Ralalah. Grand-Port. Marrant, comme les gens imaginent toujours de beaux hôtels particuliers tout blanc, le ciel bleu, le grand soleil, les mouettes qui volent élégamment et les grandes plages de sable fin. C’est sûr que j’ai l’impression d’être à des années-lumières de cette ambiance, dans ce bouge moisi pas loin des docks. Si les gens finissaient en vacances ici, ils seraient calmés direct, avec leurs décors de peintures et le son des oiseaux. Nan, j’ai plutôt droit à l’odeur des entrailles de poissons, de la bière renversée, et aux piaillements des mouettes qui s’battent entre elles pour un morceau de chair ou de tripaille.
Mais bon, c’est l’turbin, comme on dit, et y’a pas de repos pour les braves. Ombre m’a envoyé là parce qu’il se passe des trucs bizarres sur les quais, à se demander d’où viennent les marchandises suspectes qui remontent le fleuve jusqu’à la Capitale, alors que y’en a de plus en plus. Et elle se demande si c’est pas la Cabale qui serait derrière tout ça. Donc j’me retrouve à m’faire passer pour un travailleur lambda, dans ce rade immonde.
Enfin, j’exagère : y’a cent fois pire à mesure qu’on se rapproche des pontons, et là, c’est encore propre. On est le milieu de l’après-midi, donc le boulot est fini pour ceux qu’ont embauché à quatre, cinq heures du matin, et ils en profitent pour se détendre un coup avant l’arrivée des cargaisons du lendemain. Cargaisons pour lesquelles j’espère bien me faire embaucher.
Pour l’occasion, j’ai mis un simple haut en cotton, le genre sali et taché, histoire de pas avoir l’air trop riche. La barbe reste, parce qu’un marin sans barbe, c’est suspect, et que y’a bien que les marchands pour se raser de près, dans ce genre de coins. Les marchands et les mousses qu’ont pas encore de quoi s’ombrer le haut des lèvres.
J’baisse les yeux sur ma choppe de bière brune, et j’en bois une lampée en examinant la salle. C’est des hommes rugueux, majoritairement, avec quelques femmes qui le sont encore plus, dans le tas. Plus rugueuses, et plus masculines, presque. En tout cas, hargneuses. Elles mènent leur monde à la baguette et s’laissent pas marcher les pieds.
Quand trois types s’approchent de ma table, alors que le reste du bar est clairement pas plein, j’sais déjà ce qui va venir. C’est tristement toujours la même chose.
« C’est ma table, étranger.
- Ton pote le tavernier, il te laisse emmerder les clients ? Que j’réponds.
- Oui. Bouge.
- S’il te plaît.
- Quoi ?
- Faut dire s’il te plaît. »
Il jette un regard à ses deux potes. Ouais, trois.
« Non, tu bouges.
- ‘Sûr. »
J’lui balance ma bière dans la gueule, et ma choppe dans celle d’un autre. Le troisième prend un coup de poing dans la gueule, puis j’m’appuie sur le banc pour envoyer un coup de genou dans le meneur, qui tombe lourdement au sol. Le dernier brandit un tabouret pour m’assommer pour le compte, mais se ravise quand il voit qu’un de mes couteaux est posé sur la gorge de son collègue.
« S’il te plaît ?
- Va t’faire foutre.
- Bon, j’aurais essayé. »
J’me lève, et j’vais au comptoir pour prendre une nouvelle bière, la même, pendant que le patron regarde nerveusement ses clients habituels s’asseoir en me jetant des regards mauvais. Ils oublieront bien vite, va. Et s’ils cherchent vraiment les emmerdes, j’leur règle… Bordel nan, j’ai plus le droit. Bon. J’disparaîtrai gentiment.
C’est une des nanas qui vient se foutre à côté de moi, proche à ce que nos coudes se touchent.
« C’était pas bien malin.
- Si j’étais si malin, j’serais pas là. »
Elle lève sa pinte en signe d’assentiment, puis crache par terre, dans la sciure qui couvre le sol.
« Pas faux. Et pourquoi t’es là, alors ?
- J’cherche du boulot. »
Regard en coin.
« Du boulot ?
- Du boulot. Qui paye. »
Légal ou illégal, je prends. J’vais bien réussir à rentrer dans le bas de la filière comme ça, et j’pourrai toujours improviser de là. Elle me jauge de haut en bas, puis de bas en haut, et semble finalement convaincue. C’est que j’ai pas vraiment la dégaine d’un condé, faut pas se mentir.
« Lara, ‘chantée.
- Vrenn.
- Demain, trois heures, quai vingt-trois ?
- Combien ? »
On négocie vite fait une paye de misère, puis je hoche la tête. Elle repart tout de suite rejoindre ses petits camarades, avec un petit signe de la main.
« Gaffe à tes arrières, souffle-t-elle en s’éloignant. »
Est-ce qu’on apprend au vieux singe à faire la grimace ?
Tu ne me laisseras jamais tranquille, n’est-ce pas ?
Son petit Smilodon avait déjà bien grandit, et il entrait certainement dans l’âge bête, comme un adolescent, il ne cessait de s’activer tout autour de la jeune Garde, glissant parfois sa tête contre son ventre lorsqu’elle tentait de faire le vide. La jeune femme posa sa main sur le museau de Kohvu, qui s’y appuya dans un grognement.
Non, ce n’est pas le moment de jouer, il faut que je réfléchisse, tu le sais.
Le gros chat montra les crocs, faisant mine de les planter dans l’avant-bras de la jeune femme avant de se raviser et d’aller chasser une mouette un peu plus loin. L’Adjudant rigola doucement en secouant la tête, avant de s’asseoir en tailleur sur le quai, fermer les yeux et compter ses respirations pour faire le point. Si elle était venue ici, c’est qu’elle avait eu vent d’une potentielle ouverture au sein du régiment géré par le Capitaine Al Rakija, et cette nouvelle avait piqué sa curiosité. Elle se devait d’abord de venir faire un tour au Grand Port, pour voir si elle s’accommoderait du climat doux, et si Kohvu s’y ferait aussi, lui qui n’avait pour le moment connu que le froid. Étant donné qu’il s’en donnait à cœur joie pour chasser les grosses mouettes, peu importait la température, tant qu’il pouvait s’amuser. La décision n’appartenait plus qu’à Nehla désormais. Son esprit divagua quelques instants et l’image d’un certain Aventurier lui caressant la joue s’installa devant ses yeux.
C’est sûr que si je m’installe ici, ce sera plus facile de le voir.
Elle ouvrit finalement les yeux avant de laisser à nouveau ses jambes pendre dans le vide, détachant sa cape qui lui donnait presque trop chaud avec ce joli soleil d’après-midi. Elle soupira, laissant son regard courir sur les légères vaguelettes de la grande étendue qui se mouvait doucement devant elle.
Remarque ça peut être pratique pour… Kohvu, non !
Le jeune tigre s’était lancé à la poursuite d’une sorte de gros rat, dans un grand fracas lorsqu’il passa à côté de Nehla et fit tomber à la renverse une jeune fille qui se promenait là, insouciante. Nehla bondit du quai, aida la petite à se relever et fila à la poursuite de son imbécile de familier qui ne sait pas se tenir en public.
Désolée !
Elle se faufila entre les passants, perdant de vue le petit monstre qui, lui, ne perdait rien pour attendre. Il avait l’avantage de la taille, se glissant entre les jambes des promeneurs et autres marins qui attendaient d’embarquer, alors que Nehla en bouscula plus d’un, lançant une vague excuse avant de disparaître à nouveau.
Kohvu courait en grognant après sa proie, s’éloignant de plus en plus des quais, pour atterrir près des docks, l’ambiance était bien moins agréable que précédemment, mais Nehla ne le remarqua pas de suite, toute occupée à poursuivre la grosse bête. Elle tenta de l’attraper, mais l’animal lui échappa des mains alors qu’elle tomba au sol dans un bruit sourd et humide.
Mais c’est pas vrai ! Tu vas voir ce que tu vas prendre ! Kohvu, arrêtes-toi tout de suite !
La jeune femme se releva, essuyant son bras sur son pantalon déjà mouillé d’eau salée et poisseuse avant de reprendre sa course. Kohvu disparu à nouveau de son champ de vision avant de bondir quelques mètres plus loin, renversant une caisse de bois sur son passage, et de se faufiler dans un bâtiment au moment où la porte s’entrouvrait. Nehla s’y engouffra aussi sec, ne prenant même pas le temps de savoir où elle mettait les pieds. Elle repéra le fauve qui avait finalement attrapé son déjeuner, posté sous un tabouret occupé par un jeune homme. L’Adjudant s’approcha doucement avant de s’accroupir et de glisser ses mains sous le tabouret pour attraper Kohvu, qui s’enfuit aussitôt, faisant vaciller le tabouret. Sans prendre le temps de secourir le pauvre homme qui allait tomber, Nehla s’élança et saisit finalement le petit monstre par la peau du cou, s’affalant au sol alors que le tabouret continuait sa chute, et son occupant avec.
Je t’ai eu !
Nehla n’eut pas le temps de se relever, son souffle se coupa alors que le marin qui sirotait bien tranquillement sa bière tomba sur elle dans un grand fracas de bois brisé, de verre cassé et de bière renversée. La jeune femme grogna sous le choc et lâcha sa prise sur Kohvu qui s’installa bien confortablement pour dévorer sa proie, une lueur d’amusement dans les yeux. L’Adjudant tourna la tête vers l’inconnu qui lui était tombé dessus.
Désolée, il est intenable en ce moment.
