Bientôt l'anniversaire de sa pupille adorée. La Première Ministre souhaite offrir un oréouille à sa protégée, de préférence violet mais ça... c'est qu'une option.

Fiche Oréouille

Lorsque Calixte avait fait un saut à la Capitale dans le cadre de son travail de coursier, il ne s’était pas attendu à ce qu’on lui y refile une nouvelle mission. Ou tout du moins, une nouvelle mission n’ayant a priori rien en rapport avec son statut officiel ni officieux. Et ça ne dérangeait pas du tout le soldat qui était globalement prêt à faire tout ce que ses supérieurs lui demandaient si ça pouvait entretenir sa curiosité et si y avait pas trop danger de mort imminent, mais il aurait donné cher pour entrevoir les émotions d’Emeor Calyx à la réception de la missive l’informant que l’un de ses éléments avait été retenu pour combler les désidératas d’une Noble. Pas n’importe quelle Noble, certes. Mais quand même. L’étrangeté de la mission – pour laquelle il n’avait eu par ailleurs que peu d’éléments – avait fait hausser les sourcils à l’espion, puis il s’était dit que si on l’envoyait parfois en quête avec des aventuriers au nom du ménage heureux Garde-Guilde, on pouvait bien faire autant pour celui avec la Noblesse. Surtout si celle-ci s’appelait Première Ministre. Et puis bon, après certains évènements récents, il était certainement de bon ton de s’intéresser davantage à ses affaires. Même si lui envoyer des militaires en frontal était peut-être un peu gros. Mais ça n’était pas son rôle de verser dans la politique des choses, ni de les critiquer.

Pas vraiment équipé pour une mission qui risquait de durer un peu – les Nobles avaient souvent d’étranges lubies – Calixte avait fait un détour par la nouvelle base des espions afin de récupérer quelques affaires. Il y avait croisé brièvement Zahria en pleine préparation pour une nouvelle quête, ainsi que Fledric toujours le nez dans un dossier. Ayant eu le temps d’en passer un peu avec son amie et supérieure, il avait un peu hésité dans son choix de clefs, puis ses pas avaient retrouvé le chemin de l’appartement de Naëry où il s’était établi comme de coutume pour la nuit précédent la rencontre avec la Première Ministre. La douceur du temps leur avait permis de laisser les fenêtres ouvertes jusqu’à relativement tard dans la soirée, et ils avaient regardé Loupiac et Apolline jouer autour de la statue de Glooby dans la petite cour attenante. De manière aléatoire mais récurrente, une tension s’installait parfois dans les épaules de l’aventurier, sur les traits de son visage, et l’espion savait quels tourments s’invitaient alors chez son camarade. Ils parlaient de l’arène. Ils évitaient le reste. Patiemment, Calixte observait Naëry revenir en des eaux moins troubles. Et effleurer, peut-être, l’idée de lui demander. Mais il ne lui avait pas demandé. Et l’espion n’avait rien dit. Il lui avait resservi du thé.

Lorsque ses pas trouvèrent le chemin de la Guilde pour rencontrer la Première Ministre – car par un étrange concours de circonstances la requête était passée par l’administration des aventuriers – l’après-midi avait déjà débuté. Le temps était toujours doux, mais des nuages se profilaient à l’horizon, et sa perle de météo lui indiquait que quelques gouttes de pluie s’inviteraient dans l’heure à venir. Passant devant une petite épicerie, il y fit un crochet pour y récupérer quelques encas. Il avait toujours dans son sac-à-dos des rations sèches, mais un peu de fraicheur était toujours appréciable. Lucy seule savait combien de temps allait prendre la demande de dame du Lys ! Déposant quelques cristaux au comptoir, il récupéra les fruits et le pain frais qu’il venait d’acheter, et les rangea dans son sac. Il espérait que son camarade d’aventure – parce qu’a priori on lui avait dit qu’ils seraient deux – n’avait pas des goûts trop excentriques en matière de repas. Sur ces considérations, il reprit son chemin et, au terme d’une dizaine de minutes de marche, passa la lourde porte de la Guilde.

Après des salutations chaleureuses aux hôtes et hôtesses, il apprit que sa collègue – puisqu’il devait finalement s’agir d’une femme – était déjà arrivée, et attendait dans la salle appropriée pour la rencontre. Sans trainer davantage, Calixte se dirigea vers celle-ci. Et fut surpris d’y trouver la lieutenante Bridget Alnilnam. Quel type de requête de Noble pouvait bien justifier la présence d’une gradée ?

- Soldat Calixte Alkh’eir, se présenta-t-il avec le salut protocolaire et serrage de main par la suite.

Emeor aurait été tellement fier de lui. La lieutenante lui répondit tout en retenue adéquate, et ils attendirent l’arrivée de la Première Ministre. De plus en plus curieux, l’espion observait avec attention les détails de la pièce, afin de canaliser son énergie. Finalement, après quelques minutes, dame du Lys fit son apparition, et les yeux du coursier se rivèrent avidement sur sa silhouette. Elle prit la parole, et leur indiqua leur mission. Puis s’en alla avec Lancelot à ses bottes. Laissant sur place deux soldats un peu incrédules. Sérieusement ? La Garde les envoyait chercher le cadeau d’anniversaire de la pupille de la Première Ministre ? Qui plus était un oréouille ? D’où est-ce que ça requérait l’intervention d’une gradée ? Tournant le regard vers la lieutenante, Calixte se demanda si cette dernière avait commis une quelconque bavure pouvant expliquer son affectation à une mission si… nulle. Il ne la connaissait pas personnellement, même s’il avait le souvenir de l’avoir croisée de loin à quelques évènements, mais elle ne lui paraissait pas le type à commettre le genre d’impair pouvait amener à ce style d’assignation presque punitive. Il allait falloir qu’il demande à Vaelin si des choses en particulier avaient mené Alnilnam à cette position étrange.

- Etonnamment ça me parle un peu, répondit-il à la lieutenante. Ma famille en utilise comme aide pour tenir les comptes. Mais oui, c’est tout, tout, tout petit. Et timide. La seule bonne nouvelle c’est qu’a priori on peut en trouver partout, pour peu que le partout puisse leur offrir des hôtes.

Il soupira. Un boucton aurait été bien plus simple. Peut-être que sur un malentendu ils pourraient en ramener un à la place de l’oréouille demandée ? Jetant un coup d’œil à sa camarade – et techniquement supérieure – il se dit qu’il y avait peu de chance qu’elle voit d’un bon œil ce plan.

