Ce soir, il y a Elina.
Elina, ce n’est pas l’un de mes Glooby. Non. Ils sont justement dans leur vivarium. Jack, dans un coin entrain de manger une feuille et Elina, de l’autre côté, dort. Ma Elina, c’est la capitaine du Blizzard, la forteresse du Nord. Et aussi imprévisible que le blizzard, Elina est rentrée dans ma vie. La première fois a été un peu nébuleuse. Je n’ai peut-être pas tout compris tout de suite, mais au final, je lui ai rendu bien service. Et même si je ne vous ai pas encore raconté ce passage ; parce qu’une amie insiste pour que je vous raconte la présente soirée ; je peux vous dire qu’on a partagé quelques moments intimes, mais les détails viendront. Enfin, les détails que l’on peut raconter. Quoi qu’il en soit, quelque chose s’est créée ce jour là. Sauf que je pensais que c’était le moment béni d’une journée. Moi, examinateur de la guilde basé à la capitale et parcourant le monde. Elle, capitaine d’une garnison de la garde perdu dans le grand nord. Nos vies ne nous amenaient pas à croire que nous nous reverrions. Puis le destin s’en est mêlé.
On s’est recroisé au solstice. Elle me cherchait. Nous avons passé du temps ensemble. J’ai même appris que Elina était une amie de Zahria, mon amie cartographe. Amie qui n’a pas hésité à me pousser dans le bon sens. Une fois encore, nous avons partagés des moments privilégiés, mais de ceux-ci, nous n’en parlerons pas, même pour dix cristaux. La chose qui s’est créée s’en est retrouvée renforcé. Deux fois. Deux moments de vies intenses. Dans le nord. A la capitale. Ce n’était pas le hasard à la manœuvre. C’était bien le destin. J’ai commencé à beaucoup y réfléchir. Et j’ai commencé à nourrir des sentiments forts pour Elina. Vous savez, je suis plutôt du genre libre. Porté par les courants. J’appartiens à personne. J’appartiens à tout le monde. Sauf que cette fois, c’est différent. A choisir, je vendrais ma liberté pour Elina. Je crois que c’est de l’amour. Et j’arrêterais de boire si je pouvais passer un nouveau moment avec elle. Enfin, peut-être pas ça, mais vous voyez l’idée.
Bref, je suis amoureux.
Il n’a pas fallu longtemps que je prenne ma plus belle plume ; vous savez, celle qui fait parler aux objets ; et pour lancer des invitations. L’idée, c’est d’inviter les amis proches. De passer un bon moment. Parce que Elina, si on a pu toucher l’intime du bout du doigt, il faut aussi atteindre le moi véritable de chacun. Au milieu d’une belle compagnie, c’est là que les personnes se révèlent. Et puis, j’ai pas honte de le dire, je me sens totalement fébrile à l’idée d’être en tête à tête avec Elina et de lui avouer ce que je ressens. Je compte sur des soutiens psychologiques pour y parvenir. Et puis, au pire, on boira. Et l’alcool finira par aider. Du coup, Elina. En premier, sur le beau des papiers avec la plus belle des écritures. Douze brouillons plus tard. J’ai pris large pour la date, pour lui laisser le temps de venir et de s’offrir un peu de temps au milieu de ces nombreuses responsabilités.
En deuxième, il y a Zahria Ahlysh, mon amie cartographe. Zahria et Elina sont amies, alors sa présence est une priorité. Je compte sur elle pour faire la passerelle entre nous deux. J’ai ajouté un mot pour lui demander de faire passer l’invitation à Elina dans le cas où elle l’aurait pas reçu. Vaut mieux prendre ces précautions. Ensuite, il y a Truelle Houdini, mon meilleur pote et accessoirement, le n’amoureux de Zahria. Enfin, j’ai pas eu l’occaz’ de les voir ensemble, mais vu comment ils s’amusaient au solstice, le contraire serait étonnant. Ces deux-là, je l’ai vu à des kilomètres et je suis content pour eux. Ils sont parfaits. Comme il y a pas eu d’officialisation de ma part, j’invite les deux séparément et leur proposant de venir accompagnée. Clin d’œil. Clin d’œil. On ne l’a fait pas à Jack. Après, il y a Naêry Wig. On a les mêmes racines, on est de la guilde et on s’entend bien. Ça me semblait naturelle de l’ajouter. Et puis, Naëry, il a du talent pour la séduction, alors, ça sera un soutien de poids dans ma conquête du cœur d’Elina. Lui aussi, je lui ai dit qu’il pouvait venir accompagné. D’après ce que j’en sais, il a une relation avec une certaine Luz Stucru. Quelque chose comme ça. Enfin, j’ai invité Carciphona Ixchel. C’est une amie de la guilde et c’est elle qui a été l’épaule à mes premiers états d’âmes vis-à-vis d’Elina. Même si notre aventure ensemble a eu des hauts et des bas, je l’aime bien. Je l’invite pour qu’elle puisse voir Elina et qu’elle comprenne que ce que j’ai pu dire ou faire, c’était une erreur. Sa présence a aussi d’autres utilités, même si j’aime pas dire ça. Je veux pas utiliser les gens, je les aime bien. Mais ça existe. La première, c’est que sans elle, il y’aurait eu deux couples et moi et Elina. Ca l’aurait peut-être mis sous pression, ma Elina. Et comme dirait Gégé, le mieux pour provoquer les choses, c’est de le mettre en concurrence. Avec Carci dans les parages, peut-être que Elina la verra plus comme une concurrente et me tombera dans les bras avant la fin de la nuit.
Et puis, c’est du beau monde, le meilleur. On passera forcément une bonne soirée. Qu’est ce qui peut bien arriver, hein ?
Avec ma plus belle tenue, approuvé par mes parents, je suis prêt. Tout est propre et j’ai passé un temps infini pour que ma chambre soit des plus charmantes possibles. L’attention dans les moindres détails. Il ne faut rien laisser au hasard. Et déjà, la tension monte. Viendra t’elle ?
Oui. Sûrement.
J’me retiens de passer la main sur mon bide. Quelques jours que j’suis rentré de mon expédition dans la Citadelle des tréfonds, et que j’ai dû me charcuter moi-même pour activer ce putain de cristal de téléportation. ‘Sont radins, le Royaume, la Guilde, tous. M’étonne pas que les autres aventuriers qui s’y sont aventurés ont tous canné, vu que ça a failli nous arriver, alors qu’on représente quand même une forme d’élite dans le domaine, dans l’infiltration. En tout cas, Ixchel et moi. Après tout, on s’entraîne au même endroit : les douches des danseuses du Grand Théâtre.
Je toussote. Peut-être pas de quoi en être fier.
Quand j’toque à la porte, j’entends quelqu’un bondir de l’autre côté, et se précipiter pour ouvrir. C’est ce bon vieux Jack, la mine radieuse, soigneusement apprêté, et carrément mis en valeur. Autant, d’habitude, il a l’air sympa, autant là il est resplendissant. Je hausse un sourcil.
« Salut, Jack ! Ca va ?
- Oui et toi, Truelle ?
- Vrenn.
- Oui, Vrenn, voilà. Bah écoute, ça va parfaitement bien.
- Je vois ça, je vois ça, t’as l’air en forme.
- Petite mine, toi, non ? Un peu palot.
- M’en parle pas, je reviens d’une quête assez velue.
- Avec Zahria ? La cartographe ?
- Hein, quoi ? Non, non, avec des collègues aventuriers… Ca fait un bail que j’t’ai pas vu, j’vais te raconter ça…
- Oui, oui, entre, où sont donc mes manières… »
Il m’introduit chez lui après qu’on se soit serré la pogne, me débarrasse de mon manteau, et me laisse m’asseoir.
« Une bière ? Elles sont délicieuses.
- Euh, mon toubib a dit que j’avais pas trop le droit, que ça fluidifierait trop mon sang et tout… »
Il me regarde avec un air triste jusqu’à ce que j’fasse un grand sourire.
« T’inquiète, j’déconne, sers-nous en une. »
Comme si l’avis des médecins allait m’empêcher de picoler comme un connard, tiens. On trinque.
« Alors, raconte, Graine.
- Non, c’est mon père, Grenn, moi c’est Vrenn…
- Oui, Vrenn, voilà.
- Ouais donc j’ai décidé d’arrêter examinateur pour le moment. Besoin de retourner sur le terrain pour être vraiment au plus près des choses.
- M’est avis que Zahria n’est pas totalement étrangère à ce fait, hein ? Qu’il lâche avec un sourire en coin.
- Ha. Ouais… ouais, on peut voir ça comme ça. »
Carrément. Si elle m’avait pas foutu au trou, j’serais toujours tranquille dans mon bureau de la Guilde. M’enfin, y’a d’autres bons côtés.
« Tu sais, Traîne…
- Vrenn.
- Oui, Vrenn, voilà. Comme j’disais, j’ai tout de suite vu qu’entre vous, ça allait. Comme un crépitement, une étincelle qui ne demandait qu’à grandir pour devenir un magnifique feu de joie, tu vois ?
- Ouais, pas trop, mais c’est vrai que… Enfin, tu sais, rien d’officiel, tu sais comment ça se passe… »
Il me tapote l’épaule avec un air compatissant.
« Oui, j’imagine bien. Ne t’inquiète pas, compte sur ce bon vieux Jack pour ne pas faire de commentaire qui risquerait de gripper la machine.
- J’en doutais pas une seconde. »
C’est que j’en deviendrais timide.
« D’ailleurs, elle vient tout à l’heure, elle devrait pas tarder. Zahria. Vous pourrez passer une bonne soirée ensemble. C’est important, de partager des intérêts, ce genre de choses.
- Ah, elle vient ? J’savais pas.
- Oui, j’ai invité les gens séparément, mais ça me surprend que vous n’en ayez pas parlé…
- Oh, ouais, c’est qu’on est assez occupé en ce moment, on n’a pas toujours le temps… »
On court partout, plutôt, ouais, à cause du turbin.
« Pas de souci, profitez de cette soirée pour vous retrouver tous les deux au milieu de nous autres.
- Vous autres ? Y’aura qui d’autre ?
- Je pourrais te laisser la surprise, mais ça ne serait peut-être pas drôle. Ils n’ont pas tous confirmé leur venue, mais j’ai proposé à Carci, Naëry, Lustucru, et Zahria de venir. Et puis Elina. »
La façon dont il dit le dernier prénom me fait tiquer direct, au-delà de ma connaissance plus ou moins avancée des autres.
« ‘Lina ?
- Oui, c’est ça. »
A voir son sourire…
« Dis donc, Jack…
- Oui, Draine ?
- Vrenn.
- Oui, Vrenn, voilà.
- Tu me cacherais pas quelque chose ?
- Comment ça ?
- Est-ce que le célèbre Jack, papillon flottant au gré du vent, héros de ses dames, envisagerait de se ranger ?
- … dans le mille, Vrenn ! »
Putain, il s’est pas gouré sur mon prénom. J’prends une gorgée de bière pour faire passer le choc.
« Il ne s’est encore pas passé grand-chose, hein, mais c’est pour lui montrer un pan de ma vie, dont elle pourrait faire partie, comment je suis avec d’autres gens, tout ça…
- C’est pour ça, la décoration, les jolis vêtements ? Si j’avais su, j’aurais fait un plus gros effort…
- Non, pas de problème, tu es manifestement convalescent, tu nous raconteras ça à l’apéritif… »
En vrai, mon déguisement magique pourrait parfaitement me vêtir de fringues dignes du roi, mais ça serait faire de l’ombre à mon pote Jack, donc à la limite, je vais même l’amocher encore un peu en douce au cours de la soirée, quand il regardera pas… Encore que c’est pas facile de briller à côté de lui, il a ce côté extrêmement charismatique qui fait que toutes les demoiselles sont pendues à ses lèvres, et la magie opère. N’empêche…
« … j’suis ravi pour toi, Jack ! J’doute pas une seconde que ça se passera bien, te connaissant. Contente-toi d’être toi-même et elle pourra pas résister à ton charme ! »
On trinque.
De l’amour et des amis, les ingrédients d’une vie épanouie─ avec Jack, Vrenn, Carci, Luz & Zah
C’est plutôt rare que je reçoive du courrier, à part pour la paperasse administrative, les rapport de missions, quelle horreur. Du coup quand « j’oublie » de remplir mon compte-rendu, ben eux me le font bien savoir, et souvent, par ses petites feuilles volantes qui finissent régulièrement en Origamis.
Bref, tout ça pour dire que la jolie lettre finement décorée me surprend. Je l’ouvre avec étonnement, surtout lorsque j’en comprends le contenant. Une invitation ? Jack ? Ce bon Jack génial ! Que ça me fait plaisir ! Et si je m’attendais à ça moi ? Voyons voir la date ? Il prévoit le coco, sûrement pour qu’on s’organise autant que possible afin d’être là. Je finit de m’installer dans mon studio, sourire aux lèvres. Assis en face du scriban j’attrape un bout de papier, une plume et l’encre qui va avec. De ma calligraphie en pattes de shalupin je lui réponds par l’affirmative pour sa petite fête. Chouette !