Elle se releva tant bien que mal, poussant légèrement le jeune homme de son dos pour l’aider également, elle fusilla du regard le petit tigre qui laissa s’échapper un petit cri plaintif. Tous les regards étaient tournés vers cette grande balafrée et son chat qui venaient de renverser la moitié du bar, dérangeant tous les marins qui s’y étaient réfugiés pour se reposer un peu. Nehla passa sa main dans son cou, légèrement nerveuse.
On ne vous dérangera plus, pardon !
Elle attrapa Kohvu et le glissa contre sa poitrine, comme on porterait un bébé, lui pinçant la nuque au passage, avant de se diriger lentement vers la sortie à reculons.
Là, elle va se faire bouffer toute cru.
D’ailleurs, ça loupe pas. Le docker qu’elle a bousculé se lève avec un regard mauvais, et jauge la tache de bière sur son haut déjà dégueulasse par ailleurs.
« Hé, tu pars comme ça, alors que t’as souillé ma tunique ? J’crois pas, non. »
Les marins avec lesquels j’ai eu maille à partir se redressent aussi, et ils sont pile dans le chemin de la porte. Le patron, juste devant moi, pousse un soupir blasé avant de baisser les mirettes et de secouer la tête. Ah ben bravo, le courage. Enfin, j’ai envie de dire, j’vais pas m’en mêler non plus. Après tout, c’est pas mon boulot. Moi, j’suis là pour enquêter sur la contrebande qui transite par le Grand-Port, pas pour aider les demoiselles en détresse. Chacun sa merde.
« Hé, Gregor, cherche pas la merde et reste assis, fait la nana qui m’a recruté pour demain.
- Ta gueule, Lara. Mêle-toi de ton thé.
- T’as un problème, Gregor ?
- Ouais. »
Pendant que ça s’invective gentiment, j’réévalue la situation. Visiblement, le torchon brûle entre les deux groupes, celui qu’est plutôt dirigé par les femmes, dont Lara, et celui de Gregor, plus rustre mais assez menaçant. D’ailleurs, Gregor se lève, et avance vers la nouvelle venue, suivi de ses comparses. Ça va dégénérer en bagarre de taverne, ça, et pas sûr que la Garde intervienne jusqu’ici. En général, ils se déplacent pas trop dans les quartiers comme celui-là.
Ce qui m’arrange bien. En plus, si y’a Lara, c’est le moment de se rendre utile, huh ?
Quand Gregor passe derrière moi, j’tend négligemment la jambe pour le faire trébucher, puis j’fracasse ma bière dans la tronche de son pote, celui qu’a déjà pris ma choppe un peu plus tôt. C’est l’ouverture des hostilités, avec les gens qui sautent par-dessus les tables et les tabouret pour se foutre joyeusement sur la gueule. Pas un couteau de sorti, on s’explique poliment ?
La nouvelle esquive un crochet maladroit en se baissant, et écrase son talon sur le pied de son assaillant, avant de lui coller un uppercut dans le menton, l’étendant pour le compte. Entraînement militaire. Lara se débrouille bien, de son côté, alors j’fais oublier à Gregor comment se servir de ses poings le temps de lui écraser la tête contre le plancher sale.
Un coup de tatane dans les côtes m’éjecte contre le zinc, mais j’attrape un tabouret proche pour parer l’attaque suivante. Une gonzesse que j’connais pas saute sur le dos du type, et lui frappe répétitivement le crâne avec le coude. Et le tavernier a sorti un énorme nerf de bœuf de sous le bar, mais se contente de défendre son territoire, et s’assurer que personne ait la mauvais idée de venir se servir en bouteilles à briser, ou se dise que c’est le moment de vider la caisse.
En une dizaine de minutes, l’échaffourée est terminée, et le groupe de Gregor prend la sortie en tirant salement la gueule, et en boitant pour la plupart. J’retrouve ma place au bar, avec Lara. La nouvelle reprend son souffle à côté.
« Merci pour le coup de main, fait Lara en nous regardant. Allez, j’vous paye un verre. Lloyd, sers donc une tournée !
- Ca arrive, ça arrive. Mais, vraiment, arrêtez ça, ça fout toujours un bordel pas possible…
- Ca fait vingt ans que ça dure, et ça va pas s’arrêter, tu sais très bien. »
Le patron grogne.
« Comme d’habitude, réparez les tabourets et côtisez-vous pour les verres.
- T’inquiète, Lloyd, écarte-t-elle d’un geste de la main. Bon, Vrenn, et notre charmante inconnue, installez-vous. On va prendre une table, tiens.
- J’propose qu’on prenne celle dont on m’a viré.
- Ahah, bien vu, ça. Belle ironie dramatique.
- Theldj.
- Enchantée. Moi, c’est Lara, ça c’est Vrenn, et les autres là-bas… Oh, ça vaut pas le coup, achève-t-elle avec un sourire taquin. »
On s’installe sous les huées de ses copines, qui la chambrent gentiment.
« Alors, Theldj, qu’est-ce que tu fais à Grand-Port avec un bébé smilodon ? »
Lui ? Un Smilodon ? C’est une teigne plutôt. Pas vrai que tu es une teigne Kohvu ? D’ailleurs, tu dois des excuses à tout le monde.
Le petit animal tourna la tête vers sa maîtresse, la suppliant presque du regard. La jeune femme haussa un sourcil et Kohvu baissa finalement la tête, posant sa patte sur son museau.
Je préfère.
Il se réfugia ensuite sur ses genoux, honteux de s’abaisser à un tel geste, lui le fier Smilodon aux canines acérées qui… Se lova contre le ventre de Nehla et s’endormit bien vite.
Encore désolée pour tout ça. On était censé passer quelques jours ici, pour savoir si nous emménageons dans le coin prochainement. On était censés ne pas se faire d’ennemis aussi vite aussi, mais c’est visiblement raté.
La dénommée Lara afficha un sourire presque satisfait, il valait finalement peut être mieux savoir se battre par ici, et la raclée qu’ils avaient mis au petit groupe adverse semblait avoir eu son effet sur cette femme imposante.
Tu t’y f’ras bien va.
Le jeune homme qu’elle avait renversé plus tôt acquiesça avant d’avaler une grande rasade de sa bière, visiblement pas la première de la journée.
Je suppose que vous travaillez ici ? Je veux dire, sur les bâtiments ? Vous êtes tous marins ?
Lara fit un geste de la main en désignant ses camarades, comme pour montrer l’évidence.
Ça se voit, petite, non ? On est certainement pas des petites minettes de la Capitale !
Nehla hocha la tête, bien consciente de la stupidité de sa question. Elle ne savait vraiment toujours pas entamer des conversations intéressantes avec les inconnus si un coup de pouce magique ou une bouteille de vin ne venait pas l’y aider.
Et toi Theldj, tu fais quoi, à part traîner dans le coin ?
Le supposé marin la détaillait des pieds à la tête, et à voir l’expression sur son visage, il devait se douter qu’elle faisait partie des forces armées du royaume. La jeune femme hésita un instant, il était peut-être mal vu de faire partie de la Garde dans les environs, il fallait qu’elle invente quelque chose rapidement.
En ce moment, rien de spécial. Je cherche de quoi m’occuper on va dire.
Elle mentait encore plus mal qu’elle n’engageait les conversations, ç’en était désolant.
J’viens d’engager le p’tit Vrenn, t’as qu’à venir avec nous !
Pardon ? Pour faire quoi ?
L’Adjudant jeta un regard presque paniqué vers le jeune homme, ne sachant pas s’il s’agissait d’une blague ou d’une vraie proposition, dans tous les cas, ce n’était pas bon pour elle.
Le p’tit Vrenn. Ça va que j’fais des efforts pour rentrer dans le boulot, parce qu’elle est un peu raide. Bon, ok, elle a l’air plus vieille que moi de bien dix ans, mais on doit pas être loin d’avoir le même âge. Les horaires nocturnes, le turbin physique, l’air salé des embruns et la picole, ça vous vieillit quelqu’un salement. Puis la misère, et quelques gamins peut-être… J’zyeute sa taille. Ouais, nan, p’tet pas de mouflets, finalement.
Quand Lara propose à Theldj de taffer avec nous, j’suis assez mitigé. Elle fait garde, mais elle est là en balade, alors p’tet retraitée, mercenaire, ou aventurière ? Parfois, c’est dur à différencier. Bref, on peut tabler sur des capacités martiales assez avérées, un sens de la justice proportionnel à la paye ou absolu, et une incapacité totale à faire preuve de réflexion. Bon, j’abuse un peu sur ce dernier point mais…
Mais bordel, j’suis en mission d’espionnage, donc si la garde vient foutre ses gros pieds dans le plat, ça risque un peu de tout me faire foirer. D’un autre côté, ça peut faire une alliée à envoyer au casse-pipe, ou juste à utiliser, et parfois vaut mieux être deux que tout seul. Du coup, ça se défendrait de la convaincre de filer un coup de main, voire de la payer pour ses menus services… J’passerai le tout en note de frais, Zahria gueulera pas.
« Un super boulot de docker. On charge des bateaux, on décharge des navires, on charge des barques, on décharge des chaloupes… »
Lara me tape fort l’épaule.
« Tu vois, il a déjà tout compris au travail ! C’est tôt le matin, c’est fatigant, pas forcément très gratifiant… Mais on est en bonne compagnie, on rigole bien, et surtout, la paye est tout à fait attrayante. Dis-lui, Vrenn !
