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    Un monde plein de mystères,
    plein de magie et surtout plein d'aventures...

    Il est peuplé de créatures fantastiques. Certaines d'une beauté incomparable, d'autres aussi hideuses qu'inimaginables, beaucoup sont extrêmement dangereuses alors que quelques unes sont tout simplement adorables. La magie est omniprésente sur ces terres : des animaux pouvant contrôler la météo, des fleurs qui se téléportent, des humains contrôlant les éléments, des objets magiques permettant de flotter dans les airs...

    Dans ce monde, il y a le royaume d'Aryon. Situé à l’extrémité sud du continent, c'est un royaume prospère, coupé du monde. Il est peuplé d'hommes et de femmes possédant tous un gros potentiel magique, chacun vivant leurs propres aventures pour le meilleur comme pour le pire.

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    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
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    Nouveau départ
    Dim 15 Mar 2020 - 15:52 #
    Ils franchirent les portes de la cité portuaire, et une bourrasque iodée les accueillit chaleureusement. Levant les yeux du bouquin qu’il était en train de lire, Calixte embrassa du regard les courbes de la ville du Grand Port s’offrant à lui. Depuis combien de lunes n’était-il pas revenu passer du temps dans sa ville natale ? Trop. Pas assez. Il se souvenait lointainement y être brièvement passé en compagnie de Rid, pour leur assignation à la Ville Aquatique. Il n’avait, alors, pas fait de détour pour voir sa famille. Sa famille de sang. Mais quelle importance ? Puisqu’il n’était à ses yeux que le vilain petit pichon. Celui dont la maladresse et la médiocrité n’apportait aucune valeur à la noble lignée. Celui dont les actions et le statut n’augmentaient ni le prestige ni la richesse familiale. Celui dont on évoquait l’existence seulement dans un murmure à l’abri des oreilles indiscrètes. Et Calixte avait appris à composer avec l’excentricité des Alkhaia de Eliëir, leurs impossibles exigences et leur vision orgueilleuse des choses, mais préférait garder une saine distance avec eux. Ne visitant que rarement, et s’intéressant de loin à leurs affaires. Trouver sa place au sein des espions, famille par le cœur, lui avait permis de renouveler le sens filial qu’il avait par ailleurs perdu. Avant. Avant le décès de Ruth. Et avant les multiples complications en découlant.

    Et tout comme il avait auparavant fuit sa famille dysfonctionnelle, il fuyait à présent celle des espions. La distance comme protection, le silence comme repli. La lâcheté comme choix. La longueur des investigations autour du meurtre de Ruth avait calmé les émotions tumultueuses que ce dernier avait déclenchées. Mais n’avait fait qu’approfondir sa tristesse et ses doutes. En qui pouvait-il encore sincèrement déclarer avoir confiance ? Loin d’apaiser sa méfiance et d’apporter des réponses à ses interrogations, l’affaire s’était péniblement enlisée pour ne finalement lui laisser qu’un amer goût de déception chagrine. Quitter la Capitale s’était révélé une nécessité. S’éloigner de l’épicentre de la douleur et des soupçons. Pas pour oublier, mais pour respirer à nouveau et remettre un peu d’ordre dans ces sentiments et ces pensées chaotiques. Retrouver une perspective. Et peut-être même une certaine assurance. Dans son Maître-Espion, ses camarades d’espionnage, et ses propres compétences. Car si Calixte doutait à présent des capacités de sa supérieure et de la loyauté de ses pairs, il doutait surtout de lui-même. Car c’était bien lui qui avait mené dans l’impasse les investigations autour du meurtre de Ruth. Lui, qui avait échoué à retrouver le bourreau de la jeune fille. Lui, qui avait privé cette dernière d’un hommage absolu. Lui. Et Vrenn. Il eut un sourire sarcastique.

    Le jour se levait doucement sur la ville du Grand Port, mais l’animation de la ville portuaire semblait avoir repris depuis déjà quelques heures. La course des chariots remplis de poissons indiquait que les pêcheurs avaient dû avoir la main heureuse, et que les marchés allaient être bien fournis. Une brise chargée en odeurs de la mer balayait les rues étroites par lesquelles ils progressaient, et sa timide chaleur rappelait que les beaux jours de la saison douce se profilaient. Quoi de mieux que de profiter de celle-ci pour prendre un nouveau départ ? Calixte ne savait pas trop sous quel motif son transfert de la Garde de la Capitale à celle du Grand Port s’était effectué, mais il était content que celui-ci ait été accepté. Lorsqu’il avait appris que le régiment Al Rakija recrutait, il avait vu là l’occasion de s’éloigner des affaires sensibles de la Capitale, tout en développant le terrain d’action des espions. Et Zahria, consciente au moins de ce dernier point, avait approuvé son changement d’affectation. Avait-elle eu un rôle particulier dans son transfert ou bien l’administration avait-elle effectivement décidé que le coursier serait bien plus utile dans le sud ? Il n’en savait rien. Et s’en fichait un peu.

    Il avait ces derniers temps atteint un état d’indifférence inhabituel qui anesthésiait sa curiosité coutumière ainsi que ses relations usuellement chaleureuses. Il réalisait avec détachement qu’il aurait dû choisir d’être présent pour Zahria et Vaelin dans cette période d’incertitude douloureuse, mais il avait bien du mal à trouver la force de s’y attacher. De s’en soucier. L’expérience sudiste lui redonnerait peut-être l’énergie nécessaire pour aller de l’avant, et faire l’effort de renouer les liens avec ses camarades. Son regard accrocha l’une des coupoles des hauts manoirs défilants un peu plus loin sur l’horizon. Peut-être que, renouer aussi avec sa famille, serait une bonne idée. Car après tout, qui savait de quoi l’avenir serait fait ? Autant essayer de profiter de toutes ses opportunités.

    La femme menant la cariole lui indiqua qu’elle n’irait pas plus loin, et il imita les autres passagers en repassant les bretelles de son sac à dos avant de poser pied à terre. Grâce à son grand sac sans fond logé dans son sac militaire standard, il avait pu prendre la globalité de ses affaires pour le voyage, sans que cela ne l’encombre outre mesure. Il lui restait quelques couples de centaines de mètres à faire à pied avant d’arriver à la Caserne du Grand Port, dont il apercevait déjà les hauts murs dominant les bâtisses à leurs pieds. Après avoir réglé quelques cristaux à la responsable de la caravane, il continua sa route.

    ~

    Suivant l’un des gardes désignés ce jour à l’accueil de la Caserne, il se laissa guider à travers les longs couloirs lumineux jusqu’au pôle administratif, pour finalement être arrêté devant la porte indiquant « Lieutenant E. Calyx, intendance logistique ». Et planté là, avec son sac encore sur les épaules. Bon, ils perdaient pas de temps dans le coin. Est-ce que cet homme, Emeor Calyx, allait simplement lui détailler les nouveaux axes de son affectation comme coursier dans le sud, ou allait-il en plus se taper la visite guidée des lieux ? S’il connaissait le lieutenant de nom, et vaguement de réputation, il en avait une idée bien moins précise que pour le Capitaine Al Rakija, figure bien plus notoire. Il était temps de l’apprécier en personne.

    Toquant à la porte devant lui, il attendit qu’on lui réponde avant de pénétrer enfin dans le bureau.
    InvitéInvité
    Anonymous
    Informations
    Re: Nouveau départ
    Lun 16 Mar 2020 - 22:59 #
    Cling. Cling. Cling. Cliiiing... Ouaf Ouaf ! Mais c'est bien gentil ! Il lui en faut du temps... ATTENTION ! OUAF !


    " Grrr... Saleté de journée qui commence mal. "


    Un à un, les bruits entraient péniblement à travers les volets fermés, ils s’immisçaient subrepticement, avec malice et, avec une douceur violente, venaient caresser ses oreilles, lui déchirer les tympans en formant une symphonie disharmonieuse où se mêlaient des sons discordants qui semblaient voués à former une partition agressive et criarde. La lumière peinait à trouver sa place au sein de ce spectacle déjà bien trop vivant, bien trop vivace où seule l'ouïe était conviée, écartant d'ors et déjà les autres sens considérés comme de trop médiocres spectateurs. La vue figerait tout ce mouvement en un tableau idyllique et parfait où se côtoyaient diverses tâches de couleurs qui, malgré leurs différences, parviendraient à s'entremêler, parce que leurs courbes arrondies s'épousaient et leurs couleurs diverses se mariaient pour dresser, peu à peu, un panorama intense et vaste d'un monde bien étrange. L'odeur saisirait les doux parfums d'iode auxquels s'ajoutaient des effluves marines - notamment cette tenace odeur, mais étonnamment agréable, de poisson frais - en un enivrement palpitant qui secouerait les narines de simples gens. Le toucher frôlerait et caresserait d'un geste mou le léger drap qui recouvrait, pourtant, cet épais matelas - confort rugueux et militaire qui ne le dérangeait, au demeurant, pas le moins du monde. Mais, toutes ces sensations enivrantes s'abolissaient à l'écoute peu attentive d'un chaos ambulant qui trahissait le lever du jour comme s'il s'agissait du réveil primordial et premier de l'humanité. Il posa un pied sur le sol et bailla, cherchant à chasser cette symphonie rigide mais qui, à son grand dam, restait bien tenace. Le réveil fut brutal bien qu'il ne soit pas plus matinal qu'à l'accoutumée. Il posa son second pied au sol et, après quelques secondes les yeux dans le vide suite à un rêve - rêve qui lui hanterait l'esprit durant quelques minutes -, il se leva d'un bond et ouvrit les volets de bois ; ces mêmes volets faisant office de barrière primaire entre sa maigre intimité - y en a-t-il seulement un minimum à ce niveau de vie ? - et le monde extérieur que, en ce moment, il haïssait. Les gestes suivent furent rapides et mécaniques. Peu à peu, la routine lui fit oublier cette cacophonie ambulante - et bien inhabituelle - pour lui permettre de se concentrer sur des tâches bien plus ardues mais surtout, bien plus intéressantes. Après une rapide préparation, une toilette sommaire mais efficace - sa coupe se devait d'être impeccable, un Lieutenant se devait d'être exemplaire en tout point -, il était fin prêt à travailler. Il fit un tour de la Caserne, affectant des ordres et des missions précis. Il s'arrêta quelques secondes face à une large fenêtre de laquelle on pouvait, malgré l'amas de bâtiments de pierres, apercevoir l'onde azurée, qui se balançait, paisiblement, là. Si ce tableau charmerait quiconque, avec ses couleurs chatoyantes, son mouvement régulier et hypnotisant - le remous des vagues qui allaient, venaient, allaient et venaient, happait le moindre passant et le faisait se perdre à tout jamais dans une pure contemplation -, lui, ne s'y attardait guère ; non pas qu'il n'y était pas sensible mais son attention se tournait bien plus facilement sur ses devoirs et son sens militaire, si l'on peut l'appeler ainsi, ne cessait de remuer en lui. Après quelques ordres supplémentaires, il finit dans son bureau, relativement grand, où s'empilaient, de manière ordonnée, des livres, des parchemins et des encriers tandis que des plumes, soigneusement alignées, attendaient d'être utilisées. Sans prendre le temps de soupirer, de s'arrêter, il s'assit. Et commença à rédiger quelques lettres en commençant, bien évidemment, par les plus urgentes. Ainsi s'ordonnait la vie bien arrangée, bien maîtrisée d'un Lieutenant en charge de la Logistique nommé Emeor Calyx.


    Les heures passèrent - cela devait faire deux heures, voire trois, qu'il était ainsi assis à écrire - et cette rigide symphonie se transforma, les notes changèrent tout comme les instruments. Il ne les écoutait plus, n'en avait ni l'envie, ni le temps, ni l'attention. Pourtant, une note inattendue fit son apparition et se démarqua du reste par sa puissance, mais surtout, son sens. Il fronça les sourcils. Il n'attendait qu'une seule visite en cette journée et, il ne pensait guère qu'elle serait arrivée si tôt - voilà que cela chamboulait toute son organisation bien pensée. De mouvements rapides, il se leva et ouvrit la lourde porte en bois. Là, debout, un sac sur le dos, se tenait un jeune homme, blond, totalement inconnu. Le grade de Lieutenant exigeait d'Emeor qu'il connût au moins chaque visage si ce n'est chaque nom de tous les militaires qui vivaient et travaillaient admirablement entre ces murs. Comme si une parole eut été prononcée, il acquiesça et le fit entrer en s'écartant légèrement.

    " Bonjour. Lieutenant Emeor Calyx, en charge de la Logistique au sein de ce Régiment. Je présume, mais je peux me tromper, que vous êtes notre nouveau coursier qui vient de la Capitale. Asseyez-vous soldat, je cherche votre dossier. "


    Emeor fouilla méthodiquement quelques feuilles de parchemins bien empilées et finit par trouver, bien rapidement avec un tel rangement, le dossier en question. Il le parcourra d'un regard vif, tout en jetant des coups d’œil sur le nouvel arrivant. Il finit par se rasseoir, derrière son bureau, face au soldat. Il ne souriait pas. Le visage froid. Les sourcils légèrement froncés - l'effet en était accentuée par la présence de sobres lunettes noires - et des yeux bleus tranchants. Il ne cherchait pas à impressionner cette nouvelle recrue. Ni à sympathiser. Établir une simple relation de confiance grâce ) laquelle il savait qu'il pourrait compter sur ce jeune homme lui était suffisant. La confiance en ses hommes - qui étaient surtout ceux de son Capitaine - lui était primordiale.


    " Vous vous appelez Calixte Alkh'eir, je me trompe soldat ? Connaissez-vous déjà Grand-Port ? Avez-vous déjà des repères au sein de cette Caserne ? Je ne sais si je pourrai vous attitrer un soldat pour vous guider ici, nous sommes relativement chargés en ce moment, un bras de plus ne fait pas de mal. J'espère que vous n'êtes pas fatigué par votre voyage. "
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
    Informations
    Re: Nouveau départ
    Mar 17 Mar 2020 - 23:07 #
    La porte s’ouvrit d’un coup et Calixte, surpris, laissa sa main suspendue. Avant de transformer à l’arrache son mouvement en salut militaire. Il s’était attendu à un simple « entrez », mais le lieutenant Calyx était visiblement plutôt du genre à aller ouvrir lui-même à ses visiteurs. Et il n’était probablement pas tellement plus grand que l’espion, mais la droiture inflexible de sa silhouette le grandissait. Automatiquement, par mimétisme, Calixte se redressa légèrement. Un peu comme lorsqu’il se retrouvait en la présence de Vaelin. D’ailleurs, le lieutenant du régiment Al Rakija lui rappelait pas mal son frère d’armes. A la fois dans la rigidité sévère de sa posture, le sérieux engoncé de ses traits, la touche ostensiblement militaire de sa carrure, la présentation propre et professionnelle, le regard à la rigueur efficace… Encore un fervent utilisateur de balai dans le fondement.

    Pénétrant à l’invitation implicite de l’homme, Calixte jeta un coup d’œil au bureau. Il était d’une propreté parfaite – il aurait probablement pu lécher le rebord de la vitre sans craindre pour sa santé – et d’une organisation impeccable. A l’image de son propriétaire. Les livres étaient sagement rangés – probablement par ordre alphabétique et/ou de sujet – et les documents s’empilaient en colonnes droites – probablement soumises à un classement particulièrement ordonné par thème et/ou chronologie – comme si le lieutenant, non content de mener ses hommes à la baguette, faisait de même pour ses papiers. Les divers objets disposés dans la pièce avaient à la fois une utilité évidente, et un placement optimal pour favoriser celle-ci. Même la table de travail avait été agencée de manière à pouvoir profiter de l’ensoleillement, sans toutefois souffrir de celui-ci. Il régnait dans la salle une atmosphère à la fois soignée et austère. Adéquate pour un ascète, ou pour un obsédé de l’ordre. Emeor Calyx devait être de ceux qui pétaient sur planning protocolé.

