Comme la plupart des bonnes histoires au Grand Port, celle-ci avait de nouveau commencé au Requin Soul’Art. Après sa croisière improbable avec Naëry et Adrian vers Labyrinthia, Calixte avait été plus que prêt à remettre les pieds dans l’étrange taverne/bar/hôtel/lieu indéfini, en quête de compagnie agréable voire d’un nouveau billet pour l’aventure. Et peut-être même, si Lucy le voulait bien, tomberait-il à nouveau sur un ou une pirate, riche de voyages à raconter et de trésors à partager. Peut-être que, cette fois-ci, à défaut de la représentation maladroite d’une petite dizaine d’attributs masculins agencés de manière pseudo artistique, trouverait-il une vraie carte au trésor. C’était donc tout naturellement que le coursier était passé s’inscrire, le matin même, à la soirée/nuit proposée par le Requin Soul’Art. Le titre « karaoke » l’avait fait sourire, et soulagé sur l’activité à venir. Car même s’il appréciait le lieu, à la fois pour son ambiance et tous les potins qui y circulaient allègrement, il y avait vraiment des animations sur lesquelles il ne souhaitait pas tomber. Retomber. Comme la nuit de l’« approche douce du cannibalisme consenti », ou encore celle concernant « les utilisations cachées de l’art ». Calixte était curieux de nature, mais certains thèmes étaient faits pour rester un mystère. Ou, tout du moins, après le traumatisme initial, pour tomber dans l’oubli et ne pas demander de persévérance.

Lorsqu’il était revenu en fin de journée, après son travail au Bastion et deux échappées discrètes pour dégourdir les pattes de Kaname, il était alors accompagné de quelques camarades de la Garde. Habillés en civils. Ils avaient tous fini leurs heures, et n’étaient pas là pour fliquer la clientèle présente, ni vérifier la légalité du contenu des verres – et pourtant Lucy savait qu’il y avait là des choses à reprendre – mais bien pour s’hydrater le gosier et profiter de la soirée. De la nuit. Et plus si affinité. Cette fois-ci, Solveig ne les accompagnait pas. C’était une sortie principalement entre membres du pôle logistique du Bastion. S’il l’avait su, Emeor Calyx leur aurait distribué des formulaires de contrôle qualité et fait passer des alcotests à leur retour. Serait-il venu, s’ils lui avaient proposé, le lieutenant à la silhouette rigide ? Probablement pas. Quoi que le coursier aurait donné cher pour voir son supérieur esquisser quelques pas de danse sur un Michael Jacks’On. Une autre fois peut-être. Dans un autre monde et un autre univers.

Il lui avait par contre semblé apercevoir la petite silhouette d’Apolline se faufiler dans les poches de sa veste alors qu’il se changeait, mais il avait beau les tâter à présent, il ne l’y trouvait plus. Enfin, l’âme artificielle faisait très bien sa vie de son côté lorsque cela lui chantait. Lorsqu’il leur arrivait de passer à la Capitale pour le travail ou des affaires plus personnelles, elle n’hésitait pas à rouler sur des kilomètres, seule en pleine nuit, pour rejoindre Shushu, l’arbalète de Carciphona. Donc bon. Il y avait plus inquiétant. Comme, par exemple, la couleur suspecte des breuvages mis entre ses mains. Écho de celle de la pinte de la petite fille à côté de lui. Adolescente. Jeune fille. Elle avait quel âge ? Certainement pas celui de s’avaler ce type de boisson, et encore moins de traîner dans ce genre d’endroit non accompagnée. Derrière le comptoir le barman attrapa ses cristaux et ajouta, en échange, une pelote de laine et une paire de baguettes entre ses mains.

- Un conseil : ne t’attaque pas à ça, lui indiqua-t-il avec un coup d’œil vers la frêle silhouette s’éloignant vers un petit groupe visiblement installé depuis quelques temps déjà.

Haussant les épaules, Calixte retourna vers ses propres camarades. Il n’était pas homme à juger moralement autrui, ni être lui-même un parangon de vertu, donc bon. Et puis à ce qu’il percevait du groupe accueillant joyeusement la petite fille – adolescente, jeune fille – elle n’avait pas tellement l’air en perdition.

Il refila le matériel de tricot à Albert – Albert aimait bien tricoter à ses heures perdues, il faisait de très jolies écharpes, et Calixte avait perdu un pari contre lui, lui devant ainsi une pelote de laine – et tendit un verre bleuté à Lara.

- Du coup je t’ai inscrite au karaoke.
- Tu m’fais marcher...
- Tu veux payer ta conso?
- … vas-y passe. T’es moins radin quand c’est Marianne.
- Te plains pas, elle est aussi inscrite.
- Ouais, mais elle aime ça.

Une exclamation ravie accueillit cette déclaration alors que Lara récupérait son étrange boisson en grommelant.

