Et peut-être qu’il ne connaissait pas aussi bien ses ruelles, ses passages, ses cachettes, ses traîtrises, ses secrets et ses trésors que ceux de la Capitale, mais ses pas l’avaient rarement trompé et redécouvrir la cité portuaire bouillonnante était un réel plaisir. Les effluves de la mer remplaçaient peu à peu l’odeur ferreuse qui l’avait suivi jusque-ici. Le roulis des vagues se brisant sur la jetée se substituait au silence accusateur. L’éclat étincelant de la pierre calcaire dérobait les visions macabres imprimées sur sa rétine. Le climat océanique tempéré réchauffait doucement les pores de sa peau et les fragments de son âme. Les souvenirs funestes s’étiolaient sous l’écume renouvelée. Petit à petit, la vie reprenait des couleurs.
Il n’avait pas encore autant d’affinité avec ses collègues du Grand Port qu’avec ses anciens camarades de la Capitale, mais la présence d’Apolline et Kaname suffisait à modérer ses rares accès mélancoliques. Et puis il y avait tellement à découvrir et expérimenter en ce nouveau milieu d’évolution professionnelle et personnelle. Sa curiosité à nouveau titillée laissait peu de place à la contemplation amère. C’était d’ailleurs ainsi qu’il s’était laissé embarquer dans une patrouille de routine avec quelques gardes sympathiques alors que son propre travail de coursier stagnait en cette journée tranquille. Puis, une fois l’assignation terminée, d’accepter leur proposition de se retrouver un peu plus tard dans la soirée pour se rendre à l’un des nouveaux bars branchés du Grand Port. Si Emeor avait entendu que le plan de ses hommes était de picoler, il aurait certainement eu un écart de sa routine impassible et aurait sorti sa rapière pour les remettre dans le rang.
Après un brin de toilette – les embruns ça laissait une pellicule salée un peu irritante à la longue – et avoir changé ses affaires pour quelque chose d’un peu plus habillé, Calixte était retourné arpenter les rues alors embrassées par les ténèbres et avait rejoint l’adresse qu’on lui avait donnée. Aux deux derniers étages d’un bâtiment surplombant les autres, un bar tendance accueillait un peu de monde. Visiblement, un évènement était en cours – probablement à l’occasion de l’ouverture récente du lieu – et les hôtes déambulaient endimanchés. Des globes lumineux aux teintes chaudes éclairaient les terrasses et des braseros réchauffaient l’atmosphère. De confortables banquettes recouvertes de coussins duveteux accueillaient les clients, et même si beaucoup restaient debout à discuter, des groupes s’étaient déjà rassemblés par affinité sur les assises autours des tables basses. Par endroits, le tissu faisant office de toit et de protection avait été replié, et l’on pouvait contempler le ciel dégagé.
Calixte avisa ses collègues de la Garde et les rejoignit. Le choix de boissons était apparemment assez large, du digestif au jus de fruit en passant par la tisane, et des mignardises étaient disposées sur des plateaux que les serveurs faisaient passer entre les convives. Et la soirée aurait pu être magnifique en compagnie amicale, une tasse chaude entre les mains, sous les étoiles scintillantes du firmament. Si sa sœur aînée, qu’il n’avait pas du tout aperçue en arrivant, ne l’avait tiré de son cercle de connaissances d’une pirouette ingénieuse, pour lui déclarer « c’est le moment de faire honneur à ton nom, fais-moi plaisir et vas donc servir ce plateau à la femme là-bas ». Visiblement une autre urgence attendait son aînée ailleurs, et il était toujours utile d’avoir un Alkhaia de Eliëir sous le coude, même s’il s’agissait du vilain petit canard.
Pas contre découvrir de nouveaux horizons ni de nouvelles relations, après un geste d’excuse à ses collègues, Calixte partit donc aborder sa cible désignée. Dont il n’avait aucune idée du nom, du titre, ou de l’influence potentielle. Il savait juste qu’elle pouvait être cliente de la Prévoyance si chère à sa famille, et c’était suffisant pour agiter la fibre ridiculement loyale qu’il avait encore pour cette dernière. La femme était un peu plus âgée que lui – probablement une trentaine d’années – avait des traits fins, et une longue chevelure argentée. Ses vêtements, élégants au demeurant, étaient sobres. Elle était belle, et visiblement à son aise entre ces gens pour la plupart de situation noble. Mais elle se tenait tout de même en retrait, observant les autres invités, l’onde de l’océan se fondant au loin dans l’obscurité de la nuit, et les abstraits dessins des constellations au-dessus de leur tête. Qui était-elle ?
L’espion posa le plateau devant la jeune femme. Une tasse fumante, similaire à la sienne, y était posée. Accompagnée de quelques douceurs.
- Calixte Alkhaia de Eliëir, se présenta-t-il avec un sourire. Puis-je me joindre à vous ?
Heureusement, la fin de journée arriva enfin, même si je n'avais pas d'horaires précis. J'en profitais pour me rendre aux bords des quais afin d'observer chacun des navires présents, je les inspectais d'un regard discret tout en jugeant leur construction. Des entreprises rivales les avaient fabriqués à cause de mon crétin de paternel qui m'avaient fait déserter cette magnifique ville durant ma jeunesse après la disparition de ma mère... Trop louche cette histoire et j'allais peut-être un jour m'y attarder quand le travail sera moins imposant.
Ma route continua en direction des bords de quais ou s'attroupait les commerces de poissons, l'odeur frappa les narines, mais au moins, j'étais sûr d'avoir des produits frais de l'océan dans mon assiette comparé à la capitale. Un souvenir me revint : un poisson périmé... Mon estomac refit un tour sur lui-même en y repensant. Paternel de merde. Au moins, un commerçant me vit sortir de mes pensées en me remerciant d'avoir permis l'ouverture de son magasin et me promit de me garder de la raie abyssal si ses fournisseurs lui en trouvaient une... Trop de gentillesse en eux et j'allais en profiter. Cette viande est si douce pour le palais... J'en bavais d'avance pour retourner dans mon bureau afin de me changer pour arborer à nouveau ma tenue favorite : mon manteau long noir ainsi que mon tricorne ainsi qu'un carnet rempli de feuille vierge pour dessiner.
J'avais décidé de profiter de ma soirée et de me vider l'esprit en retournant en ville pour aller boire quelques verres dans l'une des tavernes que j'avais permis l'ouverture des semaines auparavant, j'avais déjà passé quelques soirées là-bas. Le lieu possédait une certaine prestance qui arrivait à attirer la basse noblesse tout en laissant la place aux classes moyennes, certains avaient grincé des dents, mais j'avais trouvé l'idée audacieuse pour percer. Étant arrivé tôt, je pus obtenir l'une des meilleures places du bâtiment sous le toit de tissu avec une vue sur l'océan. Je m'évadais tout en consommant des petites douceurs à base de poissons. J'en oubliais même de prendre un verre.
Une heure passa rapidement dans mon coin, les douceurs avaient disparu, mais mon carnet de dessin commençait à se remplir de divers dessins de navires, des détails ou encore de mon animal totem : les Tanhiwas. Je n'avais même pas remarqué le nombre de personnes qui avaient débarquer dans le bâtiment, des visages me disaient quelques choses. J'allais m'amuser à les observer un peu tout en commentant un thé chaud ainsi que de nouvelles friandises. Tiens la famille Bidinox connaissait cette taverne, ce jeune couple de basse noblesse avait décidé de s'installer dans le coin, j'avais vu leur dossier passer sur mon bureau. Je vis également de soldats en tenue de civil, des têtes restaient en mémoire.
Puis je vis ma commande revenir enfin à ma table en compagnie d'un charmant jeune homme, je ne me souvenais pas de sa tête. Est-ce qu'il travaillait ici ? Peu importe il m'avait apporté ma boisson et il ouvrit la discussion en se présentant sous le nom de Calixte Alkhaia de Eliëir. Ce nom était connu dans le Grand Port surtout pour un domaine précis : les assurances. C'était la spécialité de cette famille en se faisant des sous sur les sinistres des autres. En dehors de ses origines, ce blondinet avait un joli minou et je n'allais pas lui refusé ma table. Je lui souris tout en me présentant à mon tour :
- Sorna Morgiane. Asseyez-vous donc, Monsieur Alkhala. Comment allez vous et votre famille ?"
J'examinais ses réactions face à mon nom qui devait lui faire lien avec ma profession de gouverneure de cette ville. J'en profitais pour y saisir ma tasse et d'y poser mes lèvres pour goûter le thé avant de reprendre la discussion simplement en pensant à mon assistante qui serrait fière de me voir boire du thé. Puis, je repris la parole :
"- Je me souviens de la tête de vos parents ainsi que de l’aînée de la famille mais pas de vous. Vous êtes le combientième de la fratrie ? Par simple curiosité, bien sûr."