    Acquiesçant au lieutenant, il obtempéra et, après avoir retiré son sac à dos, s’assit sur la chaise qu’on lui présentait. Et qui était, elle-aussi, parfaitement positionnée. Il se sentait presque coupable d’y poser son séant et de perturber l’équilibre merveilleux de la pièce. Rien à voir avec le bureau de Zahria. Enfin… le corps mutilé de Ruth s’imposa à lui dans un flash, et ses doigts se crispèrent légèrement sur ses genoux. Après une profonde inspiration, il reposa son regard sur la silhouette guindée de son nouveau supérieur, et il reprit machinalement son travail d’observation. Quoi de mieux pour oublier que de se plonger dans la routine ? Que de distraire l’âme par le travail ? Que de plonger le corps dans l’indifférence professionnelle ? Distraitement, il se demanda si Emeor Calyx, pour toute son apparence sérieuse et froide, était finalement quelqu’un d’un peu sanguin. Un peu comme Vaelin. Un peu comme l’eau qui dort.

    Vaelin, d’ailleurs, avait été sa principale source d’informations concernant le lieutenant du régiment Al Rakija. Si Calixte avait gardé de leurs années quasi communes à l’Académie Militaire le vague souvenir d’une recrue brillante, son frère d’armes avaient récemment partagé une assignation éclairant davantage le personnage qu’était devenu Emeor Calyx. Et, de ce qu’il avait compris, un soldat somme toute respectable et honnête. Organisé, compétent, droit dans ses bottes. A la politesse un peu couillue, par contre. Ce que Calixte, un peu ici – dans ce bureau de la Caserne du Grand Port – mais encore surtout là-bas – dans le repère ensanglanté des espions –, avait à la fois du mal à imaginer et pouvait en même temps tout à fait croire. Il y avait dans la tournure des mots du lieutenant une précision réfléchie, détachée, et potentiellement vicieuse. Que ce fût intentionnel ou non. Et était-ce là le résultat d’un parti pris de l’efficacité brutale, ou celui d’un passé complexe ? Le regard toujours accroché à la silhouette de son supérieur, Calixte se dit que la Capitaine Yuduar Al Rakija ne serait pas le seul à intéresser son devoir d’espionnage.

    Il nota distraitement, automatiquement, la petite cicatrice discrète sous l’œil droit de l’homme. L’éclat d’un bleu presque métallique des yeux calculateurs. Le froncement concentré des sourcils, accentué par les lunettes de vue. La propreté impeccable de celles-ci. La courbe sévère des lèvres. L’absence de ridules démentant l’utilisation fréquente de sourires ou grimaces. Les épaules droites sous la coupe sobre du vêtement de travail. La puissance contenue. Les mouvements à la fois économes et efficaces. Les mains calleuses mais entretenues. Le brillant des ongles soignés malgré l’intransigeance de l’exercice militaire et administratif. La robustesse agile des jambes, entravée et magnifiée par le tissu tiré à quatre épingles. Les chaussures pratiques mais présentables, lustrées. La semelle suffisamment usée cependant pour laisser deviner une activité qui ne se cantonnait pas à de la gestion indirecte depuis le bureau dans lequel ils se trouvaient. Il nota avec habitude, aussi, ses mensurations. Détail purement professionnel.

    Emeor Calyx s’assit enfin face à lui, son dossier entre ses mains. Calixte savait parfaitement ce que ce dernier racontait sur lui. L’ancien Maître-Espion, puis Zahria, lui avait montré les pages décrivant son profil, ses relations, son parcours académique et professionnel. Nulle part trace de son emploi d’espion de la Garde. Nulle part trace de son bref entrainement d’assassin avec Arban Höls. Rien que l’histoire sans aléas d’un fils de noble ayant fait ses classes parmi les militaires, et ayant rejoint le rang des coursiers. La médiocrité criante comme soldat, et la banalité de ses missions officielles, si l’on faisait abstraction de celle de la Cité Enfouie. La loyauté, malgré tout, avant tout. Et la persévérance.

    - Vous vous appelez Calixte Alkh'eir, je me trompe soldat ?

    Une partie de l’espion avait envie de répondre que oui, il se trompait. Juste pour voir. Comment le lieutenant gérait-il l’échec ? L’imprévu ? Probablement en les prenant à bras le corps et en pondant un diagramme organisationnel. Acquiesçant simplement à la question d’Emeor Calyx, il le laissa poursuivre ses propos. Poliment. Avec un intérêt machinal. Est-ce que Zahria reprendrait de nouvelles recrues ? Les accueillerait-elle comme le lieutenant l’accueillait ? Probablement pas.

    - Ma famille est originaire du Grand Port, répondit-il finalement lorsque la balle revint, dans un silence entendu, de son côté. Mais je n’ai pas eu l’occasion d’y faire d’assignation comme soldat, en dehors de mes brefs passages comme coursier. J’ai une sommaire idée des lieux ; principalement du réfectoire, du dortoir commun des « externes », du bureau de poste et du pôle administratif.

    Une idée précise aussi, des heures à éviter pour squatter les douches communes. Si l’on voulait minimiser le risque de finir avec des grains de sable logés à des endroits innommables.

    - Des soucis en particuliers pour que vous soyez actuellement relativement chargés ? nota-t-il automatiquement.

    Sans réfléchir à un quelconque respect du protocole hiérarchique. Voilà qui allait être intéressant pour évaluer les réponses du lieutenant.

    - Plus qu’un bras je peux même vous en proposer deux, se permit-il en poussant le vice. Ainsi que deux jambes. Si vous me donnez un plan, et la tournée du courrier à faire, vous devriez pouvoir vous épargner le retrait d’un soldat de son poste. Je devrai pouvoir m’en sortir ainsi. Et découvrir les lieux sans trop de soucis.
    InvitéInvité
    Anonymous
    Informations
    Re: Nouveau départ
    Dim 22 Mar 2020 - 18:54 #
    Le parchemin serré entre ses mains, l'air sérieux et concentré, Emeor attendait la réponse du jeune soldat qui ne se fit pas patienter pour rompre le léger silence de politesse qui venait alors à peine de s'installer dans cette pièce - ni trop vaste ni trop petite au demeurant, quoi que les larges bibliothèques aux murs pouvaient donner un certain sentiment d'oppression. La réponse, plus que satisfaisante, rassura Emeor qui ne s'attendait pas à ce que le soldat connût un peu la Caserne de Grand-Port. Une visite globale sera donc à épargner. Un minimum de temps pour un maximum d'efficacité. Sans lâcher un mot, le Lieutenant hocha la tête comme pour approuver la connaissance empirique des choses du jeune Alkh'eir. Il avait, en outre, bien hâte d'en apprendre plus sur ce soldat pour, une fois l'évaluation de ses diverses compétences établies, parfaire ce dernier. Ce n'était pas qu'un vulgaire coursier qui pouvait se contenter de porter ça et là des affaires, courant et recevant des ordres durant sa longue journée - journée qui ressemblerait alors à la prochaine, tout comme elle était l’identique exact de la précédente. C'était un soldat faisant partie d'un régiment où ordre, discipline, justice étaient les mots d'ordre, du moins pour les militaires directement sous les ordres du Lieutenant Calyx. Le Capitaine possédait, quant à lui, un slogan bien particulier qui, s'il avait rebuté Emeor en premier lieu, s'attachait bien à la personnalité d'un tel homme. La petite sottise - pour ne pas dire boutade - du nouveau coursier le fit sortit de sa légère introspection, agissant comme un rappel à l'ordre subtil : le moment n'était pas encore à planifier le travail à accomplir en compagnie de cette recrue mais bien de l'accueillir. Il haussa légèrement le sourcil. Voilà qui était inattendu. Non pas qu'il soit profondément choqué ou surpris - mais légèrement, jamais il n'aurait cru pouvoir sortir une blague de la sorte avec un supérieur hiérarchique -, mais plutôt déstabilisé par une telle réaction. Le Lieutenant ne perdait pas ses moyens, n'en venons pas à un tel point. Néanmoins, son sens du protocole entaché, bien qu'un peu piqué, il baissa le parchemin jusqu'à le poser sur la table pour fixer le jeune coursier. Au moins ces paroles pouvaient-elles être le signe d'un enthousiasme encourageant pour un tel travail, ce qui ne déplaisait guère à Emeor qui se réjouissait d'un tel entrain, sans non plus qu'il ne l'exagère. Il ne rigola pas ; n'esquissa aucun sourire, son visage n'était pas purement froid non plus, il avait quitté ses insondables et sondeurs yeux bleus glaciaux pour un regarde teinté de respect et de rappel à l'ordre qui pouvait être pris en un sens paternaliste ; il prenait soin de ses troupes, pour être plus exact, de l'ensemble des troupes, et un quidam le verrait agir en un homme paternaliste prenant soin de ceux qu'il considérerait comme ses enfants, ses petits oisillons. La réalité était bien plus subtile que cela. En effet, jamais il ne s'abaissait à de tels enfantillages, à rabaisser ses soldats en les considérant comme de simples enfants ; mais sa volonté ardente de protéger ses troupes coûte que coûte, bien qu'il sache tout de même compter sur les compétences de chacun, pouvait le placer en un supérieur attentif au moindre maux qui pouvait agiter les soldats. Il comptait sur eux. A eux de compter sur lui.

    " Rien de bien grave, je vous rassure. La ville se tient merveilleusement bien mais certains civils peuvent nous appeler pour de simples broutilles... Comme un animal coincé sur le toit d'une maison. "

    J'ai été ravi de les aider mais... j'avais bien des choses plus urgentes...


    Grand-Port semblait en perpétuelle ébullition, ce qui ne facilitait guère la tâche de la Garde. Bien qu'elle ne soit pas débordée au point à ne plus savoir où donner de la tête, peu de soldats pouvaient se permettre de passer au minimum une heure à s'entraîner au maniement habile de l'épée. Ce qui désolait, en un sens, Emeor. Malgré tout, le devoir prime en ces temps, et rien ne vaut une action utile à de la théorie futile. Il se leva sans plus de procès, et rangea le parchemin sur la gauche de la table puis, se saisit rapidement de la plume pour y griffonner quelques mots. Rien de bien intéressant. D'un geste, il invita alors le jeune coursier à faire de même. Visiter les lieux serait donc inutile. Il ouvrit la porte, fit passer le soldat avant lui pour refermer la refermer aussi derrière eux. Nul besoin de fermer à clé, il régnait en ces murs une sorte de confiance qui embaumait le régiment - le Lieutenant prenait tout de même certaines précautions en verrouillant les affaires les plus précieuses et en fermant systématiquement la porte une fois la journée finie ou si un voyage long s'annonçait alors. Les couloirs baignaient dans une douce lumière, le soleil filait et s'écoulait lentement. Ils croisèrent tout au plus quelques personnes qu'Emeor salua d'un rapide geste militaire et protocolaire, le visage figé sans non plus être de marbre ou taillé dans de la glace.

    " Je n'ai vu aucune mention de vos capacités proprement combatives. Tout homme sait se battre, même avec une simple dague, au sein du Régiment. C'est pourquoi, j'aimerai évaluer vos compétences, nous aviserons un entraînement régulier en conséquence. Bien, nous sommes arrivés. "


    Une grande et large porte d'un bois massif se tenait face à eux. A l'intérieur, une vaste salle aux grandes vitres desquelles la lumière passait, limpide, comme si elle ne traversait aucun obstacle. Malheureusement, le terrain d'entraînement extérieur se trouvait trop éloigné pour se permettre de s'y rendre en cette heure de la journée. Ils avaient encore plein de choses à faire. A droite, plusieurs râteliers d'armes étaient disposés, exposant fièrement un arsenal qui se distinguait par la quantité assez surprenante d'armes légères - ce qui s'accordait parfaitement avec les armures tout aussi légère portée au sein du régiment. Quelques arcs avec, à leurs côté, des flèches. En une symétrie presque parfaite, à quelques mètres en face, des cibles dont le milieu avait été peint d'un rouge passé par les années et quelques mannequins en un vulgaire bois tailladé par les années. L'un d'eux était, d'ailleurs, sévèrement amoché. Le Lieutenant se planta face à un râtelier, réfléchissant alors à l'arme nécessaire. Il en prit deux. L'air grave - on ne joue pas avec de telles choses - il les tendit au jeune coursier, l'invitant à se saisir de l'une d'elle.

    " Je vous laisse le choix, pour commencer, entre une épée légère et courte ou une plus grande, une rapière pour être exact. Souhaitez-vous vous entraîner avec les mannequins de bois ou que nous faisions quelques gestes ensemble ? Je n'attends rien d'exceptionnel mais le strict minimum. "
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
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    Re: Nouveau départ
    Dim 22 Mar 2020 - 21:45 #
    Assis bien droit derrière son bureau à une distance optimale, les fesses vissées sur sa chaise de manière protocolaire, les mains tenant toujours son dossier ni trop haut ni tout à fait sur la table, Emeor Calyx ne laissait toujours rien paraitre d’autre qu’une austère sévérité. Ses yeux aussi froids et distants que la banquise parcouraient efficacement les lignes devant lui, et le jaugeaient avec professionnalisme. Calixte avait envie d’éparpiller les plumes alignées avec ordre, renverser l’encrier sur les chemins proprement annotés, et se pencher par-dessus le bureau pour décoiffer le lieutenant. D’une manière ou d’une autre. Il ne manquait ni d’imagination ni d’audace. Etonnant comme le sérieux et le contrôle de cet homme ravivait la flamme taquine qu’il pensait éteinte depuis le meurtre de Ruth. Comme sa rigueur empruntée ranimait l’ébauche des sentiments qu’il avait dernièrement enfouis. Et que, ni Zahria, ni aucun de ses autres amis et proches, n’avait jusque-là déterrés. C’était curieux, remarquable, et un peu vexant d’une certaine manière. Qui était cet homme pour exhumer les émotions qu’il avait dissimulées dans la douleur ? Ironiquement, par sa propre impassibilité.

    Mais peut-être que le problème ne résidait pas en Emeor Calyx, dont la raideur cervico-sacrée ne datait certainement pas de la dernière pluie, mais bien en l’espion. Et peut-être que, face à tout autre supérieur hiérarchique l’accueillant sur son nouveau poste, il aurait ainsi réagi. Ressenti. Bouillonné de cet étrange mélange de lassitude et d’impatience. Peine et détermination. Prudence et curiosité. Peut-être. Il ne le saurait probablement jamais. S’il s’était donné la chance de rester auprès de Zahria et de sa famille d’espions, aurait-il ainsi refait surface ? Est-ce que quitter la Capitale avait été une erreur ? Aurait-il suffi d’attendre ? Un peu ? Un peu plus ? Le lieutenant haussa légèrement un sourcil, sa respiration marqua une hésitation, une surprise, une virgule sur son script bien soigné, et l’attention de Calixte se refocalisa sur l’homme lui faisant face. Il avait toujours envie de le décoiffer.

    - Rien de bien grave, je vous rassure, lui répondit finalement Emeor. La ville se tient merveilleusement bien mais certains civils peuvent nous appeler pour de simples broutilles... Comme un animal coincé sur le toit d'une maison.