- Ouaip, c’est clair que ça paye bien. J’suis arrivé quelques heures avant toi, tout juste. »
J’annonce les montants à l’heure, les bonus si on termine. Faut connaître un peu le marché, mais normalement, ça suffit à se dire que y’a pas forcément que du très net dans tout ça. Elle accepte, donc soit elle s’ennuie vraiment beaucoup, soit elle est grave en dèche de thune.
« Et tu viens d’où ? Demande Theldj.
- C’est pas important, que j’balaye l’interrogation d’un geste de la main. On veut tous toujours laisser des trucs derrière soi, non ?
- Bien vrai ! Abonde Lara. »
On écluse doucement nos verres en faisant la conversation. C’est les platitudes qui s’enchaînent, jusqu’à ce que Lara repose son verre avec un peu plus de violence que d’habitude. J’pense pas que ce soit l’alcool qui fasse déjà effet. Puis elle tape dans ses mains.
« Bon, les enfants, je vais me rentrer. Vous couchez pas trop tard, on embauche tôt demain. »
Puis elle se casse. Bon.
« Euh, on fait quoi ? Que j’demande.
- On va se coucher aussi pour demain.
- Vendu. »
J’me lève, j’m’étire. Demain, les choses sérieuses vont commencer.
Tu m’as vraiment mise dans l’embarras, tu le sais ?
Une petite plainte, presque un miaulement de chaton, s’échappa des babines de Kohvu qui se pressa contre son mollet. Elle soupira en souriant, l’attrapant pour qu’il se cale contre elle pour le reste du chemin.
Tu as plutôt intérêt à ne plus faire de bêtises et à m’aider demain.
La petite bête cala sa tête sur l’épaule de la jeune femme, frottant son museau contre son cou en signe d’approbation. Elle arriva finalement à l’auberge, monta rapidement dans sa chambre pour laver sa cape du mieux qu’elle le pouvait et la mettre à sécher par la fenêtre avant d’aller dîner avec son acolyte. L’aubergiste avait eu la gentillesse d’accepter le Smilodon sans rechigner, surtout parce qu’il chassait les autres animaux errants qui traînaient autour de son établissement. Après ce repas rapide, l’Adjudant Theldj remonta, laissant Kohvu dans la chambre pendant qu’elle se douchait, appréciant l’eau brûlante qui coulait sur sa peau, éliminant les dernières particules de sel qui la recouvrait. Elle rassembla ses cheveux humides avant d’y glisser sa broche qui ne la quittait plus depuis quelque temps et s’accouda à la fenêtre pour observer la vie du port.
Tu en penses quoi de ce type ? Celui du port. Il avait l’air un peu louche non ? Enfin, tu me diras, tous les marins me paraissent louches donc bon. Je crois que je ne suis définitivement pas prête pour la vie civile, il faudra qu’on se débarrasse de cette mission aux docks rapidement pour que j’aille trouver le responsable de la Garde du Port. Je compte sur toi pour ne pas tout faire tomber par terre une nouvelle fois.
Elle jeta un œil à la petite boule de poil qui se lavait, assis bien sagement sur le lit. Il avait incliné la tête sur le côté comme pour dire « mais tu veux que je te dise quoi ma grande ? Je suis un animal si jamais t’avais pas remarqué. ». Nehla secoua la tête en riant presque nerveusement.
Je deviens folle. Je parle à un animal et j’attends qu’il me réponde en plus. Il est grand temps de changer d’air. Et de se reposer aussi, puisqu’on se lève tôt à cause de Monsieur Kohvu et de son amour pour les rats.
Elle se glissa sous les draps avant que le tigre ne se cale contre ses cuisses et son ventre. Elle retira la broche de ses cheveux, passant machinalement son pouce sur la gravure, avant de la poser sur la petite table de chevet à côté d’elle et de s’endormir, une main protectrice posée sur le petit corps de son familier.
C’est bien avant le lever du soleil que Nehla se rendit sur les docks en compagnie d’un Kohvu encore tout endormi. Elle adressa un signe de tête aux travailleurs qu’elle croisait avant de retrouver Vrenn au lieu convenu.
Bonjour.
Salut.
Les deux partenaires du jour furent rejoints par Lara, visiblement bien plus réveillée qu’eux, qui leur donna les instructions pour la journée avant de les laisser à nouveau plus ou moins seuls. Vrenn et Nehla échangèrent un regard puis haussèrent les épaules de concert avant de se mettre au travail. L’Adjudant jetait de temps à autre un regard à Kohvu, posté sur une caisse en face du bateau dont ils avaient la charge, assis bien sagement, comme s’il faisait le guet, malgré son envie bien visible de partir courir dans tous les sens. Elle travailla en silence, n’échangeant que quelques mots avec le jeune homme qui semblait légèrement plus dispersé qu’elle, jetant des coups d’œil de part et d’autre du navire, vers les différentes équipes qui travaillaient, ouvrant parfois discrètement une caisse quand il le pouvait. La jeune femme haussa un sourcil, se demandant bien ce qu’il trafiquait, avant de hausser les épaules, elle n’était pas là pour le surveiller et il pouvait bien faire ce qu’il voulait.
Après quelques heures de travail, elle s’accouda à l’une des caisses de la nouvelle cargaison qu’ils chargeaient, essuyant son front d’un revers de main, pour prendre quelques minutes de pause. Kohvu était en dehors de son champ de vision, mais comme aucun fracas ni aucun cri ne parvenait à ses oreilles, elle supposa que tout se passait bien. Alors qu’elle s’était retournée, prête à transporter une nouvelle caisse, une main ferme lui attrapa le bras pour la tirer un peu plus loin, à l’abris des regards. Elle se trouva à nouveau en compagnie de Vrenn qui chuchota :
J’ai besoin de ton chat.
Mon chat ? Ah, Kohvu ! Pourquoi ?
J’en ai besoin, c’est tout.
Nehla fronça un sourcil avant de hausser les épaules et de siffler pour faire venir le petit animal, qui se précipita vers elle en quatrième vitesse tout heureux qu’il était de se dégourdir les pattes.
Qu’est-ce qu’on peut faire pour toi ?
La nuit a été calme et reposante, encore qu’un peu courte. Heureusement que j’ai l’habitude de bosser quand le beau blond dort encore, pasque le réveil à trois heures du matin, ce serait assez douloureux, sinon. Là, il caille, normal vu l’heure, la période de l’année, et le fait qu’on soit au milieu de la nuit. Le travail me réchauffera vite, et la compagnie charmante de mes deux nouvelles amies. Reste à savoir si j’vais trouver ce que j’cherche dans tout ce fatras, ou si j’vais me niquer le dos pour rien toute la journée.
Et ben ça loupe pas.
J’trouve que dalle. J’sais pas si c’est pasque c’est pas chargement, ou si c’est caché mieux que mon examination sommaire a pu trouver, mais j’ai mis la main sur rien de particulier. Theldj est dure à la tâche, Lara bosse aussi, avec quelques autres, plus loin. Mais j’ai beau jeter un œil dans les caisses que j’peux, voire aller un peu plus loin pour fouiller dans des endroits que j’suis pas censé voir, j’trouve que dalle. Du coup, c’est l’occasion de lancer le plan de secours, parce que si c’est pas elle qui transporte de la Contrebande, ça veut dire que c’est un autre bateau, un autre chargement, bref, pas ici.
Et donc que je perds mon temps, déjà précieux. J’ai pas fait Examinateur, criminel, puis espion pour finir manutentier à Grand Port, merde.
Finalement, c’est de là où j’ai été le plus langue de pute que le salut viendra p’tet. Mais si ça marche, j’veux bien continuer à l’être, pasque ça m’a bien servi jusque-là. Du coup, quand j’vais voir Theldj et son chaton qui fout le bordel partout où il va, et que j’demande de l’aide, puis qu’elle refuse pas, j’suis plutôt content. Ça doit être mon charme légendaire, ça, et ma bonhomie naturelle, qui donne envie aux gens de m’aider. Ou alors elle est juste serviable.
« Est-ce qu’il est dressé pour sentir des trucs ? On a fait le tour de la cale avec la matinée, mais y’a que ces caisses-là.
- Oui, et alors ? Nous sommes payés pour décharger les caisses.
- Et tu trouves pas que c’est super bien payé ?
- Ce n’est pas très bien payé…
- Tu connais p’tet pas les prix, mais moi si. »
Pour le coup, c’est vrai, que c’est c’est plutôt bien payé.
« Du coup, ça veut dire que y’a un truc pas net. Et j’compte bien trouver quoi. Y’a forcément un petit trafic là-dessous. Donc j’veux savoir si le chat peut renifler les alentours pour trouver un double-fond, des marchandises qu’on n’aurait pas vu, ou ce genre de conneries. Tu veux bien m’aider ? »
Plus loin, Lara me fait un signe de la main qui me dit d’approcher, alors j’m’exécute. C’est que c’est la chef, pour le coup, de notre petite mais fière équipe. Y’a deux autres personnes qui déchargent plus loin, un gars et une fille. Des locaux, eux. On n’a pas vu le marchand qui possède les bateaux, ni les marins, qu’étaient déjà partis à part celui qu’est de quart et qui chique, accoudé au bastingage. Si j’ai pas le choix, j’irai essayer de lui tirer les vers du nez. Avec un peu de chance, il bavera un peu trop…
« Tiens, Vrenn, aide-moi pour ça.
- ‘Sûr, Lara. »
Elle me désigne une caisse qu’est bien deux fois plus grosse que les autres. On prend chacun un bout, et on la manutentionne jusqu’au pied de grue qu’est là pour porter les marchandises du bateau à la terre ferme. Pendant que c’est en cours, on prend la planche pour descendre sur le quai.
