-Z’êtes tombés sur un beau coup de vent, dites donc !
Eivar acquiesça : en effet, une petite tempête de neige l’avait surpris, et il pouvait s’estimer chanceux d’être tombé sur cette taverne au milieu de rien. Cela faisait plusieurs jours qu’il suivait la piste d’un artefact qui avait éveillé sa curiosité, mais jamais il n’aurait pu imaginer que cette expédition le mènerait jusque dans les montagnes, où le climat jouait fréquemment des tours du genre. Sirotant sa bière, il conta les péripéties qui avaient jonché son voyage depuis son départ de la capitale, et comment il était parvenu à finalement obtenir une idée assez précise de l’endroit qu’il recherchait.
Cependant, un problème de taille se posait : la région était vaste, et elle lui était complètement inconnue. Ces indications ne lui étaient d’aucune utilité s’il n’avait personne pour l’aider à les interpréter, et le guider à travers ces massifs.
- Personne n’connait mieux la montagne qu’la garde par ici mon bon M’sieur ! Et la garde est postée à la Forteresse, tous droit vers l’Nord.
Ces quelques mots suffirent pour faire naître sur le visage d’Eivar un sourire enchanté. Son visage sembla s’illuminer légèrement alors que l’image d’une silhouette au charme envoutant lui revenait. Cela faisait 2 mois depuis ce rendez-vous, deux longs mois pendant lesquels il n’avait pas vraiment eu le temps de souffler, jonglant entre quelques affaires de la Haute, et les quêtes de bas étage que lui trouvait la Guilde pour se remplir suffisamment les poches pour vivre. Et pendant ces deux mois, rares avaient été les nuits ou ses songes ne l’avaient pas transporté auprès de la brunette, et du souvenir des moments qu’ils avaient partagés ensemble. Deux longs mois pendant lesquels il avait passé la plupart de ses temps libres à la recherche d’une bonne excuse pour la rejoindre.
Si à la base rien n’indiquait que sa route le mènerait jusqu’ici, il n’avait cessé d’y penser et d’espérer silencieusement pendant tout ce temps. Et maintenant qu’il en était là, il se retrouvait partagé entre l’excitation et l’appréhension à la perspective de revoir cette jeune femme, qui n’attachait peut-être pas autant d’importance à leurs retrouvailles que lui... Mais en entendant le tavernier lui annoncer qu’un passage par la Forteresse lui serait de toute façon nécessaire, il ne put s’empêcher de sourire, se disant qu’on devait essayer de lui faire passer un message, et que douter ne le mènerai nulle part. Le voyant terminer sa choppe avec hâte, l’homme releva un sourcil d’étonnement.
-Z’êtes bien l’premier que j’vois enthousiaste à l’idée de monter là-haut tiens ! J’vous conseille quand même d’attendre que c’te tempête passe, ça serait plus pru…
Eivar ne l’écoutait plus. Il avait déjà déposé quelques cristaux sur le comptoir, revêtu sa large fourrure, son foulard, et tiré les deux battants de la porte.
-Merci pour tout ! Gardez la monnaie !
Sans attendre de réponse, et d’un salut de la main, il referma derrière lui, et s’engagea droit dans la direction du vent, vers les sommets montagneux. L’ascension ne fut pas une partie de plaisir : suivre les sentiers en ne pouvant qu’entrouvrir les yeux et en ne voyant pas à 2 mètres devant soi n’était pas des plus simples. Le seul point positif de ce temps était le souffle du vent dans son dos qui lui permettait d’avancer sans le moindre effort : même sans y voir clair, il savait la pente rude, et ce petit coup de pouce était bienvenue. Après une bonne heure, alors qu’il commençait à ne plus sentir ni ses pieds ni ses doigts, la tempête se décida finalement à le laisser en paix, révélant en un instant un ciel cristallin, et un large soleil très haut dans le ciel, qui parvenait à le réchauffer légèrement.
Il lui fallut un moment avant de le réaliser, mais alors que ses yeux s’écarquillaient, il prit conscience que l’architecture de la roche se trouvant à quelques centaines de mètres devant lui n’avait rien de naturel… La Forteresse se dressait là, juste en face de lui, imposante et gracieuse, parfaitement encastrée dans le reste du paysage. Admiratif devant la splendeur de l’édifice, le regard d’Eivar quitta cependant rapidement ses hautes tours pour se concentrer en contrebas près de l’entrée, où quelques soldats semblaient s’entrainer. Rien de très officiel apparemment, puisque de là où il se trouvait, le jeune homme pouvait déjà distinguer que si certains portaient fièrement leur uniforme, d’autres avaient préféré une tenue différente… Plus il se rapprochait, plus il parvenait à distinguer de détails, mais en apercevant une partie de la troupe se disperser, il comprit qu’il débarquait juste pour la fin des festivités, et alors qu’il arrivait finalement assez près pour entendre les coups échangés et les grognements de douleur, seules deux personnes restaient encore…
Déjà fatigué ?
Jamais !
Le soldat lui décocha un coup de genoux dans le ventre, coupant le souffle de la jeune femme qui grimaça sous la douleur, sentant presque l'une de ses côtes se briser lorsqu'il enchaîna avec un coup de poing tout droit sur son côté gauche. L'Adjudant ne prit pas la peine de se relever, courbée sous la douleur, elle attrapa le poing de Donte encore enfoncé dans ses côtes et lui retourna le bras. Il se trouva à terre, alors que sa supérieure se releva, maintenant son bras dans son dos, tirant toujours un peu plus dessus en plaçant son genoux dans le creux de son dos.
Tu tiens à ton épaule, Donte ?
C'est surfait les épaules, Theldj.
Adjudant Theldj pour toi Donte !
Nehla lâcha subitement l'avant bras du soldat et le repoussa de son genoux, le laissant s'écraser à terre dans un bruit sourd. Il se tourna rapidement, prêt à lui asséner un coup de pied pour la faire chuter.
Trop prévisible, soldat !
La jeune femme attrapa le pied de Donte juste avant qu'il ne l'atteigne, affichant un sourire en coin entendu au jeune homme à terre avant de le relâcher, sans chercher à lui rendre un coup, puisqu'il ne l'avait pas touchée. Il se releva rapidement, se positionna en défense, prêt à recevoir les attaques de Nehla qui ne bougea pas d'un pouce. Elle le fixa, plongeant son regard dans le sien avant de s'élancer vers lui, prête à l'attraper par la taille pour le mettre à nouveau à terre, lui assénant un coup d'épaule dans les côtes par la même occasion. Le genou du soldat vint percuter l'estomac de Nehla alors qu'ils tombaient tout deux au sol, arrachant un grognement peu glamour à Nehla qui plaqua ses mains sur les épaules de Donte pour le maintenir au sol, ses jambes venant enserrer les siennes. Ses longs cheveux maintenus par une queue de cheval glissèrent finalement sur son visage alors que l'élastique qui les maintenaient craqua après des heures de bons et loyaux services. Le soldat lança un regard presque intimidé vers la jeune femme au dessus de lui, leurs camarades autour d'eux retenaient presque leur souffle, assistant presque à une scène d'amour alors que Nehla retirait sa main droite de l'épaule du soldat, resserrant son poing et que sa main gauche se plaquait violemment sur le thorax de Donte pour le maintenir le plus possible contre le sol glacé et enneigé. Son poing se leva jusqu'à arriver au niveau de sa pommette, elle fronça les sourcils et leva les yeux de sa cible quelques instants, apercevant une ombre qui entrait dans son champ de vision, la déstabilisant un instant. Ses yeux rencontrèrent une silhouette familière, jusqu'à apercevoir d'Eivar qui l'observait, les lèvres légèrement entre-ouvertes.
Profitant de l'absence de sa supérieure, le soldat Donte se dégagea de sa prise et lui asséna un coup de coude dans le visage, percutant sa joue. Elle revint subitement à elle, reportant son attention sur le jeune homme qui attrapa le bras qui le maintenait au sol pour repousser Nehla qui résista tant bien que mal jusqu'à ce que ses jambes ne lâchent leur prise, renversant la situation alors qu'elle tomba sur le dos en grimaçant. Donte se releva bien vite, surplombant la jeune femme qui ramena ses jambes près d'elle, se relevant sur un coude. Le soldat s'approcha d'elle, lui décocha une droite directement au visage, faisant basculer sa tête contre le sol dans un bruit sourd, faisant perdre ses repères à la jeune femme. Sa lèvre venait de se fendre sous le coup reçu, un filet de sang s'en écoulait. Sans chercher à l'essuyer, elle se releva du mieux qu'elle le pouvait, jeta un regard mauvais au soldat qui recula presque instantanément d'un pas en se mettant à nouveau en position de défense.
La poitrine de la jeune femme se soulevait en saccades, au rythme de sa respiration haletante. Ses cheveux détachés, parsemées de flocons de neiges glissaient de ses épaules, se collant à la peau humide de la jeune femme alors que le sang s'écoulait toujours de sa lèvre, suivant le tracé des veines de son cou pour venir imbiber le tissu foncé de son débardeur. Ses poings se serrèrent en même temps que ses mâchoires, une légère brume s'était formée autour de ses doigts, recouvrant bientôt ses poings et ses avant-bras. Elle adressa un sourire en coin au soldat Donte avant de s'approcher lentement de lui.
Tu vas prendre cher, Donte.
Pas autant que toi, Theldj.
S'en suivit un enchaînement de coups de poings qui fusaient de part et d'autre, s'écrasant dans les côtes, le ventre ou le visage de l'adversaire, parfois esquivés, parfois volontairement reçus pour mieux contre-attaquer. Leurs corps entraient parfois en contact dans un choc brutal lorsque l'un d'eux attrapait le bras de l'autre pour le tirer vers lui, assénant un coup de genou au passage, des gémissements de douleurs s'échappaient de leurs lèvres, une grimace se dessinant un instant sur leurs visages, bien vite remplacée par un sourire de satisfaction en entendant la plainte de l'autre. Ils finirent par s'écarter l'un de l'autre un instant pour reprendre leur souffle, car ni Donte ni Theldj n'envisageaient d'abandonner le combat, ils étaient tous les deux têtus et savaient pertinemment que leur force était égale. Nehla posa ses mains sur ses genoux, penchée face au sol, tentant de rassembler ses esprits, veillant à ne pas regarder en direction de l'Aventurier qui s'était encore approché comme pour mieux voir, ou peut être comme s'il voulait être prêt à intervenir si elle était en trop mauvaise posture. Elle se mordit la lèvre en grimaçant de douleur, sentant le goût du sang dans sa bouche avant d'essuyer ses lèvres du revers de la main, vainement, car le sang coulait désormais de plus belle, se mêlant à celui qui se déversait de sa pommette. Elle tenta d'évaluer les dégâts, elle avait probablement quelques côtes cassés et ses organes étaient dans un piteux état. Elle jeta un œil à Donte qui respirait mal, un choc à la poitrine pourrait suffire à l'achever vu son état actuel.
Nehla releva la tête, restant toujours courbée, avant de s'élancer sur sa cible. Elle posa ses mains sur les épaules du jeune homme et releva son genoux jusqu'à atteindre son sternum, qui s'écrasa contre son thorax dans un bruit sourd. Elle le poussa violemment alors qu'il se pliait en deux, le faisant à nouveau chuter au sol. Elle l'enjamba, plaçant une jambe de chaque côté de son corps, son poing droit serré, sa brume se condensant autour.
J'ai gagné.
Elle s'abaissa rapidement, passant sur ses genoux, avant de laisser son poing s'écraser au niveau du plexus de Donte qui écarquilla les yeux et grogna sous la douleur. Des gouttes de sang s'écrasaient sur le visage du jeune homme, provenant de la lèvre de Nehla, sa respiration était désordonnée, elle ne parvenait pas encore à retrouver son souffle et ne cherchait pas vraiment à dépenser son énergie pour le faire, prête à asséner un nouveau coup à Donte s'il esquissait un geste, son poing s'étant relevé et positionné près de la joue de la soldate, comme quelques instants plus tôt, mais cette fois elle veillait à ne pas lever les yeux vers le blondinet.
T'as gagné, Theldj.
Nehla afficha un sourire satisfait avant de se relever, libérant le soldat Donte de son étreinte. Elle lui tendit la main pour l'aider à se relever, il se remit sur pied du mieux qu'il le pouvait avant d'attirer Nehla à lui dans une étreinte entre camarades. Il posa sa main sur son épaule assez lourdement avant de se retourner vers ses camarades qui récupéraient les cristaux pariés sur l'issue du combat.
Je t'aurais la prochaine fois Theldj !
Ça m'étonnerait bien, c'est pas la première ni la dernière raclée que je te mets. Et c'est Adjudant Theldj !
Elle fit un signe de la tête vers les autres soldats, et tous se dirigèrent vers la Forteresse, bien décidés à aller vider quelques verres avant de faire la queue devant le bureau de Wendy pour soigner leurs blessures. La petite cours se vida rapidement, ne laissant qu'Eivar et Nehla au milieu d'une neige tachetée. La jeune femme tourna la tête vers l'Aventurier, ses joues rougies par le froid se réchauffèrent encore en croisant le regard du blondinet. Elle s'approcha de lui, se tenant les côtes d'une main, essuyant le sang qui coulait sur son visage de l'autre.
Eivar... Tu m'as...
Il ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase, glissant sa main sur la joue de la jeune femme avant d'approcher délicatement son visage du sien, déposant un léger baiser sur les lèvres de l'Adjudant. Elle lui sourit tendrement avant de passer son pouce sur ses lèvres pour en retirer le sang qui s'y était glissé.
Je ne suis pas vraiment... Présentable on va dire.
Le jeune homme lui sourit en réponse, avant de laisser glisser son regard sur le corps de l'Adjudant.
Tu es visiblement plus à ton aise qu'avec une robe.
Certes... Tu es dans le coin pour une raison particulière je suppose ?
Je suis à la recherche d'un artefact, on m'a dit que les Gardes de la Forteresse pourraient m'aider donc...
Allons voir notre Médecin, histoire qu'elle me remette en état. Tu pourras m'en dire plus, je pourrais te conseiller des soldats pour t'accompagner.
Il hocha la tête, presque déçu de la réponse, avant de la suivre dans la forteresse, Nehla glissant ses doigts dans la main du jeune homme en souriant doucement. Une fois arrivée, elle donna quelques coups à la porte de Wendy avant d'entrer.
Bonjour Mademoiselle Waltz, j'aurais besoin de...
Mais c'est pas possible Adjudant Theldj ! Ça fait déjà trois fois cette semaine !
Je sais Mademoiselle Waltz, mais c'est mon travail de...
D'encaisser les coups et de le rendre, oui oui, je connais la chanson. Allez venez-là et laissez le petit jeune homme dans mon bureau, nous n'en avons pas pour longtemps.
Elle adressa un clin d’œil à Eivar alors que Nehla secouait doucement la tête avant de suivre la rouquine dans la pièce d'à-côté et de se déshabiller pour qu'elle l'examine. Elle nettoya ses plaies, appliqua quelques unes de ses décoctions personnelles sur certaines zones de son corps avant de la laisser se rhabiller.
Prenez une bonne douche et frictionnez vous avec ça, ça ira mieux d'ici demain matin. Et par pitié, arrêtez de vous battre comme ça. Et surveillez-là vous !
Merci Mademoiselle Waltz. À bientôt !
La jeune femme afficha un sourire alors qu'elle mimait un non de la tête, sachant pertinemment que Nehla allait revenir dans quelques jours dans le même état, voire dans un état encore plus lamentable. Elle sourit doucement à Eivar qui avait légèrement rougit suite à l'ordre de Wendy.
Je vais appliquer les conseils à la lettre, sinon je vais me faire gronder encore. On va monter dans ma chambre, j'irais me laver rapidement et on pourra discuter de tout ça.
Eivar acquiesça, glissant ses doigts dans la main de Nehla avant de l'attirer à lui. Il la serra doucement dans ses bras, murmurant au creux de son oreille :
Toi aussi, tu sais...
Nehla se pressa contre lui, appréciant son contact après ces longs mois à se demander si elle le reverrait un jour. Ils restèrent quelques secondes, au milieu du couloir, dans les bras l'un de l'autre, avant de reprendre leur route vers la chambre de l'Adjudant. Elle attrapa un pantalon et un débardeur propre avant de filer au bout du couloir en direction des douches communes et se lava rapidement pour rejoindre son compagnon au plus vite. Elle attacha ses cheveux dans un chignon rapide avant d'attraper délicatement la broche qu'il lui avait offert, posée sur la petite table à côté de son lit, et la glisser dans sa coiffure. Il afficha un sourire tendre et presque rassuré de voir qu'elle l'avait gardé si précieusement, avant de l'entourer de ses bras lorsqu'elle s'approcha de lui pour faire de même. Elle glissa sa tête au creux de son cou, fermant les yeux, frémissant en sentant le souffle de l'Aventurier glisser dans son dos, profitant de la chaleur de son corps contre le sien. Son estomac mit fin à ce moment intime dont elle avait pourtant tellement besoin, se manifestant enfin pour réclamer de quoi réparer le reste de ce corps meurtris. Eivar rigola doucement alors qu'elle levait les yeux au ciel. Nehla attrapa sa cape pour la passer sur ses épaules, invitant Eivar à la suivre jusqu'aux cuisines. Avant même qu'elle ne prononce le moindre mot en entrant dans le quartier général de ses petits-déjeuners privés, le Chef cuisinier attrapa une grande casserole pour y faire chauffer du café.
Alors petite, tu les as encore bien amochés hein ? Faut que tu arrêtes de faire ça tu sais.
Il se tourna finalement vers le petit couple qui s'était arrêté dans l'embrasure de la porte. Un large sourire s'afficha lorsqu'il remarqua leurs doigts liés, mais il fronça les sourcils en voyant les blessures que Nehla arborait au visage.
Petite !
Je sais Chef, mais vous le savez, c'est mon travail de...
D'encaisser et de rendre les coups, je sais ! J'te changerais pas hein ?
Peu probable, Chef.
Allez, installez-vous, j'vous prépare un bon petit truc.