    Au moins ne semblait-il pas amoureux du protocole au point de le sermonner et le châtier au moindre écart. Ou en tout cas pas s’il restait léger. Et pas au premier rendez-vous. Arriverait-il à user sa patience comme celle du Maître-Espion… l’ancien Maître-Espion ? Peut-être. Mais pour toute sa raideur, le lieutenant semblait d’une indulgence relativement vaste, à en croire ses propos. S’il avait avant tout tenu à l’ordre militaire, si magnifiquement concis et immaculé sur le papier, il n’aurait pas permis à ses soldats de perdre du temps sur les futilités qu’il évoquait. A moins que cela ne le démangeât, mais que le Capitaine Al Rakija, plus fantasque dans son approche, ne l’obligeait à verser de l’eau dans son vin. Enfin, Calixte était tout de même content d’apprendre que le Grand Port ne souffrait pas de misère particulière ; ça allait lui faire quelques vacances. Il allait pouvoir se concentrer sur l’espionnage du régiment.

    Aussi soudainement et proprement qu’il s’était assis, dans une économie de mouvements, Emeor Calyx rangea ses affaires, termina quelques notes, et se releva. Suivant son ordre silencieux, Calixte se leva à son tour, chargea à nouveau son paquetage sur son dos, et suivit son supérieur sans piper mot. Ils quittèrent le bureau – l’espion nota que le lieutenant ne le fermait pas à clef – et traversèrent quelques couloirs. Le regard balayant les lieux, les personnes croisées et les mimiques – ou l’absence de – de son supérieur, il se laissa guider à travers la Caserne du Grand Port. Il n’avait aucune idée de ce que Emeor Calyx attendait de lui, et si ses souvenirs étaient corrects ils ne se dirigeaient pas du tout vers le bureau de poste. Ou les dortoirs. Ou l’un des pôles où sa fonction de coursier aurait pu avoir un quelconque intérêt. Alors quoi ? Avait-il manqué le geste lui indiquant de rompre et il allait suivre bêtement le lieutenant dans sa routine ? Ou comptait-il le présenter à quelqu’un d’autre ? Finalement, l’homme reprit la parole, et la situation s’éclaira. Un peu.

    - Je n'ai vu aucune mention de vos capacités proprement combatives. Tout homme sait se battre, même avec une simple dague, au sein du Régiment. C'est pourquoi, j'aimerai évaluer vos compétences, nous aviserons un entraînement régulier en conséquence.

    Beaucoup.

    - Bien, nous sommes arrivés.

    Devant eux s’ouvrait une salle d’entraînement intérieur. Et peut-être était-ce un revers de karma. Car si Calixte avait souhaité décoiffer son supérieur, il n’avait pas du tout songé à ce biais. Biais qui était loin de lui provoquer un quelconque sentiment de satisfaction, bien au contraire. Les raisons concernant l’absence de mention de ses capacités combatives dans son dossier étaient nombreuses, et toutes grinçaient des dents au plan du lieutenant. Il réprima un soupir et déposa son sac-à-dos contre le mur de la pièce, à l’écart. S’avançant vers le râtelier près duquel se trouvait Emeor, il étudia les différentes armes présentées comme s’il s’agissait de basilics.

    - Je tiens à préciser que je me bats mieux avec le courrier qu’avec des armes, fit-il en s’emparant de l’épée que l’homme lui tendait.

    Habitué à se battre, au besoin, avec les épées rustiques de l’Académie Militaire, il serait certainement moins mauvais avec celle-ci qu’avec la rapière qui lui était aussi proposée. Et autant en finir rapidement avec cette torture et échanger… Recevoir des coups de la part de son supérieur, et essayer de les parer avec un minimum d’habilité. Sans dévoiler ses habitudes plus perfides d’espion. Sans révéler les stratégies assassines aiguisées par Arban Höls. Voilà qui allait être amusant. Il retint tout juste une grimace.

    - Je suppose que nous pouvons faire quelques gestes ensemble, répondit-il avec prudence.

    Ensemble ou contre ? Avec des règles particulières ? Au vu de ce qu’il avait rapidement entraperçu d’Emeor Calyx, il allait rapidement le savoir.
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    Re: Nouveau départ
    Dim 22 Mar 2020 - 22:53 #
    Chaque détail en cet instant comptait, alors, soucieux du moindre geste, de la moindre parole, le Lieutenant inspectait attentivement le nouveau coursier. La section Logistique n'était, bien évidemment, pas réputée pour son aptitude au combat, contrairement aux Valkyries par exemple. De manière tout simplement empirique, l'occasion d'une rixe ne se présentait guère souvent à ces soldats souvent loin des affaires violentes. Pourtant, il était hors de question qu'un seul soldat ne sache pas tenir convenablement une épée, souhait direct du Capitaine. Souhait - ou plutôt ordre - auquel Emeor ne pouvait que donner son accord. En effet, tout militaire se devait de savoir se battre, au minimum avec une arme. Ainsi, il avait passé plusieurs heures avec nombre de recrues afin de les entraîner. Malheureusement, bien souvent, les soldats de sa section s'avérait peu efficaces, pour ne pas dire incompétents, quant au maniement des armes. Or, s'il n'était pas doué naturellement au combat, les nombreuses heures à perfectionner l'art subtil qu'était le maniement de diverses épées lui avait permis de devenir un fin bretteur. Si son style de combat, fluide au demeurant, se reposait sur une force assurée et des mouvements assumés, il manquait cruellement d'inventivité en usant - et abusant - de techniques et tactiques protocolaires qui, à présent bien connues de nombre de personnes, pouvaient jouer en sa faveur. Ainsi se trouvait-il déstabilisé face à un combattant au style exotique, même si son aplomb refaisait immédiatement surface - il n'était pas question de se laisser aller à une défaite humiliante bien loin de ce que ses réelles capacités pouvaient montrer. En outre, son pouvoir se montrait bien utile en de vastes situations de combat, lui permettant d'agir avec rapidité, agilité tout en surprenant l'adversaire à maintes reprises. En réalité, hormis pour quelques événements exceptionnels et inattendus, le résultat d'un tel entraînement n'avait jamais pu réellement s'exprimer en des circonstances qui l'exigeaient. Peut-être la Garde Royale lui aurait-elle permis cela, tout comme il aurait pu se perfectionner... Son orgueil en était durablement touchée mais il chasse cette vile pensée, sentant l'air frais et doucement parfumé de la ville monter alors en ses narines ; ce parfum si particulier lui rappelait alors tous ces souvenirs accumulés en ces rues, face à la mer azurée ; il ne renoncerait pas à son poste au sein de ce régiment, au sein de cette ville qui portait, à présent, une marque indélébile en son esprit, comme si l'iode marin à force de passer par ses narines, venait se fixer en chaque partie de son corps pour y rester ancré, pour l'ancrer davantage en ce si beau lieu qui pouvait, malgré ce que l'on pense, bien enchanter quelques moments de la simple vie d'un soldat, d'un Lieutenant.

    Ainsi donc le jeune coursier choisit la simple épée. En réalité, Emeor ne fut guère surpris d'un tel choix. Peu de personnes - et encore moins un simple coursier - souhaitait s'entraîner à l'aide d'une rapière qui requiert des mouvements précis et fins empreints d'une souplesse inégalée - elle n'a rien à envier à la masse et sa brutalité, certes sans faille, mais qui manque terriblement d'élégance - tout en prenant garde à ne pas casser cette lame brillante et fragile qui pouvait, néanmoins, se révéler fatale envers quiconque la sous-estime. Il cacha, et enfouit, sa déception. En tant que bretteur chevronné, la rapière était sans nulle doute son épée favorite. Son épée de cœur. N'avait-il pas réussi à battre l'un des meilleurs de sa section alors qu'il était encore à l'Académie militaire grâce à une telle prouesse humaine ? Un souvenir qu'il chérirait encore bien longtemps, non pas que ce souvenir confortasse son orgueil mais celui-ci augmentait peu à peu son admiration distinguée envers l'arme. Ne cherchant pas à rendre l'entraînement inégal, ce qui n'était en rien la finalité, le Lieutenant se saisit ainsi d'une épée identique à celle de la nouvelle recrue. Une fois l'arme choisie, encore fallait-il prendre le bouclier. Le choix fut rapide et efficace. Comme à son habitude ; il prit alors deux simples boucliers de bois, triangulaires, relativement petits et en donna un au jeune coursier. Ils n'avaient guère besoin de s'encombrer avec de grands boucliers, l'essentiel était le maniement de l'épée. Aussi abandonneraient-ils cette protection si elle s'avérait, aux yeux du Lieutenant, inutile voire dérangeante. L'équipement distribué et aux mains des deux protagonistes, le premier fit son entrée en scène : au milieu de la pièce, là où, en cette heure, la lumière venait se poser sur le sol pour y éclairer les particules de poussière et les visages des personnages - dénués de masques, pouvait-on vraiment en être certain ? -, le dos droit, les pieds solidement ancrés en le fragile sol de bois sombre, la main droite tenant fermement l'épée, la main gauche se resserrant sur l'attache du bouclier, Emeor Calyx attendait, impassible, le début du premier acte, prêt à faire face à celui qui, n'était en rien son rival, s’apprêtait à recevoir un entraînement dur qui s'étalerait sans nul doute en cinq actes - ou six, faut-il alors espérer que ce ne soit plus une tragédie.

    " Bien. Vous allez commencer par attaquer puis ce sera mon tour. Je vous pense assez formé pour ne pas prendre des épées en bois, vous n'êtes pas un enfant. Veillez à ne pas me blesser. Votre épée doit s'arrêter au niveau des points vitaux lors d'un combat, j'insiste bien sur lors d'un combat, donc réfléchissez bien mais surtout, agissez. Interdiction d'utiliser votre pouvoir. Vous pouvez trouver tous les moyens tant que vous utilisez votre épée et votre bouclier. Soldat. Je vous attends. "
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
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    Re: Nouveau départ
    Lun 23 Mar 2020 - 12:55 #
    Le visage d’Emeor était impassible, sa respiration tout juste moins. L’homme était-il véritablement fait de pierre et de glace ? Calixte espérait que non, ou cet entrainement allait lui laisser quelques souvenirs douloureux. Récupérant le petit bouclier de bois que le lieutenant lui tendait, il se demanda si user principalement de celui-ci serait mal vu. Et si, à la réflexion, il ne pouvait pas plutôt emprunter l’un des gros écus posés un peu plus loin. Histoire de s’épargner quelques ecchymoses, à défaut d’épargner son honneur qui, de toute façon, allait rapidement se faire la malle. Retenant un soupir résigné, il suivit son supérieur au centre de la salle, au niveau de l’espace aménagé pour croiser le fer.

    La vive lumière matinale baignait la pièce d’une chaleureuse lueur, laissant apercevoir les particules de poussière en suspension, et découpant nettement les contours des deux soldats. Malgré cet éclairage avantageux, le visage d’Emeor restait lisse comme la soie, ne dévoilant rien d’autre qu’une détermination sévère. Equipé en miroir à l’espion, il se tenait droit face à lui, les pieds fermement ancrés dans le sol. Et qui avait eu la brillante idée de tapisser celui-ci de parquet ? C’était un coup à trébucher contre une latte et finir les quatre fers en l’air sans aide extérieure. Enfin, ça avait probablement le mérite de préparer pour ce type de terrain. Les altercations dans les bâtisses chics à l’acajou courant sur le sol. Les pontons de bois flottant. Les cales de bateau au calfatage discret.

    Passant le bouclier à son bras gauche et testant l’épée de sa main droite, il nota qu’elle était aussi bien équilibrée que celles de l’Académie Militaire. C’est-à-dire chichement. Mais il était habitué. Observant la posture du lieutenant, il remarqua que pour la droiture de sa position, il n’en demeurait pas raide. Il y avait une tenue martiale, altière, dans l’agencement économe de ses membres, mais l’espion pouvait deviner l’agilité habile adroitement contenue dans l’écrin autoritaire. Il allait se faire défoncer. Méthodiquement.

    Vaelin allait se foutre de sa gueule lorsqu’il lui raconterait sa première journée au régiment Al Rakija.

    S’avançant lentement vers Emeor, sans prendre garde à sa maladresse usuelle car de toute façon il valait mieux qu’il passe pour le boulet qu’il était que d’insinuer le doute dans l’esprit calculateur de l’homme, il contempla ses possibilités. S’il avait voulu s’en sortir… s’il avait voulu s’en sortir en vrai combat, il aurait déjà pris ses jambes à son cou. Ou alors il aurait simplement dévié l’arme adverse et visé les doigts de son ennemi. Ça n’était pas très impressionnant ni protocolaire, mais ça marchait assez bien. S’il avait pu utiliser son pouvoir, il aurait balancé son bouclier sur l’homme pour le divertir, et usé de sa fusion glissée pour ressortir derrière lui. Ou sous lui. Y avait aussi des options remarquables de ce côté. Un petit balayage du pied, sorti de derrière les fagots, aurait pu être sympa aussi, mais son supérieur avait bien insisté sur l’usage quasi exclusif des deux objets qu’ils avaient entre les mains, donc bon…

    Résigné à se faire refaire le portrait, Calixte passa à l’attaque. A défaut d’autre chose, ça allait au moins lui donner un aperçu des compétences combatives d’Emeor. Avec de grands mouvements de taille, bien répertoriés au premier chapitre du manuel de combat à l’épée pour les apprentis militaires, il commença à tester les réactions de son supérieur.
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    Re: Nouveau départ
    Lun 23 Mar 2020 - 22:31 #
    Il se montrait lent. Il fallait employer les bons termes, les mots parfaits pour coller au mieux à la réalité. La réaction du jeune coursier se faisait attendre. Certes, Emeor n'attendait nullement une action majestueuse, claquante et cinglante qui lui décrocherait une grande admiration face à un soldat qu'il verrait alors comme talentueux. Néanmoins, un minimum était requis. Or, l'attitude du soldat trahissait son appréhension. Son visage n'était en rien serein, son Lieutenant le voyait bien. Il prenait du temps pour se mettre en place et commencer ainsi véritablement l'entraînement et l'évaluation qui en découlait. Pour l'instant, rien n'était joué, alors, Emeor lui laissait le bénéfice du doute. Un premier mouvement partit, fendant l'air et transperçant la poussière ambiante comme pour la réveiller d'une sieste ayant durée trop longuement. Ainsi cherchait-il à le toucher sur le flanc, évitant une quelconque parade provenant du bouclier. Agissant sous l'impulsion de réflexes à présent ancrées en lui d'une telle puissance qu'ils s'apparentent presque à des instincts de survies, le Lieutenant recula sa jambe droite, et frappa d'un coup net, sec et brutal l'épée de son apprenti grâce à son bouclier. Le rapport de forces penchait bien largement en la faveur du plus expérimenté et du plus âgé. Il aurait très bien pu faire prendre en compte une telle différence afin de minimiser la faute de force et d'élan du mouvement adversaire, lui pardonnant ainsi une manœuvre aussi maladroite. Néanmoins, avec une telle carrure, il était bien rare qu'il se trouvasse face à un ennemi moins fort - ou de force équivalente - pour ainsi profiter d'un équilibre en sa faveur. Bien au contraire. Il ne fallait pas donc pas faiblir et se dire que sous prétexte que ce ne fût qu'un entraînement, le rapport de forces n’entachait en rien la situation et l'évaluation. Le temps fut trop long avant le deuxième coup. Un coup d'estoc. Qui fut immédiatement dévié par l'épée du Lieutenant qui mit une telle volonté dans son geste qu'il risque de faire tomber l'arme du jeune coursier, là n'était pourtant pas la finalité d'un tel exercice. Il sonda, toujours d'un même regard intense, la nouvelle recrue, comme s'il voulait s'immiscer dans sa conscience pour y exploiter la moindre faiblesse, pour saisir le moindre plans, la moindre réflexion, pensée. Un troisième coup partit à son tour - était-il plus franc ? Il ne saurait le dire -, naturellement dévié par Emeor. L'enchaînement des gestes n'était pas fluide. Les mouvements manquaient d'élan et de force. Mais surtout, le point qui n'aidait en rien, reposait en l'évidente maladresse qui, de ce fait, éloignait bien souvent l'épée de sa cible initiale - ainsi touchait-il le bas du flanc au lieu de venir frapper le milieu de cette partie du corps. Fort de son expérience, le Lieutenant douta un instant de lui-même, se montrait-il trop exigeant ? Non. Chaque recrue avait suivi, à quelques geste près, cet entraînement - certains avaient eu de nombreuses difficultés ce qui avait obligé Emeor à s'occuper personnellement de tels cas, une formation de la sorte pouvait bien se renouveler bien qu'il espérasse que les progrès, le cas échéant, soient importants et rapides. Les mouvements s'enchaînèrent, dessinant une chorégraphie particulière où les deux danseurs, cavaliers mutuels, montraient des prestations inégales. L'un risquait à tout moment de rater une note, un changement de rythme et de marcher sur le pied de son partenaire, ruinant ainsi l'harmonie si précaire que le second tentait d'établir. Un seul mouvement surprit légèrement le Lieutenant, comme si le soldat venait d'ajouter à cette manœuvre pourtant classique et protocolaire un certain arôme exotique. Malgré cela, nombreux furent les coups sans effets : Emeor les maîtrisais tous. Sans exception. Il fit signe au soldat d'arrêter de frapper. Ainsi s'achevait la première scène du premier acte. Les spectateurs, avides d'histoires et de péripéties, souhaitaient assister à un renversement. Ainsi soit-il.