- Je suis venu en marchant, avoua-t-il en se disant qu’il était étrange de venir à la fois à cheval et à catosorus. Il va falloir que l’on repasse par la Caserne si vous souhaitez que j’emprunte une monture. Quoi qu’une fois dans les plaines, on aura peut-être plus de chance d’en trouver pied à terre.

Ils retournèrent dans le hall de la Guilde, et le fameux catosorus les rejoignit. Ou, visiblement, la catosorus. La petite catosorus. La mignonne petite catosorus. Lucy. Ils quittèrent la Guilde, et Calixte jeta un coup d’œil à la lieutenante.

- A moins que vous ne préféreriez partager votre monture jusqu’aux plaines ?

Finalement la lieutenante semblait partager ses pensées - concernant l’utilité des montures et non la possibilité de ramener un boucton à la place d’un oréouille - et ils se mirent en route pour l’une des portes de la ville sans faire de nouveau crochet par la Caserne. Tant mieux. L’affaire allait certainement leur demander pas mal de temps de recherche, et éviter d’en perdre inutilement était plutôt de bon ton. Observant les nuages gris qui s’amassaient à l’horizon, Calixte se demanda si, tels les escargots, les oréouilles étaient moins timides sous la flotte. Il n’en avait pas le souvenir. Mais avec un peu de chance, la météo jouerait peut-être en leur faveur.

La petite catosorus se frotta contre ses jambes, et prenant le geste pour une invitation, le coursier se baissa pour passer une main câline dans le pelage de l’animal. Elle n’était pas encore très grande, mais déjà suffisamment pour ne plus pouvoir passer pour un chat. Ou alors, pour un très grand chat. Prudent, il surveilla le moindre signe de malaise de la créature sous ses doigts, prêt à retirer rapidement ces derniers au besoin. Il ne tenait pas à importuner Lucy, ni à lui laisser quelques phalanges entre les crocs.

- Oh, heu, j’ai effectivement une loutre. Enfin un loutron, actuellement, pour être exacte.

Etonnant que le félin se soit attaché à ces créatures. En avait-il croisé une avec laquelle il s’était lié d’amitié? Les songes du coursier se dirigèrent vers une certaine aventurière, et il se demanda quelle pouvait être la probabilité que la soldate ait aussi croisé le chemin de Carciphona. D’autres personnes devaient bien se balader avec des loutres non?

- D’où lui vient cette affection particulière? A moins que ce soit une caractéristique des catosorus? demanda-t-il en fronçant les sourcils, pensif.

Le félin reprit un peu de distance, joueur, et ils poursuivirent leur chemin à un rythme plus soutenu. Et Bridget Alnilnam lui rappela sa présence à la fête donnée en l’honneur d’Aube Grassim. En détails. En détails dont il n’avait pas notion. Ou, plus notion.

- Oh heu… commença-t-il un peu embarrassé. J’avouerai que mes souvenirs de la soirée sont un petit peu flous. Désolé de vous avoir appelée Rillette. Et pour le câlin, j’imagine.

Zahria lui avait effectivement raconté le lendemain qu’il s’était peut-être un peu emballé sur sa consommation d’alcool et dans son enthousiasme aviné en découlant, mais elle s’était surtout focalisée sur son obsession à marier Vaelin à un shalupin, et avait peu évoqué ses autres déboires. D’ailleurs, le coursier avait effectivement eu par la suite quelques demandes d’informations concernant les noces à venir, pour son plus grand amusement et la tristesse de son frère d’armes.

- Oui, c’est mon pouvoir. Fusionner avec les objets inertes. Habituellement mes fusions sont un peu moins aléatoires, poursuivit-il en grimaçant. Je crois que j’ai vraiment beaucoup trop bu à cette fête, avoua-t-il penaud. J’aurai dû rester à distance du breuvage de la Cité Enfouie…

La lieutenante marqua un temps d’arrêt et, surpris, Calixte tourna la tête vers la cible de l’attention de sa supérieure. La petite catosorus avait visiblement trouvé une nouvelle partenaire de jeu, mais semblait partagée face à cette nouvelle attention. Le positionnement de ses oreilles et de sa queue indiquait qu’elle n’était pas tout à fait à son aise, et l’espion eut soudainement un peu peur pour les doigts de la fillette caressant Lucy. Mais Bridget Alnilnam prit rapidement la situation en main. Avant de se faire avoir et d’acheter les biscuits que lui tendait avidement l’enfant. Amusé, il adressa un sourire à la petite fille qui se tournait vers lui. Et il n’aurait peut-être pas dû. A moins que ça n’était un revers de karma. Car elle lui tendit un petit sachet en coton.

- On vend aussi des “popouri” pour la kermesse. Celui-là c’est moi qui l’ai fait avec mon papa. Y a plein de plantes qui sentent trop bon dedans!
- Heu…
- Je suis allée les cueillir exprès ce matin!
- … dans ce cas.

Se délestant de quelques cristaux en échange du petit sachet - qui effectivement ne sentait pas mauvais - l’espion adressa un regard résigné à la lieutenante qui semblait tout aussi circonspecte en annonçant que les biscuits allaient au moins leur servir pour être en forme pour leur mission. Aussitôt, le visage enthousiaste de l’enfant se leva vers la soldate, et elle l’encouragea pour celle-ci. Ainsi que lui. Avant de s’éloigner en courant, ses cristaux bien en poche.

Bridget lui adressa un regard désolé, et il espéra ne pas croiser de nouvel enfant faisait la quête pour sa kermesse, car ils allaient visiblement finir tous deux déplumés avant d’atteindre les portes de la Capitale. Apparemment, ils étaient un duo de bonnes poires.

- Bon ben… vous avez des biscuits, et moi un pot-pourri. Je crois que je suis un peu jaloux de votre lot, commenta-t-il en haussant des sourcils incrédules. Grande sœur, ajouta-t-il avec un sourire amusé.

Sa camarade n’avait pas l’air méchante, et il s’y connaissait déjà pas mal en assignations punitives - type celle qu’ils commençaient bon gré mal gré - donc au pire… Lucy s’approcha de la lieutenante, intriguée par ce qu’elle tenait en main, mais elle ne fit pas mine de s’approcher de son propre sachet. Visiblement, les plantes l’intéressaient moins.

Ils reprirent tranquillement leur route et, tandis que la soldate répondait aimablement aux interrogations de Calixte sur son acquisition de la petite catosorus tout en l’observant vagabonder à quelques mètres d’eux, ils atteignirent la porte Ouest de la ville. Heureusement, ils n’avaient pas croisé de nouvelle occasion pour se vider les poches. Zahria aurait un peu fait la tête à voir que ses frais professionnels servaient à alimenter les finances des kermesses locales.