Je vis des regards se poser sur nous et l'un des gardes plaisanter à cette vue, des blagues grivoises typiques du bas peuple ou des soldats :
" - T'as vu Cal, à peine arrivé, il fonce direct vers la gouverneure... Il en a dans le caleçon.
Je soupirai intérieurement tout en questionnant mon nouveau camarade de tablé :
"- Des camarades à vous ? Vous êtes donc la voie militaire de votre famille ? C'est pour ça que je ne vous connais moins que votre sœur aînée, vous n'êtes pas sur le devant de la scène."
J'attendis ses réponses tout en reprenant un toast de poisson en souriant. Je me devais de mieux connaître chaque personnes de ma ville. Soldat, noble et même les ripoux.
De manière assez évidente, il ne connaissait pas personnellement la femme à la posture altière face à lui. Mais les rumeurs étaient, après tout, son domaine. Et une telle personnalité n’échappait pas au radar des Alkhaia de Eliëir. Depuis qu’il avait rétabli ses quartiers au Grand Port, l’espion s’étonnait davantage chaque jour du propre réseau d’information de sa familles – et des Nobles en général – ainsi que de leurs centres d’intérêt sans cesse élargis. Il avait suivi de loin le remplacement de la famille d’Arpheos à la tête du gouvernement de la cité portuaire, et avait trouvé dans la presse de la Capitale quelques articles sur cette nouvelle Morgiane Sorna qui s’emparait du pouvoir. C’était une affaire qui n’avait pas vraiment intéressé les espions. Les choses s’étaient passées sans anicroches. Et s’il se doutait qu’il lui appartenait à présent d’avoir la Gouverneure à l’œil, Zahria ne lui avait pas laissé de consigne particulière. Même dans leur contexte… particulier.
Sur le papier, l’histoire de Morgiane Sorna était relativement simple et ne révélait rien de suspect. Originaire du Grand Port où sa famille versait initialement, traditionnellement, dans la fabrication de bateaux, elle avait cependant fait ses études à la Capitale alors que l’entreprise familiale baissait progressivement le rideau. C’était une affaire qui, si elle paraissait assez coutumière pour les artisans, faisait tout de même pincer les lèvres de certains Alkhaia de Eliëir. Forts de leur Prévoyance, il n’était pas rare que ce type d’évènement intéresse les détenteurs de celle-ci, et qu’ils s’y retrouvent impliqués d’une manière ou d’une autre. Et cela d’autant plus que le commerce était du Grand Port. Calixte avait bien essayé de récolter quelques informations sur cette affaire, mais les lèvres d’Enora étaient restées scellées. La Prévoyance, aussi, était entourée de secrets.
Revenue à la ville qui l’avait vue naître, Morgiane Sorna avait non seulement repris l’entreprise familiale qu’elle avait brillamment relevée, mais aussi débuté un travail auprès du précédent gouverneur Aragon d’Arpheos en la qualité de conseillère. Jusqu’à ce que récemment, l’intelligence et la chance, ne lui livrent finalement un poste à la hauteur de ses ambitions remarquables : celui de Gouverneure du Grand Port. Et pourtant, assise face à lui sur cette banquette du bar ayant tout juste ouvert ses portes, elle ne payait pas de mine. Certes, l’allure était impérieuse, soignées, indubitablement Noble. Mais le carnet qu’elle avait entre les mains, et le noir discret qu’avait laissé sur le bout de ses doigts son crayon à dessin, adoucissaient l’austère tableau que l’on pouvait attendre de la Gouverneure. Calixte se demanda pourquoi sa sœur l’avait envoyé au casse-pipe. Que pouvait-elle avoir eu de plus urgent que de s’entretenir avec la personne la plus influente des lieux ?
- Merci, Gouverneure. Je viens juste d’être réaffecté au Grand Port, et cela faisait un moment que je n’avais pas vu ma famille. Mais je crois que, comme pour la plupart des familles avec ses ententes et ses dysfonctions, nous allons. Pas nécessairement bien, ni mal, mais nous allons.
Imitant son interlocutrice, il continua à siroter son thé. A défaut d’apaiser ses nerfs comme l’aurait fait un digestif, le breuvage lui apportait une douce chaleur complémentaire au brasero posé à quelques centimètres de leur table.
- Je suis le quatrième de ma fratrie, répondit-il avec un sourire. De ma famille proche, seuls mes parents et ma sœur aînée, Enora, sont… politiquement actifs. Et vous connaissez probablement plus, de la même manière, mes grands-parents, oncles et tantes, aussi sélectionnés sur le volet pour nous représenter ainsi que présenter leur… notre Prévoyance, si chère à leurs yeux, continua-t-il en haussant les sourcils avec humour.
S’il voyait l’intérêt de la Prévoyance, il trouvait un peu ridicule tout le mystère et l’orgueil dont sa famille avait entouré l’affaire. Enfin bon, on ne choisissait pas sa famille, et on ne la refaisait pas non plus.
Un éclat de voix lui fit tourner la tête, et il rencontra le regard de ses collègues qui, pour le coup, n’avaient pas hésité à goûter les boissons alcoolisées. Levant les yeux au ciel étoilé, l’espion porta instinctivement sa main en porte-voix pour répondre :
- Pas autant que toi, Kilian ! Pas autant !
Pris à leur humeur festive, ses camarades accueillirent sa répartie dans un rire, et ledit Kilian lui leva deux pouces. Revenant à son auguste interlocutrice, il lui adressa un sourire contrit.
- Je vous prie de les excuser, et de m’excuser. En dehors de la Royale, nous restons un peu bruts de décoffrage chez les militaires. D’ailleurs, n’êtes-vous pas accompagnée d’un garde royal ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.
Son regard balaya rapidement la terrasse en chasse d’une silhouette militaire un peu plus éclatante que celle de ses collègues du régiment Al Rakija. Peut-être que la nouvelle Gouverneure n’avait pas encore eu l’occasion de s’intéresser à ces formalités. Ou peut-être n’en souhaitait-elle pas. Y avait-il une obligation pour les personnalités du Royaume à s’armer d’un garde du corps ?
- Les Alkhaia de Eliëir sont une vieille famille empêtrée de traditions. Dans chaque fratrie le premier enfant est donné à la Prévoyance, le deuxième à Lucy, puis le troisième à la Garde, récita-t-il en haussant les épaules. Et, normalement, la boucle recommence ensuite. Mais comme je ne suis pas très doué, on a estimé que ma médiocrité ferait moins de dégâts chez les militaires qu’auprès de l’entreprise familiale, ajouta-t-il dans un rire.
Ses doigts tapotèrent la tasse entre ses mains, et son regard se posa sur le carnet de son interlocutrice.
- Et vous, madame la Gouverneure, est-ce que le dessin est un héritage familial ? Croquez-vous du crayon vos sujets, votre ville ou bien les mystères marins ? Si vous me permettez cette simple curiosité, bien sûr.
Je pus sentir dans son regard le stress de se trouver face à moi mais il se repris vite en reprenant confiance en lui. Était-ce à cause de sa condition de soldat à garder son sang froid ou alors à sa famille ? Peut-être en tout cas, il me répondit vite en parlant de sa famille, qu'il était le quatrième. Ainsi que certains rites familiaux comme l'héritage d'une entreprise ou de la vie politique... Il continuait de parler de ses grands parents, parents et de sa soeur... Enora... Ah oui, c'était donc ça le nom de sa chère sœur. Elle était venue lorsque j'avais seulement pris mes fonctions, que je cherchais à adapter mes horaires de gouverneure et de chef d'entreprise. Elle m'avait commencé à parler de sa "Prévoyance" durant de nombreuses minutes avant de se faire congédier.
Puis intervention de son camarade changeant la donne durant quelques secondes, il se fit remettre en place par Monsieur Alkh'heir tout en me questionnant sur la positon d'un potentiel garde du corps ou un garde royale. Je soupirai à cette question tout en le voyant scruter les alentours à la recherche d'un soldat. Puis il reprit enfin son monologue sur sa famille en expliquant la raison qu'il le poussait à être militaire, il se disait médiocre tout en s'accompagnant d'un léger rire. J'en souriais après avoir fini mon thé :
" - Je vois, je vois. Donc vous ne connaissez en rien les secrets de votre famille. Au moins, je serai tranquille concernant votre Prévoyance, enfin j'espère.
Je pris un des amuses gueules afin de juger son regard de nouveau tout en reprenant la discussion sur la famille :
" - Les Alkhaia de Eliëir vous agissez comme la plupart des familles, les premiers héritiers gagnent tout comparé aux autres enfants. Mon père et mon frère cadet ont essayé de changer ma propre famille en coupant les ponts avec le Grand Port et t'étouffer la dernière vrai héritière Sorna alors qu'il n'était qu'une pièce rapporté... Oui je ne les considère plus de ma famille depuis un moment.
