que le cas était déjà arrivé auparavant, comme pour l'espionne Laret Akamil, recrutée parmi les espions au cours de son procès, mise sous marque d’asservissement à l'époque, même si aujourd'hui ce serait impossible. J'étais convaincue que les ressources, les compétences, et surtout le pouvoir de monsieur Indrani seraient un atout indéniable pour la Couronne. »
Un temps, parce qu'il faut bien respirer, au milieu de ces palabres.
« Qui plus est, mais pour cette partie cela ne concerne que moi, je suis convaincue que ce n'est pas l'assassin psychotique que l'on pourrait imaginer, et qu'il est juste tombé du mauvais côté de la ligne. Qu'il avait besoin, à un moment donné, de quelqu'un qui l'aide à revenir sur le droit chemin, et même si cela arrive tard, il mérite une deuxième chance. »
Sur ce point-là, ce ne sont évidemment que les sentiments de Zahria. Elle se doute que Gavot, Höls et le maître-espion ne voient pas ça de la même façon. Qu'ils imaginent que Vrenn doit être puni pour ce qu'il a fait, un point c'est tout. Et Vrenn lui-même, ne doit être en train de se servir de ce revirement que pour rester en vie. Mais n'est-ce pas dans les moeurs de la Royauté, que d'appliquer une justice plus réhabilitative que punitive ?
La dernière question, maintenant. Elle a un sourire carnassier envers le maître-espion. Voilà, maître, récoltez donc le fruit de dur votre labeur.
« Je n'ai conclu d'affaire à proprement dire avec personne, monsieur le juge. J'ai effectué cette traque contre les ordres de mon supérieur, qui estimait que ce n'était pas important d'arrêter un assassin multi-récidiviste, et ait été mise à pied pour cela. Ce ne doit pas être dans vos dossiers, car ce-dit supérieur a rapidement pris l'affaire en main quand monsieur Indrani a été derrière les barreaux, content de pouvoir s'attribuer le mérite de son arrestation. »
Alors, quel goût ont les honneurs, désormais ?
« Hier, en réalisant que l'entrée de Vrenn parmi les espions était une possibilité exploitable, je suis allée le voir en cellule pour en parler avec lui, et nous avons décidé de travailler de concert à l'aboutissement de ce projet. C'est le seul accord que j'ai pu conclure avec lui. »
A part pour les fois où elle a accepté de lui rouler une clope, mais bizarrement, elle doute que ça intéresse Gavot. Toujours en souriant vers le maître-espion, elle voit ce dernier se pencher vers Höls, contre les indications de Gavot qui leur a pourtant demander d'arrêter de jacasser. Il y en a deux qui vont se faire taper sur les doigts, dis donc...
« Une certaine figure d'autorité, néanmoins, m'a poussée sur la piste de Laret Akamil. Je ne sais pas si c'était intentionnel ou complètement fortuit, mais j'ai comme l'impression que... »
Höls se lève, interrompant Zahria, qui pourtant arrivait à la partie la plus juteuse de son histoire. Celle où elle révélait que le maître-espion n'était qu'un gros pourri qui ne cherche qu'à s'attirer les honneurs et qui semblait avoir tout un stratagème pour l'emmerder jusqu'au bout du monde. Il y a un échange de regards entre Gavot et Höls, et Zahria a l'impression que le haut-juge serait bien capable de le faire passer sous potion de vérité, lui aussi, mais Höls s'impose, et ce sont les mots du maître-espion, Zahria en est certaine, qui sortent à ce moment-là pour l'empêcher de continuer à parler.
« Juge Gavot, j'aimerais m'entretenir avec vous en privé de certains tenants et aboutissants de cette affaire. »
Le maître-espion se lève aussi, pour faire comprendre que la discussion ne se fera pas sans lui, et Zahria soupire. Voilà qu'on vient de lui enlever son moment de gloire. Elle aurait tellement voulu lancer un dernier fion au maître avant de finir dans la gueule du Fenrir, main dans la main avec Vrenn...
Retournement de situation. La défense devient l'accusé, le premier accusé ne se fait offrir aucun répit, la justice tant chère au coeur de Yeolus Gavot s'abat impitoyablement à travers les manigances de chacun, créant un sillon de désolation derrière elle. Telles des lames flottantes au-dessus de leurs têtes, les questions du Haut-Juge restaient en suspend un temps avant de s'abattre avec le courroux du juste. Et le coup ne tarda pas à porter.
Au fur et à mesure de la seconde confession de Vrenn, le Haut-Juge prenait pleine conscience de l'homme qu'il avait en face de lui. Un coupe-jarret à la lame bien aiguisée, à la morale basse et à l'égoïsme presque palpable, voila ce qu'il voyait à travers ce soit-disant ersatz d'Examniateur. Son regard d'acier devenant de plus en plus dur, ses notes se démultipliaient, son visage restant impassible comme figé tel un gardien de pierre. Il ne pipa mot une fois la locution du criminel de terminée, adressant simplement un signe de la main vers Zahria afin qu'elle prenne la suite de son étrange comparse.