« Ca va, le boulot ?
- Ouais, c’est fatigant mais ça paye bien. Pas tout à fait assez à mon goût, cela dit.
- Comment ça ?
- Oh, j’voudrais bien mettre un peu plus de côté. Du coup, si t’as d’autres contrats du même style ou qui payent davantage… »
Elle me jette un regard calculateur.
« L’argent, hein ?
- Ouais, le pognon.
- Je vais y réfléchir. »
Ouais, bon, on fait pas rentrer les inconnus dans le cénacle, quoi. Mais ça serait bien que ça prenne pas des semaines, sinon j’vais commencer à avoir sérieusement mal au dos.
On finit du côté de Lara, alors j’retourne voir vers Theldj, si la boule de poil a trouvé quelque chose ou si elle a pas voulu m’donner un coup de main.
Bon, Kohvu, il faut que tu te concentres. Il faut trouver quelque chose qui n’a rien à faire là. Je ne sais pas ce qu’on cherche, mais il faut le trouver. Je compte sur toi. Avec un peu de chance, si on trouve ce qu’il veut, on pourra partir d’ici rapidement, ça marche ?
Une espèce de miaulement s’échappa des babines du Smilodon, il se redressa et se faufila entre les différentes caisses, laissant Nehla à nouveau seule. La jeune femme soupira et se remit au travail, veillant à jeter des coups d’œil dans certaines caisses, observer les alentours et laisser traîner ses oreilles au cas où des informations lui parvenaient. Elle cherchait en vain quelque chose dont elle ignorait tout. Des substances illicites ? Des armes ? Des personnes ? Des objets magiques ? Quoi que ce soit, ça devait sortir de l’ordinaire et son attention serait sûrement attirée si elle tombait dessus.
Mais oui, quelle délicieuse idée de venir se balader sur le port en cette belle journée ensoleillée et faire connaissance avec les locaux ! Tu aurais mieux fait de rester là-haut, on aurait eu moins d’ennui et on serait pas en train de…
Nehla leva les yeux du chargement qu’elle s’apprêtait à monter sur un des navires, cherchant le tigre des yeux. Elle jeta un œil aux alentours et se faufila entre les cargaisons à la recherche de l’animal, pour finalement le trouver assis bien sagement près d’une caisse des plus banales.
Tu es sûr de toi ?
La jeune femme ouvrit avec prudence la caisse, rien de particuliers à première vue, elle jeta un regard noir à Kohvu qui ne bougeait pas d’un pouce, persuadé d’avoir trouvé quelque chose. §Nehla soupira puis fouilla un peu plus dans la caisse, jusqu’à ce que ses doigts rencontrent un tissu qui n’avait certainement rien à faire dans cette caisse. Elle attrapa un petit sac noué de cuir, plutôt lourd malgré sa taille. Elle observa l’objet, tentée de l’ouvrir, mais une main se posa sur le contenant. Nehla leva les yeux pour rencontrer ceux du jeune homme qui avait missionné Kohvu, il posa un index sur ses lèvres comme pour intimer l’Adjudant au silence et la tira par le bras. Légèrement confuse, la jeune femme l’observa en silence, un peu mal à l’aise dans cette situation étrangement familière.
Un problème ?
Une impression de déjà-vu. C’est ça que tu cherchais ?
Le jeune homme arborait un étrange sourire, un mélange entre la satisfaction, le sadisme et le soulagement, comme s’il savait quelque chose qu’elle ignorait, en dehors de la nature du contenu de ce petit sac.
Ouais, c’est sûrement ça.
Et, c’est quoi ? Et pourquoi tu cherches à savoir ce qui se passe ici au fait ? Tu fais pas partie du… personnel ?
Kohvu s'était installé entre les jambes de Nehla, observant le jeune marin d'un œil presque mauvais, alors que sa maîtresse le questionnait. L'Adjudant commençait à sentir les ennuis arriver, cet homme était peut-être un marin, un membre d'un quelconque gang rival à un autre, un trouble-fête, un Aventurier en mal de mission palpitante, un trafiquant, un ancien Garde qui aurait mal tourné, un Noble en quête de sensations fortes... Il pouvait être n'importe qui et lui attirer des tonnes de problèmes finalement, et elle, elle lui donnait un coup de main, pleine de bonne volonté pour s’ouvrir aux autres et tenter de sociabiliser, elle avait laissé son éternelle froideur de côté pour aider Vrenn, si c'était bien son nom, dans sa pseudo-enquête sur les docks.
C’est avec soulagement que j’vois que Theldj a trouvé quelque chose, grâce à sa boule de poils. Une inspection rapide suffit à m’convaincre que c’est sûrement ce que j’cherchais, à des objets un peu pourris, dans lesquels de la came est plantée pour passer les contrôles. J’laisse quelques temps la sacoche à la jeune femme et sa cicatrice, et j’la tire à l’écart pour pas que Lara entende ce qu’on dit. Le boulot est bientôt fini, mais il reste justement à faire dans la cale, donc c’est là qu’on se retrouve, avec les rais du soleil qui filtrent à travers quelques planches mal assujetties du pont.
« Nan, nan, j’fais pas partie du personnel. »
C’est le gros dilemme qui reste à éclaircir, c’est qui elle est, ce qu’elle fout là, avec qui elle est réellement… Y’a clairement un truc de Garde là-dessous, probablement à la retraite. Peut-être des blessures de bataille suite à la cicatrice qu’elle a sur la tronche ? Possible, j’saurais pas dire. En tout cas, ça doit pas faire bien longtemps, ou alors elle s’est reposée, ou elle a bossé dans un truc un peu protégé…
Pasque ce qui ressort, c’est clairement une impression d’innocence, de naïveté. Elle est pas toute jeune, pourtant, mais elle a l’air d’être passé à travers toutes les daubes qui arrivent au fil du temps aux gens. C’est comme ça qu’elle peut se faire marcher dessus dans une taverne, se retrouver embauchée plus ou moins de force pour être docker alors que c’est pas du tout sa situation, et qu’elle en a probablement pas du tout besoin, puis qu’elle acepte de chercher des trucs pour un inconnu…
Ou alors elle a pris un gros coup sur la tête et perdu quelques neurones, ça s’est vu aussi.
« Bon, écoute, j’vais te dire la vérité, que j’chuchote. »
Comme si y’avait la moindre chance, tiens.
« Y’a un traffic de contrebande ici, enfin, de ce côté des quais. J’essaie de l’identifier, et du coup, j’pense qu’on fait partie du même camp. Ça me semble même sûr. »
J’veux pas dire directement que j’fais partie de la Garde, des fois qu’elle ait du ressentiment vis-à-vis d’eux. Du coup, maintenant, elle peut imaginer ce qu’elle veut, tant qu’elle se persuade qu’on est dans le même camp. J’lui fais même un coup de déjà-vu, pour qu’elle ait une impression favorable. Puis j’jette un regard suspicieux aux alentours.
« Du coup, j’essaie de remonter la piste pour l’arrêter. J’veux pas participer à une guerre de gangs ou quoi que ce soit, évidemment, mon objectif, c’est d’améliorer les choses. C’est à cause de la contrebande qu’on est aussi bien payé, d’ailleurs. »
Du coup, le mieux, c’est de remettre le sac en cuir à sa place, et de suivre la caisse pour voir où elle atterrit. En plus, j’ai pile ce qu’il faut, maintenant. J’lâche une pierre de lien dans le sachet. Plus qu’à la suivre à la trace et la récupérer à la fin, pour savoir chez qui le paquet transite. Et à prendre des notes, évidemment.
« En tout cas, merci pour ton aide, Theldj. Aussi bien pour le boulot que… pour le reste. »
Puis on est interrompu par un cri.
« Hé, vous foutez quoi, les deux, là ? Il reste quasiment rien ! »
Lara gueule dehors pour qu’on finisse le boulot, histoire qu’on puisse tous aller écouler le fruit de notre dur labeur au bistrot, sans vergogne. J’suppose que c’est ça, la vie d’un pauvre sur les quais.
« Tu veux p’tet pas rester pour la suite, mais tout travail mérite salaire, alors viens, que j’propose à la nana. »
On finit rondement le boulot, puis on s’prépare à retourner à la taverne d’hier, qui doit être un genre de quartier général des dockers. Un peu comme l’aventurier téméraire, finalement, pour les gens qui sortent de la Guilde. Et les poches pleines, bien que crevé, j’garde localisé dans un coin de ma tête le lieu où s’trouve mon sac en cuir, l’objet et la drogue.
N’empêche, c’était vraiment fatigant, comme boulot.
Quand on arrive devant la taverne, cela dit, c’est pas la fête. Y’a notre copain d’hier, et tous ses potes. Putain.
Lara avance d’un air crâneur.
« Bah alors, vous vous êtes perdus ? »
Non, et nous, on devrait pas rester…
On ferait pas mieux de…
Mais c’est notre copine la balafrée !
Nehla tourna la tête vers l’un des hommes qui arborait un sourire niais, bien conscient d’avoir fait mouche avec ce simple mot. Elle serra les mâchoires avant de s’approcher de lui, arrêtant son visage à quelques centimètres du sien.
T’as un problème ?
Sorti de sa cachette, le petit chat s’était posté entre les jambes de Nehla, sortant ses petits crocs qu’elle trouvait adorable en temps normal, le poil hérissé, prêt à lui bondir dessus.
C’est toi mon problème, toi et ta petite clique là.
Un geste dédaigneux de la main, il cracha au sol, lançant une sorte de défi aux trois compères. La jeune femme arbora son éternel sourire en coin, resserrant son poing autour duquel une légère brume se formait.