Je ne sais même plus c...."
Je fus couper par Kilian qui tentait de faire partir son camarade avec une excuse tout bidon, cependant je m'étais fait couper la parole et je n'appréciais pas spécialement ce comportement :
" - Viens Calixte, tu as assez gêné la gouverneure... Tu devrais revenir avec nous.
Je pense qu'on pouvait voir un rictus mauvais sur mon visage et surtout la présence d'une brume verdâtre se dispersa pour se reformer proche de moi afin de prendre la forme d'un Léviaran adulte... Ces créatures étaient courantes proche du rivages mais en voir un de près pouvait être impressionnant. Ma voix reperça le silence :
" - Retournez boire, loin de moi, Kilian. Je ne supporte pas qu'on me coupe...
Le gamin était trop concentré sur la créature pour se rendre compte qu'il s'agissait de mon pouvoir et prit ses jambes à son cou pour retourner de l'autre côté de la taverne tandis que je désactivais mon pouvoir en faisant disparaître la bestiole. La brume avait regagné mon corps.
" - Pardonnez moi, monsieur Alkhaia de Eliëir... Je me suis laissé emporter. S'IL VOUS PLAIT, DEUX AUTRES THÉS POUR NOUS. SUR MA NOTE.
Oui, j'avais recommandé une boisson car user de mon pouvoir pouvait me donner des coups de fatigues... Je voulais parfaitement reprendre ma discussion sans être couper de nouveau.
" - Je pense que vous avez la raison de l'absence d'un autre soldat royale à mes côté. J'en ai pas besoin à cause de mon pouvoir et de certains connaissances...
Je pensais avoir répondu à chacune de ses questions, enfin c'est ce dont j'avais cru comprendre. Le jeune homme face à moi, semblait avoir l’œil car il posa LA question qui changea en tout mon humeur. Le mystères des océans, c'était ça ma plus grande passion. Un large sourire sincère apparut sur mon visage. Et je repris ma discussion d'une voix plus apaisé tout en guettant l'océan lointain :
" - Oui, monsieur Alkhaia de Eliëir. L'océan attire mon esprit, chaque jour comme chaque vrai Sorna depuis la nuit des temps. Nous avons toujours construit des bateaux afin de faire progresser le pays, les vieilles histoires indiquent que mon ancêtre aurai aidé Diana JONES à cartographier le ciel... Je ne m'intéresse pas forcément au ciel mais tant de mystères restent à découvrir.
De plus, même si vous ne faites pas partis de la Prévoyance. Vous devez vous douter le domaine dont j'exerce en dehors de ma fonction de Gouverneur. Je cherche à redresser l'entreprise familiale...
- Non effectivement, je suis loin d’être le mieux placé pour vous parler de cette fameuse Prévoyance.
Alors pourquoi est-ce qu’Enora avait tenu à l’envoyer à l’abattoir ? Qu’espérait-elle de cet entretien ? Car s’il y avait bien une chose que Calixte avait appris de sa famille au travers des années, et relativement assez tôt, c’était que tous ses agissements avec une finalité. La Noblesse ne faisait pas dans le hasard. Tout avait un prix, tout avait une valeur, tout avait un usage. Alors quoi ? Enora avait-elle jusque-là fait chou blanc et tentait une approche différente ? Qu’est-ce que les Alkhaia de Eliëir pensaient gagner en laissant à leur vilain petit canard le soin de se présenter à la Gouverneure ? Peut-être allait-il le savoir avant la fin de la soirée. Peut-être pas. Rangeant dans un coin de son cerveau ses interrogations, il se réintéressa aux propos de dame Sorna. Qui, visiblement, avait elle aussi connu des déboires avec sa propre famille.
Il n’eut cependant pas l’occasion d’avoir toute l’histoire, car ils furent à nouveau dérangés par Kilian qui devait vraiment avoir trop bu. Déjà. La soirée risquait d’être pénible pour leurs camarades qui devraient se charger de le ramener à la Caserne. Calixte allait répondre à son collègue lorsqu’il nota l’apparition d’une étrange brume verdâtre… qui prit la forme d’un léviaran. Les doigts de l’espion sortirent instinctivement l’une des lames retours qu’il portait près du corps, et il observa la créature d’un œil prudent. Elle n’était pas connue pour être agressive malgré ses dimensions plutôt imposantes, mais ses griffes et ses crocs pouvaient néanmoins entailler sans soucis la chair humaine, si elle était d’humeur taquine. Son regard effectua un aller-retour sur la silhouette de la Gouverneure qui était bien proche de la bête ; il aurait été dommage que la Noble fût blessée alors qu’elle se trouvait en sa présence. Ça allait faire mauvaise presse à la Garde comme aux Alkhaia de Eliëir. Néanmoins, en dehors d’une mimique mécontente adressée à Kilian, la jeune femme n’accordait aucune attention au léviaran. Nulle inquiétude n’était visible sur ses traits. Un pouvoir ?
- Retournez boire, loin de moi, Kilian. Je ne supporte pas qu'on me coupe...
C’était bon à savoir. A la fois que dame Sorna avait peu de patience, qu’elle n’aimait pas être interrompue, et qu’elle semblait capable de manier cette étrange brume. Et peut-être ce léviaran.
Après un instant de surprise, Kilian, dont l’esprit critique s’était noyé quelque part dans l’une des coupes de cocktail, prit finalement ses jambes à son cou sans demander son reste. Et la créature redevint brume, et la brume se dissipa. Regagna le corps de la Gouverneure. Intéressant. Ce pouvoir qui lui rappelait celui de Rebecca. Pouvait-elle aussi s’en servir comme moyen de défense voire d’attaque ?
- Vous êtes toute pardonnée, commenta Calixte en rangeant son arme tandis que son interlocutrice repassait commande.
Parce qu’il était bonne patte. Et puis que bon, il était peut-être malvenu de tenir rigueur de ce type d’évènement à la personne la plus influente des lieux. L’espion n’était peut-être pas le plus habile concernant les relations diplomatiques, mais il n’était pas non plus suicidaire. Ça lui arrivait de pouvoir faire preuve d’un peu de bon sens sans avoir besoin d’une anti-sèche.
- Mais vous aiguisez ma curiosité, se permit-il d’ajouter en haussant les sourcils. C’était remarquable.
Peut-être assez, effectivement, pour justifier de l’absence de garde Royal.
- Cette créature aurait-elle pu faire du mal à mon camarade ? Ou n’était-elle que brume ? Qu’illusion, d’une certaine manière ?
Il finit sa tasse de thé, et nota avec un intérêt amusé que les serveurs étaient bien au courant du statut de son interlocutrice. La commande qu’elle venait de passer aurait difficilement pu arriver plus rapidement. Dans un murmure, il remercia la femme qui les débarrassait et posait devant eux de nouveaux breuvages, ainsi qu’une nouvelle assiette de mignardises « cadeau de la maison ».
L’attitude de la Gouverneure changea légèrement à la mention de son carnet de dessins, et l’espion apprécia la paix se saisissant doucement des traits tendus, sur le qui-vive. L’éclat rêveur remplaçant celui agacé des prunelles noisettes. Les lèvres esquissant un sourire effaçant le pincement hautain pourtant présent quelques minutes plus tôt. Le timbre, à la fois plus apaisé et plus passionné, de la voix. Que faisait encore cette femme amarrée à la terre, alors que son âme s’échappait visiblement au-delà de la côte, quelque part là où le bleu de la mer entrelaçait celui du ciel ?
- Oui, je connais l’entreprise de votre famille. Et j’ai effectivement entendu dire que vous vous efforciez de lui rendre ses lettres de noblesse. Avec assez de brio, si j’en crois la rumeur tout comme votre réussite sociale.
La chaleur de sa nouvelle tasse entre les mains, il posa un regard curieux sur la femme lui faisant face.
- Alors dites-moi : pourquoi est-ce qu’une femme aussi brillante que vous, dont le cœur et la main semblent appartenir à l’océan, reste à terre ?
Le devoir ? Les dettes ? Quelconques liens insoupçonnés ? Qu’est-ce qui empêchait dame Sorna, dont les yeux brillaient à l’évocation de la mer, de prendre le large pour remplir son carnet de dessins des mystères marins ?
" - Il ne risquait rien hormis une grande peur. Il ne s'agissait peut-être que d'une illusion produit par mon pouvoir. Personne ne le sait. Haha"
J'en souriais tout en apercevant le pauvre Kilian, très loin de nous. Il devait sans doute claquer des dents dans son coin. Je me concentrais de nouveau sur mon interlocuteur tout en lui souriant en laissant réchapper de la brume verdâtre. Au bout de quelques secondes, un trio de Chantelunes apparurent sur la table et commençaient à chanter doucement, le chant était semblable à celui des vrais oiseaux. Il allait faire les musiciens pendant qu'on continuait notre discussion qui dérivait sur l'océan.