Quand je réalise que je ne sais pas qui se joindra à la partie, je me ravise quelques secondes. Allez Naë, fait pas ton associable, y aura sûrement des gars de la guilde, et puis on peut rien refuser à ce bon Jack ! Puis pouvant venir accompagné, je ne lambine pas à proposer à Luz de venir aussi. Il faut qu’elle voit le personnage, je suis certain qu’elle va l’adorer ! Qui n’aime pas Jack ? Franchement je me pose la question.
Je m’affaire à ma prochaine quête, parce que c’est pas tout mais faut bien gagner sa croûte. Je posterai ma réponse en repartant. Puis je ne le sais pas encore mais quelques jours plus tard je vais apprendre la présence de Zah, puis de Carci. Ah il a pas invité n’importe qui ! Bon choix Jack !_________________________
Je débarque à l’adresse indiquée, seul. Luz est encore au travail, ou je ne sais quoi. Autant ne pas faire attendre le bonhomme. Je toque, je n’attends pas bien longtemps avant de voir la mine de ce bon Jack ! Un sourire immédiat transcende mon visage, ça fait du bien de revoir sa tronche.
Je rentre, je lui tends une bouteille d’hydromel et une tourte faite maison. Je n’aime pas débarquer les mains vides, encore moins chez un ami. Il me gratifie d’une franche accolade, je lui rends la pareil. Qui eut cru que ce bon Jack me ferait devenir si sociable.
Assit sur un fauteuil un gars nous observe. Y a pas foule ici.
- Luz arrivera un peu plus tard. l’informé-je.
- Luztucru ? Ta charmante c’est ça? me dit-il avec un air mielleux.
Je ris franchement en entendant ce surnom, ah elle va en entendre parler ma belle enflammée.
- Elle-même Jack!
- Elle t’aime ? Ben c’est plutôt une bonne nouvelle. Non?
- Non, elle-même … Bon laisse tomber, elle m’aime aussi. Les deux quoi, tu comprends.
- Ben… Elle t’aime quoi!
- Oui voilà. abrégé-je.
Je me dirige vers le brun assit qui ne cesse de nous fixer, je lui tends la main.
- Naë me présenté-je.
- Vrenn répond-il tout aussi concis.
Je ne lui lâche pas la dextre que je fronce les sourcils. Mon talisman d’indépendance et ma boucle d’oreille chauffent. Et c’est pas la première fois que ça me le fait. Je me souviens à la fête du Solstice … Enfin, ce qu’il est possible de me souvenir. Cette même sensation seulement.
- On se serait pas déjà vu?
- J'crois pas non.
Pourtant à son regard je jurerai qu’il me connaît, ou me reconnaît. Nous serions nous croisés à la Guilde ? Je n’insiste pas et lui relâche enfin la paume.
- Dis donc Jack, c’est que tu es élégamment habillé ! Si j’avais su je me serais mieux apprêté. On fête quelque chose de particulier?
Je le vois rosir et devenir tout marshmallow. Ben dis donc, ça sent la bonne nouvelle ça.
- Ben tu vois, y a cette femme là ...
Je souris en comprenant ce qu’il ressent, ce moment de papillonnage quand vous êtes avec la personne qui fait chavirer tous vos sens. Je l’écoute avec attention et bienveillance. Il me propose une bière tout en me racontant son histoire comme il sait si bien le faire. Mon œil voit la bouteille vide du brun.
- Une autre bière Vrenn?
Autant profiter de ce petit moment entre couillus avant que la gente féminine ne débarque. Bien que je ne suis pas contre retrouver les lèvres taquines de mon amante.code ─ croquelune
Quelques jours après l’expédition de la Citadelle
Avant mon départ à l’expédition, Janua m’avait refilé une lettre. J’étais étonnée sur le coup surtout quand j’ai vu le contenu. Jack, l’examinateur avec qui j’avais une quête il y a une lune et plus de ça, m’avait invité à une soirée. Sur le coup, je me suis dis, non, il veut me déclarer sa flamme, il a été rejeté par la femme qui lui faisait des papillons dans le ventre. J’avais bien rigolé à ce moment-là, il était chou à découvrir ce que c’est l’amour. Bon je fus rassurée quand j’ai lu qu’on pouvait venir accompagner. Je regarde K’awill qui était l’étage d’en-dessous dans son box, rouler dans la paille. Depuis que nous sommes revenus de la Citadelle, non lien magique a disparu, on m’a dit que ça reviendra avec le temps mais maintenant.. Je ne suis plus aussi sûre mais je reste patiente et optimiste ! Je retrouverai le K’awill d’avant. De toute façon, nos liens ne sont pas brisés, il me comprends toujours, il a toujours la même réaction avec ses yeux donc je me dis que c’est juste les parchemins qui ne fonctionnent pas pour l’instant mais un peu de repos ça lui fera du bien.
- Tu sais quoi K’awill, Jack, tête d’oeuf, il nous invite ce soir. On va se faire beau d’accord ?
Il se redresse avec joie et se tortille. Il était heureux de sortir, j’avoue que je ne suis pas sortie de chez moi, ma grange aménagée, depuis trois jours. Déjà, j’avais une tonne de sommeil a rattrapé et de deux, je n’avais pas envie de me bouger. Rien faire après tout l’argent que je viens gagner, c’était le must.
- Si on mettait le noeud papillon que Huguette nous a fait ?
Ma propriétaire était géniale, elle adorait déguiser K’awill avec divers accessoires et il se laissait toujours au jeu.
- Je mets mon plus beau Kimono et toi ton noeud rouge.
Il secoue la tête, fouillant dans son coffre pour trouver le bout de tissu. Allez à moi de me faire belle aussi. Enfin un short assez moulant pour mettre en dessous puis mon plus beau kimono . Un tissu rouge avec les bords noirs, plusieurs oiseaux d’or ainsi que des dragons de cerisiers y étaient brodés. J’avais envie de me faire belle, pour une fois que ça me change de ma tenue d’aventurière. De petites lames traînent sous ma tunique sans oublier mon bracelet de rappel. Je ne risquais donc rien pour la soirée. Un coup de brosse, une écharpe autour du cou. Je saute au rez de chaussé pour préparer K’awill et lui enfile son harnais.
- Un vrai beau-gosse toi !
Il remonte le menton et je lui donne une caresse pour son petit tour de passe-passe.
- Allez, on y va. Je ne sais pas si tu pourras rentrer mais au moins, tu seras à côté de moi.
Je ne voulais pas le laisser seule depuis notre “ accident “, je n’avais plus la possibilité de l’appeler à longue distance et il était aussi paniqué que moi d’avoir perdu ses pouvoirs. On prends alors la route vers l’adresse, cheveux et poils au vent, nous profitons de l’air pur de la Capitale. Dire qu’on a passé plus de douze voir vingt heures dans un sous-sol sans lumière. C’était atroce et maintenant je profite de ce doux moment avec les étoiles dans le ciel.
Nous arrivons devant cette petite maison de ville. Bien le style de Jack tiens.
- Regarde mon grand, tu auras un petit jardinet derrière pour te reposer.
Je descends de ma monture et grimpe les quelques marches. Je tappe à la porte, K’awill dans mon dos. Un Jack resplendissant ouvre et je lui souris avec moi.
- Mais tu t’es fais classe !
- Toujours !
- Je suis venue accompagnée comme tu l’as dis
Je me décale et présente K’awill et son noeud papillon.
- Oh mais c’est…
- K’awill !
- Je me rappelle de lui et de son … haleine
- Oh t’inquiète, il ne va rien te faire puis aujourd’hui, il va rester silencieux
- Oh pourquoi ?
- Une longue histoire..
- Allez, rentre je vais te présenter Truelle et Naëry
Je finis par rentrer, K’awill derrière moi quand il reconnaît ce fameux Truelle, je n’ai jamais vu… Il a l’air étonné que mon animal s’approche de lui et finit par faire un calin à Naëry.
- Salut tout le monde, moi c’est Carci et lui K’awill !
Je m’approche de la grande porte et laisse sortir ma loutre géante dans le jardinet, il restera là-bas et je pourrai jeter un coup d’oeil à mon protégé.
- Näery, ça fait si longtemps, tu ne viens pas avec ta belle ?
- Si si, elle arrive après puis quand elle saura que tu es là, elle va t’embêter avec son Mist encore. Elle est heureuse depuis qu’il est sociable !
- Tu parles, c’était rigolo cette histoire, j’ai aussi aidé Calixte avec son loutron, Kaname. Je te raconterai ça plus tard.
- Une bière Carci ?
- Oh oui merci Jack
Je finis par m’asseoir dans le canapé, non loin de Naë, ce Truelle ne me disait rien, tout comme son prénom.
- Alors Truelle, tu connais Jack d’où ?
- C’est Vrenn, Ixchel.
- Ah, on se connaît alors...
- Carci, il est examinateur à la guilde lui aussi !
- Jamais vu ! Tu te planques c’est pour ça.
- On va dire ça.
- Allez Grenn, arrête de faire la tête, bois !
Puis nous levons nos verres pour boire un coup.
- Alors pourquoi cette invitation Jack ?
- Il a invité l’élue de son coeur !
Je regarde Naë puis Jack, stupéfaite.
- Oh, la femme que tu m’as parlé dans notre expédition ! J’espère que tu vas conclure mec.
Puis je me mets à rire quand je vois la tête de Jack, ce mec est trop drôle.
- Toi.. Vrenn, tu viens accompagné aussi ?
- Euh
- Oui avec sa cartographe !
- Ouais… avec ma cartographe
- Heureusement que je suis venue avec K’awill !
Nous continuons à rigoler pendant un certain temps, échangeant nos aventures à la guilde tout en évitant soigneusement de parler de ma dernière expédition. C’était une longue histoire et il y avait des choses plus joyeuses à parler. Puis ça frappe de nouveau à la porte !
- Allez, je parie que c’est … Luz ! Qui prends les paris ?
- Tenue :
Lorsqu’elle toqua à la porte, drapée dans une jolie robe presque estivale qui mettait tout à fait en valeur son décolleté, elle eut la surprise d’être en premier accueillie par le museau humide de la plus adorable de toutes les loutres existant sur Aryon :
Et quelle loutre mes amis ! Habillée de son plus beau nœud papillon. Son regard glissa alors sur les visages vraiment bien connus qui patientaient autour de la table. Ok. C’était réunion de groupe, et personne ne l’avait prévenue ? Elle se tourna vers le fameux Whiskeyjack Callahan, qu’elle rencontrait enfin pour la première fois de son existence. Avec de toute évidence, un sacré train de retard.
Le sourire provoqué par les mignonnes mimiques de K’awill et par les moues de Carci, s’agrandit davantage encore lorsque le dénommé Jack la salua d’un célèbre Luztucru. Un rire la prit, et les mains libérées par les attentions polies de leur hôte qui ne manqua pas de récupérer les bouteilles et le gâteau, elle en profita pour gratouiller la tête de la loutre géante.
Elle contourna l’animal et s’avança bien sûr vers son brun d’Aventurier, premier à sa portée.
Elle déposa sur ses lèvres un baiser tendre agrémenté d’un semi-sourire renard, et se redressa pour étreindre Carci en guise de salutation.
Ce n’est qu’alors qu’elle se tourna vers l’autre personne présente, visage qu’elle commençait à connaître relativement bien. Son nom, toutefois…
Fort heureusement, elle n'avait pas équipé son talisman d'indépendance pour ce rendez-vous amical. Voilà qui lui épargnait sans le savoir une bonne dose de paranoïa accompagnée d'un savant mélange de psychose.
Elle remercia chaleureusement Jack lorsqu’il déposa la bière souhaitée en face d’elle, lui donnant l’occasion de le détailler un peu plus avant. Il était stupéfiant que Naë’ ne le lui ai jamais présenté auparavant, tant la bonhommie de l’individu était rafraichissante et particulièrement agréable. Quoiqu’un ami pareil, cela se gardait aussi jalousement entre deux bières… Elle ne s’était pas sentie aussi détendue depuis bien des semaines, là, assise aux côtés de Naë’, sa main entrelacée à ses doigts avec une table garnie d’amis d’excellente compagnie !
Ce bon vieux Jack, hé, déjà pris ? Bien trop dommage pour ces dames !
Zahria a encore des flashs, parfois, elle revoit le visage d'Elina, en train de rendre son dernier souffle dans ses bras. Son petit sourire quand elle a annoncé qu'elle venait chez Jack. La promesse muette que cette affirmation contenait. Elina et Jack, personne d'autre que Zahria ne les aurait imaginé ensemble, et pourtant ils semblaient vraiment faire tomber les barrières de l'un et de l'autre. Oui, Jack doit être au trente-sixième dessous, à cette heure.