Nehla s'approcha du plan de travail, tirant deux tabourets en les plaçant l'un à côté de l'autre, sur lesquels ils s'installèrent. Elle posa sa tête sur l'épaule du jeune homme après avoir déposé un léger baiser sur sa joue. Elle ouvrit la bouche au moment où il tournait la tête vers elle, mais fût stoppée dans son élan par le Chef qui déposait un grand bol de son café spécial devant Nehla. Elle s'empressa de le porter à ses lèvres, soupirant presque de plaisir par les bienfaits de ce breuvage dont il avait le secret.
Alors, c'est lui le petit blond dont tu me parles tous les jours ?
Nehla s'étrangla presque en entendant ces mots, jetant un regard inquiet vers Eivar. Certes, leur rendez-vous et les moments qu'ils avaient passé ensemble resteraient gravés dans son esprit et dans son cœur à jamais, ils avaient créé un lien unique, et elle avait passé des heures, accoudée à la fenêtre de sa chambre à se demander comme elle allait pouvoir le revoir. Elle avait dû en toucher quelques mots au Chef qui avait bien vu que quelque chose la tracassait, mais comme elle n'entendait plus les pensées d'Eivar, elle ne savait pas vraiment quoi penser de tout ça elle-même. Est-ce qu'il avait les mêmes envies qu'elle ? Avait-il déjà repensé à cette soirée ? Voulait-il la revoir ? Elle ne savait pas vraiment comment lui poser toutes ces questions ni ce qui se passait entre eux, elle n'avait jamais vécu des moments si intenses auparavant, la soldate si solide était désormais perdue, désarmée face à cet Aventurier qui occupait ses pensées, ne sachant pas comment interpréter les émotions qui la traversaient lorsqu'il était près d'elle, ne comblant le vide qu'il avait laissé qu'en s'entraînant sans relâche pour ne pas y penser.
La voix portante du cuisinier l’aida à ne pas s’égarer trop loin dans ses pensées, mais la sensation de chaleur émanant des cuisines, et le sourire immense que l’homme qui les avait invités à s’installer arborait lui rappela des souvenirs que la demoiselle lui avait partagés lors de leur précédente rencontre. Tout était fidèle à ce qu’elle lui avait laissé voir, jusqu’à sa complicité avec le chef qui paraissait aussi habitué à la voir couverte de blessures qu’à lui préparer son café… Eivar la laissa savourer son breuvage, l’observant simplement, un coude sur la table, la tête reposant sur sa paume.
-Alors, c'est lui le petit blond dont tu me parles tous les jours ?
La réflexion avait fusée, et les avaient tous les deux pris par surprise. Alors que Nehla manquait de s’étouffer, les joues de l’aventurier s’empourprèrent un peu, et il pouffa doucement de rire, amusé en la voyant paniquer devant lui comme si son plus grand secret venait tout juste d’être révélé. Ne faisait-il que la mettre dans l’embarras ? Non, apparemment cette histoire, même si elle avait surement été amplifiée, contenait une certaine part de vérité… D’une certaine façon, et même si depuis qu’il l’avait retrouvée, elle n’avait eu de cesse de lui faire comprendre qu’il lui avait manqué au moins autant qu’elle, entendre ces mots l’avait rassuré pour de bon.
-Tous les jours hein ? Moi qui m’apprêtais à me présenter dans les formes, j’en viens à me demander s’il reste quelque chose que Monsieur ne sait pas déjà
Les deux hommes échangèrent un regard complice ainsi qu’un sourire, avant de poser les yeux sur la jeune femme dont le visage rougit s’était réfugié sur son bol de café. Elle en avala plusieurs gorgées d’un coup, jetant un œil à gauche puis à droite, comprenant bien vite qu’ils ne cesseraient de la taquiner tant qu’elle continuait de les ignorer. Elle finit par poser son bol, puis après une inspiration, se tourna vers le cuisinier, en attrapant le blondinet par le bras, et en se collant à lui.
-Chef… je vous présente Eivar
-Enchanté de vous rencontrer Monsieur…
-Pas de Monsieur ! Appelle-moi Chef, petit ! Tout l’monde ici m’appelle comme ça !
Il laissa s’échapper un rire très sonore, avant de déposer sur la table quelques victuailles dans lesquelles il les invita à piocher sans retenue ce que ni l’un ni l’autre ne se priva de faire. Une discussion sans prétention démarra alors, entre 2 bouchées les deux tourtereaux rattrapaient le temps perdu, contant leurs récits des semaines passées, ponctués par des interventions toujours bienvenues de la part du cuisinier qui le reste du temps ne faisait que les écouter d’une oreille curieuse. Après vingt bonnes minutes, quelques voix commencèrent à se faire entendre dans la salle juxtaposée, et après avoir tapé dans ses mains, le Chef se tourna vers nous pour débarrasser la table en hâte.
-Allez ouste les jeunes, j’ai un service qui m’attend !
Alors que les deux amants se hâtaient de finir leurs bouchés, déjà debout et prêt à quitter la pièce, il déposa une frappe amicale sur l’épaule d’Eivar juste avant que la porte ne se referme, lui adressant un dernier sourire, et lui murmurant à voix basse.
-Prend soin d’elle, petit !
Le jeune homme frissonna, et haussa un sourcil : c’était déjà la deuxième remarque du genre qu’on lui faisait et s’il ne savait trop quoi en penser, il était au moins sûr d’une chose : être là pour elle, c’était quelque chose qu’il voulait lui aussi au plus profond de lui-même… Leurs regards se croisèrent, et alors qu’il rougissait légèrement à cette idée, elle ne chercha pas à en savoir plus, lui adressant simplement un sourire sincère, avant de le guider à nouveau à travers le couloir, sans lui préciser l’endroit où ils se rendaient désormais.
- Alors, racontes-moi, qu’est-ce-que c’est que cet artefact qui t’a poussé à monter si loin au Nord ?
- Pour tout te dire… je n’en sais pas encore grand-chose
Les yeux grands ouverts de la demoiselle, plongée dans l’incompréhension, suffirent à lui faire comprendre qu’il avait intérêt à développer un peu, sans quoi il risquait de la perdre.
- A la base, ça n’était qu’une rumeur qui circulait à la capitale… Mais en me renseignant un peu, j’ai pu trouver des pistes concrètes qui se recoupent. Tout laisse à croire qu’il s’agit d’un objet assez ancien, qui possède une influence sur l’espace qui l’entoure… un objet magique. Je n’ai aucune idée de ce à quoi il ressemble, ou de ses pouvoirs exacts, mais mon instinct pour ce genre de chose me trompe rarement, je suis sûr qu’il existe, et qu’il est proche d’ici…
Marquant une courte pause, le temps de laisser la brunette digérer l’information, il sortit de la poche de son manteau un morceau de parchemin. Ancien, troué et à peine lisible, une tâche d’encre restait cependant reconnaissable au milieu de toutes les autres : la forteresse. De là à dire qu’il s’agissait d’un plan… de son point de vue rien n’était moins sûr puisqu’il ne connaissait absolument rien aux alentours… il aurait tout aussi bien pu s’agir d’une énigme ou d’un rébus… Il tendit son indice à Nehla alors qu’ils continuaient de marcher, et relevant les yeux sur son visage, espéra y voir s’afficher une lueur, ou au moins détecter une once de doute sur ses traits.
- Tu penses que tu… enfin qu’un de tes hommes serait en mesure de m’aider ?
Il baissa légèrement le regard, se souvenant de ce qu’elle avait dit un peu plus tôt. En réalité, même s’il le redoutait, il aurait été normal pour elle de reléguer ce travail. Elle avait des responsabilités ici, et il n’y avait aucune raison pour un adjudant de s’occuper d’une simple requête. Pourtant il ne pouvait s’empêcher d’espérer partir avec elle…
-C’est bien une carte ! La forteresse est là et ce trait presque effacé représente précisément la frontière… Donc si on en croit la position qui serait indiquée… C’est sur le pan ouest d’une montagne voisine ! Je suis presque sûre qu’on a déjà repéré une grotte par là-bas, c’est peut-être ça, non ?!
La voix de la demoiselle était devenue soudainement un peu plus émotive, comme si le fait de résoudre ce mystère qu’il venait de lui poser avait réveillé en elle une certaine curiosité qui grandissait encore et encore à mesure qu’elle parlait… En la voyant arborer un sourire rayonnant de confiance et de fierté, le jeune homme ne chercha pas à se retenir, et la retenant par le bras, l’interrompant au milieu d’une nouvelle proposition, il déposa ses lèvres contre les siennes à nouveau, en plein milieu du couloir.
On pourra partir avant l’aube demain matin, on a au moins deux jours de marche avant d’atteindre la montagne qui est indiquée sur ta carte. Il faudra passer voir le Chef avant, il déteste quand je pars sans déjeuner avec lui, et il remplira mon sac d’une tonne de provision.
La jeune femme ria doucement en repensant à la soufflante qu’elle avait subit la dernière fois qu’elle était partie sans lui rendre visite avant. Elle jeta un œil à Eivar qui sembla déboussolé avant de baisser les yeux.
Pardon, j’ai oublié que tu… Enfin qu’on ne voit plus… Bref, j’avais un souvenir en tête de la dernière fois qu’il m’a enguirlandée parce que je n’avais pas pris le petit-déjeuner avec lui, tu ne veux pas subir ça, je t’assure.
Il a l’air de t’apprécier.
Soit ça, soit il se sent missionné par je ne sais quoi. J’aurais voulu faire le voyage à cheval, mais si on doit grimper en montagne, on ne pourra pas les laisser seuls en bas, donc on fera ça à pied.
Tu sais que je marche depuis des jours ?
Ça ira, ne t’en fais pas, j’ai bien fait le trajet entre la Capitale et la Forteresse en dix jours et subit un entraînement d’endurance jusqu’au poste frontière le lendemain, et j’ai encore marché pendant presque quatre jours après mon séjour aux geôles.
Mais…
Mais rien du tout, je serais là, ne t’en fais pas. Il faut que tu trouves ton petit objet avant que quelqu’un d’autre ne mette la main dessus.
Il lui adressa un sourire satisfait, les yeux brillant d’impatience à l’idée de partir en voyage avec elle. Les joues de l’Adjudant se colorèrent légèrement alors qu’ils arrivèrent enfin là où elle souhaitait les emmener. La jeune femme se rapprocha du blondinet et lui murmura de fermer les yeux avant de poser son autre main sur son avant-bras. Il haussa un sourcil avant d’obtempérer, la laissant maîtresse de la situation. L’Adjudant Theldj poussa une lourde porte de l’épaule, attirant Eivar à elle alors qu’une bourrasque de vent se faufila entre eux. Elle guida le jeune homme qui fit quelques pas peu assurés avant de la laisser finalement le guider jusqu’au milieu d’un des toits du régiment. Le soleil disparaissait déjà derrière l’horizon alors que quelques flocons commençaient à tomber, une légère brume s’infiltrait sur le flanc des montagnes en même temps qu’elle se formait au bout des doigts de la jeune femme.
Bienvenue sur les hauteurs de la Forteresse.
L’Aventurier ouvrit prudemment les yeux avant de les écarquiller devant le panorama qui s’offrait à lui, balayant vainement d’un revers de la main quelques mèches qui lui tombaient devant les yeux.
C’est chouette, non ?
Le jeune homme se contenta de hocher la tête, laissant son regard suivre la course des gros flocons qui s’écrasaient sur les environs, le dessin des montagnes escarpées, l’horizon qui ne dévoilait pas le moindre indice de ce qui se trouvait au-delà de la frontière, les volutes blanchâtres qui se détachaient sur le ciel qui s’assombrissait peu à peu, mêlant le souffle de Nehla à la légère brume qui se formait autour de ses doigts, aspirant l’humidité ambiante comme pour remplir une réserve magique, laissant le surplus glisser sur sa peau en de fins filets vaporeux. La jeune femme était adossée à un mur, observant d’un œil bienveillant Eivar, un léger sourire aux lèvres.
Je viens souvent ici depuis… Depuis notre escapade sur le toit de l’auberge. On aperçoit parfois vaguement la Capitale quand le temps est dégagé, c’est assez joli.
Elle avait fait un signe de tête en direction de la Capitale, invisible à cause des nuages bas avant de porter à nouveau son attention sur le jeune homme. Elle laissa courir ses yeux sur lui, redessinant les traits de son visage, s’attardant sur ses yeux clairs qui l’observaient, elle sentait ses joues se réchauffer à nouveau lorsque des images de leur rendez-vous se figèrent devant ses yeux. Submergée par une émotion nouvelle, elle se rendit compte tout à coup qu’elle n’avait jamais ressenti ce genre de choses pour quelqu’un, que sa visite inopinée avait comblé le vide si grand qu’elle ressentait depuis quelques semaines, que seul son contact la faisait se sentir à sa place, que son regard sur elle lui donnait l’impression d’être importante, elle qui ne trouvait plus son utilité à la Forteresse depuis un certain moment.
Perdue dans ses pensées, elle n’avait pas vu le jeune homme se rapprocher d’elle, et n’était sortie de sa transe que lorsqu’il avait délicatement posé sa main sur sa joue, comme il l’avait souvent fait cette fameuse nuit, laissant son souffle chaud effleurer ses lèvres. Elle approcha doucement son visage du sien, goûtant à nouveau à ces baisers sucrés dont il avait le secret, elle passa une main dans ses cheveux emmêlés et parsemés d’une neige fine qui commençait à tomber de plus en plus. Il s’éloigna finalement légèrement alors qu’un frisson parcourait son corps. La jeune femme sourit, presque amusée par cette réaction, elle qui ne ressentait presque plus le froid désormais.
Rentrons, je pense que personne ne verra d’inconvénient à ce que tu passes une nuit dans ma chambre, je pourrais te réchauffer près du feu.
Elle lui adressa un clin d’œil alors qu’une lueur qu’elle connaissait bien traversa son regard, elle glissa sa main dans la sienne avant de se diriger d’un pas lent vers la porte qu’elle avait poussée plus tôt.
Pris d’un nouveau frisson, et ravi d’entendre les derniers mots de sa compagne, il se laissa guider à nouveau, retrouvant l’abri des murs de la forteresse, et le long couloir vide qu’ils avaient emprunté pour venir. Légèrement en retrait alors qu’elle lui tirait la main pour le guider, ses yeux se perdirent sur sa chevelure sombre, légèrement humidifiée par une pellicule de neige fondue, et coiffés en un chignon négligé très similaire à celui qu’elle arborait à la fin de leur rencard… Sentant ses yeux insistant sur elle, la jeune femme réajusta un peu la broche qui maintenait le tout de sa main libre, et sans même qu’elle ne se retourne, Eivar pouvait tout à fait deviner son sourire et ses pommettes légèrement rougies.
-Ça me fait vraiment plaisir de te voir la porter… Je ne t’en avais pas parler, mais cet emblème, cette bouture de laurier a une petite histoire… Tu veux l’entendre ?
Juste au moment d’arriver devant la grande chambre de l’Adjudante, celle-ci se retourna, le regard brillant, curieuse d’en apprendre plus. Ils entrèrent tous deux dans la pièce, verrouillant derrière eux, et alors qu’il s’approchait du foyer presque éteint de la cheminée, saisissant deux buches pour les-y jeter, et agitant un peu les braises à l’aide du tisonnier posé là, il lui adressa un grand sourire alors que son regard ne le quittait plus, impatiente de connaître la suite.
-La maison Olgierd… Ma famille… On ne peut pas dire que l’on soit vraiment influent parmi les nobles, et de fait, historiquement, nous n’avons jamais eu un insigne ou un blason pour nous distinguer.
Il poursuivit en s’éloignant un peu du feu, qui avait déjà saisit l’une des buches, et se rapprocha d’elle doucement, glissant une main dans ses cheveux, passant son pouce sur les quelques feuilles en étain, un léger sourire sur les lèvres.
-Il y a 24 ans, la femme du chef actuel de la famille mettait au monde celui qui deviendrait leur seul fils, et leur héritier… Mais comme annonçant qu’il ne comptait pas faire les choses comme tout le monde l’entendait, le bébé se pressa de sortir au moment où on ne l’attendait pas. Ainsi vint au monde Eivar Olgierd, avec pour seul lit de naissance quelques boutures de laurier rassemblées à la hâte par son père.
Songeur, le regard plongé sur le visage si proche de Nehla, il conclut en glissant sa main sur son épaule, puis sur sa joue.
-Quelques jours plus tard, ces feuilles devenaient l’emblème de notre famille à la demande de mon père… Mais en entendant cette histoire, tu peux comprendre que de mon point de vue, elles sont encore bien plus importantes que ça…
Il approcha ses lèvres des siennes, les faisant se rencontrer encore une fois, et glissant une main sur son bras, il l’invita à le suivre près du feu, où ils s’installèrent tous deux l’un contre l’autre, s’échangeant à nouveau des regards qu’ils ne connaissaient que trop bien, s’étreignant doucement sous les seuls yeux d’une flamme dansante dans le feu désormais largement ravivé…
Elle fut la première à s’éveiller, entrouvrant les yeux pour découvrir son torse sur lequel elle s’était endormie. Un léger sourire s’afficha sur son visage alors qu’elle relevait le regard pour découvrir les paupières encore complètement clauses du jeune homme, dont la respiration calme et ample la berçait un peu, lui donnant presque envie de rester encore un moment. Elle déposa ses lèvres sur sa peau délicatement, avant de relever son buste, pour s’étirer un peu, et se laissa glissé de son corps sur le côté, parvenant finalement à le tirer de son sommeil.
-Debout soldat, le soleil va bientôt se montrer, on devrait déjà être prêt à partir !
Elle parlait d’une voix vive, comme pour le secouer un peu, alors qu’il était bien plus touché qu’elle par le manque de sommeil apparent. Il se releva doucement, un œil clos, l’autre entrouvert, baillant sans se retenir, ce qui fit rire sa partenaire qui lui lança un à un ses vêtements au visage, alors qu’elle-même prenait le temps de se vêtir juste devant lui, comme pour l’aider à sortir de sa torpeur. Quelques minutes plus tard, tous deux équipés et parés pour le départ, ils quittèrent la pièce en échangeant un regard complice, et prirent la route des cuisines comme convenu. Comme s’il avait anticipé leur venu, le Chef avait disposé sur une petite table deux grandes récipients remplis de ce café que la soldate semblait tant apprécier. Il leur tournait le dos, mais les entendit entrer et les salua de sa voix chaude, les invitant à s’installer le temps qu’il finisse de préparer.
