-L'art d'un père de famille hein ? Répéta Astrid toujours souriante. Je le maîtrise aussi, sur le coup, tu n'as aucun avantage sur moi ! Hahahaha !

Enfin, en réalité, Edmond n'avait jamais fait de bonhomme de neige avec ses enfants, malheureusement. À vrai dire, il n'en avait même jamais fait de sa vie et c'était seulement dans celle-là qu'Astrid avait commencé. Et elle s'était pas mal débrouillée !
Ayant de l'avance sur les autres qui se jetèrent sur la neige pour faire leur propre œuvre d'art en espérant vainement la battre, la femme à tout faire, en attendant, se décida à une autre activité qu'elle appréciait toujours de faire quand il y avait un tas de neige propre. Debout, le dos droit, elle écarta les jambes ainsi que les bras avant de se laisser tomber en arrière sans rien ni personne pour la rattraper à part…un matelas d'un blanc immaculé et d'une douceur lui rappelant son lit le plus douillet. Telle une enfant, elle commença alors à bouger ses membres dans tous les sens pour dégager la neige et une fois fait, elle se releva pour admirer sa deuxième œuvre de la soirée : la silhouette d'une personne possédant des ailes et une longue robe.
Remarquant que les autres concurrents n'avaient toujours pas terminé, elle continua ses divers dessins dans la neige et se roula dedans une bonne dizaine de fois sans avoir peur d'attraper froid le lendemain. Car même si elle tombait malade, elle pourrait facilement se guérir avec son don.
Tournant sur elle même de droite à gauche et se couvrant ainsi de neige, l'attention d'Astrid fut attirée par des sifflements impressionnés. Hmmm ? Est-ce que les autres clients venaient enfin apprécier le bonhomme de neige de la femme à tout faire à sa juste valeur ? Héhé, pas trop tôt !
Mais non, les sifflements venaient d'un peu plus loin et en relevant la tête vers la direction du brouhaha, elle put remarquer une foule s’amasser un peu plus loin.

-Hmmm ?

Curieuse de la raison pour laquelle il y avait tant d'agitation, la chieuse professionnelle s'y dirigea et  trouva Yuduar à côté d'elle.

-Qu'est-ce qui se passe ? Demanda-t-elle tout en se débarrassant de la poudre blanche sur sa tête et ses vêtements. Mais son air interrogateur se transforma bien rapidement en un mélange de surprise et d'indignation qu'elle n'hésita pas à faire connaître : Mais quel fils de….

Une personne manipulant la neige, mais bien sûr ! Ce n'était pas vraiment de la triche d'utiliser son pouvoir, car sinon, le tavernier l'aurait précisé avant le début de ce concours. Le fait que cette personne soit là était donc une simple et malheureuse coïncidence. Toutefois ce n'était pas pour autant qu'Astrid allait se laisser faire et lui laisser la victoire aussi facilement sans se battre. Elle avait toujours deux ou trois tours dans sa manche, et comme on disait souvent, pas vu pas pris.
Ricanant de manière tout à fait machiavélique, elle se cacha derrière un autre client et fixa la statut de glace qui n'était pas bien loin d'elle.
Comme par magie (ça l'était, la télékinésie plus précisément), l'une des jambes de la statue se brisa et le reste s'écroula tel un château de carte sous les cris de surprise des spectateurs.
Avec son sourire mauvais de farceuse, elle se tourna vers Yuduar et lui fit un clin d’œil complice. Ce bâtard ne l'emporterait pas aussi facilement !
Mettant ça sur le compte de la coïncidence, le concurrent usa de nouveau de sa magie pour reconstruire précipitamment sa statue d'homme sous les yeux grands ouverts du tavernier et des serveuses qui, sans aucun doute, allaient le choisir comme gagnant.
Quel était le temps limite déjà ? Et combien de minutes étaient passés… ?
Heh.
Et alors que le tavernier ouvrit la bouche pour annoncer la fin du temps imparti, la statue garantie gagnante s'écroula de nouveau.
Les 20 minutes étaient désormais passées.
Mais, étrangement, elle ne fut pas la seule victime car d'autres bonhommes de neige – dont celui de Yuduar – avaient perdu soit des bouts de vêtements, soit les objets qui avaient servis d'yeux ou de nez qu'on retrouva sur le sol, les rendant ainsi incomplets.
Seuls quelques uns avaient survécu à cet étrange incident….comme celui d'Astrid par exemple, qui se mit d'ailleurs à siffloter comme si de rien n'était.