Passant le poste de contrôle où ils saluèrent leurs collègues surveillant les allers-venues et tenant la douane, ils s’engagèrent sur l’un les chemins rayonnant de la Capitale. Les plaines verdoyantes s’élançaient à perte de vue, et quelques caravanes sillonnaient les routes caillouteuses. Le coursier tourna la tête vers sa supérieure.

- Bon, et bien, en route pour… une folle chasse à l’oréouille?

La lieutenante avait l’air plus que contrariée par leur mission, et Calixte n’en était pas très étonné. Lui-même avait l’habitude de ce type de demande improbable, chronophage, et pas tellement raccord avec les domaines de compétence de la Garde ; mais c’était bien parce qu’il était coursier et que ses affectations avaient tendance à comprendre toutes celles dont ces supérieurs ne voulaient pas. Il faisait partie, après tout, des échelons les plus bas de la hiérarchie, et son quotidien comprenait plus de récurages de toilettes que des combats contre gevaudans. Ce qui, à bien y réfléchir, lui convenait parfaitement. Se battre n’était pas sa tasse de thé, et sa maladresse était bien moins néfaste pour sa santé entre les murs des latrines que sur un champ de bataille. Quoi que.

- Si je puis me permettre, Lieutenante : comment se fait-il que quelqu’un de votre rang ait été dépêché pour une mission de ce type ?

Il avait beau se triturer les méninges, il n’avait pas souvenir de bourde particulière qui aurait pu valoir à Bridget Alnilnam telle punition. A moins que ça n’était son refus de la promotion du grade de Capitaine à la Forteresse qui était resté en travers de la gorge de l’administration ?

- Les Nobles ont parfois des désidératas un peu… extravagants, acquiesça-t-il tout aussi peu convaincu de la probabilité de trouver un oréouille de la bonne couleur. Et j’ai malheureusement laissé ma loutre au Grand Port. Donc pas d’aide supplémentaire de ce côté-là…

Ils s’éloignèrent davantage des murailles et étudièrent les étendues verdoyantes. Ils allaient y passer l’année, à retourner chaque brin d’herbe à la recherche des petites créatures.

- Les oréouilles sont herbivores, répondit-il en réfléchissant à ceux du domaine des Alkhaia de Eliëir. Et effectivement ceux de ma famille ont un régime alimentaire étudié par des nutriciens. Ils ont même leurs cuisiniers personnels…

Il prit un gâteau que lui tendait la soldate alors qu’elle lui adressait un regard incrédule.

- Ils sont un peu traités comme des princes, avoua-t-il en haussant les épaules avec désinvolture. Ce sont des créatures timides facilement angoissées, et comme elles ont peu d’égales niveau compétences mathématiques… Prenez un Noble qui verse dans le commerce, et il le chouchoute comme un roi !

Remuant le petit sachet que lui avait fait acheter la petite fille un peu plus tôt, il étudia les plantes présentes.

- Je pense qu’aucune de celles présentes n’attirera un oréouille malheureusement… Enfin, on pourra toujours s’en servir pour faire du thé.

Finissant son petit gâteau, il sortit sa gourde fontaine pour se désaltérer et la proposa à la lieutenante. Amusant comme il passait régulièrement ses passages dans les plaines alentours de la Capitale à grignoter des goûtés improvisés. La fois précédente avait été avec Carciphona. Bon, l’ambiance avait été totalement différente, mais…

- De mémoire ils peuvent être friands des baies de col au rium, mais ça n’est ni le lieu ni la saison, des feuilles de rhonphle et de celles du laurier, mais fraiches. On peut essayer de trouver du rhonphle, mais va falloir réfléchir à comment le cueillir sans se faire endormir…

Ses yeux parcouraient les alentours à la recherche du moindre indice de la petite créature, ou des plantes qu’il avait citées. Mais pour le moment ça sentait l’échec. Du mouvement attira son attention, et ses yeux se reposèrent sur la petite catosorus qui revenait vers eux à toute vitesse. Instinctivement, ses doigts trouvèrent le manche de l’une de ses lames-retours… mais il semblait finalement que Lucy n’était poursuivie que par des gloutovors. Observant avec attention les petites silhouettes, Calixte fut un peu déçu de ne pas y apercevoir le renflement d’un oréouille. D’un coup sec contre le sol, Bridget Alnilnam chassa les gloutovors qui s’éclipsèrent aussi vite qu’ils étaient venus.

- Zahria ? reprit l’espion avec surprise.

D’où ça sortait cette question ? Passant en mémoire les moments où la lieutenante avait pu les croiser tous deux au même endroit… Elle devait encore revenir sur la fête d’Aube Grassim, probablement. Quant au flou… Calixte grimaça intérieurement, au souvenir du rapport de la lugubre assignation de Zahria et Vrenn. Et Bridget Alnilnam.

- Oui, oui, je la connais. Quoi qu’on ne se voie plus tellement en ce moment, du fait de nos affectations respectives, avoua-t-il en se remettant lentement en marche, les yeux à l’affût du moindre oréouille. Vous avez dû la croiser aux festivités données en l’honneur de la soldate – Major maintenant il me semble – Aube Grassim ? Et peut-être d’autres missions. Elle est à la régulière de la Capitale.

Du bout du doigt, il souleva les feuilles d’un lierre s’étant installé sur un rocher bordant le chemin. Rien de ce côté-là.

- Mais si vous n’avez que de vagues souvenirs d’elle, c’est qu’ils n’étaient peut-être pas si importants. On ne peut pas connaitre tout le monde à la Garde, commenta-t-il en haussant les épaules avec nonchalance.

Un peu plus loin, ils pouvaient apercevoir la ligne d’un groupe de bouctons qui broutaient tranquillement de l’herbe. Intriguée, la petite catosorus les observait oreilles dressées et sens à l’affût.

- Est-ce qu’on essaie de voir si ces bestiaux n’hébergent pas quelques oréouilles ? proposa Calixte en étudiant le troupeau. Comme ils ont besoin d’hôtes pour leur survie, on aura peut-être plus de chance d’en trouver en compagnie d’animaux ou de plantes résistantes.

Résultat dé:

Donc la Capitaine Dorago avait un humour à la limite du sadisme, c’était intéressant à savoir. Il allait devoir questionner davantage Vaelin à ce sujet. Si ça se trouvait, son camarade avait déjà participé à une multitude d’assignations cocasses dont il ne lui en avait pas parlé. Après leur chasse à l’oréouille - dans quelques siècles donc, le temps de trouver la bestiole - il ferait un passage à la Caserne pour essayer de mettre la main sur son frère d’armes.