-Alors les jeunes, dites-moi tout, vous partez pour combien de temps ?
-Sûrement une petite semaine, le trajet risque de prendre pas mal de temps puisqu’on part à pied, et difficile de savoir combien de temps on va devoir rester sur place
Les yeux de la demoiselle, interrogatifs, s’étaient posés sur le visage d’Eivar, qui haussa les épaules, lui signifiant qu’il était incapable d’en dire plus. Il avala quelques gorgées de la boisson qui bien qu’un peu rude pour lui, avait le mérite de le réchauffer et de le réveiller pour de bon.
-C’est difficile à prévoir, une aventure dans une grotte inexplorée, ça pourrait être très bref mais on pourrait tout aussi bien se retrouver piégé dans un dédale sans fin… On ne peut pas deviner ce qu’on va y découvrir, c’est excitant la vie d’aventurier non ?
Il ne cachait pas son enthousiasme à la fois de finalement s’engager dans une aventure qui promettait d’être palpitante après des semaines à s’ennuyer, mais c’était surtout l’idée de partager cette expérience, ces quelques jours en tête à tête avec Nehla qui l’enchantait particulièrement.
Il venait de remplir pour la énième fois le bol de Nehla, qui sirotait ce breuvage sans soif et sans même s’en rendre compte, addicte qu’elle était à cette saveur amer, et avait poussé devant elle une petite assiette remplie de noix et de différents fromages, un grand sourire aux lèvres. L’Adjudant avait levé les yeux vers lui et lui avait adressé un sourire entendu, cassant les coques des fruits entre ses doigts avant d’en déguster le contenu avec envie.
Prends note petit, un bon café, des noix et du fromage, c’est ça qui la maintient en vie notre petite Theldj.
Ça et… D’autre petites choses aussi…
Nehla adressa un clin d’œil joueur à Eivar dont les joues se coloraient légèrement alors que le Chef éclata de rire en retournant à ses fourneaux.
Il est déjà tard petite !
Nehla jeta un œil à la grande horloge qui ornait l’un des murs de la cuisine et hocha la tête avant de rassembler ses affaires et de vider rapidement son bol de café.
Vous avez raison Chef. Merci pour tout, c’était parfait, comme toujours.
Et prends soin d’elle toi là-bas ! C’est la moindre des choses pour un homme de prendre soin de sa femme si je dois te le rappeler !
Nehla leva les yeux aux ciels en secouant la tête, sachant pertinemment qu’il était inutile d’entamer la conversation avec le Chef à ce sujet, cela ne mènerait qu’à un débat stérile et sans fin, elle préféra attraper la main d’Eivar qui commençait déjà à ouvrir la bouche.
À bientôt, Chef !
Elle tira Eivar en dehors des cuisines, glissant sa besace sur son épaule et son autre sac en bandoulière de l’autre côté de son corps, elle attrapa sa lance et son bouclier laissés à l’entrée quelques instants plus tôt puis se faufila dans les couloirs en direction de la cour de la Forteresse.
J’ai déjà eu cette conversation avec lui tu sais. Je ne sais pas pourquoi il croit qu’on est… Enfin, voilà, il s’imagine des choses. Je lui ai déjà dit qu’on n’était pas mariés, et que tu étais tout à fait capable de me défendre, même si je n’ai besoin de personne pour me défendre ou me protéger, je sais très bien le faire toute seule, il en a la preuve presque tous les jours, mais que veux-tu, il est protecteur. Je ne sais vraiment pas pourquoi il s’est mis cette idée en tête cela dit.
Ça dépend ce que tu lui as raconté…
Rien de particuliers à vrai dire.
La broche ?
Ah peut-être. C’était donc une demande en mariage ?
Nehla lui adressa un clin d’œil avant de glisser ses doigts dans sa main et de l’attirer à elle pour déposer un léger baiser sur ses lèvres.
Je te taquine. Allez, il faut qu’on se dépêche d’aller trouver ton objet magique avant qu’il ne nous passe sous le nez.
Les deux jeunes gens traversèrent rapidement les différents couloirs pour enfin apparaitre dans la cour, une brise glacée s’engouffra entre eux, soulevant la cape de Nehla qu’elle maintenait tant bien que mal contre son corps, scrutant les environs avec attention.
Ça ne va pas être de tout repos ce voyage…
Tant qu’on est ensemble…
L’Aventurier resserra ses doigts autour de ceux de l’Adjudant en souriant, suivant son regard qui se perdait dans les montagnes avant de porter à nouveau son attention sur elle. Il glissa ses doigts sur sa joue pour balayer la même mèche de cheveux qui ne voulait décidément pas rester attachée peu importe la coiffure que la jeune femme arborait, la glissant délicatement derrière son oreille. Nehla tourna doucement la tête vers lui, arborant son éternel sourire en coin, il en profita pour l’embrasser tendrement, laissant sa main glisser dans sa nuque pour la rapprocher encore un peu de lui avant de s’éloigner, presque à regret.
Leurs doigts se délièrent, Nehla en profita pour caler son bouclier dans son dos et s’assurer que toutes ses affaires tenaient bien en place, elle attrapa sa lance fermement, passant son pouce sur l’une des nombreuses écorchures dans le bois, comme pour se rassurer, puis elle indiqua la direction à prendre d’un mouvement de la tête et ils entamèrent leur longue marche vers les montagnes adjacentes, laissant la Forteresse derrière eux. Une lueur d’amusement passa dans son regard en même temps qu’un large sourire se dessinait sur ses lèvres, il devança l’Adjudant Theldj de quelques pas, s’aventurant sur le chemin enneigé, jetant des regards vers elle de temps à autre, avant d’accélérer encore l’allure, creusant la distance
*Mais qu’est-ce que tu es en train de préparer… ?*
Nehla avait froncé un sourcil, l’observant de loin s’enfoncer dans l’orée de la forêt, glissant ses pas dans les siens, elle avait au moins l’avantage de ne pas avoir à faire trop d’efforts pour marcher dans la couche de neige qui se faisait plus épaisse à mesure qu’ils s’éloignaient des chemins balisés et qu’ils slalomaient entre les grands arbres.
Et sans vraiment s’en rendre compte, alors que le duvet de neige sous leurs pieds devenait de plus en plus difficile à ignorer, même pour elle, il se retrouva à ses côtés, progressant vers une forêt de pins qui s’étendait jusqu’à perte de vue, ce qui n’était pas si impressionnant, le brouillard, si bas, ne leur laissant pas voir plus loin qu’à une demi-lieue. Ce paysage immaculé et parfaitement silencieux était éloigné de tout ce qu’avait pu voir Eivar jusqu’à aujourd’hui lors de ces aventures, au point où l’idée d’un voyage paisible et sans embûche effleurait son esprit… Pourtant, lorsque ses yeux se posèrent sur le visage de la demoiselle à ses côtés, elle paraissait bien moins détendue que lui, comme si, connaissant ces contrées sur le bout de ses doigts, elle s’attendait à ce qu’un danger les surprenne à tout moment et craignant à la fois pour elle, mais surtout pour son compagnon.
Elle semblait assez préoccupée, trop pour se rendre compte qu’il la regardait, et ne finit par joindre ses yeux au siens qu’au moment où il prenait la tête de l’expédition, pressant le pas, la devançant largement en lui adressant un grand sourire joueur et un clin d’œil, avant de s’engouffrer entre deux arbres massifs. Sa curiosité piquée, la belle continua en accélérant le pas, et s’engouffra à son tour dans le bois. Prenant soin de jeter quelques coups d’œil au sol, suivant la piste que ses pas avaient laissé, elle tournait la tête de gauche à droite, essayant de le retrouver, sans grande réussite malgré ses talents pour la chasse. Et une once d’incompréhension et de panique finirent par s’emparer de son esprit au moment où même les traces de pas finirent par s’arrêter net au milieu de nulle part.
Un bruit soudain attira ses yeux, un sifflement aigu qui venait d’au-dessus de sa tête, et alors qu’elle relevait le visage par instinct vers sa source, elle n’eut le temps que d’entrouvrir la bouche de surprise, pour mieux recevoir une boule de poudreuse de la taille de belle taille. Fixe, serrant le poing sur sa lance, le regard levé vers la branche la plus basse de l’arbre qui lui faisait face, son visage se dérida légèrement, en comprenant ce qui venait de lui arriver. L’aventurier, perché sur sa branche, ne pouvait se retenir de rire à sa propre gaminerie, mais retrouva le silence instantanément quand la réponse de la soldate vint se loger directement sur son nez, lui faisant perdre l’équilibre, et le laissant chuter deux mètres plus bas, amorti par l’épaisse couche de neige légère. Il eut à peine le temps de se relever qu’un deuxième projectile l’atteignait à l’épaule. Lorsque ses yeux se posèrent sur la brunette, elle était déjà penchée vers le sol, en train de préparer sa prochaine munition.
Il esquissa un sourire, qu’elle lui rendit de loin, leurs deux visages rougis par le contact avec la poudre gelée, prenant tous deux très au sérieux ce petit jeu qu’ils venaient de commencer. Esquivant de justesse, Eivar prit abri derrière l’arbre duquel il venait de chuter, le temps de recharger, avant de contourner sa cible, qui, vaillante et brave restait en évidence en plein milieu d’une petite clairière, guettant le moindre mouvement, prête à le fusiller.
-C’est quand même plus drôle que le théâtre, tu trouves pas ?
Eivar avait crié dans la direction des bois, et l’écho fut tel que Nehla, en plus de repenser à ce chapitre de leur premier rencard, ne fut pas capable de le localiser précisément. Profitant de cette incertitude, Eivar lança deux projectiles en même temps, et alors qu’elle esquivait le premier sans problème, le second atterrit contre son buste, glissant entre les tissus de ses vêtements, la laissant frissonnante. Profitant de son effet de surprise, le jeune homme se rua directement dans sa direction, et la boule de neige qu’elle lui lança à ce moment, et qui se logea sur sa joue, ne stoppa pas sa course. Leurs yeux se croisèrent et à nouveau poussé par son instinct, à la vue du regard intense de défi qu’Eivar lui lançait, elle adopta la même position de combat que la veille contre ses soldats. Elle n’avait pas pour intention de le blesser, mais il ne parut pas intimidé du tout même en ayant vu de quoi elle était capable…
C’était tout le contraire… Sur les lèvres du jeune homme s’était dessiné un nouveau sourire amusé.
-Brön…
Alors qu’il ne se trouvait plus qu’à un mètre d’elle, son manteau disparu soudainement de ses épaules pour réapparaitre juste devant sa main tendue… vers le visage surpris de la demoiselle. Elle n’eut pas le temps de réagir, tentant vainement de reculer, seulement pour se retrouver complètement piégée par le tissu. Profitant de son impulsion, il lui sauta au cou et la fit tomber à la renverse et plonger dos dans la poudreuse. Haletant, une légère fumée s’échappant de ses lèvres, il pouffa de rire, allongé sur elle de tout son long, l’aidant à se défaire du manteau qui lui couvrait le visage.
-Alors, Adjudant Theldj, un petit coup de mou ce matin ?
Sans lui laisser la chance de répondre, il approcha ses lèvres pour lui voler un nouveau baiser, et pour la énième fois, glissa une main sur sa joue, replaçant l’une de ses mèches derrière son oreille.
Tu es un enfant…
Pas autant que toi !
Nehla lui adressa un clin d’œil et attrapa la main qu’il lui tendait pour l’aider à se remettre sur pieds. Elle épousseta ses vêtements et sa cape couverts de neige, détacha ses cheveux pour les délivrer de tous ces flocons, avant de les rattacher en une queue de cheval disciplinée, abstraction étant faite des mèches rebelles qui glissaient parfois sur sa joue, qu’Eivar remettait inlassablement en place.
Et si on se remettait en route ? Si tu veux trouver ton artéfact, il faut qu’on s’active un peu, la nuit surprend vite dans le coin.
Eivar acquiesça et le petit couple reprit sa marche enneigée d’un bon rythme, imposé par la soldate sans qu’elle ne s’en rende compte. Elle restait alerte, glissant un regard vers son compagnon de temps à autre pour s’assurer qu’il tenait le coup dans cette ambiance glacée, le guidant à travers la forêt qu’elle avait déjà arpentée bien des fois lors de ses entraînements ou des patrouilles de la Forteresse.
Ils arrivèrent quelques heures plus tard à l’orée d’une petite clairière devant laquelle Nehla s’arrêta brusquement, observant les alentours. Elle détacha son bouclier et se débarrassa de ses sacs, les posant dans le creux de son bouclier qu’elle posa au sol, planta sa lance dans la neige, silencieusement, détacha sa cape d’une main en retirant son armure de cuir, pour ne rester vêtue que d’un mince tissu sombre sui recouvrait son buste et ses bras, elle remonta son col jusqu’à son menton, intimant à Eivar de ne pas bouger et de rester silencieux en lui pointant la direction dans laquelle elle allait partir. L’Adjudant ferma les yeux, compta une respiration en joignant ses mains, glissant ses paumes l’une contre l’autre, avant de refermer son poing et de le plaquer contre la paume de son autre main, laissant une brume épaisse recouvrir ses doigts et couler le long de ses bras, dansant autour de son corps pour bientôt la recouvrir, fondant son corps dans l’environnement immaculé qui les entourait. Elle glissa une main autour de sa lance, la libérant de la neige, puis elle se faufila entre les arbres sous le regard presque inquiet de l’Aventurier qui la perdit bientôt de vue. Elle réapparut quelques minutes plus tard dans un nuage embrumé et glacial, au milieu de la petite clairière. Elle laissa choir sa prise au sol avant de rejoindre Eivar, qui l’attendait bien sagement dans les bois.
C’est l’heure de déjeuner !
Préviens-moi quand tu pars à la chasse, que je mette le couvert...
Bien, Monsieur !
Nehla lui adressa un clin d’œil puis récupéra ses affaires, se rhabillant prestement en grelotant. Ils s’installèrent ensuite pour déjeuner, Eivar se chargea de préparer un petit feu alors que Nehla préparait les volailles qu’elle avait transpercées de sa lance, sachant pertinemment que s’ils ne chassaient pas, ils allaient devoir se contenter de repas froids, même s’ils avaient de quoi survivre quelques semaines dans la montagne, il valait mieux manger chaud autant que possible. Ils déjeunèrent rapidement mais restèrent près du petit feu un moment, réchauffant leurs corps du mieux qu’ils le pouvaient. Nehla entreprit de nettoyer sa lance, colorant la neige d’un rouge vif, seule tâche de couleur des environs, puis ils se remirent en route vers la montagne indiquée par la carte après avoir effacé les traces de leur passage.
L’Adjudant et l’Aventurier marchaient plus lentement, échangeant tout au long de leur voyage à travers la montagne, quelques pauses bienvenues ponctuaient leur trajet, pendant lesquelles ils partageaient un peu de ce fameux café secret du chef, même s’il était bien moins bon que l’original, celui-ci avait l’avantage de les revigorer et de leur donner l’énergie nécessaire pour continuer de braver le froid.
La nuit va tomber d’ici deux ou trois heures, il faut qu’on commence à trouver un endroit où camper.
Tu penses qu’on peut arriver près de la montagne ?
Il va falloir accélérer un peu le pas, mais c’est faisable. Tu vas tenir le coup ?
Je suis solide tu sais !
Eivar fit mine de montrer ses muscles, mais les traits de son visage étaient tirés, ses lèvres gercées par le froid, et il semblait à bout de force.
Allons-y alors !
Nehla passa devant lui, dessinant le chemin dans la neige pour lui éviter un effort supplémentaire, l’écart entre eux se creusait parfois, mais elle veillait à ce qu’il ne la perde jamais de vue, gardant le cap sur la montagne qui les attendait. Le ciel s’assombrissait peu à peu, indiquant à Nehla qu’elle s’était probablement trompée sur son estimation, ou bien pour les intimer à encore accélérer la cadence s’ils voulaient s’abriter à temps. D’épais flocons de neige commencèrent à virevolter autour d’eux, arrachant un juron à Nehla qui pestait contre les caprices de mère nature, comme si le destin voulait tout faire pour les empêcher d’établir leur campement. Elle jeta un œil à Eivar qui lui sourit tendrement, comme pour lui dire que tout irait bien. Elle lui adressa un clin d’œil, ralentissant son rythme de marche pour se retrouver à nouveau près de lui. L’Aventurier glissa sa main dans la sienne en arrivant à sa hauteur avant de se pencher vers elle pour lui voler un baiser, la faisant presque trébucher.
Il va falloir se dépêcher, Mademoiselle.
C’est toi qui traînes…
Ils échangèrent un regard complice, et, sans échanger un mot de plus, s’élancèrent dans la neige comme des dératés, dans une course folle et inconsciente pour rejoindre le flanc de la montagne le plus rapidement possible, leurs rires déchirant le silence de la nuit qui s’installait peu à peu. Les deux jeunes gens touchèrent finalement au but, Nehla s’était arrêtée près de la montagne, observant les alentours pour dénicher un endroit plus protégé que les autres, le souffle court et saccadé de sa course dans la neige. Elle pensa à son premier entraînement lors de son arrivée à la Forteresse et remercia le ciel que le Capitaine Von Andrasil n’ait pas pensé à faire cet entraînement dans la forêt, elle qui avait souffert de cette petite course d’endurance jusqu’au poste-frontière, même si sa supérieure aurait surement été fière d’elle si elle avait réussi ne serait-ce que la moitié du trajet dans la neige. Elle fut tirée de ses rêveries alors qu’Eivar arriva en trombe sur elle, incapable de s’arrêter, la faisant à nouveau chuter dans la neige dans un cri de surprise.