Au fond d'elle, sans que cela ne se voit véritablement sur son visage, la farceuse jubilait et riait intérieurement en constatant que la tension montait entre les concurrents et qu'à tout moment, avec juuuuuuste un petit coup de pouce supplémentaire de la bonne personne au bon moment, une bagarre exploserait.
Une soirée sans bagarre, sans emmerdes, sans chaos et sans bordel n'était pas une bonne soirée pour Astrid Dalgaard qui se délectait de ce genre de scénario et qui était, depuis le temps, passée maître dans l'art de foutre la merde, au grand regret de ses amis et camarades de beuverie.

-Sale pourriture de co...de royaliste ! Entendit-elle beugler.

Oh, bien sûr, elle sentait le regard déprimé et las du capitaine sur sa personne. Elle était, après tout, sans aucun doute, la responsable de tout ça et ils le savaient pertinemment. Avec un sourire félin, car on aurait pu la comparer à un chat prêt à faire tomber un vase de porcelaine sur le sol, elle s'approcha lentement d'un homme sans quitter le regard de Yuduar, et murmura tout en pointant du doigt une autre personne proche :

-Je crois que c'est lui qui a niqué ta statue. Je l'ai vu.

Et, à la vitesse du son, elle mit un taquet derrière la tête d'un autre client avant de fuir fissa, se plaçant assez loin pour admirer ce qui allait suivre. Sans surprise, la femme à tout faire ne fut pas déçue car une bagarre explosa rapidement, le pauvre garde étant subitement pris dans le tas et tentant vainement d'arrêter tout ce joyeux bordel alors que, non loin, Astrid se fendait joyeusement la poire en espérant que ça se transformerait en baston généralisée. Toutefois, le gamin n'avait pas l'air du même avis et usa de son statut de capitaine pour instaurer le calme qu'il réussit à avoir sans trop de difficulté.

-Tch.

Petit soupir, immense déception. Il est pas drôle le mioche, pensa-t-elle en faisant la moue. Une petite bagarre de temps à autre, ça ne faisait de mal à personne si…. ? Enfin si, ça faisait beaucoup de mal, à beaucoup de personnes, mais c'était bon enfant la plupart du temps !
Non ? Bah.
Revenant parmi la foule, les mains dans les poches et toujours en sifflotant, le visage affichant un air qui se voulait totalement innocent et loin de ce remue-ménage cause par on-ne-sait-qui, Astrid tendit l'oreille alors que le jury délibérait pour choisir l'heureux gagnant de ce petit concours parmi les rares bonhommes de neige qui avaient survécu. Et, surprise surprise, le sien fut choisi alors que dans des circonstances plus normales et fair-play, elle n'aurait même pas atteint le podium.
À grandes enjambées, la femme à tout faire rejoignit sa statue avec un énorme sourire ravi et improvisa une petite danse de la victoire, sans aucune honte et sans aucune grâce. Elle balança ses bras alternativement devant puis derrière son corps dans un mouvement de balancier puis termina en plaçant son visage dans le pli de son coude, les deux bras pointant le ciel nocturne. C'était pas ce que les jeunes faisaient de nos jours ?
Sous un tonnerre de non-applaudissement et de hué, elle termina avec une courbette pour le public et dit :

-Merci, mille merci vraiment ! Je tiens à remercier mon père et ma mère, qui m'ont appris à faire des bonhommes de neige et ce depuis mon plus jeune âge, mes frères et sœurs pour à leur soutien indéfectible. Mais également Yuduar Al'machintruc sans qui rien de tout ça n'aurait été possible !

Elle accompagna ses remerciements d'un lourd clin d’œil vers le garde qui était devenu complice et ramasseur de pots cassés malgré lui. Était-ce là un moyen de se venger de façon mesquine...? Peut-être bien.
Fièrement, et beaucoup trop fièrement pour une fieffée tricheuse, la femme à tout faire rejoignit le jury pour récupérer la bouteille personnelle du tavernier que lui tendait Anna. Une récompense qu'elle avait amplement méritée après tous ces efforts, vraiment ! Et bien contente d'elle, elle s'empara de la bouteille qu'elle souleva pour bien la mettre en évidence aux regards envieux et s'osa même à enlacer la serveuse qui, d'abord étonnée, se reprit très vite pour violemment rejeter la blanche à coup de baffes dans la tronche.
Ça aussi, elle les avait amplement méritées.