Elle n'a même pas eu le courage de lui annoncer elle-même. De toutes façons l'annonce de la mort de la Capitaine du Nord s'est vite propagée, on en a entendu parler jusque dans les rues de la Capitale. Heureusement, comme toujours, les journaux ont vite trouvé une nouvelle coqueluche à exploiter pour leurs feuilles de chou. Peut-être même que le Maître-Espion y était quelque chose dans le fait que l'on cesse de parler prématurément de l'enterrement d'Elina. Peut-être.
Zahria glisse la bouteille dans son sac, puis passe devant un miroir en allant vers la sortie. Bon dieu, elle n'a pas l'air en forme. Ses cheveux sont décoiffés, ça ça ne change pas, mais il y a une tâche sur sa chemise blanche, et son pantalon est troué. Elle trouve des vêtements de rechange dans la remise, mais ils sont froissés. Propres, au moins, c'est déjà ça. Et noirs, ça se porte bien à l'occasion. Elle essaye de passer un coup de peigne magique dans ses cheveux, mais commence à se demander si cette camelote qu'on lui a offert marche vraiment quand il décoiffe encore plus ses cheveux. Bon qu'importe, elle ira comme elle est, et puis c'est tout. Jack ne devrait pas être très regardant, vu la misère dans laquelle il doit se trouver.
Elle sort dans la rue, et l'air est encore un peu frais en ce début de saison douce. Elle hésite à appeler Vrenn pour lui dire où elle va, mais elle préfère ne pas le mettre dans l'embarras, il voudrait certainement venir pour réconforter son ami. Depuis qu'il est rentré de sa mission dans la Citadelle, il est assez faible, et sa blessure au ventre le gêne encore. Il a besoin de repos, après tout. La dynamique entre eux est nouvelle, depuis cet événement, de plus, et elle n'est pas prête non plus à se montrer devant un ami commun avec lui, malgré le fait qu'elle se soit rendue compte de l'affection qu'elle lui portait. Ne pas mettre la charrue devant les Tsi'ly. Surtout que bon... ça reste Vrenn.
Elle aurait pu appeler Luz, aussi, sa confidente et son principal soutien dans cette affaire. Mais elle a décidé d'affronter cette soirée sans avoir encore une fois besoin de son appui émotionnel. Si elle doit pleurer avec Jack, autant que ça reste entre eux, finalement.
Quand Zahria arrive à l'adresse indiquée par Jack sur son invitation, elle est surprise de voir une loutre géante dans le petit jardinet devant la porte. Son ami examinateur en a-t-il adopté une ? Il lui semblait qu'aux dernières nouvelles, il était plutôt amateur de Gloobies, mais bon... Qui est-elle pour critiquer ses lubies, après tout. Il y a plusieurs voix qui résonnent derrière la porte, et Zahria est bien étonnée. S'est-elle trompée d'adresse ? Ça expliquerait la loutre, ceci dit. Elle se décide à frapper malgré tout, au pire si elle est chez les voisins, ils pourront toujours la rediriger chez Jack.
...
...
...
Luz la fait entrer, un peu de force, et Zahria commence à reprendre ses esprits. Que... quoi ? Que font-ils tous là ? Où est-elle, sa soirée de deuil alcoolisée avec Jack ?
Jack, d'ailleurs, le voici, l'accueille en hôte parfait, lui claque une bise de chaque côté avant de prendre la bouteille qu'elle lui offre. S'il fait un commentaire, Zahria n'en entend rien, toujours abasourdie par l'ambiance et la découverte de ces gens chez lui. Son regard se pose sur Naëry, qui vient la saluer, lui mettant un gentil coup de poing dans l'épaule et lui demandant quand est-ce qu'ils retournent à l'Arène, puis sur Carci, qui lui fait la bise avec un clin d'oeil appuyé. Puis sur Vrenn. Son ami, son amant, son confident. Qu'elle tire par la chemise pour le faire disparaître dans la pièce d'à côté, sous les sifflements et acclamations des gens dans la pièce. Elle entend notamment Jack crier:
« C'est pas parce que j'étais le premier à savoir que vous étiez faits l'un pour l'autre que vous devez faire ça sous mon toit ! »
S'enfermant avec Vrenn à côté, elle ne se laisse le temps d'admirer son air surpris avant de se mettre à faire les cent pas dans la pièce.
« Euh... moi aussi je suis content de te voir mais... Attends, il y a un problème ? Il s'est passé quelque chose ?
- Comment ça il s'est passé quelque chose ?! Qu'est-ce que tu fous ici ?
- Ça te gêne qu'on nous voie ensemble ?
- Non... enfin si, mais c'est pas la question !
- Comment ça ?
- C'est quoi cette mascarade ?!
- Je peux partir si tu veux.
- Vrenn, bordel, Elina est morte !
- Oui bah je suis au courant, tu sais, j'étais là, moi aussi !
- Non mais... Elina... Pfff... »
Elle passe une main sur son visage, puis s'arrête, pour regarder le barbu. Il a un air d'agacement mêlé à l'incompréhension.
Et puis elle comprend.
« Il est pas au courant, Jack ?
- De quoi, pour nous ? Nan parce que...
- Mais nan pas pour nous idiot ! Pour Elina !
- Mais qu'est-ce qu'il en aurait à foutre, d'El... »
Et puis il comprend.
« Oh. Merde.
- Comme tu dis.
- Qu'est-ce qu'on fait ?
- J'en sais rien.
- Par contre, va peut-être falloir ressortir de là, parce qu'ils vont finir par croire que...
- Bah qu'ils croient, ça me dérange pas !
- Ah ?
- Pas maintenant, Vrenn. »
Elle s'apprête à ressortir, puis s'arrête sur son chemin. Prend une grande inspiration, puis pose son regard irisé sur les yeux noirs de son ami. Il ne s'agirait pas non plus d'être injuste avec lui, après tout. Elle vient coller ses lèvres aux siennes, doucement, pour se faire pardonner.
« Je comprends plus rien.
- Juste histoire de dire que c'est pas ta faute, ça va. Désolée de m'être emportée. »
C'était moins compliqué, les putes, hein ?
Ils ressortent de la pièce, et la seule à capter le regard inquiet de Zahria, bien qu'elle tente de le cacher, c'est Luz. Elle lui fait un signe, l'air de dire "il faut que je t'explique", puis se mêle au groupe. Comment faire, maintenant, pour annoncer ça à Jack, ici, devant tout le monde... Et il continue à jeter des petits regards impatients vers l'extérieur. Bah oui, évidemment. Il l'attend. Si seulement elle pouvait arriver, frapper à la porte, s'excuser pour son retard... Ce serait si beau...
Maintenant, il faut trouver un plan d'attaque. Mais ça va pas être simple.
-Alors, petite forme ?
-S’est rien passé, Jack.
-Non mais c’est pas grave, on a tous nos limites.
-T’atteins souvent tes limites, Naëry ?
-Je ne me prononcerais pas là-dessus.
-Je vois, je vois. Ahah.
-C’est pas ce que vous croyez. Et au fait, Jack, j’ai un truc à te dire.
-De quoi Grell ?
-Vrenn.
-Vrenn ?
-Elina, bah…
-Elle est là ?
Je bondis presque vers la porte et je l’ouvre, le cœur battant la chamade. Mais non. Il n’y a rien. Juste une loutre. Enfin, LA loutre. K’awill. Elle me regarde, l’air curieux. Je tends un peu le cou pour voir si personne ne s’est caché derrière, le genre de surprise que j’aurais trouvé rigolo en d’autres circonstances, mais qui, dans la situation présente, me ferait un petit nœud à l’estomac tellement je suis à cran. Tout le monde est là ? Pourquoi pas elle ? Faut que je demande à Zahria si elle a des nouvelles. C’est plus sûr. Parce que tout le monde doit s’amuser, je rentre un instant pour prendre une assiette et la filer à la loutre qui gobe mes cookies salés avec passion. C’est une brave bête qui mérite des attentions. J’ai peu de doutes que les gamins du coin ne viennent pas l’observer de loin et que les plus hardis s’en approchent pour un peu rouler des mécaniques auprès des autres même si bon, à cet âge là, les mécaniques sont pas nombreuses. Hein. Et j’ai rien à craindre de ce côté-là, les loutres sont inoffensives et l’esprit joueur de K’awill fera le reste.
-T’aurais pas vu Elina ?
Pas de réponse. Doit pas la connaître en même temps. Question idiote. Je rentre et je vais direct vers les filles qui tiennent conciliabules à voix basses comme si on parlait de choses graves alors que bon, dans le fond, c’est pas si grave hein. On va pas en faire tout un plat. M’enfin, je suis mal placé pour dire ça.
-Zahria ?
-Oui… Jack ?
-T’as des nouvelles d’Elina ?
-Euh… Euh ... oui…
-Tu lui avais parlé de cette petite fête ?
-Oui…
-Elle … comptait venir ?
-Oui… elle … voulait.
-Parfait alors ! Elle doit être en retard.
-…
-ça tombe, elle se fait toute belle pour l’occasion.
Je souris béatement en imaginant les possibilités. M’enfin, je serais sûrement pas déçu. Mes amis ont du goût, les amis des amis en ont aussi. Je les quitte sans trop m’attarder sur les regards qu’elles me lancent et elles se remettent à parler à voix basse. Les commérages, bien un truc de fille, ça. Je suis sûr qu’elles sont entrain de faire le plan de toute ma vie future vie. Ce que je vais devoir changer dans ma maison. La tenue qui m’iraient le plus pour faire un coquet couple et les conseils qu’on devra me fournir pour être un Whiskeyjack comblé et comblant. C’est bien de se laisser aider, hein, je crache pas dans la soupe, mais il n’y a pas le feu, hein, on a notre temps. Je repasse par l’étape cuisine pour le deuxième service avec des petits pâtés et je sors une bouteille de Dead Glooby Club parce que je connais pas. En même temps, les glooby, je connaissais pas et maintenant, j’aime beaucoup. C’est que c’est chou ces petites bêtes. Et puis, Jack et Elina s’entendent très bien. Sûrement un signe. Pour en revenir sur les conseils, parfois, je me dis que ça serait sympa de se transformer en glooby pour discuter avec eux et en avoir des conseils.
Mais ça arrivera jamais, hein ?
Je retourne vers Naëry et Drell et je leur propose de goûter.
-Je connais pas, ça a l’air bon.
-Avec plaisir Jack.
-Alors, Naëry, dis-moi, comment tu es tombé sur cette jolie fleur ? On va pas se mentir, tu as un certain succès, mais j’ai bien l’impression qu’elle t’a sérieusement ferré. Ça doit pas être n’importe qui pour arriver à ce résultat.
-C’est qu’il faut pas trop en dire.
-Oh oui, mais je demande comme ça, juste pour savoir. Je dis pas non à deux trois infos. Ça pourrait servir. Prochainement. Si tu vois ce que je veux dire.
Clin d’œil. Clin d’œil. Et puis je jette un regard à la porte. Encore.
Elle fait chier, Zahria, j’comprends pas pourquoi elle réagit comme ça pour les autres. Qu’est-ce que ça peut foutre, qu’ils nous voient ensembles ? C’est pas comme s’ils allaient s’en rappeler, de toute façon, au-delà de demain ou d’après-demain, donc j’trouve vraiment qu’elle en fait trop. Puis, bon, hein, on serait p’tet plus discret si elle parlait moins, l’air de rien.
Ça doit être la mort d’Elina qui la fout à cran. Ça va, elle a choisi de faire carrière dans la Garde, ils sont quand même pas tous morts dans leurs plumards, merde, ou alors certains dans des circonstances assez folkloriques qui ont fait les choux gras de la Capitale à l’époque. Déjà, dans les métiers bidons, les gens meurent parfois, alors dans une branche dont on attend de toi de te battre si besoin jusqu’à la mort contre des brigands, des monstres, et je sais pas quoi d’autre, c’est quand même pas si capillotracté d’avoir des pertes, quoi.
Bon, apparemment, elles se connaissaient depuis l’académie, mais, hé, ça va, moi aussi j’connais des gens qui sont morts depuis que j’étais marmot, j’en fais pas tout un fromage.
Celui qui risque d’en faire un fromage, c’est Jack. La bourde, n’empêche, en tant que premier arrivé, j’aurais pu lui dire… ça aurait cassé l’ambiance pour les suivants, mais bon, mieux vaut ça que le voir se recoiffer, rajuster son col, vérifier la porte, la fenêtre, pour l’arrivée de von Andrasil… Mais bon, comment j’aurais pu savoir que Jack l’Examinateur avancerait sur la route de l’amour avec le glaçon du nord ? C’est improbable à bien trop d’égards.