    " Vous connaissez des mouvements, certes, mais vous ne les maîtrisez pas. Vous avez besoin de plus d'élan et surtout de plus de précision dans vos gestes. Vous devez sans cesse chercher à renverser l'équilibre des forces en votre faveur. Bien, à présent c'est à votre tour de parer. Nous ferons un bilan entier après tous les exercices. Soldat, prêt ? "


    Et Emeor n'attendit guère avant de commencer un simple mouvement qui visait la gorge du jeune coursier. Non pas qu'il cherchasse à jouer de la surprise mais l'entraînement se devait être efficace et rapide. Si le soldat semblait peu enclin à l'attaque en dépit de ses efforts, peut-être se montrerait-il plus efficace dans la parade. Du moins, son supérieur l'espérait.
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
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    Re: Nouveau départ
    Mar 24 Mar 2020 - 18:34 #
    Ils échangèrent quelques passes. Enfin, Calixte enchaina les attaques du premier volume de « l’art et la manière du combat à l’épée pour débutant » à grands renforts de mouvements exagérés et imprécis – ce dernier point n’était cependant pas uniquement dû à sa réserve – et le lieutenant les para toutes avec une économie efficace de gestes. Notant qu’il arrivait au bout de la page trente du premier tome, l’espion modifia un peu le rythme et poursuivit avec les techniques décrites aux volumes suivants. Qui n’étaient pas non plus extraordinaires, mais qui avaient au moins le mérite de lui laisser le temps d’analyser les réactions d’Emeor. Enfin. A l’image des quelques minutes qu’ils venaient de passer ensemble, ces dernières poursuivaient dans la droite lignée des valeurs régissant visiblement la vie de son supérieur. Sérieux, rigueur et action. Entre autres. Principalement.

    Et s’il était amusant de penser que l’homme le jaugeait comme lui-même le faisait, il était un peu frustrant de constater que, même pendant un combat, son supérieur ne perdait ni son souffle ni son sang-froid. Bon, c’était probablement mieux pour quelqu’un ayant la responsabilité de relayer et faire appliquer les ordres du Capitaine Al Rakija, mais pour l’humeur un peu taquine de l’espion c’était bien moins intéressant. Et il fallait aussi avouer que leurs échanges n’avaient rien de très tumultueux, ni remarquable, donc bon. Une partie du problème – si ça en était un – devait certainement, et pour une part non négligeable, prendre racine dans ce fait. Mais ça n’était pas vraiment comme si Calixte avait les capacités de mettre davantage celles du lieutenant à l’épreuve, donc il allait devoir se contenter des choses en l’état. Il aurait probablement l’occasion d’observer l’habilité combattive de l’homme à d’autres moments. Il n’était pas près de quitter le sud.

    La pensée le surprit, et le geste qu’il avait entamé perdit de sa rigueur. Pas que ça changeait vraiment la donne, mais Calixte était un peu curieux de voir si Emeor avait reconnu, et suivi, l’enchainement des techniques qu’il lui avait sorties des manuels scolaires de l’Académie Militaire. Agé de juste une – ou deux ? – année de plus que lui, le lieutenant avait dû faire ses classes avec les mêmes bouquins. A moins que l’homme au regard glacial n’ait intégré la Garde que plus tard. Et y avait-il pas d’ailleurs une histoire comme ça à son sujet ?

    Emeor lui fit signe de s’arrêter, et il ne se fit pas prier pour reprendre de la distance et souffler un coup. Parce que oui, si son supérieur ne paraissait pas souffrir du moindre signe démentant sa participation à l’exercice en cours, Calixte avait tout de même la respiration un peu accélérée et quelques gouttes de sueur qui s’invitaient à la danse. Se reconcentrant sur les propos du lieutenant en affichant un air attentif et soucieux des remarques de celui-ci, il laissa ses interrogations s’éparpiller pour noter les conseils prodigués. Par habitude, par intérêt. Et il faillit louper le début de la phase suivante.

    Econome en temps comme en mouvements, le lieutenant s’élança vers lui sans plus de palabres. Plus par instinct qu’autre chose, Calixte dévia au dernier moment la lame d’un mouvement surpris de bouclier. Heuuu il avait pas dit qu’il fallait qu’ils veillent à ne pas se blesser ? Ou alors c’était juste à l’espion de faire attention à ne pas estropier son supérieur ? Comme si c’était vraiment une éventualité. Il n’eut cependant pas l’occasion de s’attarder sur le sujet, car Emeor revenait déjà à la charge. Fidèle à sa manière de se tenir, de parler, d’organiser ses affaires, de se défendre… et d’être, tout simplement ; l’homme maniait l’épée avec une minutie calculée, optimale. Il exécutait de manière absolument parfaite les enchainements décrits dans les manuels de l’Académie Militaire. Et, pour toute son habilité et sa puissance, c’était peut-être ça qui allait éviter à l’espion de vraiment se faire charcuter. Car à défaut d’être lui-même bon combattant, les années d’entraînement avaient au moins eu le mérite d’ancrer certains réflexes au plus profond de chacune des parcelles de son corps. Et s’il y avait bien une chose qu’on lui avait appris à parer, c’étaient les attaques protocolées, répertoriées consciencieusement dans les manuels.

    Laissant son corps s’adapter aux assauts du lieutenant – bien plus vifs, précis et dangereux que les siens – il laissa ses yeux parcourir à nouveau la silhouette de l’homme. Était-ce enfin une goutte de sueur qu’il apercevait ? Un raccourcissement du souffle ? Le temps d’une demi-seconde, il se déconcentra et un faux pas dans leur chorégraphie lui valut de voir passer la lame adverse un peu trop près de son ventre. Déstabilisé, sa réaction suivante fut complètement automatique, sans souci de retenue ou de prudence. Déviant de son petit bouclier l’épée leste d’Emeor revenant à la charge, il s’enroula le long du bras de ce dernier pour briser la distance entre leurs deux corps. L’action aurait été bien plus intéressante armé des dagues dont il avait plus l’habitude, mais ça n’était pas vraiment comme s’il avait pensé la chose plus qu’il ne la subissait. Son bras armé, fort de l’élan ainsi pris, finit sa course pour viser le cou du lieutenant. Qui, s’il fût peut-être surpris du changement imprévu de rythme, de la contre-attaque, ou de la proximité, opposa efficacement son propre écu à la lame.

    Et parce qu’il était encore saisi de la flamme de l’instinct, Calixte poursuivit en levant violemment son genou vers l’entrejambe de son supérieur.
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    Re: Nouveau départ
    Mer 25 Mar 2020 - 21:51 #
    Les deux danseurs poursuivaient ainsi leur magnifique chorégraphie - du moins, tentaient-ils de la rendre magnifique ce qui, il faut le connaître, est bien ardue en une telle situation. Il est vrai, Emeor n'avait guère attendu une réaction particulière venant de son élève - il pouvait parfaitement l'appeler ainsi à présent - pour débuter la deuxième scène, ouvrir une autre danse bien différente, un écho de la précédente, un miroir. Peut-être avait-il surpris le jeune coursier, et cela ne lui faisait guère de mal. En effet, des actions rapides et surprenantes permettaient, bien souvent, de gagner un combat ou, a minima, de renverser totalement l'équilibre des forces jusqu'ici établi, bien qu'Emeor se montrasse bien supérieur à son adversaire. Les coups s'enchaînaient, partaient, s'entrechoquaient dans des bruits assourdissants qui remplissaient la large pièce paisible avant le début d'un tel spectacle. A droite. A droite. A gauche. Légèrement de côté. Le Lieutenant, inconsciemment, se donnait, se dépensait, durant cet entraînement ; il devrait sans doute se réprimer, néanmoins, il n'en sentait nullement l'envie, après tout, la recrue se débrouillait - bien serait exagérer - pour pour parer ses différents coups. Il sentait son souffle chaud, voyait quelques gouttes perler sur le front, et pouvait presque humer l'âcre odeur de transpiration. Un bon exercice physique pour se défouler, se dérouiller. Lui aussi se défoulait, transpirait ; il sentit une goutte de sueur couler, doucement, le long de son bras ; voilà bien longtemps qu'il n'avait pas eu l'occasion de s'exprimer autant - mais il restait dans les règles et le protocole, comme à son habitude, ou plutôt, sa nature même -, il profitait alors d'une telle situation, comme si une pulsion vitale jaillissait en lui ; pulsion qui, depuis quelques temps, avait été réprimé, ce n'est point tous les jours qu'il pût faire preuve d'exercice physique étant cantonné à la Logisitique - département qui, au demeurant, lui convenait parfaitement -, et elle pouvait, enfin, se libérer. Bien évidemment, il se réprimait, mais, par moment, lors d'un coup, lâchait la bride, lâchait prise, cette pulsion dépassant même sa propre capacité à se contrôler ; peut-être se réprimait-il depuis trop longtemps ? Il n'aimait guère cela. Perdre le contrôle. Une fois il s'y était risqué. Les conséquences ne furent guère réjouissantes et il ne tenait pas à s'en souvenir, à les ressentir à nouveau. Il fixait ardemment son adversaire. Profitant des petits moments de faiblesse. Ses gestes étaient simples mais fort, protocolaires mais efficaces. Les autres, ceux de l'adversaire, maladroits, fragiles, comme s'ils étaient l'expression d'une envie intime de fuite - ce que ne pouvait décemment concevoir le Lieutenant, on ne fuit pas ainsi.

    L'entraînement se poursuivait. Seul le bruit assourdissant parvenait aux oreilles, comme pour couvrir toute pensée. Le temps n'était guère à la réflexion. Une réponse apparut, brutalement, surprenante, face à Emeor. Aux premiers instants, il ne comprit pas où son partenaire voulait en venir, quel pas il souhaitait exécuter, quelle danse interpréter. Il fronça les sourcils. Analysa la situation. Ce rapprochement physique était bien inédit. Il devrait s'en y accommoder ; aussi percevait-il plus en finesse les traits du jeune homme, fins et clairs, sa chevelure reflétait les chauds rayons lumineux, aveuglant presque le Lieutenant qui s'évertuait à sonder, encore plus profondément, le regard du jeune coursier, comme si, dans un éclair frappant, toutes ses intentions lui paraîtraient claires. Limpides. Les actes, les pas furent rapides, rythmés, la mélodie s'accélérait brutalement, invitant les danseurs à s'adapter, à produire, toujours, une chorégraphie harmonieuse voire idyllique. Un coup dans le genou. Une grimace. Quelle fourberie. Heureusement pour lui, sa condition physique lui permet d'encaisser un tel coup qui, étonnamment, témoignant d'une force ce qui prouvait bien que le jeune coursier avait de la ressource. Ainsi Emeor fut-il partagé, coupé en deux, radicalement. De la surprise frôlant l'agacement et du réjouissement. Il n'eut guère le temps de s'attarder sur de tels sentiments. Il enchaîna. D'un coup d'écu, il repoussa violemment - avait-il perdu la maîtrise de sa force ? - l'élève. Et disparut, ne laissant que des particules de poussières qui emplissaient alors l'espace vide formé par son absence ; il eut, l'espace d'un instant court, infime, ces instants si particuliers durant lesquels nous pouvons saisir ce que nous pensons être, ce que nous pensons ressentir comme une évidence transcendante, divine, un voile de l'existence se déchirant même, le loisir de saisir le bonheur du combat, de se sentir vivre, palpiter, respirer. Cet instant fugace, précieux, s'envola. La lame d'acier posée contre la gorge de l'adversaire. Dans le dos de la recrue, sans prévenir. Il se désolait de lui-même. Comment avait-il... ? Il esquissa un léger sourire, masquant son horrible déception. En cet instant, long, douloureux, il se haïssait. Se haïssait d'avoir pu profiter de ces plaisirs si intimes et si puissances qui se brisent au moment même où nous les saisissons.

    " Quel coup inattendu. Vous pardonnerez ma réaction, pur réflexe. J'espère ne pas vous avoir trop surpris. Vous allez bien ? "


    La question était-elle une simple formalité ? Ou s'inquiétait-il autant de la réaction du jeune coursier ? Il ne le savait et ne voulait pas savoir. Ainsi s'achevait le premier acte. Péripétie inattendue et surprenante. Le public applaudit. Le rideau se ferme doucement. Le deuxième acte est attendu avec impatience. Effervescence. Mais, pour l'heure, nos acteurs, nos danseurs, sont en coulisses, laissant leurs personnages de côté.

    " Bien. C'était le premier exercice. Vous vous débrouillez... Convenablement. Mais vous avez bien besoin d'entraînement à l'épée, tout comme vous devez vous renforcer physiquement. Nous verrons cela en détail une fois les autres exercices faits. Saisissez vous d'un arc et d'un carquois soldat, ils sont au fond de la pièce. D'où votre technique venait-elle ? Un pure réflexe ou quelqu'un vous l'a enseignée ? "
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
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    Re: Nouveau départ
    Ven 27 Mar 2020 - 21:42 #
    S’il avait su que viser les bijoux de familles de son supérieur était la clef pour dérider ce dernier… Non, il n’aurait tout de même pas tenté sciemment l’expérience. Calixte était curieux de nature, et partant pour beaucoup de choses, mais d’une part il ne tenait pas vraiment à essuyer le courroux du lieutenant, et d’autre part il n’était pas certain de vouloir commencer son premier jour d’affectation dans le sud par du palpage de bourses. Même si Emeor n’était pas vilain à regarder. Enfin, ça n’était plus à lui de choisir, ses réflexes l’ayant eux-mêmes mené dans la délicate situation. La grimace de son adversaire lui donna un sentiment de victoire, qui fût appréciable mais très bref. Appréciable, non pas parce qu’il se délectait d’avoir pu toucher – voir blesser – son supérieur, mais parce que cette petite brèche dans la présentation soignée à quatre épingles de celui-ci prouvait qu’il était bien possible d’obtenir de l’homme plus qu’une austère façade. Et très bref parce que…

    Comme si cela avait déclenché un déclic chez Emeor, son attitude bascula. Les rares mouvements qu’il enchaina à la suite furent toujours aussi précis et calculés, protocolaires, mais l’intention les guidant bien plus enflammée. Et peut-être plus libre. Et Calixte, qui avait espéré obtenir quelques réactions viscérales de son supérieur, ne fut pas déçu. Quoi que son propre enthousiasme fût un peu diminué par la pensée qu’il allait vraiment se faire trucider au premier jour de son arrivée au régiment Al Rakija. Ouvrant de grands yeux à l’ardeur nouvelle du lieutenant, il accusa dans un souffle un coup d’écu contre le sien en reculant de quelques pas, et lorsqu’il reposa son regard sur son adversaire… son regard rencontra le vide. Le temps d’une fraction de seconde, le temps d’un demi sourire, il comprit.