Tu veux que j’attrape la mort en fait !
La neige te va si bien au teint pourtant !
Nehla pouffa de rire avant de le faire basculer à son tour dans la neige, se retrouvant à califourchon sur lui, un large sourire aux lèvres. Elle se pencha doucement sur lui, déposant un baiser dans son cou qui le fit frissonner avant de l’aider à se relever.
Il faut qu’on se dépêche, je pense que la tempête de neige qui va s’abattre sur nous ne nous fera pas de cadeaux.
Ils montèrent rapidement leur tente contre le flanc de la montagne, à l’abri près d’une alcôve, avant de faire un petit feu qu’ils protégèrent du vent et de la neige et de s’installer confortablement, dans les bras l’un de l’autre, sous une couverture, pour profiter d’un moment de calme, avant de partager un repas plus que gargantuesque, offert par le Chef du régiment.
Alors que le la lumière s’intensifiait de plus en plus à chaque minute, le soleil se décidant finalement à se montrer, rehaussant un peu la température polaire qui régnait jusqu’alors dans leur petit nid. Les yeux de la demoiselle finirent par s’entrouvrir, découvrant le visage ravi du jeune homme qui l’observait depuis un long moment, lui rendant un sourire en s’étirant un peu.
-Il fait déjà jour ? Tu aurais dû me réveiller…
-Le soleil vient à peine de se montrer ne t’en fais pas.
-Bien, alors actives toi ! Il nous reste encore une bonne journée de marche, si tout se passe bien
Le jeune homme laissa s’échapper un soupire en la sentant glisser hors de son étreinte, non sans déposer un léger baiser au coin de sa lèvre. Elle se leva sans le moindre mal, quelques secondes à peine après avoir émergé, alors que lui sentait encore ses muscles un peu endoloris de la longue marche de la veille, et n’aurait pas dit non à quelques minutes en plus allongé à ses côtés. Il finit par se relever à son tour, se pressant de réenfiler tout son équipement, frigorifié, avant de la rejoindre autour des dernières braises de leur feu de la veille. Ils prirent quand même le temps de manger convenablement, avec la drôle d’impression que peu importe la quantité de nourriture qu’ils ingurgitaient, leur stock de vivres ne diminuait jamais. Un simple coup d’œil aux alentours leur suffit pour comprendre que, comme la soldate l’avait annoncé, une forte chute de neige s’était abattue pendant la nuit : les traces de leur arrivée avaient complètement disparu, et le niveau de la poudreuse avait monté de quelques centimètres. Eivar leva les yeux au ciel, avant d’énoncer l’évidence.
-Ça ne va pas faciliter le voyage...
-Ne te plains pas, on a évité la tempête, et une journée ensoleillée nous attend !
La jeune femme restait souriante, sirotant les dernières goutes de sa boisson à peine chaude. Elle avait bien raison, il n’avait pas de raison de se plaindre, le simple fait de se retrouver au milieu de nulle part avec elle pour seule compagnie lui suffit pour oublier ses mollets tremblant d’anticipation. Ils finirent de rassembler tout leur matériel, échangeant plusieurs regards complices, avant de se remettre en marche en direction du pan ouest de l’immense montagne. La couche de neige très légère qui s’écartait sous leur pied à chaque pas ralentissait leur progression, mais la jeune femme comptait bien arriver à destination avant la fin de la journée, et même si elle se faisait du souci pour l’aventurier qui peinait un peu à la suivre, prenant soin de ne pas le surmener, elle avait bien compris ses limites, et l’encourageait à s’y cantonner.
Ils firent quelques courtes pauses pour se ressourcer et reprendre leur souffle, mais ils n’eurent pas le temps d’apprécier ces moments à leur juste valeur, le soleil avançant rapidement au-dessus d’eux. Même s’il n’avait pas le temps t’en profiter, Eivar passait de longs moments à scruter le pied de la montagne, en contrebas, recouvert à perte de vue de cet épais duvet blanc. Et plus ses yeux s’y perdait, plus il commençait à comprendre le choix de certains, de venir s’isoler dans un tel endroit, éloigné de tout, reposant...
Un bruit soudain le fit sortir de ses pensées, un hurlement... plusieurs hurlements plutôt, dont l’écho leur parvenait, mais que ni lui, ni Nehla qui venait de se retourner brusquement dans sa direction, ne réussit à localiser. La jeune femme se débarrassa en hâte des affaires qui la gênait, accrochant son bouclier sur son bras libre, son autre main resserrée sur sa longue lance. Il sut garder son sang-froid lui aussi, se préparant à voir surgir au minimum trois canidés d’un moment à l’autre. En cette saison et par cette température, peu de créatures s’aventuraient hors de leur terrier pour chasser... des loups peut être ? Alors qu’il lui tournait le dos, il put entendre la voix de sa partenaire résonner d’un ton sec, l’intimant de se retourner.
-Eivar !
Ils venaient de se montrer, les surplombant, positionnés sur un rocher qui leur donnait clairement l’avantage : trois wargs, au pelage sombre comme la nuit, adultes vu leur taille, des mâles à n’en point douter, grognaient et montraient leurs crocs, la bouche baveuse, affamés. Tous les deux immobiles, se préparant à les voir bondir d’une seconde à l’autre, ils mirent un moment à se rendre compte que la situation dans laquelle ils se trouvaient était bien pire que ça... Les trois bêtes auraient parfaitement pu les prendre par surprise, pourtant elles étaient restées là-haut, malgré ce que leur estomac leur criait. Eivar avait déjà vécu ce genre de situation, ce moment d’hésitation où ce que tu convoites se trouve à portée de main, mais qu’un grand danger au moindre pas en avant...
Une petite goutte de sueur perla sur son front, et un frisson parcouru son dos. Il comprit juste à temps que le plus grand danger ne se trouvait pas en face d’eux, et s’époumona en se retournant vers Nehla qui n’avait pas encore réagit.
-Pierce !
Son bras tendu vers elle, un long épieu rouillé se matérialisa au creux de sa main, rasant de près sa nuque, et se logeant directement dans la patte du grand molosse au poil clair qui venait de lui bondir dessus. Ses griffes parvinrent tout de même à effleurer sa peau, arrachant à la brunette un gémissement de douleur, alors qu’elle achevait de se retourner. Un warg blanc, plus grand que ses congénères, et plus intelligent, les avaient aussi pris en chasse. Il avait su profiter du fait que l’attention du couple était portée ailleurs, et avait tenté de réduire leur effectif de moitié d’un coup fatal. Le pieu planté dans sa patte, il se retira de quelques mètres cherchant à s’en débarrasser, grognant de douleur. Profitant de cet instant de répit, Eivar se rapprocha se Nehla, glissant sa main sur sa nuque délicatement, pour constater qu’elle ne saignait qu’à peine, simplement éraflée, il releva les yeux sur les trois autres bêtes qui restaient encore en place, attendant le bon moment.
-Ça va aller ?
-Ce n’est rien, restes sur tes gardes !
Il acquiesça, simplement, et se redressant, entrouvrit ses deux mains. Il lui suffit de deux mots pour que ses deux sabres n’y apparaissent, et dans un mouvement vif, il révéla leurs longues lames, lançant un regard intimidant à sa gauche, puis à sa droite.
C’est dans ce moment précis qu’entendre mes pensées serait le bienvenu !
T’as un plan, génie ?
J’en sais rien, on va tenter quelque chose.
La jeune femme planta sa lance rapidement dans la neige et plaqua ses paumes l’une contre l’autre, laissant sa brume venir rapidement à elle, avant de plaquer son poing contre la paume ouverte de son autre main, épaississant la brume qui léchait ses bras et qui vient bientôt encercler le petit couple.
Il faut qu’on élimine le plus gros rapidement, c’est lui le vrai danger.
Et je fais ça comment si tu m’aveugle ?
Leçon numéro un, le camouflage dans la brume. Apprentissage express, tes oreilles sont ton meilleur atout, tu verras à moins d’un mètre de toi puisque tu es à l’intérieur, elle se déplace selon tes mouvements, mais lui, il ne verra pas à moins de cinquante centimètres. Problème : il a un meilleur flair et une meilleure ouïe que nous. Solution ?
Un qui attaque et l’autre qui…
Tu es mieux armé que moi, c’est moi l’appât.
N’y pense même pas…
Trop tard.
La jeune femme s’éloigna d’Eivar, le laissant dans un cocon brumeux qui le protégeait pour le moment, tant que l’attention de la bête était tournée vers Nehla, il pourrait user de son pouvoir et de ses sabres pour tenter d’en venir à bout. L’Adjudant resserra sa prise sur sa lance et ajusta son bouclier, bien consciente qu’elle n’était pas très utile dans ce combat puisque son style à elle, c’était le corps à corps, et rivaliser avec des pattes plus grosses que sa tête et des crocs plus acérés que sa lance n’était pas gagné. Elle ferma à nouveau les yeux, compta une respiration et ouvrit les yeux, la brume autour d’elle disparu instantanément et l’immense Warg blanc, les babines dégoulinantes de bave, tourna brusquement la tête dans sa direction en achevant de retirer le pieux qui l’avait transpercé, laissant une longue traînée rouge dans la neige, entachant son pelage immaculé. Nehla assura ses appuis et releva son bouclier, prête à recevoir la première attaque du monstre, priant pour qu’il ne l’amoche pas trop pour repousser les trois autres qui attendaient la moindre faiblesse de leur part.
Le Warg chargea, se jeta sur Nehla, refermant son immense gueule sur son bouclier, faisant chuter la jeune femme dans la neige dans un grognement, ses pattes vinrent s’abattre avec force de part et d’autre de son corps, elle luttait, repoussant la bête avec son bouclier, lui assénant des coups de genoux dans les flancs quand elle le pouvait. La lutte qu’ils menaient les rapprochaient de l’endroit où Eivar attendait, à l’affût d’un moindre signal de la part de la jeune femme pour agir, c’est au moment où il se tourna en direction de sa partenaire qu’il aperçut la bête, prête à refermer ses crocs sur le visage de Nehla. Elle réussi à dégager son bouclier et lui envoya directement dans la mâchoire, arrachant une petite plainte au monstre qui reporta son attention sur elle, une rage terrible dans le regard. Nehla jeta un œil en arrière, encore incapable de se relever, elle se protégea à nouveau avec son bouclier, repoussant le loup autant que la force de ses bras lui permettait de le faire.
*Encore un effort Theldj !*
Elle frappa à nouveau la bête à la tête à l’aide de son bouclier, tendit la main pour attraper sa lance dans l’espoir de la planter dans le corps du Warg qui n’allait pas tarder à l’avaler si elle ne se débattait pas mieux, mais sa main ne rencontra rien d’autre que la neige froide qui fondait sous la chaleur de son corps qui se battait pour survivre et de celle du loup qui lui semblait prendre un malin plaisir à s’amuser un peu avec sa proie avant de la dévorer.
*Il faut que tu sortes de là bordel ! Réfléchis Theldj, réfléchis !*
La jeune femme extirpa à nouveau son bouclier, libérant son corps et sa gorge dans laquelle la bête souhaitait tant planter ses crocs brillants, elle frappa à nouveau l’animal de toute ses forces, profitant d’un dixième de seconde d’absence pour se glisser hors de son emprise et se remettre sur pieds en titubant, aveuglée par le soleil qui se reflétait sur la neige qui se couvrait peu à peu d’un rouge vif, probablement bientôt de son propre sang également. La bête grogna, approchant d’une démarche menaçante de la jeune femme qui était encore trop loin d’Eivar pour qu’il puisse bien voir ce qui se passait et viser juste.
*Ça va être à toi Eivar… Ne loupe pas ton coup sinon c’est moi qui y passe et tu suivras bien vite.*
Nehla repéra sa lance, trop loin pour l’atteindre avant que la bête ne bondisse sur elle, sa seule chance était de se rapprocher de son partenaire, sans pour autant laisser la bête relâcher l’attention qu’il portait à la jeune femme. Elle serra le poing, ajustant à nouveau son bouclier qui ne tiendrait pas beaucoup plus longtemps si elle continuait à s’en servir comme d’une arme et s’apprêta à recevoir le nouvel assaut.
*C’est ton boulot, encaisser les coups…*
Le Warg ne se fit pas prier, il se jeta à nouveau sur la jeune femme qui réussit à bloquer son corps quelques secondes, la force de l’animal la faisait reculer, elle glissait sur la neige, sentant ses jambes si faibles face à toute la rage qui s’abattait sur elle. Le souffle chaud et humide de la bête glissait sur son visage alors qu’il ouvrait la gueule à plusieurs reprises pour lui attraper la gorge ou la joue, quelques mèches des cheveux de Nehla se mêlaient à ses crocs et à son pelage blanc en même temps que son souffle saccadé rejoignait celui de l’animal, créant un nuage blanchâtre au-dessus d’eux.
*Et les rendre !*
Elle jeta un œil derrière elle, Eivar était en vue, elle était assez près de lui pour qu’il puisse bien voir lui aussi et attaquer à son tour. L’attention de Nehla se porta à nouveau sur la bête qui était retombé sur ses quatre pattes, prêt à bondir à nouveau. Elle compta ses respirations, nota rapidement que le souffle du monstre était synchronisé avec le sien, elle aurait pu s’amuser de cette coïncidence dans un autre contexte, mais elle fronça les sourcils lorsque le loup chargea à nouveau, il s’élança sur elle les pattes en avant, exactement ce qu’il fallait à l’Adjudant.
La patte puissante de l’animal heurta l’épaule et le visage de Nehla, lui arrachant un grognement plus qu’une plainte de douleur, elle serra les mâchoires et lança son bras protégé de son bouclier contre le corps de la bête, le faisant basculer derrière elle. Elle s’écrasa au sol, se relevant péniblement mais rapidement, elle jeta un œil à son épaule bien entamée par les griffes acérées du Warg, puis porta à nouveau son attention sur la bête qui se jeta sans plus attendre sur elle. Nehla eut juste le temps de remonter son bouclier sur son visage et usa de ses dernières forces pour faire reculer le loup vers Eivar. Sa mâchoire puissante claquait juste à côté de ses oreilles, il réussit à attraper le bras déjà blessé de Nehla au moment où elle le levait pour tenter de le maintenir à la gorge, elle avait réussi à l’empoigner, serrant son poing de toutes ses forces autour du pelage qu’elle avait pu atteindre, repoussant le corps mu par la rage et la faim du loup, mais la sienne était au moins similaire à celle de la bête, la douleur lancinante dans son épaule et dans son bras, les crocs brillants et tranchants qui mangeaient peu à peu sa chair, s’enfonçant toujours un peu plus dans ses muscles ne faisait que la maintenir en vie et décupler ses forces, une dose d’adrénaline dont elle avait besoin pour tenir encore quelques minutes.
Elle avait l’impression de pousser un mur, mais elle n’avait pas le choix, il fallait encore que son partenaire puisse entrer en jeu. Il avait désormais carte blanche pour planter toutes les lames et autres armes qu’il pouvait posséder dans le corps de la bête, c’était la seule chance qu’ils avaient d’en venir à bout.
*Allez Nehla, tiens juste un peu plus longtemps, je t’en prie...*
Quelques gouttes de sang vinrent tinter la neige à ses pieds, et son dos se raidit soudainement, alors qu’un léger mouvement commençait à se dessiner dans le brouillard, juste en face de lui. Il savait qu’il ne devait pas se précipiter : si la bête n’avait ne serait-ce qu’une seconde pour réagir, elle pourrait s’en tirer et tous les efforts de Nehla seraient réduit à néant. Le principe même de leur stratégie était d’en finir en un instant, sans lui laisser la moindre chance, et pour ça, Eivar se devait de subir cette torture encore quelques instants. Ses yeux s’écarquillèrent et sa bouche s’entrouvrit alors que les pattes arrière de la créature entraient finalement dans son champ de vision. Il se pencha légèrement en avant, et prit une grande inspiration, s’appuyant le mieux possible sur le sol meuble dans lequel il s’était légèrement enfoncé, prêt à bondir à tout instant.
*Son dos... ses côtes... non, ce que je dois viser c’est...*
Son regard remontait le long sur le pelage de la créature à mesure qu’il réussissait à le distinguer au travers du brouillard, maculé de traces de sang de plus en plus larges à mesure qu’il s’approchait de... Instinctivement, laissant enfin son agressivité prendre le dessus, il s’élança de tout son poids vers l’avant, son sang-froid perdu à la vue des larges incisives refermées sur le bras ensanglanté de Nehla. Il lui fallut peu de temps pour se retrouver sur le flanc du molosse, qui bien trop concentré sur sa proie du moment n’avait même pas pris conscience de sa présence. D’un simple coup d’œil, Eivar compris que la soldate était loin d’avoir chaumé pendant sa lutte contre le canidé : contrairement à lui qui était habitué à ce genre d’affrontements désordonnés, elle se retrouvait tel un poisson hors de l’eau, loin de sa zone de confort et de la façon dont ses classes lui avaient appris à se défendre. Pourtant, à l’aide de sa volonté de fer et de sa robustesse, elle était parvenue à l’amener jusqu’à lui, et mieux que ça, maintenait fermement de son bras tendu une ouverture parfaite qu’il n’allait pas se priver de manquer.
*Lâche là ! *
Les yeux froncés, rivés droit sur le point de contact entre sa fine lame et le poil blanc et épais recouvrant le cou de l’animal, Eivar enfonça son épée sans la moindre résistance au travers de la fourrure, transperçant sa peau avant même qu’il ne comprenne ce qui se tramait. Sa gueule se décontracta alors, son premier réflexe étant de lâcher un long grognement de douleur, mais avant qu’il ne puisse faire le moindre geste de retraite, et alors que sa première lame continuait sa percée, au travers de sa gorge, l’aventurier vint planter la seconde pile entre ses deux yeux. Le gros loup lâcha un long hurlement d’agonie, incapable de fuir, ses réflexes le poussèrent à agiter des larges pattes avant en face de lui, se débâtant pendant quelques ultimes secondes. Imprédictibles, ses griffes ses plantèrent dans la clavicule du jeune homme avant qu’il ne recule, lui arrachant un gémissement de douleur... Avant que l’énorme bête ne commence à tituber, rendant ses derniers couinements d’agonie, s’effondrant sur le côté, raide.