- Vous êtes tous de gros bolosses.
- Ta gueule, Lara. On a qui à défoncer ce soir Calixte ?
- De gros, gros, bolosses.
- Y a pas grand monde d’inscrit pour le moment… Nous, le groupe des sexagénaires habitués là-bas. Et une Louise.
- En même temps il est un peu tôt…
- En même temps, la fois dernière on s’est fait défoncés par les Valkyries.
- Parle pour toi, moi j’étais sur le podium. J’ai gagné ma couronne.
- … échanger des points contre des faveurs en nature ça compte pas, Réno.
- De bons gros bolosses…
- Chers camarades : il y a des débats supportables uniquement avec un taux l’alcoolémie supérieur à celui d’un baba au rhum.

Une nouvelle exclamation réjouie accueillit les sages paroles, et Calixte se leva en compagnie de Marianne pour retourner vers le comptoir. A la fois pour aider cette dernière avec les commandes de leurs camarades qu’elle connaissait par cœur, et puis pour commencer à fureter. Il n’y avait effectivement pas encore grand monde dans l’antre du Requin Soul’Art, mais de nouvelles œuvres avaient été accrochées aux murs sombres de l’établissement, et le coursier était curieux d’apprécier ces peintures psychédéliques. A défaut de mettre à nouveau la main sur un pirate pour la soirée pouvant lui céder une carte au trésor à ramener dans sa piaule au Bastion, il trouverait peut-être là son prochain colis improbable pour Emeor.

Après avoir aidé Marianne à faire les trajets les bras alourdis de consommations, alors que le groupe de musique animant la soirée karaoké s’installait doucement, Calixte piqua un des bols de cacahuètes de sa tablée et s’aventura près des œuvres d’art. Surprenantes. Modernes.

- Ca ressemble vraiment à rien, conclu-t-il en fronçant les yeux comme si cela lui permettrait de mieux voir et appréhender le tableau. A part peut-être le résultat pas fameux d’une défenestration de la tour d’un donjon.
- Parait qu’l’auteur a fait de la taule, ça l’a peut-être inspiré. Ah. J’te ressers Louise ?

Louise, comme Louise inscrite au karaoke ? Curieux, Calixte se retourna pour mieux observer l’âme esseulée notée entre, à présent, le groupe de sexagénaires et celui de la Garde, tous deux fiers habitués de l’animation. Il l’observa cependant finalement d’un peu plus près que prévu, son regard ne trouvant pas immédiatement de silhouette à sa hauteur et le faisant effectuer un pas malheureux… l’amenant presque au contact de la petite fille – adolescente, jeune fille – qui se tenait toute proche. Sursautant, le bol dans sa main joua d’une secousse imprévue, et quelques cacahuètes en profitèrent pour s’échapper par-dessus le rebord de bois. Pour trouver une fin tragique contre le parquet, ou dans les cheveux – sur les épaules et dans le verre – de la fameuse Louise. Oups.

- Pardon, pardon. Je n’t’avais pas vue, fit-il en grimaçant et en époussetant les cacahuètes des cheveux roux. Et heu… tu es sûre que tu vas réussir à porter tout ça ?

Par-dessus la tête de la petite fille – adolescente, jeune fille – le barman lui faisait de gros yeux. Eh quoi ?

Calixte eut tout juste le temps de réaliser la raison pour laquelle le barman lui faisait les gros yeux par-dessus la tête de la fameuse Louise, que celle-ci s’empressa de lui renverser son verre à sa hauteur… donc à hauteur de son pantalon. La fraicheur et la surprise le firent grimacer, et il cligna des yeux à la colère de la petite fille – adolescente, jeune fille – tout en se demandant quelle excuse appropriée il pouvait lui servir sans trop risquer de se prendre le contenu de la seconde choppe qu’elle tenait entre ses petites mains. Il fut cependant tiré de ses pensées par le barman qui décida de prendre les choses en main, lui tendant un torchon pour s’essuyer et se tournant vers la petite fille – adolescente, jeune fille – afin de mettre de l’eau dans son vin.

- J’AI VINGT ANS !

Heu, jeune fille, donc. Un léger sourire incrédule sur les lèvres, Calixte leva les mains en signe de défaite et rejoignit la table de ses camarades sous leurs rires hilares.

- On dirait que tu t’es pissé dessus.
- Sauf que ça sent plutôt bon la bière. J’serai pas contre y passer la lan…
- Okay, on n’a vraiment pas besoin d’avoir ce genre d’information.
- J’dois avoir quelque chose là pour te changer, Calixte. Quelque part dans ce bazar…
- Tu devrais ranger tes affaires. Ailleurs que dans un petit sac. Regarde-moi tous ces objets.
- Ah !
- C’est un paréo, ton truc. Pourquoi t’as un paréo sur toi ?
- Hé, on a la plage pas loin. Faut toujours être prête pour une assignation plage.
- Pas faux.
- Y en a des pas mal à la table de la minette, d’ailleurs.
- Vingt ans, rappela-t-il distraitement. Vas-y passe-moi ton paréo Marianne.
- C’est le cuir-moustache qui te fait cet effet, Albert ?
- Tu crois qu’il porterait une écharpe de quelque couleur ?
- Plutôt un collier qu’une écharpe, non ?