    Il sentit la chaleur du corps d’Emeor dans son dos avant de percevoir celui, plus froid mais plus intimidant, de la lame effleurant son cou. Il ne tenta pas de défense, de contre-attaque, ou toute autre possibilité qu’auraient pu lui offrir son intelligence ou son instinct. Depuis qu’il avait compris que le lieutenant avait utilisé son pouvoir – parce que pour le coup ce dernier n’était pas secret… ou tout du moins pas pour les espions – il avait conclu que cette partie de l’entraînement arrivait à son terme. Son supérieur avait largement le dessus, et Calixte ne tenait pas à dévoiler ses techniques moins… usuelles, en essayant d’impressionner celui-ci malgré tout. La médiocrité lui convenait bien. Il leva les mains en signe de défaite, et Emeor s’éloigna de lui. Se tournant pour faire à nouveau face au lieutenant, son regard s’arrêta sur le petit sourire pinçant les lèvres de ce dernier. Parce que, vraiment, l’homme aurait aussi bien pu grimacer.

    Il hésita. Parce s’il avait eu envie d’ébranler la rigidité glaciale du lieutenant, il n’avait pas du tout tenu à ce que leur échange – de mots, d’armes – fût le lit de souvenirs douloureux ni d’amères pensées chez celui-ci. Ce qui semblait être le cas, à l’ombre ayant saisi les prunelles bleutées, et à la tension ayant réinvesti l’austère silhouette. Avec encore plus de raideur et de contrôle, si c’était possible. Il se mordit la lèvre, pensif. Si c’était là le mode de défense – de survie – de l’homme, alors qui était-il pour choisir de le mettre à l’épreuve ? Il ne connaissait Emeor que depuis quelques minutes. Ils n’étaient pas amis, ni camarades, et tous justes collègues. Peut-être était-il temps de refaire un pas en arrière, reprendre un peu de distance, et laisser à chacun le soin de gérer ses propres fantômes. Replonger dans ce cocon d’indifférence pour ne se soucier que de soi. Refaire le tri dans les émotions, les pensées, les possibles. Avant de tendre à nouveau la main vers l’autre. Avant de partager à nouveau.

    - Je vais bien, répondit-il finalement.

    Était-ce cela, l’héritage du meurtre de Ruth ? L’insensibilité, le détachement et l’égoïsme ? Elle aurait été bien déçue, l’adolescente qui avait eu l’habitude de s’enquérir de ses conseils, de voir qu’après la mollesse et la lâcheté, la liste de ses vices ne cessait de s’allonger. Et regardant Emeor, qui les secondes passant s’enfermait un peu plus sur lui-même, étouffant la flamme qui l’avait saisi jusqu’à ce qu’on ne puisse plus soupçonner son existence passée, il retint un rire sarcastique. Qu’ils étaient beaux, tous les deux, avec leurs démons réveillés par un simple exercice. Il avait besoin de repos. Ou d’un verre. Voire plusieurs. Ou d’un câlin. Voire plusieurs. Il passa une main sur son visage et secoua la tête. Il s’apitoierait plus tard. Il était temps de mettre à profit cette occasion de nouveau départ.

    - Et vous ? Vous avez l’air presque déçu d’avoir fini l’exercice de cette manière.

    En mettant les deux pieds dans le plat, par exemple. Voilà qui lui ressemblait plus. Il pouvait presque imaginer le sourire de Ruth. Et celui de Zahria. C’était loin de l’indiscrétion audacieuse dont il pouvait faire usage, et dont il usait habituellement, mais le contexte était loin d’être, justement, habituel.
    Suivant les instructions d’Emeor, il reposa son épée et son bouclier aux emplacements dédiés, et partit récupérer arc et carquois avant de revenir vers l’homme. Il marqua un temps d’arrêt près de celui-ci, étudiant distraitement l’une des flèches.

    - Les seules techniques que je connaisse m’ont été enseignées à l’Académie Militaire. Le reste n’est qu’instinct et improvisation. Et ils ne sont pas forcément du meilleur goût, désolé. Je, heu… je n’vous ai pas – trop – fait mal, j’espère ?
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    Re: Nouveau départ
    Dim 29 Mar 2020 - 15:41 #
    Emeor regardait, raide, le jeune coursier qui se saisissait alors d'un arc, d'un carquois, tout en posant les deux autres armes et en parlant. Il espérait bien, en son fort intérieur, qu'il fût plus doué avec un arc entre les mains, néanmoins, il en doutait fortement. En effet, la maladresse de celui-ci ne pouvait que se retrouver et se répercuter dans nombre de domaines et le tir à l'arc n'en était pas exempt d'autant plus qu'un tel exercice requérait adresse, précision, maîtrise de soi, patience et calme. Or, au demeurant, ces qualités ne brillaient guère en le jeune homme bien qu'il pût s'illustrer par d'autres aspects que son Lieutenant cherchait encore à déceler. Aussi protocolaire et académique fût-il, Emeor ne tenait pas, comme multitude de ces instructeurs sévères, froids et impitoyables - pour ne pas dire sadiques -, à enfoncer les simples soldats, ces jeunes en apprentissage encore fébriles et inexpérimentés - souvent, en outre, bien loin de la dure réalité du grade de Garde qui exigeait moult maîtrises - qui avaient encore beaucoup à apprendre. En un sens, il comprenait intimement la nécessité dans laquelle se trouvait ces fameux hommes ; ils se devaient d'apprendre la rigueur et l'ordre militaires à des jeunes gens dont les horizons diverses et variées n'aidaient en rien à former une cohésion particulière ; aussi était-il courant de voir des classes entières à l'Académie, ou au sein de Régiment, s'entre-déchiraient pour des raisons futiles puisqu'un noble, bien souvent, ne pouvait comprendre les aspirations bourgeoises de certains ou les besoins les plus rudimentaires d'autres ; non pas que le Lieutenant eût quelques ressentiments particuliers envers les nobles - ou, a fortiori la noblesse - mais il n'avait jamais pu touché ce monde si éloigné de lui malgré la confortable aisance financière de ses parents qui purent, à sa grande joie, avancer les cristaux nécessaires afin d'intégrer l'Académie et d'y poursuivre des années d'études bien sérieuses et rigoureuses. Néanmoins, des préjugés issus de son milieu que nous pouvons qualifier, à juste titre, de bourgeois, l'imprégnaient encore, ancrés dans son esprit. Pourtant, ces préjugés éculés se trouvaient être dépassés et surpassés par le protocole militaire, partie prenante de sa vie depuis quelques années. Aussi ne cherchait-il pas à briser le fragile équilibre psychique des nouvelles recrues ; sur ce point, le Lieutenant s'évertuait à construire une relation de confiance perçue comme nécessaire voire même vitale pour bâtir un Régiment fort aux soldats expérimentés et performants. Il lui fallait donc trouver un juste équilibre entre un entraînement exigeant, efficace et la création d'un lien subtil entre toutes les troupes de Grand-Port. Malgré ses efforts, ses demandes restaient bien hautes et, de ce fait, peu de militaires appréciaient réellement ce Lieutenant malgré le respect qui lui était dû - après tout, nombre de ses missions étaient couronnées de succès et sa carrière témoignait d'une réussite impressionnante. Emeor ne s'attachait nullement à une quelconque popularité, accordant une bien plus grande attention à ses diverses tâches et aux implications de son rang au sein du Régiment. Ainsi tâchait-il d'évaluer le mieux possible ce jeune coursier mais surtout de l'entraîner à manier avec habileté et souplesse les armes. Les compétences purement administratives ne seraient inspectées que dans un second temps. Dirigeant à nouveau toute son attention sur la nouvelle recrue, il ne sourit pas. Seuls ses yeux brillaient. De ce bleu glacial.

    " Je vais très bien soldat. Vous tenez mal votre arc. Votre main doit tenir fermement l'arme et l'autre, tendue et droite, ne doit pas laisser la flèche trembler une fois que vous aurez bandé la corde. Allez-y, visez la cible en face de vous soldat. "


    Pour ce nouvel acte, un seul des deux protagonistes se trouvait en possession d'une arme. En effet, Emeor ne s'évertuait pas à créer une quelconque compétition, cela n'aurait nul sens. Il se contentait d'observer cette recrue, attentivement. Il ne pensait rien de lui, ne ressentait rien à son propre. Soldat Alkh'eir se trouvait noyé dans une masse de visages tous différents mais formant un ensemble parfaitement homogène. Si la confiance soudait ce Régiment, le Lieutenant ne s'attachait à aucune personne en particulier, ne prenant guère le temps de construire des relations - ce qu'il pouvait juger comme une perte de temps -, de s'intéresser réellement aux personnes ; il ne prenait pas de temps pour lui-même - si ce n'est à bien soigner son apparence et, tous les soirs, pendant quelques minutes à nettoyer son uniforme tout en lisant d'autres rapports qui ne le concernaient pas directement, lectures futiles et superficielle, à croire que la saveur si particulière que nous fournit un livre, cet emballement de sens, ce voyage si particulier et intense lui échappait totalement, triste vie perdue dans la trivialité d'un quotidien monotone bien loin de toute magie -, comment était-il alors seulement capable de s'intéresse à autrui en ces conditions ? Le devoir, avant tout ; la justice dominait sa vie, transcendance bien étrange que l'on pouvait presque comparer à un dieu. Il croisa les bras. Le regard rivé sur la cible, prête à être transpercée de la flèche. Toucherait-il seulement la cible ?
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
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    Re: Nouveau départ
    Mar 31 Mar 2020 - 21:20 #
    Mensonges, Emeor, mensonges. Était-ce seulement voulu ? Ou y avait-il autant de déni que de contrôle dans la pensée ? De contrôle voulu. Souhaité. Désiré. Pouvait-on seulement définir la moindre seconde d’une vie ? Le moindre geste d’un bras ? La moindre impulsion de l’instinct ? A la raideur infléchissable du dos du lieutenant, il semblait qu’il s’agissait en tout cas d’un objectif tout à fait raisonnable et envisageable. Savait-il que les brindilles les plus sèches étaient aussi les plus cassantes ? Pendant quelques secondes, Calixte imagina son supérieur comme une grosse branche refusant de courber l’échine sous le vent, et il faillit éclater de rire. Hystériquement.

    Laissant couler la remarque sans commentaire – parce qu’il était bien trop occupé à essayer de ne pas rigoler – il se positionna face à la cible indiquée par Emeor. Il était presque déçu que l’homme ne lui ait pas proposé de se tirer dessus chacun leur tour, histoire d’évaluer leur habilité à l’arc comme leur agilité dans l’évitement ou le parage des flèches. Les entrainements de la régulière étaient bien moins inventifs que ceux des espions. Mais peut-être plus réglementaires, aussi. Si l’on avait nommé l’entrainement-dont-on-ne-prononcera-pas-le-nom ainsi, c’est qu’il y avait bien une raison. Est-ce que l’excentricité du chef-lieu des espions lui manquerait ? Peut-être. Pas pour le moment, c’était certain. Il y avait une douceur agréable à la normalité des quelques minutes qu’il venait de passer avec son nouveau supérieur officiel. Bandant son arc, il coula un regard vers le lieutenant qui l’observait les bras croisés contre le buste, mettant en avant la poitrine qu’il n’avait pas. Perturbé par la notion, Calixte tira sa flèche alors qu’il ne regardait toujours pas sa cible.

    Par chance, il n’y avait qu’eux deux dans la salle d’entrainement. Par miracle, sa flèche tapa au cœur de la cible à une petite trentaine de mètres. Haussant les sourcils de surprise, Calixte se dit qu’il serait finalement peut-être bien meilleur tireur les yeux bandés. Enfin, pas certain que Emeor le voyait de cet œil ni n’était du genre à vouloir tenter l’expérience. Ça ne paraissait pas être son style. Son style qui était plus protocolaire, conventionnel, rigide, impersonnel et efficient. Il était temps de tenter autre chose. Ça aurait au moins l’avantage de lui changer les idées, vu que ses pensées avaient la fâcheuse tendance à vagabonder. Et, dernièrement, vagabonder dans des recoins lugubres.

    - Qu’est-ce que vous attendez de moi lieutenant ? demanda-t-il en réarmant son arc. Parce que vous allez rapidement vous rendre à l’évidence que le combat, quelque soit sa forme, n’est pas ma tasse de thé.

    Il tira la flèche armée, qui alla se ficher à quelques centimètres de la précédente. Décidément, Lucy s’était-elle lassée de ses prêcheurs usuels pour venir prendre le temps de tenir sa main ? Il espérait que les yeux d’Emeor étaient bien plus attentifs à sa posture approximative qu’au résultat improbable qu’il était en train d’obtenir, et qui ne plaidait pas tellement sa cause.

    - J’imagine que l’entrainement militaire quotidien, qu’il soit de la Capitale ou du Grand Port, ne diffère pas tellement, et que l’un vaut l’autre ; mais peut-être me corrigerez-vous, réfléchit-il à haute voix en saisissant une nouvelle flèche. Et vous pouvez effectivement compéter mon planning d’entrainements supplémentaires – la pratique de l’épée, le renforcement musculaire, bientôt le tir à l’arc – mais je ne peux m’empêcher de m’interroger sur leur finalité, au-delà du simple aspect martial.

    A nouveau, il posa son regard sur la silhouette tendue d’Emeor, et il lui sembla apercevoir une tournure crispée au coin de ses lèvres. Était-ce la prise de parole peu réglementaire, le fait évident qu’il ne regardait pas où il tirait, ou tout autre chose qui raidissait davantage la posture de son supérieur ?
    Prenant pitié de l’homme, Calixte détourna les yeux pour les poser sur la cible devant lui, avant de tirer à nouveau. Le nouveau jet finit sa course dans la zone à cinq points. Voilà qui lui ressemblait déjà plus. Les quatrièmes et cinquièmes flèches rapidement enchainées finirent dans la même zone, et il prépara bientôt sa dernière flèche. Jusqu’où aller ? Jusqu’où tenter ? Une ombre fugace passa sur son visage ; Zahria allait peut-être le voir rentrer à la Capitale plus rapidement que prévu.

    - Nous allons nous voir régulièrement, lieutenant. Et la responsabilité de mes réussites comme de mes échecs sera la vôtre. Alors peut-être serait-il intéressant que vous me disiez de manière réaliste ce que vous attendez de moi.

    Son dernier tir, sans surprise, fut similaire aux précédents. Baissant le bras, il se tourna pour mieux appréhender la silhouette d’Emeor. A la fois parce qu’il était curieux de ses réactions, et parce qu’il avait à cœur d’appréhender le moindre signe en faveur du fait qu’il allait se récolter une quelconque correction.

    - Réaliste et sincère, si vous le voulez bien. Vous pouvez vous mentir à vous-même Emeor Calyx. Mais j’aimerai autant placer ma loyauté en quelqu’un d’honnête avec ses troupes.

