J'entends la Lou
et la Renarde danser ♪
[PV @Lou Hable]
Luz regardait l’étale de la petite marchande avec un regard plus que gourmand. Affamée au possible, elle s’était empressée de descendre du téléporteur du Grand Port pour se lancer à la recherche de victuailles. Elle avait finalement jeté son dévolu sur le stand d’une petite dame aux joues rondelettes, dont les brochettes de poulet grillé au miel exhalaient une odeur parfaitement alléchante sur la place. Elle fit donc glisser ses cristaux sur le comptoir et empocha ses brochettes, non sans remercier avec joie la cuisinière. S’aidant d’une serviette, elle commença la difficile tâche d’avancer tout en croquant à pleines dents la viande délicieuse et brûlante, manquant de peu de renverser un passant dans le processus. Elle s’éloigna progressivement de la rumeur animée du quartier touristique pour rejoindre les quais, attirée par le spectacle de l’eau qui brunissait au fur et à mesure que le soleil disparaissait par-delà l’horizon.
Son rendez-vous n’était que le lendemain midi, elle s’était ainsi contrainte à s’accorder une pause bienvenue au travers de son quotidien plus rempli que l’emploi du temps d’un ministre… Elle souhaitait à vrai dire récupérer un tableau, une fois n’étant pas coutume, désireuse de meubler sa demeure d’œuvres rares et précieuses : l’un des peintres du Grand Port était plutôt connu et son coup de poignet plaisait grandement à son grand-père. Luz, qui ne l’avait plus vu sourire depuis plusieurs semaines, s’était donc empressée de passer commande dans l’optique de lui offrir l’un de ces précieux tableaux. En attendant, elle pouvait bien profiter des joies du Grand Port et d’un voyage bien mérité…
Elle contourna les matelots qui s’affairaient sur les quais et s’installa confortablement sur l’un des bancs qui longeaient la jetée. Le lent reflux des vagues échoua bientôt à retenir entièrement son attention, et c’est progressivement qu’elle tourna la tête vers un groupe de travailleurs qui se lançaient des imprécations à quelques mètres de là. Les pauvres tentaient d’extraire du pont d’un navire une caisse trois fois plus grande qu’un homme, et l’entreprise paraissait bien trop bancale malgré les cordes qui avaient été passées de part et d’autre de la marchandise. Du poisson, à en croire leurs exclamations inquiètes. Elle tendit l’oreille, curieuse comme tout, et se retrouva très bientôt à demi-levée, pressentant peut-être le drame qui ne manquerait pas de survenir.
Un raclement ténu se fit entendre, suivi d’un cliquetis de poulie, et la caisse qui était jusqu’à présent à demi suspendue par-dessus le bastingage volta tout à fait sur ses appuis pour s’écraser au sol, un léger mètre cinquante plus bas. Elle n’éclata pas, mais le hurlement immédiat d’un homme apprit à Luz que l’un des ouvriers venait proprement de se faire épingler au sol… Elle engouffra à la va vite la dernière boulette de poulet de sa brochette et courut jusqu’aux deux autres hommes qui tentaient vainement d’aider leurs collègues. Celui-ci avait de toute évidence la jambe gauche entièrement prisonnière du poids pesant de la caisse. Les accoups créés par ses collègues lui arrachaient chaque fois un geignement de douleur malheureux.
Au regard qu’ils lui retournèrent, elle crut bon de préciser :
C’est donc d’un pas rapide qu’elle se dirigea vers les quais, lieu de la livraison pour le système de poulie qu’ils avaient enfin terminé de réparer. La sueur coulée le long de son dos nu. Peu habillée, comme à son habitude, se contentant d’un haut blanc très cours et d’un pantalon souple marron, elle ignorait royalement les regards qu’on lui jetait sur son passage. Elle ne faisait que travailler, en accord avec son pouvoir, elle ne pouvait pas s’habiller chaudement par une journée si ensoleillée. Et même si la journée se terminait, le soleil disparaissant peu à peu, pour elle, il faisait encore bien trop chaud.
Son trajet fus assez cours, une vingtaine de minutes tout au plus, suffisamment cependant pour que son dos soit trempé de sueur. Et c’est délicatement qu’elle posa la caisse sur le sol et s’étira pour faire craquer ses articulations. Elle avait beau être forte, la caisse était lourde. Le patron vint à sa rencontre en souriant, ouvrit la caisse et vérifia d’un œil d’experts.
- Si y’a le moindre problème, hésitez pas on corrigera ça.
Lou souriait, elle savait que le système qu’elle venait de livrer était parfait, mais, l’humilité était importante. Et surtout, elle voulait rappeler que le service proposé par son lieu de travail, n’était pas sur une action. Mais sur une commande complète jusqu’à une utilisation correcte du matériel fourni. Et tout était bon, remerciant le patron, elle repartit d’un pas tranquille. Pour elle, la journée était terminée. Et surtout, elle n’avait pas à travailler le lendemain. C’était son jour de congé, un jour tant attendu ou elle pourrait se reposer et restait au frai. Tranquillement, elle se dirigea vers les quais afin de profiter de l’air frai, d’une petite brise agréable Elle marchait tranquillement lorsqu’un hurlement se fit entendre non loin d’elle.