Tire-toi, ça vaut mieux pour toi.
Toi, tire-toi d’ici, t’es clairement pas des nôtres, t’as rien à faire ici, la balafrée.
Nehla fronça les sourcils, laissant la brume courir sur son avant-bras, son poing toujours serré, à tel point que les jointures de ses doigts blanchissaient à vue d’œil
Avec ton sale chat…
Il avait esquissé le mauvais geste, comme si donner un coup de pied à Kohvu était la bonne solution. L’animal avait bondit sur sa jambe, plantant ses crocs dans son mollet, arrachant un cri de douleur aigu au type qui leur cherchait des noises. Nehla en profita pour lui asséner un coup de poing dans le thorax, posant ensuite sa main libre sur son épaule en remontant son genou au même endroit où son poing s’était écrasé avant de le relever et de lui administrer un crochet directement dans le menton. Elle empoigna l’homme par la chemise, le soulevant légèrement dans les airs, plantant ses yeux dans les siens.
T’as autre chose à ajouter ?
Kohvu lâcha finalement sa prise en grognant, défiant les compagnons du type qui avait osé s’en prendre à sa maîtresse. Une main se posa sur l’épaule de l’Adjudant, exerçant une légère pression pour l’intimer à relâcher le malheureux. Elle obtempéra, ouvrant ses doigts embrumés pour le laisser choir lourdement sur le bois humide du quai en jetant un regard presque désolé à Vrenn qui l’avait stoppé dans son élan.
Tu perds rien pour attendre !
Tu sais où me trouver.
Comme pour appuyer ses propos, Kohvu montra à nouveau les crocs en grognant alors que le blessé et ses deux petits amis s’en retournaient d’où ils venaient.
T’es une sanguine, Theldj !
On s’en prend pas à Kohvu sans s’en prendre à moi. Il faut bien que je le protège, petite chose fragile qu’il est.
L’animal se dressa sur deux pattes, glissant ses coussinets sur la jambe de Nehla pour qu’elle le prenne dans ses bras, ce qu’elle fit avec plaisir, le laissant se lover contre son cou.
Allez, allons prendre un verre. La première est pour moi.
Vrenn emboîta le pas des deux femmes, non sans glisser un mot à Nehla.
Tu voulais pas filer y’a deux minutes ?
Il faut bien défendre notre territoire, c’est pour ça qu’on se bat, pour repousser les monstres.
Ils s’installèrent finalement à la même table que la veille avec Lara, qui conta avec passion la petite altercation à ses amies. L’Adjudant jeta un œil à Vrenn qui l’observait à travers sa choppe, comme s’il cherchait à en savoir plus sur elle. La jeune femme se repassa les évènements et ses paroles, elle avait peut-être un peu trop démontré les résultats de ses entraînements quotidiens et son appartenance à la Forteresse, mais il ne paraissait pas s’en offusquer, il paraissait presque intéressé finalement.
Hé, on fait quoi maintenant ? Je vais pas me battre avec eux tous les jours pour toi, je te préviens.
Et voilà qu’on se bat à nouveau. Bon, tant que c’est qu’à mains nues, ça devrait aller, aussi bien pour leur casser la bouche que pour les mettre en fuite, surtout que mes adversaires ont la fâcheuse tendance d’oublier quoi faire une fois qu’ils se retrouvent face à moi, ce qui me permet de les éliminer rapidement. Et une fois qu’ils ont assez mal, ils acceptent gentiment d’aller souffrir ailleurs. Putain, si j’pouvais encore les planter dans un coin, on les reverrait pas pendant plusieurs semaines, on serait enfin peinard…
Ce qui m’inquiète, c’est le risque d’escalade sous-jacent, et j’comprends pas pourquoi y’a une telle animosité entre eux. C’est ça qu’il faut creuser.
Le point de départ de cette échaffourée là, c’est le gars qu’essaie de frapper le chat. J’le comprends, une vraie saloperie, cet animal. Ça dure que quelques secondes, le temps que Theldj montre qu’un entraînement militaire, ça laisse quand même des traces. Une fois qu’elle est calmée, et eux partis, je hoche la tête.
« T’inquiète, ça devrait aller. Mais d’abord, on va se rafraîchir, nan, Lara ?
- Oui, le plan n’a pas changé. »
A l’intérieur, le mobilier est à peine dans un meilleur état qu’hier, ce qui n’est pas vraiment surprenant : faut le temps de réparer, ou racheter quand c’est vraiment nécessaire. Mais on s’en fout, on ramasse nos bières payées par les deniers de la patronne, puis on va siéger à une table dans le fond, un peu dans l’ombre, aussi. J’me roule une clope après qu’on ait trinqué, histoire de finir d’écluser cette journée harassante.
« Du coup, Lara, pourquoi vous êtes aussi brouillés, avec les autres cons ? J’suppose que c’est pas juste savoir qui s’asseoit où au bistrot. »
Theldj prête aussi davantage attention, et Lara fait juste tourner sa bière dans sa pinte.
« C’est lié aux contrats de déchargement ? »
Son regard devient brusquement plus aiguisé et se fixe sur moi, avant de basculer vers ma nouvelle copine.
« Pourquoi tu penses ça ?
- Faut vraiment faire un dessin ? »
Dans mon esprit, l’autre pierre de lien est comme une ancre immobile depuis quelques heures, mais jamais loin sous la surface, comme un mot que j’aurais en bouche.
« Non, c’est bon, pas la peine. Ouais, c’est ça. Avant, c’était eux. Puis y’a eu un truc, une merde, une descente de la garde à cause d’une taupe ou quoi. »
Est-ce que ce serait pas de ce moment-là qu’on a eu nos informations, côté espionnage, d’ailleurs ? C’est probable que si.
« Du coup, les proprios de la compagnie maritime ont changé tout le monde, et j’ai récupéré le contact, car je connaissais déjà les bonnes personnes. Ils le vivent mal.
- En terme d’ego ?
- Oui, mais aussi financièrement. Ils sont à sec.
- Ah.
- Ouais.
- Enfin, chacun sa merde, que j’termine. »
Elle a un sourire amer. Y’a p’tet autre chose derrière, mais mon attention est détournée par l’arrivée d’un plateau de bouffe, qu’on attaque gaiement avant de revenir vers des sujets plus joyeux. T’façon, j’suis plus tant intéressé par ce qu’elle a à raconter, maintenant que j’ai trouvé ma piste.
« Y’a un autre chargement demain, qu’elle dit la bouche pleine et en postillonnant allègrement.
- ‘Sûr. Même heure ?
- Oui. Ça te convient, Theldj ?
- Je vais voir.
- Et toi, Vrenn ?
- Ouais, j’y serai. »
Mes couilles, que j’y serai.
On tombe rapidement dans un silence postprandial, et j’commence même un peu à m’assoupir quand le petit caillou coincé dans ma botte mentale commence à s’agiter. Il est plus au même endroit, il est même en mouvement. Bon, les affaires reprennent enfin, alors. Content d’avoir pu grailler avant, quand même. J’avale le fond de mon godet, et j’me lève. Lara me jette un regard interrogateur.
« T’y vas ?
- Ouais, vais m’promener.
- Y’a pas grand-chose à voir à Grand-Port. »
Je hausse les épaules.
« J’ai été payé, je trouverai de quoi faire. Tu veux venir, Theldj ? Ca sera chouette, tu verras. »
Regard sarcastique de la chef, mais ma collègue décide de me suivre. Probablement que ma brusque énergie a attiré son attention. Une fois sortie, elle cale son rythme de marche sur le mien.
« Qu’y a-t-il, Vrenn ?
- Le sac avec la drogue est en train d’être déplacé. Tu veux venir, ou tu préfères abandonner là ?
- C’est la source des problèmes, non ?
- Ouais.
- Alors je viens.
- Impec’. »
Ça va pas très vite. On est un bon pâté de maison derrière, et vu le rythme, je tablerais sur un type qui flâne ou, plus probablement, un genre de charrette. Le type a dû ramasser tous les colis intéressants et se promène avec. La question, c’est où est-ce qu’il va les amener ? Directement chez le distributeur, ou y’a un contrôle qu’est fait ? Ou bien sur une des péniches qui remonte le fleuve vers la Capitale, comme supputé par Zahria ?
On va pas tarder à être fixé, de toute façon.
On se connaît ? Je veux dire, on s’est pas déjà croisés ?
Non, j’crois pas.
Sûrement quelqu’un qui te ressemble alors.
Pourquoi ? On se serait vus où ?
Aucune idée. Une impression c’est tout.
Faut bouger.
Allons-y.
Nehla siffla après Kohvu qui trempait le bout de ses pattes dans l’eau du port et ils reprirent leur promenade en silence, Vrenn poussant parfois le bras de Nehla pour lui indiquer le chemin à prendre. Ils arrivèrent finalement dans un dédale de petites ruelles qui s’assombrissaient de minute en minute à mesure qu’elles se vidaient. Le jeune homme tira brutalement le bras de l’Adjudant et la plaqua contre un mur, attrapant par la même le gros chat qui continuait sa route l’air de rien pour le fourrer dans les bras de sa maîtresse. Il jeta un œil dans la ruelle qu’il avait souhaité éviter avant de se plaquer à son tour contre le mur. Il chuchota à l’intention de Nehla, ou pour lui-même :
Il est là, c’est l’endroit qu’on cherche. Faut qu’on rentre dans ce bâtiment.