Calixte semblait intéresse par mes connaissances. Ou sa famille lui avait conseillé de parler de mes passions afin de nouer un contact avec leur Prévoyance. Au moins, la discussion allait être passionnante s'il me posait pas une question fatidique : Pourquoi être gouverneure ? Je l'attendais celle-ci, je ne comptais plus le nombre de fois qu'on me l'avait posé depuis ma prise de fonction surtout avec mes passions pour l'océan.
" - Mon paternel m'a appris la politique durant l'exil à la capitale. Et de plus, même si je suis une femme de l'océan. Je ne peux pas oublier l'humain. J'ai décidé d'apporter de l'aide au peuple tout en la modernisant... De plus, j'ai l'espoir qu'un jour, on pourrai explorer par delà les océans... C'est un rêve pour ma famille depuis des générations.
De plus, je ne reste pas forcément sur la terre et profites des beautés de l'océan... De plus, je compte être une gouverneure innovante : posséder deux bureaux. Celui de base et un sur bateau... Je cherche un nom en rapport à certaines reines de notre royaume.
J'ai accepté ce poste car je trouvais ça légitime qu'une enfant de cette ville la dirige et la développe"
J'attendis de voir ses réactions tout en buvant calmement mon thé, il était parfait et j'avais bien fait de donner l'accord de l'ouvrir. Il allait se faire de l'argent grâce à moi. Ce fut à mon tour de lui poser des questions :
" - Et vous ? Monsieur Alkhaia de Eliëir, vous êtes revenu aussi à vos origines en revenant dans cette ville. Qu'est ce qu'il vous avait le plus manqué ? Pour moi, j'étais l'eau et les bateaux, je crois. "
Cependant, je voyais bien dans le regard de mon interlocuteur que les animaux d'illusions l'intriguaient. Je me permis de lui poser une suggestion :
" - Les animaux vous intriguent-ils ? Touchez les. Vous verrez s'ils sont dangereux."
Si le soldat décidait de toucher l'un des chantelunes, celui allait s'évaporer à son toucher pour réintégrer mon corps sous la forme d'une brume.
La Gouverneure entreprit de lui expliquer les raisons pour lesquelles elle avait choisi de rester à terre… pour le moment. Et Calixte devait avouer qu’elle lui avançait de beaux projets. Bien qu’il fût lui-même enfant du Grand Port, il était bien moins à la pointe du domaine maritime que ses contemporains aux familles vivant par, et pour, l’océan. Visiblement, dame Sorna connaissait son sujet, et en avait potassé l’étendu des possibles. Ça n’était pas un hasard si elle avait aussi brillamment réussi à raviver la flamme de l’entreprise familiale.
- J’avouerai ne pas avoir entrevu les choses sous cet angle, jusqu’à ce que vous me le présentiez. Voilà qui est innovant, commenta-t-il avec intérêt. Je ne me souviens pas qu’un, ou qu’une, Gouverneur de la ville ait déjà exercé de cette manière. Auriez-vous ainsi deux bureaux – et j’entends par là le groupe de conseillers – pour vous aider ? Ou un seul polyvalent ? J’imagine que ce sont vos locaux qui fabriquent – ont fabriqué ? – le bateau sur lequel vous comptez vous installer à mi-temps. A moins que vous n’en n’ayez acheté un ?
Le gouvernement de la ville était-il au courant de cette ambition ? La cautionnait-il ? L’administratif n’était pas forcément ce qui était le plus audacieux ni le plus rapide pour envisager le changement ; dans combien de temps dame Sorna pensait-elle mettre ainsi mettre le pied à l’étrier pour révolutionner l’organisation encroutée à la tête de laquelle elle avait été propulsée ?
- Avez-vous déjà pris la mer, Gouverneure ? Avez-vous déjà grimpé jusqu’à la vigie d’un navire ? Observé les créatures de la mer par-dessus le bastingage ? Echappé aux hauts-le-cœurs des hamacs tanguant ? Affronté le courroux de la tempête ? Ou est-ce qu’il s’agira de votre première aventure maritime ?
Réfléchissant aux interrogations de son interlocutrice, il ajouta :
- Je suis désolé, mais je serai de bien mauvais conseil pour un nom. Même en limitant les possibilités à ceux de nos reines. Peut-être serait-il être intéressant de demander l’avis de vos citoyens. A la fois pour mieux cerner la tendance, et les investir auprès de leur dirigeante comme elle s’investit auprès d’eux. Se faire connaitre et connaitre les autres.
Le regard de Calixte se porta à nouveau sur les créatures de brume. Les chantelunes avaient commencé à chantonner et, à ses oreilles néophytes, leur voix semblait en tous points comparable à celle de créatures réelles. Avisant le ciel étoilé et la rondeur de la lune bien visible, il déclara avec un sourire amusé :
- De vrais « chantent-lune ».
Il rit doucement.
- Et voici la raison pour laquelle je ne me permettrai pas de vous proposer des noms de navire. Ils seraient aussi ridicules.
Invité par son interlocutrice, il avança sa main vers l’un des oiseaux avec curiosité. A peine son doigt effleura-t-il la petite créature, que celle-ci se dissipa dans une volute verte pour regagner le corps de dame Sorna. Retenant une exclamation surprise, il ne put cependant empêcher un grand sourire de s’étirer sur ses lèvres.
- Y a-t-il une limite de nombre ? De taille ? De durée ? Pouvez-vous donner forme uniquement à des animaux, ou aussi à des humains, ou à des objets ? Cela vous fatigue-il ?
Se rendant compte qu’il s’était une nouvelle fois laissé dépasser par sa curiosité, il adressa un sourire contrit à la Gouverneure.
- Excusez-mon indiscrétion, j’ai tendance à m’emballer facilement, et rapidement. Vous n’avez bien évidemment aucune obligation à me répondre, si mes questions vous embarrassent.
"- Un seul polyvalent, je ne veux pas qu'on me voie comme une simple gouverneure. J'établirai les mêmes fonctions que dans mon bureau. Seulement le décor sera différent avec moins de trésorerie et plus de contact avec le peuple.
Surtout que certains affaires nécessitent l'avis du peuple et grâce à ce "navire", je pourrai avoir leur avis directement sur certains questions afin de favoriser le développement de chaque classes sociales."
Mes paroles étaient totalement à l'opposé des éducations de mon idiot de paternel qui priorisait d'aider les nobles avant le peuple qui n'était que de la main d'oeuvre pour lui. Néanmoins, je n'avais toujours pas répondu à la question de mon interlocuteur et je repris la parole après avoir goûter l'une des friandises.
"- Oui, ça sera une oeuvre de mon entreprise avec mes plans donc la production pourrai prendre du temps surtout qu'il faut que je trouve certains artisans uniques en leur genre pour pouvoir réaliser des pièces sur mesures."
Les chantelunes continuaient de chanter leur mélodie envoûtante tandis que la discussion dévia sur mon endroit favori sur cette terre : la mer. Il me questionnait sur le fait que j'avais pris la mer ainsi qu'à chaque recoin d'un bateau. Beaucoup n'avaient jamais pu le faire car la plupart des habitants préféraient être à terre et avaient peur de l'inconnu, des malheurs des océans. Je restais souriante.
"- J'y suis allé souvent. J'adore être sur l'eau surtout plus petite. C'est bien pour cette raison que j'ai repris l'entreprise familiale malgré mon exil forcé pour faire profiter de mon expérience à d'autres.
Sinon j'ai déjà tous testé dans un bateau et même les jeunes matelots sont obligé de passer une journée dans la vigie. Souvent ça aide à passer le mal de mer. Mais mon favori reste à boire un verre sur la proue tandis que l'avant tranche l'eau en deux... Un vrai plaisir.
Je rêvais d'avoir mon navire pour recommencer ses escapades en mer. Je rêve les yeux ouvert et mon interlocuteur devait s'en rendre compte. Pendant ce temps, le jeune homme me parlait de son incapacité à me donner des exemples de nom pour mon futur bateau et il me conseillait de voir avec le peuple. Son attention se détournait sur les oiseaux chanteurs pour finalement faire un jeu de mots sur ses créatures, mais je pus remarquer que la curiosité de l'homme était à son extrême en approchant sa main pour tenter de toucher l'un des volatiles, sans succès car celui s’effaçait pour réintégrer mon corps. Je souriais tandis que les deux restants prirent la fuite avant de se dissoudre en brume.
"- Je sais que je suis limité par deux usages pour les créatures vraiment dangereuses. Enfin je crois. Je ne préfère pas tenter trop mes limites car la première utilisation de mon pouvoir m'a laissé un goût un peu amer : j'ai eu un endo loris.