    Trop loin ? Pas assez encore.
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    Re: Nouveau départ
    Mer 1 Avr 2020 - 23:10 #
    Il parlait. Beaucoup. Trop. En cet instant, Emeor se retenait, plus que tout au monde, pour ne pas lever les yeux au ciel. Qu'il était bavard ce coursier. Il en posait des questions. Est-ce que lui aussi tenait la manche à son supérieur en le harcelant de la sorte alors qu'un entraînement était nécessaire ? Il ne pensait pas. Il privilégiait l'action, l'efficacité à toute sorte de paroles inutiles, futiles, superflues, superficielles. Sa position ne bougeait pas, toujours immobile, les bras croisés contre le torse bombé, il jugeait de sa taille supérieure son inférieur hiérarchique. Aucun mépris, aucune condescendance ne l'emplissaient, il avait bien autre chose à faire et à penser. Il s'évertuait à obtenir des résultats sinon bons au minimum médiocres avec ce jeune homme pour, enfin, passer à la suite tout en prévoyant un programme bien précis qui viserait à la perfectionner au moins à l'épée et à la course - en effet, Emeor avait bien senti que l'endurance du coursier laissait à désirer, ce qui est bien malheureux à la vue d'une telle fonction militaire. Il remonta ses lunettes, fixant d'un air glacial son interlocuteur sans rien ajouter ; peut-être, en d'autres circonstances, aurait-il cédé à des pulsions internes pour dire à celui-ci de, au nom de Lucy - jurer, chose qu'il ne fait presque jamais, sauf si les événements l'exigent -, fermer son clapet, de se concentrer sur sa tâche bien plus importante. Néanmoins, en un sens, il comprenait les questions bien que les formuler fût inutile ; pourtant, tout homme, tout soldat, se devait de porter correctement une arme, de savoir se battre durant quelques minutes hors entraînement, de se comporter en un militaire accompli. Comme pour montrer son indifférence - pas entière mais presque -, il suivit la flèche du regard qui vint se planter au beau milieu de la cible. Il haussa un sourcil, surpris ; aurait-il sous-estimé le jeune homme ? Il n'en croyait pas ses yeux et remit ses lunettes en place tout en fronçant les sourcils ; sa myopie ne lui jouait aucun tour, le soldat avait bel et bien touché le but, le cœur même de la cible. Toujours surpris, il retourna la tête en direction de ce dernier qui semblait tout aussi étonné ; ainsi donc il ne s'était pas trompé et le jeune homme ne savait réellement ce qu'il faisait. Cependant, au lieu de se concentrer sur son second tir, voilà qu'il se contentait de regarder le Lieutenant, en continuant, encore et toujours, à parler. Quelle insolence. Était-il réellement un militaire à se comporter de la sorte durant un entraînement on ne peut plus protocolaire et important ? Emeor crispa légèrement sa mâchoire qu'il détendit aussitôt ; il ne souhaitait pas que ces émotions se voient si facilement, il avait bien autre chose à faire que d'exprimer, en cet instant, tout son ressenti. De réprimander le soldat. Efficacité, discipline... Encore en plein milieu ! Le Lieutenant bouillonnait. Quelle insolence... Quelle insolence... Sa myopie l'empêchait d'enchaîner de tels tirs et lui, ce jeune coursier venu de nulle part, se permettait d'agir de la sorte. Sans viser. Il touchait. En plein centre. Quelle honte. De la jalousie ? Non, il ne pouvait guère ressentir cela. Ce devait être l'insolence du jeune homme. Juste son insolence.

    Il rata. Enfin. Le voilà récompensé d'un tel comportement odieux, insupportable et... Il n'en avait cure. Le jeune soldat se fichait royalement d'avoir raté son coup. Il était donc si médiocre pour ne même plus réagir en touchant à peine la cible ? Ses essais suivants furent risibles. Il ratait, encore et toujours. Comme il avait raté l’exercice précédent. Il réussirait bien quelque chose, si ce n'est à agacer Emeor qui ne cessait de se crisper. Pourquoi réagissait-il de la sorte ? Pourquoi ses sentiments, d'ordinaire si bien ordonnés, contrôlés - ce matin même, malgré un réveil difficile, il se sentait bien, ne râlait pas, ne criait pas, malgré les passants bien énervants - se mettaient-ils à déborder, à exploser ? Il toussota, comme pour se reprendre. Et fixa à nouveau le jeune homme. Des questions. Encore des questions. Insolentes. Presque impertinentes. Il se retint de soupirer longuement, comme pour expirer ce trop plein qui l'envahissait. Sans crier gare, il donna une petite tape sur la tête du soldat. Un bon rappel à l'ordre. Rien de violent. Rien qui ne pourrait lui faire mal. Rien d'agressif. A croire même que, dans un autre contexte, on aurait pu considérer cela comme une tape amicale - mais n'exagérons rien, il ne s'agissait en rien d'un tel geste qui ne sied, en aucun cas, à notre Emeor. Sans crier gare, il se plaça derrière le soldat, lui prit les mains, fermement, mais en délicatesse comme pour ne pas le blesser, et les mit en place d'une manière précise avant de l'aider à tirer. En plein centre. Voilà.

    " Vous devez procéder ainsi soldat et quand vous tirez, ne me regardez pas, concentrez-vous sur votre cible. J'endosse déjà la responsabilité de vos échecs et de vos réussites depuis votre arrivée soldat. C'est pourquoi, je veux vous voir réussir. J'attends que tout bon soldat puisse se battre, même un simple coursier. Le Capitaine approuve cela. Je n'attends rien de plus que de voir votre devoir rempli et achevé. Posez votre arc. J'ai bien compris que tout entraînement supplémentaire nous ferait perdre du temps. "


    Il avait été sec. Efficace. Et fixait toujours glacialement le jeune coursier. Il attendait, d'un pied ferme, que celui-ci pose son arme. Ils avaient, à présent, mieux à faire et le Lieutenant ne voulait guère s'éterniser ici ; il était donc temps, déjà de clore notre deuxième acte ; mais, qui a dit que les actes suivants ne se dérouleraient pas pour autant ? Bien au contraire. Ils sont une partie inhérente au spectacle et il serait bien triste de les jeter ainsi aux oubliettes, de les oublier si facilement. Emeor, étrangement, ne bougeait pas de la salle. L'entraînement n'était-il pas terminé ? Il se tenait, droit, raide, devant la porte comme pour bloquer toute issue. A croire qu'il voulait rendre des comptes. Non. Son regard ne portait nulle trace de mépris ou de condescendance comme nombre de ces instructeurs violents et stupides ; au contraire, il cherchait à saisir, à comprendre cet homme atypique, bien insolent. Il relâcha ses bras, remonta ses lunettes. Les bras droits, le long du torse bombé. Un parfait militaire.

    " Sachez, soldat, que j'ai une grande confiance en chacun de mes hommes ici. Il n'est pas question qu'il leur arrive quelque chose. Or, dès aujourd'hui, vous faîtes parti de ces hommes. Je ne compte pas vous mentir pas plus que je ne mens aux autres soldats. Je ne me mens pas non plus à moi-même. Chaque soldat est unique ici malgré le nombre croissant d'hommes et de femmes et je connais chaque visage. Avant de fixer votre entraînement, j'aimerai vous demander une dernière chose. Montrez-moi votre pouvoir en action, la description du dossier est trop sommaire pour que je puisse en avoir une idée précise. Non, ce n'est pas inutile contrairement à ce que vous pouvez penser. Concentrez-vous, cessez de parler en me regardant et allez-y, je vous attends soldat. "


    Il fixait toujours le jeune coursier. Il ne voulait pas, bien au contraire, qu'un climat de méfiance s'installe entre eux. Entre lui et un homme lambda, oui. Entre lui et un de ses hommes, non. La confiance était, de son point de vue, un élément crucial. Il se devait de la construire, petit à petit. Bien évidemment, cela ne suggérait en rien une relation personnelle quelconque. Juste une confiance militaire et nécessaire. Il relâchait ainsi sa mâchoire. Il se débarrassa de ces sentiments chaotiques, les rejetant dans un oubli lointain ; cruelle erreur. Ces émotions n'attendaient alors qu'une chose, l'explosion. Mais elle ne peut advenir devant un de ses soldats. Cela est impossible. Aucun sentiment, aucune émotion n'a sa place ici. Ni même dans sa vie. Il a autre chose à faire.
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
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    Re: Nouveau départ
    Sam 4 Avr 2020 - 15:35 #
    Une toux agacée. Un soupir exaspéré. Pas d’explosion, dommage. Enfin dommage. Pas sûr qu’il aurait apprécié est renvoyé fissa à la Capitale. Peut-être y avait-il un peu d’acte manqué à l’insolence curieuse qu’il présentait à Emeor. Peut-être, finalement, n’avait-il jamais souhaité quitter le nid des espions. Peut-être. Mais était-il prêt à réaffronter le regard tourmenté de Zahria ? La colère de Vaelin ? L’indifférence de Vrenn ? A replonger dans le mélodrame ? A en faire son deuil ? Préparant une énième flèche dans l’attente de réponses… de réponses de son supérieur, mais peut-être pas que, Calixte focalisa son attention sur la cible devant lui.

    - Un lieutenant, un coursier et un archer vont prendre un verre en taverne. Le premier part aux toilettes, et revient. Puis, le deuxième, pareil. Enfin, le troisième fait de même et finit par leur indiquer : je vous apprendrai à tirer la chasse, murmura-t-il distraitement pour ramener son attention au présent.

    La petite tape à l’arrière de sa tête fût tout aussi efficace. Bien qu’elle le surprît, et qu’il lâcha la flèche qui se ficha aussi médiocrement que les précédentes dans la cible. Il jeta un coup d’œil à la haute silhouette d’Emeor, qui semblait prendre sur lui pour ne pas s’énerver. S’il s’était attendu à un déluge de remontrances verbales, il ne l’aurait cependant pas imaginé… tactile. Allons bon. Calixte réarma une flèche et, tout à ses réflexions, ne fût pas si étonné de sentir la présence robuste du lieutenant se caler contre lui. Les mains calleuses entourèrent les siennes, réajustant fermement sa position. Le buste derrière le sien, tuteur magistral, l’incita à se redresser. Il ne semblait pas y avoir de malveillance hautaine dans l’approche de l’homme. Simplement le désir de guider autrui vers la perfection. Ou, peut-être dans son cas, limiter la médiocrité. Il y avait, tout de même, à la raideur qu’il percevait du corps encerclant le sien une certaine tension. Agacée ? Tourmentée ? Impatiente ? S’il avait caressé l’idée de chercher du réconfort au fond d’un verre ou dans l’embrasse d’un câlin, l’espion n’avait pas imaginé obtenir ce dernier d’une telle manière. Se mordant la lèvre pour empêcher le rire qui menaçait de lui échapper, il essaya de chasser les images perturbantes que ses découvertes sur Emeor Calyx lui amenaient. Une carapace glaciale, un fétiche pour l’organisation, une passion pour le contrôle… et une tendance à être tactile pour gérer les tensions. Il ne serait pas surpris de découvrir une petite collection de menottes de la Garde dans la chambre de son supérieur. Et pas que.

    La flèche partit se ficher en plein centre de la cible, et Calixte qui avait bien du mal à retenir les soubresauts de son rire se dit qu’il s’agissait là entièrement de l’habilité du lieutenant. Observant la cible pour calmer son hilarité, il écouta d’une oreille distraite les propos d’Emeor. Qui revenait sur ses questions. Sans toutefois y répondre. Bon. Donc il valait mieux utiliser du premier degré en conversant avec le lieutenant. Noté. D’un pas joyeux, le coursier partit reposer son arc. Il hésita une micro-seconde à aller récupérer les flèches plantées dans la cible, mais si son supérieur n’y avait pas fait d’allusion, c’était certainement qu’il n’y avait pas d’intérêt à ce qu’il aille les ranger tout de suite. Revenant auprès d’Emeor, il se ficha à une distance respectueuse de celui-ci, attendant la suite. Son envie de rire s’était calmée, laissant dans son sillage un sentiment d’allégresse probablement inadéquat pour l’entretien. Mais hé, c’était bien plus agréable que la morosité qui l’avait suivi jusque-là. Donc bon, il n’allait pas cracher dessus. Il réussirait peut-être même à retenir sa langue, et éviter de trop antagoniser le lieutenant. Et pourtant, il avait l’impression que s’il voulait voir jusqu’où il pouvait pousser ce dernier, il tenait le bon bout. Dilemme cornélien. A quoi donner plus de valeur ? Et finalement, n’était-ce pas encore un souci de loyauté ?

    Ses iris ambrés rencontrèrent ceux d’un bleu polaire d’Emeor. Imitant la position de l’homme, il laissa ses bras descendre droits, le long de son torse bombé. Le visage impassible, sans une trace du rire, ni du sourire, qui avaient jusque-là étiré ses lèvres. Le regard curieux, les oreilles attentives. Et oui, vraiment, il allait falloir qu’il arrête le second degré. Avec Emeor. Les traits de ce dernier n’avaient pas changé pendant sa tirade. Sérieux. Déterminés. Convaincus. Les bêtises qu’il pourrait vendre, ce lieutenant, pour peu qu’il en fût persuadé. Calixte n’avait aucun mal à croire que les hommes, et les femmes, sous ses ordres les suivaient à la baguette. Il y avait un charisme certain à l’assurance contrôlée d’Emeor. Qui contrebalançait merveilleusement l’audace fantasque du Capitaine Al Rakija. Enfin, l’espion aurait par la suite tout le temps d’enquêter davantage sur les têtes du régiment. De confirmer ou d’infirmer ses hypothèses. Haussant les sourcils à la demande d’Emeor, il nota avec amusement que ce dernier semblait tout de même avoir atteint son seuil de tolérance de provocation verbale. Même s’il l’avançait de manière plus délicate.

    Avançant doucement vers son supérieur pour lui laisser le temps de reculer, il tendit progressivement son index pour venir toucher le pont liant les deux verres des lunettes de celui-ci. Et fusionner avec. Après quelques secondes, il en sortit. Et fusionna avec le tissu de la veste de l’homme. Hé, ça comptait comme un câlin ou pas ? Il ressortit aussi vite que des lunettes. Puis il s’accroupit, et tendit les doigts vers le sol de parquet. Avisant le chemin adéquat, il fusionna avec les lattes, et utilisa l’extension de son pouvoir pour glisser derrière Emeor, à deux petits mètres de celui-ci. Resurgissant dans le dos de son supérieur, il attendit que ce dernier se retourne, pour finalement lui tendre la main en invitation. Il avait encore quelques extensions de pouvoir dans son sac, si le lieutenant souhaitait vraiment en faire le tour. Et il tenait la consigne de ne pas parler. Jusqu’où iraient la curiosité, l’exigence de contrôle et le besoin d’action d’Emeor ?
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    Re: Nouveau départ
    Mar 7 Avr 2020 - 22:27 #
    Placide, raide, droit, Emeor fixait ainsi celui qui s'avérait être, pour un bon temps au vue de ses performances que nous qualifierons de médiocres, son élève attendant que celui-ci agît. En effet, si le pouvoir de fusion du coursier avait été détaillé dans  son dossier, peu d'éléments avaient été mentionnés et ce vide d'informations frustrait honteusement le Lieutenant ; d'une part, il ne comprenait guère pourquoi le dossier semblait, sur certains points, incomplets puisque des manques pouvaient se faire ressentir - ce qui témoignait d'un travail bâclé, horreur suprême aux yeux d'Emeor ; d'autre part, il tenait absolument à connaître un minimum chacune de ses recrues - point sur lequel il a tant insisté face au jeune soldat - pour ainsi mieux les comprendre et leur donner des tâches à la hauteur de leurs compétences - même si, il ne faut pas se mentir, le Lieutenant donne bien souvent des quêtes qui outrepassent les qualités des militaires, simple question de perfectionnement. Gardant les bras le long du corps, il vit lors l'élève s'avancer avant de toucher ses lunettes. Il ne réagit pas. En effet, ce serait inutile de juger d'ors et déjà une action alors que le pouvoir n'avait pas encore été dévoilé dans toutes ses dimensions. En l'espace de quelques secondes, la recrue fusionna avec les lunettes et, ainsi, disparut du champ de vision. Il y resta avant d'y sortir pour, ensuite, user de son pouvoir sur la veste. Finalement, toujours impassible, Emeor le vit fondre dans le sol pour réapparaître dans son dos. Il se retourna alors et, chaleureusement, accepta de serrer la main de son élève. Il ne souriait pas. Néanmoins, étrangement, son regard - au demeurant, toujours glacial - dégageait une forme étonnante de vigueur et d'enthousiasme. Il ne ressentait - et n'en avait guère besoin - nullement la nécessite d'accompagner ainsi son geste par un grand sourire chaleureux amical et ardent ; non seulement une telle action serait déplacée en de telles circonstances - peu peuvent se targuer d'avoir ne serait-ce qu'aperçu un réel sourire du Lieutenant - mais, le coursier ne devait pas, pour autant, enfler son orgueil face à cette petite réussite. Si l'entraînement militaire fut, il faut l'avouer, honteusement décevant, cette petite démonstration permet une toute autre évaluation du jeune homme. Il possède bien plus de ressources qu'il ne le pense ; une des caractéristiques propres d'Emeor réside en l'art de montrer à chacun des soldats qu'il tient, au plus profond de ses mains, des qualités propres qui peuvent, ainsi, le pousser à l'excellence ; une formule parfaite pour que le Régiment puisse être opérationnel, efficace, efficient, irréprochable. Le Lieutenant remonta vivement ses lunettes, jugeant à nouveau l'élève de son regard adroit.