Il récupéra le paréo et défit la ceinture de son pantalon. Les douches, les vestiaires et les dortoirs communs de la Garde avaient depuis longtemps retiré tout sentiment de pudeur chez le coursier. Et la vie d’espion avait définitivement gommé toute once de dignité qui avait pu subsister chez lui. Un bruit mat attira son attention tandis que ses mains empoignaient le tissu sous ses doigts, et son regard se tourna pour appréhender la silhouette de verres généreusement remplis ayant fait leur apparition sur leur table. Il baissa son pantalon. Et réalisa une micro seconde après que lesdits verres avaient été rapportés par la fameuse Louise. Hum. Quelque part dans son dos, quelqu’un siffla lascivement. Heureusement la pe… jeune fille avait détourné le regard. Brièvement. Intriguée par le soudain silence à la table, elle retourna la tête. Hum.

Lara explosa de rire, bientôt suivie par le reste des gardes, et Calixte finit rapidement la besogne de quitter son pantalon humide pour passer à ses hanches le paréo fleuri de Marianne. Bon, y avait mieux et plus décent comme type de rencontre, mais ça restait dans la continuité de leur premier échange particulier.

- Excuse-moi ? fit-il en écho aux mots de Louise, mais cette fois-ci pour se faire pardonner son timing malheureux. Pour hum, les propos inappropriés et…
- Le strip-tease ?
- Complètement inapproprié aussi.
- Surtout que bon, d’un point de vu extérieur…
- Tu fais vraiment jeune. Louise, c’est ça ?
- Ca fait un peu exhibitionniste à tendances pédophiles.
- Mais que fait la Garde ?
- Tu as vraiment vingt ans ?
- Elle t’arrive au niveau des fesses, Lara.
- T’es choupette avec ton cache-œil, j’ai une petite sœur qui…

Wow, ils allaient se prendre un tsunami de bière si ça continuait comme ça. Une mort brutale par déluge d’arachides et noyade œnolique. Ça ferait un peu tâche dans les papiers de l’administration militaire. Ecarquillant des yeux de plus en plus paniqués, Calixte chercha du regard une issue au drame se profilant. Ses camarades de la logistique étaient d’agréable compagnie, mais ils n’étaient pas forcément les plus subtiles.

- Qui pour la première chanson ? appela une voix près du bar.
- NOUS ! hurla le coursier en levant précipitamment sa main et celle de Louise.

Il y eut un temps de pause où la jeune fille lui adressa un regard qu’il ne sut déchiffrer, puis elle soupira, récupéra sa main et le poussa vers le groupe d’animation qui les invitait à les rejoindre.

- Désolé, réitéra-t-il à l’adresse de Louise.

Il avait tout de même l’impression d’avoir évité un incident diplomatique, et c’était toujours satisfaisant. Le barman les regarda passer et leur adressa un regard encourageant. Ainsi qu’un petit haussement de sourcils au changement de tenue du coursier, mais il avait déjà vu bien plus étonnant en ces lieux. La femme animant la soirée karaoke leur tendit un recueil de chansons, et les laissa l’étudier, tandis qu’elle rappelait les règles à la clientèle du Requin Soul’art. Elle aurait probablement pu s’en passer, vu que les trois quarts des participants étaient des habitués, mais bon.

- Onze manches pour marquer un maximum de points chacun. Sept en duo, trois en solo et une en groupe de cinq maximum. Un passage par personne par manche. Chaque manche a son thème tiré au sort, vous êtes libres de choisir en fonction de celui-ci la chanson que vous souhaitez interpréter. Les points sont attribués au prorata de l’intensité des applaudissements. Les trois premiers participants sur le podium recevront les saintes couronnes de cacahuètes – entièrement comestibles bien évidemment – ainsi que la gratuité de leurs boissons de la soirée et, comme il est coutume, le chaste – ou pas – baiser de Fredo, notre bien-aimé barman.

Alors que les musiciens finissaient de s’installer, que la plume de lumière – doublée d’un charme temporaire pour l’animer automatiquement – qui allait servir pour leur inscrire les paroles au fur et à mesure attendait sagement, et que Calixte tendait à Louise le recueil des chansons possibles, l’animatrice se saisit d’un pot de fleurs dans lequel des petits bouts de papier pliés avaient été déposés.

- Et le thème de cette manche eeeeeeest…

La main « innocente » plongea dans le vase pour en tirer un papier.

- La tristesse ! A vous de faire pleurer nos cœurs, jeunes gens. En épargnant, si possible, nos oreilles.

Résultat dé:

Marrant comme les réflexes installés par des années d’entrainement militaire pouvaient prendre le dessus, en une fraction de seconde. Sans s’inquiéter de leur état d’imbibition œnolique ou de leur accoutrement vestimentaire. Et il y avait quelque chose à la fois émouvant et ridicule à observer ces gardes en repos, pour certains déjà ronds comme des culs de bouteille – la légende voulait que figurait aux commandements officieux de la Garde, juste à côté de celle précisant la nécessité d’effectuer un contrôle qualité dans toutes les tavernes jouxtant la Caserne dans un périmètre de 500 mètres, l’obligation de finir tout verre d’alcool posé devant soi en moins de cinq minutes – et pour d’autres munis de claquettes glissant sur les pavés traitres, se lancer dans la course-poursuite de voleurs de cristaux. La soirée était jeune, et les quais encore lieu d’activité. Mais visiblement ça n’intéressait pas grand monde d’intervenir en leur faveur, malgré Réno qui s’époumonait :

- AUX VOLEURS !