La jeune femme jeta un œil intrigué à Vrenn, ne sachant pas vraiment ce qu’il attendait d’elle, et posa Kohvu au sol lui intimant d’un geste de la main de ne pas bouger et de ne faire aucun bruit. Elle se rapprocha du jeune homme pour jeter elle aussi un œil. Trois hommes discutaient à voix basse, faisant parfois de grands gestes comme s’ils étaient en train de se disputer en silence.
Je t’ai dit que j’arrêtais de me battre pour toi pour aujourd’hui.
Qui t’as dit qu’on allait se battre ?
Faut bien savoir ce qu’ils trament non ?
Pas faux.
C’est pas mon truc les interrogatoires, moi j’encaisse et je rends les coups.
Si tu les fais fuir, on va rien en tirer non plus.
Ça t’arrange bien quand même que je fasse déguerpir les sales types. Puis on est trois aussi. Kohvu peut encore nous aider.
Tu te tais jamais ? Les trois gars doivent juste surveiller, faut s’en débarrasser.
Nehla haussa un sourcil, un sourire en coin se dessina sur ses lèvres, elle empêchait visiblement Vrenn de réfléchir à un plan. Elle en profita pour plaquer doucement ses mains l’une contre l’autre, ferma les yeux et serra son poing contre la paume de son autre main, créant une légère brume qui courait sur ses doigts. Elle s’accroupit et se rapprocha de l’angle du mur, laissant sa brume se faufiler le long du bâtiment. Elle détacha ses cheveux et les démêla rapidement avant de retirer sa veste et de tirer un peu sur son débardeur en dévoilant un peu plus son décolleté. Elle posa ensuite la main sur son Smilodon et lui murmura quelques mots.
Tu pars à l’aventure Kohvu, mais sois prudent, d’accord ?
L’animal sembla hocher la tête et se mit sur pattes avant d’aller déambuler dans la ruelle en suivant la brume qui le camouflait légèrement. Nehla se releva et adressa un clin d’œil à Vrenn avant de lui mettre sa veste entre les mains et de laisser tomber l’une des bretelles de son débardeur. Elle attendit patiemment que Kohvu soit assez près des hommes pour faire son apparition dans la brume qui s’épaississait autour d’elle à mesure qu’elle avançait vers les trois brigands. Elle prit une longue inspiration avant de dissiper la brume derrière elle pour que Vrenn puisse tout de même suivre ce qui se passait.
Kohvu ? Allez revient ! Tu sais que je n’aime pas quand tu t’échappes comme ça…
Sa voix faussement fluette et inquiète résonna dans la ruelle et fit se retourner deux des trois hommes alors que le Smilodon arriva à leur hauteur avant de bifurquer derrière une caisse et de s’y cacher. Nehla s’approcha d’eux en affichant une mine des plus inquiète, de celle qui fait passer une femme pour une petite âme à sauver.
Excusez-moi messieurs, je cherche mon chat… Vous ne l’auriez pas vu ? Je suis si inquiète…
Les trois hommes glissèrent un regard vicieux sur Nehla, détaillant ses courbes avec insistance.
Elle a besoin d’aide la petite demoiselle ?
Je vous serais si reconnaissante si vous vouliez bien m’aider…
L’Adjudant se mordit la lèvre en plongeant son regard dans celui d’un des malfrats, qui toussota légèrement.
Allez les gars, on va aider la petite demoiselle à retrouver son petit chat !
Kohvu avait probablement senti le moment et sorti de derrière sa caisse pour s’enfuir en direction de Vrenn en laissant échapper une sorte de miaulement qui ne trompait personne, mais les trois hommes appâtés par une éventuelle récompense de la part de Nehla se lancèrent à la poursuite du fauve qui fila dans la rue, dépassant Vrenn, pour aller perdre les trois hommes plus lion dans le port. Nehla siffla en direction de Vrenn avant de rattacher ses cheveux et de se rhabiller convenablement.
La voie de Monsieur est libre…
Elle s’inclina légèrement, en désignant d’un geste ample du bras la porte du bâtiment qui abritaient sûrement plus qu’un petit sac de drogue.
Y’a pas à dire, parfois, être une nana, ça sert. Quand il s’agit de se débarrasser de gorilles un peu idiots, et probablement assez en chien d’ailleurs, à l’aide d’un chat et d’une chatte, par exemple. Ça donne envie de pleurer comme un veau tellement c’est navrant. On se croirait à la Capitale un jour de marché, tiens, tellement c’est le zoo.
« Bien joué, Theldj. »
J’suis pas avare en compliments, surtout quand ça m’aide.
En plus, on est débarrassé du chat géant, et ça, c’est pas une perte. Il court partout, renifle, fait du bruit, et m’regarde mal quand nos yeux se croisent. J’sens qu’il veut me griffer ou me mordre, comme tous les animaux, mais les semelles de mes godasses sont prêtes à aller s’essuyer sur sa gueule au besoin. Ça fera juste pas très plaisir à sa maîtresse, mais, hé, j’y survivrai. Puis elle oubliera vite.
Le bâtiment en lui-même est assez lambda. J’serais probablement passé devant sans lui jeter un regard. On en a fait rapidement le tour, et si y’a un côté qu’est clairement dévolu au transport de marchandise, celui où on s’trouve, l’autre semble assez nettement être une habitation, probablement pour le vendeur qui possède les locaux. Ça continue de mêler contrebande, drogues, et commerce légal, visiblement. Et ça me fournira bien assez d’informations comme ça.
En arrivant devant la porte, évidemment fermée à clef, j’me contente de sortir mon rossignol noir. Pas de temps à perdre à crocheter de façon réglo. Sur une simple pensée, le matériau couleur nuit se coule dans la serrure, s’adapte à la forme voulue, et j’donne le tour qui permet de déverrouiller le battant. J’récupère mon outil, on entre, et on referme derrière nous. Et la porte se verrouille à nouveau sur une nouvelle action du rossignol.
Plus loin, y’a un espace pour les charrettes, avec une petite grue d’appoint. Ça doit servir à charger, et décharger, quand les ouvriers sont absents ou trop fatigués pour travailler. Ou si les caisses sont affreusement lourdes, ce qui est pas impossible si on parle de chargement de métaux. J’sais pas dans quoi le marchand qui crèche ici se spécialise, après tout. Mais j’suppose en tout cas qu’il en a l’utilité. J’sens davantage que j’vois le paquet qui m’intéresse, avec la pierre de lien.
C’est une des priorités. J’compte pas continuer à suivre les colis, surtout si ça finit directement vendu. Après, faudra aller chez un acheteur, récupérer le caillou, ça serait que des emmerdes. Nan, autant le prendre maintenant, en apprendre gentiment davantage sur le vendeur, et couper l’approvisionnement ici. De toute façon, il sera toujours temps de remonter ensuite vers les producteurs, dès qu’on en saura plus ici.
En tout cas, c’est le plan de la patronne, et quand elle ordonne, j’exécute.
En farfouillant un peu, j’récupère ma pierre de lien, que j’empoche tranquillement, puis j’me tourne à nouveau vers Theldj.
« Allons finir de tirer cette affaire au clair, hein ? »
Entre les grandes étagères du hangar, plus ou moins chargées en caisses et marchandises diverses, on peut voir un escalier qui monte le long d’un mur, jusqu’à une porte qui doit correspondre à la barraque. Il fait encore bien jour, cela dit, alors j’hésite à y aller comme ça. Le maître de maison sera p’tet pas dans ses locaux, pour peu qu’il soit parti faire un tour ailleurs. J’mâchonne l’intérieur de ma joue.
« Finalement, on va plutôt attendre que la nuit tombe, d’accord, Theldj ? J’m’en veux un peu de te retenir quelques heures de plus, pour être sûr que le commanditaire soit chez lui, mais… »
Enfin, cela dit…
« Si tu veux, j’peux t’ouvrir la porte. Par contre, si les gardes sont de l’autre côté, tu te débrouilles avec eux. Moi j’peux juste t’assurer qu’ils me verront pas moi. Cela dit, tu voulais plus trop te battre, alors… J’te le conseille pas trop. Toi qui vois.
- Non, ça va aller.
- Merci. »
J’me disais bien. On s’fourre dans un coin, là où si quelqu’un ouvre la porte, il nous verra pas. J’ai mon anneau d’invisibilité, et la possibilité de faire oublier comment voir, au pire, mais s’ils sont plusieurs, ça va commencer à être pénible et exiger une méthode plus musclée, j’suppose. Même si ça me dérangerait pas de coffrer tout le lot, cela dit. C’est juste qu’on sera un peu limité en bras, même si Theldj charcute bien.
Mais l’heure tourne sans que personne se pointe, gentiment. Vrai que les boulots de ce genre sont plutôt le matin, faut l’admettre. Donc on s’dirige à nouveau vers la porte qui mène à la maison, et que j’ouvre sans difficulté avec le rossignol vu qu’elle était verrouillée, elle aussi. On s’pose quelques secondes pour entendre quelques sons de voix, et celui des casseroles dans la cuisine proche. J’passe la tête, mais c’est qu’une bonniche en train de préparer la bectance. Rien de bien intéressant.
En face, y’a un salon meublé avec goût, et qu’est justement occupé par deux hommes et une femme. Y’a clairement un couple, vu qu’ils sont débout côte à côte, avec des verres à pied à la main.
« … péré le chargement de colis. Tout devrait partir vers la Capitale demain.
- L’intégralité ? Vous ne gardez pas une petite partie ici pour le marché local ?
- Non, je ne voudrais pas froisser mes confrères et consoeurs.
- Je comprends. »
Je jaillis dans l’embrasure de la porte.