Néanmoins, je peux donner forme à chaque créature que j'ai déjà vu et reproduire leurs cris, cependant je ne peux copier les animaux de ce monde. Comme vous devinez, j'ai une bonne connaissance des créatures marines dont les Tangiwas."
Je pensais à mon futur symbole familiale ainsi qu'à cette créature fantastique qui hantait mes rêves depuis toujours. Mon bureau était orné de symbole : crâne, écailles ou encore les cristaux qui ornaient son dos. Tous avait été retrouvé sur les plages et non chasser, heureusement. Puis ce fut à mon tour de poser les questions :
"- Ne vous inquiétez pas monsieur, je peux également me montrer curieuse par moment. Et vous, pour quelle raison êtes-vous revenu au Grand Port ? La capitale ne vous attirait plus ? Au moins ça fait plaisir de voir des nouvelles têtes au sein de notre ville.
Surtout concernant vos pouvoirs, vous êtes capable de faire quoi ?"
Je souriais tout en le fixant, je m'attendais à voir des éclairs ou des ailes ou d'autres types de pouvoirs. Allait-il me le montrer ?
Le chantelune se dissipa sous ses doigts, et la Gouverneure répondit galamment à ses questions, éclairant en partie ses interrogations concernant l’étonnant pouvoir. Ainsi que certains de ses attributs physiques inhabituels. Les marques bleutées sous les yeux de la jeune femme, rendues discrètes par le voile de la nuit, pouvaient bien correspondre à des séquelles du fameux endo loris. Il était impressionnant qu’elle puisse donner forme à des créatures… aussi dangereuses que les tanhiwas, visiblement. Mais à y réfléchir, il paraissait adéquat que les illusions, puisqu’elles n’étaient finalement qu’illusions, puisent leur force de leur capacité d’intimidation. Par contre il y avait un détail qui l’intriguait.
- J’ai été réaffecté, choisit-il de répondre au questionnement de dame Sorna. Apparemment on se tournait un peu trop les pouces à la Caserne de la Capitale, et le régiment Al Rakija cherchait à recruter… donc j’ai fait mes valises. Mais à dire vrai, je n’allais pas cracher sur l’opportunité de me rapprocher de ma famille, de la ville de mon enfance, ni d’un climat plus clément que celui de la Capitale, ajouta-t-il avec un sourire.
Ça n’était pas tout à fait faux, ça n’était pas tout à fait vrai. Mais qui comptait vraiment ? Vaelin aurait certainement eu une excuse plus protocolaire. Distraitement, Calixte se demanda si l’intégration de son camarade espion au sein du régiment des Myrmidons se passait aussi bien que la sienne.
- Je suis capable de fusionner avec des objets, répondit-il sincèrement.
Il n’avait pas d’intérêt à modifier cette réalité. C’était une information notée noire sur blanc dans son dossier militaire, et il aurait été bien malheureux que la Gouverneure apprenne par la suite, pour une raison quelconque, qu’il lui avait menti.
- Voyez plutôt, proposa-t-il en reposant sa tasse avant de tendre sa main vers le plateau de la table entre eux deux.
Dès que la pulpe de son doigt effleura le mobilier, il fusionna avec lui. L’action, si usuelle et instinctive, ne lui prit qu’une fraction de seconde. En en laissant davantage s’écouler pour donner le temps à dame Sorna d’appréhender ce qu’il venait de se passer, il finit tout de même par dé-fusionner avant qu’une minute complète ne s’écoula. Se rasseyant confortablement sur sa banquette, il reprit sa tasse entre ses mains.
- Assez pratique pour fuir ses supérieurs lorsqu’ils sont mal lunés, conclut-il avec un sourire amusé. Ou se fondre dans un rocher en attendant qu’une vilaine créature continue sa route, ajouta-t-il un peu plus sérieusement.
Il repensa aux propos de la Gouverneure, et but une gorgée pour mettre un peu d’ordre dans ses pensées.
- Vous allez me dire que, finalement, je défends le bout de gras de ma famille, poursuivit-il plus sérieusement. Et vous aurez raison. Néanmoins, repensant à votre projet de bureau double, je ne peux m’empêcher d’appréhender, au-delà de son audace, ses risques.
L’infusion tournoya entre ses mains, diffusant une chaleur réconfortante et un parfum agréable.
- Sans revenir sur les incertitudes entourant le projet de construction, que vous connaissez bien mieux que moi pour avoir assisté personnellement à la chute, puis à la renaissance, de votre entreprise ; je ne peux que m’interroger de ceux qui ne manqueront pas de vous suivre, peut-être sans jamais vous atteindre, mais qui planeront toutefois inéluctablement autour de votre navire une fois que vous aurez pris la mer. De votre navire, et de votre équipage.
Car c’était plutôt ce dernier point, qui alertait l’espion. Les vies, au-delà de l’aspect matériel. Enora lui aurait fait un laïus sur ce passage si elle avait pu entendre ses pensées, mais elle n’était pas là. Donc bon.
- Vous pouvez vous servir de ce pouvoir pour vous protéger, voire protéger autrui. Mais vous l’avez-vous-même remarqué : il a ses contraintes, et elles ne sont pas infaillibles. J’ai moi-même la capacité de m’abriter au besoin. Mais les autres ? Ceux qui devront à la fois avoir le pied marin et le pas alerte sur la terre ferme ? Pourrez-vous les protéger de tout ? En dehors des créatures espiègles de l’océan, vous serez confrontés aux risques d’intoxication alimentaire, à la maladie, aux vices de la promiscuité, aux plaies et bosses si aisées à se faire lorsque le sol tangue, aux perdus lors de tempêtes… Et tout comme vos cuisiniers, vos médecins et vos marins feront de leur mieux, la déveine fera probablement parfois encore mieux. Alors à ces femmes et ces hommes, qui sont peut-être parents, épouses et époux, ou enfants ayant la charge de leurs ainés, mais que vous allez entraîner dans cette aventure ; et je pense que vous avez raison, et que c’est une belle aventure. Riche pour votre bureau, tout comme pour votre juridiction et ses citoyens. Mais à ces femmes et ces hommes qui prendront la mer avec vous, que leur proposerez-vous pour leur assurer, qu’en dépit du risque, ceux qu’ils laisseront à terre ne seront pas oubliés si finalement c’est la mer qui les prend ?
Il porta une nouvelle fois la tasse à ses lèvres, et haussa les épaules avant de reprendre.
- Mais je me doute que ce sont des points sur lesquels vous vous êtes déjà penchée, pour un projet aussi complexe. Et comme vous avez visiblement à cœur de développer la société sous votre juridiction sans soucis de classe sociale, j’imagine que vous avez déjà en tête l’esquisse de directives pour assurer vos citoyens de cellui-ci. Alors dites-moi plutôt : qu’attendez-vous de la Prévoyance ?
Egalitaire ? Equitable ? Sur un fond commun ? Uniquement pour les habitants ? Pour les commerces ? Sans nuance ? Modulable ?
Calixte ne versait pas du tout dans ce domaine. C’était, après tout, celui d’Enora. Mais pour lui, et c’était peut-être là l’erreur de sa sœur, la Gouverneure savait très bien ce qu’elle voulait, et c’était à elle d’en définir la forme la plus adaptée à son peuple. Voire à son entreprise.
Ou peut-être qu’elle ne voulait vraiment que se servir de son titre pour aller dessiner des tanhiwas à la proue d’un bateau.
Seulement, je ne lui laissais point le temps de répondre en posant une question concernant son affectation à notre ville. Je grimaçais légèrement en entendant l'une des raisons tandis qu'autres me firent sourire. Cet homme semblait être un possible fainéant mais qui préférait notre région. J'allais devoir glisser deux mots à son capitaine afin qu'il fasse de lui un mot actif pour la sécurité de notre Port. Je ne voudrais pas que certaines rues deviennent un repère de bandit ou de malfrats à cause de la paresse de certains. Puis il répondit à ma seconde question concernant son pouvoir. Monsieur Alkh'eir pouvait fusionner avec les différents objets de notre quotidien et il me fit la démonstration en devenant la table. Pratique et selon ses mots, il devait l'utiliser pour éviter ses supérieurs trop sévère.
Je soupirai de nouveau tout en fixant mon camarade de table :
"- Pratique pour se cacher, j'avoue seulement.
Si vous faites des erreurs, mieux vaut les affronter non ? Alors je vais vous demander ce soir d'être attentif dans le futur et de devenir l'un des meilleurs éléments de la garde afin d'assurer la garde de notre cité. Je ne veux pas une ville prise par l'insécurité.