Mais peut-être était-ce parce qu’il le hurlait avec un grand sourire, et le ton de celui partant à l’abordage malgré son pas vacillant. Peut-être, aussi, était-ce en raison des jets d’eau pugnaces que se prenaient les quelques âmes s’élançant à la rencontre des deux voleurs. Et Calixte pouvait tout à fait comprendre. Malgré la douceur du temps, on n’était pas encore sur l’ambiance réchauffée de la saison chaude, et la pensée de finir dans des vêtements humides sous la brise encore un peu fraiche avait de quoi rebuter les esprits les plus volontaires. Lui-même aurait certainement frissonné à la caresse du vent contre ses cuisses encore un peu imbibées de bière s’il n’avait pas été enflammé par l’effort de course.

Les voleurs bifurquèrent dans une ruelle plus étroite, moins empruntée, et les gardes leur emboitèrent le pas. Marianne faillit se casser la figure dans le virage, et elle retira ses claquettes dans un rire, avant de les projeter vers les fuyards. Elle fut bientôt imitée par quelques-uns de ses collègues, qui commençaient à se fatiguer. Principalement la faute à leurs chaussures de ville. Pas du tout celle de leur alcoométrie ni du fait qu’ils fussent davantage habitués au travail de bureau qu’à celui de terrain.

- Et bam ! s’écria de joie Lara alors que les espadrilles fauchaient plus ou moins efficacement les
voleurs à quelques mètres d’eux. Un zéro pour l’équipe logistique !

Emeor Calyx aurait été tellement fier d’eux.

- Je crois que j’ai un point de côté, souffla Réno en s’appuyant contre un mur. Probablement la faute au jus d’oranges dans le cocktail.
- C’est vrai qu’il était un peu dosé. Faudra le dire à Fredo, il a la main lourde sur les jus de fruit.

Un jet d’eau attaqua soudain le visage d’Albert, puis celui de Réno, et Calixte esquiva celui venant vers lui. Un peu plus loin, Lara se débattait encore avec le voleur les attaquant à coups de manta pist’, tandis que Marianne, ayant maitrisé l’autre, tenait entre ses bras le sac contenant les cristaux volés. La suite se passa rapidement.

- Ow, ow, ow, c’est quoi ça ?!

Là où le jet d’eau avait fini sa course, humidifiant vêtements, peau, et autres surfaces, de la mousse était en train de surgir. Et pas en petite quantité. Profitant de la distraction des yeux attaqués par la sensation savonneuse, le voleur au manta pist’ se dégagea de l’étreinte de Lara, récupéra le sac de cristaux d’un mouvement sec, et avisa un empilement de caisses qu’il escalada prestement pour rejoindre les toits en terrasses et… un troisième complice l’y attendant.

- EH ! M’abandonnez pas ! C’est grâce à moi que vous avez les cristaux ! cria le voleur toujours ligoté. Bande de bâtaaaaaaaaaaaards ! poursuivit-il avec outrage tandis que les deux silhouettes s’éclipsaient.

Calixte se lança à l’assaut des toits, mais il entendit clairement les grognements peu enthousiastes de ses camarades.

- … j’suis clairement trop vieux pour ces bêtises.
- Et moi trop mojitorisée.
- T’façon y a bien une clause qui dit qu’à plus de deux mètres du sol, c’est une équipe spécialisée qui intervient, non ?
- On se retrouve au Bastion ! Il m’a manta pisté et savonné la gueule ce con, il va pas s’en tirer comme ça ! Et s’ils pensent garder mes cristaux estampillés binouze…
- D’acc ! A tout à l’heure Lara ! Calixte ! Eh, salut Louise. Les cristaux ont pris la voie des airs…

Finissant de gravir les caisses – puis un rebord de fenêtre et une canalisation – Calixte se hissa sur le toit en terrasse. Dans son mouvement de jambes, le nœud autour de ses hanches se défit, et il sentit la caresse du paréo contre ses cuisses alors que l’étiole se faisait la malle. Distraitement, il nota les exclamations dans son dos tandis qu’il continuait sa folle course-poursuite.

- Oups là. Puisque tu y es Louise, pourrais-tu me redonner ce paréo ? C’est le mien en fait.

Un toit plus loin, il pouvait apercevoir la silhouette des deux voleurs s’éloignant vers l’onde azurée. Vers la mer malgré tout. Avaient-ils là-bas un plan de repli ? La mousse qui les avait assaillis résultait certainement de l’utilisation d’un pouvoir. Son détenteur pouvait-il faire mousser tout l’océan ?

- Un plan génial ? lui demanda Lara qui l’avait rattrapé tandis qu’ils sautaient par-dessus un parpaing.
- Hum. Cours ?

Il était en calbute, pieds nus, dans ce qui lui restait d’habits de civil. Les options étaient franchement réduites. Un miracle ?