    " Bien, bravo à vous. Ce pouvoir possède de nombreuses ressources et vous semblez bien le maîtriser. Là est certainement l'un de vos points fort, ce serait idiot de le nier. J'attends de vous que vous le perfectionniez. Entendu soldat ? "


    Le discours non plus ne devait se perdre en aucune méandre sentimentale superflue ; l'essentiel était dit et l'essence de la pensée du Lieutenant résidait en ces quelques mots. Alors qu'il jetait un dernier coup d’œil à la salle, la lourde porte en bois fermée depuis à présent de nombreuses minutes, s'ouvrit brutalement. Haletante, de la sueur perlant sur son front, une femme - âgée de la vingtaine - respirait à grands coups ; l'on pouvait sentir - dans tous les sens du terme malheureusement - la course folle qu'elle avait dû, par on ne sait quelle raison, mener pour arriver en ce lieu. Ses courts cheveux blonds paraissaient respirer eux aussi, tandis que ses yeux verts allaient et venaient, allaient et venaient entre les deux hommes face à elle ; l'on pouvait percevoir sous son uniforme léger - celui que tout soldat se doit de posséder en entrant alors en ce Régiment - des muscles saillants qui juraient avec le peu d'endurance qu'elle étalait alors. Elle finit par se redresser pour faire le traditionnel et protocolaire salut militaire auquel Emeor répondit immédiatement. Le cerveau du Lieutenant attendait, impatiemment, l'information ; ses muscles tendus se tenaient prêts à s'élancer pour intervenir en une quelconque affaire - mais toute affaire à son importance ; dehors, derrière cette vitre épaisse et poussiéreuse, le soleil brillait toujours, ardent, et les oiseaux tournaient, jacassaient. Le calme semblait régner.

    " Lieutenant, soldat Blatz au rapport ! On nous a signalé une petite émeute sur la place du marché, on sait pas encore si c'est une bagarre ou un marchand qui brade de la marchandise. Je... J'ai pensé devoir vous avertir. Les deux autres Capitaines n'étant pas disponibles je...


    " Bien soldat. Merci pour l'information, j'y cours. Vous venez avec nous. Je pense savoir sur qui compter, appelez les soldats Heyr et Ohmund, devant le bastion dans deux minutes. Soldat Alkh'eir, vous venez avec nous.


    Rien de plus. Juste l'efficacité, la rapidité. Le temps était à l'action. Alors, répondant à cet appel, les muscles d'Emeor s'élancèrent, attendirent que les deux soldats sortent et fermèrent la lourde porte. Tandis que la jeune femme prit le premier virage à gauche, le Lieutenant, lui, poursuivit sa course. Droit devant. Il récolterait les informations une fois les soldats réunis. Pour l'heure, ils se devait d'être le plus rapidement possible sur place. La situation devait se clarifier le plus rapidement possible. Quoi qu'il en coûte. La course, en réalité peu rapide aux yeux d'Emeor mais il tenait à parler au coursier et ne voulait guère le perdre, amena alors nos deux compères de fortune à se rapprocher de leur point d'arrivée. Parfait.

    " Je vous ai sous la main, pas question de vous laisser partir. J'aurai besoin d'un coursier si d'autres soldats sont nécessaires. J'espère que vous serez prêt. J'aurai des questions à vous poser une fois l'affaire résolue. Nous en parlerons en temps voulu. Des questions soldat ? "


    Les beaux prochains actes se voyaient ainsi totalement chamboulés. De nouveaux protagonistes - plus simplement des personnages secondaires - faisaient alors leur entrée tandis qu'une péripétie majeure advenait. Le spectacle grandissait. Emeor, lui, réfléchissait. Voilà tout son beau programme chamboulé. Il avait bien des choses à faire en compagnie de la jeune recrue. Il faudra faire avec et voir comment agencer les diverses activités prévues par la suite. Pour l'heure, agissons.
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
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    Re: Nouveau départ
    Sam 11 Avr 2020 - 12:23 #
    Emeor lui prit la main et la serra. Et c’était sympa, mais pas du tout ce qu’il avait en tête. Souriant franchement, non pas par fierté mais parce que la méprise du lieutenant quant à ce qu’il avait en tête l’amusait, il allait répliquer à son supérieur que, justement, il avait l’intention de lui montrer certaines améliorations de son pouvoir, lorsqu’ils furent coupés par une jeune femme entrant en trombes dans la salle d’entrainement. Elle finissait visiblement une course endiablée, reprenant son souffle à grandes goulées, et il lui fallut quelques instants avant de présenter le salut protocolaire. Que lui renvoya Emeor, en bien plus propre et altier, bien évidemment. Dans son coin, celui que le coursier adressa à la soldate avait plus des allures amicales que professionnelles. Elle paraissait un peu plus jeune que lui, et ses courts cheveux blonds lui arrondissaient encore le trait juvénile de son visage. Après un bref nouvel aller-retour sur la silhouette de l’espion, les yeux verts se posèrent définitivement sur celle du lieutenant.

    - Lieutenant, soldat Blatz au rapport ! On nous a signalé une petite émeute sur la place du marché, on sait pas encore si c'est une bagarre ou un marchand qui brade de la marchandise. Je... J'ai pensé devoir vous avertir. Les deux autres Capitaines n'étant pas disponibles je...

    « Lieutenants », corrigea mentalement Calixte en observant la scène. Etrange que sa jeune camarade ait couru aussi rapidement les avertir de l’affaire avec si peu d’éléments, songea-t-il. Ils auraient l’air fins les gradés de la Garde s’ils se précipitaient en ville à chaque fois que c’était jour de marché. Mais peut-être qu’Emeor Calyx avait justement quelques courses à faire ? Ou peut-être que le lieutenant, un peu rigide dans sa gestion, aimait être informé du moindre éclat au Grand Port. Possible. Ou peut-être que, méticuleux dans son professionnalisme, il ne savait refuser l’appel d’une mission potentielle, et cela encore moins si elle venait sous la forme inquiète de l’une de ses recrues. Plus probable, déjà. Car tout comme l’homme avait tenu à rectifier sa position au tir à l’arc malgré son insolence évidente, il devait déjà trépigner à l’idée de vérifier que tout était bien en ordre dans cette ville dont il avait la charge. Etrange mélange de besoin de contrôle et de désir d’action. Etrange enrobage de bienveillance solennelle. Les yeux à nouveau rivés sur le visage sérieux d’Emeor tandis que celui-ci donnait ses ordres, Calixte ne pouvait s’empêcher de sourire à l’esquisse d’un plan espiègle se dessinant dans son esprit.

    Sans un regard pour son sac qui restait ainsi abandonné dans un coin de la salle d’entrainement – Apolline serait bien à même de garder ses affaires et si le lieutenant n’avait pas jugé nécessaire de fermer la porte de son bureau à clefs c’était qu’il y avait bien une raison – le coursier emboita le pas déterminé de son supérieur. Plus grand que lui, Emeor avait aussi une foulée plus puissante. Ce qui n’était pas gênant pour Calixte qui avait l’habitude de passer son temps à courir, mais qui rendait ses mouvements et ses observations encore plus maladroites. Il était bien plus dans son élément à travailler seul, en observant de loin sa cible, et à déterminer le moment précis où son interaction serait nécessaire et optimale. A juger des accélérations et des pauses par lui-même, à ne se soucier que de sa personne. Les missions en groupe, sauf si ledit groupe n’était composé que d’espions, étaient pour lui un casse-tête sans nom.

    - Vous aimez le thé ? interrogea-t-il en passant complètement outre le fait que si Emeor lui demandait s’il avait des questions, elles devaient certainement être liées à leur activité militaire. Il parait qu’il y a de merveilleux salons le long de la rue principale menant aux quais.

    Ils eurent rapidement fait d’arriver au corps de garde à l’entrée de la Caserne, et l’on munit le coursier de la panoplie de base pour une intervention. La jeune soldate Blatz les rejoignit sur ces entrefaites, accompagnée de deux autres militaires, qui devaient être Heyr et Ohmund. Après un nouveau garde-à-vous réglementaire, la petite escouade quitta le bastion pour s’engouffrer dans les rues du Grand Port. Depuis son arrivée matinale, le soleil avait bien entamé sa course dans le ciel. Un vent brusque et iodé avait posé son voile sur les reliefs de la ville, caressant l’animation battant son plein d’un peu de fraicheur. Les soldats Calyx et Blatz en tête, Calixte se laissa guider de rue en rue par l’organisation bien huilée. A l’image de leur lieutenant, les trois autres militaires avaient acquis une harmonie toute efficiente dans leur façon de procéder. Et si les formations ou les manœuvres ne connaissaient pas de grandes disparités entre les différentes Casernes à travers le Royaume, on pouvait tout de même noter certaines spécificités selon le terrain. Et le chef d’escouade.

    Ils entendirent la clameur de la place du marché avant d’en apercevoir les contours, et ça n’était jamais très bon signe. Tout comme les badauds affolés qui s’en échappaient pour disparaitre dans des rues moins animées. Aux fenêtres donnant sur le lieu, quelques curieux tendaient le cou pour mieux profiter du spectacle. Et quel spectacle ! Sur une circonférence d’une trentaine de mètres, ça se mettait joyeusement sur la gueule. De manière, pour le coup, peu protocolaire. Ça se battait principalement à coups de poissons, voire de légumes trainant sur les étalages à portée de main. Il semblait que l’océan avait craché là ses entrailles pour déverser quelques bancs de créatures marines. Il y en avait partout. Au sol, sur les murs des bâtiments adjacents, entre les fruits des autres stands, pendus aux rambardes des balcons, entre les doigts des belligérants, dans le cou des spectateurs plus ou moins volontaires. Ça n’était ni une braderie, ni une petite émeute. Blatz avait eu du flair : c’était un bordel sans nom.

    Retenant Heyr qui glissait sur un maquereau échoué, Calixte manqua le mouvement d’esquive d’Emeor devant lui. Et il culbuta sous l’assaut d’un dumctopus projeté énergiquement contre son visage.
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    Re: Nouveau départ
    Sam 18 Avr 2020 - 23:12 #
    Le soleil les regardait, de haut, les jugeant, les toisant ; lui, sa course était lente, il ne s’essoufflait pas, malgré la routine habituelle et se permettait, ainsi, d'adresser ces regards méprisants à ces deux mortels, ces deux soldats qui s'époumonaient ridiculement à courir ainsi. Lui, astre céleste, spectateur, se régalait de ce tout nouvel acte imprévu qui venait ainsi chambouler les plans de la magnifique intrigue qu'un simple acteur cherchait à tisser ; Emeor n'était qu'un acteur, un personnage et en rien un auteur, encore fallait-il le reconnaître. Ses jambes se déployaient, frappaient durement le sol - soulevant au passage la poussière qui tenait de dormir en les longs couloirs, vaine tentative -, son torse se bombait à intervalle régulier, ne faisant qu'accentuer sa posture ridiculement rigide qui contrastait grandement avec la souplesse de sa course. Il fallait agir. Et vite. Des soldats qui marchaient tranquillement, les nez en l'air, sursautèrent ; ils ne s'attendaient guère à voir ainsi le Lieutenant débouler en courant. Apparemment la nouvelle du raffut sur la place du marché n'avait pas encore traversé tout le Bastion, mais ça n'était qu'une question de temps, et si on en parlait à peine, alors, la mission du Lieutenant aura été effectuée avec brio, ce qu'il comptait bien faire au demeurant. Alors que son cerveau cherchait à établir un plan de la situation, à savoir quoi faire et dans quel ordre pour ainsi établir l'harmonie parfaite en cette douce ville - malgré quelques tempêtes saisonnières entre habitants comme celle-ci -, la voix de la toute nouvelle recrue parvint à ses oreilles. Il fronça les sourcils. Inutile. Superficielle. Voilà comment qualifier efficacement la question du coursier. Emeor l'ignora royalement. Une telle question n'avait guère sa place en cet instant, en outre, les goûts du Lieutenant ne devait pas - et de facto n'étaient pas - un sujet passionnant. Ainsi fut-elle oubliée, rejetée dans les tréfonds de la mémoire, après quelques foulées supplémentaires. Ils arrivèrent dans la Cour. Les ordres furent sommaires. Intervenir. Emeor se chargea personnellement de donner l'équipement nécessaire et vital au coursier. Et lui donna une épée assez courte et légère - à mi chemin entre une simple épée et une dague -, jugeant qu'elle conviendrait parfaitement à celui-ci. L'entraînement, s'il avait pu paraître futile, montrait ici une de ses facettes et, sans nul doute, la plus importante : mieux connaître les soldats du Régiment. En effet, de cette manière, les deux Lieutenants et le Capitaine - tout comme leurs subordonnés - pouvaient aisément choisir le matériel adéquat pour la situation mais surtout pour chaque soldat. L'efficacité du Régiment ne se fondait en aucun cas sur des mythes.

    La course reprit. Et le soleil les toisa toujours autant. Emeor prenait les devants - son grade mais aussi sa soif d'ordre l'exigeaient -, plissant d'ors et déjà les yeux pour apercevoir le plus tôt possible la situation. Un homme rentrait de larges caisses dans sa demeure et les dévisagea. Une femme étendait son linge et les dévisagea. Une vision bien étrange que ces quatre soldats, muets, qui couraient. Le bruit précéda la vue. La vue confirma l'ouïe. Quel chaos indescriptible. Le Lieutenant ouvrit les yeux. Une vingtaine ? Une trentaine ? Impossible de compter. Emeor soupira. Que d'enfants, voilà bien longtemps qu'une telle affaire n'avait pas eu lieu en cette douce ville. Par chance, le Lieutenant esquiva un poisson mais deux des recrues ne furent pas aussi chanceuses. Sans rien dire, il les aida à se relever et fit reculer la petite troupe. Il n'était nullement question de se blesser. Il continua à juger la situation. Il fallait agir. Rapidement. Heureusement, le Lieutenant avait un plan rondement mené. Il se mit en position, prêt à courir, prêt à frapper.