Ils jaugèrent un moment le petit troupeau de boucton, puis la lieutenante acquiesça et ils se mirent en route vers celui-ci. Leur approche ne passa cependant pas inaperçue, et Calixte observa avec prudence le boucton mâle qui relevait la tête pour les toiser. Visiblement, ils n’étaient pas les bienvenus dans les parages. D’autant plus que Lucy paraissait toute décidée à montrer aux grosses boules de laine qui était la cheffe en ces lieux. S’arrêtant un peu à distance, les deux soldats observèrent avec amusement et curiosité la petite catosorus se mesurer au boucton.

- Oh elle a l’air bien agile, je serai étonné qu’il arrive vraiment à la toucher, répondit-il à Bridget en étudiant la posture de son familier. Elle a quel âge ?

A regarder Lucy appréhender le boucton face à elle, le coursier ne pouvait s’empêcher d’éprouver une pointe de nostalgie. Kaname lui manquait. A son retour au Grand Port, il l’embarquerait avec lui faire un petit tour sur la côte. S’il s’y prenait bien, Emeor Calyx n’y verrait que du feu.

- Allez Lucy ! encouragea-t-il la catosorus alors qu’elle restait figée d’hésitation devant le boucton qui chargeait. Et elle s’en n’est pas trop mal sortie finalement, commenta-t-il tandis qu’elle évitait de justesse son adversaire.

Avant de rire légèrement au spectacle comique du boucton persistant dans sa chasse et Lucy courant dans tous les sens. Têtu comme un boucton, hein ?

- Oui, c’est du travail, admit-il. Mon loutron n’est pas encore très débrouillard non plus. Mais j’ai eu de très bons conseils d’une aventurière et dresseuse de loutre. Quoi que dernièrement j’ai l’impression qu’elle donne dans tous types de dressage… Je peux vous donner ses coordonnées si vous voulez.

Se désintéressant du troupeau qui ne semblait pas héberger d’oréouille mathématicienne, les deux soldats se dirigèrent vers quelques pierres plus loin. Les timides créature avaient-elles trouvé refuge dans leur ombre ? Après quelques minutes de recherches, la lieutenante mis effectivement la main sur un mollusque violet. Et Calixte faillit crier victoire. Sauf qu’il s’agissait d’un glooby. A la remarque de Bridget, il leva des yeux ronds vers elle. Avant d’éclater de rire. Il n’aurait vraiment pas cru sa supérieure capable de ce genre de dérision, et il était fort agréable de se rendre compte qu’il l’avait sans doute jugée un peu trop rapidement sur ce point-là.

- Pointilleuse comme elle a l’air de l’être, je n’suis pas certain que notre ruse fasse long feu auprès de dame Du Lys, répondit-il en observant avec amusement le glooby qui revenait se coller aux jambes de la soldate. En tout cas, il a l’air de bien vous aimer.

Bridget se saisit à nouveau de la petite créature, et la reposa plus loin. Elle s’éloigna finalement sans demander son reste.

- … ou pas.

Il allait poursuivre quant à la proposition de la lieutenante de s’éloigner davantage des remparts, lorsque des cris lui firent tourner la tête, et poser son regard sur un homme d’une cinquantaine d’années au physique bourru.

- Eh vous, là ! C’est quoi c’que vous v’nez d’relâcher près d’mon champ !?

Le temps de dire « ouf », le rougeaud personnage les avait rejoints, brandissant sa fourche avec véhémence. Un peu plus loin, là où ils avaient laissé les bouctons, une cariole de foin venait de faire son apparition.

- Elle est belle la Garde, à saboter l’travail des gens comme moi ! J’vous les fich’rais là où j’pense vos poches de trucs baveux !
- Y a méprise, déclara Calixte en levant les mains.

Et tandis que Bridget bombait son torse de lieutenante et parlementait avec le belliqueux paysan, les yeux de l’espion se posèrent sur le sac de toile que l’homme portait sous son bras, et qui diffusait une étrange odeur. Pas désagréable, mais pas usuelle.

- Qu’est-ce que c’est ? finit-il par demander alors que sa supérieure avait réussi à remettre leur interlocuteur à sa place et presque s’en faire un copain.

Les voies diplomatiques des gradés compétents étaient parfois impressionnantes.

- Ah ça ? C’est justement pour éviter qu’les bestioles viennent détruire mes parcelles. Elles boufferaient tout, les nigaudes ! Regardez-y, ajouta-t-il en piochant dans son sac une poignée de granules pour leur montrer. C’est la mère Gamvert qui nous l’fait, la brave. Ça r’pousse tous les mollusques du coin pour une tripotée d’jours. Le truc c’est qu’ça tient pas bien la pluie, et vu les nuages au-d’sus d’nos têtes, croyez-moi bien que j’vais y r’mettre une bonne fournée !
- Ah. Et ça chasse l’oréouille aussi vos granulés ?
- Un peu qu’oui qu’ça les chasse ! Les oérouilles, les glooby, …
- Et sur quelle superficie vous avez distribué tout ça ?
- Bah là y a quatre hectares à moi, et puis j’fais aussi ceux des copains qu’ont pas l’temps et qui m’aident pour autre chose…
- Donc si on veut retrouver des oréouilles ? demanda Bridget en fronçant les sourcils.
- Ola, faudra bien crapahuter jusqu’à un bon kilomètre ou deux des remparts. Dans l’coin tout l’monde est friand d’ces merveilles. Mais avec la pluie qui s’profile, vous en trouverez p’tet plus rapid’ment…

Les deux soldats échangèrent un regard, saluèrent l’agriculteur, et reprirent leur chemin.

- Bon, bah, à cheval ? proposa Calixte à Bridget, dépité.

Résultat des dés:

Il se saisit de la main tendue de Bridget, et passa à califourchon devant elle. Ça n’était pas une position très confortable, le destrier n’avait visiblement pas été équipé pour un tel chargement, mais c’était assez cocasse comme situation. En même temps, devant ou derrière la lieutenante, il n’était pas certain qu’aucun des choix ne lui aurait arraché un sourire amusé. S’il avait ainsi l’impression d’être l’enfant ou la demoiselle en détresse de la soldate, il n’aurait probablement pas trop su où poser ses mains s’il avait dû faire de trajet face au dos de cette dernière. Enfin, trajet. Rapidement, le cheval sembla décider que deux passagers c’étaient deux de trop, ralentit le rythme, et leur adressa un regard peu amène. D’accord, d’accord. Acquiesçant à la lieutenante qui indiquait qu’ils allaient mettre pied à terre, il suivit son mouvement, avec moins de grâce cependant. Enfin, il était déjà bien heureux de ne pas s’être emmêlé les pieds dans les sangles, et de ne pas avoir fini visage contre terre. Avec la pluie débutante, il se serait repeint de terre, et ça rentrait moyennement dans son agenda.

