Aaaah, les tavernes du grand-port. Ce n'était pas celles de la capitale, clairement, que ce soit niveau ambiance ou alcool, mais ça avait son charme. Et les serveuses aussi avaient un charme bien particulier, différent de celles de la capitale.
Mais, peu importe la ville, il n'y avait une chose qui ne changeait pas avec la citoyenne : Elle passerait ses nuits dans des tavernes à boire jusqu'à pas d'heure, et se réveillerait inexorablement avec une gueule de bois et une envie de vomir. C'était dans ce triste état qu'elle ouvrit les yeux cette journée, avec l'impression que son cerveau allait se liquéfier et couler de ses oreilles. Pas une sensation des plus agréables, mais elle y était habituée depuis le temps.
Elle ne savait pas quelle heure il était, mais devait se dépêcher car elle devait tout d'abord travailler. C'était l'unique raison pour laquelle elle était dans le Grand-Port : le travail.
En temps normal, elle se serait tout simplement habillée, se serait lavée le visage pour se rafraîchir, et serait partie en ignorant l'état de ses vêtements et les traces de vomis dessus ou l'état de ses cheveux en bataille. Une apparence qui pouvait surprendre les clients, mais elle n'en avait que faire.
…
En temps normal….
Étonnamment, chose qui ne lui arrivait jamais, elle avait envie de se faire belle.
….Hein ? Elle ? Se faire belle ?
Naaaaaah. Déjà, elle était assez canon comme elle était, si on ignorait le fait qu'elle venait de se réveiller d'une cuite. Ce n'était donc pas nécessaire, et ne l'avait jamais été.
Et pourtant, lorsqu'elle tenta de faire un pas hors de sa chambre, l'envie se fit plus forte.
….
Qu’est-ce qui se passait ? Est-ce qu'elle devenait enfin folle et se réveillait à son côté féminin au lieu de son côté garçon manqué ? Non non non non.

-Allons allons Astrid, ce n'est pas comme si….

Et là, elle s'arrêta. La suite de sa phrase, une blague, ne vint pas.
Oh merde. Ça c'était encore plus inquiétant.

-Toc toc. Oui c'est qui ? Jack. Jack qui ? Jac….

...En un clin d’œil, Astrid alla se taper la tête contre le mur à deux reprises.

-C'est l'histoire d'un aveugle qui rentre dans une taverne, puis da….

Rien.

-Quel est le comble pour un boulanger ? ….

Non plus.
Sérieusement ? Elle ne pouvait pas faire de blagues ? Qu’est-ce qu'elle avait foutu hier pour être dans cet état?
Et pendant qu'elle réfléchissait et se repassait la soirée d'hier dans sa tête, son corps se mit automatiquement – à la vitesse du son - à utiliser un peigne magique pour combattre les mèches rebelles et à se maquiller. Elle enfila également une robe, se fit des tresses, et réalisa soudainement :

-Me souviens pas….

Mais elle savait au moins une chose : ce n'était pas normal. Outre le fait qu'elle avait envie de se faire belle, le fait de ne pas pouvoir faire de blagues était catastrophique et bizarre.
Bah. En haussant les épaules, elle se dit que cela finirait par passer. Elle avait été sujette à des situations bizarres, une de plus ou une de moins….

-Heureusement que j'ai ma vitesse du son, parce que la routine des femmes v…

Ugh. Même les blagues sexistes ne passaient plus ? Elle avait l'impression de se faire censurer.
Meh.
Elle qui avait espéré que cela ne dure que quelques heures, cela dura malheureusement toute la journée et elle dû travailler dans des conditions dégradantes et terribles. Ne pas pouvoir faire de blague était comme lui priver d'oxygène, et elle se sentait étouffer à chaque fois qu'une occasion se présentait et qu'elle ne pouvait pas faire ses remarques débiles. Et parce qu'elle s'était faite belle, plus d'hommes lui avaient tourné autour. Quel enfer.

Ce fut donc le dos voûté, l'air épuisé et de mauvaise humeur qu'elle alla à son rendez-vous avec Yuduar. Elle espérait au moins que boire avec lui allait lui remonterait le moral….

-Yo gamin….Je t'ai déjà raconté l'histoire du mec qui se transforme en cornicho….