Elle n'avait pas l'air mauvaise fondamentalement mais l'ancienne espionne s'était essayée à un jeux dangereux qui allait probablement lui couter sa carrière et surtout sa vie si l'Exil se décidait pour de bon. Mais à contrario de Vrenn, ses explications se montraient plus coopératives, ne lésinant pas sur les détails et la richesse du récit. Les masques tombaient un à un et certains pics en devenaient presque inattendus. Ainsi même l'Etat-Major trempait dans cette sombre affaire, tirant quelques ficelles en coulisses pour s'attirer des mérites non-attribués? Inacceptable. Comme pour répondre à sa pensée, les chuchotements reprirent derrière lui, une fois de plus animant le duo formé par le Commandant et le Maitre-Espion. Si ce n'est que cette fois Yeolus eu à peine le temps de se retourner avant de se faire interrompre par Höls en personne. Quoiqu'il puisse en dire, le niveau hiérarchique du Commandant lui était ô combien supérieur sur presque tout les plans, s'attaquer à un tel homme serait de la folie politique. Mais d'un autre côté, céder à sa demande serait une entorse à la transparente justice à laquelle il tenait tant. Un dernier regard vers les deux pauvres âmes enchainés à la potion de vérité. Le Maitre-Espion aux côtés du Commandant se lève aussi et insiste à son tour.
"Vous avez cinq minutes."
Il était hors de question que ces messes-basses à l'extérieur de la salle se fassent au profit de l'expiration du Philtre de Vérité. Yeolus Gavot n'avais pas la ressource du temps en illimité pour lui seul et justice se devait d'être rendue.
* * *
Du point de vue des deux contrevenants, ces maigres minutes auraient pus sembler des heures. Malgré tout ce fut presque à la seconde prêt que le délai fut respecté, la porte unique s'ouvrant enfin pour laisser passer les trois silhouettes des hommes de loi qui conversaient. Malheureusement, une bribe presque véhémente se faufila avec eux par entrebâillement.
"... pari que je suis prêt à prendre."
Le ton était ferme, presque sans appel, ne trahissant aucuns doutes ni remords. La voix était aussi tranchante que posée. Höls sans l'ombre d'un doute, son visage presque aussi sombre et fermé que celui du Haut-Juge Gavot à ses côtés. Derrière, le Maitre-Espion avait le regard plus bas, comme fuyant. Un furtif coup d'oeil vers Zahria, maigre sourire esquissé en coin avec une pointe de malice dans la prunelle. Flash temporaire uniquement perçue par l'ancienne espionne, le Maitre repris son air de dépit moins d'une demie-seconde derrière.
Chacun retrouva sa place, le Haut-Juge se remis derrière son pupitre et se racla la gorge pour rendre sentence:
"Plusieurs éléments additionnels vus en privé avec le Commandant Höls ont éclairés quelques points obscurs sur notre sujet du jour. Éléments qui seront rajoutés dans le dossier à posteriori et donc consultables par des regards tiers, j'en référerais en personne au Ministre de la Justice afin de m'assurer de la poursuite de l'analyse de l'affaire. Il a été décidé en outre de mettre à pied l'actuel Maitre-Espion au vue de son implication avec le cas concernant Mademoiselle Ahlysh, effectif dès maintenant. Quant à Monsieur Indrani... Cela ne m'enchante guère mais il a été décidé de vous offrir une chance de rédemption au sein des services de la Couronne. Mais cela ne se fera pas sans garantie, non-ouvert à la négociation. Vous serez magiquement lié à Mademoiselle Ahlysh ainsi qu'au Commandant Höls en personne, d'une marque qui rendra votre pouvoir inefficace sous toutes ses formes sur ces deux personnes. Par la suite, vous serez soumis à un examen par la Commission de la Garde et par le Commandant Höls en personne, après quoi votre première année -si tant est qu'elle soit validée- sera exercée sous le conditionnel que vous ne rechutiez pas du côté criminel des affaires. Si tel est le cas vous serez déclaré ennemi de la Couronne avec ordre d'abattement direct. Vous aurez aussi l'obligation de rendre compte de manière bi-hebdomadaire à votre supérieur et de vous entretenir avec le Commandant sur une base trimestrielle. Ces derniers points peuvent êtres voués à évoluer avec vos possibles futurs états de service. La moindre faute, je le rappel, sera immédiatement sanctionnée sans aucunes formes de négociation possible."
Un suspend dans la salle. Quelques murmures étonnés.
"Je vous demanderai sur cette annonce de libérer la salle. Resterons présents: Vrenn Indrani, Zahria Ahlysh, Arban Höls, Elina Van Andrasil ainsi que moi-même."
Höls se pencha à l'intention du Haut-Juge pour lui chuchoter quelque chose.
"Ainsi que l'ancien Maitre-Espion, sur demande du Commandant Höls. La séance est levée."
Tandis que la salle se vidait, les aides de la Commission encadrants Vrenn et Zahria restèrent à leurs côtés le temps que la Potion de Vérité cesse pleinement d'agir. Suite de quoi ils défirent les liens uns à uns afin de leur rendre leur liberté de mouvement. Si cette seconde phase du procès s'était exécutée à comité fermé, voila désormais que les seuls participants restant ne formaient qu'un huit-clos de haut standard. Il y avait fort à parier que c'est ici et maintenant que le dernier acte allait enfin se dérouler et que les mots les plus vrais allaient fuser.
modération
Prochaine apparition du MJ:
• Après une réponse chacun.