Alors qu’ils contemplaient désespérément les quelques couples de centaines de mètres qu’ils avaient parcourus, bien loin de la distance indiquée par l’agriculteur, Lucy profita de la selle à nouveau vacante pour grimper sur le dos du canasson et s’y installer. Apparemment sa rencontre avec le boucton l’avait vidée de son énergie, et elle avait bien besoin de faire un petit somme. Opinant du chef alors que Bridget déclarait que la marche à pied c’était aussi très bien, il emboita le pas de sa supérieure. La pluie devenait de plus insistante, et commençait à s’infiltrer le long de leurs traits. Rabattant le capuchon de sa cape anti-climat, Calixte jeta un coup d’œil à Bridget, moins abritée. Il allait lui proposer de lui prêter une étiole, quand ses pensées furent perturbées par l’interpellation d’une voix familière, au loin.

- Ah. La fameuse dresseuse dont je vous parlais, commenta-t-il en adressant un signe de la main à Carciphona qui s’éloignait déjà.

Grimaçant légèrement à la remarque de Bridget, revenant à nouveau sur la fête d’Aube Grassim, il se dit qu’il l’avait vraiment marquée à cette occasion. Il espérait qu’il ne s’était pas autant illustré auprès des autres invités. Et puis, lui-même, n’en gardait vraiment pas beaucoup de souvenirs.

- Heum, répondit-il intelligemment en regardant la coquille vide finir son volplané.

La lieutenante bifurqua, et ils s’aventurèrent davantage entre les hautes herbes. Le destrier de la garde ne paraissait pas très heureux d’être de sortie sous la pluie battante, et Calixte se demanda s’il s’agissait de l’un des chevaux de la Caserne, ou de celui, personnel, de la jeune femme. Il hésita à interroger sa supérieure, quand le terrain meuble sous ses bottes lui rappela de prêter attention à là où il posait ses pieds, s’il ne voulait pas finir les quatre fers en l’air de maladresse.

Leur chemin, guidé par Bridget, finit par les mener un peu à distance des cultures et sur un terrain plus vierge de l’action de l’homme. A quelques mètres, un couple de crasmo observait leur progression avec prudence. Etudiant leur silhouette, Calixte n’eut pas l’impression d’apercevoir de renflement suspect. Mais vu la taille des oréouilles, tout était possible. A quelques pas, le long de ramifications de la Rivière Luisante, quelques bosquets de rhonphle leur faisaient de l’œil. Prudemment, ils en restèrent à distance, évaluant leurs possibilités. Fort heureusement, il semblait que la pluie avait décidé de calmer son ardeur.

- Est-ce qu’on essaie d’aller examiner les rhonphles ? proposa le coursier en rabaissant sa capuche.

Du mouvement au coin de son champ de vision attira son attention, et il regarda les crasmo se lever avec appréhension. Leurs poils étaient dressés, leurs oreilles aux aguets, et leurs pattes visiblement prêtes à se mettre en mouvement. Et, effectivement, une fraction de seconde plus tard, ils décampèrent. Un grognement dans son dos lui fit tourner la tête, vers Lucy qui s’était réveillée et grognait aussi doucement. Suivant le regard de la catosorus, il tomba sur la silhouette féline d’un smilodon des plaines, qui venait de sortir d’un bosquet non loin. Formidable, leur journée allait vraiment de mal en pis. Instinctivement, les doigts du soldat trouvèrent la lame-retour à sa hanche. Avaient-ils franchi la frontière du territoire de l’animal ?

- Est-ce qu’on… commença doucement Calixte avant d’aviser la petite bosse sur le front du fauve. Eh ! Un oréouille ! fit-il remarquer incrédule à Bridget.

Oui, ça avait vraiment l’air d’être la petite bestiole qu’ils cherchaient. Par contre, sa couleur ne paraissait pas tirer vers le violet. Mais à cette distance, il n’aurait pu jurer de rien. Enfin, est-ce que la tâche valait vraiment la peine de s’attaquer à un smilodon ?

- Hum. Qu’est-ce qu’on fait ? demanda-t-il à sa supérieur, tout à fait prêt à prendre la fuite.

Résultat des dés:

Visiblement la lieutenante était plus dans l’optique de sauver le monde alors que, lui-même, trouvait que le monde se débrouillait plutôt pas mal sans eux. Enfin, elle était sa supérieure, et avait décidé qu’ils allaient s’occuper du smilodon des plaines. Eloigner l’animal de la populace. Et récupérer l’oréouille dont il était coiffé. Très bien, parfait. Avec appréhension, il observa Bridget se préparer et s’avancer prudemment vers la créature qui les observait avec méfiance. Et dédain. Ses longues canines brillant d’un éclat dissuasif. Contournant doucement les deux protagonistes, Calixte se positionna de manière à tenir la créature dans l’indécision, offrir une plus grande liberté de mouvements à sa camarade, et s’octroyer davantage de possibilités stratégiques si le smilodon décidait finalement de passer à l’attaque.

Lorsque la lieutenante ne fut plus qu’à quelques pas du félin, et alors que l’espion avait atteint l’angle mort de celui-ci, elle marqua un temps de pause, observant le petit renflement de l’oréouille. Profitant de celle-ci, Calixte prépara sa sarbacane télescopique et passa rapidement en revue ses différentes fléchettes. Enfin, Bridget lança une boule aux pieds du smilodon, et la toile fantomatique du piège se déploya pour capturer celui-ci. Agacé par l’action, la créature commença à feuler, crocs en avant.

- Je retiens son attention, occupez-vous de l’autre.

Oui, heu, alors. Passer par devant, et donc entre le smilodon et la lieutenante, et donc droit sur les longs crocs présentés, ne paraissait pas être l’idée du siècle. Alors quoi ? Grimper par un flanc ou l’assise de la bête ? A choisir, il aurait largement préféré qu’on lui propose d’escalader une falaise sans cordage. Ça paraissait soudainement plus faisable. Plus raisonnable. Saisissant dans sa ceinture l’une de ses petites fléchettes tranquillisantes, il arma sa sarbacane, et visa le smilodon. Qui se baissa soudainement pour gratter furieusement le sol dont il était prisonnier. Mince ! Le dard poursuivit sa course pour aller se ficher droit sur la main armée de Bridget. Mazette ! Le regard que lui adressa la lieutenante était à la fois surpris, incrédule et outré. Douce Lucy, il allait passer le reste de son service temporaire à la Capitale à récurer les latrines.