Grimaçant, une main posée sur sa blessure, les yeux d’Eivar restèrent quelques instants fixés sur sa cible, comme pour s’assurer qu’elle ne se relèverait pas, puis sortant de cette torpeur, il se retourna vers Nehla qui s’était effondrée juste derrière lui, épuisée, les dents serrées, le côté droit de son corps empourpré. Il se précipita à ses côtés, et s’empressa de saisir le petit sac sans fond accroché à sa ceinture pour y récupérer le nécessaire de premier secours.
-Non mais tu vas pas bien ? Tu comptais y laisser ta peau ?
-Eivar...
-Ne parle pas, restes calmes, tu en as déjà bien assez fait, laisse-moi faire !
-La... La brume...
-Quoi la bru...
Elle avait beau agoniser, même dans un tel état elle restait fidèle à elle-même : elle allait à l’essentiel. Relevant les yeux, le jeune aventurier se rendit vite compte qu’en effet, le brouillard qui les recouvraient jusqu’alors se dissipait. Et si l’alpha venait juste de périr, la soldate n’avait pas oublié que trois autres menaces n’attendaient que d’y voir plus clair pour le fondre dessus. Il reposa son regard sur le sien, puis sur ses blessures les plus sévères, qu’il fallait traiter de tout urgence avant qu’elles ne s’infectent, ou plus simplement que la jeune femme ne finisse par perdre trop de sang. Il sortit en hâte une bouteille d’alcool et quelques bandages.
-Mord, serre, fais ce que tu veux, mais surtout ne crie pas !
Lui attrapant la main fermement, arrachant la partie droite de son haut, il glissa un morceau de tissu entre ses lèvres et attendit son signe de tête avant de verser le contenu de la bouteille sur ses plaies, sentant sa main compresser la sienne, ses yeux fermés, gardant ses hurlements et tout son air à l’intérieur de ses poumons. Versant les dernières gouttes sur ses propres blessures, il se crispa légèrement, mais ne pris pas le temps de subir la douleur, enroulant grossièrement le bandage autour de l’épaule et du bras de la grande blessée, le regard de plus en plus attiré par l’ombre des trois chiens qu’il pouvait désormais apercevoir parfaitement.
-Je te dirais bien de ne pas bouger... mais je te connais... Alors tâche juste de faire attention. Ceux-là sont bien moins dangereux, s’ils voient qu’on peut encore se défendre, ils ne tarderont pas à devenir charognards...
Il fit un signe de tête vers la carcasse qui se trouvait à côté d’eux, et attrapa la lance de la demoiselle qui se trouvait non loin, pour la déposer près de son bras fonctionnel. Son visage dégoulinait de sueur, et sa respiration ne semblait pas vouloir se calmer, mais dans son regard brillait une intensité qui hurlait qu'elle était encore en état, malgré tout ce que son corps pouvait dire. Eivar soupira, admettant qu'il ne parviendrait pas à la résonner.
-L’idéal serait qu’on commence par s’éloigner du blanc pour leur faire comprendre que ce butin de chasse ne nous intéresse pas... Tu crois que tu peux marcher ?
Tirons-nous d’ici. Avant que je change d’avis et que je les empale tous les trois sur ma lance.
Nehla adressa un faible sourire à Eivar qui acquiesça, ils se mirent rapidement en route, ramassant au passage les vêtements et le sac que Nehla avait laissé tomber dans la neige et que l’Aventurier se chargea de porter pour soulager sa partenaire au maximum.
Il faut… Il faut trouver un endroit à l’abri. Et installer un campement rapidement. Il va falloir que tu suture mes plaies, si je saigne encore… On va nous suivre à la trace.
Tu devrais retourner à Forteresse, tu ne crois pas ?
Je suis plus solide que j’en ai l’air, Eivar. Ça va aller, ne t’en fais pas.
Elle marchait aussi rapidement qu’elle le pouvait mais son allure était bien lente par rapport à ce qu’elle s’imaginait, elle avait trop forcé et en avait trop demandé à son corps qui la lâchait un peu plus à chaque minute qui passait. Le regard d’Eivar se perdait souvent derrière eux, et la grimace qu’il afficha n’annonçait rien de bon.
Ils nous suivent hein ?
Non.
Tu es un piètre menteur, Eivar.
Nehla se stoppa net avant de se courber légèrement puis de s’accroupir pour se reposer des quelques centaines de mètres qu’ils avaient parcourus. Elle soupira avant de laisser son regard glisser vers Eivar qui l’observait, une lueur d’inquiétude dans ses beaux yeux clairs.
Ça va t’en fais pas.
T’es franchement dans un sale état.
Donne-moi un coup de main, tu veux bien ?
Le jeune homme s’approcha de l’Adjudant Theldj et passa son bras autour de sa taille pour l’aider à se relever, prêts à reprendre leur route, quand un hurlement strident déchira le silence des montagnes. Ils se retournèrent dans un même mouvement mais l’un des Wargs noirs qui les avaient attendus plus tôt était déjà élancé à pleine vitesse vers eux. Il était nettement plus petit que son congénère, mais tout aussi affamé et visiblement plus attiré par une proie encore vivante que par le cadavre encore chaud qu’ils avaient laissé plus loin.
De son bras encore valide Nehla poussa Eivar qui chuta dans la neige un peu plus loin alors que le loup se jetait sur eux, attrapant la cuisse de Nehla au passage en la faisant elle aussi tomber dans la neige rouge qui l’entourait. Elle ne pu réprimer un cri de douleur qui résonna contre le flanc de la montagne alors que le loup resserrait ses crocs sur sa prise pour s’assurer que sa proie ne s’échappe pas. Ses deux amis l’avait bien vite rejoint, attirés par le cri de détresse de Nehla et probablement l’odeur de tout ce sang qui se répandait sans relâche. Nehla releva son buste du mieux qu’elle le pouvait, assénant un coup de bouclier au loup noir qui s’acharnait sur sa jambe et l’envoya voler plus loin pour qu’il s’écrase contre une des aspérités du paysage, espérant qu’il ne reviendrait pas à la charge. Elle agrippa sa lance de toute ses forces en jetant un œil vers Eivar qui avait fait réapparaitre ses deux sabres, prêt à en découdre avec les bêtes qui s’approchaient de lui les babines dégoulinantes d’envie.
L’Adjudant tenta de se lever pour aller aider celui qui partageait désormais sa vie, mais avec une jambe et un bras dans un état pareil, le geste était bien plus compliqué que prévu. La jeune femme arracha la manche qui lui restait et enserra sa cuisse meurtrie pour éviter une quelconque hémorragie trop importante puis s’aida de sa lance pour se remettre debout, puisant dans ses dernières ressources dans cet intense effort. Elle observa Eivar quelques secondes, il s’en sortait bien dans ce combat, il était doué avec ses armes, il était beau, à se battre contre ces loups affamés, le souffle court, quelques mèches de cheveux rebelles collaient à ses tempes, il était concentré sur ses cibles, oubliant sa blessure qui devait pourtant le faire souffrir plus que de raison, il saignait encore mais semblait ne pas l’avoir remarqué, tout occupé qu’il était à transpercer ses adversaires.
Occupée à le contempler, Nehla ne remarqua pas tout de suite le loup qu’elle avait frappé plus tôt se déplacer en silence, contournant la jeune femme pour se glisser derrière Eivar. Elle fronça les sourcils et empoigna sa lance, prête à l’envoyer se ficher dans le corps de la bête si son partenaire ne parvenait pas à tuer les deux autres et à se retourner à temps. L’Aventurier venait d’éliminer l’un de ses adversaires, le loup approchait de lui en silence et s’apprêta à bondir sur lui au moment où Eivar transperça l’autre animal, la vie le quittant dans un gémissement intense.
*Tu ne le toucheras pas, sale bête !*
Nehla prit une grande inspiration qu’elle bloqua avant de lancer sa seule arme en direction d’Eivar, un sourcil froncé, concentrée sur sa cible. Un choc, un gémissement, et le loup s’effondra juste derrière l’Aventurier, empalé sur la lance de l’Adjudant qui venait de se ficher dans le sol après avoir traversé le flanc de la bête. Le blondinet se retourna en écarquillant les yeux avant de porter à nouveau son attention sur la brunette qui tomba au sol, à bout de force, sans même tenter de retenir sa chute. Il récupéra la lance et s’approcha de la jeune femme, glissant une main sur sa joue pour repousser encore quelques mèches de cheveux. Sa respiration saccadée faisait se soulever sa poitrine dans un rythme étrange alors que la neige s’imprégnait de son sang à mesure qu’il coulait de son bras et de sa jambe. Elle jeta un œil à Eivar, un sourire aux lèvres.
Je ne pars plus jamais avec toi à l’aventure… Trop dangereux…
Allons, tu t’en es bien sortie pourtant.
Eivar… Ton satané Artefact… Il en vaut la peine ?
Hm… J’espère…
Tu as plutôt intérêt…
Le jeune homme lui adressa un sourire tendre avant de glisser son regard vers sa jambe, son joli sourire se transforma en une expression d’inquiétude.
Il faut…
Je sais. Je crois qu’il y a une petite grotte plus loin.
L’Aventurier ramassa leurs affaires qui étaient à nouveau éparpillées autour d’eux avant de rendre sa lance à Nehla et de passer ses bras sous son corps pour la porter, la serrant contre son torse alors qu’elle glissait sa tête contre son cou. Il la porta ainsi sur quelques centaines de mètres avant de tomber sur une petite alcôve creusée dans la montagne, il al déposa contre la pierre glacée avant de faire un feu, il la couvrit de son manteau et monta rapidement la tente avant de s’occuper de ses blessures. Il retira son armure de cuir et le reste de son haut, nettoyant ses plaies avant de suturer ses blessures du mieux qu’il le pouvait et de bander son bras et son épaule. Alors que ses doigts effleuraient sa peau, il lança un regard à Nehla, un sourire aux lèvres et les joues légèrement rosées.
J’ai déjà vu le loup aujourd'hui... quatre fois !
Je n’ai rien fait, ni rien dit…
Au temps pour moi !
Il pouffa de rire avant de s’attaquer à la blessure de sa jambe, déchirant le tissu de son pantalon à défaut de pouvoir le lui retirer sans la faire souffrir davantage. La jeune femme s’occupa ensuite de sa blessure à la clavicule, la nettoyant avec attention et délicatesse avant d’y apposer un pansement de fortune et un léger baiser. Ils se rhabillèrent ensuite, heureux d’avoir pensé à prendre suffisamment de vêtements de rechange et s’installèrent près du feu pour manger et reprendre des forces, l’Aventurier s’était calé contre la roche invitant Nehla à venir s’installer dans ses bras. La jeune femme ne se fit pas prier, se blottissant contre lui, profitant de sa présence et de sa chaleur, reconnaissante pour le coup du destin qui les avait fait se rencontrer et renforcer leur lien lors de cette bataille acharnée contre les Wargs.
Finalement, le théâtre, c’est pas si mal.
Je suis sûr que tu préfères nettement ce rencard-là ! Regarde comme tu es…
Comme je suis… ?
-Comme tu es belle…
Elle ne put empêcher son sourire en coin habituel de se montrer, nichant sa tête au creux de son cou, prenant soin d’éviter sa blessure. La main du jeune homme glissa délicatement dans ses longs cheveux bruns, tous deux profitant de cette étreinte qu’ils ne cherchaient pas à appuyer d’avantage, par peur de s’abîmer l’un l’autre.
-Il n’y a bien que toi pour penser ça d’une femme couverte de plaies et de bandages…
-J’ai du mal à choisir ma préférence entre ça et ta belle robe noire!
La jeune femme pouffa, avant de relever ses yeux vers lui.
-Ça m’apprendra à faire des efforts pour impressionner un inconnu tiens !
-Il faut croire que ça a payé, regarde nous aujourd’hui… Il y a quelques mois, jamais je n’aurais imaginé rencontrer une personne assez inconsciente pour parier sa propre vie sur un ou deux de mes coups d’épée. Et pourtant, tu es bel et bien là…
-Et je ne compte pas repartir…
Plus profonde qu’avec des mots, leur discussion se poursuivit au travers de leur regards. Ils n’avaient pas besoin de plus pour comprendre qu’ils avaient trouvé en l’autre quelque chose de spécial qui les liaient désormais, pour le meilleur comme pour le pire. Enlacés proche du feu dont les crépitements étaient les seuls à briser le silence, ils finirent par s’assoupir, épuisés par la bataille qu’ils avaient mené un peu plus tôt, bercé par leurs respirations.
Eivar se réveilla à plusieurs reprise durant la nuit, sortit de son sommeil par une légère fièvre, et sa plaie brûlante en plein travail de cicatrisation. Sa compagne dormait à points fermés, alors qu’elle se trouvait dans un état bien pire. Ne voulant pas l’interrompre, il se glissa délicatement hors de ses bras et s’assit un peu plus loin, veillant sur elle du regard et poursuivant sa nuit par cycle. Il ne fut pas étonné d’être à nouveau le premier à voir le jour se lever : elle avait bien mérité son long repos. Lui savait qu’il ne parviendrait plus à s’y replonger, il entreprit donc de faire un tour dehors avec dans l’idée de ramener l’un de leurs adversaires de la veille pour en faire un petit-déjeuner riche en protéine…
—
Nehla finit par émerger de son sommeil en fin de mâtiné, gardant les yeux clos encore un moment, retrouvant petit à petit les sensations dans tous ses membres, son bras droit bien engourdi, bien que moins douloureux que la veille. Elle mit un moment à se rendre compte qu’elle était couchée à même le sol, et que la présence qu’elle s’attendait à sentir contre elle était complètement absente. Sa main tâtonna un peu plus loin, jusqu’à se poser sur une masse touffue, la rassurant un peu. Mais en glissant sa main dans ce qu’elle pensait être les cheveux de son amant, elle se rendit rapidement compte que quelque chose n’allait pas, et en entrouvrant les yeux, son sang ne fit qu’un tour, et son corps se raidissant d’un coup elle recula subitement vers le mur de la grotte, la bouche entrouverte laissant s’échapper un gémissement de surprise et de peur à la vue des crocs acérés d’un Warg noir.
Après quelques secondes de panique, sa raison commença à reprendre le dessus, les yeux écarquillés, elle prit conscience de détails qui lui avaient échappés un peu plus tôt, alors qu’elle sortait à peine du sommeil… Et c’est à ce moment qu’un gloussement bien connu résonna dans l’alcôve, suivit d’un rire presque moqueur. Elle tourna la tête vers sa gauche : juste à côté d’elle, Eivar ne parvenait pas à se retenir, une larme à l’œil, et alors qu’elle commençait à comprendre ce qui se tramait réellement, son regard se porta à nouveau sur ce qui ne se trouvait être ni plus ni moins qu’une carcasse. Le cœur battant à un rythme fou, elle fronça les sourcils et d’un ton fébrile mais puissant, elle s’écria, fusillant le jeune homme du regard.
-Mais t’es pas bien ? Tu veux me tuer ?
-Allons, du calme… Tu es encore blessée je te rappelle !
Fier de sa gaminerie, et ne pouvant se retenir de sourire, il prit vite conscience que malgré son état, la jeune femme serait tout à fait capable de le lui faire payer dans l’instant, c’est pourquoi ses deux mains vers l’avant la suppliait presque de rester en place. Le poing serré, prête à se ruer sur lui et à lui faire payer ce coup-bas, elle finit par se raviser , secouant la tête, laissant s’échapper un soupir désespéré.
-Parfois je me demande comment j’ai fait pour me laisser charmer par un gamin pareil…
-Ça c’est sûrement parce que je fais bien la cuisine !
A ses mots, une douce odeur de viande fumée vint titiller les narines de la brunette, dont l’estomac grommela bruyamment. Elle se rapprocha du feu, et s’y installa sans tarder, attrapant un bout de chair grillé et le portant à sa bouche avec appétit. Un nouveau sourire aux lèvres, appréciant l’appétit de la demoiselle pour ce plat qu’il avait préparé, il s’approcha a son tour, et prit place à ses côtés, sentant un coup de coude plus que mérité contre son bras.
-Tu me prends pas les sentiments pour te faire pardonner, c’est mesquin.
-Désolé, c’était trop tentant, je recommencerai pas !
Les mains jointes en signe de pardon, il attendit qu’elle acquiesce pour finalement s’autoriser à attraper lui aussi un bout de viande. Le repas dura un bon moment, ils ne se privèrent pas de prendre leur temps, sachant très bien que leur périple était de toute façon d’ores et déjà ralentit par la blessure à la cuisse de la demoiselle, qui leur empêcherait de forcer l’allure. Quitte à ne pas se presser, autant profiter des instants de calme comme celui-ci. Le soleil était à son zénith quand ils reprirent finalement leur route, Eivar laissant la soldate mener la marche, s’adaptant à son nouveau rythme.
-La grotte que tu cherches ne devrait plus être loin. On aurait pu y arriver hier sans notre petite altercation…
-Vu l’endroit, ça m’étonnerait franchement que quelqu’un nous ait précédé, ne t’en fait pas… Une idée précise d’où elle pourrait se trouver ? Si on doit ratisser tout le pan de montagne, ça risque de prendre du temps.
-Puisqu’elle a été référencée par nos soldats, elle ne doit pas se situer trop en altitude. En continuant à cette hauteur on tombera dessus d’un moment à l’autre. En espérant ne pas faire d’autre mauvaise rencontre d’ici-là !
-Ne parles pas de malheur je t’en pris !
Ils échangèrent un rire complice, continuant leur marche dans un paysage toujours aussi blanc, à perte de vue.