« Vous êtes en état d’arrestation ! »
Toujours rêvé de dire ça.
Comme on ne l’attendais pas, Kohvu fit irruption dans la pièce, dérapant sur un tapis après avoir renversé probablement tous les plats posés sur les plans de travail de la cuisine, affolant la cuisinière par la même, elle n’avait qu’à pas laisser sa fenêtre grande ouverte après-tout. Le Smilodon se posta devant sa maîtresse, le poil hérissé et ses petits crocs sortis en grognant.
Nehla fit un signe de tête vers le mur, intimant chacun des trois présumés coupables de trafic à s’y placer, mains contre le mur. Elle les fouilla rapidement, ne trouvant que de petites armes blanches cachées dans une ceinture, une botte, ou accrochée à une lanière de cuir à la cuisse de la jeune femme. Elle vidait leurs poches avec précaution, sortant plusieurs petits sacs de la même nature que celui trouvé au port, avant de vider le sac à main visiblement luxueux de la jeune femme, déposant sur une petite table son contenu. Parmi les différents bijoux de rechange et autres rouges à lèvres, plusieurs petits objets insolites, des cristaux qu’elle n’avait jamais vus et un poudrier rempli d’une poudre d’un blanc immaculé qu’elle supposa ne pas être du maquillage, mais qui devait servir à la jeune blonde à se repoudrer le nez de temps à autre, en témoignait l’absence de pinceaux et la présence d’une petite lamelle plate en métal. Leur tapotant l’épaule, elle les fit se retourner pour les observer, bras croisés sur sa poitrine, son familier reniflant chacun d’eux alors que Vrenn faisait les cent pas devant eux, le dos bien droit, mesurant chacun de ses pas.
Bien, bien, bien… Alors, qu’est-ce qu’on a là ?
La jeune femme, une blonde, tourna la tête vers celui qui devait être son compagnon, qui grimaça légèrement. Nehla s’approcha d’elle, glissant ses doigts sous son menton pour l’inviter à garder son attention sur son partenaire d’arrestation imprévue, son éternel sourire en coin aux lèvres. Kohvu s’arrêta près de l’homme seul en montrant les crocs avant de tourner la tête vers Nehla. L’Adjudant fit un signe de tête à Vrenn, lui indiquant que cet homme n’inspirait rien de bon à Kohvu, il avait un certain flair pour repérer les mauvais bougres dans son genre. Le jeune homme se posta finalement devant le plus grand du trio, qui paraissait mener la danse dans leur petit commerce. Nehla recula d’un pas, histoire d’avoir une vue d’ensemble de ces trois petits embourgeoisés, prête à intervenir au besoin. Elle avait pourtant dit à Vrenn qu’elle ne se battrait plus pour lui, mais quelque chose lui disait qu’elle allait encore devoir le faire, et plus d’une fois.
La nana a de la came sur elle, mais pas de quoi me donner ce que je veux, à savoir un aller simple en taule, voire l’exil. Nan, il faut que j’trouve plus violent, plus méchant, plus suspect pour leur coller une potion de vérité dans les gencives et remonter toute la filière.
« Bon alors, les bourges. On commerce des trucs que la Couronne approuve pas trop ?
- Je ne vois pas ce dont vous parlez.
- Ouais, ouais, gardez ça pour le Juge. »
J’profite de la situation pour m’allumer tranquillement une clope, en les laissant debout, face au mur. Ça rend toujours nerveux.
« Regardez devant vous. »
Dès que y’en a un qui respecte pas les consignes, j’lui colle un petit taquet qui lui écrase le tarin contre la pierre. Pendant les quelques minutes que durent mon petit manège pour les mettre mal à l’aise, y’en a une, puis deux qui se trémoussent, mais l’autre reste de marbre. Bon, c’est celui qu’on avait identifié comme le meneur, et il a les nerfs plus solides que ses petits camarades.
« Ne répondez à aucune question, ordonne-t-il aux deux autres. »
Raaah, c’est pénible quand ils font ça.
« Bonne idée. Refus de coopérer, je vous emmène directement à la caserne, comme ça. En plus, vu l’heure, on pourra pas s’occuper de vous avant le lendemain, facile. On vous collera en cellule avec tous les poivrots qui gerbent partout, et on avisera le lendemain.
- Quoi ?! Mais nous avons des droits.
- Possession et usage de stupédiants, déjà. Faut pas se leurrer, vous allez au trou. Après je remplirai des papelards pour vous laisser mijoter un peu plus. Vous ferez gaffe à vos jolies fringues, elles risquent de faire des jaloux dans la cellule. Mon conseil, c’est de toujours rester dos au mur, pour éviter les traîtrises. Après, s’ils s’y mettent à deux ou cinq, ça serait plus compliqué, mais bon… Oh, et c’est pire chez les femmes, au fait. »
Bon, quel angle d’attaque pour interroger le chef… Il va m’empêcher de causer aux autres, et j’veux pas qu’il leur fournisse une thèse commune sur laquelle se baser… C’est moins mon rayon, ça, les interrogatoires, pour le moment, faut dire. Enfin, ceux qui sont polis, pasque j’suis toujours capable de faire parler les gens, pour peu qu’on me laisse carte blanche.
Au final, rien ne presse, pas vrai ? Vaut mieux prendre son temps que de faire une connerie, donc j’vais plutôt faire ça. J’baillone sommairement le meneur avec des vieux tissus de mon sac sans fond, et pareil l’autre bonhomme. J’vais pour la nana, quand le chat de Theldj se met à feuler vers la porte. Et v’là t’y pas que y’a une grosse de quarante piges, avec deux lourdauds, trentaine ou début de quarantaine. Elle a un énorme hachoir en main, et les autres ont des genres de gourdins. Elle porte encore son tablier de cuisinière. La bonniche.
« C’est le petit personnel qui vient défendre les patrons, c’est ça ? »
Y’en a un qui doit être jardinier ou une connerie du genre, et l’autre qui gère p’tet les conducteurs de charrettes. J’espère qu’ils vont pas se ramener à cinquante, ça risquerait de rendre le bouzin un peu difficile. Mais trois paysans, pour une soldate de la Garde, ça devrait pas poser problème, pas vrai ?
J’colle un coup de genou au riche qu’essayait de se retourner, pour lui faire passer le goût des mauvaises idées.
« Theldj, tu te bats ou pas ? Pasque j’crois pas qu’ils te laisseront partir. »
Marrant, qu’elle se retrouve toujours coincée à se battre.
« Sinon, si la technique de l’autre fois marche encore, ça me dérange pas, promis. »
Ben ouais, tant qu’à faire, autant pas risquer de prendre un mauvais coup…
C’est le moment où tu te tires avec ces trois là et qu’on se retrouve plus tard, si j’en reviens.
Elle tourna finalement le dos au jeune homme qui l’avait embarquée dans une sacré aventure, s’avançant d’un pas déterminé vers les trois autres, Kohvu la suivant de près. Elle n’avait aucune arme sur elle à part ses poings et aucune protection à part son corps. La soldate s’arrêta à moins de deux mètres de ses adversaires, ferma les yeux avant de plaquer ses mains, puis d’y enfoncer son poing, créant une brume épaisse autour d’elle, qui courait sur son corps, avant d’envelopper les trois autres alors qu’elle ouvrait les doigts de son poing serré. Satisfaite des murmures peu rassurés des deux hommes et des injonctions de la femme à se jeter sur l’étrangère qui avait apparemment menacé ses employeurs ou ses collègues, son sourire en coin s’étira, elle aurait presque pu paraître sadique à ce moment-là, heureusement pour eux, l’Adjudant n’avait pas encore perfectionné la cristallisation de sa brume, ils ne goûteraient donc qu’à ses coups de poing bien placés, dans la mesure du possible.
Kohvu attendait le signal, le poil dressé, les crocs sortis, il grognait plus d’impatience que pour les effrayés. Un simple regard vers l’animal et ce dernier se jeta sur le plus proche des hommes, plantant ses crocs et ses griffes dans son mollet avant de lui grimper à la jambe, à mesure qu’il criait de douleur face à ces petites dents acérées. Nehla profita de la diversion de Kohvu, qui croquait joyeusement dans les côtes du malheureux, pour neutraliser le deuxième homme, bien trop rapidement à son goût, il lui avait suffi d’un coup de genoux dans le sternum et d’un coup de tête pour l’assommer et qu’il ne tombe inconscient aux pieds de la femme, plus imposante que les deux hommes réunis.
Nehla fit s’épaissir la brume, rendant la scène presque surréaliste, un combat dans les nuages les plus épais avec un Smilodon et une balafrée qui synchronisent leurs attaques, la soldate aurait pu lire ce genre de récits dans les livres pour enfants ou dans ceux qui content les légendes d’Aryon, ces guerriers invincibles et leurs créatures magiques. Elle avait finalement rejoint Kohvu, se servant de l’arme improvisée de celui qu’elle avait maitrisé pour assommer son collègue d’un coup derrière la tête. Le tigre lâcha finalement sa prise, attendant les ordres pour attaquer la femme.