Réarmant sa sarbacane, alors que le smilodon s’agitait de plus en plus dans son piège temporaire, le coursier s’accroupit pour poser main à terre et utiliser sa Fusion glissée. Gardant ainsi l’avantage de la furtivité et de la rapidité, et resurgit derrière le gros félin et lui lança son nouveau projectile dans une des fesses ainsi présentées à lui. Et alors que la créature s’écroulait révoltée, il lui adressa un second dard dans l’autre fesse. On n’était jamais trop prudent. S’éloignant instinctivement de quelques pas alors que le smilodon finissait de se débattre de manière pataude tandis que le produit l’endormait rapidement, il jeta un regard par-dessus celui-ci pour apprécier la silhouette de Bridget. Qui s’était étendue de tout son long dans l’herbe. Bon heu.

Saisissant une petite bille d’argile dans sa ceinture et rangeant sa sarbacane, il usa de la Fusion guidée pour y placer le smilodon endormi, puis la rangea dans l’une des poches de sa veste. Tant que la bête resterait sous l’effet du tranquillisant, ils auraient jusqu’à quinze minutes pour l’éloigner de la ville. Enfin, ils. Courant vers la lieutenante, récupérant l’oréouille déchargée sur le passage, il tourna celle-ci sur le dos pour mieux l’appréhender. Avec l’humidité ambiante, un mélange d’herbe et de terre avait épousé les formes de la soldate ça et là, et l’espion grimaça. Il semblait que la lieutenante était temporairement sonnée par le produit anesthésique. La saisissant sous les bras, il la décala légèrement afin qu’elle finisse adossée contre un rocher. Heureusement que la pluie n’avait pas l’air de vouloir récidiver, car il ne savait pas trop combien de temps il allait devoir attendre avec la soldate allongée en position semi-assise, les fesses dans la boue. Rassurée par la disparition du smilodon et probablement un peu inquiète pour sa maitresse, la petite catosorus se rapprocha d’eux.

Sortant une étiole de son sac-à-dos ainsi que sa gourde fontaine, il entreprit de limiter la casse en nettoyant le bel uniforme tout crotté de sa supérieure. Avec un succès mitigé. Si certaines traces partaient sans difficulté sous son linge humide, d’autres ne faisaient que s’étaler joyeusement. Gardant un œil sur l’oréouille posée sur les genoux de Bridget auprès de laquelle Lucy s’était finalement approchée avec intérêt, il était entrain de s’acharner sur la terre présente sur la poitrine de la garde lorsqu’il perçut du mouvement. Tournant instinctivement la tête, il rencontra le regard de la lieutenante.

- Ca n’est pas ce à quoi ça ressemble, s’écria-t-il automatiquement en levant les mains.

Résultat dés:

Il allait récurer les latrines de la Garde à vie. Même Zahria n’allait pas pouvoir le sortir de ce marécage de fèces dans lequel il était joyeusement entrain de s’enliser. Ils créeraient un nouveau statut pour lui : astiqueur en chef des chiottes militaires. Histoire de lui passer l’envie d’astiquer sa supérieure inconsciente, à ce qu’il semblait visiblement d’un œil extérieur. Ou, en l’occurrence, de plusieurs paires d’yeux. Plusieurs paires d’yeux un peu trop perspicaces. Mais il aurait dû s’attendre à ce que la silhouette de Bridget Alnilnam fût relativement connue dans le coin. Ça allait encore lui coûter quelques ragots malaisants cette affaire. Soupirant alors que leur public non désiré s’esclaffait allègrement, il faillit sursauter en entendant la voix de la lieutenante.

S’exécutant rapidement, il passa son bras sous celui de la soldate et l’aida à se relever. Ses jambes étaient encore engourdies, vu le poids qu’elle mettait sur lui, mais le coursier était tout de même soulagé de la voir éveillée. Le produit aurait pu la tenir plus longuement endormie, et il était rassurant de voir qu’elle n’y était peut-être pas si sensible. Ses oreilles sifflèrent, et il tourna à nouveau la tête vers les citoyens les observant et y allant joyeusement de leur grain de sel. Bridget finit par les apostropher, agacée, et ils s’éloignèrent finalement. Un jour, ils en riraient aussi. Peut-être. Peut-être que ça remettrait un sourire sur les lèvres de Zahria lorsqu’il lui raconterait l’histoire.

- Oui, je heu… j’ai un rare talent en la matière, grimaça-t-il. J’en suis vraiment désolé.

Emeor Calyx allait s’en frotter les mains lorsqu’il reviendrait au Grand Port. Ça allait bien lui valoir une bonne dizaine d’entrainements supplémentaires et d’entretiens en tête à tête avec le froid lieutenant.
Lucy revint vers eux sur les ordres de Bridget, et Calixte put constater que l’oréouille s’était sagement perchée sur le front de la petite catosorus… qui semblait toute disposée à leur indiquer un nouveau chemin. La chance allait-elle enfin leur sourire ?

- Je ne sens plus mes jambes encore...  

Clairement, non. Sur ces bonnes paroles, la soldate s’évanouit à nouveau et le coursier se dit qu’il allait vraiment se faire défoncer dans le rapport de la lieutenante, une fois qu’elle aurait retrouvé ses esprits pour de bon. Soupirant, se détachant de l’odeur étrange de parfum et de terre humide s’échappant des mèches claires de Bridget, il héla le destrier. Qui l’ignora superbement. Grommelant, il traina le corps inanimé de la lieutenante jusqu’au cheval. Qui refusa de s’accroupir pour l’aider. Et galéra quelques bonnes minutes à hisser la soldate sur son dos. Chose qui, finalement, n’arrangeait pas davantage sa situation, se rendit-il compte rapidement par la suite, car même en tirant comme un forcené sur la bride de l’animal, celui-ci refusait de bouger. Il s’était trouvé un petit carré d’herbe où il paissait joyeusement, et refusait de se remettre en route. Tournant la tête vers la petite catosorus qui l’appelait d’un miaulement enthousiaste, Calixte abandonna dans un juron et attacha le destrier à un arbre non loin. Et, après une seconde d’hésitation, fit fusionner Bridget dans une bille d’argile qu’il glissa dans une poche différente de celle du smilodon.