Brusquement, elle leva les yeux, de sa haute taille elle aperçut une caisse, bien trop grosse, détachée de son système de poulie. Et c’est en s’approchant qu’elle constata les dégâts. Un homme avait une jambe coincé en dessous. Elle grimaça. Ce n’était pas le genre de chose qu’elle aurait aimé subir. Encore moins lorsqu’elle comprit que personne ici n’avait la force de soulever l’objet. Fronçant les sourcils elle s’approcha, juste après une jeune femme qui donna des consigne. Se disant médecin, elle voulait que la caisse soit soulevée d’un coup afin d’éviter des dégâts plus importants pour l’homme. Mais un des hommes, paniqué, ne semblait pas comprendre, et véhément, il s’adressa à la jeune femme qui tenter de l’aider, lui expliquant qu’elle pouvait dire ce qu’elle voulait. Il était impossible de soulever la caisse correctement. Bien trop lourde. Se frayant un passage, Lou attrapa l’homme par le col et le souleva légèrement.
- Calme-toi.
Ses collègues s’écartèrent légèrement, ouvrant grand les yeux. L’homme que Lou soulevé comme si de rien n’était fus reposé sur le sol.
- Je prends ce côté-là, vous trois, vous prenez l’autre.
Ils ne semblaient pas comprendre et la voix directive de Lou s’éleva à nouveau.
- Aller là, bougez vous l’cul y’a pas d’temps à perdre !
Sa voix venait de claquer et les hommes obéir. Elle avait utilisé la même voix que lorsqu’elle parler auparavant aux pirates quand elle devait se faire obéir. Pour obtenir ce qu’elle voulait. Même si à l’époque, cela faisait plus rire ceux qui étaient autour d’elle, ici, cela avait très bien fonctionné. Son regard se posa sur celle qui se disait médecin.
- Tu t’occupes de le retirer ?
Sans attendre de réponse à sa question qui n’en était pas une, Lou se posa près de la caisse et attrapa ce qui servait normalement à fixer l’objet dans le navire. S’accroupissant afin de se servir de ses jambes elle se prépara à soulever la caisse.
De toute évidence, le capitaine du navire était revenu à demeure. Il houspillait à présent ses hommes avec l’éloquence d’un gars bourru bien trop blasé par les blessures quotidiennes de son métier. Il se rapprocha du duo dans un soupir résigné et s’enquit des nouvelles du blessé.
Elle écarta sa main d’une certaine distance, et son regard glissa sur la jeune femme qui avait aidé les marins à se dépêtrer de leur satanée caisse. Elle dut percevoir l’insistance de son regard, car ses prunelles croisèrent les siennes. Un fragment de sourire en coin étira les lèvres de Luz, tandis que le chatouillement si connu de sa curiosité enflait dans ses veines. Ah, sa passion pour le genre humain finirait bien par lui attirer des noises… C’est qu’elle avait quelque chose de particulier. Dans sa posture, sa manière de se tenir, les épaules droites mais pas tout à fait dans un aplomb parfait. Le crin blond, les yeux perçants, et la visible apparence de son pouvoir qui prenait la forme de deux amples cornes qu’elle portait telle une couronne sur son crâne. L’apanage des bouquetins, peut-être… ? Non, ces cornes-ci étaient beaucoup plus larges, se corrigea Luz. Elle tenait davantage du talbuk ou de quelque divinité caprine incarnée toute en formes souples et puissantes.
Son sourire s’accentua, dévoilant l’orée de ses dents blanches avec un amusement dont elle ne se cachait guère. Cela faisait bien longtemps qu’elle avait cessé de s’émouvoir de morceaux de chair mal placés et qu’elle ne prêtait plus qu’une attention distraite aux jérémiades de ses patients. Pour la jeune inconnue tout comme pour lui, elle prit toutefois le temps de s’expliquer :
Une petite potion de soin supplémentaire, et il aurait à nouveau tout loisir de cabrioler sur le pont du navire.
Ses yeux pétillèrent. Sa voix s’adressait à la cantonade, mais ses prunelles dirigeaient clairement cette proposition de présentation vers la charmante inconnue.
« Mes gars ont trouvé ça dans la cale, ça vous irait ? »
Elle releva la tête en direction des planches de bois que lui tendait le Capitaine. A son signe d’acquiescement, il s’accroupit à son tour et entreprit de ficeler solidement le tout à la jambe du blessé, visiblement habitué à délivrer des premiers soins en haute mer.
Ah, malin comme un singe. Il flairait la piste d’un potentiel commerce juteux, car les marins solides constituaient une ressource rare.
A leur air surpris, elle retourna une moue rayonnante. Ne restait plus qu’à voir si la jeune femme allait accepter ou non cette proposition quelque peu cavalière !
- Allez on la pose, doucement.
C’était le plus délicat. Maintenir une caisse en l’air était simple, il suffisait de ne pas bouger. Mais la poser était une autre paire de manche. La transpiration s’accumuler dans les mains de la jeune femme et ses mains commençait à glisser. Heureusement pour elle, c’est juste à temps que la caisse toucha le sol dans un grincement inquiétant. S’étirant, Lou pris le temps de s’étirer. Quelques craquements sonores se firent entendre alors que le capitaine arriver. Râlant sur ses matelots avant d’aller voir le blesser. Puis tranquillement, elle regarda le blessé et grimaça légèrement. La blessure semblé grave et ses yeux croisèrent celle qui sembler être médecin.