Et puis, bon, ça va plus avancer grand-chose, là, à moins de devoir le mettre moi-même derrière les barreaux…
Et ça commence à réfléchir stratégie, une manière d’annoncer la nouvelle en douceur. C’est comme un pansement, faut l’enlever d’un coup sec, gueuler un bon coup, et passer à autre chose. Il en trouvera d’autres, et après quelques murges et quelques belles rencontres, tout ça sera sûrement derrière lui. J’demanderai du remontant à Gégé, tiens, prochaine fois que j’le croiserai.
J’manque de m’étouffer dans mon verre quand ça parle de la liaison entre Naëry, que j’suis sûr d’avoir déjà vu quelque part, mais c’flou… p’tet à la Guilde, tiens… Mais j’ai l’impression que c’est ailleurs… et Luz Weiss. Encore un nom que j’avais mal compris. J’mettrais bien tout ça sur le compte de la blessure de la Citadelle des Tréfonds, mais ça serait peut-être un brin de mauvaise foi. Jack devait pas bien articuler. Reste que Weiss, pour être passé par là, à mon avis Naëry est pas du tout le seul, et ça doit souvent se faire à la va-vite dans le cabinet. Donc si y’en a un qu’a ferré l’autre, je doute pas trop des rôles.
M’enfin, hein, je juge pas, l’important c’est qu’il soit heureux et qu’il passe encore les portes.
« Oui, euh, d’ailleurs, Jack… »
Bordel, Zahria a raison, c’est pas facile de lâcher ça. A tous les coups, au début, il va croire à une mauvaise blague, ça va devenir extrêmement gênant, avant de casser salement l’ambiance. Enfin bon, faut bien que quelqu’un s’y colle, et au pire, il oubliera que c’est moi à force… Va être temps de ressortir l’alcool de la Cité Enfouie, j’sens. Paraît que ça file la courante, mais si ça file aussi la gueule de bois, ça sera pas plus mal.
« Oui, Traîne ?
- Vrenn. Bref…
- Ah, vos bières sont vides. Attendez voir. »
Mais contrairement à ce que j’imaginais, Jack se lève pas pour aller à la cuisine. Nan, il fait un curieux mouvement du poignet, et on voit une rangée de bouteilles en verre marcher à la queue-leu-leu jusqu’à nous, sous nos regards surpris, tandis qu’il les observe avec fierté.
« Félicitations ! Qu’il lâche.
- Hein ? Que j’réponds.
- Merci, chef ! Disent les bouteilles.
- Hein ? Fait Naëry. »
Chaque bouteille s’arrête devant un convive et s’incline légèrement avant de se dégoupiller toute seule.
« Santé ! »
Euh, d’accord ? J’attrape ma bière, qui fait un bruit de bisou alors que j’pose mes lèvres dessus, ce qui me fait instantanément reculer.
« Ouais, nan, ça va pas être possible, par contre, ça.
- Comment ça ?
- Le bruit de bisou, là, à chaque gorgée, juste non.
- Mais pourtant, ça correspond assez à…
- A ?
- Non, rien. »
J’jette un regard soupçonneux vers Jack, qui fait mine de n’avoir pas entendu et d’être en pleine conversation avec Naëry, puis d’avoir entendu quelque chose à l’autre bout de la piège, du côté des filles.
« D’ailleurs, Jack, t’as découvert ton pouvoir ? »
Ouais, pasqu’officiellement, il en a pas, même si tout le monde a son opinion sur ce que c’est. Y’avait une cagnotte à l’époque, chez les Examinateurs, pour deviner ce que c’était. Quand j’suis parti, le pari qu’était le plus suivi, c’était une histoire de pianos qui tombaient du ciel, quelque chose d’assez dangereux. Ah ça, les monstres, ils auraient pas fait les malins bien longtemps.
« Non, non, c’est un objet de pouvoir que j’ai acheté. »
Il nous monstre alors une belle plume.
« Avec, je peux enchanter des objets pour qu’ils parlent, se déplacent, tout ça.
- Et tu… leur apprends des trucs ?
- Oui ! Dit ma bière.
- Non ! Assure Jack. Jamais, voyons. »
J’lance un regard soupçonneux à ma bouteille, mais la magie qui l’animait semble l’avoir quittée. Bon, c’est pas plus mal.
On discute encore quelques instants autour de l’utilité de ce pouvoir, et les groupes commencent à nouveau à se mêler. Alors qu’on est assis autour de la table basse, et que j’me retrouve par hasard, ou pas vu comme Jack s’est faufilé partout alors qu’on s’asseyait, à côté de Zahria, j’profite d’un blanc pour commencer.
« Ouais, donc, Jack.
- Oui ?
- Fallait te dire… »
J’sens un talon s’écraser sur mon pied, mais j’endure stoïquement la douleur sans regarder Ombre, qui fait preuve de sa discrétion légendaire pour me faire taire.
« Hm, donc, à propos d’Elina…
- Tu penses qu’elle arrive bientôt ? Vous avez eu des nouvelles par cristal de communication ? »
Il manque de se lever pour aller vérifier à nouveau à la fenêtre.
« C’est pas tout à fait ça… »
Quand j’sens le bout pointu d’une dague contre mes côtes, j’m’interromps brusquement et j’étouffe une quinte fictive dans ma bière.
« Attends, j’reviens, j’vais boire un peu d’eau pour faire passer ça… »
Oh et puis merde, quoi, plus ça traîne, pire c’est.
De l’amour et des amis, les ingrédients d’une vie épanouie─ avec Jack, Vrenn, Carci, Luz & Zah
La soirée promet d’être chaleureuse. Je n’ai jamais vu Carci aussi sensuellement vêtue, je dois avouer ne pas l’avoir reconnu les premières secondes. Sa tignasse poivre et sel l’a trahi plus vite que sa langue. Très vite la conversation s’anime, la venue de Luz ne fait qu’enflammer les regards, enfin le mien surtout. Une nouvelle tournée et nous voilà riant de bon coeur.
Zahria fait son apparition, en avant-dernière. Cette Elina semble se faire désirer, j’espère qu’elle ne posera pas un lapin à ce pauvre Jack si pressé de la voir débarquer. Les sous-entendus fusent et je comprends plus ou moins rapidement que la cartographe accompagnant Vrenn n’est autre que l’espionne. Sûrement l’une de ses couvertures, après tout, je l’ai connu herboriste ! Les tourtereaux s’isolent, les commentaires ne se font pas prier pour les accompagner. Nous rions avant de reprendre un fil de conversation plus décent. J’enlace mon amante entre deux conversations, la libérant pour la laisser avec notre pipelette préférée.
Le couple sort, la mine pas si réjouit que je l’aurais imaginé. Vrenn rejoint Jack à mes côtés qui le questionne, apparemment une mollitude atteint le brave homme. Notre hôte le réconforte comme il peut jusqu’à entendre le prénom Elina. Il est à nouveau dans tous ses états, sautant de la fenêtre à la porte, puis vers le groupe des filles qui s’est formé.
Je capte le regard inquiet de Luz, puis l’air grave de Carci. Qu’est-ce qu’il se passe donc ? Vrenn est-il si mauvais prétendant ? Pourtant, il a l’air robuste le gaillard … Je ne l’imagine pas mal si prendre. Non, je ne l’imagine pas tout court ! Avec Zahria de surcroît … Vite, oublions. Je bois pour effacer les corps qui se dessinent dans mon esprit.
Jack revient une bouteille de Glooby Dead Club, j’espère que le liquide n’est pas aussi visqueux que Tarapaca. La curiosité l’emporte et j’accepte le breuvage avec entrain. Je bois une gorgée, c’est que ça ravigote ce truc !
- T’as pas besoin de conseil Jack, sois toi même, elle succombera, pour sûr!
Une tape à l’épaule et nous voilà en train de contempler une armée de bouteille vivante. Sainte Lucy, je crois que la Glooby Dead tape un peu fort. Je joue les perroquet, répétant la surprise de Vrenn. J’attrape la bière qui se présente à moi, impossible de boire au goulot tant qu’elle cause. Et v’là le brun qui s’insurge du bruit de bisous. Je la lui accorde, c’est vraiment louche !
- Oh Naë tu savais toi que les Axolotls ont un don de régénérescence ? Passionnant.
- Euh … d’accord.
- Ils peuvent passer de l’état larvaire dans l’eau à salamandre. Impressionnant.
- Okay Jack … T’es sûr que ça va?
Et le voilà à lorgner du côté de ces dames. Il a vu quoi ? Je capte rien, c’est pas dans mon habitude.
- Classe commenté-je sur l’objet de pouvoir.
On se déplace, se concentrant autour du canapé. Luz me lance un regard insistant, je plisse les yeux pour essayer de la décrypter, je crois qu’il manque des pièces au puzzle car la seule chose que je capte ce sont les grillons. Un geste en périphérie de vision attire mon attention, je vois Zahria menacer Vrenn d’un … poignard ?! Bon sang cette soirée m’échappe ! Ils sont pas censés être ensemble ces deux là !
Le type s’étouffe, Zahria se contient, Luz me foudroie du regard et Jack est heureux. Okay tout va bien … Vrenn s’échappe dans la cuisine, ni une ni deux je le suis.
- C’est quoi le problème?
- Y a pas d’problème.
- Zahria ne t’a pas menacé pour rien, t’as fait quoi?
A mon tour d’être oppressant. S’il fait le moindre mal à la métisse son petit problème de garde à vous sera le dernier de ses soucis. Et je ne réponds même pas de Luz si jamais elle l’apprend !
- J’veux juste arracher un pansement.
- Quoi ?
- Craché la dure vérité.
- Tu veux la quitter ?
- Hein ?!
- Zahria !
- Faudrait déjà qu’elle assume d’être avec moi.
- Ah … C’est ça le problème ?
Je vois mal la brune perdre son sang froid et agresser son amant juste pour qu’il taise leur relation …
- Non c’est pas ça.
- Bon accouche !
- Elina …
- Quoi t’es avec elle aussi ?
- Tu comprends rien.
- Non, non je comprends rien ! Je te le confirme ! Explique !
- Elle est morte.
- M**de !
- Ouais.
J’ai de la peine pour ce bon jack, lui qui est si heureux. On va lui gâcher sa soirée, mais faut lui dire, maintenant. On sort de la cuisine, la mine défaite. Jack est en pleine discussion avec mon amante, Carci m’alpague discrètement.
- Naë, faut que je te dise pour Elina.
- Oui je sais, Vrenn m’a dit.
- Qui ça ?
- Vrenn. Lui là. Dis-je en montrant le brun.
- Ah Ren ?!
- Non Vrenn !
Mais qu’est-ce qu’ils ont tous avec son prénom, Carci n’est pas la première à l’écorcher. Ce n’est pourtant pas compliquer à retenir, si ? Ma boucle d’oreille chauffe toujours, mon lobe va finir rouge cramoisi.
- Faut le dire à Jack !
- Non laisse Zahria faire.
- Tout le monde sait sauf lui ! Pourquoi attendre.
- C’est délicat Naë, ça va lui briser le coeur.
- Oui, justement. Autant qu’on soit là pour ramasser les morceaux ! T’imagine tu passes la soirée à attendre quelqu’un qui ne viendra jamais ?
Je m’approche de l’intéressé.
- Jack ! Faut que ompffff …
Un coup bien placé me coupe le souffle. Cette fois ce n’est pas l’œuvre de l’Ombre, mais de la flamme. Je lui lance un regard assassin, qu’elle me renvoie fois mille. Okay ! Laissons les gérer ! J'attrape mon petit sac sans fond et je pars m’asseoir à côté de Vrenn sur le canapé pour assister au désastre. Fouillant dans ma besace j'en sors une potion paillette et en bois une bonne lampée avant que le liquide ne fasse effet. Des paillettes jaillissent du bout de mon index, j'en arrose le groupe qui discute. Les regards noirs se multiplient tandis que Jack rit de mon doigt.
- Qui en veut ?code ─ croquelune
- Moi, j’en veux !
J’attrape la fiole de la potion de Näery et boit une gorgée. Attendant quelques secondes que l’effet se fasse et pointe mon doigt en direction de Naëry pour lui lancer quelques paillettes dans les cheveux.
- Oh trop cool ! Je n’avais jamais pris celle-là, faut que je m’achète aussi des sucres oh-oh, a ce qui paraît c’est trop drôle.
Mais avant, j’avais autre chose à faire. Il faut mettre l’ambiance car avec les petites messes-basses de Luz et Zahria, j’ai bien compris qu’elle ne viendra pas ce soir cette Elina. Trop de boulot certainement. Mais bon mettre un rateau comme ça, ce n’est pas mignon mignon hein. Etant donné la situation, je vais faire un petit jeu !