Ils arrivaient à la lisière de la forêt de toits, et les deux voleurs disparurent au pied de celle-ci. S’approchant à leur tour du rebord, Lara et Calixte avisèrent un escalier leur permettant de descendre et continuer leur poursuite. Peu à peu, le sol de terre se couvrait d’une couche de sable fin, et les parois des bâtisses abîmées par les bourrasques salées se raréfiaient pour donner sur des bâtiments autrement marins. Gênés par leur chargement et le sable compliquant leur progression, les voleurs ralentirent quelque peu leur course. Mais pas encore suffisamment pour se laisser atteindre par les deux militaires.

- T’as pas un truc dans lequel me lancer ? demanda Calixte à sa camarade entre deux respirations hachées.

Une ombre passa soudain à côté d’eux, et ils observèrent avec surprise la petite Louise se jeter sur l’un des voleurs. Initialement, cela ne sembla pas beaucoup changer la donne, et puis celui-ci finit par s’arrêter pour tenter de se débarrasser de son poids supplémentaire.

- Il est pour moi ! s’exclama Lara d’un ton d’où perçait le désir de vengeance.
- D’acc. J’m’occupe de l’autre, acquiesça le coursier pas difficile en affaires.

Intrigué et surpris par la situation de son camarade, le second voleur avait ralenti sa course et semblait hésiter quant à la conduite à tenir. Profitant de ce temps gagné, Calixte dépassa les deux femmes et leur prise, et s’élança à grandes foulées derrière le dernier malfrat. Celui-ci retrouva ses esprits et réaccéléra avec l’énergie du désespoir. Il était cependant à moins de dix mètres.

Profitant de ses pieds nus et calculant l’endroit où serait sa cible au terme de son action, l’espion activa sa fusion glissée pour se rapprocher davantage du voleur. Il estima peut-être un peu trop bien son affaire, car lorsqu’il resurgit hors du sable pour appréhender sa cible, le haut de sa tête tapa violemment contre l’entre jambe de celle-ci, l’envoyant valser dans le décor sablonneux dans une lamentation surprise et estomaquée.

- Ow, fit Calixte en se frottant le haut du crâne tout en s’approchant de l’homme allongé en chien de fusil.

Le sac de cristaux était abandonné à ses côtés, les mains tenant une toute autre sorte de bijoux. Un rictus de douleur s’était ancré sur le visage du voleur.

- Désolé, heu, ça ira pour marcher ?

Une grimace et un regard mauvais lui répondirent.

- Ouais bon, heu. Plan B alors.

Se saisissant d’une bille de bois dans la ceinture qui ne le quittait presque jamais, Calixte y fit fusionner l’homme pour le transporter. Après avoir récupéré le sac de cristaux – et wow, au cumulé ça faisait plutôt pas mal – le garde retourna à la hauteur des deux femmes et de leur prise. Cette dernière avait été ligotée par Lara et ne paraissait pas si étonnée d’avoir été arrêtée.

- N’est vrai’ent bas fanile, bourtant là on était bien bartis.

Penchée au-dessus de l’homme au nez éclaté, la militaire avait récupéré le manta pist et lui faisait les gros yeux.

- Déjà on beut récupérer les cristaux gue guand guelgu’un dit « bella », alors bon…
- C’est un pouvoir un peu merdique ça.
- M’en barlez bas !
- Remarquable technique d’arrestation, commenta Lara en levant un regard amusé vers le coursier.
- Oui heu, c’était pas voulu comme ça au début hein, grimaça Calixte.
- Franchement j’ai bien ri. Bon, y a plus qu’à faire un tour au Bastion pour que ces gens se familiarisent un peu avec leur chambre d’hôtel pour les jours à venir. On règlera là-bas les histoires de cristaux.

A l’annonce de la Caserne, Louise ne parut pas très enchantée.

- Il faut faire les déclarations de vol, et signer les papiers administratifs pour la restitution des cristaux, indiqua Calixte à la jeune femme tout en aidant Lara à relever le voleur au faciès ensanglanté. On pourrait s’arranger mais…
- Mais Emeor Calyx va nous faire la peau s’il apprend qu’on n’a pas profité de l’occasion pour remplir ses formulaires chéris.
- Budin vous êtes de la Garde ?
- Ouaip.

Une plaque de garde fut sortie pour appuyer les propos.

- Merde.
- Ouaip. Pas d’chance jusqu’au bout. Ça vous apprendra à manta pister les braves gens.
- Ouais mais d’jà g’c’est bas simble de drouver des gens gui disent « bella »…
- Pas facile, effectivement.

Ils se remirent en mouvement, et Calixte récupéra le paréo qu’il renoua autour de ses hanches.

- Tu nous accompagnes au Bastion ou on te retrouve plus tard au Requin Soul’Art, Louise ? Pour l’histoire des cristaux. Sinon faudra à l’occasion passer à la Caserne les récupérer, ou nous laisser une adresse pour vous rapporter les biens, à toi et à tes amis.
- Z’êtes un drôle d’assortiment, d’ailleurs, nota Lara en fronçant les sourcils. C’est ta famille ?