Toujours rien.
Putain de merde.
C'était pourtant la blague la plus marrante qu'elle avait.

Astrid eut un reniflement moqueur en constatant que Yuduar ne l'avait pas reconnue. Est-ce qu'elle était si différence que ça avec un peu de soin ? Peut-être qu'elle devrait le faire plus souvent pour tenter de draguer les femmes qui l'intéressaient...Mais ça la fatiguerait sans doute bien vite. Pas à dire, elle préférait ses vêtements habituels. Plus agréables, et moins de peau montré. Parce que ça la gênait quand même un peu, ce décolleté.
Pour le ramener à la réalité, Astrid pensa tout d'abord à donner à Yuduar une grosse tape dans le dos bien violent et bien familier comme elle avait l'habitude de le faire, mais se contenta aujourd'hui de lui tapoter le bras.

-Et ouais c'est moi, ça l'a toujours été ! Annonça-t-elle en souriant, amusée en pointant son doigt vers le garde à la place d'un flingue. Elle leva ensuite les bras et continua : Si j'ai réussi à te surprendre, je vois ça comme une victoire absolue, heh.

Hmmm, il allait sûrement se moquer d'elle. Après tout, ce n'était clairement pas son genre de s'habiller comme ça, et lui dire qu'elle avait eu une inexplicable envie de s'habiller bien ne serait que source d'embarras et de blague. Aussi, elle utilisa une excuse universelle utilisée par un bon nombre de personne quand ils se retrouvaient dans des situations cocasses :

-N-n-n'imagine pas que je suis comme ça pour notre rendez-vous, i-i-idiot. Balbutia t-elle en faisant mine de bouder et en jouant avec une mèche de ses cheveux, avant de ricaner en reprenant son air narquois : Haha, en vrai j'ai euh...perdu un pari. Ouais c'est ça. Du coup j'dois bien m'habiller pour la journée. Mais t'inquiète, demain, je retrouve mes vieux habits avec le vomi dessus.

Du moins, elle l'espérait. Elle se voyait très mal continuer avec cet accoutrement plus d'une journée.
Sans attendre plus longtemps, elle alla s’asseoir à une table vide, ignorant les regards qu'on lui jetait et qui lui tapait sur le système. Une serveuse arriva rapidement pour prendre leur commande, et sans surprise Astrid demanda une pinte de bière et également un plat de spaghettis – parce qu'elle avait un peu faim -. Même si elle était un peu plus féminine aujourd'hui, cela ne l’empêcha pas de tenter de draguer la serveuse…

-Est-ce que la bière ici est aussi bonne que toi ? Parce que si c'est le cas, j'ai super soif.

Le tout fut accompagné d'un sourire et d'un clin d’œil enjôleurs. Et, étonnamment, alors qu'elle se serait faite recaler en temps normal, la serveuse lui rendit son clin d’œil.
Hmmm, ptetre que ce n'était pas si mal, d'être habillée comme ça de temps en temps.

-Alors mon ptit ? Comment ça se passe dans la vie ? Ton harem se porte bien ?

Il ne fallut pas longtemps pour que leurs commandes arrivent, et la citoyenne ne perdit pas un seul instant pour prendre sa chope et la tendre vers Yuduar :

-Allez santé !

Ni une ni deux, elle but cul-sec sa bière et déposa lourdement sa chope sur la table avec un air ravi et satisfait. Là, on pouvait la reconnaître pour ce qu'elle était : une parfaite ivrogne.
Avec de la chance, son habilité à faire des blagues de merde reviendrait au fur et à mesure qu'elle se saoulerait.

Pfiou, il avait cru Astrid et son histoire de pari. Décidément, cette excuse était vraiment passe-partout. Elle devrait l'utiliser plus souvent pour se tirer d'affaire. «Pourquoi t'as explosé ce mec ? À cause d'un pari. Pourquoi t'as bu comme un trou hier ? À cause d'un pari. »
Ouep, cette excuse était tout aussi qualitative que le « juste une fois au chalet » ou le « c'est pour le travail ».

-Hmm, c'est vrai que y'a pas eu de commandant femme ces dernières années. À mon époque….Nah, je te raconterai une prochaine fois, heh.  