-La gagnante a pas le droit d'emporter avec elle une serveuse en plus de la bouteille ? Demanda la femme à tout faire avec un regard qui se voulait séducteur.

Mais tout ce qu'elle récolta fut des regards dédaigneux de la part des jeunes femmes qui soupirèrent, bien habituées au petit manège d'Astrid qui ne menait souvent nul part. Il fallait dire qu'avec son attitude et son humour à deux balles...elle ne se montrait pas vraiment sous ses plus beaux atouts.
Aussi, les non fusèrent, blessant profondément (pas du tout) la citoyenne qui fit semblant de pleurer en serrant contre elle la bouteille, comme une mère avec son nouveau né fébrile dans les bras. Tout un théâtre pour quelque chose dont elle était habitué depuis le temps : le rejet. En même temps, c'était plus drôle comme ça, heh.

-Bon hé bien j'imagine que ce sera juste entre toi et moi mon petit, snif. Bouhou, même un bisou aurait fait l'affaire vous savez…. ?

Par pitié – et uniquement par pitié, cela se lisait sur son visage – Anna se dévoua pour lui faire un bisou sur la joue, et sautant de joie, la citoyenne lui rendit un bisou sous un gui, signe que...signe que...signe que rien du tout. Une simple coïncidence.

-Contente ?

-Très ! Bon du coup, ça va être moi, ma bouteille et ptetre l'autre…. ?

Où était le capitaine ? Ah, en train de discuter avec le tavernier. Une connaissance ? Aucune fichtre idée, mais ça en avait tout l'air vu comment ils avaient l'air de bien rire. Bah !
Haussant les épaules, la blanche rentra dans la taverne et reprit place à la table qu'ils avaient laissé derrière eux pour ce concours remporté haut la main. Sous les regards encore haineux des autres concurrents, elle s'assit non lourdement comme elle le faisait chaque fois, mais délicatement, posant son royal fessier sur ce qui aurait pu s’apparenter dans son esprit à un trône et non une vulgaire chaise en bois bon marché. Ensuite, avec une grâce et une délicatesse qui ne la caractérisaient guère, elle ouvrit la bouteille et versa son contenu dans un verre qu'elle s'était procurée juste avant.
Calmement, chaque mouvement étant calculé, elle huma le liquide et poussa un profond soupir, conquise par ce qu'elle allait goûter. Et lorsque, enfin, elle porta le verre à ses lèvres pour prendre une gorgée, elle joua avec l'alcool dans sa bouche pour en extraire toute la saveur avant de déglutir avec un air ravi.
Pourquoi tout ce spectacle, alors qu'elle aurait pu se contenter de boire directement dans la bouteille comme la dernière des alcolos qu'elle était ? Pour foutre le seum. Et le petit regard mesquin qu'elle jeta aux autres en disait long.
D'ailleurs, le capitaine était revenu et remit cette histoire de vérité sur la table. Bien sûr qu'elle n'avait pas oublié, mais chaque chose en son temps. La soirée était encore longue et ils n'en avaient pas encore tout à fait terminé, même si ils auraient pu décider, sagement, de rentrer chez eux.

-Voyons voyons, avant ça mon cher associé, ne voulez-vous pas goûter à cette très bonne bouteille gagnée de manière absolument loyale et sans aucune triche ?

Elle versa l'alcool dans un deuxième verre propre qu'elle tendit au brun et abandonna toute façade, avalant d'un coup son propre verre.

-Pfiiiou, c'est vraiment de la bonne ! Bien pour ça que j'aime cette taverne ! Aaah et la vérité hein ?
Son sourire se fit plus large. Tu sais très bien ce que je vais te demander voyons ! Est-ce que Queen Milan et toi êtes amants ? Relation intime et tout le tralala. C'est le moment de cracher le morceau, heh.