Calixte songea qu’ils étaient de carrure et de traits physiques un peu trop disparates et hétérogènes pour être de la même famille, ou tout du moins de celle du sang. Mais il était aussi curieux de l’étrange groupe.

Jetant un coup d’œil à Louise, Calixte se dit qu’elle avait l’air vraiment embêtée par cette question. Ce qui était étrange, car il ne voyait pas ce qui pouvait bien l’embarrasser. Était-ce la composition de sa troupe ? Le fait qu’on les ait vus au Requin Soul’art ? Le karaoké ? Un mélange des trois ? N’assumait-elle pas sa relation aux autres artistes… Ca avait un Capitaine des artistes ? Un Capitaine de troupe ? Le regard du coursier se tourna vers le jeune homme qu’il avait effectivement vu accompagner Louise un peu plus tôt, et il haussa les sourcils, intrigué. Puis amusé à l’air interdit de Lara. La prenant en pitié, il répondit pour eux au questionnement de leur nouvel interlocuteur.

- Vous êtes des gardes ? Mais c'est super drôle parce que vous voyez, nous on est une bande de pirates. Yaahaaar !

Si les sourcils de Calixte avaient pu décoller de son front, nul doute qu’ils l’auraient fait à ce moment. Parce qu’en soit, les propos de… Vingt-deux ? n’avaient rien d’étonnant vu son état d’alcoolisation aiguë. Nombreux étaient ceux aux tavernes du Grand Port qui se vantaient d’être pirates, d’autant plus s’ils portaient un quelconque attribut cliché, et leur nombre était toujours proportionnel à celui des pintes descendues dans la soirée. Mais en présence de gardes ils se faisaient usuellement bien plus discrets, et il y avait dans la reprise de Louise des intonations toutes maladroites, comme si elle essayait de reconstruire le château de sable sur lequel son camarade venait de sauter à pieds joints. Lara et Calixte échangèrent un regard.

- Lara, si jamais, tu pourras m'trouver sur notre navire au port régulièrement !
- Vingt-deux centimètres de trop, grommela Lara alors qu’ils regardaient les deux « artistes » s’éloigner.

Calixte retint la remarque que soit c’était le surnom d’autre chose, soit il allait falloir qu’il y jetât un coup d’œil. Pour des raisons scientifiques.

- Y a beaucoup d’artistes qui ont un navire ?
- Ici ? C’est pas hyper rentable vu le prix du truc. P’tet à l’Archipel…

Ils échangèrent un nouveau regard.

- File-moi ta bille, j’retourne au Bastion avec ces deux boulets et tu peux aller voir nos « artistes ».
- Il va défusionner dès que je serai à plus de cinq mètres.
- Son pote le portera t’inquiète.
- Hé !
- Et j’ai pas très envie d’aller me farcir ce Vingt-deux centimètres.
- …
- Si tu fais cette blague, je rendrai ta vie impossible à la logistique.
- Moi aussi je t’aime, Lara. Bon, j’vais rattraper les artistes, voir quel type de prestation ils font vraiment.
- Oublie pas de rendre son paréo à Marianne, lui cria Lara alors qu’il s’éloignait en courant.

Ah oui. Tant pis pour la décence, il semblait que ça n’était pas le thème de la soirée de toute façon.

L’affaire fut plus compliquée que prévue. Louise et Vingt-deux s’étaient éclipsés dans l’obscurité de la nuit, la discrétion des petites ruelles crénelant les quais, et après quelques minutes de recherche, le coursier dut se rendre à l’évidence qu’il n’obtiendrait rien de ce côté. Reprenant la route du Requin Soul’Art sans davantage de détours, il salua d’un geste distrait ses collègues en patrouille qui le sifflèrent alors qu’il longeait les appontements au pas de course. Pas la peine de les alerter pour de simples suspicions. Et maintenant que l’espion était seul aux commandes… autant dire que sa curiosité l’emportait sur son devoir de garde.

Lorsqu’il pénétra dans l’ambiance tamisée du Requin Soul’Art, le groupe des sexagénaires était en train d’enflammer le dancefloor. Lâchant des yeux cette vision perturbante, Calixte avisa le coin où le groupe d’artistes avait été assis un peu plus tôt – vide – et s’avança vers le barman.

- Je cherche Louise. Et Vingt-deux.

Fredo lui adressa un regard prudent.

- Promis pas d’embrouilles ! C’est par rapport aux voleurs de tout à l’heure. D’ailleurs on t’apportera les cristaux volés au bar demain après-midi. Le temps de la paperasse.
- J’ai pas revu Louise, mais t’as loupé les gars de peu. Probablement retournés vers les quais. Plateforme F je crois ? Apolline est partie avec eux.
- Mer… quoi ? Parlesboursesroyales, merci Fredo !