Épuisée par le peu d’efforts qu’elle fournissait, Nehla indiqua à Eivar qu’il était temps de faire une pause, bien qu’ils ne marchassent que depuis quelques heures. Ils s’installèrent contre un gros arbre, grignotant quelques biscuits laissés dans la besace de l’Adjudant par le Chef cuisinier, qui avait bien entendu choisi les préférés de la jeune femme. Un léger sourire s’était dessiné sur son visage à la découverte de cette petite attention, un sourire qui se transforma en une expression presque triste alors que l’idée de se séparer de ce bonhomme lui traversa l’esprit. La jeune femme laissa glisser son regard sur le visage de son compagnon avant de le laisser courir le long du pan de montagne qu’ils avaient encore à parcourir.
Je vais partir.
Partir où ?
Dans le Sud probablement.
Pourquoi ?
Nehla se contenta de hausser les épaules et d’adresser un clin d’œil au jeune homme qui l’observait d’un air inquiet.
Il faut se remettre en route. J’ai trop dormi ce matin, on a pas mal de retard à rattraper et la blessure à ma jambe n’aide pas.
Tu ne devrais peut-être pas forcer autant.
Hm… Au pire des cas, on me coupera la jambe à notre retour à Forteresse. Et ça précipitera un peu mon départ à la retraite. Par ta faute, Eivar O. Neass.
Le jeune homme lança un regard paniqué à Nehla alors qu’elle se relevait difficilement, exagérant une grimace en s’appuyant sur sa jambe blessée.
À moins que tu ne doives la couper toi-même…
Laisse-moi voir.
Avant que l’Adjudant n’ait pu prononcer le moindre mot, Eivar s’approcha d’elle, retirant le tissu qui recouvrait sa jambe pour inspecter sa plaie. Le blondinet releva la tête vers elle, la bouche entre-ouverte, réellement inquiet cette fois.
Quoi ?
Ça s’infecte.
Mais non ça ne s’infecte…
Les yeux clairs de Nehla s’arrêtèrent sur sa cuisse donc la peau avait pris une teinte étrange autour du pansement réalisé la veille par Eivar, qui lui s’était imbibé de sang et probablement d’autres substances, ce qui ne présageait rien de bon. L’Aventurier défit le bandage avec précaution pour mieux examiner la blessure, il ne put réprimer un léger hoquet en voyant les marques des crocs laissés dans la jambe de sa partenaire suinter, la chair apparente prenant une teinte noirâtre.
Tu crois qu’il faut.. ?
On a pas le choix. J’espère que tes lames sont aiguisées.
Le blondinet ne cessait de faire des allers-retours entre le visage grave de Nehla et sa plaie, ne s’imaginant pas devoir lui couper la jambe au beau milieu d’une montagne, mais ne pouvant supporter l’idée de la voir potentiellement mourir d’une infection grave. L’Adjudant glissa lentement sa main dans les cheveux d’Eivar et murmura :
Il va falloir y aller, Eivar.
Je… Non, je peux pas te couper la jambe comme ça !
Mais on a pas le choix ! Tu préfères me voir mourir à petit feu ? Ça va tout attaquer si on élimine pas l’infection tout de suite !
Non, Nehla !
Je te le demande, Eivar, s’il te plaît, fais-le !
Le jeune homme se releva, posant une main tremblante sur la joue de sa compagne, il l’embrassa avec passion avant de faire apparaître l’un de ses sabres dans l’autre main. Il se baissa à nouveau, glissant délicatement ses doigts sous le genou de la jeune femme, levant son sabre plus haut, le souffle court, une goutte de sueur glissa de sa tempe jusque dans son cou, finissant sa course le long de sa colonne vertébrale alors qu'il serrait la mâchoire pour stopper le tremblement de ses mains. Il lança un dernier regard à l’Adjudant qui ferma les yeux, laissant sa tête basculer sur le tronc de l’arbre. Juste au moment où l’Aventurier abattait son arme pour sectionner la jambe de la jeune femme, celle-ci posa sa main sur sa tête.
Eivar !
La lame aiguisée s’arrêta net dans son élan, effleurant la peau blanche de la soldate alors qu’un sourire en coin presque machiavélique se dessinait sur ses lèvres. Le beau blond releva les yeux vers elle alors qu’elle posait sa main sur sa cuisse au niveau de sa blessure. Elle la fit glisser le long de la plaie, grimaçant tout de même sous la douleur, avant de la retirer, essuyant au passage le grossier maquillage qu’elle avait réalisé des heures plutôt, avant qu’ils ne lèvent le camp, et qui avait eu le temps de faire son petit effet. Elle observa le visage d’Eivar se décomposer, avant de voir ses mâchoires se serrer puis un sourire étirer ses lèvres.
Bon. Je l’ai bien mérité.
Oh oui, tu l’as amplement mérité !
La jeune femme laissa un léger rire s’échapper de ses lèvres avant de se laisser glisser au sol et de glisser ses mains dans la neige pour finir de nettoyer sa jambe.
T’es pas possible.
Dixit le type qui a failli me faire faire une crise cardiaque. On est quittes !
J’ai failli te trancher la jambe !
Au moins je sais que tu le feras le jour où il le faudra.
Tu connais pas l’histoire du garçon qui criait au loup ?
Ne me parle pas de loups !
Un fou rire emporta les deux jeunes gens, résonnant contre le flanc de la montagne, alors que l’Aventurier enlaçait sa compagne en la serrant contre lui, un gémissement de douleur partagé alors que leurs corps appuyaient contre leurs plaies respectives. Eivar banda à nouveau la jambe de Nehla, s’assurant tout de même que la plaie cicatrisait correctement et qu’elle n’avait pas fait n’importe quoi en y appliquant une mixture étrange, puis ils se mirent à nouveau en route, entrelaçant leurs doigts, comme s’ils se baladait dans un parc de la Capitale, presque insouciants.
Eivar extirpa la carte qu’il avait récupéré, les comparant à celles apportées par Nehla, avant de désigner un point de repère sur leur chemin. Ils étaient proches, la carte indiquait une heure de marche, il leur en faudrait au moins deux avant d’atteindre cet endroit étant donné leurs blessures et le retard qu’ils avaient pris. Ils appréciaient tous les deux le calme de la montagne, son air pur, sa neige immaculée, malgré les courants électriques qui parcouraient leurs corps lorsque le mal qui rongeait leurs chairs se réveillaient, glissant un regard vers l’autre lorsqu’ils sentaient une faiblesse apparaître, se soutenant mutuellement, comme deux partenaires de mésaventures, un sourire réconfortant se dessinant sur leurs lèvres, illuminant le visage de l’autre.
Ils arrivèrent finalement dans la zone où devait se trouver la fameuse grotte peu avant le coucher du soleil, la luminosité baissant dangereusement, ils décidèrent de camper pour la nuit et de reprendre la recherche le lendemain, aux aurores, pour éviter de tomber d’une falaise ou de rencontrer d’autres prédateurs nocturnes. Ils s’installèrent rapidement, comme si une routine s’était installée, et dinèrent copieusement avant de s’installer à nouveau près du feu, dans les bras l’un de l’autre, en sirotant de grands bols de thé bien chauds.
Pourquoi tu veux partir ?
Je pense que… On n’a plus besoin de moi à Forteresse. J’ai entendu dire que l’on recrutait dans le Sud, alors je vais aller voir.
J’ai failli te louper de peu alors ?
Hm… Oui, et ce n’est sûrement pas Donte qui t’aurais aidé ! Le Capitaine Von Andrasil aurait dépêché toute une garnison pour toi cela dit. Elle est… Exceptionnelle.
Une lueur de mélancolie traversa le regard de Nehla, qu’elle porta rapidement sur Eivar. Le jeune homme glissa une main sur sa joue, libérant son visage d’une mèche de cheveux, avant de lui sourire tendrement. Ils s’endormirent peu de temps après, lovés l’un contre l’autre, leurs doigts toujours entremêlés, leurs respirations synchronisés, comme s’ils étaient vraiment connectés.
Peu avant le lever du jour, Nehla réveilla Eivar doucement, déposant de légers baisers dans son cou alors qu’il glissait une main sur sa taille, réclamant encore quelques minutes de sommeil et de tendresse. La jeune femme afficha son éternel sourire en coin avant de lui retirer la couverture, l’obligeant à ouvrir les yeux et à se lever rapidement pour s’habiller.
C’est aujourd’hui qu’on trouve ton artefact, Eivar, je te le promets !
Enchanté par la bonne humeur de sa compagne, le jeune homme plia rapidement toutes leurs affaires alors que Nehla préparait leur petit déjeuner, qu’ils avalèrent en vitesse avant de reprendre leur route. Ils passèrent la journée à chercher cette fameuse grotte, à l’aveuglette et sans plan précis, presque découragés après des heures à parcourir le pan de la montagne.
Je ne comprends pas… Elle devrait être là !
Le regard d’Eivar suivait les aspérités de la montagne, avant de finalement se poser vers une ouverture, une sorte d’alcôve, l’entrée d’une grotte, quelques mètres plus haut. Il pointa du doigt l’endroit et se mit en route, laissant Nehla le suivre tant bien que mal. Elle parvint finalement à le rejoindre, grimpant comme elle le pouvait les quelques mètres rocheux avant de se hisser à l’intérieur de la fameuse grotte.
Tu aurais pu m’attendre quand même, je suis à moitié…
Bouche bée face au spectacle qui s’offrait à elle, Nehla laissa sa phrase en suspens en s’approchant du blondinet, tout aussi émerveillé qu’elle.
On a réussi…
La première surprise était la taille immense de cette cavité, dont le plafond n’étaient pas en vue. Les mousses, lierres et moisissures qui couvraient les parois fluoresçaient d’une teinte bleutée, et lui permirent d’estimer la distance jusqu’au mur opposé à deux ou trois centaines de mètres approximativement, mais de là où il se trouvait, il pouvait déjà apercevoir les signes d’un ou plusieurs étages inférieurs. La végétation était abondante et variée, comme si les plantes des environs avaient toute pris refuge dans ce petit coin de paradis, à l’abri des températures polaires et de la brise glacée. Phénomène étrange, au même titre que la flore qui recouvrait la roche, toutes les plantes semblaient scintiller plus ou moins intensément d’une couleur bleutée, qui se rapprochait du turquoise, puis du vert à mesure qu’elles se rapprochaient du centre de l’antre... Eivar mit un petit temps avant de la remarquer, mais juste au pied d’un immense cèdre qui dépassait largement tous les autres se trouvait une source d’eau, luminescente elle aussi, et qui, se devait d’être la raison expliquant ce cadre somptueux.
Détachant à regret son regard de ce spectacle enchanteur, il se tourna vers la brunette qui restait sans voix. Il glissa sa main dans la sienne, la ramenant doucement vers lui, et caressant sa joue délicatement, il l’embrassa tendrement avant de lui offrir un large sourire.
-Merci… de m’avoir accompagné… J’espère que tu regrettes un peu moins maintenant !
Leurs regards se dirigèrent à nouveau vers l’intérieur de la caverne, et sans lâcher sa main, tremblant d’excitation, Eivar fit un premier pas à l’intérieur, invitant la demoiselle à le suivre.
-Allons voir ça de plus près !
Elle lui rendit son sourire, et retrouvant la douleur qu’elle avait réussi à oublier pendant la minute précédente, elle se retint de grimacer en progressant à allure réduite sur un sentier improvisé que le jeune homme avait repéré pour elle, et qui lui paraissait le moins accidenté. A mesure qu’ils progressaient, la végétation commençait à prendre de plus en plus de place autour d’eux, et bien rapidement, la roche sur laquelle ils s’étaient aventurés avait laissée place à un gazon bien fourni, qui rendait la marche bien plus agréable surtout pour la jambe blessée de Nehla. Alors que leurs yeux papillonnaient à droite à gauche, toujours plus émerveillés par cet immense oasis au milieu des montagnes, un craquement soudain les fit sursauter tous les deux, la jeune femme armant sa lance par réflexe, gémissant de douleur en forçant sur son bras bandé.
Innocent, majestueux et d’une pureté sans pareil, un Celes dont le poil luisait légèrement passa juste devant eux, la lame pointée vers lui ne l’inquiétant pas un instant. La brunette soupira se soulagement, abaissant son arme, et se retournant vers son compagnon qui lui même avait craint un instant que ce répit ne s’interrompe aussi abruptement.
-Pour qu’une bête aussi inoffensive se déplace sans la moindre crainte, j’imagine qu’on peut être tranquille…
Élémentaire: si le maillon le plus bas de la chaîne alimentaire n’avait rien à craindre, alors nous qui nous trouvions bien plus haut étions sûrement la plus grosse menace pour ce petit coin de paradis. Et en plus de les rassurer dans ce sens, cette rencontre surprise leur fit prendre conscience qu’ils n’étaient pas les seuls êtres conscients ici, et à bien écouter, ils auraient pu s’en rendre compte plus tôt : loin d’être silencieux, ce lieu était devenu un refuge pour des insectes, des oiseaux, des créatures de toutes sortes, qui harmonisaient leurs chants dans une symphonie dansante, hypnotisante.
Après plusieurs minutes de marche, s’émerveillant toujours plus de tout ce qui les entouraient, le petit couple arriva finalement au bord de l’étang, qui vu de près n’était pas si petit que ça. Après tout, il nourrissait à lui seul la totalité de la faune et la flore de cette grotte. Ce qui rendait son eau lumineuse et turquoise était un mystère pour les deux tourtereaux, mais ne pas connaître la réponse à toutes les questions ne les dérangeaient pas, ils étaient bien trop occupés à profiter de ce cadre magique, attirant leurs regards l’un l’autre vers chaque nouvelle découverte surprenante qu’ils pouvaient faire.
-Ça me rappelle une quête, il y a quelques années… Non je devrais pas te raconter ça…
-Hmmm? C’est trop tard maintenant, dis moi tout !
-Je crois que… ça devait être il y a 3 ou 4 ans il me semble… Un ami à la guilde était parti en quête à la demande d’un noble qui voulait mettre la main sur une fontaine de jouvence. Le vieux noble tenait tellement à retrouver sa jeunesse qu’il participait lui même à l’expédition. Pensant tenir une piste un peu plus solide que les autres, mon ami l’a guidé auprès d’une cascade dont l’eau luisait d’une couleur verdâtre, sûrement un peu comme celle-ci…
-Je sens déjà le drame...
-Et tu fais bien ! Bien sûr, le vieillard, trop fier de sa trouvaille et voulant être le seul à profiter de sa «jeunesse éternelle» bût l’eau de la fontaine sans prendre la moindre précaution… Je ne te dis pas sa réaction quand en lieu et place de voir ses rides disparaître, il a pu observer dans son miroir ses cheveux, sa barbe, et tous les poils de son visage se colorer en bleu !
-Non ??
-Et le pire, c’est qu’il paraît que même après avoir tout coupé, ça repoussait en l’état !
Le jeune homme grimaça, laissant Nehla tomber dans un fou-rire en imaginant la scène, et la joignant de près, les larmes lui venant aux yeux comme la première fois qu’il avait entendu cette histoire. L’un comme l’autre tentait de contrôler son rire, pour ne pas troubler l’environnement, et amusé par cette petite histoire, ils continuèrent leur tour du lac, main dans la main, jusqu’à trouver un petit coin idéal où il installèrent tout leur matériel, et se mirent à l’aise, la température ici se trouvant être bien plus clémente qu’à l’extérieur. S’adossant au tronc d’un arbre, juste au bord de l’eau, ils profitèrent d’une nouvelle étreinte, interrompue par Eivar, son éternel sourire aux lèvres, se redressant et adressant un regard joueur à la belle.
-Non… Eivar non…
Même si elle disait ça, la jeune femme souriait, et était au moins tout aussi tentée que lui à cette idée.
-Imagines que ça soit une fontaine de jouvence, imagine ce que je louperais !
-Et si tu en ressors avec les cheveux bleus ?
-Et alors, tu m’aimerais quand même avec les cheveux bleus non ?
-Tu…
Elle n’eut pas le temps de rétorquer que déjà, le jeune homme avait presque retiré la totalité de ses vêtements, gardant un minimum de pudeur, mais la laissant muette, son regard redécouvrant sa peau nue, ses pommettes flambant légèrement. Les yeux brillants, et lui adressant un signe de tête, il prit un léger élan avant de plonger sans une once d’hésitation dans cette eau fraîche et turquoise clair.
Elle est bonne au moins ?
Tu n’as qu’à venir la tester !
Nehla leva les yeux au ciel, son éternel sourire en coin aux lèvres, avant de se déshabiller, ne gardant que ses sous-vêtements sous l’œil intéressé de son partenaire. Elle s’assit au bord de l’eau, y plongeant ses jambes claires avec précaution, découvrant avec bonheur que l’eau était à une température parfaite, chaude juste comme elle aimait. L’Adjudant retira le bandage qui entourait sa cuisse avant de s’attaquer à celui de son bras pour finir par défaire celui qui enveloppait son épaule et passait dans son dos, se croisant sur sa poitrine. Elle adressa un sourire à Eivar avant d’entrer dans l’eau qui lui arrivait juste en dessous de la poitrine et de se diriger vers lui.
Ça ne me fera pas de mal de me détendre un peu remarque.
Nehla !
Quoi ?
L’Aventurier pointait du doigt la blessure qu’elle arborait à la cuisse, visible dans cette eau bleutée et limpide.
Oui, je sais, c’est pas la plus jolie mais quand même…
Non regarde !
La jeune femme fronça un sourcil avant de baisser la tête, écarquillant soudainement les yeux.
Mais c’est quoi ça ?
Des centaines de petites sphères lumineuses, minuscules, pas plus grosses d’une lentille, glissaient sur la peau blanche de Nehla, se dirigeant vers sa cuisse. Elles se posèrent sur sa blessure, épousant parfaitement les contours des trous laissés par les crocs du Warg qui l’avait attaquée, illuminant la blessure d’une lueur étrange. Une douce chaleur se dégageait de sa plaie à mesure que la luminosité des petites bulles augmentait. Quelques secondes plus tard, alors qu’Eivar s’était approchée d’elle pour observer le phénomène, les petites billes s’éloignèrent de la cuisse de Nehla. Des vilaines marques de crocs ne restaient plus que de légères cicatrices, comme des petits points. La peau déjà claire de la jeune femme paraissait nettement plus pâle autour de ces petites marques, mais la blessure avait disparu, et sa marque était presque inexistante. Les petites lucioles aquatiques s’attaquèrent ensuite à différentes cicatrices, plus anciennes, sur les jambes, le ventre et le bas du dos de la jeune femme, alors que leurs collègues parcouraient la peau d’Eivar pour procéder de la même manière. Les cicatrices les plus anciennes ne disparaissaient pas, mais les marques laissées par les entraînements étaient plus minces, toujours auréolées d’une tâche plus pâle.