Je souriais tout en entendant la suite de la conversation concernant mon projet de construire un grand bateau qui me servirai d’extension pour accomplir mon travail. L'homme se posait des questions juste et précise sur la sécurité et comment j'arriverai à protéger la population sur la mer. Il ne semblait pas forcément l'idée principale et je me perdis dans ses questions, les ignorants même mais en restant un semblant intéressé tout en dégustant l'un des mets sur la table pour finalement lui répondre à la fin de son long monologue :
"- Vous vous inquiétez pour la population et c'est bien, cependant je me suis peut-être mal exprimé. La construction de ce navire est juste pour permettre d'avoir une sorte de second office afin d'éviter que certaines personnes ne se sentent obligé d'aller dans les quartiers riches afin de me trouver. Ce navire sera le plus souvent amarré aux quais et il m'arrivera de se trouver la-bas à la place de mon bureau afin d'accueillir les visites... Jamais je ne forcerai les habitants à prendre la mer lors de mes possibles absences à la recherche des mystères des océans. Que les marins viendront avec moi. Même si je suis gouverneure, je ne veux pas perdre mes idées premières... L’océan et ses mystères.'
Je le fixais avec un petit sourire en coin afin de juger ses futurs réponses. Tandis qu'il me posait enfin la question concernant plus lui, mais la Prévoyance. Ce que je voyais d'elle et mes plans la concernant. D'un coin de l'oeil et bien à l'opposé de ma place, je pus voir une femme avec des traits similaire avec mon interlocuteur : elle nous espionnait peut-être.
Mais, je me devais de lui répondre :
"- J'attend qu'une chose de votre famille et de sa Prévoyance. Qu'elle commence à s'intéresse au bas-peuple plutot qu'aux commerçant ainsi qu'à la noblesse. Je ne compte plus le nombre de travailleurs qui doivent se ruiner pour certaines choses où ils ne sont pas en tord. Il faudrai penser à les aider plutôt qu'à les tuer. En tant que gouverneure, j'aimerai que la Prévoyance aide notre ville d'un point de vue médicale, leur aider dans leur projet envers les plus démunies."
Tant d'espoir dans mes propos, cependant je m'étais tue afin de penser à la chef d'entreprise que j'étais. Je pris une gorgée avant de reprendre :
"- En tant qu’entrepreneure, la sécurité de mon entreprise passerai aussi par la Prévoyance si elle fait ses preuves avec le peuple... Néanmoins... "
J'avais repense à ses paroles concernant sa réaffectation et une idée avait germé tout en comptant sur mes doigts :
"- ... Je ne pourrai me fier à votre famille si l'un des votre est fainéant." J'appuyais mon regard sur lui. "- J'irai voir avec votre capitaine afin de créer une récompense : une médaille remise par le gouverneur pour les cinq meilleurs gardiens de la cité toute les saisons. Si au bout d'un an, vous n'avez pas une récompense. Votre famille n'aura pas le plaisir d'assurer mon chantier navale."
Je retournais au fond de mon siège tout en levant mon verre à la dame qui nous observait de loin semblable à mon interlocuteur tout en reprenant :
"- Si l'idée est impossible, je trouverai une autre solution. Mais il aurai mieux fallu que ça soit votre sœur qui vienne me parler d'affaires."
Ainsi donc l’entreprise de la nouvelle Gouverneure était peut-être un peu moins ambitieuse que ce qu’il avait initialement pensé. Et la prudence avec laquelle elle abordait celle-ci était très certainement de bon ton, mais le soldat avait du mal à appréhender l’intérêt d’une si vaste affaire pour finalement peu de projets concrets derrière celle-ci. Quel intérêt à investir autant de temps, de main d’œuvre et de cristaux dans un navire qui, en réalité, ne servirait qu’épisodiquement et sur de brefs parcours au bureau de la ville du Grand Port ? Il allait falloir qu’il s’intéresse aux ressources financières de dame Sorna, parce que ça commençait à paraitre un peu bancal cette histoire. Enfin, tant qu’il n’y avait pas de détournements illégaux ou mettant en danger la population portuaire, son implication s’en tiendrait à de la simple surveillance. Il n’était pas de son ressort de juger des activités des politiques. Ça, c’était le rôle de son Maître-Espion. Enfin… Vu la relation qu’il entretenait avec Zahria dernièrement…
- Vous avez raison de porter en estime l’efficience, commenta l’espion avec un sourire. Vous vous entendriez parfaitement avec le lieutenant Calyx, du département logistique du Bastion. Et si vous tenez à organiser ce genre d’évènement, de récompense, je pense que c’est avec lui qu’il vous faudra voir les détails. Le Capitaine Al Rakija serait certainement tout ouïe de vos propositions, néanmoins c’est son lieutenant qui gère ces aspects pratiques.
L’idée de participer lui-même à ce type de de concours était risible, et il essaya d’imaginer la tête de sa famille si, par erreur, il devait atteindre le podium comme la Gouverneure semblait le sous-entendre.
- En revanche, je pense que vous vous trompez concernant ma famille. Dans le sens où son intérêt ne connait pas de limites, si ce n’est celui de l’argent. La Prévoyance peut être généreuse, mais elle est loin de faire dans la philanthropie. Ça se saurait. Et si vous pensez qu’elle me considère encore comme maillon actif, comme façade de leur commerce, là aussi vous avez tort. Alors oui, vous faites face à une entreprise familiale aux vices nombreux, de tous ceux que vous pouvez actuellement contempler, et de tous ceux que vous pouvez imaginer. Certainement à l’opposé de vos propres valeurs, et de celles qui vous ont amenée à vous hisser au poste de Gouverneur.
Il haussa les épaules.
- Cela fait longtemps que j’ai fait ma paix sur ce point. A vous de voir si vous préférez nier l’existence de cette possibilité, la contourner, ou l’aménager selon vos valeurs avec ces données en tête.
Levant le regard vers la silhouette féminine vers laquelle trainaient épisodiquement les yeux de la Gouverneure, l’espion nota qu’il s’agissait d’Enora. Elle était cependant affairée au-dessus d’un cristal de communication et en grande conversation avec quelqu’un. Elle croisa son regard, et il se fit un malin plaisir de lui adresser un grand sourire volontairement stupide.
- Cela dit, la Prévoyance est effectivement l’apanage d’autres membres de ma famille. Je suis personnellement bien plus intéressé par ce qu’il me semble apercevoir de votre carnet de dessins. Permettez-vous que j’y jette un œil ?
J’espérais trouver une faille, néanmoins selon ses mots, il n'était pas l'un des atouts majeurs de sa famille. Je pouvais le croire même si son aînée semblait toujours être dans les environs comme pour observer la scène avec ses yeux d'avare... Sa famille pensait qu'aux cristaux et faire preuve d'humanité avec les habitants semblaient trop leur en demander... Dommage, j'aurai bien voulu avantager un peu les personnes qui faisaient évaluer ma ville plutôt qui s'enrichissait sur leur dos. Peu importe, la Prévoyance aura ses défauts un jour, sous ma gouvernance ou une autre.
La discussion commençait à m'ennuyer car les affaires de la ville ou même sur mon entreprise. J'étais venu à la base pour me détendre dans ce lieu, mais mon compagnon de table semblait avoir envie de changer de sujet en me demandant mon carnet. Je lui laissais libre cours tout en finissant ma tasse encore chaude. S'il feuilletait les premières feuilles, il pouvait voir divers croquis sur des navires ainsi que des détails comme le proue, le grand mat ou encore l'intérieur des cales. Il y en avait de diverses tailles et aucune pour lui ne semblerait être celle de mon projet. Pourtant, je savais pertinent quel dessin étaient des pièces de mon futur vaisseau.
S'il continuait de feuilleter, le soldat pourrai voir des idées de commandes à passer, des accords à passer avec d'autres entreprises du monde : des noms inconnus, d'autres connus à la capitale comme Veriano. Mais rien de bien concret, tant que l'idée finale n'était pas en place dans ma tête. S'il continuait encore, il pouvait enfin voir l'une de mes autres passions : les animaux en tout genre. Il y avait des dessins de ses hanteurs de tête : les shalupins, les chantelunes... Puis des petits singes d’ombres qui vivaient en nombre dans le grand port mais qui excellait dans le vol. Bien sur, plein de tanhiwas étaient présent et il représentait un peu mon porte bonheur.
Je souriais en le voyant feuilleter lorsque je vis l'une des feuilles à l'écart, les traits de crayons n'étaient point fini. J'avais envie d'en profiter pour la reprendre avec mon crayon en m'excusant :
"Pendant que vous regardez mes croquis, je vais continuer ce petit neptuchien. Un fidèle ami des marins selon les dires. J'en vois cependant moins que durant mon enfance."