Tournant les talons avec empressement, Calixte déboula sur les quais à la recherche de la fameuse plateforme. La lune, ronde dans le ciel, lui éclairait les lattes de bois comme les reliefs tranquilles de l’eau stagnante. Contournant les bornes d’amarrage, avisant un ponton s’élançant sur les flots serins, il passa le panneau qui indiquait en lettres usées « plat fo F » et… oui ! Au bout de celui-ci des silhouettes devenant familières et la voix reconnaissable de Vingt-deux ! Il accéléra le pas et allongea sa foulée. Peut-être que les entraînements d’Emeor Calyx allaient enfin payer ! Plus que quelques mètres… Deux silhouettes surgirent soudain d’un ponton sur sa droite. Surpris, il se prit le pied dans une latte, rebondit contre un tonneau, puis s’écroula sur l’une des silhouettes, l’entrainant avec lui pour un bain de minuit.

Lorsqu’il refit surface, toussotant et crachotant, il attrapa le corps qui avait chu avec lui pour l’amener vers la sécurité du rebord du ponton. Au loin, il pouvait entendre le rire claironnant d’Apolline.

- Il fait jamais les choses à moitié. Tu viens faire un tour en mer, Cal !? Il est trop cool leur navire !

Une main se tendit vers lui, et il l’attrapa sans demander son reste, en profitant pour sortir de l’eau l’âme qui avait décidé de faire trempette avec lui. Ou pas. La poigne sur la sienne le relâcha dans une exclamation peu flatteuse, et les deux corps replongèrent aussitôt dans l’eau salée, et pas si propre, du port. Pas si paisible que ça non plus, à en croire les choses indéterminées qui venaient buter contre ses dents. Toussant les lampées avalées par ses poumons enthousiastes, Calixte parvint à mettre la main sur une amarre traînant près de son plot et se hissa sur le ponton, suivi de près par le second plongeur improvisé. Les voix d’Apolline et Louise l’accueillirent dans un mélange de joie – pour la première – et de circonspection – pour la seconde – et le garde se dit qu’à choisir il aurait préféré être accueilli par une serviette. L’air nocturne était encore frais en cette deuxième lune de saison douce, et la perspective de chopper la crève se faisait de plus en plus probable.

Levant un regard interrogateur vers l’âme artificielle, son attention fût déviée par une crevette passant devant lui, et ses yeux se posèrent sur la silhouette qu’il avait précédemment embarquée pour un bain de minuit. Une silhouette qui ne perdait pas de temps à se dénuder. Oh. Clignant des yeux en notant mentalement les mensurations de l’homme – Allen ? – pour des besoins tous professionnels – vraiment ; peut-être qu’on lui demanderait un jour à quoi ressemblait le « beau gosse » de l’équipage et que connaitre le détail de ses abdominaux relèverait alors d’une question de vie ou de mort – Calixte écouta distraitement Apolline et Louise faire les présentations. Ou lui donner le bulletin météorologique ; l’attention décidément ailleurs, il n’était sûr de rien hormis du velours de la peau sombre d’Allen. Hochant bêtement et instinctivement la tête aux propos de la jeune fille, il se dit que le bain de minuit en eau fraiche avait finalement été une bonne chose car le paréo autours de ses hanches ne dissimulait vraiment pas grand-chose. Et déjà que les « artistes » semblaient peu enthousiastes à sa présence, pas la peine de rajouter de la malaisance en leur montrant son meilleur garde-à-vous.

Apolline descendit de l’épaule sur laquelle elle s’était perchée, et s’avança au milieu du petit attroupement avant de reprendre la parole :

- L'homme bien fournit que nous avons ici, c'est Allen, le second.

Calixte n’aurait su dire en quoi il était second, à ses yeux il était tout à fait premier.

- Le plus vieux derrière moi, Leborgne, un vieux loup de mer qu'à rien perdu de son charme.

D’ailleurs c’était pas une mauvaise idée d’essorer ses affaires. Car malgré la chaleur qu’avait réveillée le strip-tease impromptu d’Allen le second-premier, la fraîcheur de la nuit rendait ses vêtements humides de plus en plus inconfortables. Retirant à son tour son haut, Calixte entreprit de le délester l’eau qui s’y était accumulée.

- La petite aux arguments peu fournis, c'est Louise...
- Hey !

Bon, clairement c’était pas ça qui allait lui épargner le rhume qui s’annonçait. Déjà parce que ses mouvements perturbés par l’éclat des yeux sombres du second-premier n’avaient rien de très efficace, et puis parce que le froid de la nuit s’insinuait peu à peu au plus profond de ses chairs. Y avait qu’à voir son poil hérissé. Quoi qu’il était peut-être hérissé pour d’autres raisons.

- ... Là haut, y'a un nain du nom de P'tit-chef.

Il renfila son vêtement glacial et grimaça à l’effet douche froide. Enfin, ça lui permettait de contempler à loisir la ligne abdominale d’Allen sans trop se soucier de réactions un peu trop échauffées de sous son paréo.

- Y'a aussi Vingt-deux, une mine d'or. Ce type va me servir d'inspiration pendant mon petit séjour en mer.

Oh non ! Pourquoi remettait-il aussi son haut !? Retenant une moue déçue, le coursier laissa ses yeux profiter d’un dernier mouvement de balai le long des courbes du corps de l’homme au rythme du recouvrement vestimentaire.