Nehla glissa sa main dans l’eau, et alors qu’un de ces petits êtres magiques se posa sur son doigt pour s’attaquer à une petite cicatrice faite par un couteau quelques années plus tôt. La jeune femme extirpa sa main du liquide turquoise pour remonter sa main vers son visage et mieux observer le travail de cette petite chose. Mais alors qu’elle était en plein travail, sa luminosité chuta considérablement.
Ah pardon !
Nehla plongea délicatement sa main dans l’eau, une autre de ces petites billes accouru se coller contre sa collègue, comme pour la raviver, avant de continuer son travail de guérison avec elle.
Tu avais peut-être raison finalement !
Eivar lui adressa un clin d’œil avant de s’agenouiller dans l’eau, laissant les petites lucioles œuvre sur sa clavicule, sa blessure se résorbant bien rapidement. Le petit couple se laissa soigner, observant avec stupéfaction ces bulles glisser sur leur peau. Soudainement, Nehla haussa un sourcil avant de jeter un regard plein d’enthousiasme à son partenaire.
Tu crois qu’elles pourraient…
Avant même de finir sa phrase, la jeune femme inspira profondément et plongea sa tête dans l’eau, ouvrant les yeux pour voir si ça pouvait fonctionner. Un de ces petits être se posa sur son nez, bientôt rejoint par plusieurs autres lumières qui s’attaquèrent aux blessures les plus récentes : les griffures sur sa joue, les cicatrices dues à son combat récent avec Donte, les autres petites traces de luttes, pour finalement se poser une à une sur sa grande tâche de naissance qui ornait son visage. Nehla ferma les yeux mais fut sortie de l’eau bien rapidement par Eivar qui avait glissé une main sur sa taille et l’autre sur sa joue.
Mais ça va pas !?
Je me suis dit qu’elles pourraient effacer ces vilaines marques…
T’es pas possible, Nehla Theldj ! Elles sont très bien ces marques !
Nehla lui sourit timidement, rougissant légèrement, alors que les petites lucioles s’éloignaient peu à peu, leur travail étant terminé. La jeune femme se rapprocha un peu plus de son amant, glissant ses mains dans son dos, avant de l’embrasser tendrement.
Oui tu as raison, désolée.
Je préfère ça !
Le jeune homme entoura sa partenaire de ses bras musclés et la serra contre lui, profitant que son corps soit réparé pour le presser contre celui de la jeune femme, un sourire aux lèvres. Le contact de l’eau délicieusement chaude qui les entourait, l’environnement magique dans lequel ils avaient mis les pieds et le souffle régulier d’Eivar dans le cou de la jeune femme la rassura, elle se sentait bien, à cet instant précis, et ce moment de calme, de sérénité, et de bonheur partagé valait bien toutes les altercations avec des Wargs enragés du monde.
Ils s’extirpèrent finalement de l’eau quelques instants plus tard, se réchauffant à l’aide des couvertures qu’ils avaient apportées, avant de se restaurer, vidant un peu plus le petit sac sans fond de Nehla, sans que leurs provisions ne s’épuisent réellement. L’atmosphère de la grotte changea progressivement, devenant légèrement plus sombre, des bruissements de feuilles et autres bruits d’animaux, différents de ceux qu’ils avaient entendus en arrivant, parvinrent à leurs oreilles alors qu’ils étaient enlacés l’un contre l’autre, épuisés par les courtes nuits peu reposantes qu’ils avaient passées et par les blessures désormais guéries qui avaient puisés dans leurs dernières ressources. Ils finirent par s’assoupir dans cet environnement chaleureux, protecteur et paisible, l’un contre l’autre, leur respiration se synchronisant presque immédiatement alors que leurs yeux se fermaient doucement.
Nehla fut réveillée, probablement aux aurores, par un petit Celes bien curieux qui avait posé le bout de son museau sur la joue de la jeune femme, la reniflant, se perdant dans ses cheveux. La jeune femme sourit doucement à l’animal qui pencha la tête sur le côté avant de s’enfuir vers le fond de la grotte, tournant la tête pour s’assurer que la créature qu’il avait réveillée ne le suivait pas. Nehla se retourna, posant délicatement sa main dans la nuque d’Eivar, avant de déposer un léger baiser sur sa joue et de se glisser hors des bras de son amant. Elle s’étira longuement, observant la faune et la flore épatante, sauvage et préservée qui cohabitait dans cet endroit insoupçonné. Elle enfila un débardeur et un pantalon propre avant de prendre de quoi déjeuner, et se rendit à l’entrée de la grotte, glissant sa cape sur ses épaules pour s’éloigner légèrement et faire un feu, histoire de préparer un repas chaud pour son partenaire. Elle se rendit à nouveau près de lui, qui serrait la couverture entre ses bras, un sourire aux lèvres, arrachant à Nehla un petit rire, qui déposa les assiettes pleines et la casserole de café fumant non loin de leurs affaires. Elle glissa sa main dans les cheveux du jeune homme avant de poser ses lèvres dans son cou, ce qui lui fit ouvrir un œil.
Bonjour.
Hm…
Le petit déjeuner est prêt.
Hm…
Pas très loquace ce matin dis-moi !
Viens là…
Nehla pouffa de rire avant de se glisser contre lui, mêlant ses doigts aux siens alors qu'ils l'entourait de ses bras, déposant un léger baiser dans le haut de son dos. Elle embrassa délicatement ses doigts avant de s'extirper à nouveau des couvertures, son estomac lui criant de se nourrir un peu. Elle s’installa pour dévorer son repas, se rendant compte qu’elle était bien plus affamée qu’elle ne le pensait, bientôt rejointe par le jeune Aventurier qui se léchait les lèvres, probablement aussi affamé qu’elle. Ils décidèrent de se baigner à nouveau quelques instants avant de partir explorer la grotte, s’émerveillant des petites lucioles aquatiques qui dansaient autour d’eux, probablement à la recherche de nouvelles plaies à guérir. Laissant leurs affaires dans un coin de la grotte, ils se rhabillèrent légèrement et continuèrent leurs recherches, afin de dégoter le fameux artéfact convoité par Eivar.
Ils tombèrent finalement sur une petite ouverture dans la grotte, de laquelle émanait une sorte d’aura, qui les attira instantanément. Le jeune homme hocha la tête avant de s’engouffrer dans la cavité, suivi de près par Nehla. Les parois de pierre étaient ornées de petites tâches lumineuses, qui devinrent plus lumineuses encore lorsque le blondinet posa sa main contre la roche, comme s’il avait un lien avec ce lieux, ou comme si la pierre répondait à son âme. Nehla haussa un sourcil, posant à son tour une main sur la paroi, mais rien ne se produisit. Presque déçue, elle sourit doucement au jeune homme qui lui adressa un clin d’œil avant de se diriger vers le fond de l’alcôve.
Il continuèrent de progresser dans ce couloir de pierre tachetés, qui se séparait fréquemment en plusieurs branches. Un véritable dédale qui évidemment ne put leurrer le jeune homme, qui ne faisait que suivre le chemin où la lumière s’intensifiait en sa présence.
-J’ai rarement vu un labyrinthe aussi accueillant… Mais j’imagine qu’on peut s’estimer heureux, en général les culs de sacs sont piégés…
A l’instant où le blondinet prononça son dernier mot, il put entendre un craquement juste dans son dos, et avant même qu’il n’ait en le temps de réagir, il sentit le corps de Nehla se coller dans son dos et l’emporter vers l’avant, évitant une chute à plat ventre de très près, mais esquivant l’écroulement d’un énorme rocher in extremis. Les yeux écarquillés, Eivar fixa le lieu de l’incident, son excitation désormais teintée d’une pointe d’inquiétude.
-J’aurais mieux fait de me taire… Mais ça paraissait trop beau d’être bienvenue à ce point. Ça va ?
-Oui c’est bon… Eivar… Ces lieux ne te veulent pas de mal, c’est moi le problème. Je me suis écarté de toi l’espace d’une seconde, et voilà comment la grotte a répondu…
Le jeune homme attrapa la main de sa compagne, et lui adressa un sourire, les yeux brillants intensément.
-Ça veut dire que si tu restes près de moi tout se passera bien, c’est plutôt une bonne chose non ?
La brunette étouffa un rire, rassurée par la simplicité de la marche à suivre, et au moins aussi enchantée que lui à l’idée d’être contrainte de rester si proche de lui. Elle serra un peu plus sa main dans la sienne, et tous deux reprirent de plus belle l’exploration de ce couloir tacheté. Après quelques minutes, la lumière qui n’avait pas changée de teinte jusqu’ici, commença à se réchauffer un peu, virant vers le jaune, le orange, le rouge… Et enfin, ce long couloir finit par déboucher sur une petite salle, toute aussi lumineuse, mais qui contrairement au chemin qu’ils avaient suivit jusqu’à présent, semblait avoir été aménagée par un labeur physique.
Comme la veille en découvrant la végétation luxuriante qui avait envahit la montagne, le regard des deux jeunes gens commença à s’émerveiller devant une scène tout aussi spectaculaire : six énormes piliers, parfaitement taillés dans la roche, et donc les ornements minutieux auraient fait pâlir les tailleurs de pierre les plus côtés de la capitale, formaient un cercle au milieu duquel était dressé une sorte d’autel.
-Tu entends ça ?
-Quoi ?
-J’entends un son, comme des cris ou des chants...
-Non, rien du tout !
Le regard d’Eivar se porta à nouveau sur l’autel, et attirant la jeune femme avec lui, il s’en approcha sans une once d’hésitation. Plus il s’approchait, plus l’appel s’intensifiait, jusqu’au point où il lui était impossible d’entendre la voix de la demoiselle qui l’accompagnait. Alors qu’il ne se tenait plus qu’à quelques mètres de l’autel, Nehla lui lâcha la main, et lui adressa un signe de tête, lui faisant comprendre qu’elle se tenait juste derrière, au cas où. Il franchit le dernier maître, et ses yeux ne mirent pas longtemps à trouver, au milieu des divers matériaux posés sur l’autel, la source de cette cacophonie. Un chaîne d’une trentaine de centimètres à vue d’œil, et dont les maillons alternaient étrangement entre deux métaux différents, l’un plutôt roux, l’autre gris sombre.
Quelque peu hésitant l’espace d’un instant, l’aventurier ne le resta pas bien longtemps, rassuré par la présence dans son dos. Et après tout c’était la raison principale de sa venue ici, alors maintenant qu’il se trouvait juste devant lui, pas question de repartir sans. D’une main ferme et d’un geste lent, sa main s’approcha de l’artefact, et à l’instant où son majeur droit l’effleura, en un battement de cil, le manteau argenté qu’il portait sur ses épaule disparu, et réapparu quelques mètres plus loin, juste à l’endroit où son regard était porté. Un second doigt, un troisième, puis bientôt toute sa main portée sur l’objet, et ce furent l’une de ses épées, une large plaque de métal, le pic de métal dont il s’était servit il y a quelques jours… Chacun des objets liés à ses doigts se matérialisa à une vingtaine de mètres de lui, là où il regardait.
Il ressentit un long frisson, intense, et petit à petit, le chant qui sonnait à ses oreilles diminua, jusqu’à s’estomper complètement, et dans le même temps, les objets qu’ils ne faisait que de matérialiser en boucle, sans vraiment pouvoir se contrôler, finirent par rester au sol pour de bon. Laissant un long soupire s’échapper d’entre ses lèvres, abasourdit par ce qui venait de se passer, et ne comprenant pas encore vraiment comment il avait été capable de réaliser cette prouesse, il se retourna vers sa compagne, qui semblait encore plus perdue que lui devant le spectacle auquel elle venait d’assister.
-Tu… Tu vas bien ?
-Je crois oui… J’ai l’impression d’avoir rêvé… Mais puisque tu es belle et bien là et que tu as vu la même chose que moi…
-C’est cette petite chaîne qui t’a permis de faire ça ?
-J’ai mis un petit temps à le comprendre, mais je crois qu’elle a prit le contrôle de mon pouvoir, et l’a fusionné d’une façon où d’un autre avec le sien. Je n’étais pas du tout aux commandes à vrai dire… Mais si je pouvais le contrôler…
Le jeune aventurier se prit à imaginer différentes situation dans lesquelles un tel pouvoir pourrait lui être utile, et le voir si enthousiaste rassura la demoiselle qui s’était un peu inquiétée pour lui pendant cette petite scène. Elle s’approcha, et attrapa sa manche doucement, le ramenant au présent.
-Si c’est toi, je suis certaine que tu sauras quoi en faire…
Il lui répondit d’un large sourire, et d’un baiser passionné, heureux qu’elle soit avec lui pour un moment comme celui-là.
-Je sais que je te l’ai déjà dis… Mais merci d’être venue avec moi pour tout ça ! Je ne pense pas que j’y serais arrivé sans toi, pour tout te dire.
Avant qu’elle n’ait le temps de protester, où de lui affirmer qu’elle était certaine qu’il s’en serait très bien sortit, comme il savait très bien qu’elle s’apprêtait à le faire, il se saisit à nouveau de sa main, et l’attira vers la sortie de la petite salle, y jetant un dernier coup d’œil, curieux de savoir qui avait bien pu y tenir des rites, ou même qui en avait été l’architecte, et sachant très bien qu’il n’aurait sûrement jamais la réponse à ces questions.
-Maintenant qu’on a ce qu’on est venu chercher, rien ne nous retiens ici, alors dépêchons nous de sortir avant que…
Eivar se tut, ses yeux s’écarquillant devant ce qu’il redoutait le plus maintenant que l’artefact qui l’appelait se trouvait en sa possession : les tâches guides, qui l’avaient menées jusqu’ici, ne réagissaient plus du tout à sa présence.
-Bon, et bien j’espère que tu as une bonne mémoire, je n’ai aucune idée du chemin à suivre pour sortir d’ici maintenant !
Tu me portes la poisse en fait.
Mais j’ai rien fait !
Les loups, l’éboulement, et maintenant le labyrinthe dans une grotte bizarre… avoue que ça fait beaucoup…
Bon, je l’admets. Il faut que j’apprenne à me taire.
Je vais nous sortir d’ici.
L’Adjudant se plaça devant l’Aventurier, ferma les yeux en plaquant ses mains l’une contre l’autre, compta une respiration puis plaqua son poing contre sa paume, laissant la brume s’échapper de ses doigts, couvrir ses avants bras, avant de desserrer le poing et d’ouvrir les doigts. De fins filets de brume blanchâtre sortaient de chacun de ses doigts, dansant au gré des courants d’air de la grotte et du souffle de Nehla près de ses mains. Elle se tourna vers Eivar pour lui expliquer son plan.
Maîtrise de la brume, leçon numéro deux. Ma brume va toujours chercher à s’épaissir, et pour ça, il lui faut un point d’eau. Le plus proche, c’est la rivière de la caverne. Il va falloir attendre un peu et espérer que celle que je peux créer avec ma propre eau soit suffisante pour que l’un des filets trouve son chemin et s’épaississe. On pourra ensuite la suivre.
Allons y.
Nehla ferma à nouveau les yeux, se concentrant au maximum pour épaissir la brume, avant de la laisse glisser sur les parois de la grotte. Les petites volutes se frayèrent un chemin dans la pénombre, arpentant toutes les aspérités de la roche, tous les chemins possibles, pour trouver une sortie. Lorsque la brume disparaissait d’un de ses doigts, Nehla insuffla une nouvelle brume vers une autre branche, estimant que le chemin suivit par le premier nuage n’était pas celui à prendre. Plusieurs minutes passaient, Nehla se concentrait autant qu’elle le pouvait, sa bouche s’asséchait à mesure qu’elle produisait plus de brume, puisant dans toutes ses ressources pour les aider à trouver un moyen de sortir de cette caverne qui les avait piégés.
Essayons de nous rapprocher un peu.
Eivar acquiesça, ils se mirent en route, s’arrêtant à chaque intersection, attendant que la brume leur dise quoi faire. Ils tombèrent rapidement sur l’éboulement de roche qui avait failli coûter la vie de la jeune femme. L’Adjudant observa les fins filets blanchâtre se frayer un chemin, se glissant dans les minuscules interstices d’air entre les roches.
Il va falloir dégager tout ça.
L’Adjudant acquiesça, le petit couple se mit à déblayer les pierres une par une, Eivar faisant le plus gros du travail, bien conscient que sa compagne était déjà bien épuisée par l’utilisation de son pouvoir. Nehla quant à elle se maudissait de n’avoir pas assez de ressources pour créer plus de brume et faire un minimum d’effort. Après avoir libéré la voix, les deux jeunes amoureux reprirent leur route, marchant prudemment, près l’un de l’autre, en suivant les volutes blanches qui les guidaient.
Arrivés à un nouveau croisement, deux chemins s’offraient à eux, et la brume de Nehla glissait sur les parois de chacun des axes. La jeune femme s’écroula soudainement, tombant à genoux au sol, rattrapé de justesse par son compagnon. La brume qui courait dans la galerie rebroussa chemin pour s’infiltrer à nouveau dans les doigts de la jeune femme alors qu’elle tentait de retrouver son souffle, coupé dans sa chute. L’Aventurier observait la soldate d’un œil inquiet, glissant une main dans son dos pour la soutenir, il posa une main sur sa joue et un baiser sur son front.
Je suis désolée…
Ce n’est rien, on va trouver un moyen.
Ils se reposèrent quelques instants contre la roche froide, le temps que Nehla soit suffisamment remise pour marcher à nouveau. Le blondinet et sa brunette se levèrent finalement, faisant face aux deux galeries, cherchant le moindre indice qui pourrait les guider. Nehla soupira en baissant la tête, persuadée qu’ils allaient se perdre à nouveau et mourir ici. Elle tourna doucement la tête vers Eivar, un léger sourire se dessina sur ses lèvres alors qu’elle parcourait à nouveau les traits de son visage de son regard clair.