Je restais souriante tout en salissant de nouveau mes doigts avec les coups de crayons. Je fus mon tour intéressé de lui poser des questions concernant la faune :
"- Les créatures de ce monde sont les plus intéressantes et je peux les reproduire avec mes illusions. Vous aimez lesquelles ? Je suis sûr que votre famille adore les Kapitalistes. Ces petits reptiliens intéressés par l'or. Je me moque bien sur mais votre remarque dessus m'a fait penser à ses petits monstres intéressés par l'or. Vous avez du le remarquer, j'adore les monstres peuplant les mers surtout leur seigneur selon moi : les Tanhiwas.
J'attendis sa réponse tout en continuant mon dessin. J'étais sûr qu'il allait me poser des questions tandis que ma brume verdâtre réapparut pour faire apparaître de nouveaux chantelunes.
"- Leur chant est reposant.
- Certains représentent-ils déjà votre projet de bureau flottant ? demanda-t-il avec intérêt en observant attentivement le détail des dessins.
Certainement pas tous. Il n’y avait là pas qu’un seul bateau de croqué, ou imaginé. Ou alors il y avait des incohérences. Mais la Gouverneure n’avait pas l’air du genre à faire dans ce genre de sottise. Continuant à feuilleter les pages avec une lenteur appliquée, il tomba sur une section qui ne relevait pas du dessin. Il y avait là des noms, des mots, des phrases. Le carnet devait aussi servir de pense-bête à dame Sorna. Si ses yeux d’espion prirent tout de même compte de la globalité des termes présents, il passa rapidement ces pages pour arriver aux croquis de créatures en tous genres. Vraiment en tous genres. Souriant distraitement au shalupin lui faisant face, il eut de nouveau une pensée fugace pour Vaelin.
- Vous avez un sacré bon coup de crayon, commenta-t-il sincèrement tout en tendant à la Gouverneure la page volante ayant capté son attention.
Y jetant un rapide coup d’œil, il constata qu’effectivement il pouvait y deviner les contours s’affinant d’un neptuchien.
- Beaucoup de familles natives de la côte en ont un, acquiesça-t-il aux propos de dame Sorna. Mais avec le développement du Grand Port, il est vrai qu’on le retrouver principalement chez les marins, ou ceux vivant directement de la mer.
Observant les doigts se noircissant à nouveau de la Gouverneure, il eut un sourire mélancolique.
- Nous avons encore un neptuchien, au domaine familial. Mais principalement pour le respect de la tradition. En avez-vous un vous-même ?
Il tourna la page sous ses doigts, et contempla avec fascination les détails remarquables d’un tanhiwa. Etonnamment, ainsi représentée, la créature paraissait puissante mais pas particulièrement malveillante. Il rigola à la remarque de dame Sorna sur les Kapitalistes. Oui, ça ressemblait effectivement à la description de sa famille.
- Vous pouvez vous moquez ; nous savons tous deux que la réalité n’est pas loin. Et nous avons en effet quelques-uns, mais moins que ce que l’on pourrait penser. En dehors de leur capital sympathie et de ce qu’ils représentent, ils n’ont pas grande utilité pour les Alkhaia de Eliëir. Or, c’est l’utilité qui est le précepte central de leur ligne de conduite. A présent, ce sont surtout les oréouilles qui arpentent les bureaux de la Prévoyance. Pour leurs capacités de mathématiciennes.
Il continua à feuilleter doucement le carnet et, effectivement, pour toute la diversité des créatures représentées, le tanhiwa revenait régulièrement.
- Pourquoi le tanhiwa ? demanda-t-il avec curiosité. Pourquoi pas le léviathan ou le karthogan ?
Il leva la tête des croquis, se souvenant de certains propos de la Gouverneure.
- Vous en avez rencontré un ! Vous en avez rencontré un ?
Elle avait évoqué le fait qu’elle ne pouvait user de son pouvoir que pour recréer des créatures qu’elle avait déjà rencontrées. Qu’elle était limitée dans son usage pour celles dangereuses, au risque de subir un endo loris. Et qu’elle avait une bonne connaissance des créatures marines, dont les fameux tanhiwas.
- Comment cela s’est-il passé ? demanda-t-il avec curiosité en reposant toute son attention sur son interlocutrice.
Les tanhiwa étaient réellement des créatures très dangereuses, et rares. Qu’avait-il bien pu se passer pour que, non seulement elle ait eu l’occasion d’en observer un, mais en plus de ne pas succomber à celui-ci ? Suspendu aux lèvres de la Gouverneure, il attendit sa réponse.
"- Vous avez raison, certains feront parti de mon projet. Je cherche à faire ressortir chaque aspect avec le maximum de précision possible. Je repris lentement mon dessin tout en poursuivant : "- Un autre point c'est que j'aimerai trouver d'autres artisans pour certaines pièces. Bien que j'ai des employés compétents, certains détails qui devront figurer sont trop important... Il vaudra un maître dans ses arts.
Car oui, je considère la construction d'un bateau comme l'aboutissement d'une oeuvre d'art qu'importe sa taille. Vous comprenez ?
J'attendis sa réponse tout en me perdant dans la réalisation du croquis, j'entendais seulement le son des feuilles se tourner et le chant des oiseaux pour me permettre de me concentrer. Mes pensées furent de nouveau arracher quand il me questionnait sur l'animal qui se formait peu à peu, je répondis avec un léger sourire :
"- J'aurai adoré en avoir un neptuchien durant mon enfance mais mon paternel était malade face à ses pauvres bébêtes. Et j'ai pas eu l’occasion d'en voir à la capitale. C'est bien dommage.
Le jeune soldat ne semblait pas être contrarier par ma remarque sur sa famille et les Kapitalistes. Il m'avoua même qu'une autre créature fréquentait leurs locaux : des oréouilles. J'en souris tout en rajoutant une nouvelle farce à ses propos :
"- Votre famille n'a pas assez de Kapitalistes pour s'occuper de chacun cristaux que vous possédez n'est ce pas ?
Je plaisante encore, les oréouilles sont utiles c'est vrai, mais ils semblent ignorer leur capacité unique dans ses domaines et peuvent parfaitement aider pour tenir un livre de compte. J'ai déjà vu quelques vendeurs aux quais en posséder car ils n'ont pas eu forcément la chance de pouvoir apprendre les mathématiques.
Mon envie de dessiner était encore complète mais l'homme posait la question qui pouvait me faire arrêter toute activité pour me concentrer dessus : parler des tanhiwas. Je pris le temps de poser mon crayon de carbone et d'essuyer mes doigts dans un tissu avant de répondre à ses questions sur la raison de mon favoritisme et ainsi que ma possible rencontre avec ses bêtes :
"- Pourquoi je ne préfère le tanhiwa aux deux autres ? Je les trouve splendide par leur grandeur, leur capacité ainsi que leur prestance. Je ne peux choisir le léviathan qui n'est qu'un destructeur comme le Fenrir au Nord d'Aryon. Et pour le Kartoghan, c'est à cause de cette créature que j'ai eu un endo-loris dans mon enfance.
Je me tus quelques secondes afin d'oublier la douleur que j'avais pu ressentir à cause de mon propre pouvoir sans me rendre compte que la brume avait ravalé mes créations provisoires. Cette expérience passée avait encore des marques profondes dans mon être. Je repris calmement :
"- Oui j'en ai rencontré durant mon enfance car ma mère possèdait la même passion pour ses seigneurs de mer au point d'avoir appris ou l'une d'elle avait fini par loger pour protéger ses petits. Elle m'emmenait en mer avec elle pour qu'on puisse les observer de loin sans les gêner. Ils ont mauvaise réputation car les tanhiwas ne sont pas impressionné par nous, nous ignorant la plupart du temps et qu'ils peuvent sans mal retourner un navire sans vraiment le vouloir.
Mais c'est grâce à ses rencontres passées que vous pouvez me parler ce soir, jeune homme.
Je vais vous avouer un truc, le tanhiwa est la première créature que j'ai fait apparaître avec mon pouvoir... Le bateau où on se trouvait c'était fait attaquer par un Kartoghan et par peur, mon pouvoir était apparu ce jour en faisant apparaître la bête. Néanmoins j'étais trop jeune pour gérer autant de magie et cela m'a causé mon endo-loris en retour. Depuis je respecte de plus de plus ses créatures qui m'ont sauver indirectement.
Je restais souriante à la nostalgie de me voir avec ma mère en mer pour observer ses léviathans de petites tailles vivre. Une idée survint dans mon esprit et je la partageai avec mon compagnon de table avec un sourire.
"- Je cherche toujours dans mes sorties en mer de les observer de nouveau. Si un jour, j'en revois un. Désiriez-vous en voir un vrai si vous avez un moment de libre au lieu de les regarder en dessin ?
Qu'allait donc être sa réponse à cette folle proposition ? J'attendis sa réponse tandis que je posais une question :
"- Et vous Calixte ? Votre créature préféré, c'est laquelle ? J'ai vu votre sourire sur le dessin de ses petits nuisibles de Shalupins.