- Yé pas de soucis.
Lou avait répondu avec désinvolture. Elle avait vu des blessures bien plus graves pendant sa vie. Même certains hommes mourir de celle-ci. Lentement, elle s’approcha du blessé et écouta les explications. Il fallait remettre la jambe au bon endroit pour que les soins soient efficaces. Lou hocha la tête semblant comprendre à peu près ce que l’on attendait d’elle.
- Lou Hable.
Un sourire apparus sur son visage. Oui, la rousse aimait la politesse, cela la changeait agréablement de ses souvenirs et elle tenait particulièrement à ce genre de chose. Simple, mais extrêmement important celons elle que beaucoup oubliées. Du moins avant de recevoir une armoire sur la tête leur rappelant qu’un bonjour n’était jamais perdu.
- Tout à fait d’accord avec ça.
Elle allait continuer mais fut interrompue par le retour du capitaine avec deux planches de bois. Celle-ci semblant convenir, il laissa Luz s’occuper du blessé et s’adressa à Lou pour lui proposer un emploie. Le visage de la jeune femme se troubla un instant.
- Merci pour votre offre mais j’ai déjà un travail qui me convient très bien.
Elle inclina poliment la tête. Non, elle ne souhaiter pas reprendre la mer, de nombreux souvenir apparaissait dans son esprit lorsqu’elle y penser. Et très peu d’entre eux était agréable. Retourner sur le territoire des pirates était pour elle la pire idée possible et elle comptait bien éviter ça. Même si elle rater l’offre du siècle au passage, une occasion de devenir riche ou autre. Elle s’en fichait, tout ce qu’elle voulait, c’était vivre tranquillement et son travail actuel convenait parfaitement pour ça. Surtout lorsque l’on considérait le faite qu’elle pouvait aussi inventer les objets qu’elle avait en tête. Elle reprit la parole pour répondre à la proposition de Luz.
- Par contre effectivement, je n’ais rien contre un verre, ce sera avec plaisir.
Sans faire attention à la déception présente sur le visage du capitaine, elle s’accroupit près du blessé qui sembler en avoir marre d’entendre les discussions autour de lui. Proche de la jambe blessé la rousse regarda Luz en ajoutant.
- Explique-moi comment je peux t’aider et ce que je dois faire, je connais rien sur ce domaine.
Le visage de Lou était devenu sérieux. Pour elle, c’était là un sujet qu’elle ne maîtrisait pas et qui était important. Et elle ne compter pas rater la tâche qu’on aller lui confier.
Dé pour savoir si Lou parviens à garder son calme face à la proposition d'embauche: Oui
Elle fit un clin d’œil au marin blessé qui blêmissait à vue d’œil, une pellicule de sueur recouvrant son front.
« Vous là, l’ignora Luz tout en s’adressant cette fois-ci au Capitaine. Je vais prélever votre énergie pour la lui transférer. Ne vous étonnez pas si vous ressentez des picotements ou que des points noirs apparaissent dans votre champ de vision. Vous irez mieux ensuite après avoir mangé. »
L’équipe mise en place et bien installée, Luz apposa une main sur le Capitaine et une autre sur le torse du blessé. Elle plissa les yeux et se concentra, appelant la magie de son objet de pouvoir à se ramasser dans ses veines en bouillons contrôlés. Ses mains s’illuminèrent d’un doux halo mordoré, une chaleur traversant bientôt les deux hommes pour s’écouler de l’un à l’autre en un bien étrange flux. Très vite, le blessé serra les dents et commença à s’agiter. Cet élan non naturel poussait son corps à régénérer la moelle et les tissus sectionnés à une vitesse irréelle. La contrepartie n’était autre qu’une souffrance galopante poursuivie d’une intense démangeaison. Fort heureusement, le spectacle ne dura pas plus de dix minutes, tel qu’annoncé par la praticienne.
Ils purent bientôt tous souffler, les deux hommes exsangues mais en parfaite santé. Elle frotta ses mains l’une contre l’autre et s’épousseta, davantage pour ramener de la souplesse dans son corps figé que par réelle nécessité. Elle s’assura à tâtons que la jambe du marin avait parfaitement repris sa forme et que l’os ne présentait pas de protubérances douteuses, puis déclara officiellement la remise sur pied du luron :
Elle se releva tout à fait et se tourna vers la jeune femme qui les avait tant aidés jusqu’alors.
Elle indiqua du menton la ruelle qui s’évasait vers le Quartier touristique. Le bruit des rires et des voix leur parvenait déjà, la foule enflant à cette heure proche du crépuscule : bientôt, les activités nocturnes régneraient en maître sur la ville et le Grand Port n’était pas réputé pour sa tranquillité paisible de ville de retraités. Tactile, Luz n’hésita pas une seconde à se fondre auprès de la jolie Lou, attrapant son bras sous le sien avec un amusement certain, toute prête à prendre la tête de leur équipée sauvage :
Une fugitive moue d’inquiétude passa toutefois sur ses traits.
Après tout, elle ignorait totalement ce que faisait la jeune femme sur ces quais. Tout le monde n’était pas libre de vaquer à ses propres occupations en pleine soirée de semaine…
Ses propos sous-entendaient clairement que personne ne viendrait proposer du travail à la jeune femme ou la draguer lourdement. Du moins, elle l’espérait. Lou était de ces femmes qui attiraient naturellement le regard du fait de ses courbes seyantes et de ses imposantes cornes. Gare à celui qui viendrait déranger son étonnante invitée, songea Luz, fermement décidée à lui offrir une soirée de détente en remerciement de son aide…
- Je suis prête.
Juste après, la rousse raffermit sa prise alors que l’opération commençait. Le blessé s’agita et c’est avec une force mesurée que Lou bloqua la jambe, forçant un peu plus lorsqu’elle sentit sa prise se relâcher. Heureusement, l’opération ne dura pas bien longtemps et c’est avec soulagement qu’elle lâcha la jambe s’asseyant par terre. Elle souffla longuement en regardant le ciel avant de diriger. Son regard vers Luz. La rousse se releva en hochant la tête. Oui, un bon remontant lui paraissait une bonne idée. Et à peine debout, Luz s’accrocha à son bras. La rousse se raidit légèrement, peu tactile, aimant peu être agrippée par des inconnues, elle se força à se détendre un peu. Un endroit qui devait plaire à la Rousse, curieuse elle hocha la tête pour signifier son assentiment en ajoutant.
- C’est bon je suis libre ce soir, je venais de finir ma dernière livraison avant l’accident.
Oui, au final, elle était sur le chemin du retour lorsque tout cela était arrivé. Heureusement en soit, rien de grave et cela avait permis ce qui semblait être, une rencontre intéressante. Surtout avec l’assurance de ne pas être embêtée sur place. La légère crédulité de Lou fut suffisante pour croire ses paroles et sans plus faire attention aux autres personnes présentes sur les quais elle sourit en regardant celle qui l’avait invitée.
- Si personne ne nous embête, c’est parfait pour moi. Une bonne bière fraiche m’irait parfaitement.
Oui, ce qu’elle voulait vraiment actuellement, c’était une boisson fraiche. Heureusement pour Lou, la fin de journée approchait et la chaleur commencée à diminuer. Mais, elle supporter très mal la chaleur et la journée avait été longue. Très longue. Pour une fois, son patron l’avait fait travailler l’après-midi, pour des raisons urgentes d’après lui. Et c’est de plein fouet qu’elle avait subi la chaleur. Attendant que Luz lui montre le chemin elle demanda.
- T’es du coin pour connaître des coins pareil ?
Vivant ici depuis plusieurs années, la Rousse n’avait que rarement trouvé des endroits calmes ou elle n’était pas embêtée. Des endroits où elle se sentait à l’aise pour passer la soirée. Elle n’en connaissait pas la raison, supposant qu’elle n’était tout simplement pas faite pour ce genre d’endroit. Mais peut-être que la jeune femme qui l’avait invité aujourd’hui lui prouverait le contraire, et elle était curieuse de savoir dans quel genre d’endroit elle allait être emmenée. Confiante en sa force, elle savait que dans tous les cas, elle pourrait s’en sortir sans trop de problèmes. Du moins, c’est ce qu’elle pensait.
Luz s’esclaffa, la gorge offerte, ses lèvres laissant dévoiler la lisière de ses dents blanches.
Après tout, venant d’une grand-mère qui ne s’assumait pas, friande de tisane et de thé de toutes saveurs et capable de tenir un sermon de plus de 20 minutes à la jeunesse enthousiaste, Luz n’était pas franchement en phase avec son âge réel. Sauf lorsqu’elle l’avait décidé, en l’occurrence ce soir.
Elle glissa son index contre ses lèvres comme s’il se fut agi de préserver un secret, et elle lui adressa un rapide clin d’œil mutin. La crédulité apparente de Lou ne l’étonna guère, plutôt habituée à frayer de trop près avec des mentalités illogiques. Aussi n’hésita-t-elle pas à l’entraîner à sa suite dans une succession de ruelles, peu encline à s’interroger sur le sentiment d’insécurité que sa compagne pourrait potentiellement ressentir. Elles ne croisèrent néanmoins pas grand monde tout d’abord. Laissant derrière elles la rumeur animée de la rue principale, elles marchèrent en zigzag au travers d’une succession de carrefours résidentiels. Luz s’arrêta quelques instants au détour d’une masure, sonda les pavés à la recherche de son chemin et parut finalement opter pour une avenue qui les reconduisit vers les quais. Il ne leur fallut que quelques instants pour retrouver l’immensité de l’océan, chemin qu’elles longèrent jusqu’à retourner vers des rues plus vivaces : des échoppes poussaient ici et là comme des champignons, de même que quelques tavernes et auberges à mi-chemin de la référence bien cotée et du lieu douteux. Là, Luz s’arrêta devant une vieille boutique de colifichets.
Et elle s’avança pour traverser l’entrée ouverte d’un pas confiant. Une très vieille dame leva la tête de son comptoir pour les saluer vaguement du menton avant de retourner à son ouvrage. L'atmosphère était chaude et lourde dans la petite boutique, mais Luz ne s’y attarda guère. Elle marcha jusqu’au fond, et poussa une seconde porte sans hésiter une seule seconde. Après un long couloir obscur et un escalier qu’elles descendirent, elles débouchèrent brutalement sur une large esplanade. Alors, le bruit ambiant les happa soudainement. Des gradins avaient été taillés dans la roche de la falaise et menaient tout droit sur une plage coupée du monde. Le sable ne s’étendait que sur quelques mètres, très vite dévoré par les vagues dont l’écume léchait les pieds des nombreux clients. La moitié de l’esplanade était recouverte d’une immense toile de protection, sous laquelle était abrité un tavernier fort afféré. Un écriteau sensiblement érodé par le sel à ses jointures était planté au-dessus du comptoir, arborant un splendide « Au Rexus Cuit ».
Des torches avaient été installées ici et là sur cette crique improvisée, distillant des lueurs changeantes et éclatantes sur les fêtards qui buvaient, s’amusaient et dansaient alentours.
Quelques baigneurs profitaient déjà de l’eau, certes glacée, mais beaucoup plus abordable après quatre ou cinq verres.
Elle ajouta, cette fois-ci à l’intention de Lou :
Tandis qu’elles patientaient, Luz posa enfin la question qui la taraudait depuis lors :
Oui, Lou s’apprêtait tout bonnement à découvrir la curiosité dévorante de Luz…
Lou n’eut pas le temps de répondre que sa guide était déjà entrée dans le magasin. Une vieille boutique à l’atmosphère lourde qui n’intéressait absolument pas la rousse. Mais Luz semblait savoir où elle allait et la rousse suivit d’un pas hésitant. Lentement, elle avança dans le couloir sombre, descendant les escaliers jusqu’à déboucher sur une large esplanade.
C’est bouche bée que Lou regarda autour d’elle. Un lieu coupé du monde qui lui était inconnu. Bruyant et magnifique. Lentement ses yeux parcoururent l’espace autour d’elle. Des gradins taillés dans la roche, une courte plage. Et enfin elle répondit à la question.
- C’est… magnifique….
Lentement elle hocha la tête.
- Ouais..
Profitant de la commande de Luz elle rajouta une bouteille d’ambrosia tout en écoutant celle qui l’accompagner. Qui posait plein de questions. Beaucoup trop de question pour la Rousse. Même si pour le moment il n’y avait rien de trop personnel dedans. La Rousse prit quelques secondes pour réfléchir. Répondre à ce genre de question ne lui posait pas de problème.
- Je suis ingénieur et vu que je suis assez forte, je m’occupe aussi des livraisons de la boutique.
Un petit sourire apparut sur son visage. Oui, elle avait su se rendre utile et obtenir ce qu’elle voulait. Un lieu où rester, pendant longtemps, un lieu ou elle était en sécurité. Et elle hocha négativement la tête.
- Non, je suis juste plus forte que la moyenne et je supporte pas la chaleur c’est la seule chose que j’ai héritée du Talbuk.
D’un geste, elle attrapa la bouteille d’ambrosia et se figea en la regardant. Pourquoi avait-elle commandé ça ? Par réflex. Un réflex ayant de nombreuses années, venant d’un lieu similaire à celui-ci. Même s’il était moins joyeux. C’était l’alcool qu’elle buvait chez les pirates. D’un seul coup, les muscles de la jeune femme se tendirent et elle sentit les poils de son cou se dresser. Elle ferma les yeux quelques instants pour se calmer. Cette époque était finie, depuis longtemps maintenant. Il était temps de passer à autre chose. Il fallait qu’elle passe à autre chose. Gardant les yeux fermés, elle ouvrit la bouteille et but quelque gorgée avant de poser elle aussi une question.
- Et toi du coup, tu voyages pour soigner les autres ? C'est pas trop dur ?
Elle était curieuse. Certes, elle avait toujours un peu de mal avec le genre humain, mais, elle savait être un minimum sociable et pour cela, elle devait poser des questions. Prenant soin de ne pas regarder autour d’elle afin de ne pas raviver des souvenirs, elle reprit quelques gorgées. Elle avait de la descente, et malgré qu’elle se soit un peu calmée ces deux dernières années, elle tenait plutôt bien l’alcool.
Le trouble de Lou n’échappa pas au regard attentif de Luz. Ce n’était bien sûr pas la première fois depuis leur rencontre que la jeune femme manifestait des signes d’introversion ou des réserves à l’égard du trop plein de sociabilité de la praticienne. Mais cette fois-ci quelque chose lui parut un brin différent. Elle pencha sensiblement la tête de côté, quelques mèches flammes glissant d’une épaule, tandis qu’elle se demandait enfin si elle avait véritablement bien fait de la trimballer à travers la ville de cette manière et ce, sans lui demander son avis. Bon sang Luz, apprends à mettre plus de pincettes lorsque tu t’adresses aux gens… Elle avait le tact d’un Garde de poste frontière parfois, surtout lorsque l’excitation la gagnait. Elle se mordit la lèvre inférieure et se répéta tel un mantra de se montrer plus douce avec Lou… Avait-elle peur de la foule ? Des espaces ouverts ? S’était-elle sentie contrainte et forcée d’accepter sa proposition ? Bien joué Luz, encore une victime à ton palmarès…
Elle attrapa l’un des tabourets qui longeaient le bar et le tira vers elle pour y déposer avec satisfaction un coin de fesses. Rien de tel que la brise maritime pour vous chatouiller la peau et le crépuscule pour savourer un bon alcool en excellente compagnie !
Elle haussa les épaules, fouillant des yeux son verre de bière juste avant d’en tirer une rasade bienfaitrice.
Etait-ce simplement parce qu’elle était physiquement forte qu’elle avait opté pour l’évidence de cette carrière ou s’agissait-il davantage d’une passion de jeune enfant ? Luz l’imaginait tout à fait petite avec sa rousseur candide, collée à la jambe d’un adulte avec des rêves plein la tête. Une once de cette fraicheur lui était restée, du moins Luz le percevait-elle ainsi très en retrait derrière ses nombreuses couches de protection intérieure. Lorsqu’elle daignait se détendre, Lou avait ce on ne savait quoi de très chaleureux et de très lumineux… Dommage que la vie lui ait de toute évidence enseigné plusieurs angoisses pernicieuses.
Autour d’elle, la musique changea de rythme. Sur une estrade, les musiciens empoignèrent leurs instruments avec une nouvelle ardeur, leurs doigts habiles pinçant les cordes et battant la peau tendue des tambours en un tempo vivace et entrainant. Des rires fusaient sur la plage et plusieurs couples de citadins se draguaient ici et là à demie voix ou se chamaillaient comme quelques félins chapardeurs et heureux. Luz avala cul sec ce qu’il restait de sa bière et posa bruyamment sa pinte sur le bois du comptoir avec une grande exclamation joyeuse. Ici, c’était ainsi que l’on manifestait sa satisfaction à l’égard du tavernier !
Mutine et renarde, elle ne pouvait nier qu’elle était désireuse de découvrir ce qu’une Lou quelque peu émoustillée pouvait faire… Peut-être l’alcool achèverait-il de la détendre ? De l’ouvrir davantage à elle ?
Quel âge avait-elle ? Sur Aryon, il n’était pas rare d’avoir des enfants dès sa majorité… Elle semblait travailler dur, ce qui témoignait souvent d’une famille à nourrir. Dans l’espoir d’alléger quelque peu le ton de ses questions, Luz se pencha en avant et ajouta avec humour :
Elle reprit une dernière gorgée se rendant compte que la petite bouteille qu’elle tenait à la main était vide. Pile au bon moment puisque Luz proposait une nouvelle tournée en posant bruyamment sa bière sur le comptoir. Lou fit de même, mais lentement, provoquant un regard étrange du tavernier.
« Si si » répondit Lou d’une voix basse.
« Alors on fait claquer sur le comptoir comme votre collègue ! »
« Je vais la casser si je fais ça » répondit-elle en souriant.
« Ne dites pas n’importe quoi, tout est solide ici »
D’un sourire, Lou leva la main, bouteille en main avant de frapper le bois avec. Pas trop fort celons elle, mais bien plus fort que Luz. La bouteille se fendit sur toute sa longueur. Elle regarda le tavernier alors que des morceaux de la bouteille tombaient sur le bois.
« Je veux bien un peu de Lumineer’s Beers, et si vous avez un truc en métal pour boire ça ira très bien si vous voulez que je frappe sur le bar après »
Alors que le barman réfléchissait, Luz reprit la parole pour poser des questions sur la famille. Le sourire que Lou venait de retrouver disparut aussitôt. La famille. Une histoire particulière pour elle.
« J’ai personne au port » Son regard fuya vers le ciel « Mes parents sont assez loin dans le sud et mon fils est quelque part au milieu de l’eau… »
Sa voix descendit au fur et à mesure qu’elle parlait jusqu’à ne devenir qu’un murmure couvert par la musique. Au fond elle, elle se disait que c’était le bon moment pour le grand-père d’arriver. Mais ce fut le tavernier qui intervint, posant un chope en métal devant la rousse qui s’en saisit en le remerciant avant d’en boire une bonne moitié d’une traite. Elle voulait oublier, faire en sorte de passer à autre chose. Mais elle n’y arrivait pas. Tout comme elle avait du mal à résister à Luz. Subir les questions, elle parvenait à y échapper au travail, sachant parfaitement quoi répondre. Mais la curiosité de la jeune femme la dépassait totalement. N’osant pas fuir pour rentrer chez elle, elle posa sa bière sur le comptoir la fixant sombrement.
« Et toi du coup tu as un point de chute particulier ou tu préfères voyager tout le temps ? »
Elle essayer de détourner la conversation, la centrant sur Luz afin d’échapper à d’autres questions et elle ne quitter pas sa bière des yeux. Il était facile de voir sur son visage des marques de tristesse apparaissant au moment où elle avait parlé de son fils. La soirée ne faisait que commencer, et elle regretter déjà de s’être laissé emmener. Lentement elle marmonna en attendant la réponse.
« J’pense qu’c’est l’moment qu’il vienne le grand-père »
Luz rajusta lentement son assise sur sa chaise, n’osant détailler trop longuement les traits de Lou de peur d’y percevoir la gêne et la détresse qu’elle avait occasionnées. Son fils. D’accord. Voilà donc où se situait le cœur du problème, crut-elle comprendre de ce bref échange. Cela n’avait duré que le temps d’un éclair à l’échelle d’une vie, mais la tristesse apparente sur le visage de son interlocutrice n’était ni feinte ni légère. Quelque chose s’était produit dans son existence, quelque chose de suffisamment déchirant pour que sa progéniture soit à présent source de mélancolie. Luz se mordit la lèvre inférieure et son index traîna sur le rebord de sa choppe tandis qu’elle réfléchissait à la bonne manière d’aborder les informations communiquées. Les disputes de famille n’étaient pas rares. Visiblement, le gosse n’était pas mort, sans cela il ne parcourrait pas les mers sans se soucier de sa génitrice. Une altercation ? Une différence de point de vue ? La classique engueulade sur un avenir professionnel qui ne convenait pas à sa mère ? Luz avait du mal à s’imaginer une Lou suffisamment exigeante pour tempêter et taper du pied en entendant son fils parler de ses rêves. Etait-il marin ? Engagé dans la Garde du Grand Port ou de la Ville Aquatique ? Ou… Pirate ? Quelque part au milieu de l’eau, avait-elle dit. Cela pouvait tout aussi bien illustrer une île perdue au beau milieu de l’océan. Il n’avait du moins pas souhaité faire part de sa localisation exacte à sa mère. Quel fils ingrat.
Fort heureusement, Luz perçut que ce n’était pas le moment pour elle de se lancer dans une diatribe exubérante sur son désamour des enfants. Ces satanés demi hommes rampants, baveux, dépendants et aussi avares que des trésoriers retraités. Oui, Lou n’avait peut-être pas envie d’entendre ça. Elle avait d’ailleurs changé de sujet de conversation avec la grâce d’un pachyderme en panique : la manœuvre, évidente, fut accueillie avec reconnaissance par une Luz que l’alcool commençait à entamer. Elle ravala de ce fait sa seconde interrogation gênante de la soirée, portant sur l’identité du père, et tâcha de se reconnecter au tournant que prenaient leurs échanges. Allez, il lui suffisait d’attendre quatre ou cinq verres de plus, et elle pourrait s’enquérir de ce qu’était devenu le reproducteur masculin du couple.
Naëry. Zahria. Calixte. Et de nombreuses autres personnes autour de qui gravitait actuellement sa vie, sans qu’elle ne l’ait vu venir. Les personnes importantes avaient toujours ce don de se glisser subrepticement dans l’existence d’autrui, sans crier gare…
A son tour de se rembrunir. Jeschen Weiss souffrait d’une forme lente d’Alzheimer. Cette pointure du milieu médical s’effondrait progressivement sur lui-même, souvent inconscient de sa déchéance. Ce n’était que des fragments d’informations qui disparaissaient ici et là, un égarement au réveil, une date mal retenue… Mais ces contours qui se délitaient étaient le témoignage d’un futur désastre définitif. Pour le moment, les treize adolescentes enflammées recrutées par Calixte et Arthorias suffisaient à lui octroyer une seconde jeunesse, ravi qu’il était de s’occuper à nouveau d’une famille bien animée.
Elle se fendit d’un sourire contrit. Le tavernier choisit cet instant pour faire claquer sur le bois un pot en fonte qui avait tout l’air de peser un âne mort. Le récipient était sensiblement plus grand qu’une choppe et paraissait marqué par de très nombreuses utilisations.
Il se frotta le ventre avec un fort air de contentement.
Il rit sans gêne, et apostropha soudainement un groupe de jeunes gens occupés à se trémousser à quelques mètres de là.
Il se baissa à leur hauteur et leur glissa un clin d’œil de conspirateur.
Luz rit doucement, amusée par la chaleur amicale du tavernier. Elle se tourna vers Lou, à demi levée d’une fesse, la paume de la main tendue et offerte vers elle. Après tout pourquoi pas ? Si elles apprenaient à se connaitre, qu’elles tâtaient parfois des sujets contraignants, autant laisser parler quelques instants leurs corps non ? Dans cette foule bigarrée, nul ne leur prêtait attention –plus même le tavernier qui était retourné à ses nombreuses commandes. Et Luz ne connaissait pas de personnalité qui refuserait de s’ouvrir à un rythme entraînant.
Ses prunelles pétillèrent, jouant volontairement sur la taquinerie pour tâcher de lui redonner sourire.
Plusieurs longues gorgées suivirent et c’est d’un geste brusque que Lou tapa le bar avec le récipient. Plus fort que précédemment, regardant le tavernier, un sourire en coin elle lâcha. « Effectivement il est solide, va falloir que je fasse gaffe à pas fendre le bar à la place. » Alors que l’homme riait, la rousse se tourna vers celle qui l’avait invitée, attrapant la main qui lui était tendue et s’inclina légèrement un sourire aux lèvres en entendant ce qu’elle disait. « Avec plaisir ô dame à la chevelure flamboyante, démarcheuse de soirée et fureteuse de génie ». Redressant la tête elle ajouta. « Par contre je compte sur ton don, je n’ai jamais dansé ».
Elle avait plaqué un sourire sur son visage, tâchant d’oublier ses souvenirs et de s’en tenir loin. Tout au long de sa vie, elle n’avait presque jamais dansé, et encore moins chez les pirates, ceux-ci préférant se souler à mort et chanter des chansons sures les aventures en mer. L’alcool commencer à faire effet sur la rousse, et, repensant au peu de fois ou elle avait fait la fête depuis son retour dans le monde des hommes, elle se décida à se laisser aller.
Luz enroula ses doigts autour de son poignet et guida la cornue à travers la foule mouvante qui s’agitait sur le sable. D’une douce empoignade, elle lui enjoignit un premier mouvement et se coula dans ses pas avec la souplesse d’une vague. Un roulement de hanche ici, un tressautement de l’épaule ensuite, la pointe extatique d’un sourire et le reflet galvanisé d’un bout de dent blanche là… La musique s’était faite plus entrainante et le front des musiciens s’était recouvert d’une fine pellicule de sueur tandis que leurs doigts dansaient sur les cordes et les peaux tendues des tambours avec l’allégresse d’un jour de fête. Ils riaient, se jetaient des œillades par-dessus les danseurs, et ces derniers leur renvoyaient en échos cette euphorie contagieuse au rythme excité de leurs bras levés et de leurs exclamations recouvertes par le son lourd et poignant des contrebasses. Cela roulait dans leurs entrailles comme un tremblement de terre qu’une main invisible venait retourner, et la musique se réverbérait en saccades déjantées sur leur peau telle une longue et profonde langue de sonorités. Prise dans l’effervescence de cette étrange fièvre mystique, Luz hurlait à tue-tête les paroles d’une chanson que personne n’entendait, ses mains courant comme des hirondelles sur la silhouette de Lou : elle façonnait ses gestes dans la glaise à la manière d’une artiste échevelée, couvrant chacun de ses pas d’une avancée identique. Voilà qu’elles étaient devenues deux flammes jumelées, liquides et fluides lumières qui ne cessaient de s’effleurer pour mieux se rejeter. La maladresse n’avait pas de prise dans ce ballet nocturne qui ne répondait à aucune règle, car elle se voyait immédiatement oubliée contre l’imperméabilité de leurs sourires heureux. En danse, aucun pas n’était de trop, rien ne comptait plus que d’agiter son corps, et l’agiter tant et si bien que l’on pouvait sentir son âme s’extraire de cette carapace de chair…
Langoureuse et éblouissante, Luz poussa sa compagne vers le bord de la plage d’une dérobade joueuse, son rire de lutin répercuté en échos sur le sable d’or comme autant de grelots mutins. Elle avait déjà repoussé ses chaussures et son pantalon sur le côté, oublieuse dans l’instant de leur existence, courant tout aussitôt dans l’eau glacée de l’océan. Alors que l’onde se refermait sur ses cuisses, elle jeta par-dessus son épaule un regard encourageant à sa si splendide partenaire de danse :
Et sans plus guère hésiter, elle retroussa son haut sur ses épaules et envoya bouler le tout plus loin sur la plage. Elle poussa sur la plante de ses pieds et bondit dans la mer d’un noir d’encre, toute entière engloutie par l’eau. Son petit spectacle ne dura guère puisqu’elle réapparut immédiatement, un juron peu poli sur les lèvres, pestant à grands renforts de cris contre la morsure odieuse de l’océan :
Masquées par l’obscurité nocturne, Lou et Luz bénéficiaient d’un cocon d’intimité inégalé. Les nombreux baigneurs qui les environnaient ne s’occupaient d’ailleurs que d’eux-mêmes et de leurs propres amis, indifférents au reste du monde. A quelques mètres de là, la musique continuait ses rebuffades emballées, agrémentée du ressac des vagues et du chuintement de l’écume. Uniquement protégée par le maigre rempart de ses sous-vêtements imbibés d’eau, Luz nagea comme une couleuvre jusqu’à Lou :
Il restait que l’eau était agréable après ces derniers pics de chaleur. Luz se sentait moins en surchauffe après leur danse rapprochée, quand bien même des étincelles perduraient sous sa peau dès qu’elle frôlait le corps sculpté de sa comparse du soir…
La soirée se muait en un tourbillon de couleurs diaphane, insaisissable et pourtant bien présent comme seul l’était le bonheur vrai… Elles nagèrent une heure durant, bientôt rejointes par un groupe tiers dont les verres ne cessaient de se remplir comme par magie semblait-il. Oui, Luz n’aurait pu rêver meilleure soirée que celle-ci, abandonnée aux rires et à une Lou à l’esprit vivace, peu désireuse d’en revenir à son quotidien.
Lorsqu’elles quittèrent le Rexus Cuit, l’aurore perçait par-delà les toits du Grand Port, distillant sur les tuiles et les pavés nombre d’ombres chatoyantes. Plus très aguerrie sur ses jambes, la praticienne n’en pressa pas moins longuement les mains de sa compagne d’un soir entre les siennes, un flamboyant sourire d’adieu sur les lèvres. Elle l’observa un infime temps faire demi-tour puis disparaitre au coin d’un carrefour. Peut-être son influence aiderait-elle la jeune femme à s’ouvrir davantage au monde qui l’entourait… ? Elle l’espérait, tout en longeant les rues ensommeillées du port.
Elle l’espérait.
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