- Hey, les copains. Je vais vous montrer ma nouvelle trouvaille. Un cube de la destinée.
Sortant de ma poche ce magnifique cube qui tenait dans la paume de ma main. Je le pose sur ma paume pour que tout le monde voit cette petite beauté.
- Ce cube est magique, une question et il vous réponds à la seconde.
Tirant de ma poche la notice que je connaissais maintenant par coeur. Je glisse le parchemin sur la table qui était replié en plusieurs volets.
- Tout le monde me dit que c’est un truc ridicule et qui ne fonctionne jamais mais je vais prouver que cette chose est capable de lire l’avenir. Jack, je commence pour toi.
- Oh oui, dis moi pour Elina
- Cube, dis moi si Elina est amoureuse de Jack.
Je lance le dé avec conviction sur la table quand je sens des regards pesant sur moi. Mais qu’est-ce qu’ils ont tous ce soir. La bière n’est pas bonne, il y a discorde dans leur manège à trois, quatre, je ne sais plus moi maintenant.
- Oh tiens, étrange, c’est une tê------
- Carci, Carci… relance ton cube, veux-tu.
Naëry avait couvert ma bouche de sa main et j’essaye de lui faire retirer quand Zahria me lance un regard noir. Ils ne sont pas drôles ici
- C’était quoi la réponse alors ?
- Attends, je dois relancer ! Mauvais lancé, il n’a pas tourné quatre fois sur lui-même.
J’ai dis ça pour leur faire plaisir et vu le nombre de symboles qui peut s’afficher sur mon cube, presque une cinquantaine de combinaisons différentes, c’était quoi la chance que ça retombe sur le même sauf si bien entendu c’est la vérité hein. Le dé tourne sur la table quand le symbole finit par apparaître de nouveau sur la face du haut. Encore une tête de mort.
- Alors ?
- Hey, tu ne vas pas le croire Jack mais c’est encore une tête de mort.
- Comment ça.
J’attrape la notice que lisait Luz et part sur la ligne de la mort.
- Bah euh… ça veut dire que… que c’est mortel entre vous ! Qu’elle mourait pour toi, Jack !
- Ah oui ! Ton cube peut me dire quand elle arrivera ?
- Bien sûr.
- Carci…. Arrête tes conneries.
Mais trop tard, j’ai lancé le dé avant l’avertissement de Zahria.
- Encore une tête de mort.
- Elle doit vachement t’aimer Jack. Une femme dévouée, tu as de la chance mon pote.
Je frappe son épaule et je tire quelques paillettes avec mes doigts.
- Pour vous montrer l’efficacité du dé, je vais essayer ça. Est-ce que Zahria m’aime à la folie !
Je lui fais un petit clin d’oeil et elle lève les yeux au ciel. Un symbole apparaît et Naëry attrape la notice à son tour.
- Cherchez pas, ça veut dire “ oui, Absolument “. Très efficace
Je m’approche tout doucement d’elle, par-dessus la table quand je vois un lançage d’oreiller dans ma direction. Avec mes réflexes (dé : oui), j’arrive à attraper le dit oreiller par chance. J’envisageais maintenant la disparition avant qu’on m’étripe, je pouvais activer mon item de secours où j’ai le droit à un usage unique par jour d’une téléportation ou sinon, je vais affronter les démons qui sont en face de moi.
- Vous voulez essayer à moins que… ce cube révèle d’autres secrets, hein !
Petit clin d’oeil à l’assistance.
Elle n’eut pas le temps d’accaparer l’attention de Zahria que celle-ci disparaissait rapidement dans la pièce adjacente aux côtés de Vrenn. Elle se rassit, la tête embrumée d’hypothèses, jetant à peine un regard pensif aux paroles joyeuses de ses autres compagnons. Zahria était restée évasive sur les circonstances de la mort d’Elina. Sa colocataire était mise à rude épreuve ces derniers temps, aussi la praticienne n’avait-elle pas insisté… Les conséquences du statut de Maître Espion semblaient plus que jamais venimeuses et Zahria demeurait à présent impuissante face à la dangerosité de son quotidien. Le monde d’Aryon pouvait certes se targuer d’une relative sécurité, celle-ci n’était due qu’aux Gardes qui acceptaient vaillamment de se sacrifier pour elle. Malheureusement, frayer avec le feu impliquait de pouvoir perdre à tout instant un camarade ou un autre, et de devoir malgré tout se relever… Luz vivait d’ailleurs dans la crainte intérieure de découvrir un matin l’absence de l’un d’entre eux. Zahria, Naëry, Carci, Calixte et tous ses amis proches semblaient avoir un attrait particulier pour les métiers difficiles… Lorsqu’il ne s’agissait pas de mater une meute de loups affamés ou un basilic mécontent, ils adoraient rappeler leur existence aux pires truands du continent.
Aussi, lorsque Zahria reparut enfin, Luz s’empressa d’accrocher son regard avec moult insistance. Elle dut attendre que l’attention se fractionne un tantinet pour décrocher un splendide sourire à Jack – le pauvre, si adorable et si inconscient de ce qui se tramait- et s’exclamer avec toute l’innocence dont elle était capable :
Bien entendu, le gentilhomme se fondit d’une gracieuse approbation enjouée. Il n’existait de toute façon pas un seul monde où Jack n’aurait pas fait preuve de politesse et d’une compréhension toute ingénieuse envers les problèmes des autres… Luz le remercia chaleureusement et entraîna Zahria à sa suite jusqu’à ladite pièce, refermant précautionneusement la porte derrière elles. Elles n’avaient que quelques minutes pour clarifier la situation, durant lesquelles l’Ombre fit mine d’humidifier sa manche.
Malheureusement, sa colocataire lui confirma ses doutes.
Le silence fut interminable. Elle leur renvoya leurs regards effarés, pivota lentement sur elle-même, et amorça l’once d’un sautillement vers la porte. Prise de panique, Luz saisit la première chose à sa portée et la jeta sur la bouteille vivante. Celle-ci disparut donc sous le tissu duveteux d’une longue serviette de bain blanche, non sans un glapissement étouffé. Il n’en fallut pas plus pour que la praticienne, prise dans l’urgence de la situation, n’ait le réflexe de bondir sur le tissu cotonneux pour mieux y bloquer l’indésirable intruse. Alors, la bouteille se mit à crier comme un goret assassiné, sa voix en grande partie couverte par la matière doucereuse du baluchon improvisé. Zahria eut l'intelligence d’augmenter immédiatement l’arrivée d’eau bruyante et Luz tâcha de son mieux d’étouffer ce macabre kidnapping sous des couches supplémentaires de serviettes. Qu’est-ce que c’était que cette horreur ?! Un brin haletantes, figées dans le silence de la pièce à présent que les hurlements et les imprécations de la petite bouteille avaient pris fin, Luz et Zahria guettèrent une potentielle réaction à l’autre bout de la demeure. Des éclats de voix enjoués leur parvinrent, preuve que personne n’avait rien remarqué. Luz eut un long soupir soulagé.
Elle lui glissa un regard contrit, et étreignit un bref instant sa dextre en témoignage de son soutien. Fort heureusement, elles quittèrent suffisamment tôt la scène de crime pour que Luz puisse intercepter Naë’ à deux doigts de vendre la mèche à ce pauvre Jack. Elle lui coula un regard foudroyant, et tâcha de lui transmettre un message muet fort peu discret. Cette soirée était décidément un véritable fiasco… Et Jack qui avait creusé sa propre tombe en invitant les plus joyeux lurons de la Capitale à venir fêter avec lui le décès atroce de sa chère future épouse… ! Même punis sur le canapé, les garçons demeuraient incapables d’être aussi sages que des agneaux. Cela, sans parler de la plus féroce de toutes les tempêtes sans tact, Reine des maladresses et aveugle liseuse d’ambiance, Carci, qui paraissait réaliser beaucoup d’efforts pour se glisser dans la peau d’un éléphant au milieu d’un magasin de porcelaines.
Pauvre Jack. Pauvre Zahria. Ils n'étaient pas aidés !
Zahria avance dans un nuage épais, une espèce de purée d'pois bien nauséabonde - pas que ça sente mauvais chez Jack, bien au contraire, son habitation est impeccable, mais c'est plutôt la situation qui est compliquée. Et si tout le monde, autour, a compris de quoi il se tramait, et si les hommes ont voulu jouer aux fiers et annoncer la nouvelle d'un coup pour des histoires de pansement à arracher, elle le sait, ils le savent tous, c'est à elle de le faire, et les secondes sont des heures alors que un à un, ils posent leurs regards lourds sur elle, cherchant tantôt à lui apporter du courage, tantôt à lui faire comprendre que c'est tout de suite, tantôt à détourner la conversation pour lui laisser un répit.
Combien de bouteilles de Dead Glooby Club devront y passer, avant que Zahria ne trouve les mots, le moment, l'énergie pour détruire le meilleur d'entre eux ? Ne devrait-elle pas s'éloigner, là-bas, avec Naëry et Carci qui jouent avec des paillettes, ne devrait-elle pas laisser Vrenn le lui dire, Luz le secourir comme elle sait si bien le faire, même avec le plus inconnu des gaillards ?
Et alors qu'il jette un énième regard par la fenêtre, où l'on perçoit l'obscurité de la soirée qui s'installe, et les lampadaires que l'on commence à allumer, et qu'il jette un regard à l'horloge, inquiet, Zahria s'approche de Jack, enfin. Chacun de ses pas marque le rythme de cette exécution qu'elle est sur le point d'accomplir, et elle voudrait pouvoir fuir, loin de là, loin de tout.
« Jack, il faut que je te parle, je...
- Oh, Zahria, tu as les mains vides ! Pas chez moi, hein ! Mais... on dirait qu'il manque une bouteille de Dead Glooby Club, il y en avait une de plus sur la table tout à l'heure, tu ne l'aurais pas vue ?
- Ecoute-moi, s'il te plaît, Elina...
- Oh oui, Elina, raconte moi tout à son sujet, je veux tout savoir ! Qu'aime-t-elle manger, boire, lire, sentir... A-t-elle parlé de moi ? Sais-tu pourquoi elle a du retard ?
- Oui, Jack...
- Je ne suis sûr que ce n'est rien, n'est-ce pas, elle va bientôt arriver !
- Non, tu sais...
- Ce n'est pas grave, je peux l'attendre jusqu'au bout de la nuit... »
Deux bras saisissent Jack de chaque côté, et le forcent à l'asseoir sur une chaise. Etonné, il se tourne vers Luz et Vrenn, qui le tiennent chacun d'un côté, en même temps que Zahria qui leur glisse un merci silencieux.
« Qu'est-ce qui a, c'est ma coiffure ? Et comme je suis trop grand tu n'y arrivais pas ? Tu es bien gentille, Zahria, de te préoccuper de mon apparence alors qu'Elina va arriver...
- Jack, tais-toi.
- Je... euh... oui ? »
Les souffles sont retenus, les regards sont tous posés sur elle. Dans leur vivarium, même les Gloobies la scrutent de les yeux globuleux.
« Tu voulais me dire quelque chose, Zahria ?
- Oui. Jack... Elina est morte. »
Son sourire ne disparaît pas tout de suite, et il ne s'effondre pas d'un coup. Non, au contraire, ses yeux marquent une incompréhension, ses sourcils se froncent. Comme s'il avait mal entendu. Il ouvre la bouche, comme s'il allait lui demander de répéter, mais rien ne sort. Il défronce, refronce les sourcils, ouvre, ferme la bouche. Puis retrouve un grand sourire.
« On ne doit pas parler de la même. Ça se saurait, si la capitaine du Blizzard avait eu un problème...
- Ça se sait, Jack. C'était dans tous les quotidiens. Je pensais que tu étais au courant, je venais ce soir pour te tenir compagnie et affronter la soirée ensemble.
- Mais... on est sûrs que c'est bien elle ? C'est pas sa soeur jumelle ?
- On est sûrs, Jack. »
Qui plus est, Elina n'a jamais eu de soeur jumelle, mais une mauvaise nouvelle à la fois. Il prend sa tête entre ses mains, Zahria s'accroupit et pose une main sur ses genoux. Vrenn est toujours là, bien à côté, stoïque. Si sa posture désinvolte dit qu'il a l'habitude de gérer ce genre de situation, une petite ombre dans son visage laisse deviner à Zahria que ça l'atteint tout de même, de voir son ami dans cet état. Luz est un peu en retrait, prête à intervenir. Naëry et Carci se sont rapprochés, mais se tiennent à bonne distance, préférant ne pas envahir l'espace personnel de l'homme qui parlait aux bouteilles de bière.