- Peut-être en verrez-vous d’avantage, si vous rendez visite aux habitants de la côte, commenta songeusement le coursier en revenant sur les neptuchiens. Sinon je crois qu’il y a un refuge pour familiers près des quais, où l’on peut en trouver. Voire en adopter. Souvent des assez âgés, rejetés par des familles dont la nouvelle génération ne voit en eux plus qu’une charge inutile.
Il y allait parfois pour aider – et récupérer quelques potins – ayant même initialement hésité à amener Kaname avec lui. Puis cela ne lui avait pas forcément paru très approprié. Et puis il ne s’y présentait généralement pas sous les traits de Calixte. Donc bon.
Il rigola à nouveau franchement à la taquinerie de la Gouverneure. Elle n’avait pas sa langue dans sa poche, et savait sur quoi insister.
- Non, effectivement, il n’y a certainement pas assez de kapitaliste en Aryon pour chaque cristal de la Prévoyance, acquiesça-t-il entre deux hoquets de rire.
Son rire s’atténua doucement pour disparaitre dans la sérénité de la nuit. Puis il se concentra à nouveau sur le carnet entre ses mains. Et sur les propos révélateurs de dame Sorna. Il était impressionnant que la jeune femme ait déjà eu à faire à un karthogan et un – des – tanhiwa et qu’elle s’en soit sortie avec seulement les séquelles d’un endo loris. Qui, en soit n’avait rien de réjouissant, mais était tout de même moins pire que le sort usuellement réservé par ces créatures dantesques. Quoi qu’elle eût l’air de dire que, finalement, les tanhiwa n’étaient peut-être pas si belliqueux que ça.
- Impressionnant… ne put-il s’empêcher de lâcher alors qu’elle lui avouait avoir effectivement déjà fait apparaitre telle créature.
Il comprenait d’autant plus que la Gouverneure choisisse finalement de s’appuyer sur son pouvoir plutôt que sur la présence d’un garde Royal. Même si, à ses yeux, les deux étaient à dissocier et complémentaires dans leur utilité. Enfin, il n’était pas sa place de juger de telles affaires.
La proposition de dame Sorna le surprit, et il se demanda soudainement si elle allait faire apparaitre, ici à la terrasse du nouveau bar, un tanhiwa. Et cela pouvait être cocasse, mais peut-être pas très bonne presse ni pour elle ni pour lui-même. Il était tout de même intrigué.
- Je… là maintenant tout de suite ? demanda-t-il en clignant les yeux d’incrédulité. Heu. Oui, je serai intéressé d’en voir…
Parce qu’il était curieux de tout, et sincère donc dans ses propos.
- … et si votre question est présentement, alors oui je suis aussi libre. Même s’il ne me faudra pas tarder à rejoindre le Bastion.
Déjà, il avait vu ses camarades s’éclipser quelques minutes auparavant, et la nuit ne rajeunissait pas de minute en minute. Mais l’incroyable interrogation de la Gouverneure était bien plus séduisante que l’appel du sommeil.
- Je dois avouer ne pas avoir de créature préférée, répondit-il distraitement. J’ai un adorable loutron qui deviendra un jour une fière monture, mais nous nous sommes trouvés un peu par hasard. Quant aux shalupins…
Il ne put s’empêcher de sourire à nouveau, nostalgique.
- Ils me rappellent un ami, un frère.
Le jeune soldat semblait aimer les animaux comme je les aimais. Car celui-ci me conseilla d'aller voir dans l'un des refuges animaliers qui se trouvaient au limites de la cité. Peut-être que je devrais rendre visite afin d'y trouver peut-être un compagnon à quatre pattes différents des chats, chiens et oiseaux. Je saisissais une feuille vierge afin de le noter pour m'en souvenir lorsque j'aurai un moment de libre. Cependant je parlais concernant la remarque sur les animaux âges :
"- Les jeunes générations, plus jeune que moi préfére des animaux jeunes et plein de vie. Mais je sais que la présence de ses vieux animaux peuvent réchauffer le cœur des personnes délaissés... Je demandais à mon entourage.
Car si je me trouve une créature qui me convienne comme un neptuchien, il me le faudra jeune pour qu'il puisse me suivre en mer avec aisance. Un ou une petite boule d'énergie.
Je souriais tout en voyant que ma langue fourchu frappa de nouveau en parlant des Kapitalistes. Mais ma joie fut de voir la surprise de mon interlocuteur en découvrant quelques petites vérités sur les créatures qui hantaient les profondeurs et créaient des rumeurs des plus sombres à chaque naufrage. J'en étais même venu au fait que je pourrais invité Calixte pour aller admirer l'un des Tanhiwas, mais je pense qu'il avait mal compris la tournure de mes phrases et je ne pus m'empêcher de rire en entendant sa réponse.... C'est un rire de bon coeur, les larmes étaient arrivé à mes yeux et j'eus du mal à reprendre mon souffle.
"- Pardonnez moi, je n'ai pas pu me retenir. Je pense que vous m'avez mal compris. Je ne parlais pas d'une simple illusion mais de partir en mer pour en observer un vrai, bien en chair. Mais pour l'instant, personne en a vu depuis quelques lunes proche de nos rivages." Mes rires s’estampèrent pour reprendre plus sérieusement : "- Une expédition pour les observer est possible, j'inviterai aussi votre famille si vous le désirez. Les Tanhiwas risquent de finir sur mon blason un jour."
J'attendis sa réponse tandis qu'il m'annonçait qu'il possédait un loutron et que les Shalupins lui rappelaient l'un de ses proches. Une personne de la capitale certainement. Je ne cherchais pas plus loin. Il était plus sympathique que les autres membres de sa famille et j'aimerai pouvoir discuter des heures avec lui, il semblait être fortement intéresser par les créatures qui peuplaient ses terres... C'était rare de nos jours. C'est alors qu'une silhouette que je ne connaissais que trop, arriva dans mon objectif : ma conseillère Corina. Mince, je n'avais pas réussi à lui échapper totalement et elle vint directement à ma table :
"-Dame Sorna, je vous ai cherché tout la soirée. Je vous rappelle que demain vous devez vous rendre à l'un des temples de Lucy pour organiser sa réouverture suite à sa rénovation. Les prêtres vous attendent aux premières lueurs du jour. Vous devez vous reposer...
ARGHHH ! J'avais réussi à lui échapper et je voulais finir ma soirée tranquillement. Mais ma conseillère me connaissait, suite aux nombreuses semaines passés dans le coma de l'endo-loris. J'avais besoin de nombreuses heures de sommeil.... Mais j'étais en si bonne compagnie. Pourquoi le destin de gouverneure me rattrapait toujours ? Je poussais un soupir tout en commençant à rassembler mes affaires tout m'excusant :
"- Veuillez m'excuser, le devoir m'appelle déjà pour demain. Calixte, je vous contacterai si nous repérons un tanhiwa à observer et dites à votre soeur que je lui accorderai un potentielle rendez-vous. Mais vous avez bien animé ma soirée et je vous en remercie."
Je pris la tangente dans un dernier salut tout en prenant finalement la sortie du bâtiment en compagnie de ma servante conseillère. Mais j'avais un petit sourire en pensant à notre discussion... Cependant il restait sur la table deux dessins : celui des shalupins ainsi que le neptuchien terminer. Un cadeau indirect.
- Oh, je vous avais effectivement mal comprise, veuillez m’en excuser, répondit-il contrit. Mais ma réponse reste la même : oui, je serais intéressé de les voir. Je ne peux rien dire pour ma famille, mais je sais qu’une invitation de la Gouverneure ne serait jamais déclinée.
Levant les yeux à cette mention, le coursier se rendit compte que sa sœur s’était éclipsée. Pour le moment ou pour la nuit ? Avait-elle conclu que l’affaire n’avancerait pas plus ou bien avait-elle été contactée pour une autre ? Il aurait peut-être la réponse au déjeuner familial de la fin de la semaine. Ou pas. Probablement pas.
Une nouvelle-venue s’inséra dans leur sphère confortable et le regard de la Gouverneure s’assombrit quelque peu. Ecoutant les propos de leur nouvelle interlocutrice, Calixte ne put s’empêcher de sourire légèrement. Ainsi donc dame Sorna avait une « nany » à laquelle elle faisait volontiers faux bond.
- Très bien, je lui ferai passer le mot, répondit-il surpris à la proposition de la Gouverneure. C’est généreux de votre part.
Il lui adressa un salut respectueux et la regarda s’éloigner le sourire aux lèvres. Etrange soirée. Agréable soirée. Jetant un dernier coup d’œil à leur table avant de lui-même mettre les voiles pour regagner le Bastion, il y trouva deux dessins. Celui des shalupins et le nouveau du neptuchien. Oubli ou présent attentionné ? Récupérant les deux croquis, Calixte se leva à son tour. Il était temps d’aller retrouver son lit.