Il comprit bien vite qu’il devait rester en retrait et attaquer au besoin. La femme tournait la tête dans tous les sens, balançant des coups de hachoir dans le vide, espérant toucher la soldate sur un coup de chance. Nehla resta perplexe face à cette nouvelle adversaire, si elle ne cessait pas de gigoter, elle allait sûrement se prendre un coup de lame ou deux. Elle avait croisé les bras, posant un index sur son menton, tentant vainement d’élaborer une stratégie. La femme qui se débattait contre la brume, s’épaississant à mesure qu’elle s’agitait, appelait la soldate à venir se battre, lui lançant tout un tas de noms d’oiseaux, empêchant la jeune femme de se concentrer. L’Adjudant abandonna finalement, un grognement de rage s’échappant de ses lèvres alors que son adversaire avait prononcé le mot de trop. Elle se lança sur la cuisinière, serrant les poings, elle se baissa pour tenter d’éviter le hachoir fou, mais la fine lame vint se planter dans son bras, entaillant sa peau sur plusieurs centimètres, s’enfonçant loin dans sa chair, un râle de douleur s’étouffa dans la brume alors que l’ustensile de cuisine quitta finalement son bras, dans une giclée de sang rouge vif qui s’écoulait abondamment.
Cette blessure décupla les forces de Nehla en même temps que son envie d’en finir avec cette sombre affaire, elle serra les poings mais vit avec horreur que son bras droit, le plus puissant, ne répondait pas vraiment, tout occupé qu’il était à être à moitié tranché. Kohvu fit son apparition à point nommé, attrapant la cuisse de la bonne pour y planter sa mâchoire de toutes ses forces, laissant à sa maîtresse l’occasion de la désarmer, elle lança le hachoir aussi loin que possible qui alla se planter dans un meuble. L’Adjudant frappa de toutes ses forces, à de multiples reprises, au torse, dans le ventre et au visage, la pauvre femme sur qui elle déversait toute sa rage. Nehla s’acharna sur elle pendant de longues minutes jusqu’à ce qu’elle ne tombe d’un coup, le visage ensanglanté.
Épuisée par cet échange, car bien que la soldate ait réussi à la mettre au tapis, elle avait essuyé plusieurs coups de genoux puissants dans les côtes et de nombreux coups de coudes au visage, réveillant de vieilles blessures et ouvrant de nouvelles plaies sur son visage, elle tituba vers le mur le plus proche, se laissant tomber au sol dans un soupir, le souffle court, alors que la brume se dissipa d’un coup, s’infiltrant dans le corps de la soldate par ses doigts. La pièce était dévastée par le combat qu’elle avait dû mener contre la grande dame, bien plus coriace que prévu, les meubles étaient renversés et couverts de gouttes de sang, sans parler du beau tapis blanc qui avait absorbé la majorité du sang de Nehla. Kohvu s’approcha doucement de sa maîtresse, s’apprêtant à lécher son bras blessé, stoppé dans son élan par sa maîtresse qui posa sa main rougie sur sa tête. Il fila dans la pièce pour retrouver la veste de la soldate, lui apportant rapidement en se prenant les pattes dans les manches qui traînaient. Peinant toujours à retrouver son souffle, Nehla déchira une des manches du vêtement pour couvrir sa plaie du mieux qu’elle le pouvait et utilisa l’autre pour se faire un garrot, pas assez serré visiblement, puisque le sang continuait de s’écouler dans de gros filets.
Elle se releva finalement, toujours essoufflée, et arracha un des rideaux pour ligoter les trois gardes du corps, les laissant encore inconscients au milieu de la pièce avant de partir à la recherche de Vrenn. Elle le trouva dans la pièce où ils avaient passé la nuit, elle y pénétra sans bruit avant de se placer derrière lui. Quelques mots, entrecoupés par sa respiration haletante, s’échappèrent de ses lèvres qui saignaient, avant qu'elle ne manque de tomber sur le jeune homme.
J’suis pas ton garde du corps, Vrenn… Dis-moi que c’est fini, j’t’en prie… J’suis plus trop en état là… Dis-moi que t'en as tiré quelque chose qui vaut le coup...
Donc, tout menottés qu’ils sont, j’les attache les uns aux autres avec ma corde magique.
« Un beau nœud coulant autour du cou. Si vous voulez vous enfuir, j’vous conseille de courir en synchro. »
Evidemment, avec les mains dans le dos, et moi qui surveille, ils ont aucune chance d’y arriver, ce qui est bien le but de la manœuvre.
« Vers le hangar. »
On prend une autre porte et on enfile deux couloirs avant de se retrouver à l’endroit que j’voulais. La porte extérieure est toujours bien fermée à clef, et j’retire d’un geste la corde magique du cou du chef du trio. Puis j’l’attache au montant d’un espace de rangement, pour que le couple se fasse pas la malle. Et j’traîne mon pote à l’écart, avant de lui refaire les menottes et m’assurer qu’il puisse pas bouger. Il me regarde de haut, même assis au sol. J’lui colle un taquet dans la gueule.
« C’est de la violence indue !
- T’inquiète, mon pote, t’en verras d’autres. »
Puis j’retourne vite fait m’occuper de mes deux loulous, que j’sépare également. Ils sont tous à un coin de la pièce, et il s’agit maintenant de la jouer fine. Ils savent que le premier qui gueule trop va pas regretter d’être venu, donc ils maintiennent le silence, comme instruit par leur chef. On va commencer par le mari, tiens.
« Hé, salut. Tu t’appelles comment, marchand ?
- Je ne répondrai à aucune de vos questions posées dans le cadre d’une investigation illégale. Je connais mes droits et…
- Si tu balances ton chef, j’m’assure pour qu’il arrive rien à ta meuf.
- Hein ?
- Sinon, c’est la zonzon pour vous trois, les cellules communes, le seau à caca. Crois-moi, j’sais de quoi j’parle. »
Il cherche mon visage, jette un coup d’œil dans la direction de son patron, plus loin, qui nous entend pas. J’reprends.
« Toi, tu feras une petite peine, on s’arrangera avec les juges. Juste histoire que tes potes te tombent pas dessus, tu vois ? Bref, on peut s’arranger. J’te laisse y réfléchir, j’vais faire la même proposition aux autres. Par contre, j’prends que le premier, j’peux pas tous vous sortir de là si vous racontez tous, hé ? Tu t’doutes bien. »
J’vais faire le même laïus à la copine. Elle est vachement plus hésitante. Elle doit être là pour l’argent facile, et profite p’tet des retombées de son mari, sans y toucher plus que ça ? Un peu cliché, mais ça s’est vu. Elle donne pas l’air d’être aux commandes, en tout cas, avec son maquillage qui a coulé et ses vêtements salis par la poussière de l’entrepôt.
Le dernier morceau, c’est le plus compliqué, le cerveau de la bande. Un hématome commence à pointe là où j’l’ai tapé.
« Bon, mon gars, j’vais jouer cartes sur table.
- Préparez-vous surtout à rendre votre plaque. Votre opération est illégale, la garde n’est pas habilitée à s’introduire de force chez les gens. Vous avez fait preuve de violences à mon égard, ça va vous coûter cher et…
- T’sais chez qui on est ? Chez le Capitaine Al-Rakija. Vous avez pas entendu parler de ses méthodes, quand il était à la Capitale ? T’inquiète donc pas pour ça. »
Ouais, au pire, ça fera de la paperasse sur son bureau. Zahria m’en sera reconnaissante. Puis le plus vraisemblable, c’est que tout ça sombre dans un oubli inconfortable pour mes petites prises du jour.
« J’vais te faire la même offre qu’aux deux débiles. Le premier qui parle s’en sort avec quasi rien, les deux autres trinquent. Pour être tout à fait correct, si le mec parle, sa nana prend queud’, et lui une peine minimale, et toi qui prends tout. J’ai dit pareil à sa femme, que son mari prendrait peu et la rejoindrait probablement au bout de quelques mois à l’ombre. On va pas se mentir, t’es le plus intelligent des trois. Dans les deux cas, c’est toi qui vas bouffer. »
Son regard se floute quelques instants, le temps qu’il estime si ses petits camarades ont les gonades bien accrochées.
« Enfin, sauf si c’est toi qui balances, évidemment. Mais pas les deux zigotos. Enfin, eux aussi. Mais j’veux plus haut, plus loin. Tant qu’à faire les choses, autant les faire bien : j’veux remonter. L’avantage, c’est que si on coince les patrons, y’aura personne pour envoyer les larbins à votre cul, pas vrai ? Que le monde est bien fait. J’te laisse y réfléchir, j’vais voir si les deux autres ont pris une décision. »
J’me redresse de ma position accroupie, et j’m’en vais cueillir les fruits de mon dur labeur.
« Attends, qu’il m’interpelle. »
Hé bah. J’vois à son regard dur qu’il hésite pas longtemps. Un vrai serpent, le gars. Respectable, j’aurais fait pareil. Enfin, ce sera pas l’avis de ses collègues, mais bon, chacun sa merde. J’l’écoute tout me balancer, et j’note les noms au fur et à mesure qu’il me les donne. Puis j’vais faire pareil avec les autres, quand même. Ce bon vieux dilemme, ça te soude pas une équipe, hein ? Surtout chez ceux qui trempent qu’un orteil, à défaut de baigner totalement dans le crime. Les gangs de racketteurs tiennent mieux le choc, d’expérience, quand il s’agit de la boucler.
Puis j’vois Theldj qui se pointe, salement entaillée au bras. Hé bah, ils devaient être plus coriaces que prévus, les trois sous-fifres, hein ?
« T’inquiète, on a tout ce qu’il faut. Manque plus que la Garde. Enfin, en nombre, quoi. »
J’lui fais un garrot et un bandage de fortune, sous le regard attentif de son familier, la petite saloperie de smilodon qu'a été aussi bien utile, et qui m'regarde mal, pour pas changer.. Puis j’attache les victimes de ma coéquipière du jour, et je hèle la première patrouille qui passe.
Une affaire rondement menée.
J’suis assez fier de moi.