Yuduar venait de saisir les liens de son corset sans rien dire. Tant mieux, elle préférait ne pas avoir à discuter. A certain moment le silence était d’or et celui ci en faisait parti. Où était-ce parce qu’elle n’aurait su quoi lui dire ? Peu importe. Elle pouvait sentir sa poigne sur les cordelettes, serrant parfois un peu trop avant de s’en rendre compte et de lui redonner un peu de mou. Mais ce n’était pas la seule chose qu’elle sentait. Elle pouvait deviner le souffle qui s’écrasait contre ses épaules et elle perçut même son ralentissement, comme si le brun prenait de plus longues et grandes inspirations. Elle ne lui en fit pas la remarque et se contenta de l’imiter sans réussir à contrôler le frisson qui courut sur sa peau la seconde suivante. Que se passerait-il si elle venait à se retourner sans prévenir ? Si elle laissait son corset se défaire et entreprenait de défaire sa chemise à lui ? Elle se mordit la lèvre avec force, s’obligeant à arrêter de penser. Fort heureusement, au même moment, il décida de répondre à sa question par un rire qu’elle n’attendait pas. Il enserra ses hanches et elle du lutter pour ne pas reculer d’un pas dans sa direction.

Alors comme ça, elle s’était trompée sur la prononciation ? Il n’y avait pas idée aussi de porter un tel nom. - Yuduar… Avec un Y donc… Murmura-t-elle pour elle-même tout en roulant les r sous sa langue. - Je ne me suis pas trompée, tu manques sans doute d’articulation voilà tout. Mauvaise foi oblige, elle ne pouvait pas admettre avoir tord. Cependant, elle savait parfaitement que la faute venait d’elle. Depuis toujours et sans doute à jamais, elle avait la fâcheuse tendance de se tromper dans les noms et prénoms. Parfois volontairement, d’autres pas. En l’occurrence, ça ne l’était pas bien que cela soit sans doute partie d’un manque cruel d’attention qu’elle avait portée aux réponses du garde lorsqu’il s’était présenté. Au moins, il ne le prenait pas mal. « Qu’est-ce que ça peut bien te faire qu’il le prenne mal ? » Gémit son esprit, complètement outré. - Enfin, ça a au moins le mérite d’être un peu moins moche que Duduar. Elle lui lança un regard en coin, mi amusé, mi sérieux.

Après cela, ils ne parlèrent plus. Ils ne bougèrent plus non plus. Chacun perdu dans ses pensées ; ne subsistait entre eux que la main de Yuduar sur sa hanche. Même si elle ne s’en rendit pas compte immédiatement, lorsque ce fut le cas, elle ne chercha pas à la fuir. D’une certaine façon, rompre le contact était un obligatoire retour à la réalité. Queen aimait la vie qu’elle menait, à quelques détails près, mais ici, dans ce monde qui lui semblait presque parallèle, elle se sentait bien. Allait-elle finalement se réveiller, découvrir que ceci n’était que le fruit de son imagination et que Yuduar n’avait jamais existé ? Cela aurait sans doute été bien plus simple. Pas de remord à avoir, pas de risque de fuite et encore moins de chances de le recroiser. Malheureusement, elle savait que même en se pinçant, elle aurait mal. « Dans quel bourbier t’es tu encore fourrée Queen ? … Ou plutôt, dans quel bourbier, viens-tu de te refourrer ? »

Sans y faire attention, alors qu’il venait de se dégager de son propre chef et avait amorcé un mouvement pour quitter le cabanon, elle avait saisi son bras avec vivacité. - Attends. S’entendit-elle lui répondre, comme si sa bouche avait décidé de parler sans que son cerveau n’y consente. « Juste une dernière fois, il n’y a pas mort d’homme non ? ». Reprenant contenance, elle relâcha le bras du garde et passa lentement devant lui afin de lui faire face. - Tu viens de dire toi-même que nous avons encore du temps avant de décoller, n’est-ce pas ? Elle tendit les mains et défit un premier bouton de sa chemise. - Nous savons pertinemment que nos routes ne se recroiseront pas. Un deuxième bouton. - Le mal a déjà été fait, tu es d’accord ? Elle posa ses doigts sur le troisième sans le défaire. Ses yeux, félins, vinrent caresser ceux du garde. Taquine, joueuse, désireuse. C’était ainsi qu’elle s’affichait. Aussi surprenant que cela pouvait paraître que ce soit pour lui ou pour Queen, le cheminement de son esprit avait terminé par afficher un magnifique « Profite tant qu’il est encore temps. » en lettre rouge , suivit d’un « personne n’en saura jamais rien » en petit caractère. Elle avait pris la tangente. Pour une fois, ce désir émanait d’elle et uniquement, d’elle. Ce n’était pas sa mère qui l’avait incité à vendre son corps pour gagner du galon, ce n’était pas son ambition qui l’obligeait à se glisser dans des draps. Non, actuellement, la trésorière était simplement à la merci de son propre désir, de sa propre indépendance et elle ne se souvenait pas de la dernière fois où elle s’était ainsi abandonnée.

Debout, au milieu de cette pièce délabrée où elle aurait piqué une crise terrible si on lui avait demandé d’y dormir, elle se voyait, en train de défaire avec lenteur chacun des boutons jusqu’à ce qu’il se retrouve peau nu. Si hier soir, il avait eut à affaire à une Queen adoucit par l’alcool, son regard lui promettait cette fois, de goûter à la femme de pouvoir. Celle qui était pleinement consciente du choix qu’elle était en train de prendre et qui l’invitait à se jeter à corps perdu dans un méandre désir inassouvi.