- AH ! Et y'a aussi un vieux, mais il n'a pas de nom et ne bouge jamais.

Les lignes félines et le grain mate – quoi que dans l’obscurité de la nuit tout était relatif – lui rappelaient un peu la silhouette de Zahria, mais il n’avait assurément jamais connu la même attraction physique pour sa mentore.

- Bref, j'suis bien contente d'être tombée sur vous les gars. La mer m'appelait, et j'pouvais pas mieux tomber.

Acquiesçant aux propos d’Apolline, il se dit qu’en dépit de la localisation méridionale du Grand Port c’était marrant qu’il n’y eût pas plus de personnes au teint hâlé. Même au Bastion la plupart de ses collègues étaient blancs comme des linges. Ce qui était fort dommage, car il y avait un charme certain à la peau cuivrée.

- Autrement dit, Cal : je prends la mer avec ces braves gens. Sauf les jours où c’est elle qui nous prend.

M’enfin il avait à présent matière à pimenter ses sessions solitaires sous la douche avec un peu de couleur.

- Cal ? Cal !

Dommage qu’Allen le second-premier n’avait pas eu envie d’essorer aussi son pantalon, même si, très honnêtement, ainsi imbibé d’eau il ne laissait plus grand-chose à l’imagination.

- Cal, je pars définitivement avec mes nouveaux amis ! On va aller explorer la côte, remonter vers le nord et dépasser la frontière. On va s’envoyer des tanhiwas en chantant « Bella » et monter sur leur dos pour atteindre la lune.
- Mmm, acquiesça-t-il en se demandant quelle était la probabilité qu’il y eut du monde aux douches communes du Bastion s’il y était de retour dans la demi-heure suivante.
- Est-ce que je t’ai raconté la fois où j’ai servi de suppo à Zahria ?
- Mm… QUOI ?! Tu… quoi ?
- Je m’en vais, Cal ! Quoi que Louisette : tu veux pas vérifier s’il s’est pas noyé le cerveau en tombant dans l’eau tout à l’heure ? Marianne ne me racontera plus ses rodéos avec Lara si elle apprend que je l’ai laissé rentrer tout amoché.
- Attends, attends. Tu t’en vas où ?
- Oooh je sais que je vais te manquer, mon Cal-bute. Mais nos retrouvailles n’en seront plus qu’intenses !
- Apolline…
- Juste quelques jours… semaines… lunes grand max ? J’ai un projet maritime sous la fermeture éclair.
- Maritime ?
- Maritimo-érotique. Et puis avec Louisette, je vais p’tet embrayer sur une branche éducative.
- Educative ?
- T’inquiète pas. J’emploierai des mots simples pour que tu puisses aussi l’utiliser. Avec mam’zelle poivre et sel. Ou Allen, visiblement.
- Hé !
- Allen : donne-lui un peu d’amour ou une serviette ; sinon c’est Louisette qui devra le remettre sur pied. Et très clairement elle manque encore d’arguments.
- Hey !
- Je… attends. Du coup c’est vrai ? Tu t’en vas avec eux ? réfléchit Calixte en se massant les tempes pour revenir au sujet initial et éviter à son esprit de faire de nouveaux détours.
- Pas longtemps, promis ! fit Apolline en roulant vers lui.

Oh. Les lattes en bois sous ses jambes paraissaient soudainement bien froides. Mais il savait que l’âme artificielle était aventureuse, et qu’elle ne s’était jamais privée de longues balades loin de son point d’attache. Même sur la terre ferme. Et puis… son regard balaya l’ensemble de l’équipage. Bien qu’il lui eût semblé entendre à nouveau le terme « pirate », ils n’avaient pas l’air de mauvais bougres. Tous autant qu’ils fussent.

- Tu prendras soin de Krysta ? dit-il finalement en tapotant du doigt la petite trousse.
- Bien sûr ! Tu prendras soin de Soly chérie ? Je n’aurai peut-être pas l’occasion de lui envoyer de nouvelle lettre.
- Quel dommage, grommela-t-il pour la forme. Et elle sait très bien prendre soin d’elle-même.
- Allez fais-moi ça et je t’enverrai des détails croustillants sur Allen !
- … bon courage, soupira-t-il en saisissant l’âme artificielle pour la tendre à Louise. Et bon voyage ? souhaita-t-il en jetant un coup d’œil au navire amarré. Quoi que s’il ne presse pas, vous devriez peut-être attendre le retour du soleil pour reprendre le large, nota-t-il en fronçant les sourcils.

A moins que l’un des membres de l’équipage n’eût une vision nocturne hors norme, s’aventurer dans les ténèbres n’était peut-être pas le plus judicieux.

- Vous ne craignez rien de moi, ajouta-t-il à l’adresse de Louise en se souvenant de sa réserve première et de la notion de « pirate ». Si vous prenez soin d’Apolline.

Le rire de celle-ci à cette déclaration lui retira une once de crédibilité, et il leva les yeux au ciel avec amusement. Néanmoins, il s’était tout de même pris d’affection pour l’âme artificielle de l’ancien Maître-Espion, et ses propos n’étaient pas tout à fait vides de menaces.