Eeeeh, donc c'était pas la joie chez les Vi-alkyries huh. Bah. Chaque unité avait ses hauts et ses bas. Ce n'était pas surprenant, et cela faisait partie du quotidien de la vie d'un capitaine.

-Oh moi tu sais, comme d'habitude. Une petite enquête pour adultère, une autre pour un familier perdu...Tout ce qui me permet de payer mes boissons et mon loyer, vu que je ne touche pas un cristal de pension. Et ouais, le pari, haha….

Et pour changer de sujet (parce qu'elle ne pouvait TOUJOURS PAS faire ses blagues de merde qui lui étaient utiles pour ce genre de situation), Astrid ne perdit pas une seconde pour commander une deuxième tournée de bière fraîche. Mine de rien, s'ils se rencontraient ce soir, c'était quand même pour picoler.
Ce fut avec un grand sourire qu'Astrid accueillit sa pinte et son plat. Avant de s'attaquer à son plat, la citoyenne but une gorgée de sa bière mais….

"QUELQU'UN A TOUCHE MES SPAGHET' !"

-PFFFFFFFFFFFFF !

La femme à tout faire recracha sa bière, choquée et outrée par ce qu'elle venait d'entendre. Avec véhémence elle reposa sa chope sur la table et pointa le traître du doigt :

-Comment ça t’oses voler ma réplique, sale gosse ! C'est punissable d'exil !

Grrrrrrrr, elle avait commandé ce plat de spaghetti juste pour ça ! Et maintenant  c'était tombé  à l'eau ! Il avait sorti cette réplique sur les spaghettis de sous sa casquette, comme un squelette portant un T-shirt avec marqué « Mec cool » dessus !

-J'espère que t'auras de la viande de cheval dans tes spaghettis, parce que c'est vraiment spatétique.  Marmonna-t-elle dans sa barbe avant de remarquer qu'elle avait renversé un peu de bière sur sa robe. Rah merde. J'vais aux chiottes, j're.

Heureusement qu'il y avait des miroirs dans les toilettes, car en plus de passer un certain moment à tenter de nettoyer la bière sur ses vêtements, elle pouvait en plus se mater elle-même. Hmm, il n'y avait pas à le dire, elle était sacrément bonne. Plus que d'habitude. Si elle avait été un homme, elle serait tombée sous son propre charme. Pas étonnant que Yuduar ait été surpris et qu'il ait eu le regard un peu baladeur. Car oui, elle l'avait remarqué, mais n'avait rien dit. Si elle n'avait pas été bloquée dans un état perpétuel de non-blague, elle l'aurait vanné sur le fait de mater un vieux monsieur de 83 ans et aurait probablement poussé la farce un peu plus loin en montrant plus de chair, heh. Elle y penserait pour une prochaine fois, quand elle serait en pleine possession de ses moyens.
Une fois qu'elle fut rassassiée par sa propre vue, Astrid revint s’asseoir à la table et demanda au garde :

-Alors, tu gagnes fiston ?  

Astrid haussa un sourcil en voyant Yuduar debout, dévisageant les autres avec un regard apeuré. Qu'est-ce qu'il lui arrivait ? Une diarrhée soudaine et il était à la recherche des chiottes ? Arban était dans la foule ? Ou peut-être une ex ou une petite amie qu'il n'avait pas envie de croiser en compagnie d'une autre jeune femme aussi sublime que la femme à tout faire ? Fufu, ça se comprendrait si c'était le cas.
Mais la citoyenne n'était pas au bout de ses surprises, car le garde commença alors une phrase sans la terminer, attendant de toute évidence qu'elle la finisse.
En reconnaissant le début, elle eut un grand sourire narquois. Ah, cette blague là, un grand classique. Elle ne comptait même plus le nombre de fois où elle l'avait racontée et rit. Que ce soit complètement saoul, dans son sommeil, ou même après une perte de mémoire, elle aurait pu la ressortir sans le moindre mal et la raconter avec l'expertise dont elle savait faire preuve pour faire rire son interlocuteur.
Aussi, c'était confiante et sûre d'elle-même qu'elle ouvrit la bouche pour terminer ce qu'il avait commencé eeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeet….

-….