Accélérant le pas pour arriver à la hauteur de la catosorus, il n’eut cependant pas l’occasion de souffler tout de suite, car elle fit volte-face pour repartir vers un bosquet d’arbres un peu plus loin. Plus qu’un petit bosquet, une forêt, d’ailleurs, à bien y réfléchir. S’enfonçant à la suite de la créature sous le couvert des arbres, il la suivit jusqu’à un grand érable surplombant un cours d’eau. A l’insistance de Lucy, il s’approcha du tronc pour mieux apprécier celui-ci et… oui ! Dans les branchages, plusieurs oréouilles les observaient prudemment. Après un regard à la ronde, le coursier entreprit de grimper les rejoindre.

Il glissa. Six fois d’affilée. La pluie avait humidifié l’écorce de l’érable, rendant encore plus difficile son escalade. Se massant le coccyx, Calixte adressa un regard mauvais à la cible de son échec. Cherchant finalement dans son sac-à-dos, il en tira son parchemin d’invocation de Floki et l’actionna. Alors que le bout de papier s’étiolait pour finalement disparaitre, un petit marsupial apparut à ses pieds. Lucy, d’abord méfiante, s’approcha avec curiosité de la nouvelle créature. Après avoir laissé quelques temps aux deux animaux s’appréhender, le coursier indiqua au floki sa mission, et celui-ci s’élança avec agilité dans les branchages de l’arbre. En quelques secondes, il récupéra les petites oréouilles et les redescendit à un Calixte qui jubilait. Peut-être, enfin, un peu de chance ! Etudiant une à une les petites créatures, il recolla contre le tronc de l’érable celles qui n’avaient pas la bonne couleur. Et elles étaient nombreuses. Finalement, son choix s’arrêta sur une oréouille qui n’était pas tout à fait violette. Enfin, elle était globalement de teintes violines, mais des arabesques d’un rose plus pâle ornaient aussi sa peau. Ça passerait, non ?

Délogeant l’oréouille qui avait trouvé résidence sur le front de la catosorus, il la posa sur l’arbre, à côté de ses congénères. Flattant le pelage du floki qui avait bien travaillé, il reprit un temps pour observer les alentours. Le coin ne portait pas la marque d’une présence régulière d’humains, et vu comme la forêt s’étendait, elle menait vers des paysages à distance de la population. Décidant de faire encore quelques mètres sous le couvert des arbres pour plus de prudence, accompagné par la petite catosorus et le floki qui s’amusaient ensemble, l’oréouille sur l’épaule, le coursier sortit finalement à nouveau sa sarbacane télescopique et avisa la berge opposée du cours d’eau. Y projetant la bille contenant le smilodon des plaines, il patienta la minute réglementaire précédant la défusion. A la fois pour s’assurer de l’état de la créature. Et pour être certain que ça n’était pas la lieutenante qu’il venait d’y balancer. Lorsque le félin réapparut, roupillant paisiblement entre deux fougères, il fit demi-tour.

Ils sortirent de la forêt, et Calixte marqua un temps de pause. Le destrier de la lieutenante était toujours entrain de brouter son carré d’herbe un peu plus loin. Récupérant la bille contenant Bridget, il la posa dans l’herbe, adossée à un rocher. Puis il s’éloigna dans l’idée de récupérer le cheval le temps que la soldate réapparaissait, lorsque, après quelques mères, un bruit suspect lui fit tourner la tête.

- Non, non, non, non, non ! s’écria-t-il en courant finalement dans le sens inverse alors que Lucy et le floki s’étaient mis à jouer avec la bille.

Surpris par l’injonction, les deux créatures s’écartèrent. Bridget se rematérialisa. Les pieds du coursier se prirent dans une racine, et il s’étala – les mains en l’air pour préserver l’oréouille qu’il avait repris entre ses doigts – de tout son long contre le corps de la lieutenante. Le nez dans sa gorge.

Résultat des dés:

MAJ inventaire:

Le nez confortablement installé dans la vallée entre les deux collines symétriques, Calixte se dit que, vraiment, cette journée allait de pire en pire. Il avait l’habitude de sa maladresse, mais on atteignait là de nouveaux sommets. Assurément, il arracherait un sourire à Zahria en lui décrivant la mission. Quoi que, la mention de la lieutenante rappellerait probablement à sa Maître-Espion des circonstances bien moins joyeuses. Entre les évènements sordides des derniers temps et le doute s’étant mêlé aux sentiments qu’ils avaient l’un pour l’autre, il semblait actuellement difficile de partager autre chose que de la tristesse. De retrouver un terrain de discussion moins glissant que celui des assignations, de l’espionnage. Plus allègre que celui du devoir, et des drames l’accompagnant. La voix de Bridget Alnilnam se rappela à lui, et il se releva dans la précipitation. Et était-ce lui où la lieutenante paraissait un peu embarrassée ? Peut-être, mais lorsqu’il aperçu l’oréouille violette sur la tête de la petite catosorus, il revint à des préoccupations plus terre à terre.

Se baissant pour aider à nouveau la soldate, il garda au coin de l’œil les trois créatures s’amusant. Maintenant qu’ils avaient mis la main sur un spécimen rentrant dans les critères de dame Du Lys, il aurait été dommage de le perdre bêtement. Bridget appela son cheval – Hamlet – qui leur envoya un regard blasé avant de finalement les rejoindre. Visiblement l’étalon n’était pas des plus dociles, ni des plus enthousiastes, mais au moins écoutait-il un minimum son actuelle propriétaire. Et, à force de demandes et d’intonations appuyées, il finit par se baisser pour faciliter la montée de la soldate. Elle n’était pas encore très vaillante, et le coursier se demanda finalement si elle n’était pas particulièrement sensible à la substance qu’il avait utilisée sur ses fléchettes, ou s’il s’était trompé dans ses dosages. Avant que le destrier ne se relève, Calixte sortit l’étiole un peu souillée de son sac-à-dos pour sécuriser l’assise de la lieutenante sur sa selle. Il aurait été fâcheux qu’elle tombât par inadvertance et se fracassât le crâne par terre. Moyen dans le rapport, en plus du reste. Après une hésitation, dans la fraicheur ambiante laissée par la pluie, il récupéra une cape standard dans ses affaires et la passa autour des épaules humides de Bridget.

Une brise se lova creux de son cou et, frissonnant de froid, il rajusta sa cape anti-climat. Hamlet se releva enfin, dans un mouvement d’encolure traduisant son dédain, et ils se mirent en route pour la Capitale. Se baissant à hauteur de la petite catosorus, Calixte récupéra l’oréouille violine. Comme si elle comprenait qu’elle était à présent libre de tous ses mouvements sans risquer de perdre leur précieux colis, Lucy se mit à jouer allègrement avec le floki qui les suivait avec curiosité. Le cheval n’allait pas vite, et cela laissait pleinement le temps aux deux petites créatures de rouler bouler à quelques mètres, sans craindre de perdre leur convoi. Et Calixte songea que c’était, finalement, sympathique de la part du destrier d’avoir pris en compte l’état un peu vaseux de sa passagère, et d’avoir adopté un rythme adéquat. Lent.