Il marmonne des choses, dans sa barbe, et Zahria croit même voir une larme, quoi qu'elle n'en est pas sûre. Et au moment où elle est sur le point de reprendre la parole, pour sortir des paroles réconfortantes et un peu convenues que l'on aurait dit à n'importe qui dans cette situation, la porte de la salle d'eau s'ouvre en trombe. Tous se tournent dans sa direction, pour voir une bouteille de bière, qui avait pourtant été bien ficelée, sautiller en se débarrassant des derniers liens et serviettes qui la recouvraient.
« Jack ! Jack ! Il faut que je te l'annonce ! Il faut que tu saches ! JACK ! ELINA EST MORTE ! »
La bouteille s'arrête, scrute son propriétaire, puis tous les convives, les uns après les autres. Semble se tortiller sur elle-même, honteuse.
« Je suis en retard, c'est ça ? »
-Trinquons ? Comme on dit par chez nous, une de perdu, dix de retrouver. Ce n’est que parti remise, non ? On va se bourrer la gueule comme pas permis et on repartira à neuf demain. Allez ! Santé !
Je bois d’un coup sec.
Ça, c’est ce qui se passerait si j’étais un connard et si Elina m’avait pas ferrer le cœur, même si c’est peut-être un peu par hasard et parce que j’ai beaucoup cogité à ce sujet. Le fait est que je l’aime. Et quand on aime quelqu’un, ce quelqu’un prend une place en vous. Vous n’êtes complet qu’avec elle. Avant c’est pas le cas, mais ça fait partie de l’alchimie. Alors, quand on vous dit que votre âme sœur n’est plus, c’est comme si on vous arrachait quelque chose avec un pince-monseigneur sans prendre le temps de vous prévenir que ça va faire mal. D’abord parce que c’est inutile et surtout parce que ça fait très mal. On vit de sentiments. On réagit à travers ses sens. Mais à cette annonce, c’est comme si j’étais dans une bassine de coton. Tout est atténué. Jusqu’à ce que je ne ressente plus rien. Comme prisonnier de moi-même avec la pensée lancinante de la nouvelle me tournant autour. Elle est morte. Elle est morte. Qu’une de mes bouteilles m’annoncent la nouvelle aurait pu me faire sourire si j’étais encore capable de ressentir ce sentiment. Vous savez ? L’amusement. Mais je ne ressens rien. Juste le vide en moi qui ne fais que me faire signe.
Je me sens pas bien.
-Je… je crois que je vais monter un instant. J’ai… J’’ai dû laisser une fenêtre ouverte.
Pitoyable excuse dont personne a la bonne intelligence de remettre en question. Je fends les rangs, plus hésitants que dans la version alternative de mon existence et je manque de me casser la figure dès que je tente de poser le pied sur la première marche. Je sens des gens venir m’aider dans mon dos, mais je les arrête d’un geste. J’y arriverais très bien tout seul. Je ne suis pas sénile, non ? Je me reprends tant bien que mal et je monte rapidement les marches, disparaissant de leur vue comme si le simple fait de me montrer ainsi m’était taboue. J’entre dans ma chambre et je ferme soigneusement derrière moi. Dos contre la porte, je regarde fixement devant moi avant que mon regard divague sur la pièce. Bien préparer. Le ménage fait de fond en comble. Le linge changé et lavé trois fois. La bouteille de vin et mes deux plus beaux verres sur la table de nuit. Une douce odeur de Divinam flotte dans l’air et quelques baies accompagnent d’autres fruits dans une corbeille posée sur l’autre table de nuit.
Tout était parfait.
Nous. Elina. Moi.
Je hurle.
Mais Il ne s’agirait pas d’attirer tout le quartier à ma porte, ça serait embarrassant. J’ai envie de ne voir personne. Pas maintenant. Pas comme ça. Je hurle à gorge déployée, mais je n’émets aucun son. Je me retiens, le visage déformé par la frustration, la rage et la douleur qui pulse dans ma poitrine. Je n’ai même plus l’envie de me tenir debout. Lentement et le plus silencieusement possible, je m’écroule à genou au sol, les poings serrés au point que mes ongles pénètrent la chair pressés contre mon front comme s’il était si facile de se faire exploser la tête par la force de ces mains. Toute envie m’abandonne. Ma détresse s’empare de moi. Levant les yeux, je peux voir la lueur des étoiles. La voûte céleste est sublime. Comme si le destin s’était âpreté pour l’occasion, lui aussi. Mais les étoiles disparaissent et il ne reste qu’une abîme qui m’aspire. Ce serait si simple, non ? D’en finir. Là. Maintenant. On ouvre. On saute Sauf que j’habite au premier étage et que ça ne suffirait pas. Et puis, parait-il que l’on a une médecin en bas. Ça serait un peu comme frapper la mer. J’y renonce. Mais je l’ai envisagé. L’espace d’un instant.
Et c’est fou comment ces instants durent longtemps.
Il n’y a pas de larme. Il n’y en aura pas. Il n’y en a pas besoin. La douleur est au-delà. Elle anesthésie toute réaction corporelle. Dans un accès de courage, je me redresse un peu et je me traîne tant bien que mal vers mon lit ou je m’y affale sans ménagement. J’enfouie ma tête dans les draps beaucoup trop propres à l’odeur beaucoup trop fleuri, à la recherche d’un réconfort, la douceur d’un coin de bras dans lequel enfouir mon visage et de s’y laisser aller, bercer et protéger par celle qui veille sur nous. Et à nouveau, cette simple pensée ne fait que resurgir le manque que j’ai en moi. Pourquoi rechercher du réconfort me fait tout le temps penser à elle ?! Parce qu’elle était mon réconfort. Elle devait l’être. C’était elle, les papillons dans le ventre.
-Psss. C’est à nous, non ? Pour la chanson d’amour ?
-Oui. Je crois.
-Oubliez pas. La dernière chanson qu’il nous apprise.
-Pas celle de Melvin Gaie, on est d’accord ?
-Non. Pas assez péchu. L’autre. Du moustachu.
-Ok.
-Prêt ?
-Prêt.
-Prêt.
-Alors, un, deux, trois, quatre !
-Oh Tu touches mon Tralala !
-Mmmh… mon ding ding dong.
-Mmmh.
-Fll ! Fll ! Teuteu teutautin teuteuteu teutautin teuteuteu !
-LA LALALA LALALA LALALALALALALA LALALA LALALA LALALALALALALA !
-Oh ! Tu touches mon Tralala !
-Les gars…
-Tututu ! Flll ! Flll ! Flll !
-LA LALALA LALALA LALALALALALALA (Mmmh, mon ding ding dong) LALALA LALALA LALALALALALALA !
-LES GARS.
-LA LALALA …
-CHUT.
-Bah quoi ?
-Il a dit chut !
-On a fait quelque chose de mal, Jack ?
Je regarde mes cintres. Ils ont tout bien fait comme il faut. Comme ce qui était prévu. Je peux pas leur en vouloir. En d’autres circonstances, ça m’aurait arraché un sourire. Mais vous commencez à comprendre que les circonstances ne sont pas adéquates, n’est ce pas ?
-Silence. S’il vous plait.
-ok.
-Bien compris.
Le silence revient. Ce bref interlude musical me rappelle ce qui aurait pu se passer, un instant. Bien dérisoire face à l’ampleur de ce que j’ai eu en retour. Ça a eu le mérite de me sortir un peu de moi-même. La douleur est toujours aussi intense et c’est comme si j’étais paralysé, sur le dos, dans mon lit à peine défait et je fixe le plafond, immobile comme jamais. Je cherche mes souvenirs. Mes souvenirs d’elle. Tant chéri. Encore plus chérie car ce seront les seuls. A jamais. Ça me refile le bourdon, mais m’y replonger, ça me sauve aussi. Une épaule réconfortante, c’est les souvenirs d’Elina qui remplissent cette office. Et pendant un temps, je reste entre deux eaux. Tiraillé par la souffrance et réconforté par son souvenir. Le réconfort finit par gagner. La souffrance recule. Elle sera toujours là. Toujours forte. Elle diminuera, mais jamais elle ne s’effacera. Elle sera toujours une ombre au fond de moi. Une blessure terrible. Une trahison du destin. Je me libère un peu de ce poids sur mes entrailles et je lâche un râle, pas forcément dans la situation que j’avais imaginé.
-Hein… quoi ? JACK ? T’AS PAS FAIT CA ?
-De ?
-Mais c’est pas possible, Jack ! Tu m’as oublié ! J’étais là, sur la table de nuit. Je te l’ai dit cent fois. Il faut se PROTEGER. Et pour ça, tu as besoin de qui ? De ton copain Navast ! En plus, je suis de qualité ! Une belle baudruche d’agneau, fine et parfumé avec soin. Un gant des dames de qualité. ET TU M’OUBLIES ? Tu me déçois Jack. Je pensais que tu saurais refréner tes instincts. En plus, t’as été discret jusque là !
-Navast…
-Quoi ?
-Pardon.
Je le prends et je le mets sous l’oreiller pour le faire taire. Je me sens bête sur le coup. Alors que je devrais pas. Je reste deux minutes de plus prostré dans mon lit, immobile, puis je sens que la vague est passée. Je ne sais pas combien de temps est passer. Ils vont commencer à se poser des questions. Sans doute. Je finis par me lever, à me resaper correctement et je mets la main sur la poignée. J’inspire. J’expire. Qu’est ce que j’oublie ? Qu’est ce qui caractérise Jack ? Son sourire. Son sourire sympathique. Je plisse les lèvres. C’est difficile. Plus difficile que ça ne l’a jamais été. J’arrive à quelque chose d’affreusement potable et de superbement hideux en même temps. On s’en contentera. Je prends sur moi. Ce ne serait pas Jack de laisser traîner ses invités aussi longtemps. Quelque part, Elina me regarde. Et en sa mémoire, il me faut faire ses efforts. J’aurais tout le temps de rester prostré au fond de mon chez moi plus tard.
D’un tour de main ferme, j’ouvre la porte.
C’était donc de ça que parlait les autres… Je comprends pourquoi tout le monde me regardait bizarrement tout à l’heure quand je jouais avec mon dé. Ce n’est pas de ma faute si les gens expliquent mal les choses comme si cette Elina était la fameuse capitaine morte aux combats. Je ne suis pas au courant de tout comme eux.
Jack a du mal à accepter la réalité, c’est certain et quand je vois débarquer sa bouteille qui clame haut et fort, la mort de l’être aimé, je me dis que je venais de faire la même boulette. Bon après, je ne connaissais pas parfaitement l’examinateur mise à part qu’il avait le don de regarder mes fesses ou d’embobiner toute ma famille en se présentant comme le gendre idéal. C’était un type bien le Jack et quand je le vois dans cet état, ça me fait un pincement au coeur comme tous les gens autour de lui. Luz et Naëry filent le parfait amour. Zahria et Vrenn ? C’est compliqué puis moi avec Lin… c’est à notre manière mais elle n’était pas là donc ça ne compte pas.
Il finit par se lever et part à l’étage. Les restants se regardant comme du merlan frit et pas un mot ne sort de notre bouche quand on l’entends hurler tout comme la sérénade de cintres chantants. Il a … des goûts étranges mais peut-être que Elina adorait ça, moi je la connaissais pas mais ça devait être une femme super pour que Jack jette son dévolu. Je ne sais pas combien de temps dure le silence de mort mais je finis par poser la question qui tue.
- Qui part le consoler ?
On se regarde tous et aucun ne semble se dévouer.
- Zahria, tu as l’air d'être de sa meilleure pote non ?
- Je viens de lui annoncer sa mort, je ne vais pas le consoler juste après.
- Luz, tu fais des calins géniaux. Tente ta chance !
- Et pourquoi pas une accolade virile avec Naëry ?
- Euh, oui...
- Naëry, tu te dévoue ?
- Faut bien que quelqu'un y aille..
- Moi peut !
Tout le monde tourne la tête devant un K’awill qui vient de dire son premier mot depuis notre escapade à la Citadelle des tréfonds.
- Tu veux le faire K’awill ?
Il secoue la tête avec énergie et grimpe les escaliers un à un pour se retrouver devant la porte de la chambre de Jack. Il s’assoit devant, la truffe levé attendant que le moustachu daigne ouvrir la porte. Il savait qu’il n’arriverait pas à parler, son lien magique était défectueux depuis quelques jours mais faire des câlins et le pître, ça il le savait. La porte s’ouvre alors vers le grand homme. C’était tout de même le premier baiser du familier et c’était avec cet homme qui avait le don d’énerver sa maîtresse adorée. Bon la loutre était beaucoup grosse qu’un simple gros chien. Elle prenait de la place dans le couloir et sa truffe tape le torse de l’aventurier pour quémander des caresses. Ca serait un chat, il ronronnerait mais ça il ne savait pas faire. A la place, il se frotte contre la main tendue de ce bon vieux Jack.
Je ne savais pas ce qu’il se passait en haut mais on devait briser la glace avant que Jack revienne puis c’était une fête, on devait s’amuser non ?