Rien.
Absolument rien.
Putain de merde.
Elle ouvrit de nouveau la bouche avec l'intention de finir la blague, mais une nouvelle fois rien ne sortit. À ce moment, dans son esprit, elle insulta Lucy de tous les noms imaginables. La priver de blague, c'était comme la priver d'air ! C'était invivable ! Bon, elle n'allait pas en mourir, mais ça restait une expérience fort déplaisante. Aaaaaaaaah, elle avait presque envie de juste retourner dans sa chambre, dormir, et se réveiller le lendemain de nouveau normale.

-Putain de merde ! S'exclama-t-elle en s'ébouriffant les cheveux sous la frustration. J'arrive pas à sortir une seule blague ! Ça me rend dingue !

Avec l'alcool, ça viendrait sûrement…. ? C'est avec ce maigre espoir qu'elle avala de nouveau tout le contenu de sa chope, réclamant directement une troisième tournée. Cela dit, quelque chose continuait à ne pas tourner rond avec le gosse.

- Euh, tu vas bien gamin ?

Le silence se fit dans toute la taverne lorsque le capitaine se décida à...s'auto-assomer ? Il venait de se frapper la tête contre la table et depuis, il était resté immobile.

-Euh….Yudu ? Allo ? Ici Aryon ?

Astrid se leva pour lui tapoter le dos mais aucune réaction notable. Elle resta bouche bée, incapable de comprendre ce qu'il venait de se passer et pourquoi il prétendait avoir été enchanté ou empoisonné. Les clients s'attroupèrent autour du corps sans conscience pour l'observer de plus près et discuter, et quant à la citoyenne, elle finit par hausser les épaules en poussant un profond soupir. Le stress du boulot de capitaine qui avait peut-être enfin eu raison de lui ? Le pauvre.
Cela dit, c'était une bonne occasion. Elle était peut-être incapable de faire des blagues, mais….

-Oh ma Lucy.  Dit-elle d'une voix monotone. Pourquoi donc est-ce que le capitaine Al Rakija se serait fracassé le crâne contre la table ? Peut-être le stress d'une vie de capitaine ? Peut-être parce que je lui ai mis un râteau et qu'il ne voulait pas vivre avec cet échec ? Ou peut-être que...euh…. Elle se gratta la tête, tentant de trouver une autre idée débile mais potable. Ah. Ou ptetre qu'il est fauché et qu'il tente de me faire payer en tombant dans les pommes, quel goujat, heh.  

Très vite les hypothèses et les rumeurs s’enchaînèrent concernant le pourquoi du comment Yuduar Al Rakija, capitaine de la garde du grand-port, s'était pété la tête contre une table en compagnie d'une si jeune femme ravissante. La serveuse et le patron de la taverne proposèrent de transporter le capitaine dans une chambre à l'étage, mais Astrid refusa leur assurant que tout allait bien et qu'elle allait l'emmener ailleurs.
Mine de rien, il avait parlé d'empoisonnement, donc elle n'était pas vraiment sereine à l'idée de rester ici. Quant à l'enchantement, si quelqu'un la suivait en sortant, elle lui péterait la gueule, tout simplement. Elle releva donc le garde et passa son bras autour de son cou pour le traîner vers la sortie.


-Oh, et mettez la note sur l'ardoise de Yuduar.

Quelle bonne amie ! Vraiment ! Elle savait comment aider ses potes dans le besoin.
Direction un poste de garde proche pour leur lâcher leur capitaine, tout en leur disant qu'il était devenu saoul au bout de quoi? Une chope ? Et qu'il était tombé par terre et pouf, le problème serait réglé.
La femme à tout faire n'avait peut-être plus de partenaire pour picoler pour le moment, mais ça n'allait pas l’empêcher de boire pour autant même si elle ne pouvait pas faire de blague. Et puis, ça lui laisserait le champ libre pour tenter de draguer une serveuse...Heh.
Sauf que, en réalisant que beaucoup de regards se tournaient vers elle non pas parce qu'elle traînait un cadavre, mais à cause de sa robe, il était peut-être préférable qu'elle rentre chez elle après ça.
En espérant que la prochaine fois qu'elle irait picoler avec Yuduar, tout serait redevenu normal.
Enfin, normal, façon de parler, heh.