Beaucoup trop lent. Beaucoup trop trop leeeeeeent. Mais il allait vraiment s’arrêter à chaque pâquerette pour la gober ? Tenant la bride de l’animal, le coursier essaya de lui donner une impulsion un tout petit peu plus rapide, mais Hamlet était une vraie tête de mule. Sur sa croupe, Bridget semblait dépitée et résignée.

- Je suis vraiment désolé, soupira Calixte à l’adresse de sa supérieure en lui jetant un regard contrit. Pour la fléchette. Et la boue. Et de vous être tombé dessus, grimaça-t-il en énumérant la liste de ses maladresses. J’ai deux mains gauches et deux pieds gauches. Et peu de faveurs de Lucy, apparemment.

Il fouilla dans la poche latérale de son sac-à-dos et en sortit sa gourde fontaine, ainsi qu’un sucre magique.

- Vous devriez sans doute boire un peu, pour aider le produit à s’estomper et vous éclaircir les idées. Y a-t-il une boisson en particulier que vous préférez ? demanda-t-il en se souvenant distraitement de la limonade qu’il avait partagée avec Carciphona alors qu’ils étaient allongés dans l’herbe verdoyante, à une autre époque, sous d’autres auspices.

Au loin, un peu trop loin encore à son goût, il pouvait observer les reliefs de la Capitale se dessiner.

- Peut-être devrions-nous passer par l’infirmerie… songea-t-il à voix haute. Avez-vous quelqu’un à prévenir ? Pour éventuellement venir prendre soin de vous, le temps de s’assurer que le produit quitte complètement votre organisme.

Résultat des dés:

Rigolant légèrement à la remarque de la lieutenante sur ses quatre membres, Calixte s’exécuta et plongea le sucre magique dans l’eau de sa gourde. Elles étaient vraiment pratiques ces petites choses, dommage que son stock diminuait inéluctablement. Peut-être en aurait-il de nouveau pour les fêtes à l’occasion de la fin d’année suivante ? Il y avait encore le temps d’ici là… Et il y avait notamment le temps de faire encore pas mal de bourdes. Amenant son nez au-dessus du goulot pour humer le parfum de la nouvelle boisson ainsi concoctée, il tendit finalement la gourde à Bridget. Au moins semblait-elle reprendre quelques couleurs, en dehors du verdâtre qui s’était installé sur son visage depuis le début du trajet à cheval. Elle en prit une gorgée timide puis, apparemment revigorée par la douceur et le goût sucré du jus d’ambriosa, en savoura davantage. Lorsqu’elle finit par lui rendre sa gourde, le rose était revenu à ses joues et une légère agitation de ses membres inférieurs indiquait qu’elle redevenait peu à peu maitresse de son corps. Même si on était encore loin d’un retour à la normale.

Finalement, Hamlet reprit un rythme standard – à défaut de vraiment accélérer le pas – et ils finirent par arriver aux portes de la Capitale. Avec ces péripéties – et la lenteur du destrier – la journée avait bien avancé, et les gardes présents à l’entrée de la ville avaient changé. Et reconnaissaient visiblement la lieutenante. Appartenaient-ils eux aussi au Myrmidon du Solstice ? Probablement, vu leur familiarité avec Bridget, qui les réprimanda malgré son état moins que vaillant. Cela en disait long sur sa ténacité et sa méticulosité. Même si elle restait tout de même moins engoncée dans ses principes qu’Emeor, à ce qu’il en avait vu.

Marquant un temps de pause pour observer la soldate qui tenait à présent à peu près verticalement sur la selle de son destrier, Calixte conclut qu’il y avait des chances qu’elle regagnât effectivement la Caserne de l’Île Rocheuse en un seul morceau. Mais l’accompagner au moins jusqu’à l’île principale ne lui ferait faire qu’un minime détour sur sa route pour l’île Royale.

- Vous êtes une grande fille dommage collatéral d’un boulet, fit-il remarquer à sa supérieure. Je vous accompagne jusqu’à un peu plus loin, de toute façon c’est presque sur ma route.

Ils poursuivirent leur chemin à travers les rues de la Capitale et, s’enfonçant entre les passants de plus en plus nombreux à mesure qu’ils s’approchaient du centre de la ville, le coursier se félicita de ne pas avoir pris la fuite trop vite. Malgré son regain d’énergie, la lieutenante aurait probablement un peu galéré à slalomer entre les badauds en l’absence d’un tiers piéton pour guider Hamlet. Et Hamlet aurait probablement été très heureux de donner un coup d’encolure ici et là, vu les regards hautains qu’il lançait à la ronde.

Finalement, ils gagnèrent la bifurcation où Bridget allait continuer vers le sud, en direction de la Caserne de l’île Rocheuse, et où Calixte s’en irait retrouver dame Du Lys avec l’oréouille violine trouvée. Après un instant d’hésitation, le coursier tendit son cristal de communication à sa supérieure.

- Si vous en avez un. Pour m’appeler si jamais hum, si jamais Hamlet vous fait tomber d’ici la Caserne. Et si jamais vous avez des remontrances à me faire après… après ça, grimaça-t-il avec un geste global.

La lieutenante finit par lier leurs cristaux, et l’espion se demanda à quel point leurs mésaventures allaient être déformées et amplifiées avant de finir en rumeur sur les lèvres des habitants de la Capitale. Car entre le paysan qu’ils avaient croisé sur un premier malentendu, les citoyens qui avaient eu l’air de penser qu’il pelotait sa supérieure évanouie, les deux gardes à l’entrée et leurs messes-basses, le fait qu’il l’ait menée jusque-là en tenant la bride de son destrier avant de lier leurs cristaux de communication… Mouaip. Lui-même n’avait pas grand-chose à craindre, mais Bridget avait une silhouette un visiblement peu trop connue dans le coin. Il allait falloir qu’il remette rapidement les voiles après avoir donné l’oréouille à dame Du Lys, sous peine de se taper toutes les latrines à nettoyer.

Après des « au revoir » brefs mais sincères – et quelques gratouilles sur la tête de Lucy – il regarda quelques secondes Bridget prendre la direction de l’île Rocheuse, puis il saisit le floki qui se percha étrangement contre son cou pour enlacer sa tête, et partit lui-même retrouver la Noble à l’origine de leur mission incongrue. Il avait une oréouille violette à arabesques roses à livrer.