- Näery passe moi ta potion paillette ! Je crois qu’il faut qu’on rigole un peu ici.
Tiens.
Je bois une gorgée et attends de nouveau que le produit fonctionne quand j’entends les pas lourds de ma loutre qui redescends. Jack était devant, K’awill poussant celui-ci dans son dos.
- Ouais ! Il est revenu !
Levant légèrement les bras, des paillettes sortent de mes bras dans un flot continu. Je continue alors de les secouer énergiquement pour calmer tout ça, rien n’y fait. Bon seule solution, les mettre sous les fesses pour que le flux s’arrête.
- Euh… problème de dosage, c’est tout !
Les gens se décalent pour laisser de la place pour Jack mais personne n’arrive à dire quoi que ce soit. Moi je m’en fiche, je passe mon tour pour cette fois-ci.
Luz jeta un regard mauvais à la satanée bouteille qui venait de cafter. Ne pouvait-on plus même faire confiance au mobilier ?! N’était-ce donc plus guère possible de se raconter des secrets de polichinelle autour d’une bonne bière, sans que celle-ci ne vous dénonce, accompagnée de la table, de votre chaise, et de la baraque entière ? Sceptique et ombrageuse, Luz jeta un regard noir au canapé sur lequel elle se trouvait. Savait-on jamais. Elle n’y resta fort heureusement pas longtemps, car dès lors que ce bon vieux Jack disparut dans les escaliers, elle se leva précautionneusement et s’approcha à pas de loup de Zahria. Zahria dont les épaules étaient à présent à mi-chemin entre l’affaissement et l’anxiété rentrée, tendue comme un arc et tout autant abattue. Elle glissa une main dans son dos et vint coller sa chaleur à la sienne, glissée à ses côtés avec le naturel d’une sœur.
Elle lui offrit un sourire apaisant en retour, et se proposa de lui apporter de quoi boire pour se ressourcer quelque peu de ses émotions. Certes, Jack avait disparu dans les tréfonds de sa masure pour cuver sa détresse, mais c’était du moins là la première étape du deuil. Il était important qu’il puisse suivre ces étapes à son rythme, par lui-même, pour laisser derrière lui progressivement l’Elina qu’il croyait vivante. Certaines souffrances étaient ainsi toutes aussi essentielles qu’elles faisaient partie intégrante du processus de guérison. Et en tant que praticienne, Luz ne connaissait que trop bien la douleur engendrée par la perte d’un être cher.
Lorsqu’elle revint, le pas de Jack se faisait entendre dans l’escalier, accompagné des bruits de pattes galopantes de la si mignonne K’awill. Ah, que ne donnerait pas Luz pour être accompagnée chaque nuit d’une adorable loutre géante à la truffe toute humide ! Enfin, se corrigea-t-elle, elle aurait mauvaise grâce de se plaindre : ses nuits s’étaient considérablement adoucies depuis qu’elle pouvait les partager avec Naëry… Oui, elle ne l’aurait vraisemblablement troqué pour rien au monde. Et c’est cette pensée en tête, accompagnée par l’évidente sympathie qu’elle ressentait à l’égard de Jack, qui la convainquirent d’intervenir avant que l’Aventurier ne se trouve une place sur le canapé.
Son sourire était affreux. Une sorte de disque rayé, souligné par la gestuelle d’un pantin artificiel. Humain, mais presque recomposé. Luz qui n’était guère capable de prétendre que tout allait bien ou de laisser l’un de ses proches agoniser dans sa détresse, se dirigea vers lui et lui dédia une étreinte brève avec autorité. Maligne, elle s’était emparée d’un verre qu’elle avait rempli pour lui d’un liquide ambré lourd et chatoyant :
Ses sourcils se froncèrent néanmoins fugacement. Elle jeta un regard à la dérobée, et se pencha vers lui pour lui glisser presque à l’oreille sur le ton de la confidence :
Enfin, du chou-fleur, pour ce qu’elle en voyait. De ce qu’elle savait, cela pouvait tout aussi bien être un morceau de salade, ou de n’importe quel végétal. C’est qu’il mangeait équilibré, ce Jack ! Et elle n’allait tout de même pas le laisser vagabonder au milieu de son salon avec ce végétal gênant entre les dents, non… ? Cela n’aurait tout de même pas été très amical de sa part. Cela n’était d’ailleurs jamais sympa de laisser quelqu’un avoir l’air bête.
De l’amour et des amis, les ingrédients d’une vie épanouie─ avec Jack, Vrenn, Carci, Luz & Zah
Quel scène terrible qui se joue là dans ce théâtre du drame. Comment une fête peut-elle basculer comme ça ? Je pourrais ne pas y croire sans la mine dépitée, que dis-je, déconfite, de Zahria. Et l’abattement de Jack … Mon cœur se déchire.
C’est donc cela que j’ai fait vivre à celle qui est aujourd’hui mon évidence ? Comment ai-je pu ? J’observe ma belle aux cheveux de feu un long moment, mille excuses dans le regard tandis qu’elle rassure Zahria, annonciatrice de fin du monde. Une vie ensoleillée devenue monochrome en l’espace de quelques secondes, sans goût, avec pour seule odeur les cendres d’un amour consumé par un feu qui n’a même pas eu le temps de naître.
Jack disparaît dans les méandres de son malheur, la porte fermée ne nous empêche pas d’entendre sa souffrance, mon ventre se sert. Debout, en bas des escaliers, je suis prêt à le rejoindre pour partager sa peine. Comment faire ? Que faire ? Rien. Rien ne pourra le soulager. Seule la nouvelle d’Elina en vie serait le pansement à son coeur. Mais voilà, je ne suis pas faiseur de miracle, encore moins de faux espoir.
Égoïstement je suis soulagé que K’awill rejoigne notre soldat Ryan. Il est peut-être le plus apte à le sauver dans son incompréhension de la situation et grâce à sa bonhomie habituelle. Et le résultat ne tarde pas, une porte qui s’ouvre et des pas dans les escaliers. Il passe, ma main se pose sur son épaule dans une tape amicale qui se veut encourageante et compatissante. Sérieux, je n’ai que ça comme réaction à servir ? Je me sens con, un ami en carton. Je laisse Luz prendre la relève, sa douceur n’a d’égal sa frivolité.
Elle lui sert un verre, j’en profite pour me glisser à ses côtés, fouillant dans mon sac et en ressortant une fiole dont le bouchon prend des allures de bonnet rouge à pompon blanc.
- Attends, prends ça.
Je verse une lampée de potion oh-oh à ce bon Jack, et je bois le reste dans un élan irréfléchi. Luz lui glisse quelques mots à l’oreille, sûrement des douceurs dont elle à le secret (quand on sait qu’elle parle de chou-fleur en réalité …) qui ont pour effet de transformer le sourire crispé de Jack en sourire … contracté. Mais plus sincère.
Il se lève, j’imagine qu’il n’a qu’une envie, être seul dans sa détresse, que nous autres rentrions chez nous. Je ne compte pas le laisser se noyer et lui tend une bouée de sauvetage dans ce maelström émotionnel.
- Je sais que rien ne pourra enlever ta douleur Jack. Oh Oh Oh finis-je involontairement sensuellement. Quitte à te noyer, alors fais le avec nous. Oh Oh Oh.
Maudite potion, quelle idée stupide ai-je eu ! Je sers un verre Bowmore à tous le monde, nous sommes là pour le soutenir, quoi qu’il en coûte. Et la, ce bon Jack a besoin d’une cuite. C’est pas que soutienne l’idée que l’alcool soigne tous les mots, mais quand les douleur est trop forte, un bon coup dans le nez permet de se libérer un tant soit peu plus librement, pas toujours dignement certes, mais avant que son coeur n’explose j’agis … A ma façon.
Vrenn me suis sans hésiter, je trinque sans laisser le choix à notre hôte et bois cul sec mon verre. Wha ! C’est que ça chauffe le gosier ce Samaroli. Ça devrait plutôt s’appeler le « Ça m’ramolit ! »
K’awill tente de plonger ça grosse truffe dans mon verre maintenant vide, par réflexe je le lui retire dans un :
- C’est pas pour toi espèce de Loutre cirrhotique ! Oh Oh Oh!
J’en ai vraiment pour 24h de Oh Oh Oh ? Je lève les épaules devant le regard mi-amusé mi-réprimandant de ma Luz. Ok, je tâcherai de me taire ...code ─ croquelune
Ben voilà. J’avais dit qu’il fallait balancer la sauce dès le début. Au moins, ç’aurait été douloureux, comme un pansement qu’on arrache ou un type qu’on surine plutôt que l’étouffer doucement avec une cordelette, mais ç’aurait été fini, pas à prendre dix ans et demi, avec tous le sable qui peut se glisser dans le calbut’ à la place ou le rouage à l’usine.
Pasque là, y’a pas à dire, Jack a pas l’air bien.
Mais nous autres, on a l’air d’une sacrée bande de guignols.
Entre Carci qui fait des paillettes, Naëry avec sa potion qui le fait rire avec une bonhomie un peu bête, et je sais pas quelle conneries les autres sont encore foutus d’inventer, c’est clair, pour moi, il n’y a qu’une seule solution, et ils s’y sont déjà attelés avec un entrain qui doit mêler la culpabilité et la honte. Enfin, j’suppose. J’pense que ça ira mieux quand il aura bu un coup.
J’attends que les autres s’écartent un peu pour vaquer aux autres affaires qui le méritent, et j’m’approche de Jack.
« Ecoute, vieux… Toutes mes condoléances.
- Merci.
- Ca va être dur, mais on est là pour toi. Donc si t’as besoin de quoi que ce soit, hésite pas.
- Truelle, ça me touche, mais ça va aller. »
Ben si j’avais su que c’était elle, j’aurais p’tet fait plus d’efforts pour qu’elle survive à l’assaut du campement des Chevaliers noirs. J’me refais en accéléré le fil des événements. Ouais, nan, c’était baisé. Puis, bon, on va pas se mentir, c’était pas la personne que j’appréciais le plus au monde, au point que j’me demande bien ce qu’il lui trouvait. L’emballage était pas terrible, et l’intérieur complètement congelé. M’enfin, Jack avait p’tet réussi à y voir quelque chose, ou à faire fondre un truc qui lui plaisait… Puis chacun trouve midi à sa porte. Au moins, tant qu’il veut pas pareil que moi, j’ai une chance d’avoir quelque chose, hé ? Pasque c’est comme ça que ça se passait.
« J’ai ramené ça y’a quelques mois de la Cité Enfouie. J’voulais le garder pour une grande occaz’, m’enfin c’est digne de la picole à Gégé, alors y m’semble que c’est encore le meilleur moment pour en proposer. »
J’sors de mon sac sans fond les gourdes antiques d’alcool ancestral que j’ai récupérées des centaines de mètres sous terre. Ça avait tapé sec quand j’avais goûté, et les spécialistes avaient assuré que c’était pas empoisonné. Même que des gens en ont déjà bu, il me semble. P’tet à la fête de Grassim ? J’me souviens plus trop, j’me sentais pas trop à ma place à cette soirée, l’un dans l’autre.
J’débouche la première, et j’sers un petit verre à digeo à Jack, pour le remonter le moral, et j’m’en prends un aussi.
« T’inquiète, on va finir tout ça, et cuver un bon coup. Et s’il faut, on recommencera demain. Puis après-demain, et tout le temps qu’il faudra.
- T’es un vrai, Truelle.
- Toujours. »
On trinque sombrement, et on descend cul sec la première rasade. Puis j’me mets à servir tout le monde, dans un bon mètre de verres posés sur la table du buffer.
« Allez, servez-vous, soyez pas timides, vous risquez rien. »
A part la cyrrhose, il paraît, en tout cas.
Avec tout ça, j’m’éloigne un p’tit peu pour m’rapprocher de Zahria.
« Psst. Il a pas l’air terrible, hein ?
- Tu réagirais comment si c’était moi qui étais morte ? Nan, réponds pas, en fait. »
J’reste comme un con avec la bouche à moitié ouverte, avant de reprendre.
« Mais tu penses pas qu’il faudrait faire quelque chose pour lui remonter le moral davantage que juste de l’alcool ? P’tet pas de la musique et des strip-teaseuses mais…
- T’as une idée ? A part l’alcool et les putes ?
- Roh, ça va. J’me disais qu’on pouvait raconter nos souvenirs d’elle. Ça lui ferait p’tet plaisir et lui donnerait quelque chose à chérir le temps d’accepter le deuil. »
J’m’allume une clope. J’sais pas trop si c’est une bonne idée, au fond. Est-ce qu’il vaudrait pas mieux justement se faire un mètre d’alcool antique, un rail de blanche, et enchaîner sur une virée dans un établissement de petite vertu ? A y penser vraiment, Jack a toujours été très secret sur ces trucs-là.
Pour une fois qu'il a une idée pas trop débile en terme de sociabilisation, Vrenn, il faut peut-être sauter dessus. Bon, après, raconter des souvenirs sur Elina, ils sont pas cinquante à pouvoir le faire ce soir, mais ce sera toujours mieux que rien. Et peut-être plus efficace que les paillettes ou les "oh oh" de Naëry. Et au pire, ils n'auront qu'à inventer, hein. Tout en s'accrochant à la chaleur laissée par Luz quand elle l'a prise dans ses bras après l'annonce, et en entrelaçant ses doigts à ceux de Vrenn sans vraiment lui laisser le choix, Zahria retourne auprès de Jack. Elle se saisit de son verre rempli de l'alcool ambré qui commençait déjà à réchauffer leurs gorges, et le lève bien haut, en direction de Jack.
« A Elina. »
Les autres mettent quelques secondes à la suivre dans son exclamation, mais finissent par trinquer, puis elle avale son verre cul-sec. La main de Vrenn est toujours dans la sienne, pour lui donner du courage tout autant que l'alcool, et toujours debout, les yeux plantés dans ceux de Jack, elle reprend la parole, une trace de sourire sur la commissure de ses lèvres.
« Elina n'aurait jamais tenu plus de deux verres de cet alcool. Je me rappelle de notre première cuite, on avait quinze ans. On avait fait le mur du dortoir des recrues et... »
Merde, c'est vraiment le moment de raconter la soirée de la disparition de Thomas ? Le gars qui a tué Elina ? Elle a une hésitation, puis se concentre sur le contact de la peau rugueuse du Sbire contre la sienne, et cherche ses souvenirs. Car la soirée était plutôt bonne, avant ce tragique événement.
« ... et on est a fait plusieurs tavernes avant d'en trouver une qui accepte de nous servir à boire, on était mineures et il était tard, et évidemment comme on connaissait pas on a tapé que dans les quartiers "réglos", au début. On a dû se cacher d'une ou deux patrouilles, je me souviens, Elina était carrément pas sereine, mais en même temps on fêtait nos anniversaires donc elle avait la pression. Je me souviens qu'à un moment donné on a tourné en rond autour d'un bloc juste pour éviter des gardes, qui bien sûr en avaient rien à foutre de nous, mais on était convaincus que toute la ville nous traquait, t'imagines, l'excitation de la connerie quand t'es gosse, quoi. »
Elle marque une pause, se ressert, toujours à une seule main. Trempe doucement ses lèvres dans l'alcool.
« Et puis alors qu'on allait s'engouffrer dans un rade un peu poisseux, y'a un gars qui nous a chopé par l'épaule, on était sûrs d'avoir été découverts, ça y est, c'était fini, on allait se faire virer, trois ans à l'Académie pour rien. En fait c'était un vieux qui nous avait vu faire le tour des bars et nous faire jeter, ça l'avait fait marrer, il a proposé de nous amener dans un endroit sûr où on pourrait se torcher la gueule. Apparemment l'endroit où on allait rentrer, on risquait surtout de ne pas en ressortir. »
C'était vrai, d'ailleurs. Elle avait eu l'occasion d'y retourner plus tard, un vrai coupe-gorge cette taverne.
« Le vieux nous a ramené dans une petite ruelle, on a cru qu'il allait nous buter, et puis il nous a fait rentrer dans une toute petite taverne où il y avait trois mecs qui jouaient aux cartes. Il a assuré au patron qu'on était avec lui, et qu'on était majeurs, il s'est assis avec nous et nous a payé des coups. On a discuté toute la soirée avec lui, il nous racontait ses anecdotes, c'était un vieux docker de la Capitale, un loubard qui avait tout vu, tout combattu. Au bout d'un verre, Elina est montée sur la table, elle se prenait pour une pirate, elle a failli se casser le nez quand elle est tombée. Je l'avais jamais vue comme ça, aussi détendue, aussi libérée. A part peut-être au festival du Solstice, la dernière fois... »
Sur son cadre magique, Zahria a toujours l'image d'Elina et elle, en grenouillères smilodons, complètement torchées. Elle le sort, le tend à Jack. Ça défile, il y a l'image de Vrenn capturée par le gamin lors de sa poursuite, alors Zahria s'empresse de remettre la première et la fixer sur la cadre. En espérant que ça ne brise pas trop Jack, de la voir comme ça. Puis elle s'assoit, enfin, et s'effondre contre l'épaule de Vrenn, épuisée. Une larme roule contre sa joue et s'écrase sur le Sbire. Ce n'est pas la première qu'il essuie, et certainement pas la dernière.
-Oui. Oh oh oh. Le solstice. Elle était complètement torchée. Oh oh oh. Elle me cherchait. On s’est longtemps pas trouvé. Oh oh oh. Je pensais pas qu’on se reverrait à ce moment-là. Oh oh oh. On avait eu une aventure rocambolesque dans le nord. Oh oh oh. J’avais sauvé sa petite sœur. Oh oh oh. Un sacré personnage.
-Sa petite sœur ?
Zahria m’interrompt après avoir marqué un temps d’hésitation. Elle fronce les sourcils. Je me souviens que c’était un secret pour Elina. Elle n’en a jamais voulu en parler. Et je profite de l’aparté narratif pour dire que je vais arrêter avec les oh oh oh, imaginez qu’il y’en a à chaque fin de phrases. Merci.
-Une histoire entre nous. Rien de grave. Bref. Par pur hasard, on s’est trouvé dans le froid du nord. Puis on s’est retrouvé dans la fraicheur de la nuit à la capitale. Comme si le destin voulait que l’on se croise. Et chaque instant avec elle, je… les garderais précieusement. Ils seront… à jamais… les seuls.
J’ai la voix qui se brise, sauf quand la potion de Naëry fait son effet, ce qui rend le passage très particulier. Pour éviter de croiser les regards des autres, je vide mon verre d’alcool ancien. Le gout est bizarre, j’arrive pas à dire c’est fait à partir de quoi, mais c’est sacrément fort. Ça anesthésie tout le corps et c’est bien ce que j’ai besoin là. Mais une fois le verre vide, j’ai plus d’options que de faire face à l’atmosphère est aussi lourd que le poids dans ma poitrine. J’échange un regard ave Gruelle. Ouai. On va surement se la mettre. Boire et manger. Et on broiera le noir plus tard, sans mauvais jeu de mot. N’est-ce pas ?
-Vous devez avoir faim. Je reviens.
Je passe à la cuisine. Avant toute chose, je sors un grand plat de poissons qui embaume tout de suite la cuisine pour le déposer devant K’awill qui en bave d’avance. C’est que c’est une loutre formidable. Si tout le monde pouvait être comme elle, le monde serait surement plus beau. Alors, il s’agit de bien la nourrir. Pour les autres, il y a du filet mignon de porc laqué, cuit comme il faut, peut-être trop parce que j’ai tardé à vérifier la cuisine, mais la cuisson était à feu doux. Puis des patates sautées et un gratin de chou-fleur pour accompagner avec une sauce épaisse et moutardée qui vous pèse sur l’estomac. Déjà quand ils auront mangé tout ça. Surtout qu’il y a pas Elina. Bref. Voilà. On touchera peut-être pas au fromage. Qui embaume bien plus que les poissons, c’est dire. D’habitude, il sent pas si fort, mais vous savez, la vie est pleine de surprise aussi bonne que mauvaise. Elles sont souvent mauvaises, aujourd’hui. Je sers. Des bonnes grosses parts.
-Mangez ! Mangez ! Buvez !
Une bouchée de nourriture dans la bouche et l’espace d’un instant, on oublie. On oublie que j’aurais pu avoir en face de moi celle que j’aimais, me félicitant pour ma cuisine et m’offrant un sourire qui m’aurait réchauffer le cœur bien plus qu’une gorgée de Bowmore. A la place, il y a les sourires tristes de mes amis. Il y a les mains fermes sur l’épaule, les yeux humides, mais braves. Il y a les paillettes de Carciphona. Les couinements joviaux de K’awill. Partout, il y a de l’amitié. Et de l’amour. Sauf chez moi. Car celui-ci est mort. J’ai envie d’avoir un petit mot pour tout le monde. D’abord Luz et Naëry. A la première, je l’étreins brièvement et soudainement, répondant à son geste un peu plus tôt. J’enchaine sur Naë dans une étreinte plus virile et puissante. Je les regarde un instant.
-Vous formez un magnifique couple. J’espère rien n’altèrera les sentiments que vous avez envers l’autre. Vos enfants seront surement géniaux.
Je passe à Carciphona sans voir la légère ombre passer sur les visages du couple.
-Merci d’être toi. Tu es vraiment quelqu’un de formidable. Je te souhaite de trouver le galant garçon qui saura faire chavirer ton cœur.
Elle veut dire quelque chose, mais je passe à sa loutre. Elle veut surement me dire quelque chose de gentil, mais je ne sais pas si je serais capable de tenir longtemps avant de retomber. Je flatte l’encolure de K’awill et je lui laisse quelques mots.
-Toi aussi. Mène une vie heureuse. Et surveille Carci. Qu’elle ne fasse pas de bêtises.
Enfin, je fais face à Zahria et Frenn. Je pourrais aussi dire qu’ils sont magnifiques comme Luz et Naëry, mais ils sont bien plus que ça. De amis. Chers. J’étais là quand ils se sont rencontrés. J’ai poussé les deux l’uns vers l’autre quand Zahria me parlait d’Elina. Au solstice, notamment. Si pour moi, c’est un échec, j’ai ce souhait, que je veux leur partager, que tout cela ne doit pas être vain. Que tout cela doit être éternel.
-Zahria. Ghoren. Vous êtes des solides épaules pour moi. Que vous soyez ensemble, après avoir vu comment ça a commencé, me donne du baume au cœur. Pour Elina, pour cet acte manqué, je vous souhaite d’entre ensemble à jamais. Vous le méritez. Et quand je vous verrais. Ça me réconfortera. Vous voir ensemble me réconfortera toujours. Merci à vous.
Je lève mon verre à nouveau rempli.
-A vous.
Et je bois. Je bois. Et ça ne s’arrêtera pas avant un moment et une solide gueule de bois.
Alors je ne sais pas si je vais noter ce repas comme la soirée de l’année mais la prochaine fois, je me renseignerais mieux sur les invités. Bon les moments émotions, ce n’est pas mon truc surtout quand Zahria commence à raconter de vieux souvenirs avec cette fameuse Elina. Bon, cette capitaine, je l’ai vu sur quelques affiches et entendu des bruits dans certaines tavernes mais je ne la connaissais pas plus que cela. Je me demande encore comment un type comme Jack aurait pu croiser la route d’une femme gradée comme elle ? Bon après si c’est une amie de Zahria peut-être que…
Enfin, je n’avais rien à ajouter et je ne voulais surtout pas faire une énième boulette. Je me contente de boire un coup et manger tout ce que nous donne notre hôte. Il est certain qu’en sortant d’ici, je vais rentrer chez moi à pied avec tout ce qu’on a comme nourriture. Cet homme est un monstre, même un repas chez mes parents est moins gras. Quoi qu’il en soit, le moustachu a décidé lui aussi de passer au moment émotion enfin c’était dur de garder son sérieux entre chaque “ ohohoho “ de la potion de Naëry qu’il a ingurgité ! Je m’étouffe à moitié avec ma bière quand il me parle de garçon. Je sens le regard de certains sur moi qui savent très bien que mes préférences sont plus les femmes. Je m’apprête à ouvrir la bouche qu’il donne un conseil à ma loutre.
- Hey ! Mais je suis toujours sage moi.
- Oui tête d’oeuf. Moi surveiller Maîtresse.
- Il y a rien à surveiller, c’est moi qui surveille tes fesses K’awill ! Ne l’écoute pas, il dit que des bêtises.
- Bah non, lui triste, lui pas dire bêtises ! Moi être fort, moi te protéger.
- Jack, je te retiens...
Je m’abstiens de lui dire que j’ai certainement déjà trouvé l’amour. J’étais venue en célibataire, on va faire genre comme ça il se sentira moins seule. On trinque de nouveau, nos verres se tapent l’un contre l’autre. Ma loutre pose sa truffe sur ma jambe et je trinque avec le bout de son nez. Il était content et repart s'asseoir un peu plus loin dans la pièce pour déguster le reste de son repas odorant. Demain, je fais une machine avec tous mes vêtements car l’odeur partira jamais si je ne fais pas ça. Je pourrai faire ça en rentrant si mon lit ne me dévore pas avant.
- Bon on se fait un petit jeu après, j’ai ramené des dés ! Le 421, ça dit à tout le monde ?
Un jeu d’ambiance tout simple qui va nous permettre de passer cette fin de soirée tranquille surtout avec le surplus d’émotion que nous avons eu depuis le début. Je vois déjà certains qui ont les paupières lourdes.