    " Soldat Heyr, vous savez ce qu'il vous reste à faire. "


    Et c'est tout. Rien de plus. Le soldat hocha la tête, et s'avança d'un pas timide. Il n'était pas grand, son regard trahissait sa timidité, mais, comme pour copier le Lieutenant, se mit droit, tout droit, droit comme un piquet, pour se grandir, ses cheveux roux éclataient face aux durs rayons de lumière. Il s'avança encore un peu. Prit une inspiration.

    "Au nom de la Garde, cessez immédiatement votre bagarre. Vous serez sévèrement punis pour tout acte violents perpétrés à l'encontre de vos camarades ou de la Garde !"


    Emeor sourit. Un pouvoir bien utile pour un petit homme timide mais efficace. Voilà qu'il était bien. Il était temps de passer à la deuxième phase. Beaucoup d'hommes et de femmes avaient entendu ces paroles et regardaient, d'un air abasourdi tels des ignares, le petit groupe. Certains essayaient de se relever, certainement pour fuir. Il n'en était pas question. Le Lieutenant s'avança. Jugeant de son regard glacial la troupe. Le chaos n'avait pas cessé pour autant et il dût esquiver un légume qui s'écrasa, malheureusement, sur la figure de la jeune recrue. Pas de chance. Le Lieutenant ne dit rien et hocha, simplement la tête. Ainsi les deux autres soldats s'écartèrent. Tandis que le soldat Blatz cherchait à écarter tous les curieux de la zone, le soldat Ohmund cherchait à empêcher les personnes les plus proches de partir. Emeor se retourna vers le jeune coursier, l'air toujours grave et sérieux. Après tout, la situation l'exigeait.

    " Vous allez bien soldat ? Certains se sont arrêtés mais pas d'autres. C'est très simple, on les écarte. Je m'interpose, vous couvrez mes arrières avec votre pouvoir. Compris soldat ? "
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
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    Re: Nouveau départ
    Mar 21 Avr 2020 - 22:48 #
    Les pavés de la rue sous son séant n’avaient rien d’accueillant, et il grimaça au choc de la chute. Tirant sur les appendices ventousés du dumctompus, il galéra un moment avant de réussir à se débarrasser de la créature collante. Lorsque ce fut enfin le cas, il attrapa la main tendue du lieutenant afin de retrouver une position verticale, plus propice à l’action. Ils reculèrent un peu, pour mieux appréhender le joyeux foutoir qui s’offrait à eux, puis Emeor sembla venir à une conclusion. D’un ton calme, il invita – ordonna – au soldat Heyr de faire… de faire ce qu’il avait à faire ? Intrigué, Calixte posa son regard sur son camarade qui s’avançait timidement au-devant du groupe. Avait-il un pouvoir particulier permettant de mettre rapidement un peu d’ordre dans ce désordre ? De faire disparaitre les poissons éparpillés un peu partout ? De trouver aisément l’origine de l’animation ? L’homme s’arrêta à quelques pas d’eux, droit comme un i, les mèches rousses scintillant sous les rayons du soleil, et prit une inspiration. Avant de leur exploser les tympans. Surpris, l’espion réfréna un mouvement de recul instinctif.

    Il ne fut évidemment pas le seul à être étonné de l’injonction, et une immobilité toute incrédule s’installa le temps de quelques secondes sur la place. On cherchait qui avait bien pu crier l’ordre. On cherchait si la Garde était effectivement bien arrivée. Puis, dans un ensemble de cacophonie harmonieuse, chacun se reprit. Et la rixe poissonnière reprit de plus belle. Enfin, l’autorité de la Garde du Grand Port sembla tout de même faire son effet sur une partie des participants de l’animation qui s’écarta penaude du cœur de l’action. Prête à laisser les militaires intervenir, ou prête à prendre la fuite. Ça sentait un peu l’amende cette histoire, et les bourses les plus craintives commençaient à regretter leur implication. Les yeux balayant rapidement les silhouettes belliqueuses à la recherche de l’épicentre de l’affaire, Calixte manqua les tirs de légumes dans leur direction, et reçut quelques bulbes d’oignon. Parfait. Comme s’il avait besoin de quelques retouches à son parfum actuel de mollusque. Grimaçant et esquivant les derniers jets en voulant à son intégrité, il jeta un rapide coup d’œil au déploiement de ses camarades. Et à son supérieur qui se tournait à présent vers lui.

    - Heu je… oui, non.

    Et pendant qu’Emeor le regardait avec ce qui semblait être une pointe d’exaspération et de contrariété, l’espion se demanda ce que son pouvoir pouvait bien apporter aux arrières du lieutenant. Il fut néanmoins sauvé par une nouvelle voix qui se leva clairement par-dessus la cacophonie de la rixe.

    - Ça suffit ! Papa, ça suffit ! Dis-leur de les laisser tranquilles ou tu ne me verras plus jamais à la maison !
    - Mais enfin Suzie…
    - Maintenant Papa !
    - Oh les gars, stop ! Stop, stop, STOP! Hé bonjour monsieur le garde, désolé pour le bordel. Hé toi ! On avait dit pas touche aux crabeaux ! Lâche-moi ça tout de suite ou c’est ce mérou que tu vas te prendre dans la gueule !
    - Tout le monde sait que tes crabeaux valent pas un cristal !
    - Tu sais où tu peux te le mettre ton cristal !?
    - Papa, stop ! … Edouard !
    - Edouard ?! Sale petit fumier, si tu oses…
    - Ca suffit Papa ! Edouard !
    - Suzie !

    Légèrement penché pour observer la scène derrière la haute silhouette d’Emeor, Calixte retint un sourire. S’il s’agissait bien de ce dont il pensait, c’était ridicule. Et amusant. Pour lui. La charge administrative qu’allait demander l’évaluation de ce joyeux boxon allait être une toute autre paire de manches. Enfin, peut-être que c’était le genre de défi logistique qui faisait frémir d’excitation le lieutenant à l’organisation bien rodée. Ca paraissait son style.

    Car pendant que Suzie rejoignait Edouart en pestant contre son père et ses associés qui avaient jugé bon de faire voir à la famille du jeune homme que ce dernier ne méritait guère de s’approcher de la donzelle, à grands coups de poissons dans la tronche pas moins, les belliqueux qui s’étaient greffés à l’agitation de la place sans en connaitre l’origine se regardaient comme des ronds de flan. Bientôt, ces derniers réalisèrent que l’objectif de la rixe ne valait peut-être pas le risque de se mettre à dos la Garde, et l’espace de quelques secondes, un mouvement de foule se créa de l’arène aux senteurs iodées vers les rues adjacentes plus tranquilles. Laissant au centre du tumulte, la famille du père poissonnier faisant face à celle du jeune homme tenant la main de Suzie. Si c’était pas mignon. Et cliché. Et tellement amusant pour un premier jour d’affectation au Grand Port.

    Bien qu’observant d’un œil curieux les protagonistes se faisant toujours face, Calixte ne manqua pas les gestes efficaces de ses camarades interceptant les fuyards et les organisant en groupes plus facilement contrôlables, ni l’arrivée de deux escouades supplémentaires. Le chaos de la place avait finalement dû atteindre les oreilles du Bastion, qui avait jugé que la seule équipe du lieutenant ne suffirait peut-être pas en terme de gestion numérique. A raison. Et si beaucoup échappèrent aux mailles du filet militaire se tendant peu à peu sous les ordres concis d’Emeor Calyx, le calme et la discipline fut bientôt la règle pour ceux arrêtés par les soldats. Bientôt, seul l’épicentre de l’explosion de la marée de poissons continua son effervescence vindicative, et le lieutenant parut décider qu’il était temps d’aller saisir l’affaire à bras le corps.

    Suivant son supérieur dont il était toujours censé protéger les arrières, Calixte s’avança avec curiosité.

    - C’est des bons à rien, ces gens-là Suzie ! T’as vu les légumes de leurs étales ? Une vraie daube !
    - Papa !
    - Parce que ta poiscaille tu crois qu’elle sent la fraicheur ? Mon Edouard vaut bien ta Suzie !
    - Maman !
    - Tu crois qu’il va te rendre heureuse Suzie ? T’as vu comme les hommes de cette famille sont bien présents hein ? Un ou deux mômes et il te laissera seule pour les élever tout en tenant le stand sur le marché, tandis qu’il ira courir d’autres jupons ! De vrais crevards !
    - Papa…
    - Hé y en a un qui a du mal à voir la poutre dans son œil ! Elle est où ta femme, poissonnier ? C’est mon Edouard qui va se retrouver déplumé du jour au lendemain parce qu’elle aura soudain l’envie de prendre le large !
    - Maman…
    - Franchement regarde, Suzie ! Qu’est-ce que tu lui trouves ?! Prends plutôt un homme comme le lieutenant, là !
    - Si tu crois que ta Suzie mérite un tel soldat, pf. Il choisirait mon Edouard à ta Suzie sans sourciller ce lieutenant, j’en suis sûre !

    Une quinzaine de paires d’yeux se tournèrent vers Emeor Calyx, attendant son verdict. Ceux de Calixte aussi, même s’il avait déjà une petite idée de la réponse. Enfin, ça aurait au moins eu le mérite d'être drôle jusqu’ici.

    - Alors lieutenant ?
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    Re: Nouveau départ
    Dim 10 Mai 2020 - 21:12 #
    Peu à peu, le chaos se calmait. Peu à peu, les choses s'arrangeaient. Quelques uns tentaient, vainement de fuir, mais les renforts de la Garde affluaient d'ors et déjà, ne leur laissant guère l'opportunité de partir. Peut-être deux ou trois personnes avaient-elle réussi à partir, mais pas plus. Emeor supervisait, le dos toujours excessivement droit - pitié, sortez lui ce bâton du... -, la place, la scène, regardant les hommes et les femmes qui tentaient de se calmer. Doucement, le Lieutenant fut capable de deviner, puis de parfaitement voir, l'épicentre de l'ensemble du chaos. Tout avait ainsi débuté, s'il suivait bien la situation, par une querelle bien idiote, bien stupide, bien superficielle entre un père et sa fille. Emeor se retint de hausser les sourcils, de lever les yeux au ciel ; la plupart des participants à cette rixe ne savaient même pas dans quoi ils s'étaient engagés, n'avaient guère pris le temps de saisir le dilemme qui agitait cette petite famille ; il faut croire que les pulsions humaines sont trop importantes et ne peuvent être contrôlées. Le Lieutenant, lui, tentait bien de réprimer toutes ces pulsions qui l'agitaient à divers moments - lors d'un achat compulsif par exemple, il ne lâchait pas ses mains de sa bourse, s'assurant ainsi de ne pas acheter un objet qui ne pourrait que lui apporter du regret. Ainsi donc finit-il par s'avancer, tandis que les autres soldats s'occupaient des autres malheureux participants, vers les quatre personnes réellement concernées ; ceux-ci continuaient à s'insulter, ignorant purement et simplement la présence des gardes ; voilà une attitude qui ne plaisait guère au Lieutenant. Il fit quelques pas supplémentaires, aucune hésitation ne se ressentait en ces gestes puisque, parfaitement confiant, il avait conscience d'agir au nom de la loi et de la justice. Avant de prendre la parole, il jeta son regard glacial sur le reste de la place, où un calme relatif régnait à présent ; les dégâts ne prenaient pas des proportions énormes et beaucoup de civils arrêtés se verraient écopés d'une légère amende - une dizaine de cristaux voire une vingtaine pour les plus vindicatifs - et seraient, une fois la chose réalisé, libres de circuler en la ville, à condition de ne point troubler à nouveau l'ordre public. Emeor ne pouvait s'offrir d'autres choix quant à la restauration de la paix. En effet, tous les arrêter s'avéreraient inutiles et ajouteraient du travail tout aussi inutile à la Garde ; l'amende se présentait comme le seul moyen de persuasion efficace afin de leur faire comprendre la gravité de ces actes, de les punir, et, par dessus tout, de faire régner la justice. Le Lieutenant jeta un léger regard derrière lui, s'assurant ainsi que le jeune coursier fût toujours à ses côtés ; Emeor invita ainsi ce dernier à s'avancer afin d'assister à la scène finale de cette acte : la résolution.

    " Mesdames, monsieur. Veuillez vous calmer. Vous réglerez vos différends au sein du Bastion de Grand-Port. Vous avez troublé l'ordre civil et une simple amende ne nous permettrait pas de régler tout cela. En outre, vous avez besoin d'aide pour régler votre conflit de manière civilisé, la Garde vous y aidera. Si vous voulez bien nous suivre dans le calme, sans quoi je suis autorisé à user de la force. "


    Simple, rapide, efficace. Le Lieutenant surplombait les quatre coupables de toute sa hauteur et leur adressait son regard, encore plus glacial. Son ton oscillait entre un rigorisme calculateur et froid et un réconfort inattendu ; quoi qu'il en soit, son charisme d'homme militaire irradiait en cet instant la large place. Ses paroles et sa simple présence suffisaient à faire taire les coupables ; si tenté que l'on pût les appeler ainsi. Le père bougonna, la mère pâlit, la jeune fille se mordit les lèvres et le jeune homme soupira ; Emeor avait jugé utile et nécessaire de régler leurs affaires dans des conditions particulières pour éviter tout débordement ; en effet, de telles situations débouchaient bien trop souvent sur des injustices irréparables que le Lieutenant haïssait au plus haut point ; cette famille serait entre de bonnes mains avec la Garde qui ne les retiendrait guère plus longtemps que quelques heures ; en effet, enfler les menues prison de la Garnison de leur présence ne s'avérerait en rien nécessaire, bien au contraire. Deux Gardes finirent par arriver, deux autres également. Emeor leur énonça rapidement les ordres, succinctement ; et ils partirent. Le Lieutenant se tourna vers le jeune coursier. La jeune recrue devait être bien secouée par de tels événements si rapides et exceptionnels. Mais, voilà qui serait bien utile pour le former rapidement. La théorie était, certes, efficace, mais n'égalait en rien la pratique sur le rude terrain.

    " Vous allez bien j'espère ? Ce style d'événement n'arrive que très rarement, il fallait que ça tombe sur votre première journée au sein du Régiment. Cela vous aura permis de considérer un peu la ville et ses habitants, voyons le bon côté des choses. Bien. Suivez moi soldat, on a encore des choses à faire. Retour au Bastion !


    Le chemin fut plus long. Certainement parce qu'Emeor avait adapté sa vitesse de marche. Il ne fallait pas non plus penser qu'il prenait son temps, se baladant. Il marchait, suivi de près par le jeune coursier et jetait, de temps à autre, des regards vers celui-ci. Soudain, il finit par s'arrêter, en plein milieu d'une petite place ; celle-ci était un carrefour où trois rues se croisaient en un point unique, chacune menant vers des destinations différentes. Le Lieutenant leva les yeux. Le soleil déclinait déjà. Le rouge chatoyant grignotait le ciel. Un frisson le parcourra. Les autres gardes n'étaient plus là, Emeor avait distribué succinctement les ordres. Et si... Pour une fois ? Que risquait-il ? Il avait le temps, n'est-ce pas ? Il pouvait se le permettre, non ? Il se retourna alors violemment vers le jeune coursier et planta ses yeux dans ceux du jeune homme. Toujours le même regard... Mais, quelque chose d’infiniment infime avait changé. Qu'était-ce ? Nul ne sait.

    Auriez-vous envie de faire quelque chose de particulier avant de clore la journée sur un bilan général soldat ? Quelque chose pour vous permettre de bien saisir les enjeux de votre poste bien évidemment. et je n'aime pas les tavernes.... murmura-t-il dans sa barbe inexistante.
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