*Au moins, on mourra ensemble.*
Eivar posa soudainement la main sur l’épaule de Nehla, lui faisant lever la tête.
Je crois que tes petites amies du lac ont des copines qui savent voler…
Des centaines de petites sphères lumineuses, semblables à celles qui avaient soigné leurs blessures dans le lac la veille, voletaient le long des parois, pour finalement se poser délicatement sur la peau de la jeune femme. Leurs luminosité augmenta, alors qu’elles dansaient autour de l’Adjudant, lui donnant un peu de leur vitalité et de leur chaleur. Un large sourire se dessina sur le visage balafré de la soldate, lui redonnant espoir. L’une des petites bêtes se posa sur le nez de la jeune femme avant de s’envoler vers la galerie de droite, bientôt suivie par ses compagnes qui faisaient du sur-place devant l’entrée. La petite luciole revint se poser sur le nez de Nehla, comme agacée qu’elle ne bouge pas, l’invitant à suivre ce petit essaim lumineux.
Eivar adressa un sourire chaleureux à sa compagne, lui aussi ayant retrouvé un certain espoir, avant de glisser sa main dans la sienne, l’invitant à continuer leur aventure. Les deux jeunes gens suivirent ainsi les lucioles sauveuses pendant un long moment, avant de déboucher finalement dans l’immense caverne, presque aveuglés par la luminosité ambiante. Ils s’enlacèrent, Nehla serrant Eivar dans ses bras aussi fort qu’elle le pouvait, avant d’éclater de rire, comme pour relâcher la pression et la peur qui les avaient gagnés. Ils s’adossèrent contre un arbre, profitant d’un moment de répit, avant que Nehla ne se relève soudainement.
On est pas au même endroit. C’est pas par là qu’on est arrivés.
Tu es sûre ?
Écoute, le murmure de la rivière est trop lointain, on l’entendait bien plus !
Tu as raison. Même la végétation est différente.
La soldate observa les environ pour voir que les feuillages des arbres semblaient plus sombres ici, les feuilles plus larges, les plantes plus grasses. Son attention fut attirée par l’une des petites lucioles qui les avaient guidées jusqu’ici. Elle virevoltait au-dessus d’une sorte de petit palmier aux feuilles épaisses, décrivant un cercle, avant de se diriger vers le couple, puis de repartir, de refaire un cercle, de revenir, ainsi de suite, jusqu’à ce que Nehla finisse par s’approcher d’un pas. Eivar la retint par la main, presque méfiant.
Je viens.
La jeune femme lui adressa un tendre sourire avant de poser délicatement ses lèvres sur les siennes.
Tu crois que je vais partir sans toi ? Tu ne te débarrasseras pas de moi comme ça.
Le jeune homme pouffa de rire avant de se lever à son tour, entrelaçant ses doigts à ceux de sa compagne. À mesure qu’ils approchaient de l’endroit désigné par la luciole, celle-ci décrivait des cercles de plus en plus rapidement autour de la plante. La jeune femme s’accroupit, décalant une des larges feuilles de l’arbre miniature. Elle écarquilla les yeux, invitant Eivar à s’approcher d’un signe de tête.
Qu’est-ce que… ?
Un œuf.
Oui je vois bien que c’est un œuf. Mais il semble…
Magique. Une créature fantastique ?
Tu crois que…
La jeune femme approcha sa main de l’œuf en question, une chaleur étrange se dégageait de cette chose, s’intensifiant à mesure que les doigts de la jeune femme s’en approchait. Incapable de s’arrêter, comme hypnotisée, l’Adjudant effleura d’un doigt la surface lisse et colorée de l’œuf, murmurant, comme dans un songe :
Kohvu…
Un craquement sonore se fit entendre, la petite luciole qui s’était posé sur une des feuilles s’envola quelques dizaines de centimètres plus haut avant de se poser sur l’épaule de la jeune femme qui n’avait pas bougé, alors que la coquille continuait de se fissurer. Une petite boule de poil fit son apparition au milieu des morceaux de coquille, à quelques centimètres des doigts de la jeune femme, toujours aussi prise dans une sorte de transe. L’animal, pas plus gros qu’un petit chat, ouvrit la bouche pour dévoiler deux petits crocs qui sortaient plus que ses autres dents. Il attrapa le doigt de Nehla, y plantant ses minuscules incisives, avant d’ouvrir les yeux, plongeant son regard dans celui de la balafrée. Une intense chaleur gagna la jeune femme, alors que le félin se mit à téter son doigt, ses petits crocs se plantant à différents endroits à mesure qu’il léchait sa main. Ses petites pattes vinrent agripper le poignet de Nehla, qui se laissa faire, attendrie par le petit tigre qui la prenait pour sa mère.
Nehla attrapa la petite boule de poil, qui se glissa entre ses mains avant de se glisser contre sa poitrine alors qu’elle se relevait. Elle fronça les sourcils et se tourna vers Eivar, le poignet toujours bloqué dans les pattes de l’animal qui s’endormait en lui suçant le pouce.
C’est quoi et j’en fait quoi ?
Eivar pouffa de rire en voyant sa compagne, elle qui avait repoussé l’attaque d’un Warg blanc et de trois autres Warg avec lui, qui s’était battue avec l’un des hommes sous ses ordres, fière guerrière balafrée qu’elle était, avec un petit animal qui tétait son doigt en s’endormant dans ses bras, presque en ronronnant.
-Un petit smilodon, je crois…
Eivar s’accroupit, et attrapa du bout des doigts un morceau de la coquille que le félin venait de quitter, ses yeux s’écarquillèrent légèrement alors qu’il se relevait, faisant de nouveau face à sa compagne, lui tendant la coquille, et reprenant.
-… et si je comprend bien ce qui vient de se passer, ton nouveau familier, Kohvu !
La jeune femme haussa encore un peu plus le sourcil, ne comprenant pas ce qu’il voulait signifier par là.
-Les smilodons sont des mammifères, ils ne pondent pas d’œufs… tout du moins pas dans la nature… Il y a ça, et le fait qu’il ait éclot juste au moment où tu as prononcé ce mot, «Kohvu». Certaines histoires racontent que les familiers rares n’éclosent qu’au moment où leur maître leur donne un nom, et il faut croire que ses histoires sont vraies !
La bestiole s’était assoupit, et dormait paisiblement contre la jeune femme qui prenait conscience de sa nouvelle responsabilité, elle qui n’avait jamais élevé la moindre bestiole, et qui se voyait difficilement troquer son rôle de guerrière intrépide, pour celui de nourrice pour chat. Pourtant, maintenant qu’il la tenait fermement, qu’elle pouvait entendre ses petits ronronnement, sentir sa fourrure si douce qui se bombait légèrement à chacune de ses inspirations, l’idée de le laisser derrière ne lui traversa pas l’esprit un seul instant.
-Et comment je suis censée savoir élever un smilodon moi ? C’est pas comme si on nous apprenait ça pendant nos classes !
-Le peu de smilodons que j’ai croisé m’ont semblé bien plus terrifiant que celui-ci, il n’a pas l’air si terrible…
Eivar approcha sa main délicatement, et au moment où il s’apprêtait à effleurer le poil de la bestiole, ses yeux s’entrouvrirent soudainement, et écartant son museau du pouce de Nehla, il se tourna vers celui qu’il avait l’air de prendre pour un agresseur, montrant ses crocs, et une attitude plus agressive. Poussant un petit cri de surprise, l’aventurier retira sa main au moment où la petite patte griffue s’apprêtait à l’atteindre.
-Je retire ce que j’ai dis, c’est un petit teigneux !
Comme s’il l’avait compris, et fier d’avoir repoussé ce qu’il croyait être un assaut, le petit se contenta de tourner la tête vers sa nouvelle maîtresse, et de se frotter contre sa main, cherchant des caresses comme récompense. Glissant ses doigts entre ses deux oreilles, puis sur ses joues, la jeune femme ne se retint pas de rire devant ce spectacle.
-Et bien, on dirait que tu as trouvé un concurrent avec du caractère…
Le blondinet leva les yeux aux ciel et soupira, comprenant que sa compagne s’était laissé séduire, et commençait déjà à dorloter son nouveau petit compagnon. Un bruit sourd mit fin à leurs réjouissances, attirant leur attention vers le couloir étroit duquel ils étaient sortis quelques minutes plus tôt, juste au moment où celui-ci s’affaissa, en même temps que toute la galerie dans laquelle ils s’étaient perdus. Échangeant un regard entendu, les deux tourtereaux comprirent qu’ils avaient une nouvelle fois eu beaucoup de chance de s’en sortir, et qu’ils devaient leur salut aux petits esprits qui résidaient en ces lieux, et qui veillaient sur eux depuis leur arrivée. Glissant sa paume sur la chaîne qu’il avait accrochée à sa ceinture, il comprit que c’était la magie de l’artefact qui avait maintenu ce dédale souterrain très ancien parfaitement en place jusqu’à présent.
-J’espère que tu n’avais rien oublié en bas…
-De toute façon je ne comptais pas y retourner ! Je te rappelle que j’ai failli me faire écraser là dessous !
Un petit silence plana, avant que le petit couple ne se mette à rire de bon cœur à nouveau, libéré d’un poids qui les avait pris plus tôt quand ils avaient commencé à perdre l’espoir de s’en sortir. Après un moment passé là, posé contre un arbre, épaule contre épaule, somnolant légèrement, épuisés par les épreuves qui s’étaient enchaînées depuis leur réveil, ils furent tous les deux réveillés par leurs estomacs grommelant, ce qui sembla ouvrir l’appétit de Kohvu qui commença à s’exciter et à courir en cercle devant eux alors qu’ils sortaient leurs vivres du petit sac de la soldate.
Cette dernière s’amusa à tester les goûts de son matou, qui bien que de nature carnivore à la base, semblait capable d’avaler pratiquement tout ce qu’elle lui présentait sous le museau, ce qui sembla la rassurer un peu, elle qui se questionnait sur le régime alimentaire que pourrait bien avoir un bébé familier tout juste sorti de son œuf. Ce repas dura assez de temps pour qu’une fois terminé, la lumière de la grotte n’ait largement diminuée, leur signalant que le soleil avait déjà bien décliné.
-Passons la nuit ici, et demain, à l’aube, on prendra le chemin du retour.
-On pourrait tout aussi bien rester ici quelques jours de plus non ?
Le jeune homme tourna la tête vers sa compagne, un peu surpris pas sa proposition, mais comprenant complètement ce qu’elle entendait par là. Il se redressa et vint se caler à côté d’elle, l’enlaçant doucement, sous l’œil attentif du familier, qui ne protesta pas cette fois-ci.
-C’est vrai que cet endroit est charmant, et que passer encore plus de temps seul avec toi me plairait beaucoup… Mais tu sais bien que ça ne serait pas sérieux… Et j’ai promis à ton ami cuisinier de te ramener en bon état et rapidement. Je risque de me faire passer un savon pour ce qui est de ton état, la moindre des choses serait de revenir au plus vite, non ?
Lui caressant doucement les cheveux, il déposa un baiser à la commissure de ses lèvres, avant de l’embrasser tendrement, resserrant un peu leur étreinte.
Glissant une main sur la joue d’Eivar, Nehla se rapprocha de lui pour profiter encore un peu de sa chaleur, peu encline à quitter ce havre de paix pour le voyage qui les attendait.
C’est une teigne.
Comme moi.
Eivar lui sourit tendrement avant de la serrer un peu plus contre lui, glissant un baiser dans son cou avant de se lever, bien décidé à s’occuper du petit-déjeuner. Nehla en profita pour ranger leurs affaires dans leurs sacs respectifs, avant de s’installer auprès de son partenaire pour se restaurer, laissant Kohvu picorer dans son assiette. Elle laissa son regard parcourir encore une fois la grotte, toujours aussi émerveillée par la faune et la flore qui s’y était développée, remarquant avec amusement que les petites lucioles d’eau semblaient danser avec celles qui voletaient en surface.
On se baignerait pas encore une fois ?
Un simple regard amusé d’Eivar avait suffit pour qu’ils se retrouvent bien vite dans l’eau turquoise, profitant encore une fois de la magie des petites sphères qui parcouraient leur peau. Malgré tous ses efforts, Nehla ne parvint pas à faire entrer Kohvu dans l’eau, il avait plongé la patte dans le lac, avant de la retirer bien vite en grognant, se contentant par la suite de rester assis bien sagement, à observer le couple dans l’eau, avant de disparaître un moment lorsqu’il jugea bon de leur laisser un peu plus d’intimité.
Le trio quitta finalement la grotte, les joues encore légèrement rougies, Nehla glissa sa main dans celle d’Eivar alors qu’ils échangeaient un de ces regards qu’ils étaient les seuls à comprendre, avant de refermer son manteau sur elle, veillant à ce que le petit Kohvu, bien calé contre elle, puisse sortir la tête du vêtement s’il en avait l’envie.
Le voyage du retour vers la forteresse fût bien plus calme, ils marchaient bien plus lentement qu’à l’aller, pas à cause d’éventuelles blessures, mais plutôt d’une envie mutuelle de faire encore durer ces instants qu’ils partageaient, seuls au monde, au milieu de ces montagnes dangereuses mais surprenantes, ces instants qui étaient rares et qui allaient disparaître dans quelques jours, lorsqu’Eivar repartirait pour une nouvelle aventure et que Nehla reprendrait ses fonctions à Forteresse, elle serait sûrement à nouveau prise dans sa routine, en attendant que les jours passent et que l’opportunité de partir pour la Capitale ou pour une autre destination, avec l’espoir d’y croiser Eivar, ne pointe le bout de son nez. Un soupir s’échappa des lèvres de la jeune femme à cette perspective, qui n’échappa pas à Kohvu qui sorti la tête du manteau, posant ses pattes sur le menton de Nehla, ni à Eivar qui s’arrêta brusquement, l’attirant vers elle pour la prendre dans ses bras.
Qu’est ce qui t’arrive ?
Rien, je pense juste à ces affaires qui m’attendent à Forteresse.
Hm…
Allez, il va faire nuit, il faut qu’on se mette à trouver un endroit où dormir.
L’Aventurier pencha la tête sur le côté, en même temps que Kohvu, ce qui arracha un sourire teinté d’une légère tristesse à Nehla. Ni l’un ni l’autre n’étaient dupes, mais Eivar savait très bien que si elle ne voulait pas s’épancher tout de suite, elle le ferait probablement à la nuit tombée, ou encore au petit matin, comme elle avait déjà pu le faire auparavant, il n’insista donc pas mais garda un œil inquiet sur elle.
Les deux jeunes gens et leur compagnon à fourrure finirent par trouver un endroit parfait dans la forêt, non loin d’une clairière, pour établir leur campement pour la nuit. Kohvu en profita pour se dégourdir les jambes et tester la neige pour la première fois de sa vie, il semblait perplexe mais s’amusait à attraper les flocons épais qui commençaient à tomber des nuages bas. Laissant Eivar se charger de monter la tente, la soldate parti dans la forêt pour chasser leur repas du jour, elle avait besoin d’un peu de calme et de se vider l’esprit un instant. Elle parcourait la forêt avec précaution, veillant à ne pas faire de bruit pour ne pas faire fuir les éventuelles bêtes qu’elle pourrait ramener. Elle repéra finalement sa cible, et au moment où elle s’apprêtait à ficher sa lance dans le flanc de l’animal, un autre petit être fit son apparition dans un grand fracas, brisant des branches, faisant bruisser les arbustes et tomber une grande quantité de neige d’un arbre à quelques centimètres de Nehla. La soldate serra les mâchoires et les poings, avant d’attraper l’animal par la peau du cou et le soulever au niveau de son visage.
Tu seras privé de dîner.
Le petit être paraissait bien chétif, il ramena ses pattes devant son museau, en baissant la tête, une petite plainte s’échappant de ses babines desquelles dépassaient ses petits crocs. Nehla pesta, grognant presque entre ses dents, avant de reposer Kohvu à terre.
Il va falloir que tu apprennes, Kohvu.
La jeune femme continua sa traque, suivie de près par le Smilodon qui sautait dans les traces de pas de sa maîtresse, en veillant à faire le moins de bruit possible. Par chance, le lièvre que Nehla chassait refit son apparition, elle s’arrêta net, faisant un signe de la main à son Smilodon qui comprit bien vite, il se faufila entre ses jambes avant de se plaquer au sol pour observer la scène. L’Adjudant visa et lança son arme qui traversa les quelques mètres qui les séparaient dans un sifflement avant de se ficher en travers du pauvre animal, pour poursuivre sa course dans un tronc d’arbre. Un signe de tête vers la bête et Kohvu détala comme un mort de faim, montrant les crocs à l’animal mort en grognant.
Bon, on y est pas encore tout à fait.
La jeune femme rigola doucement avant de récupérer sa prise, nettoyant un peu sa lance avec de la neige alors que Kohvu tentait de tirer la bête légèrement plus grosse que lui pour la ramener au campement. La soldate attrapa le lièvre et se dépêcha de repartir pour son abris de fortune de la nuit, découvrant avec plaisir le grand feu fait par Eivar. Ils cuisinèrent leur repas ensemble, laissant Kohvu s’en donner à cœur joie sur la carcasse et les os de l’animal, avant de dîner, mangeant bien plus que de raison.
Ils s’autorisèrent une douceur, dévorant avec envie les petits biscuits chocolatés donnés par le Chef cuisinier, accompagnant leur dessert d’un grand bol de thé brûlant, blottis l’un contre l’autre, Kohvu s’étant endormi dans leurs jambes devant le feu. La soldate tourna la tête vers Eivar, qui était probablement perdu dans ses pensées, au moins autant que son regard l’était dans les flammes qui dansaient devant eux. Elle sourit tendrement, le dévorant des yeux, avant de briser le silence confortable qui s’était installé d’une voix légèrement tremblante.
Bien sûr que je… enfin tu sais, si tu avais les cheveux bleus…