Une question parmi tant d'autres qu'elle aurait aimé poser. Toutefois, il fallait bien faire des choix, et de toute façon, d'autres occasions se présenteraient dans le futur.
La réponse quant à elle semblait évidente, si évidente qu'on pourrait dire qu'elle gaspillait une opportunité alors qu'elle était persuadée que le garde et la noble entretenaient une relation intime. Mais cela n'avait jamais été confirmé jusqu'à là...tout ça parce que ce mioche refusait de l'avouer.

Astrid se resservit et huma de nouveau cet alcool offert par le tavernier. Clairement, ce dernier avait du goût en alcool et la citoyenne reviendrait de plus en plus souvent ici juste pour participer à ces concours. Et s'il fallait qu'elle triche à chaque fois, hé bien soit ! C'était bien trop bon pour passer à côté !
Prenant une nouvelle gorgée, la blanche attendit donc patiemment que le capitaine réponde à sa question sur la relation qu'il entretenait avec cette fameuse Queen Milan, la jeune trésorière royale. Elle ne l'avait jamais croisé, jamais vu, mais la jeune-vielle en avait entendu parler et connaissait, au moins de nom, la famille Milan. Elle avait même rencontré les parents de celle-ci, lors de soirées entre nobles. Car oui, on pourrait l'oublier, mais Astrid, non, Edmond en plus d'être commandant, avait été un noble.
Qui pourrait le croire aujourd'hui, en connaissait la citoyenne qui se curait en ce moment même le nez sans s'en cacher et comme si de rien n'était ? Toute trace de noblesse avait disparu chez elle, et depuis longtemps !
Et donc, le capitaine répondit par l'affirmative à la question « Est-ce que vous êtes amants ? », et confirma leur aventure ensemble. Jusqu'à là, la femme à tout faire n'en était absolument pas étonnée mais trouva néanmoins satisfaction dans la réponse de Yuduar, même si commère qu'elle était, elle aurait aimé plus de détails croustillants. Peut-être qu'elle devrait aller voir directement la concernée, pour ce genre de chose.

-Heh, je le savais. Il faudrait vraiment que je la rencontre, cette Queen, on s'entendrait ptet suuuuper bien ! Entre filles! Tu me la présentes quand? Puis, rien de bien sérieux tu dis hmm ? Répéta-t-elle avec un petit air sournois. Pour l'instant. Ça peut évoluer. Ahalalala, la fougue de la jeunesse, c'est beau !

Une énième phrase bizarre à sortir venant d'une jeune femme qui était, physiquement, bien plus jeune que le brun. Toutefois, même en ne connaissant pas la réelle identité de la blanche, il suffisait d'un « c'est Astrid hein » pour que personne ne se pose plus de questions à son sujet et à ce qu'elle racontait qui était, la plupart du temps, des conneries.

-Je veux bien des frites ! Et du foie gras avec du pain ! C'est la période non ? En plus des cadeaux heh.

Ces mets typiquement de Noël (même les frites oui), ou plutôt du solstice dans ce monde, se marieraient bien avec cette bouteille, et elle avait déjà hâte de se remplir encore plus la panse en toute gratuité, tout frais payés par le capitaine. D'ailleurs, celui-ci se fit encore remarquer en embrassant une serveuse et les réactions ne tardèrent pas à fuser, notamment de la part de la citoyenne qui se mit à siffler tout en gueulant pour attirer l'attention des autres clients qui n'avaient absolument rien demandé :

-Oouuuuhoouu, le capitaine Yuduar est un vrai tombeur ! Queen Milan et les Valkyries ne lui suffisent plus, il s'attaque maintenant à des serveuses de la capitale !

Toujours plus et toujours dans l'exagération, ne manquant pas une seule occasion et éclatant d'un rire enfantin, voilà comment était Astrid.

-Eh ouais, relançons une manche ! On a laaaaaarge le temps je pense, même si on aurait pu s'arrêter là et rentrer chacun de notre côté. En fait, ça aurait été sûrement le meilleur choix à faire, mais heh, autant pousser encore un peu nah ? Et je commence ! Peut-être que Lucy sera encore avec moi et comme ça, j'pourrai terminer sur un 2-2 huéhuéhué. Si c'est le cas t'as intérêt à bien te préparer mon petit !

Dés: