Le royaumed'AryonForum RPG light-fantasyPas de minimum de ligne
AccueilAccueil  
  • RechercherRechercher  
  • Dernières imagesDernières images  
  • S'enregistrerS'enregistrer  
  • ConnexionConnexion  
  • AryonpédiaCarte interactiveDiscord

    Un monde plein de mystères,
    plein de magie et surtout plein d'aventures...

    Il est peuplé de créatures fantastiques. Certaines d'une beauté incomparable, d'autres aussi hideuses qu'inimaginables, beaucoup sont extrêmement dangereuses alors que quelques unes sont tout simplement adorables. La magie est omniprésente sur ces terres : des animaux pouvant contrôler la météo, des fleurs qui se téléportent, des humains contrôlant les éléments, des objets magiques permettant de flotter dans les airs...

    Dans ce monde, il y a le royaume d'Aryon. Situé à l’extrémité sud du continent, c'est un royaume prospère, coupé du monde. Il est peuplé d'hommes et de femmes possédant tous un gros potentiel magique, chacun vivant leurs propres aventures pour le meilleur comme pour le pire.

    En savoir plus

    Accueil Aryonpédia Carte interactive
    Haut de page Bas de page
    Nobles
    Citoyens
    Gardes
    Aventuriers
    RP de la semaineEn lire plus
    Trappe-Trappe Gardé

    Red et Bridget se transforment en instructeurs de la Garde de la Forteresse pour une journée, en compagnie d'une véritable instructrice...

    Administrateurs
    Modérateurs
    Maîtres du jeu
    Luz WeissTeam Mono-compte
    Admin amoureuse du rangement et de l'administratif, venez me voir !
    Message privé
    Nikolaos LehnsherrIvara Streÿk
    Administrateur-MJ, préposé au lore et toutes ses histoires
    Message privé
    Ivara StreÿkNikolaos Lehnsherr
    Administratrice générale, hante ceux qui n'ont pas leur JDB à jour.
    Message privé
    Aord SvennAurélius | Vivianne | Sarah | Silène
    Modérateur RP, prêt à lâcher Sainte Pampersa sur vos bêtises alors attention…
    Message privé
    Kasha ShlinmaRalia
    La modo-caméléon, qui vous guette dans chacun de vos RPs
    Message privé
    Hryfin DanvilWarren | Nephali
    Petit padawan du staff, modérateur général
    Message privé
    Whiskeyjack CallahanNicholodéon
    Chef suprême des glooby
    Message privé
    Olenna BelmontKlarion | Lunar | Iris | Circé
    MJ aussi malicieux qu'un chat pour vous plonger dans de belles féeries !
    Message privé
    Zahria AhlyshTeam mono-compte
    Toujours là pour vous faire rêver et vous shiper
    Message privé
    Les nouveautés deOctobre
    Poster une petite annonce Le Blizzard, Régiment de Forteressse est fait pour vous si voulez répondre à vos propres défis et servir le Royaume !L'Ordre des Célantia recherche encore deux joueurs pour incarner les archontes manquants : Sandro Deketzione et Oscar Gauss.L'Académie des Sciences recherche des érudits ou des individus assoiffés de connaissances.
    Evènement InRPLes rumeurs qui circulent et évènements...
    Devenir partenaire ?
    hall of fame
    ChronologieLes groupes de joueursLes dernières rumeurs
    Nos jours an 1002 saison fraiche
    Empyrée an 1002 saison douce
    Le désert volant an 1001 saison douce
    La cité enfouie an 999 saison fraîche
    La tour en ruines an 999 saison douce
    L'académie des sciencesL’Académie des Sciences est le fleuron de la recherche scientifique au sein du royaume. Entre ses murs, on trouve bon nombre d’érudits soucieux du progrès d’Aryon ainsi que de percer les secrets des arcanes du monde qui les entoure.
    L'Astre de l'AubeL’Astre de l’Aube est une organisation médicale qui prône la valeur de la vie et des sciences : ses membres d’élite ont affiné leurs compétences de soin jusqu’au perfectionnement.
    Le trone d'amphitriteLe trône d'Amphitrite regroupe des chasseurs de monstres afin d'éliminer les créatures qui peuplent le royaume et en récupérer certains composants pour les revendre à ses partenaires.
    L'Ordre des CélantiaDissimulés derrière la compagnie Althair, l'Ordre des Célantia regroupe tous les citoyens, aventuriers, gardes ou nobles à la recherche d'artefacts ou de reliques en lien avec le passé d'Aryon.
    Les belluairesLes Belluaires assurent la sécurité de la forêt du royaume. Réputés pour accueillir les « cas désespérés » de la Garde, mais aussi pour leur polyvalence et leur sympathie !
    Le blizzardLes gardes du Blizzard sont de valeureux guerriers. Postés au nord du pays. Pour eux, plutôt mourir que faillir. Voici leur force, voici leur courage
    Régiment Al RakijaGarde Sud. Multiples unités aux profils colorées, assure avec autonomie et indépendance la sécurité de cette région du Royaume. Atypiques, anti-conformistes, professionnels, à contre-pied de la classique image de la Garde.
    Les espionsRégiment de la garde dont les membres experts en infiltration et à l'identité secrète sont chargés de recueillir des informations sur tout le territoire afin d'assurer la sécurité de tous.
    On raconte qu’au terme du tournoi organisé par la maison Tanner, les leçons d’escrime connurent un soudain regain de popularité auprès de la gente féminine. La rumeur, récente et grandiose, voudrait que l’épée soit un excellent moyen de donner la chasse aux meilleurs partis du royaume. … Les filles de la cour feront longtemps des gorges chaudes en se rappelant de la souillon (anonyme) qui avait enlacé un conseiller royal (qu’on ne nommera pas).En savoir plus...
    A une journée de cheval de la Capitale, aux abords d'une petit village quelconque, un véritable massacre a eu lieu. Dans les décombres, on trouve pas moins d'une demi douzaine de corps, morts avant l'arrivée du feu. Que s'est-il passé exactement ? Qui a fait tout cela ? Personne n'en sait rien mais chose encore plus étrange : de longues heures après l'événement, un mist blanc à la crinière bleu y a été vu avant d'en repartir aussi vite. Autant dire que cet événement peu commun soulève bien des mystères...En savoir plus...
    Une maison supposément abandonnée a pris feu en pleine nuit, dans un village aux abords de la Capitale. Certains témoins racontent qu'un combat sanglant s'y est déroulé avant l'incendie. Plusieurs corps calcinés y ont été retrouvés.En savoir plus...
    La Couronne a annoncé la démission officielle d'Arban Höls au poste de Commandant du Royaume ! Si la fête et le discours donnés en l'honneur de son départ ont été dignes de ses nombreux services rendus à la Garde, la liste des invités s'est révélée étonnement courte et fermée. Il se raconte dans certains couloirs que la date de ce départ a été plusieurs fois avancée sous couvert du secret, et que cette démission ne serait pas aussi volontaire qu'elle le semblerait... On lui prête notamment des atomes crochus avec un écoterroriste tristement célèbre dans nos contrées. La Couronne a du moins assuré qu'Arban Höls pourrait désormais profiter pleinement de sa demeure fermière située au nord du Grand-Port, tel qu'il l'a toujours souhaité. Quelques Gardes seront également dépêchés sur place afin d'assurer sa sécurité. ... Ou serait-ce pour le surveiller ? Le poste de Commandant sera du moins provisoirement occupé par notre souverain, Grimvor Renmyrth, qui a réaffirmé sa volonté de protéger le peuple en ces temps incertains ! Il se murmure qu'une potentielle refonte de la Garde serait à prévoir, et qu'un successeur serait trouvé dans les prochains mois. A bon entendeur !En savoir plus...
    L’Astre de l’Aube au marché noir ? Ce matin, une rumeur des plus sombres se répandait dans les salons de la Capital. La célèbre Luz Weiss aurait été aperçue en train d’acheter des objets illégaux au marché noir ? Simple rumeur, tentative de décrédibilisation ou simple mensonge de couloir ? Impossible de le dire ! L’Astre de l’Aube dément officiellement que sa directrice puisse avoir de telles relations avec la pègre. Une mauvaise pub qui pourrait éclabousser l’organisation médicale si elle s’avérait vraie, mais pour l’instant ce ne sont que des rumeurs. Des rousses, il y en a beaucoup dans Aryon et ce ne sont pas toujours la célèbre Médecin à la chevelure flamboyante. Affaire à suivre.En savoir plus...
    Une flamboyante annonce est venue chambouler les bureaux de la Guilde des Aventuriers : un nouveau Saphir est né parmi l'élite de l'élite. Le désormais célèbre Jin Hidoru s'est ainsi fait connaitre au fil de plusieurs aventures. De la récolte d'herbe blanche, une enquête menée sur l'Île sombre au sujet de disparitions, la chasse d'une immense créature bloquant l'entrée du Grand Port ou même la révélation d'une affaire criminelle derrière un mystérieux pinplume dorée, Jin s'était également démarqué en revenant vivant des Ruines des corbeaux sur le Désert volant. Une étoile montante récompensée par l'insigne des Saphirs à suivre de près !En savoir plus...
    Une œuvre d'art s'arrache à prix d'or au profit d'un orphelinat ! La semaine dernière, la célèbre créatrice C. Cordoula, de la maison éponyme, a une fois de plus créé l'évènement en mettant aux enchères sa toute dernière pièce de collection : une paire de tongs de plage à l'effigie de la mascotte Wougy le woggo. De nombreuses personnalités s'étaient rassemblées en ce jour pour participer à la vente et l'engouement généré a dépassé toutes les attentes, surprenant même leurs organisateurs ! De nombreux noms ont tenté de faire inscrire leur patronyme dans l'histoire de cette transaction, dont une partie des bénéfices a été reversée à l’œuvre caritative l'Arche de l'Espoir et aurait été remportée par une des éminences de la Guilde après un incident impliquant une attaque de dinde.En savoir plus...
    Informations personnages
    Sujets des rumeurs généralesla capitalela gardele palais
    Les péripéties des défis de la saison chaudean 1000an 1001
    Connexion

    Récupérer mon mot de passe



    Le Deal du moment :
    Apple MacBook Air (2020) 13,3″ Puce Apple M1 ...
    Voir le deal
    799 €

    A la mesure du passage des astres
    Le royaume d'Aryon  » Le royaume d'Aryon » La capitale
    Aller à la page : 1, 2  Suivant
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
    Informations
    A la mesure du passage des astres
    Sam 5 Déc 2020 - 9:50 #
    1e lune saison douce

    Le temps était encore à la fraicheur, et le cœur de la nuit accusait davantage la morsure glacée de la brise. Mais l’étau qui enserrait le battant de l’espion et rendait pénible sa respiration n’avait que peu à voir avec la froideur ambiante. Il avait espéré que sa mutation au Grand Port l’aurait éloigné davantage du tumulte de la Capitale. Des souvenirs, des regrets, des souffrances. Mais il semblait qu’une nouvelle fois Lucy se jouait de lui. Ou alors Emeor Calyx devait quelques faveurs à la logistique de la Caserne principale. Ce qui était aussi tout à fait possible, et certainement plus probable. Néanmoins, il y avait quelque chose de ridiculement cocasse à avoir postulé pour un régiment a priori en sous-effectif, puis se voir affecté par celui-ci sur son ancien terrain de travail. Parfois – souvent – les voies de l’administration étaient impénétrables.

    Resserrant les pans de sa cape contre sa silhouette d’ombres, il traversa en silence le muret séparant deux larges bâtisses aux devantures commerciales, puis se fondit prudemment dans les ténèbres d’une large poutre apparente. La nuit, même à ses heures les plus noires, était ici rarement creuse. Dans un quartier de boutiques en tous genres, l’animation de cessait jamais tout à fait et l’éclat des outils de travail pouvait résonner du crépuscule aux premières lueurs de l’aube. La richesse du lieu, portée par ces enseignes vivant de labeur, était étroitement surveillée par la Garde – peut-être même plus que les quartiers résidentiels de la noblesse – et s’il arrivait régulièrement aux âmes avinées ou malhonnêtes de s’aventurer dans ces ruelles aux vitrines alléchantes, ce n’était clairement pas le meilleur endroit pour s’assurer d’éviter les ennuis. Et si Calixte était précisément là ce soir, à glisser d’ombre en ombre, c’était bien pour s’associer à ces dits ennuis.

    La mission était simple – elle ne lui avait même pas été attribuée via son statut officieux d’espion – comptant sur son pouvoir relativement pratique pour se faufiler à la faveur de points d’observations stratégiques pour y rester le temps de sa garde. En dépit de la surveillance étroite que la Garde avait établie dans ce quartier aux affaires prospères, une boutique aux luxueux étalages avait été victime par déjà trois fois de pillages conséquents, et les militaires avaient été sommés de se magner l’arrière-train avant que le propriétaire ne se plaignît trop fort de leur incompétence et n’engageât lui-même quelques aventuriers, mercenaires, ou tout autre âme vigile en quête de cristaux et pas avare de ses muscles. Piquée dans son estime, l’administration martiale avait organisé une petite escouade dont le but était d’enquêter autour de ces vols répétitifs ayant lieu sous leur nez, protéger le temps de cette assignation la boutique cible, et d’arrêter les coupables récidivistes – ou les divers voleurs s’infiltrant dans la brèche – afin de redorer le blason de la Garde. Tout comme de limiter la tentation assurément grandissante des malfrats observant ces délits possibles.

    Néanmoins, si Calixte avait bien l’intention de jouer son rôle de guetteur, il était peu d’humeur à l’effectuer coincé dans un pan de mur, et certainement encore moins à l’idée d’y passer de longues heures. Ainsi, profitant de ses connaissances et habitudes venues avec le métier d’espion, il jeta un rapide coup d’œil à la ronde avant de faire basculer une petite trappe taillée dans une fine cloison de bois, et s’accroupit pour pénétrer dans la courette d’une bâtisse lambda. Vérifiant le temps de quelques secondes l’immobilité du lieu, il reprit rapidement son chemin pour emprunter un escalier de pierres sur sa gauche, puis grimper sur la terrasse du bâtiment voisin. Traversant celle-ci d’un pas pressé mais silencieux, il avisa ensuite un étroit passage entre deux toits, emprunta avec l’aisance de la pratique le chemin étroit d’une canalisation en hauteur, puis suivit celle-ci alors qu’elle s’enfonçait au dernier étage d’une haute structure dominant la plupart des autres constructions. Retrouvant l’appui moins traitre d’un sol bétonné, se faxant presque entre de larges réservoirs qu’il savait remplis d’eau de pluie, le coursier se faufila jusqu’à un rebord abrité d’un panneau coulissant, et s’assit dans l’obscurité providentielle que lui offrait la structure. Surplombant ainsi les bâtisses alentours, il avait là une vue imprenable sur celle dont il devait assurer la surveillance.

    Réajustant ses lunettes de jour, il laissa ses yeux appréhender les lieux d’apparence tranquilles. Disparaissants de temps à autres au gré des chemins sillonnant le quartier, il pouvait apercevoir certains de ses collègues patrouillant la zone. En observant avec davantage d’attention les alentours immédiats de la boutique jusque-là ciblée avec brio par les voleurs, il pouvait repérer les discrets signes de la présence de ses camarades d’escouade. En laissant son regard épouser les courbes sages des environs, à l’affût de la moindre anomalie, il pouvait…

    Un mouvement inattendu sur sa droite le fit s’accroupir et dégainer la lame retour qui n’était jamais très loin de sa dextre. Les muscles prêts à bondir, mais restant dans une attitude de tolérance prudente, il observa l’ombre s’avancer puis se figer à quelques pas seulement de la sienne. La tortuosité du lieu leur avait offert peu de temps pour se rendre compte de la présence de l’une et de l’autre, et si elles devaient en venir aux mains elle ne leur faciliterait certainement pas la tâche. Indécis, l’espion tenta d’analyser rapidement la silhouette inconnue lui faisant face au cœur des ténèbres. Malgré ses lunettes de jour, celle-ci était si bien emmitouflée qu’il peinait déjà à lui attribuer un sexe, un âge, et un possible statut. Était-ce là l’un – ou l’une – des malfrats opérant dans le secteur ? Un délinquant tout autre ? Un vigile de la bâtisse qu’il empruntait comme planque ? Ou peut-être même un mercenaire engagé par le propriétaire de la boutique que le garde devait surveiller, las de se faire piller malgré les rondes de la Garde ?

    Et comme Calixte avait toujours été plus curieux que prudent – en avait attesté sa tentative de fraterniser avec les wärdans lors de son expédition avec Naëry et Krista au cœur de la Cité Enfouie – il choisit de s’écarter légèrement pour laisser la place à l’inconnu de se rapprocher, voire de s’installer, à proximité si celui-ci le souhaitait. Pour partager son point d’observation. S’il devait s’agir d’un ennemi, le garde le saurait certainement bien assez vite – et il garda d’ailleurs ses doigts à proximité de son arme bien qu’elle retrouva sa hanche – et s’il s’agissait d’un allié… et bien tant mieux. Si c’était juste un pecno qui aimait contempler la ville à des heures indues, et bien pourquoi pas. L’espion n’avait jamais été contre un peu de compagnie.

    Gardant la silhouette étrangère à l’orée de son champ de vision, Calixte retourna à sa surveillance.
    Ivara Streÿk& Inaros
    Ivara Streÿk
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Jeu 10 Déc 2020 - 22:50 #

    À la mesure du passage

    des astres

    Inaros


    - Et ce sera quoi pour vous ?
    - Un thé noir. T’nez.

    L’homme déposa la somme convenue sur le comptoir, laissant le barman vérifier que le compte y était. Quelques cristaux sombres, rien de plus et pourtant il vit très bien les yeux de fouine du vieux serveur les additionner à plusieurs reprises pour veiller qu’il ne manque rien. L’homme soupira, posant sa dextre sur la surface âpre en bois avant de se mettre à pianoter en rythme dessus. L’endroit n’était pas recommandable. Un repaire de criminels et de bandits en tout genre. On pouvait y retrouver certaines des pires raclures qui travaillaient dans l’ombre, à la Capitale. Il les connaissait bien, suffisamment pour savoir qu’il ne fallait pas s’associer à certains d’entre eux. À l’époque, il n’aurait pas craint pour sa vie mais pour la leurs. Dans sa condition actuelle, il préférait éviter les ennuis. Entièrement vêtu de tissus sombres, on ne voyait que son regard, vif et acéré, qui détaillait avec attention les gestes de son interlocuteur. Il mettait l’eau à chauffer. Il ne serait pas servi tout de suite. Tirant le tabouret avec sa main libre, il posa son séant dessus.

    - Vous retirez pas vos tissus pour boire ? Si vous êtes ici, c’est qu’il n’y a probablement que des gens comme vous. La Garde ne vient pas ici.
    - J’suis au courant.
    - Comme vous préférez, bougonna le vieux en haussant les épaules. Vous êtes nouveau, non ? Je crois pas vous avoir déjà vu quelque part. Vous me direz, avec votre attirail, on voit pas grand-chose. Et je préfère toujours connaître mes clients.
    - J’suis qu’d’passage. En réalité, j’suis même ici pour une info. Vous pourriez m’dire c’qu’est ad’v’nu du merc’naire appelé Inaros ?, répliqua-t-il en veillant à rester poli.

    Il savait que sa voix féminine ne permettait pas de l’identifier. Il n’était pas encore totalement habitué à son nouvel état. Coincé dans le corps d’une femme, une certaine Ivara, après une sordide affaire qui avait inclu un matricide de sa part. Deux semaines, trois semaines ? Il avait arrêté de compter les jours, essayant plutôt de se concentrer sur ses propres objectifs. Enfin, au moins d’essayer d’en définir. Il avait bien utilisé le sortilège pour arrêter le mercenariat mais, puisque ça avait loupé et qu’il allait finir par se donner la mort si la situation ne changeait pas, pourquoi ne pas regarder comment cette partie du monde avait évolué depuis qu’il était parti ? Cela permettrait de l’occuper et, peut-être, de trouver d’autres réponses sur le sceau qui endormait son esprit dans le corps de la sculptrice un jour sur deux. Il y avait aussi la soif de sang, de violence. Il avait besoin de sentir l’adrénaline du combat couler dans ses veines et de bouger le tas d’os qu’il était obligé d’entraîner quotidiennement. La demoiselle n’était pas bien sportive, ce qui le désolait.
    À son interrogation, le vieux s’était détourné pour terminer de préparer son thé puis était revenu pour le déposer devant lui. Le laps de temps fut tout de même suffisamment long pour que le groupe de joyeux lurons à côté de lui prenne la peine de lui répondre. Ils s’étaient esclaffés dans un rire gras à faire pâlir de jalousie les cochons.

    - Inaros ? Celui qui se prenait pour le roi du monde ? L’est mort. Mort et enterré. T’as pas entendu la nouvelle ?, rétorqua le premier sous le regard approbateur du deuxième.
    - D’façon, c’était un bon rien. Tout juste bon à suivre l’vieux Stentor. Il a plus rien fait d’puis la mort d’ce vieux. Et maintenant… C’était le troisième qui avait surenchérit. Il claqua sa tête contre le comptoir, dans un bruit sourd qui renversa une partie de sa choppe sur le sol. Tordu du rire, il se frotta le crâne comme si de rien n’était. Sa caboche aurait fait un bruit encore pire que c’lui-ci quand il a rencontré le mur, c’t’abruti d’Inaros !
    - Arrête ça, toi. Tu vas abîmer le bois. Puis on crache pas sur les morts comme ça. Sois plutôt respectueux. Au moins d’son paternel. Sans lui, tu aurais déjà crevé la bouche ouverte dans l’caniveau. Tenez. C’pour vous. Si j’peux vous donner un conseil, c’est d’éviter de parler de lui ici. Il n’était pas très apprécié et toujours en concurrence avec les autres. Ce qui n’était pas au goût de tous.
    - J’vois. Merci., réplique le fameux Inaros en portant la tasse de thé chaude à ses lèvres pour en boire une longue gorgée.
    - T’sais Will, il avait beau faire concurrence avec tout l’monde, il aurait jamais trouvé meilleur spot que l’nôtre. Une boutique luxueuse. D’jà trois fois qu’on y passe sans s’faire prendre. La Garde reste bien au chaud derrière ses petits papiers. J’dirais même qu’on leur fait peur. Hein, les gars ? Ils sont pas prêts d’nous voir arriver c’soir.

    Un énième rire gras accompagna cette réplique qui piqua la curiosité d’Inaros. Déjà qu’il avait eu l’intention de régler son compte à ces fripouilles pour avoir parlé ainsi de lui, voilà qu’une occasion en or s’offrait à lui. Tout en sirotant son thé, il s’intéressa à l’histoire des trois criminels. Il connaissait suffisamment la Capitale pour savoir pertinemment de quelle boutique il était question. Le deuxième qui, jusqu’à présent avait été silencieux, prit la parole à son tour.

    - Ouais, allez, ça suffit. On va rentrer avant qu’tu t’mettes à trop parler.

    Et sur ces mots, les trois mauvais malfrats s’éloignèrent. La Garde devait vraiment être occupée pour ne pas avoir réussi à les coincer. De véritables bleus qui se pensaient jouer dans la cour des grands. Terminant sa boisson, Inaros s’éclipsa à son tour de la taverne. Il avait trouvé une distraction ce soir.

    ***

    Le quartier ne fut pas difficile à trouver, encore moins la boutique. Le propriétaire avait mis le paquet pour protéger ses biens, en absence de réponse armée de la Garde. Inaros se demanda ce qui les retenait. Ils étaient à peu près certain que l’intelligence était répartie de façon égale entre les deux factions. Si les mercenaires comptaient leur lot d’abrutis et de génies, il en était de même pour la milice du royaume. Il s’était lui-même introduit dans la boutique, afin de berner les trois mercenaires. Il était hors de question qu’il laisse ces gens salir son nom et sa réputation. Il avait décidé de raccrocher cette vie et pourtant la considération des autres pour le mercenaire qu’il avait été comptait beaucoup, beaucoup plus que ce qu’il pensait et que ce qu’il osait formuler dans sa tête.

    Les formes armées s’étaient réveillées. Un peu trop tard et, de toute façon, Inaros savait comment les éviter. Il était rôdé.

    Le piège était simple, il avait créé plusieurs boules de verre qu’il avait astucieusement accroché au plafond et reliées à des objets de valeur de la boutique. Indétectables au premier coup d'œil, elles tomberaient sur la tête du premier tentant de dérober quelque chose. Si la panique les faisait fuir, il avait aussi tout prévu en plaçant plusieurs bouts de verre sur le sol. Suffisamment tranchants, ils étaient astucieusement cachés pour qu’ils atteignent la voûte plantaire des voleurs. Il valait mieux éviter de toucher à quoique ce soit dans la boutique.

    Il jubilait en avance. Il jubilait tellement qu’il avait envie de voir la cacophonie que ça serait lorsque les trois seraient obligés de s’arrêter et qu’ils crieraient de douleur. Il repéra rapidement l’endroit parfait pour admirer le spectacle. L’escalade fut un peu plus rude, surtout qu’il devait éviter les mouvements trop brusques pour ne pas se faire repérer. Cette Ivara n’était vraiment pas sportive. Ses bras peinaient à supporter le poids de son propre corps. Il allait devoir continuer de muscler tout ça. Non sans peine, il réussit à atteindre le sommet de la bâtisse, où étaient posés des réservoirs d’eau de pluie. Il se faufila rapidement jusqu’à l’endroit providentiel, encore un peu fatigué de la montée.

    Quelqu’un dégaina une lame juste à côté de lui. Il ne s’était pas préparé à cette éventualité. La Garde avait donc dépêché les grands moyens pour arrêter les voleurs ? Ils se toisèrent durant de longues secondes. Inaros, légèrement empêché par l’obscurité ambiante contrairement à l’autre, se prépara à extirper lui-même une lame en verre. Si l’inconnu était un ennemi, alors il essayerait de se battre, bien qu’il ne soit pas en possession de toutes ses capacités et que l’endroit n’était pas vraiment idéal pour un combat.

    Soulagement. L’autre se décala pour lui faire de la place et lui laisser le poste d’observation. Inaros ignorait qui c’était, mais il ne semblait pas être un mercenaire. Qu’aurait-il fait là ? Il ne semblait pas non plus se comporter comme tel. Prudent, Inaros prit place à côté de lui et resta silencieux quelques minutes. D’ici, il voyait mieux ce qui se passait en contrebas. Les escouades étaient partout…

    - Un p’tit jeu, ça vous dit ? J’vous parie dix cristaux qu’ils vont réussir à les coincer c’soir. Ils s’ront trois et s’ront blessés. Vous en dites quoi, vous ?

    Inaros pouvait bien se permettre de jouer à ce petit jeu avec cet autre, ils étaient ici pour une durée indéterminée.Cela lui permettait aussi d’en connaître davantage sur les raisons qui l’avaient poussé à venir s’installer ici. Ami ou ennemi ? Sa réponse allait être déterminante. Il lui avait permis de venir à côté. Soit. Cela ferait un peu de compagnie, même si Inaros n’était pas le meilleur des compagnons et encore moins avec ce qui s’était passé dans sa vie ces derniers temps.

    Peu loquace, Inaros n’ajouta rien. Il attendait simplement que l’autre prenne la parole. Un rapide coup d’oeil sur la silhouette à ses côtés ne lui permit pas de déterminer s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme. Oui, sa réponse serait déterminante.
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Mer 16 Déc 2020 - 20:53 #
    Gardant l’inconnu à l’orée de son champ de vision, Calixte se reconcentra sur la bâtisse cible des vols à répétition. Ses lunettes de jour l’aidaient à observer les lieux sans l’entrave obscure de la nuit, et lui permirent de mieux définir les courbes de son camarade de veillée. Ou, plutôt, de sa camarade. La silhouette était savamment engoncée dans un drapage astucieux effaçant les courbes graciles, mais il y avait là pour l’œil avisé de l’espion versé dans l’art du déguisement, tout un panel d’indications subtiles quant à la nature du sexe de l’inconnue. A moins que ce fut véritablement un homme avec quelques soucis de gynécomastie, et des hormones un peu hasardeuses. La voix – le grommellement vraiment – aux intonations aiguës malgré le masque de tissu dissimulant toute la partie inférieure de son visage, le conforta dans cette idée, et il ne put s’empêcher de détourner un instant son regard de la boutique qu’il surveillait.

    Quelques mèches claires – neiges ou blondes ? – s’échappaient d’une capuche pour encadrer un visage dont on imaginait les traits fins à l’image de la silhouette svelte. Des yeux de la couleur des lagons, dont la pénombre modifiait probablement légèrement la teinte, l’observaient en retour avec prudence et… curiosité ? soulagement ? anticipation ? Peut-être, puisqu’elle lui proposait un étrange jeu. Où, visiblement, elle prenait le parti de la Garde. Ce qui était à la fois flatteur, et en même temps suspect. Comment pouvait-elle savoir que les malfrats qu’ils attendaient ce soir étaient au nombre de trois. Et qu’ils allaient bien passer à l’acte. Généralement, la chance de Calixte n’allait pas jusque-là. Non, lorsqu’il avait été assigné à cette mission, il s’était fait à l’idée de passer quelques nuits le séant posé sur la pierre froide, à surveiller l’immobilité insipide d’un bâtiment en rêvant de la chaleur d’un plaid et d’un chocolat chaud agrémenté de chamallows, avant que l’action ne l’appelât. Ce qui lui avait convenu, d’ailleurs, sur le papier. Dans ces temps où son moral fleurtait plus souvent avec les abysses de la peine et de la colère qu’avec le soleil bienheureux, la langueur morne de l’affaire lui avait plu. Tout comme la bouteille est à la fois la meilleure amie et la pire ennemie de l’alcoolique, sa morosité s’était saisie de cette opportunité maussade à pleines mains.

    Les sourcils se fronçant au-dessus de ses lunettes de jour, l’espion ouvrit la bouche pour répondre à cette étrangère. Néanmoins, un enchainement de mouvements brusques à l’orée de son champ de vision rappela son attention, et il tourna vivement la tête avant que le moindre son ne franchît ses lèvres. Dans la pénombre rendue claire par les verres magiques, trois silhouettes se déplaçaient avec aisance dans les ténèbres bordant les façades silencieuses. Il y avait là une connaissance évidente du terrain, et une assurance certainement entretenue par l’habitude. Se penchant quelque peu en avant, les sens en alerte et le regard vissé sur le trio s’avançant toujours plus vers la boutique placée sous la surveillance de la Garde, Calixte attendit encore quelques secondes que ses soupçons s’assurassent, puis porta ses mains à ses lèvres. Le hululement d’un messagerbou traversa l’atmosphère sereine du quartier qui ne dormait jamais tout à fait, se fondant dans la mélodie des branchages secoués par la brise nocturne, des piaillements de la faune urbaine, et se répéta brièvement dans un rythme défini au préalable. Et lorsque le glapissement d’un chapardeur lui répondait, le coursier se prépara à quitter son poste d’observation.

    Par réflexe, par prudence, ses yeux se posèrent une dernière fois au contact de l’inconnue toujours présente à ses côtés. Elle l’observait en retour, mais semblait assurée du déroulement de l’affaire à venir. Hésitant encore quelques secondes avant que son attention ne fût rappelée à l’ordre par un nouveau glapissement, il se fondit finalement d’un bond dans les ténèbres de la bâtisse pour s’avancer vers l‘épicentre de l’animation. Lame retour à la main, sens aux aguets, il rejoignit d’un pas rapide son second poste d’observation. Et de contrôle, au besoin. A quelques mètres seulement de la boutique visée par les malfrats, encore légèrement en hauteur, il permettait de surveiller le déroulement des opérations tout en permettant de couper toute tentative de fuite par l’accès latéral du bâtiment. Il y eut un moment de flottement, puis des cris de douleur, de surprise, et brièvement l’éclat d’altercations. Des lueurs désorganisées projetèrent contre les murs des passages alentours quelques ombres chinoises s’antagonisant, avant de disparaitre à la faveur de l’obscurité de la nuit. Quelques minutes encore passèrent, puis un nouvel hululement appela le coursier à se remettre en mouvement. Aussi vite qu’elle avait débuté, l’assignation avait trouvé son terme.

    Contournant l’arrière de la boutique pour retrouver ses collègues penchés au-dessus d’un groupe d’hommes menottés, Calixte vérifia qu’on n’avait pas immédiatement besoin de lui, puis pénétra avec curiosité sur le lieu du délit. Désireux de prendre les voleurs la main dans le sac, les gardes les avaient laissé s’approcher des biens avant de les appréhender. Et, au niveau d’un présentoir où sa marchandise de valeur était précautionneusement remise en place, un fracas inattendu s’offrait à la vue. S’approchant prudemment, le coursier adressa un regard curieux à son collègue dansant entre les éclats de verre.

    - Fais gaffe où tu mets les pieds. Y en a partout.
    - Je ne savais pas qu’on avait quelqu’un capable de préparer le terrain de cette manière.
    - Ouais. Ben la cheffe non plus. Et apparemment personne ne sait rien non plus.
    - C’est pas de chez nous ?
    - Petrov et Alkh’eir, vous restez là. On dépose ces flèches à la Caserne et on revient avec les balayettes, leur aboya leur supérieure du pallier de la porte d’un ton assez court.
    - ‘tin si j’avais su qu’on ferait du ménage au lieu d’une arrestation standard, grommela son collègue après qu’ils eussent dument acquiescé. Elle veut surtout pas qu’y ait des traces que l’implication d’autres que de la Garde. Surtout aussi efficaces alors que ça fait des jours que ce truc nous pend au nez.

    Les yeux couverts des lunettes de jour de Calixte longèrent les reliefs de l’intérieur de la boutique, appréhendant le stratagème intelligent et incisif qui avait été installé pour mettre à mal toute tentative de vol. Alors qu’il détaillait le parterre de verre, dissimulé avec ruse au pied des éléments de valeur, prêt à taillader la semelle des voleurs, ses songes allèrent à l’inconnue qu’il avait rencontrée brièvement sur le toit. Était-ce là son œuvre ? Les malfrats avaient effectivement été au nombre de trois. Et le système de défense installé là les avait blessés dans leur tentative de vol, facilitant le travail de la Garde. Avait-elle été parallèlement engagée par le patron de la boutique, las de l’inaction des militaires ? Ou tout cela n’était-il qu’une simple coïncidence ?

    L’espion ne croyait pas aux coïncidences. Et, en d’autres temps, il aurait certainement cherché à en savoir plus. Il aurait épluché les rapports de ses collègues, puis ceux des interrogatoires des brigands. Il se serait rapproché du propriétaire de la boutique pour s’informer de l’investissement récent dans un système de sécurité personnel. Il aurait recoupé les données et cherché à comprendre qui était cette personne qu’il avait croisée. Mercenaire. Alliée. Ennemie. Opportuniste. Ou, vraiment, coïncidence. Mais Calixte n’était plus de la Capitale. Il l’avait sciemment fuie pour une affectation au Bastion du Grand Port, loin des souvenirs, des complications, des émois pénibles. Il n’y avait là plus que la souffrance, et s’il était capable de s’y engager tout entier avec cette fascination morbide qu’ont les âmes affligées pour la douleur à l’occasion de missions imposées, il ne resterait certainement pas plus longtemps que ce que ses ordres lui imposaient.

    Quittant l’abri de la boutique pour profiter de l’air frais de la nuit, l’espion s’adossa dans un soupir contre le muret de pierre longeant la bâtisse. Son regard parcourut avec une habitude ancrée par les années d’apprentissage, puis de travail, les routes discrètes des environs. Jusqu’à remonter à la terrasse peuplée de citernes. Entre deux larges cylindres, ses lunettes lui permirent de deviner la présence persistante d’une silhouette. Était-ce toujours l’inconnue ? Ou un gros chat. Voire une vision de son imagination. Après un moment d’hésitation, le coursier leva sa main – ou plutôt trois doigts de cette dernière exactement – à l’adresse de celle-ci. En salutation. En affirmation que les voleurs avaient bien été ce nombre. En interrogation. Par dépit.

    - Hé Alkh’eir, j’ai trouvé un truc pour essayer de décrocher les sphères traitresses là.

    Les deux ambres lâchèrent un instant les hauteurs pour se reconcentrer sur le soldat Petrov, et Calixte acquiesça distraitement avant de se remettre en mouvement. Lorsqu’il jeta un dernier regard du côté des citernes, l’ombre avait disparu.
    Ivara Streÿk& Inaros
    Ivara Streÿk
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Lun 21 Déc 2020 - 20:20 #

    À la mesure du passage

    des astres

    Inaros


    Troisième lune de la saison douce.

    Posant son séant sur le tabouret, l’homme au corps de femme attendit patiemment que Will, le tavernier, vienne vers lui. Ils se connaissaient bien, désormais, et le mercenaire ne s’était pas fait prier pour se faire connaître sous son ancien pseudonyme, Inaros. Certains hommes à tout faire avaient tiqué, pensant qu’ils avaient affaire à un usurpateur d’identité ou une pâle copie de l’ancien Inaros, d’autres s’étaient moqués et la majorité s’en était royalement fichu. Pour toutes ces raisons, Inaros ne se déplaçait plus qu’intégralement masqué et méconnaissable. Il avait bien compris que la sculptrice ne ferait pas le poids face à eux, dans l’éventualité où quelqu’un ferait le lien de ressemblance. Ça ne le dérangeait pas. Il poursuivait son chemin, empruntant une route qu’il avait, finalement, déjà tracée quelques années auparavant.

    Deux lunes qu’il se tâtait sur ce qu’il allait faire. Le temps filait.

    - Comme d’habitude, j’suppose ?
    - ‘videmment.
    - Tiens. J’ai aussi reçu ces contrats-là. Je t’en ai gardé quelques-uns pour que tu les consultes en priorité. Je sais que tu m’as dis ne pas être certain mais, eh, comment tu peux savoir si tu remets pas l’pied à l’étrier ?

    Inaros soupira. Will avait raison : il ne saurait jamais s’il était prêt à se lancer de nouveau dans de telles activités s’il n’essayait pas au moins une fois. Il attrapa la liasse de papiers que lui présentait le tavernier et les feuilleta en attendant que son thé noir soit servi. Il fallait bien qu’il se fasse une raison. S’il continuait de venir ici, c’est bien parce qu’il manquait quelque chose dans sa vie. L’adrénaline. Le combat. La violence. Il avait connu peu d’autres choses qui lui procuraient autant de bien-être. Il avait beau essayer d’y échapper, depuis plusieurs semaines la tentation était de plus en plus grande. Il fallait dire que tendre un piège aux trois gaillards de la dernière fois lui avait rappelé beaucoup de souvenirs. Doucement, il replongeait et ce qu’il avait entre les mains n’allaient pas l’aider à en réchapper.

    Un des contrats attira son attention. Il s’agissait d’une demande émanant de plusieurs citoyens qui avaient réuni leur pécule pour se payer les services de quelqu’un prêt à les aider. Ils avaient été nombreux à vouloir dénoncer les abus de pouvoirs et excès de zèle dont faisait preuve l’un des gardes de la Capitale. La Garde devait essayer d’étouffer l’affaire en toute discrétion, c’est-à-dire en ne réagissant pas pour laisser couler le poisson. Une tâche dans les rangs, ce n’était pas jamais joli à voir.

    - Will, c’quoi ça ? La garde s’rait plus aussi honnête qu’ça ? L’bonne blague.
    - J’en sais pas plus que ce qu’il y a marqué là. Mais ils ont un sacré pactole à r’filer. La Garde reste sourde à leurs suppliques mais pour combien d’temps ? Si tu veux mon avis, faut pas tarder à sauter sur l’occasion.

    C’est ainsi que, une bonne heure plus tard, il se présenta devant les citoyens. Le plan était simple et c’était Inaros qui venait de le concevoir. Il allait aider ces honnêtes gens en plaçant un objet de valeur dans la poche du garde concerné. Au signal d’Inaros, le commerçant pourrait alors désigner le garde comme coupable de larcin avec, cette fois, une preuve matérielle. L’objet ? Un bracelet enchanté que le garde avait, des dires du commerçant, lorgné à plusieurs reprises le matin même. L’occasion était trop bonne pour ne pas être saisie et l’exercice permettrait au mercenaire de se refaire la main.

    Le bracelet en poche, il s’agissait maintenant de réfléchir à la meilleure des solutions pour parvenir jusqu’au garde et réaliser le méfait. Il avait eu une description physique assez fidèle de sa cible et un nom si besoin. Il allait pouvoir mener sa petite enquête pour le retrouver.

    Il commença par farfouiller dans les recoins les plus évidents où pouvait exercer le garde s’il était dans les environs. La place commerçante, visiblement non. Le quartier résidentiel ? Il n’y voyait pas le moindre garde correspondant à la description. La caserne ? Comment entrer sans se faire prendre ? Il avait pour idée que la meilleure solution, après des recherches infructueuses, était de prendre de la hauteur. Avec sûreté et habileté, il escalada les murs pour se retrouver sur les toits de la Capitale. Planqué, il jeta un œil vers la caserne, au loin. Il prit conscience qu’il s’était rouillé : il n’avait jamais autant tourné en rond pour dénicher sa cible.

    Il n’allait pas se laisser abattre pour autant. S’il fallait passer par là… La soirée commençait déjà à s’installer.
    Inaros entama le chemin vers la caserne, se mouvant avec précision sur les toits qu’il connaissait si bien. Une fois arrivé devant le bâtiment, il commença à scruter les alentours. L’effervescence était moindre qu’en journée. Il repéra trois gardes qui faisaient des rondes, juste devant l’entrée. Fronçant les sourcils, il descendit de son perchoir pour distinguer les traits des gardes. Bingo ! Il tenait sa cible. Il n’avait plus qu’à observer le chemin qu’ils empruntaient. Il devait aussi réfléchir à un moyen de l’isoler de ces deux autres compagnons pour glisser le bracelet dans sa poche.

    Après de longues minutes, il connaissait enfin leur périmètre. Retrouvant la terre ferme, Inaros, capuche sur la tête et bandages dissimulant son visage, se dirigea avec discrétion vers le trio qui avançait. Il fallait maintenant qu’il trouve un moyen de faire diversion pour glisser l’objet dans la poche de celui de droite.
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Dim 27 Déc 2020 - 18:34 #
    Allongé bras et jambes écartés en étoile – en étoile de mer échouée – sur le hamac dans le studio de Naëry, Calixte contemplait l’écru monotone du plafond en se repassant en mémoire sa rencontre avec la hiérarchie un peu plus tôt. Suite à son laborieux trajet du Grand Port jusqu’à la Capitale avec Rebecca, et les diverses péripéties qu’ils avaient ensuite essuyées, le coursier avait pensé regagner sagement le Bastion à la faveur d’un simple passage par le portail de téléportation. Mais non. Ses chefs en avaient décidé autrement et, à nouveau, l’avaient prêté à leurs collègues de la Caserne principale. L’assignation était relativement aisée : observer les faits et gestes du soldat Martin Rastakyan, dont de plus en plus de signalements citoyens avaient été recueillis. Une première enquête en interne n’avait rien révélé de concluant, si ça n’était que ses partenaires usuels de mission évoquaient avec une certaine peine sa tendance à partir au quart de tour. Rien de préjudiciable en l’état cependant, ni de tout à fait remarquable pour un militaire. Mais les lunes passant, malgré les bonnes paroles de son entourage, les plaintes de la ville n’avaient cessé d’affluer, et c’était ainsi que Calixte avait été convoqué pour aider la hiérarchie à faire le point sur cette affaire. Parce qu’il était un élément extérieur. Facilement modelable de fait, et d’une vision moins engoncée. Plus impartiale. On ne l’avait même pas demandé en tant qu’espion – cette assignation n’avait aucun intérêt pour son travail officieux – mais ses côtés d’enquête allaient tout de même lui faire emprunter quelques chemins bien connus. Le soldat Cael Walsh qu’il allait devenir, aurait aussi bien pu être l’une de ses facettes de l’ombre.

    Cal partir taper vilains ? lui demanda Vreneli en le regardant se redresser pour s’apprêter.
    Peut-être. Tu veux venir ? proposa le coursier à son teisheba en l’observant du coin de l’œil alors que son peigne magique le dotait d’une tignasse brune.

    Le déguisement était succinct, mais sa facette officielle n’était pas censée savoir faire tellement plus que ça. Il aurait même été à visage « découvert » si les consignes de ses chefs n’avaient pas été claires sur ce point : proposer au soldat Rastakyan un alias qui pouvait disparaitre à tout moment, pour lui permettre un plus grand champ de manœuvres. Concernant la partie témoignage, c’était leur collègue, la soldate Khadija Assan, fraichement sortie de l’Académie, qui avait été sélectionnée pour assurer celle-ci. Ce qui, du point de vue de Calixte, allait être intéressant. Et probablement vain. Il n’était pas impossible que, pressée de faire ses preuves et indifférente au charisme de ses aînés, la jeune Assan menât effectivement l’affaire à son dénouement – a priori malheureux pour le soldat Rastakyan. Mais ce type d’enquête requérait généralement un peu de finesse, que la précipitation volontaire n’avait jamais favorisée. Soupirant à la pensée que toute cette mise en scène ne servirait probablement pas à grand-chose, le coursier réenfila ses habits de garde, attrapa sa fausse plaque, et se glissa hors de l’appartement de Naëry tandis que Vreneli se faufilait dans sa manche.

    ~

    - C’que j’dis juste, c’est qu’vous les filles vous devriez avoir au moins deux années d’plus que nous niveau entrainement.

    Khadija fulminait, les prunelles déjà noires impossiblement obscurcies par la colère. Son regard passa de la silhouette sûre d’elle du soldat Rastakyan à celle nonchalante de Walsh, attribuant à la première une salve d’éclairs et à la seconde une interrogation incrédule. Calixte, qui avait rapidement décidé que prendre le parti de sa cible pour le reste de la mission lui serait plus profitable, haussa les épaules à l’appel non verbal de sa collègue. Celle-ci s’était effectivement révélée de fort caractère, prête à changer le monde pour secourir la veuve et l’orphelin, et redorer le blason de la Garde en commençant par s’assurer de la probité de ses membres. Pour sa première mission avec d’autres collègues que ceux de sa promotion, elle ne devait pas être déçue. Cela faisait presqu’une heure déjà que le trio patrouillait aux environs de la Caserne, et elle avait déjà failli pourfendre ses deux collègues par quatre fois. Seul son propre sens de la morale avait retenu sa main agacée, ainsi que la pensée que le soldat Walsh tentait peut-être de mettre en défaut Rastakyan, sur lequel elle était chargée d’enquêter. Mais plus les minutes passaient, plus cette notion s’étiolait à la faveur d’une irritation viscérale. Et le plus insupportable, c’était qu’en dépit de son abord désagréable, le soldat Rastakyan ne paraissait pas du tout se rendre coupable de quoi que ce fût. Son regard effleurait bien avec insistance quelques étalages, quelques villageois, mais qui pouvait en vouloir à un garde d’observer avec attention son entourage ?

    - Ou faire un sous-groupe particulier, commenta Cael/Calixte d’un ton trainant. Comme les Valkyries là.
    - Ouais, la soi-disante unité d’élite ! Si y a pas là l’meilleur exemple qu’pour gravir les échelons faut coucher. Hé t’es pas du Sud, Walsh ? Elles servent vraiment, ou elles proposent juste leur balcon aux portes ouvertes pour recruter un max de mecs ?

    Ils s’esclaffèrent grassement alors que Khadija s’insurgeait à nouveau, le ton montant toujours plus alors qu’ils la prenaient visiblement de moins en moins au sérieux, et lorsque, excédée par leur comportement elle menaça de déposer une plainte contre eux, Rastakyan soupira :

    - Mais pète un coup, ça va ! ‘tin les meufs, ajouta-t-il en donnant un coup de coude entendu à son collègue masculin.
    - Toutes pareilles, acquiesça facilement Cael.

    Un coin de son cerveau grimaça à l’attitude regrettable qu’il adoptait, mais sa conscience professionnelle avait depuis longtemps fait le deuil de ce type de préoccupation. Et à voir comme Martin Rastakyan, initialement très froid à l’approche de ces deux collègues de patrouille qu’il ne connaissait guère, s’était considérablement réchauffé à son contact, Calixte n’était pas près de lâcher son rôle si payant. Payant au moins du côté relationnel.

    - La mienne gueule qu’elle est pas la boniche d’la maison, mais t’façon comme elle sait rien faire d’autre. M’enfin elle est aussi bien contente quand j’la fais crier pour autre chose, si tu vois-c’que j’veux dire. Et toi, Rastakyan ? T’as aussi eu l’malheur d’passer une bague au doigt pour mieux te r’trouver une main d’fer sur les bourses ?
    - Ouais, rit son collègue mais Calixte, qui observait attentivement ses moindres gestes, nota l’inconfort marqué dans les traits de son visage. Y a pas à épiloguer ; t’façon toutes les mêmes, poursuivit-il d’un mouvement de la main se voulant certainement désinvolte.

    Stockant l’information, l’espion tenta de la confronter à celles qu’il avait déjà sur l’homme. On était loin du cœur de sa mission, mais comprendre sa cible dans sa globalité lui permettrait d’y voir plus clair sur la culpabilité qu’on lui attribuait. A tort ou à raison ; même si au vu du nombre de plaintes, il penchait personnellement pour le « à raison ». Ses pensées accrochèrent les divers interrogatoires des collègues réguliers de l’homme, et notamment leurs quelques mentions de « difficultés personnelles » qui, par ailleurs, n’avaient pas été approfondies. Les comptes-rendus écrits avec une indifférence propre aux documents officiels, n’avaient pas mis en exergue une quelconque sympathie, ou peine, des soldats interrogés, mais Calixte ne pouvait que s’interroger sur la part sentimentale ayant rendu leurs mots si tolérants. A moins qu’au contraire il y eut de l’intimidation. Mais, tout comme il ne semblait pas qu’il y eut là le point de départ d’un réseau bien rodé – qui aurait mérité une enquête bien moins sommaire de l’affaire – rien de ce type n’avait été mis en avant. Jusque-là. Leur tour de patrouille était encore jeune, et Calixte avait encore le temps d’observer le soldat Rastakyan. De le pousser dans ses retranchements. Voire à la faute ; celle reprochée par les divers signalements. Et Khadija avait largement le temps de craquer et de compromettre leur mission en trucidant simplement leur cible.

    Des éclats de voix couvrirent ceux de la jeune soldate et de Rastakyan qui se reprenaient à nouveau le chou, et l’attention du trio se reporta sur un homme d’une cinquantaine d’années – mais qui en paraissait vingt de plus – qui se faisait jeter manu militari d’une taverne encore relativement calme en ce début de soirée.

    - Encore un poivrot quelconque, grogna avec dégoût Rastakyan.
    - Il faut qu’on aille vérifier qu’il ne soit pas blessé, et que le tenancier ne rencontre pas de soucis, commenta Khadija en fronçant les sourcils et dépassant une silhouette emmitouflée pour gagner le bar.
    - Il va bien, regarde. D’jà s’il avait pas avalé ses cinq bouteilles qu’il doit se siffler tous les jours il serait plus frais. J’suis pas payé pour faire du babysitting de détritus, merde.

    Mais la soldate Assan ne l’écoutait déjà plus, et avait saisi l’occasion pour se lancer dans l’action. Et éviter une énième conversation déplaisante avec ses collègues.

    - Plus vite ça sera réglé, plus vite on s’cassera, intervint Cael en se glissant contre son camarade pour le pousser en avant d’une accolade sympathique.

    Le mouvement leur fit permuter leur place. Et tandis que, ronchonnant et ordonnant aux passants de s’écarter, Rastakyan rejoignait de mauvaise grâce leur collègue, Calixte sentit sa veste s’appesantir légèrement. Intrigué, il tourna la tête vers la silhouette capuchonnée qu’ils venaient de dépasser, pensant qu’elle avait peut-être requis son attention, mais seul le regard étonné voire incrédule – et étrangement un peu familier – de celle-ci, avant qu’elle ne disparût derrière un coin de rue, répondit à son interrogation. Secouant la tête pour revenir à des préoccupations plus pressantes, l’espion rejoignit ses camarades.
    Ivara Streÿk& Inaros
    Ivara Streÿk
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Dim 31 Jan 2021 - 14:19 #

    À la mesure du passage

    des astres

    Inaros


    Une demi-heure de filature pour s’assurer que c’était bien sa cible et le plan tombait à l’eau à cause d’une erreur d'inattention de sa part. Elle n’avait pu se produire que lorsqu’il était descendu de son perchoir. Pour une raison quelconque, les deux soldats avaient échangé leur place. Le mercenaire pesta entre ses dents, s’engouffrant dans la ruelle adjacente pour ne pas éveiller davantage les soupçons. S’adossant contre le mur, il ferma les yeux quelques secondes pour réfléchir à ce qui venait de se produire.

    Le regard du soldat ne lui était pas inconnu. Simple facétie de son esprit ou véritable souvenir ? Il ne s’en rappelait pas avec certitude et, pire encore, cette étrange sensation de déjà-vu pouvait tout aussi bien être lié à Ivara. Une rencontre fortuite dans la rue, un client ou encore quelqu’un à qui elle avait demandé de l’aide. Il ne pouvait même pas concevoir toutes les hypothétiques rencontres entre la sculptrice et le soldat pas-si-inconnu-que-ça.

    Il devait surtout trouver un moyen de réparer sa faute. Inaros posa ses dextres sur ses paupières, les frottant légèrement en réfléchissant à la meilleure solution. Il ne pouvait pas aller confronter le soldat pour lui dire qu’il avait glissé quelque chose dans sa poche par erreur. Il ne pouvait pas non plus retourner voir ses clients pour leur dire qu’il avait échoué. Ils étaient trois. Deux hommes et une femme. En y repensant, il avait perçu par moment des bribes de phrases, assez misogynes, qui avaient fait déguerpir la soldate un peu plus rapidement que ses camarades.
    Il ne pouvait tout de même pas… ?

    Un badaud s’était arrêté pour fixer l’étrange silhouette qui s’était appuyée contre un mur et qui semblait avoir perdu ses moyens. Il s’approcha de quelques pas, avec un “mademoiselle” qui fit bondir sur place le mercenaire capuchonné. Inaros le fusilla du regard, l’incitant à ne pas s’approcher davantage et à aller s’occuper de ses propres affaires. L’incident eut le mérite de le décider sur le plan qu’il allait suivre. Il ne pouvait pas dissimuler autant qu’il le souhaitait le corps de femme qu’il habitait.

    Il bondit pour aller chercher ce qu’il voulait. Il connaissait la Capitale comme sa poche, sacré avantage d’y avoir grandi et évolué dans tous ses recoins. En courant suffisamment vite, il pourrait y être en une minute. Deux, tout au plus. La boutique était juste là. Il s’y engouffra et prit d’assaut la vendeuse, secouant les cristaux sous son nez pour qu’elle s’agite bien plus vite. Ce qu’il comptait faire ne l’enchantait pas du tout, mais c’était le seul plan qu’il avait trouvé pour ne pas se faire prendre. S’il avait eu plus de temps, il aurait sûrement élaboré une autre stratégie, mais le mercenaire faisait avec ce qui lui avait été donné.
    En l’occurence, un corps de femme.

    Il ressortit de la boutique en moins d’une minute, avec un tissu sous le bras et se changea à l’extérieur, à l’arrière de la boutique où il était sûr de ne croiser personne. Extirpant un peu de sable de sa poche, il créa un morceau de verre grossier mais suffisamment tranchant pour lui permettre de retirer à la hâte les bandages qui cachaient sa poitrine. Il enfila aussitôt sa nouvelle acquisition : une robe rouge à bretelles fines. Elle était très serrée, suffisamment pour mettre sa taille en valeur, et s’arrêtait à mi-cuisses. Inaros était lui-même un peu dégoûté de ce qu’il faisait. Il serra les dents une nouvelle fois pour éviter de pester à haute voix, utilisant son bout de verre pour agrandir un peu plus le décolleté de la robe. Ses attributs étaient assez mis en avant, suffisamment pour passer pour une dépravée, ce qu’il essayait de faire. Il dénoua rapidement sa chevelure, la laissant cascader le long de son dos. Le seul petit bémol était sans doute ses chaussures… Qu’il décida purement et simplement de retirer pour être pieds nus. Les rues de la Capitale étaient lisses ou pavées et, bien que les pieds d’Ivara soient plus délicats que ceux qu’il avait autrefois eut, il était habitué à déambuler sans rien.
    Ce qui pouvait rentrer dans sa besace y fut rangé, le reste fut jeté à la poubelle. Une question le taraudait : comment Ivara faisait-elle pour respirer dans ces foutus vêtements ? Dernier petit détail, il prit soin de se rougir les joues pour avoir l’air un peu éméché et salit sa robe, ses cheveux et sa peau avec un peu de terre.

    Dans son accoutrement, Inaros reprit la direction de la taverne. Il s’était écoulé quatre minutes et trente trois secondes, enfin seulement d’après ses estimations. Avec un peu de chance, ils n’étaient pas encore partis et venaient d’arriver aux abords de la taverne.
    Cette chance était décidément avec lui aujourd’hui. Bien qu’il ne soit absolument pas un fervent croyant du culte de Lucy, il ne pouvait s’empêcher de se dire qu’un tas d’événements auraient pu se produire entre deux et l’empêcher de remettre la main sur le trio. Peut-être qu’il ferait une prière ou deux un jour, quand il en aurait l’occasion. S’il y pensait.
    Il ne voyait que deux soldats à l’extérieur, essayant de ramener à la raison le poivrot qui avait décidé de passer une soirée tumultueuse. La soldate venait de rentrer à l’intérieur, visiblement impatiente et un peu agacée. Les deux autres soldats étaient encore à l’extérieur. Inaros ne devait pas louper le coche. Il inspira un bon coup et s’avança vers le duo.

    Il essayait d’être plein d’assurance sans en avoir. Le regard fixé sur le soldat-pas-si-inconnu-que-ça, il afficha son plus beau sourire (celui d’Ivara) mais fut obligé de remettre un de ses seins en place, la faute à cette foutue robe qui le comprimait même à ce niveau-là.

    - Hmm, r’gardez qui v’là ! Les plus beaux hommes du Royaume !

    Peut-être qu’il aurait pu être comédien dans une autre vie ou que la sculptrice possédait des talents naturels de drague très lourde qu’il utilisait par automatisme.
    Inaros était maintenant à hauteur du duo et lança un regard appuyé de sous-entendu au camarade du soldat-pas-si-inconnu-que-ça, puis reporta son attention sur sa cible.

    - Main’t’nant qu’vous vous êtes occupés d’ce pauvr’ homme…

    Le camarade du soldat-pas-si-inconnu-que-ça s’esclaffa un bon coup et lui déclara qu’il le laissait gérer la situation, rentrant dans la taverne à son tour.
    Désormais seul avec sa cible, Inaros tenta le tout pour le tout en venant pratiquement s’écraser contre le soldat. Il posa sa paume sur son plastron, en le regardant avec une pointe de malice dans le regard (bordel, comment est-ce qu’il pouvait réussir à faire un truc pareil ?). Sa seconde main se glissa vers le fourreau de son épée, et il en attrapa la garde tout en s’exclamant.

    - Vous pourriez bien m’montrer comment vous savez vous servir d’votre deuxième épée…

    Bordel. Qu’est ce qu’il foutait ?! Il se serait mis des claques. C’était vraiment le seul plan qui lui était venu en tête ? Mais où est-ce qu’il était tombé ? Il avait déjà bien eu de la chance que le soldat-pas-si-inconnu-que-ça le laisse approcher à ce point. Il avait déjà dépassé les bornes. Il sentit la poigne lourde du soldat qui retirait la main de son épée.
    Le moment qu’attendait Inaros. Le soldat était assez concentré sur ce qu’avait osé faire le mercenaire en attrapant son arme.
    La main sur le torse du soldat se faufila jusqu’à sa poche et il en extirpa l’objet. Son regard croisa le sien une nouvelle fois, et il laissa s’échapper un rire légèrement gêné.

    - Je… , commença-t-il sans savoir où il allait. Il l’avait vu récupérer l’objet dans sa poche, c’était certain. Est-ce qu’il allait l’arrêter pour ce qu’il était en train de faire ou allait-il simplement l’envoyer balader sans prêter plus d’attention que ça à la catin qu’il incarnait ? Il n’était qu’une effroyable caricature. Peut-être que le soldat-pas-si-inconnu-que-ça pourrait se montrer clément. Au pire, Inaros pouvait envisager la fuite… Quoique, dans cette robe ? Il n’irait peut-être pas assez loin ni vite. Mais dire la vérité restait l’option la plus saugrenue à ses yeux. De ce qu’il avait entendu, les deux soldats étaient aussi beaufs l’un que l’autre et semblaient bien s’entendre. Il n’était pas impossible qu’il soit l’ami et le complice des méfaits du principal concerné par cette histoire.
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Sam 6 Fév 2021 - 17:14 #
    Suivant le soldat Rastakyan qui se dirigeait d’un pas trainant vers la taverne, après un dernier coup d’œil en aller-retour de celui-ci à la silhouette encapuchonnée qui disparaissait au détour d’une ruelle, Calixte ne résista pas à la curiosité de vérifier le contenu de sa poche étrangement alourdie. Ses doigts s’arrêtèrent sur des contours arrondis au toucher métallique, et ses sourcils s’arquèrent à la vision d’un joli bracelet finement ouvragé qui y avait été glissé. Renfonçant rapidement le bijou dans les replis de sa veste, incrédule, l’espion tourna à nouveau le regard vers l’endroit où l’inconnu s’était définitivement éclipsé. Personne ne faisait ce type de cadeau. A moins d’être certain d’obtenir certaines faveurs, ou avantages, par la suite. Il y avait là une pièce de puzzle d’un tableau qui lui échappait, et dont il n’était même pas certain de faire initialement partie.

    - Et non mais ça vaaa, j’vous dis. J’pas bu m’sieur l’garde. Presqu’pas.

    Reportant son attention sur l’homme qui se relevait d’un pas chancelant, le coursier nota que cela faisait longtemps qu’il n’avait pas eu à participer ce genre de patrouille basique, et que la confrontation aux citoyens avinés ne lui avait pas particulièrement manqué.

    - Bien sûr qu’vous allez bien. Maintenant dégagez si vous voulez pas d’emmerdes.
    - Ouais ouaiiis. J’me casse s’booon.

    De longues minutes, les deux gardes regardèrent l’homme se trainer le long des murs des bâtisses adjacentes, se ramasser deux ou trois fois, avant de finir par ramper péniblement jusqu’à un tas de caisses entre lesquelles il vomit promptement. Avant de reprendre sa route vers d’autres ruelles, loin de leur vue. Il y avait certainement ici quelques infractions à la loi du Royaume d’Aryon notables – et heureusement que la rue n’était pas très passante car ils ne faisaient rien pour améliorer la réputation de la Garde déjà malmenée – mais si le soldat Rastakyan était prêt à fermer les yeux pour se faciliter le travail, Calixte n’allait pas le contredire. Après tout, ses objectifs étaient légèrement différents, et il n’y avait pas là de quoi s’insurger. Ses priorités étaient ailleurs comme, par exemple, auprès de cette jeune femme avenante qui semblait avoir décidé de leur tenir compagnie.

    Dans sa robe écarlate mettant en exergue ses atours ostensiblement féminins, elle ne passait pas inaperçue. Et pourtant, bien plus préoccupé par l’attitude de son collègue et la nécessité de faire la lumière sur les accusations dont il était la cible, le coursier n’avait pas du tout remarqué l’arrivée de l’inconnue, pourtant aussi discrète que le nez au milieu d’un visage. Ses yeux parcoururent une première fois rapidement la silhouette de celle-ci, mais lorsque ses automatismes d’espion notèrent le cumul d’incohérences que celle-ci comprenait, son regard s’appesantit davantage.

    Elle était belle. D’un physique avantageux dont la peau dénudée trahissait certaines habitudes qui étaient loin d’appartenir à un être réduit à la vente de son corps pour survivre. Sa peau, laiteuse, avait ce grain velouté que le confort permettait d’obtenir. Ses courbes étaient celles de quelqu’un mangeant à sa faim et s’entretenant physiquement. Et sous la terre recouvrant partiellement leur paume, on devinait la délicatesse des mains comme la manucure relativement récente des ongles. Il y avait par endroits quelques éléments discordants que Calixte ne s’expliquait pas – pas si rapidement – mais qui correspondaient mal au statut précaire de prostituée. Comme les ecchymoses éparses aux points d’appui, qui faisaient plus songer à d’étranges activités de crapahutage plutôt qu’à la réalisation de positions répétées inconfortables dans le cadre d’un travail pénible, dangereux, où les traces auraient été plus marquées et diffuses. Mais surtout, il y avait dans la présentation de l’inconnue un empressement certain, évident pour les yeux avisés de l’espion. La saleté de ses blonds cheveux était toute récente, son incurie feinte des plus superficielles, la misère de son habit grossière. Sa besace, même, était immaculée et de facture honorable. C’était là une mise en scène maladroite, imparfaite, hâtive. Ce qui ne l’empêcha guère, lui-même tout à son rôle, d’adresser un regard lubrique à l’inconnue. Car après tout, à œil naïf et esprit peu recommandable, il y avait bien là femme de joie.

    L’éclat de rire de son collègue lui fit temporairement détourner le regard, et il lui adressa un sourire entendu alors que ce dernier pénétrait dans la taverne à la recherche de la soldate Assan. Le temps de ce simple échange, la femme déguisée en catin vint se coller contre lui, et Calixte réprima un sursaut de surprise pour reposer un regard plus hautain sur celle-ci. Partagé entre la curiosité – n’avait-il pas, d’ailleurs, déjà croisé ce regard comme cette courbe du visage auparavant ? – et l’irritation d’être ainsi perturbé dans son travail, il allait l’entrainer à l’écart pour lui demander très franchement quelles étaient ses intentions, lorsqu’elle poussa l’audace à se saisir de son arme. Un fol instant, le coursier se demanda si elle était en réalité de la Cabale et, l’ayant reconnu malgré son propre déguisement succinct, comptait le pourfendre rapidement au milieu de la rue. Instinctivement, répondant à cet éclair de doute, sa main chassa celle, possiblement infiniment dangereuse, de l’inconnue. Il allait d’ailleurs poursuivre le geste en dégainant sa lame, soudainement plus enclin à la prudence qu’au jeu – même si plus les secondes s’égrenaient plus sa logique lui indiquait que l’approche était bien trop grossière pour qu’il y eût un lien avec l’organisation assassine – lorsque la jeune femme profita de l’instant de transition pour lui faire les poches. Ou, plus particulièrement, récupérer l’étrange bracelet qui lui avait précédemment été laissé ; à en croire le poids dont était délestée sa veste. En toute indiscrétion.

    Aurait-il été sous son véritable visage, Calixte aurait ri de l’incrédulité de la situation. Mais engoncé dans le rôle de Cael Walsh, avec un objectif bien particulier en tête pour la soirée, il attrapa les poignets de la jeune femme et vira sur elle un regard soupçonneux et méprisant.

    - Toi et moi, il va falloir qu’on parle, déclara-t-il en tirant prestement l’inconnue à l’angle de la taverne, un peu plus à l’écart du chemin passant. Circulez, y a rien à voir, aboya-t-il aux rares badauds qui observaient la scène avec intérêt.

    Comme l’abri sommaire de l’ombre d’un haut-vent de la taverne les accueillait, observant attentivement la jeune femme dont la tension dans les épaules et la posture défensive ne lui assuraient que des complications à venir, Calixte récupéra d’un geste fluide le bracelet qu’il l’avait vue récupérer et le brandit entre eux deux.

    - Est-ce que tu sais ce que…
    - Hé Walsh ?! Y a la p’tite qu’aurait entendu crier. Elle commence à vraiment m’faire chier. T’as coffré ta pute ou…

    Le regard du soldat Rastakyan, qui avait balayé avec nonchalance l’espace devant le bar s’arrêta sur eux, puis définitivement sur le bijou. Un voile obscurcit son visage, mélange de jalousie et de colère, et en une fraction de seconde, il les eut rejoints. Incertain de la conduite à adopter, Calixte le laissa poursuivre.

    - ‘tin il sort d’où ce bracelet ? Ça fait des jours que j’veux mettre la main dessus ! C’est son prix, c’est ça ? Ou elle essaie de t’le vendre à un tarif indécent ? Fais gaffe, j’suis sûr elle l’a volé ! Passe-le moi et j’vais l’ramener au vendeur direct, ça sera plus simple. En plus j’aurai ptet une com’. On pourra partager bien sûr.
    - C’est l’mien, décida de trancher l’espion en tentant de tirer le meilleur parti de la situation. Elle était en train d’essayer d’me l’chourrer la pétasse. Et même si elle l’avait voulu comme tarif… Ceci dit, elle est pas dégueu, ajouta-t-il à voix basse en jetant un coup d’œil empressé à leur entourage relativement désert. ‘fin j’dis ça parce qu’avec Monique c’plus comme avant mais…
    - Hé Walsh, déstresse ! le rassura Martin dont l’attitude retrouvait sa confiance de plus tôt. Ecoute, j’comprends complètement, ajouta-t-il en se penchant vers eux dans la confidence.
    - Ouais ? Parce que dans la Garde, t’sais y a pas mal de puristes…
    - Comme Assan, là. T’as raison, faut faire gaffe. V’là c’que j’te propose : j’t’avoue que ce bracelet ça fait un moment que j’lorgne dessus ; on peut s’arranger pour qu’tu fasses ton affaire discrétos. Mais décide vite, la casse-couille sera bientôt là.

    Faisant semblant d’hésiter un court instant, Calixte finit par tendre le bracelet à son camarade qui l’attrapa d’un geste empressé.

    - Merci collègue, j’suis sûr qu’tu regretteras pas, conclut l’homme dont le soulagement était visible bien qu’il tentât de paraitre maitre de la situation. J’vais même m’occuper d’la jeunette casse-burne ; rejoins-nous d’ici une heure à l’entrée de la Caserne pour la fin de la patrouille.
    - T’es un vrai, remercia le coursier en tapant amicalement l’épaule du soldat Rastakyan. Faudra qu’on s’fasse plus de missions ensemble.
    - On verra, éluda l’homme, visiblement pas tout à fait prêt à arranger ses affaires à n’importe quel prix. Emprunte ce passage-là, juste derrière y a une impasse avec caniveau qui donne sur l’arrière de commerces fermés à c’t’heure-ci. Tu seras tranquille.

    Acquiesçant, Calixte adressa un bref salut à son camarade, et entraina l’inconnue précisément jusqu’au lieu – à quelques mètres à peine – indiqué. Où il faillit, promptement, recevoir un poing au milieu du visage. Qu’il para de justesse, avant de recevoir un coup bien trop précisément placé sous la ceinture, qui lui coupa le souffle et lui fit lâcher la jeune femme qui, visiblement, n’attendait que ça. Cependant, avant qu’elle ne pût s’enfuir tout à fait, le garde, plié en deux, se jeta instinctivement sur elle et, attrapant maladroitement les jambes graciles, les fit brutalement heurter le sol pavé de la petite cour. Un peu sonné, et toujours indisposé par son entre-jambe, l’espion ne remarqua pas son adversaire se saisir d’une petite pochette. L’éclat incomparable du tranchant du verre attira cependant son attention, et il les fit tous deux fusionner chacun avec une dalle tandis que les petites lames aiguisées fondaient vers lui. Assurément pour, une nouvelle fois, offrir une ouverture de fuite à sa créatrice. Un souvenir vint irriter l’orée de la conscience du coursier mais, autrement occupé, il n’y prêta guère attention.

    - Stop ! Je ne vous ferai rien, je veux juste comprendre ! s’exclama-t-il alors qu’il défusionnait presqu’aussitôt pour observer le pavé dans lequel il avait glissé la jeune femme.

    Grimaçant à l’inconfort de ses parties intimes, il s’assit jambes écartées et jeta un rapide coup d’œil par-dessus son épaule pour vérifier qu’ils étaient toujours bien seuls.

    - Je ne dégainerai pas d’armes, et je ne vous sauterai pas dessus lorsque vous sortirez de cette dalle, promit-il dans un soupir. C’est mon pouvoir, expliqua-t-il sommairement. Et c’était un peu cavalier, je vous prie de m’excuser. Mais vous ne m’avez laissé que peu de choix. D’ailleurs, si je n’ai guère l’objectif de vous faire du mal, je ne demeure pas moins garde. Et j’ai comme l’impression que votre bracelet – celui pour lequel vous m’avez fait les poches et celui que quelqu’un m’a malheureusement passé un peu plus tôt – est peut-être lié à ma propre enquête. Aussi, tant que je n’aurai pas d’informations de votre part quant à celui-ci, je crains ne devoir vous renouveler l’expérience d’être une dalle.

    Probablement que si le pavé avait pu lui faire un doigt d’honneur, qu’il ne se serait pas gêné. Une fraction de seconde plus tard, la jeune femme réapparut à ses côtés, défusionnant à son tour, aussi échevelée que lui. Un temps, ils se toisèrent. Puis l’espion se sentit obligé de préciser galamment :

    - Vous avez un sein qui sort de votre décolleté.
    Ivara Streÿk& Inaros
    Ivara Streÿk
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Dim 7 Fév 2021 - 18:01 #

    À la mesure du passage

    des astres

    Inaros


    Il se détestait pour s’être mis dans cette situation, sans avoir trouvé une autre alternative. Le mercenaire devait se ressaisir et ne pas laisser la situation s’envenimer. Mais le déroulé des événements lui échappait de plus en plus. Il n’avait pas d’autre choix que de docilement se laisser emmener un peu plus loin et d’assister, impuissant, à l’échange entre le soldat-pas-si-inconnu-que-ça et son collègue. La seule satisfaction que tira Inaros de cette conversation fut le retour du bijou dans les poches de sa cible. Le reste de son plan pourrait se dérouler comme prévu. Il ne prêta même pas attention aux différents surnoms, plein de charme, qu’on lui prêta. Il s’était lui-même glissé dans ce rôle, celui de la fille de joie. Il ne fallait surtout pas que la sculptrice l’apprenne un jour. Il lui avait promis de ne pas se mettre dans des situations délicates pour elle, et encore moins de se balader sans masque sur le visage. Mais la Capitale était grouillante de vie. Des milliers de personnes parcouraient les rues chaque jour. Il pouvait au moins compter là-dessus pour que personne ne reconnaisse la tisseuse de verre. Cela aurait été un sacré coup du destin. Ou juste de la malchance. Et Inaros détestait devoir se baser sur de trop petites probabilités pour prévoir ses plans d’action. Il préférait les choses concrètes et calculables. Partir à l’aveuglette était, à ses yeux, une idiotie. Il aimait avoir le contrôle sur ce qu’il faisait. De l’extérieur, il semblait avoir le regard perdu dans le vide. Il n’en était rien. Il réfléchissait au meilleur moyen de s’échapper et de semer le garde Walsh - comme l’avait appelé son acolyte. Sans opposer de résistance, il se laissa conduire jusqu’à l’impasse. Il ne pouvait pas espérer s’enfuir par le caniveau, mais le dédale des ruelles pourrait certainement jouer en sa faveur. C’est avec cette étincelle d’espoir qu’il tenta le tout pour le tout en envoyant son poing valdinguer sur le soldat. Il esquiva et para avec aisance, ce qui ne laissa pas le choix à Inaros. Il savait. Il connaissait cette douleur. S’il avait pu la lui éviter, il l’aurait fait. Après tout, le soldat Walsh n’était pas impliqué dans cette affaire, du moins initialement.

    Mais rien ne se passa comme prévu et il se retrouva… Où est-ce qu’il se retrouva ? Qu’est-ce qui venait de se passer ? Il ne pouvait pas bouger, mais il entendait. Il l’entendait même très bien, ce qui le surprenait davantage. Il essaya de se concentrer sur sa respiration pour la calmer et faire ralentir les battements de son cœur. La prise de conscience de ses muscles, éléments très rationnels, lui permit de se détendre et de ne pas paniquer. Il ne savait pas où il était, mais c’est Walsh qui en était à l’origine. Le mercenaire pouvait même le voir. Il s’était assis devant lui, jambes écartées, en lui donnant de maigres explications qui l’interpellèrent. La faute à ce foutu bracelet et l’indiscrétion dont il avait fait preuve, et peut-être aussi une certaine pointe d’arrogance en pensant pouvoir le duper aussi grossièrement. Avec l’autre soldat, ça aurait sûrement marché. Cette réflexion le conduisit à s’interroger sur le brusque changement de comportement et d’accent de Walsh. S’était-il joué de son collègue en ayant des réactions aussi lourdes que les siennes ? De plus en plus méfiant, Inaros n’eut pas le luxe de creuser dans cette direction puisqu’il sentit soudain ses genoux heurter la surface dure et froide des pavés. Il se rattrapa de justesse en posant ses mains devant lui, ses cheveux tombant devant son visage et lui obstruant la vue pendant un court instant. Un peu déboussolé, il se redressa et confronta du regard le soldat.

    La remarque sur son décolleté ne l’affola pas. Au contraire, il pesta presque en remettant le dit sein à sa place. Le geste était maladroit, imparfait, trahissant qu’il n’avait pas l’habitude d’utiliser ce corps. Inaros le voyait comme un déguisement, un costume qu’il n’avait pas le choix de revêtir. Ce qu’il touchait ne lui appartenait pas pleinement et il ne se l’était pas encore approprié. La seule chose qui le contrariait, c’était les regards lubriques qu’on posait dessus. Il avait l’impression que cela le décridibilisait totalement. Il en était agacé.
    Rhabillé, il se releva en levant les mains, pour montrer au soldat qu’il ne comptait pas l’attaquer. Lui-même avait tenu sa promesse en ne lui sautant pas dessus une fois…

    - « Sortie de la dalle » ?! , il fronça les sourcils en toisant l’inconnu. Il l’avait vraiment fait rentrer dans cet objet plein ? Décidément, certaines personnes possédaient des sixième sens bien particuliers. Qui sait dans quoi il pourrait encore le faire rentrer. Il fallait qu’il soit prudent.

    Le mercenaire mâchait ses mots mais c’était bien la voix fluette et légère d’Ivara qui lui servait à communiquer avec les autres. Si seulement il était assez riche pour s’acheter un de ces objets permettant de modifier sa voix à sa convenance, ça lui changerait bien la vie. Après deux lunes, lui-même n’était pas encore tout à fait habitué à ce timbre de voix qu’il n’aimait pas. Dans cette situation, il la détestait encore plus.
    Ce n’était toutefois pas un comportement qu’on pouvait qualifier de “féminin”, si tant est que cette dénomination ait du sens. Il paraissait même plutôt rustre et bourru, ce qui était en contradiction avec sa silhouette toute en courbes et en élégance. De ce fait, il n’en avait rien à cirer de l’attitude cavalière ou non de Walsh. Il cherchait le concret.

    - T’poche avait l’air bien lourde. J’voulu vérifier c’qu’y’avait d’dans c’tout., commença-t-il à expliquer, sans en dire davantage. Walsh pourrait bien en tirer les conclusions qu’il voulait. D’un signe de tête, il désigna l’endroit où il avait porté son coup. Si t'avais gentiment prit ma droite, j't’aurais pas s'nné les clochettes.

    Il ne comptait pas en révéler davantage. Il ne connaissait pas ce Walsh, mais quelque chose l’avait interpellé dans ce qu’il avait dit pendant qu’il avait été une dalle.

    - Une enquête ? T’mène une enquête en lien avec l’bracelet ?

    Il était suspicieux, très méfiant. Le contrat qu’il réalisait n’était pas censé être un piège pour le mercenaire. Le gérant de la boutique aurait-il engagé quelqu’un d’autre qui l’aurait doublé ? Il devait en avoir le cœur net.

    - Ou bien c’t’en rapport direct avec ton collègue, l’gros lourdingue qui m’semble avoir une vision bien d’placée d’la femme ? Mais… Si les gardes s’faisaient arrêter pour misogynie, ça s’saurait...

    Dans ce cas, Inaros devait savoir à qui il avait affaire. Il se tenait sur ses gardes, une de ses jambes s’étant instinctivement reculée vers l’arrière, comme pour lui permettre de mieux prendre appui pour porter un autre coup ou détaler à toute vitesse. Il aurait certainement pu réaliser cette dernière option plutôt que de prendre le temps de répondre à Walsh, mais il ignorait tout de son pouvoir. S’il pouvait l’activer à distance, il allait aussitôt passer une nouvelle fois le bonjour à cette charmante dalle. Hors de question. Il pouvait aussi très bien le mener par le bout du nez et ne pas l’avoir fait sortir pour qu’il réponde à ses interrogations, mais plutôt pour prendre le temps de recharger son pouvoir et le coincer encore avant d’appeler d’autres de ses collègues. En bon mercenaire qu’il était, il n’avait aucune confiance envers les soldats. Au contraire, il les évitait comme la peste. Walsh pouvait très bien bluffer et vouloir l’entourlouper avec cette histoire d’enquête. Inaros était d’avis que plus il pourrait avoir de renseignements sur le bonhomme et mieux ça vaudrait.
    Impossible pour lui de reconnaître Walsh en la figure de l’illustre inconnu qu’il avait croisé quelques semaines plus tôt. Il n’avait même jamais entendu cette voix. Assurément, il était garde. Il ne pouvait pas en être autrement puisqu’il s’était parfaitement mêlé aux deux autres lors de la patrouille. Rien n’était clair, et Inaros n’appréciait pas ça.

    Heureusement pour eux, l’impasse n’était pas fréquentée et personne ne risquait de pointer le bout de son nez ici. Ils avaient tout le loisir d’en apprendre un peu plus sur les motivations de chacun et sur les événements qui avaient mené à cette étrange rencontre.

    - T'essayerais pas d'me gruger en attendant d'pouvoir r'lancer ton pouvoir pour m'refoutr' dans l'dalle?
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Lun 8 Fév 2021 - 21:58 #
    La jeune femme remit ses attributs en place, et Calixte ne put s’empêcher de tiquer à nouveau. Il y avait dans les manières de l’inconnue, quelque chose de complètement discordant avec son apparence. Pas avec celle de la péripatéticienne qu’elle semblait souhaiter incarner pour une raison obscure, mais bien celle de base, de la gracile blondinette à la peau laiteuse. Curieux, et d’autant plus investi que cela lui évitait de trop penser à ses bijoux de famille un peu bouleversés, il laissa son regard étudier davantage la silhouette qui se redressait à côté de lui. Elle était relativement grande, pour une femme, sans doute presqu’autant que lui. Ses cheveux dorés – sous la couche grossière de terre – gardaient le pli d’une coiffure récente, probablement nattée. Leur éclat mal dissimulé évoquait la toilette délicate dont ils devaient être habitués, à l’image de celui des ongles à la manucure égale, si ça n’était déjà un peu usée. Il y avait cependant des cernes mal dissimulés sous les yeux à la teinte oscillant entre l’émeraude et le saphir, d’autant plus réhaussées par le rouge hâtivement appliqué sur les fines pommettes. Comme si l’inconnue prenait soin d’elle, mais que l’art du maquillage lui échappait complètement. Mais peut-être cela ne faisait, comme le reste, que parti de sa présentation rudimentaire.

    Il y avait aussi comme un défaut de coordination, très léger, dans ses mouvements prudents. Qui aurait pu passer pour conséquence de l’alcool, si ça n’était pas un parfum légèrement fleuri – sous les quelques notes terreuses – sans doute trace olfactive de sa lessive plus qu’autre chose, que l’espion avait humé lorsqu’ils avaient été au contact l’un de l’autre. Alors quoi ? Cela découlait-il aussi de sa mise en scène bancale ? Aussi informe que sa robe rouge hâtivement sabotée ? L’inconnue ouvrit la bouche, et les sourcils de Calixte s’envolèrent haut sur son front. Il avait lu quelque chose comme ça ; la Belle et la Bête, avec un prince dans le corps d’une affreuse créature. Il y avait-là quelque chose de cette engeance, en inversé, avec un quelconque grognours derrière le masque de porcelaine. Un être mal dégrossi, au verbe abrupt, dont la rudesse exsudait de la silhouette raffinée qu’il habitait. Etait-ce là le résultat d’un pouvoir ? D’une potion d’apparence, peut-être ? Une âme disgracieuse qui aurait souhaité, le temps de quelques heures, profiter de courbes soignées. Pour ensuite enfiler l’habit mal taillé d’une prostituée. Pour aller faire les poches de gardes en patrouille. On avait déjà vu moins alambiqué comme plan. Surtout que, visiblement, le bracelet en question avait en réalité à voir avec le soldat Rastakyan.

    Repensant aux propos de la femme-qui-n’était-certainement-pas-ce-qu’elle-semblait-être-à-aucun-niveau-compréhensible-pour-lui, tout en continuant à observer prudemment la posture tendue de celle-ci, le coursier se releva doucement. Ses attributs avaient certainement connu de meilleurs jours, mais la maladresse coutumière du jeune homme lui avait déjà fait subir pire.

    - Que l’on soit clairs : non, je ne cherche pas à vous remettre dans une dalle, mais si la situation me semble opportune je n’hésiterai pas, répondit impassiblement Calixte en suivant du regard les mimiques de l’inconnue.

    Pour quelqu’un qui tentait de dissimuler tout un tas d’évidences, elle restait trahie par ses armes les plus basiques : l’intonation de sa voix, la focalisation de ses prunelles, la tension de ses membres. L’appréhension entrecoupant sa respiration. Son désir de fuite se devinait aussi clairement que si elle l’avait hurlé.

    - Parce que de vous à moi : il n’y a à peu près pas grand-chose de non suspect dans votre attitude. Que ce soit dans votre apparence en mille-feuilles quelque peu perturbante, dans la pseudo tentative de vol, l’utilisation d’un bracelet en rapport – quel rapport ? – avec mon collègue qui sort de je ne sais où, et l’interrogatoire sommaire d’un membre de la Garde sur ces mêmes sujets douteux. Et si vous pensez que vous n’avez à rien à me prouver, c’est tout à fait votre droit. Ce qui, aux yeux de l’institution que je représente, risque d’être un peu moins entendable. Donc s’il faut en revenir au pavé…

    Il n’était pas la peine de préciser qu’il pouvait aussi simplement fusionner, et faire fusionner, dans autre chose que les dalles du sol. Vu la tournure des évènements, mieux valait qu’il gardât certains atouts dans sa manche. Comme, notamment, son teisheba qu’il sentait toujours lové contre son bras.

    - Maintenant, si vous voulez qu’on parle affaires, voici les choix qui s’offrent à nous : si nos objectifs s’accordent, il n’est pas impossible que nous travaillions ensemble, mais il va me falloir plus que des interrogations de votre part. S’ils ne s’accordent pas… je suppose que l’on improvisera. Mais n’ayant pas le loisir de vous accorder un temps infini, je pense qu’il sera plus raisonnable que nos chemins se séparent. Pour ne pas se recroiser dans des circonstances similaires. Le pardon – de la Garde, j’entends – est fragile à la récidive.

    Reculant de quelques pas pour laisser l’inconnue profiter d’un peu plus de liberté, et peut-être de réconfort relatif, son regard accrocha brièvement les débris de verre crissant sous ses bottes. A nouveau, un souvenir fugace, comme la flamme fragile d’une allumette, lui fit marquer un temps de pause. Songeur, il finit par demander d’un ton résolutif :

    - Quel est votre objectif avec ce bracelet ?

    L’objet allait à présent servir ses desseins, et cela pas plus tard que dès la fin de son service où il irait payer une visite au soldat Rastakyan chez lui, accompagné de la jeune Assan. Il pouvait imaginer que la femme-qui-n’était-certainement-pas-ce-qu’elle-semblait-être-à-aucun-niveau-compréhensible-pour-lui eût aussi un intérêt quelconque à ce que l’homme mît la main sur le bijou, et si celui-ci rejoignait le sien il y avait certainement matière à appuyer la mission qu’il était en train de mener. Mais si ça n’était pas le cas ou que le désir de fuite – ou la défiance – était plus fort, alors s’en irait-il sans demander son reste. Son assignation était plus pressante que l’arrestation d’une personne dont le principal vice avait été de lui faire les poches pour récupérer un objet qu’elle – ou probablement un associé, risquant de compliquer encore l’affaire s’il tentait de passer les menottes à l’inconnue – lui avait mal placé quelques minutes auparavant. En visant son collègue, apparemment. Collègue, qui avait clairement avoué lorgner dessus depuis un certain temps, et qui n’avait pas paru reconnaitre la jeune femme. Se retenant d’énoncer la conclusion à laquelle il arrivait par lui-même avec les éléments qu’il avait, le regard de Calixte se fit plus curieux et moins circonspect sur son interlocutrice. Il y avait là l’envie candide de savoir, mais surtout l’intérêt d’observer l’étendue des réactions possibles de celle-ci. Il se tût donc, dans l’expectative.
    Ivara Streÿk& Inaros
    Ivara Streÿk
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Dim 21 Fév 2021 - 20:00 #

    À la mesure du passage

    des astres

    Inaros


    « Oh non, pas la dalle !»
    Pendant qu’il parlait, le mercenaire observait le garde en réfléchissant à la situation dans laquelle ils étaient et en essayant de déterminer ce qu’il serait le plus habile de faire pour s’en sortir.

    Fuir était exclu. Les options proposées par Walsh n’allaient pas dans ce sens et méritaient qu’il y accorde un peu plus d’attention. Il ne fallait pas aussi oublier qu’il n’avait rien révélé de plus sur son pouvoir, Inaros devait rester prudent. Il s’était placé dans une position déjà suffisamment grotesque et sans un grand nombre d’atouts dans sa poche…
    Il pouvait choisir d’instaurer un dialogue et un échange poli et courtois avec le soldat. Il était déjà suspect à ses yeux et, à chaque fois qu’il parlait, il faisait mouche. Pour preuve, il avait fait le lien entre le bracelet et son collègue. Mais Inaros ne pouvait pas sourire, ouvrir ses bras, donner l’accolade au soldat et lui proposer de tout lui raconter derrière une bonne bière. Il restait méfiant, rien ne garantissait qu’il n’était pas en train d’essayer de le duper. La garde, il se l’était déjà mis à dos il y a quelques années et il préférait éviter d’être attrapé. Des objectifs s’accordant… Était-ce vraiment possible ?
    Il devait être concis, répondre brièvement à sa question. Il ne lui devait rien. Mais que faire ? Dire la vérité, totale ou partielle ? Ou bien mentir ? L’homme dans le corps d’une femme hésitait.

    Il se redressa, abandonnant sa position de fuite en ramenant sa jambe tendue vers l’avant et en croisant ses bras sous sa poitrine. Ses sourcils étaient toujours froncés et il essayait de remarquer un détail, même subtil, dans l’apparence du garde qui pourrait lui indiquer quelles étaient ses intentions. Étrangement, son regard semblait moins suspicieux. Il attendait, réellement et avec curiosité, la réponse d’Inaros. Il se décida, poussant un léger soupir qui marqua sa prise de parole.

    - L’bracelet a toujours été destiné à l’autre, ton pote. Parlant d’lui…, il marqua une pause pour analyser les réactions de Walsh. Il paiera c’qu’il a fait. Qu’ce soit en finissant coincé entre quatr’ murs ou six pieds sous terre à bouffer des pissentlits.

    Aucune élégance dans ses propos. Mais il fut surpris de constater que Walsh ne semblait pas étonné de  cette réflexion. C’était comme s’il était au courant de tout ça. Il lui sembla d’ailleurs apercevoir une autre lueur dans le regard du soldat.
    Mais qui était cet homme ? Il pointa son doigt vers la poche du soldat, poursuivant sa tirade.

    - D’ici peu, on criera au vol. Sois donc heureux qu’j’ai essayé d’te sauver les miches. Le mercenaire savait bien ce qu’il disait. Sans nouvelle de sa part, le marchand se rendrait à la garde pour faire part du vol et de ses soupçons sur le coupable. Il prétexterait n’avoir pas pu fermer sa boutique avant le coucher du soleil, sous peine de perdre une journée complète de rendement. C’pendant, il va falloir qu’on éclaircisse un point. J’suis p’t’être seul’ment l’catin qu’ils ont débauché pour c’job, mais toi... Il marqua un nouveau temps d’arrêt en approchant d’un pas du soldat, le doigt cette fois pointé vers son torse. Toi, t’caches un sacré truc. J’sais pas c’que c’est mais t’as intérêt d’vite m’dire si nos intérêts convergent.

    Il n’était pas un soldat ordinaire, mais Inaros ne pouvait pas exprimer cette hypothèse à haute voix. C’était la simple réaction de Walsh à sa remarque sur le bracelet qui l’avait mis sur la piste. Il y avait quelque chose… Mais quoi ? Était-il possible qu’il fasse partie d’une unité d’élite de la garde, chargé de surveiller les éléments limites de cette faction ? La milice avait-elle enfin décidé d’agir mais les citoyens avaient perdu patience ? Un peu las de cette conclusion, détestant que les contrats se mélangent et encore plus avec la limite légale et illégale, il passa sa main sur son visage couvert de terre et de poussière pour se frotter les yeux quelques secondes. Une hypothèse loufoque traversa son esprit : Walsh pouvait tout aussi bien être un autre mercenaire.

    - J’sais bien qu’t’as l’air en position d’force, mais j’pense bien mériter d’savoir qui t’es. Puis d’façon, si t’essaies juste d’gagner du temps, j’suis encore plus gagnante puisqu’on m’attend.

    Un mensonge, évidemment, mais Walsh n’avait pas mentionné ce qu’Inaros avait fait plus tôt. Avec un peu de chance, il avait attribué les deux situations à deux personnes distinctes. La question pourrait aussi lui être retournée. Le seul prénom féminin qui lui vint instinctivement en tête fut celui de sa mère, Katemia.

    - J’m’appelle Kat. J’sais pas grand-chose de plus que c’que j’viens d’te dire là. L’approche était p’t’être un peu abrupte mais, si l’autre type se trouve vraiment être ton pote, et ben...

    Il haussa ses épaules en jetant un énième coup d’oeil derrière lui. Personne ne venait. Avait-il pris la bonne décision ? Il le verrait bien. Pour l’heure, il devait attendre de savoir ce que voudrait bien lui révéler le soldat. Sa cible avait le bijou en poche, son contrat se déroulait à la perfection et il n’en demandait pas plus.

    - J’te conseille d’mieux choisir avec qui tu t’allies, dans c’cas.

    Il avait préféré instaurer le dialogue avec Walsh. Croisant ses bras sous sa poitrine, il attendit avec autant de curiosité ses réponses. S’il tentait de le duper, il répliquerait. Son regard se posa une demi-seconde sur les débris de verre sous la semelle de Walsh. Si seulement il avait été capable d’apprendre à contrôler à distance ses créations. Foutu pouvoir qu’il ne maîtrisait que depuis quelques semaines.
    L’échange s’arrêterait peut-être ici si le soldat préférerait tourner les talons pour ne pas en révéler davantage. Ce n’était pas le problème d’Inaros. Il préférait pouvoir se sortir d’ici sans encombre.

    Plus loin, un homme fermait à clé la porte de son commerce. Il était décidé à aller voir la garde pour dénoncer un vol. Le soleil entamait sa lente descente pour laisser sa place à l’astre lunaire.
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Ven 5 Mar 2021 - 9:53 #
    Réfléchissant aux informations – succinctes – que « Kat » lui avait remises, Calixte se dit qu’ils étaient loin d’avoir trouvé un terrain d’entente et de coopération. Cela ne l’étonnait guère. La jeune femme, pour toute la délicatesse de ses traits, semblait être de ceux farouchement habitués à ne pas dépendre d’une autorité autre que celle de la rue, et lui-même, pour toute sa curiosité, était perclus de prudence. Comme d’obligations. Non, vraiment, il valait mieux pour tout le monde que leur entrevue touchât à sa fin, ou les choses risquaient de déraper et pas dans le bon sens.

    - Ils convergent, finit-il par répondre. Mais tout comme vous ne semblez pas prête à me faire confiance, je n’en ai aucune en vous. Ou, tout du moins, pour régler cette affaire de manière licite.

    Le bracelet serait sa porte d’entrée pour la perquisition implicite de la soirée, mais il savait qu’il ne pourrait se baser uniquement sur cet objet, quoi qu’en pensât la jeune femme. Et ses acolytes. Puisqu’apparemment quelqu’un d’autre allait s’occuper de crier au vol. Peut-être le même individu que celui qui s’était trompé de poche. Et c’était là la seconde raison pour laquelle le garde trouvait finalement plus raisonnable que leur pas se séparassent ; il prenait déjà bien trop de libertés en s’associant, même brièvement, avec cette étrange personne, alors d’en impliquer encore davantage visiblement prêtes à tout pour faire tomber son collègue… Fronçant légèrement les sourcils, il observa encore un temps son interlocutrice. Celle à la silhouette délicate mais au phrasé de charretier. Aux propos sur la défensive mais aussi déterminés dans leur propre justice. Capable de larges efforts – voire inconsidérés ou ridicules – pour mener à bien sa mission. A la capacité de modeler et manipuler le verre. Kat ; soi-disant. Il était à peu près certain que ce n’était son prénom ni de près ni de loin.

    - Vous avez soit beaucoup d’imagination, soit pas assez, poursuivit-il avec un sourire amusé. Je suis garde ; en enquête sur les agissements a priori illégaux de mon collègue, mais bien garde. Rien de plus, rien de moins.

    Levant doucement les mains en signe de paix, il commença à reculer pour quitter l’impasse dans laquelle ils s’étaient retrouvés.

    - Ce soir le soldat Rastakyan recevra la visite de ma collègue et moi-même ; dès-lors, si les raisons pour lesquelles vos acolytes et vous-même avez tenté de le faire tomber existent et sont prouvables, notre enquête sera certainement concluante. Comprenez que je ne souhaite nullement votre implication au-delà de vos précédentes manigances, car nous n’avons aucune confiance l’un dans l’autre. Ce serait contre-productif. Néanmoins, eu égard à votre aide – même indélicate – dans le rétablissement de la vérité, je laisserai auprès de Timon Verplin, le gérant de la taverne du Smilodon Vacillant, notamment connu pour sa discrétion, une copie du compte-rendu de cette affaire. A l’adresse de « Kat », bien évidemment.

    Il effectua encore quelques pas en arrière, et son regard accrocha l’éclat vif des morceaux de verre dispersés contre les pavés. Cédant à l’appel d’un souvenir faisant le lit de l’espoir et de la curiosité, il leva trois doigts à l’adresse de la jeune femme, mimique d’un geste d’une soirée précédente.

    - Bien que j’apprécie vous croiser en mission – surtout si c’est pour nous aider – peut-être la prochaine fois pourrions-nous simplement partager un verre, finit-il en observant une dernière fois le visage de Kat, avant de s’éclipser dans les ruelles de la Capitale, et retourner à des préoccupations plus pressantes.

    ~

    Le document, scellé de l’emblème standard de la Garde comme la plupart des courriers passant par le bureau de poste des Casernes, avait été déposé, comme convenu, auprès de Timon Verplin. L’action, ni usuelle ni complètement déplacée, n’avait arraché à l’homme aucune réaction particulière, et il s’était contenté de réceptionner le message contre une poignée de cristaux. La teneur de celui-ci, qui comprenait davantage d’éléments que ceux qui seraient rendus publics suite à l’affaire, n’était cependant en rien compromettant pour la Garde et Calixte n’avait même pas pris la peine de crypter, même un minimum, les mots que sa scribouilleuse avait tracés. Même si le papier devait tomber entre les mauvaises mains, il n’y avait là aucune information utilisable contre qui que ce fut, maintenant que le soldat Rastakyan avait été mis en examen.

    Suite à la journée d’enquête, et à l’intervention de Kat, Walsh et Assan s’étaient pointés chez leur collègue sous le prétexte que le premier regrettait finalement d’avoir donné le bijou et, profitant de cette porte d’entrée comme de la surprise du soldat Rastakyan, le duo avait pénétré dans la demeure de celui-ci. Il n’avait pas fallu bien longtemps à Calixte et Khadija pour déceler dans la pièce principale quelques éléments suspects, et la voix tonitruante de l’épouse Rastakyan, qui ne s’était pas rendu compte de l’arrivée impromptue des deux gardes, avait rajouté des doutes dans l’esprit des enquêteurs. Avant que leur collègue, ou sa conjointe, n’eût le temps de leur sortir les violons pour tenter d’expliquer l’inexplicable, un petit garçon d’environ sept ans, turbulent à souhait mais tout aussi bavard, avait conforté Calixte et Khadija dans leurs suppositions. Cette dernière avait dégainé plume et cadre magique dans un grand sourire et, sous les lamentations du couple Rastakyan, avait débuté son rapport largement documenté par l’enfant, preuves à l’appui sur la table du salon – apparemment ils avaient eu la chance de passer juste avant l’inventaire de la revente à venir.

    La suite de l’assignation n’avait cependant pas été aussi simple, ni plaisante, car madame Rastakyan et son fils – pour toute son aide inconsciente – s’étaient révélés de caractère peu commode. Voire mordant ; et ce très littéralement. L’enfant semblait souffrir de troubles du comportement et, au bout de quelques minutes, était parti dans une crise de colère à faire pâlir une tribu de fenrir, et les deux enquêteurs avaient dû s’abriter derrière une imposante plante d’intérieur dont le feuillage avait amorti l’atterrissage des objets lancés à leur encontre. L’épouse Rastakyan avait saisi l’occasion pour les invectiver, rajoutant de la cacophonie au bordel ambiant, et les deux collègues avaient dû fuir leur abri provisoire pour éviter les coups de poêle menaçant de leur fendre le crâne. Lorsque la situation avait finalement été calmée, à grand renfort de cris, sommations, négociations, et usage de pouvoirs, Martin Rastakyan avait semblé être le membre le moins inquiétant de la famille. Dépité, alors que toute une escouade avait rejoint Calixte et Khadija pour leur prêter main forte, il avait avoué faire de la revente d’objets onéreux afin de pouvoir financer les soins, lourds et nombreux, dont son fils avait besoin. Lui-même récupérait les artéfacts que ses patrouilles lui permettaient de repérer, et son épouse se chargeait ensuite de les écouler. Ses collègues usuels, conscients de ses difficultés familiales – et il semblait d’ailleurs que les relations conjugales étaient plus violentes que ce que l’homme avait bien voulu admettre sur le moment – n’avaient pas fait cas de ces excentricités comme des accusations qu’ils avaient pensées négligeables.

    Leur naïve tolérance serait examinée aussi objectivement que les délits de la famille Rastakyan, mais c’était là une affaire qui ne concernait plus le coursier. Avec le rapport laissé à l’attention de Kat, il avait joint la liste des objets suspects saisis au domicile des arrêtés, avec l’information de la date et du lieu où les légitimes propriétaires, sous couvert d’une justification adaptée, pourraient récupérer leurs biens. La missive, impersonnelle, n’avait pas été signée.

    ~
    Troisième lune saison chaude

    Calixte allait tuer Réno. S’il s’en sortait.

    Réno – son collègue coursier de la logistique du Bastion du Grand Port – s’était mis en tête d’aider leur collègue, Jasmine Klore, dans son enquête qui battait de l’aile. Calixte était à peu près certain que l’objectif latent de toute cette histoire n’était pas tant les résultats de l’assignation – sauf pour Jasmine – que l’impression positive qu’elle laisserait dans l’esprit de la jeune femme quant à Réno, et des points gagnés par celui-ci dans sa quête pour l’amener à son lit. Et Calixte, qui était aussi naïvement loyal que curieux, n’avait pas hésité à accepter la mission que son collègue lui avait proposée. Celle-ci, sur le papier, était pourtant simple. Un riche couple – sieur et dame Vachkiri – ayant accédé il y avait peu au titre de noblesse en raison de la prospérité remarquable de leur entreprise d’équarrissage, avait établi son domaine à la bordure sud des quartiers est de la Capitale. Le lieu, pauvre en comparaison du reste de la ville, avait offert aux Vachkiri une main d’œuvre bon marché et l’on savait qu’ils recrutaient leurs serviteurs parmi la jeunesse désabusée des rues. Contre leurs services, rémunérés assez correctement pour subvenir aux besoins de leurs miséreuses familles, les Vachkiri offraient aussi un accès à une éducation succincte, mais déjà appréciable. Des rumeurs cependant, évoquant une exploitation de ces enfants défavorisés ainsi qu’un traitement peut-être pas aussi correct que promis, avait attiré l’attention de la Garde et cela faisait quelques semaines que la soldate Klore enquêtait sur l’affaire. Néanmoins, elle n’avait jusque-là pas réussi à prouver une origine véridique aux potins malmenant la réputation des Vachkiri, et son assignation allait bientôt arriver à son terme, acquittant le couple. Et cela semblait agacer la militaire, car elle avait l’impression que ces rumeurs n’étaient pas que du vent, pas que le résultat de jalousies ou de méfiances, et qu’une affaire bien plus sombre risquait d’échapper à la Garde.

    C’était donc dans ce contexte que Réno avait proposé son aide, ainsi que celle de Calixte. Et que, un peu désespérée par son échéance arrivant à grands pas, Jasmine avait accepté. L’occasion de leur infiltration sur le domaine avait été tout à fait formelle, et absolument pas discrète. Sauf pour l’espion, qui s’était glissé dans une bille. Réno et Jasmine avaient accepté l’invitation des Vachkiri à une soirée mondaine, à laquelle le couple leur avait proposé d’interroger les autres convives présents afin d’attester de leur bonne foi et de leurs affaires en règle, mais avaient profité du pouvoir de l’espion pour faire entrer celui-ci de manière plus subtile, afin qu’il explorât le reste du domaine en toute liberté et discrétion. Ainsi, dès que le duo de soldats avait pénétré dans le manoir, la bille de Calixte avait été insinuée – jetée – dans un couloir adjacent, à l’abri du regard des invités comme du couple suspect. Et le coursier, après un moment d’observation prudente, avait défusionné pour se mettre en quête d’indices. Ses déambulations guidées par les conseils prodigués par Jasmine lui avait permis d’explorer vainement deux larges bureaux et trois chambres à coucher, avant que la filature un peu désabusée de l’une des jeunes serveuses ne lui conduisît à un passage dissimulé, ouvert par la bascule d’un livre précis sur l’une des étagères de la bibliothèque, et ne le fît s’enfoncer sous terre.

    Il avait trouvé là, dans le labyrinthe des couloirs souterrains, ce qui ressemblait à une large fosse ou une arène. Piquée de robustes colonnes soutenant le plafond haut au-dessus de la salle, délimitée par de massifs murets s’arrêtant à mi-hauteur, elle était surplombée par ce qui devaient être des gradins garnis de sièges molletonnés. Ce que cette pièce aux allures de cirque faisait là, sous le manoir fortuné, Calixte n’en avait aucune idée. C’était en se mettant en quête d’explications en furetant dans les salles adjacentes, que le coursier avait fait preuve de maladresse – pour sa défense les couloirs obtus et l’obscurité ambiante n’avaient pas joué en sa faveur – et était tombé nez à nez avec un trio d’enfants portant la livrée aux couleurs des Vachkiri. Le temps de quelques secondes, l’espion s’était réjoui de cette opportunité de pouvoir interroger ces petites têtes loin des oreilles intéressées de leurs employeurs. Et puis il avait dû se mettre à courir.

    Non, Calixte ne comprenait toujours pas ce qu’il en retournait vraiment des affaires des Vachkiri, mais visiblement cela impliquait de transformer leurs jeunes serviteurs en rudes – mortelles – sentinelles. Profitant d’un dérapage presque contrôlé dans un virage abandonné à l’obscurité, échappant d’un mouvement heureux de la tête à quelque chose de contondant s’écrasant quelque part sur sa droite, le coursier fusionna dans le mur menant à une pièce adjacente et, de fusion en fusion, s’éloigna avec empressement de ses poursuivants un peu trop zélés. Et sans doute sa fuite était-elle fructueuse, néanmoins cela ne l’empêcha pas de heurter de plein fouet, au détour d’une fusion vers un bureau tapi dans l’ombre, une silhouette androgyne. Rebondissant contre celle-ci dans le couinement d’une souris, Calixte fusionna par instinct dans la chose la plus proche à sa portée. Qui, en l’occurrence, était la combinaison de l’inconnu. De l’inconnue ; puisque, sous cette forme, il ne pouvait ignorer celles de son hôte. Et peut-être pas si inconnue que cela, à la réflexion, s’il se laissait abuser par le grognement qui avait fait écho à sa propre surprise, le vêtement qui lui rappelait une certaine nuit de première lune de saison douce, le faible éclat des yeux couleur lagon et des mèches dorées sous la lueur diaphane d’une veilleuse incrustée dans le mur. Celui, plus vif, d’une aiguille de verre sans doute tirée aussi automatiquement que lui-même avait fusionné.

    - Kat ! s’exclama-t-il dans un murmure avant de sortir du vêtement, les mains levées haut en signe de paix, dont l’une présentait le signe des trois doigts qu’il associait maintenant à l’étrange personnage. Il faut qu’on arrête de se croiser ainsi, ces rencontres inopinées vont avoir raison de mon battant. La prochaine fois je vous invite pour un verre, ou alors, si vous avez un cristal de communication, on peut s’arranger pour se coordonner.

    Le temps d’une petite pause, l’espion laissa la jeune femme prendre la mesure de la situation – après tout lui-même avait quelque peu changé d’apparence depuis leur dernière rencontre, gardant actuellement celle de Calixte – et écouta avec attention les bruits alentours, à l’affut du moindre signe de ses poursuivants. Toujours à voix basse, les sourcils froncés, il poursuivit :

    - Qu’est-ce que vous faites dans le coin ?

    Jusqu’à présent, leurs objectifs avaient toujours concordé. Aussi le coursier se demanda distraitement – les sens partagés entre l’observation prudente de Kat et celle de leurs alentours – si celle-ci enquêtait aussi sur le couple Vachkiri, ou si elle avait eu quelques échos suspects de la rue concernant les jeunes âmes employées par ces derniers. Ou si elle était de mèche avec l’affaire qui se dessinait lugubre dans ces sous-sols, ou bien encore si elle était là en quête de quelque chose de valeur à dérober. Ou peut-être tout autre chose. Après tout, bien que les fois précédentes la jeune femme n’avait pas semblé s’intéresser à ce type d’activités, il était difficile de juger une personne – surtout aussi secrète – seulement sur deux actes isolés.
    Ivara Streÿk& Inaros
    Ivara Streÿk
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Mer 24 Mar 2021 - 15:56 #

    À la mesure du passage

    des astres

    Inaros


    Ce qui devait être fait l’avait été. Peu importait les moyens utilisés, seule la réussite de la mission comptait aux yeux du mercenaire. Cette rencontre avait été bien surprenante et, bien que chacun soit trop campé sur ses positions, il avait été satisfait de la tournure des événements. Il avait filé sans demander son reste. Mais un élément l’avait intrigué. Le fameux trois que les trois doigts de Walsh avait formé en fixant les morceaux de verre. Une vague impression de déjà-vu. Un souvenir remontant des tréfonds de sa mémoire. Quelques doutes. Une coïncidence improbable. Ce ne pouvait être qu’un hasard. Ou un indice suffisamment étrange pour le rendre sceptique sur la véritable nature de l’homme. Il avait bien fait de rester méfiant. Pourtant, il n’avait pas eu de plaintes de la part du marchand qui l’avait embauché et il avait été payé à la hauteur de la réussite du contrat. Il s’était même rendu au Smilodon Vacillant, sait-on jamais. Il avait trouvé la missive soigneusement rédigée. L’affaire n’était désormais plus de son ressort. Il avait accompli sa part du marché et ce Walsh, ou qui que ce soit, l’avait achevé. Il préférait quand même être sur ses gardes. Il reprenait tout juste du service, ce n’était pas le moment de se faire griller.

    ***

    Être coincé dans cette enveloppe corporelle était une véritable épreuve mentale qu’il perdait, petit à petit, sans en avoir conscience. Ces derniers temps, il s’était replongé à corps perdu dans la reprise de ses activités illégales. Quelques rencontres l’avaient plongé dans l’incertitude et, si la question l’avait effleuré, il ne s’était pas plus préoccupé que ça de savoir si ce qu’il faisait était bon pour lui. Il le faisait parce qu’il en avait besoin. S’il n’était même pas capable de répondre à ce besoin, il perdrait toute envie de se battre pour survivre. Mais toutes ces préoccupations d’ordre psychiques n’étaient pas encore assez préoccupantes pour le mercenaire qui se fixait aussi un autre objectif : en apprendre plus sur le parchemin responsable de sa condition. Stentor, son défunt père adoptif, avait toujours répété qu’il s’agissait d’un exemplaire d’un parchemin de fusion mais sans jamais lui donner plus de détails à son sujet. Y avait-il d’autres exemplaires sur Aryon ? Était-il le seul à qui c’était arrivé ? Où Stentor l’avait-il eu ? Qui l’avait créé ? Il espérait trouver la réponse à ses questions, mais comment chercher et par où commencer ? Il s’était creusé la tête pendant des jours et des nuits. Force lui était de constater qu’il ne se souvenait plus de grand-chose, si ce n’est de rien, de ce que son paternel lui avait révélé sur le sujet. Il se souvenait vaguement d’une histoire de jeu dans l’une des tavernes de la Capitale. Il avait donc récolté différentes informations, surtout grâce à son réseau qu’il était en train de reconstituer. Ces contacts étaient fiables. Il s’en était assuré plus d’une fois. C’est ainsi que ses pérégrinations l’avaient mené de taverne en taverne, grappillant ici et là d’autres adresses et d’autres noms.

    Sandro Deketzione fut pourtant l’homme - ou le mercenaire - qui l’aida le plus dans ses recherches. Ancien ami de Stentor, il avait obtenu une entrevue avec lui grâce au tavernier, Will. Ce fut le seul à qui Inaros révéla sa condition afin de gagner la confiance du presque quadragénaire. Sandro n’était pas un bleu. Il avait fait les quatre cents coups avec Stentor mais ne s’était jamais vraiment attaché au petit Inaros, pour des raisons qui lui étaient propres et liées au véritable père d’Inaros. Ce dernier n’en avait jamais tenu rigueur à Sandro, lui-même ayant disparu quelques lunes plus tard pour atterrir dans le corps de la sculptrice. Une sacré histoire que Sandro ne trouva pourtant pas si surprenante que ça. Il était même plutôt curieux d’entendre Inaros lui raconter les détails précis et exacts sur le parchemin et comment il l’avait utilisé. Une cigarette coincée entres les lèvres, son bandeau noir cachant un de ses yeux, Sandro s’était lancé dans un long monologue.

    - C’bon vieux Stentor, alors ! J’ai toujours cru que c’était d’la connerie, c’parchemin… Laisse-moi donc t’raconter…

    Et c’est ainsi qu’Inaros avait été mis au courant d’une activité totalement illégale menée par un couple récemment anobli. Les Vachkiri. Jadis, son paternel avait participé à l’un de ces combats d’arène, fameux dans les quartiers pauvres de la Capitale, et il avait remporté un prix bien particulier et qui ne ressemblait en aucun cas à des cristaux. Certains prétendaient qu’il s’agissait d’un artefact unique, créé par d’anciennes divinités. Inaros n’en avait cure. Ce qu’il voulait, c’était savoir comment le couple s’était retrouvé avec un tel item chez eux et pourquoi est-ce que c’est Stentor qui l’avait gagné. Le mercenaire n’excluait pas le fait  que Stentor ait pu le voler. Qu’importe, il allait le découvrir et rendre une petite visite à ces nouveaux nobliards.

    Trouver des informations sur eux ne fut pas difficile, encore moins en comprenant qu’ils engageaient une multitude de petites mains clandestines. Inaros connaissait suffisamment le milieu pour faire comprendre qu’il voulait s’inscrire pour participer à l’un de ces combats. Il fut alors conduit vers une femme, bien plus âgée, qui le fit passer par une grille qui le mena dans les souterrains du quartier. Bien qu’il soit sous terre, l’endroit était loin d’être lugubre mais une forte odeur de sang, de violence et d’hormones flottait dans les airs. Son apparence féminine portant à confusion, il avait dû prouver qu’il savait se battre avant de pouvoir signer - sous le pseudonyme de Nik. Son premier combat était fixé dans neuf jours et il fut invité à reprendre le chemin inverse pour repartir.

    Ce fut là que ces nombreuses années de filature et de discrétion prirent tout leur sens et qu’il se retrouva, un peu plus tard, dans un bureau ovoïde à chercher dans tous les tiroirs le moindre indice. Bien qu’il n’avait aucune assurance de pouvoir trouver ce qu’il voulait, il tentait le tout pour le tout. Secrètement, il espérait même trouver un autre de ces parchemins pour pouvoir récupérer son corps. Le buste penché pour essayer de déchiffrer un gribouilli parlant de dettes, il ne put retenir un grognement de surprise et d’indignation en sentant quelque chose lui percuter le ventre. Il se redressa, se mettant sur ses gardes et plissant les yeux pour essayer de repérer le moindre mouvement dans la semi-obscurité. Il n’y avait pas une dizaine d’entrées et il n’avait pas entendu le moindre son. Avait-il rêvé ? Mais, puisque le tout se déroula en une fraction de secondes, il sursauta une nouvelle fois de surprise en voyant un homme se matérialiser devant lui et venant, littéralement, de sortir de sa combinaison. Pire que tout, il venait de l’appeler Kat et de mimer un geste qu’Inaros n’avait pas oublié…

    - Walsh ?!, grommela-t-il en se baissant pour ramasser les documents tombés lors du choc.

    Il n’y avait que lui pour l’appeler ainsi et les trois doigts levés ne trompaient pas. Son apparence avait pourtant drastiquement changé. Il ne ressemblait en rien à la personne qu’il avait rencontré, quelques semaines plus tôt. Sans doute était-ce là l’effet d’un sortilège, mais son utilisation et sa présence dans ces lieux commençaient à faire fortement douter Inaros sur son statut de soldat. Ses sourcils se froncèrent, signe de son mécontentement. Il se voyait mal lui révéler ce qu’il cherchait, mais lui-même commençait à ressentir une pointe de curiosité sur la raison de la présence du garde dans ce bureau. Surtout qu’il avait débarqué d’une manière tout à fait inopinée. Il le toisa durant de longues secondes, avant de soupirer et de lâcher un bref rire. La situation était assez ironique, non ?

    - Pas d’cristaux d’communication pour moi. Et, au vu des circonstances d’nos rencontres, l’verre ne m’paraît pas possible non plus. Il s’éclaircit légèrement la gorge, tout en désignant les nombreux dossiers. J’cherche… Des choses. Mais c’est personnel, j’pense pas qu’tu sois aussi là pour ça. Oui, parce que… Vu comment tu as débarqué, j’pense que t’es pas non plus l’bienvenue ici ?

    La ride d’expression entre ses sourcils s’accentua. Il attendait une réponse avec impatience. Il était déjà sûr que leurs objectifs respectifs ne coïncidaient pas, mais il s’interrogeait tout de même beaucoup sur la raison de sa présence. Il savait aussi qu’il pouvait imaginer tout ce qu’il voulait, rien ne valait une réponse directe.

    - Par contre, comment t’as… Son regard se porta un peu partout autour de lui, avant qu’un éclair ne vienne l’illuminer. L’mur. Comme pour la dalle tu t’es foutu d’dans. Mais pourquoi est-ce que t’as l’air essoufflé ?

    Il venait de remarquer l’allure générale de Walsh et, effectivement, il donnait l’impression d’avoir couru un marathon. S’il était poursuivi, Inaros ne donnait pas cher de sa peau. De leurs peaux, puisqu’ils seraient trouvés ensemble.
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Ven 2 Avr 2021 - 23:45 #
    Bien qu’il l’eût proposé de manière tout à fait désinvolte pour engager la conversation dans ces circonstances improbables, Calixte fut un peu déçu d’apprendre que Kat ne disposait de cristal de communication et n’était pas ouverte à prendre un verre en sa compagnie. Plus que la vexation de cette rebuffade, c’était le stop imposé à sa curiosité vivement intéressée par l’étrange jeune femme qui l’attristait le plus. Mais tant pis, le monde regorgeait d’autres secrets à découvrir, et leur situation actuelle d’autres priorités. Comme le lui rappelait son interlocutrice.

    - Pas tout à fait le bienvenu, non, acquiesça joyeusement le coursier en notant qu’elle s’était incluse dans le lot.

    Et qu’était-elle vraiment ? A se balader la nuit sur les toits pour observer la réussite de ses pièges de verre sur quelques voleurs. A se faire grossièrement passer pour une péripatéticienne afin de confondre un soldat devenu receleur. A errer dans les sous-sols de nouveaux Nobles aux agissements suspects. Vacillant à chaque fois dans le clair-obscur de la légalité et son pendant, comme une funambule appréhendant chaque pas avec une agilité toute mesurée, ou toute chanceuse. Sans doute un peu des deux.

    - J’enquête actuellement sur les Vachkiri, dont ma collègue pense que la superbe devanture cache des activités plus sombres. Plus sombre que l’équarrissage qui, pour toute sa… laideur, est tout à fait licite, poursuivit-il, le regard sondant les lieux avec curiosité comme la silhouette de Kat.

    Elle semblait toujours être sur la défensive, mais plus certaine dans ses mouvements que la fois précédente. Etait-ce la tenue, les circonstances, ou peut-être la maturité gagnée en quelques lunes, qui avait changé la donne ?

    - Alors en fait… débuta-t-il aux interrogations de la jeune femme sur sa respiration quelque peu erratique avant d’être coupé par l’ouverture à la volée de la porte du bureau.

    Dans le rai de lumière s’imposant ainsi à eux, les silhouettes de deux de ses poursuivants se dessinèrent, et avant que le coursier n’eût eu le temps de dire quoi que ce soit, une brume épaisse déferla du couloir dans la pièce. Les enlaçant de ses nappes épaisses, irritant leurs yeux et leurs nez, les plongeant en un claquement de doigt dans une torpeur vigilante. Leurs enveloppes charnelles s’affaissèrent mollement au sol, rattrapées par des mains enfantines avant que leur tête ne s’y fracassât, et ils furent péniblement tractés hors du bureau. En dépit de l’absence complète de contrôle sur leurs membres, leur esprit toujours conscient profitant de leurs yeux ouverts, bien qu’immobiles, put appréhender le chemin qu’on leur fit parcourir. Globalement sans intérêt évident cependant pour le regard non initié de Calixte. Rapidement, on les déposa dans l’antre d’une petite cellule aux parois pour moitié constituées de barreaux, ceux-ci leur laissant une vue relativement dégagée sur l’arène que l’espion avait repérée un peu plus tôt. Et puis, il ne se passa rien.

    Jusqu’à ce que, les minutes s’égrainant, déliant peu à peu leur immobilité surnaturelle, le lieu gagnât en fréquentation. Les gradins se remplirent d’âmes endimanchées et masquées, une rumeur sourde circulant entre elles, entretenue par des silhouettes en tenue sombre, déambulant de manière affairée. Les cristaux de lumière, fichés sur les murs derrière les bancs, éblouissant cependant trop le coursier pour qu’il les observât plus finement. Bougeant doucement la tête pour apprécier le contrôle qu’il retrouvait dans ses muscles cervicaux, il riva ses yeux sur le cœur de la fosse. Sur la terre battue, une demi-douzaine de jeune gens, au visage tout aussi couvert que leurs spectateurs, s’échauffaient. Physiquement, et magiquement. Certains, au brassard aux couleurs des Vachkiri, semblaient particulièrement concentrés. Deux, visiblement indépendants et un peu plus âgés, dardaient un regard curieux sur leurs deux formes avachies comme une issue, effacée derrière de lourds rideaux pourpres. Ils étaient cependant familiers les lieux, en attestaient leurs mouvements assurés comme leur désintérêt de l’animation alentours. C’était la présence de Kat et Calixte qui détonait dans cet univers apparemment rodé. Et il y avait certainement quelque chose de remarquable du côté du passage qu’ils surveillaient. Et qu’un couple de vigiles privés gardait.

    Serrant et desserrant ses mains alors qu’elles répondaient à nouveau, doucement, à ses commandes, le coursier laissa encore un temps son regard étudier l’endroit. Si cela n’avait tenu qu’à lui, sans doute aurait-il pu s’échapper relativement aisément. Mais l’agitation croissante laissait peu de place quant au rôle de cette arène, et le soldat ne comptait pas laisser Kat s’y confronter seule. Il n’avait pas saisi quelle était la raison exacte pour laquelle elle trainait là, mais certainement n’avait-elle pas prévu de passer sa soirée à combattre quelques adolescents pour le divertissement de certains. N’est-ce pas ?

    - Gad ? marmonna sa bouche encore un peu paralysée bien qu’il put commencer à plier et déplier ses membres.

    Son doigt alla tapoter le bras de la jeune femme, et il la regarda – amusé, bien que raisonnablement inquiet – lutter pour regagner le contrôle sur son corps. Peut-être sa composition légèrement plus frêle l’avait-elle rendue plus sensible au pouvoir qu’on leur avait imposé, car Kat ne réussit pas à chasser sa main, seulement à lui adresser un regard agacé. Calixte, joueur malgré les circonstances – la plupart des expéditions Royales ayant prouvé et prouvant encore que l’instinct de survie chez les espions n’est pas des plus développés – en profita pour dessiner un petit poisson de poussière sur la cuisse de sa codétenue. S’il devait tenir plus du rectangle pané que de la merveille artistique, assurément était-là la faute de son engourdissement tardant à s’estomper tout à fait.

    Le métal de la porte de leur cellule racla contre le parterre, et une femme d’un âge mûr vint à leur rencontre. A l’échange de regards entre Kat et elle, elles n’étaient pas tout à fait inconnues l’une pour l’autre. Peut-être allait-il falloir que le coursier revît ses estimations sur sa camarade d’infortune.

    - Pressée ? Hé bien ton vœu va être exhaussé, annonça la nouvelle venue de but en blanc.

    Et peut-être ceci avait un sens pour Kat, mais à peu près aucun pour Calixte dont le regard intrigué virait rapidement de l’une à l’autre.

    - Passe-leur les menottes, avant qu’ils ne retrouvent toutes leurs facultés, indiqua la femme à l’un des hommes l’accompagnant. J’avais pas souvenir d’un partenaire, t’es rentré comment toi ?
    - Par la porte ? répondit le coursier, en se disant que c’était techniquement vrai.

    L’anneau de fer enserra son poignet droit, et il se rendit compte que son jumeau avait trouvé place autour de celui, gauche, de Kat. Les liant entre eux par une large chaine d’une cinquantaine de centimètres.

    - Qu’importe, décida l’inconnue en haussant les épaules. Un nom pour l’annonce des équipes ?
    - Kit, déclara l’espion en référence à la barre chocolatée se trouvant dans la poche de sa veste et qu’il aurait bien grignotée au lieu de participer à cet évènement ne lui disant rien qui vaille.
    - Kit ? répéta la femme en clignant des yeux. Kit et Nik ?

    Non, Kit et Kat, songea-t-il en arquant des sourcils surpris.

    - Equipe Kit’Nik ? Enfin, pourquoi pas. C’pas comme s’il était prévu que vous fassiez les prolongations, montiez sur le podium, ou sortiez autrement que les pieds par devant, décida l’organisatrice en tournant les talons. Je les veux dans dix minutes. On a la baronne qui est là ce soir, de la chair fraiche prête à saigner c’est c’qu’il nous faut, indiqua-t-elle à un homme masqué restant garder leur cellule.

    Sans doute la réaction appropriée aurait été de doucement s’inquiéter et planifier leur échappée. Néanmoins, Calixte avait toujours été plus curieux que prudent, plus loyal que réfléchi, et ces deux tendances lui faisaient actuellement appréhender les difficultés à venir avec une trépidation tout inconvenante. Il y avait là de quoi remplir le rapport de sa collègue de preuves toujours plus accablantes, et peut-être même de faire tomber plus que les Vachkiri. Assurément les visages masqués les observant avidement des gradins étaient-ils, d’une certaine manière, complices. Et puis, peut-être aussi, les clefs de la présence de Kat – Nik ? – sur les lieux lui seraient-elles plus évidentes avec le déroulé de la soirée. Sauf si, comme promis par la femme, ils servaient rapidement de chair à pâté pour le plaisir malsain des spectateurs.

    - Nik ? fit-il à l’adresse de sa camarade d’infortune. Ou Kat ? On est attendus pour quoi exactement dans dix minutes ? demanda-t-il tout de même, au cas où il s’agissait simplement d’un concours de cuisine pour lequel il aurait mal interprété les signes. Et je ne sais pas quel était ton plan initial, mais actuellement réussir à quitter cet endroit me semble pas mal. Dans un futur plus ou moins proche.

    Plutôt pas immédiat, afin qu’il satisfît sa curiosité personnelle et professionnelle, mais à terme s’il fallait choisir entre « maintenant et en vie » et « plus tard pour direction la fausse commune » il concèderait gracieusement à la première possibilité.
    Ivara Streÿk& Inaros
    Ivara Streÿk
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Mer 21 Avr 2021 - 22:30 #

    À la mesure du passage

    des astres

    Inaros


    Il se demanda si sa rencontre avec Walsh était un énième coup du sort ou s’ils étaient tous les deux victimes d’un maléfice qui liait étroitement leurs destins. L’allure du blond ne laissait rien présager de bon pour la suite des opérations du mercenaire. S’il n’était pas le bienvenu en ces lieux et qu’il avait débarqué aussi brusquement dans la pièce, c’est qu’il était poursuivi. Inaros trouvait les méthodes de la garde un peu douteuses, se rapprochant dangereusement de ce que lui-même effectuait pour obtenir certaines informations. Il commençait même à se demander si ce Walsh ne lui avait tout simplement pas menti sur sa profession. Plissant les yeux, son regard s’attarda sur la silhouette de l’homme. Son allure était soignée, ses gestes assurés et sa voix ne trahissait pas le moindre signe d’anxiété.

    Il n’eut pas l’occasion de s’interroger davantage et il plongea dans une torpeur qui l’empêcha de bouger. Il n’avait plus que ses yeux pour détailler le dédale de couloirs qu’ils empruntaient. Bien vite, ils furent lancés dans une cellule et on les y laissa. Le temps semblait infini et quand, enfin, il put se mouvoir, ce fut après que Walsh eut dessiné un étrange motif sur sa cuisse. Furieux et impuissant, il le laissa faire en se promettant de le remettre à sa place une fois que la situation se serait améliorée.

    Ce qui ne risquait pas d’être le cas. Pas dans l’immédiat. La venue de la femme qui avait procédé à son inscription dans l’arène, un peu plus tôt dans la journée, venait de compliquer les choses et d’annoncer l’une des têtes d’affiche des combats à venir : l’équipe Kit’Nik. Inaros n’avait pas prévu de se battre, encore moins dans dix minutes. Il ne remettait pas en doute les capacités de son partenaire d’infortune, mais il ignorait s’il était capable de se battre à la loyale. Les coups bas, la tromperie. Les adversaires qui les attendaient au milieu du sable n’étaient pas des enfants de Lucy. Il fallait qu’ils trouvent un moyen de s’enfuir d’ici, et vite. Tous ces événements étaient une perte de temps regrettable pour accomplir l’objectif de la mission qu’il s’était confié. Il n’était pas le seul à poser la quasi-totalité de ses espoirs sur cette sortie.

    - Kit donc, releva-t-il à son tour, avec un regard entendu vers le blond.

    Il tira légèrement sur les menottes afin de tester leur solidité. Ils ne pouvaient pas espérer les briser. En plus de devoir trouver un stratagème pour s’évader, ils allaient devoir coopérer. À la perfection.

    - Pour moi Nik, Kat… Prends l’nom qu’tu préfères et passons à la suite. Sortir d’ici. Ce sont des combats à mort. Tu vois, les gaillards, dans la cellule en face ? Il désignait trois poids lourds qui se préparaient au combat. J’sais pas comment on vous a appris à vous battre à la garde, mais j’suis pas sûr qu’on fasse long feu d’vant eux. Et encore moins avec ça. Il désigna les fers, avant de reprendre. On a dix minutes pour trouver comment fuir… N’en déplaise à sa baronne… J’aime pas la tournure qu’ça prend...

    Il s’agenouilla, obligeant malencontreusement Kit - ou Walsh - à faire de même, pour tâter le sable à leurs pieds. Puisqu’il pouvait le faire légèrement chauffer pour entamer le processus de transformation en verre, il déduisit que les menottes n’étaient pas anti-magie. Il avait espéré pouvoir l’utiliser, mais il ne maîtrisait pas suffisamment son pouvoir pour construire quelque chose de suffisamment solide pour forcer le verrou. Dans l’incapacité de proposer quelque chose à son partenaire, il se releva et ancra son regard dans le sien. Ça ne lui plaisait pas, mais il allait devoir lui faire aveuglément confiance pour qu’ils s’en sortent.

    - J’crains d’ne pas avoir grande utilité pour nous faire sortir d’ici… Mais je crois avoir compris qu’t’es capable d’nous mettre dans l’sol ? Ça pourrait aussi marcher avec l’mur ?

    Kit - Walsh - le regarda avec suspicion, tentant de deviner où il voulait en venir. L’explication ne fut pas très longue et Inaros ne voyait pas comment ils pouvaient procéder autrement. Il lui demandait de les « transférer » dans le mur, à l’instant où on viendrait les chercher. Face à une cellule vide, les gardes partiraient à leur recherche, se demandant par quels procédés ils s'étaient échappés.

    - … Et si l’plan n’fonctionne pas, j’suivrais c’que tu avais en tête.

    C’est ainsi qu’ils se retrouvèrent emprisonnés dans le mur de la cellule, devant un garde qui se grattait la tête en se demandant comment ils avaient pu sortir de là. Quelques dizaines de secondes plus tard, l’air un peu hébété, il s’en allait pour prévenir ses comparses. L’alerte ne tarderait pas à être donnée, il ne leur restait désormais que quelques précieux instants avant qu’on ne les pourchasse dans tout le bâtiment. Mais, comme il l’avait espéré, l’homme était parti en laissant la grille ouverte.

    - Et voilà l’travail. Est-ce qu’on peut se, euh, déplacer comme ça ou il faut qu’on r’ssorte ?

    Mais, avant que son compagnon ne lui réponde, ils se déplacèrent en silence dans le mur et ses genoux retrouvèrent bientôt le sol dur et compact d’un autre couloir. Il ignorait où ils se trouvaient, mais ils allaient devoir se repérer rapidement. Pour le moment, ils étaient seuls, mais pour combien de temps ?

    Son poignet commençait à lui envoyer quelques douleurs lancinantes, et il essaya d’en faire abstraction en se relevant ; coordonnant avec attention ses gestes avec ceux de son partenaire.

    - J’ai pas d’plan du lieu, commença-t-il à avouer, un peu honteux en y pensant. Mais j’sais quelles sont les pièces que j’voulais absolument visiter et il m’en reste une. Je n’te d’manderai pas d’me suivre mais, sauf si t’as un moyen d’nous libérer, j’pense qu’il n’y aura pas l’choix…

    Il savait qu’il jouait avec le feu et qu’ils étaient recherchés, mais une opportunité comme celle-ci ne s’offrirait pas à lui avant longtemps, trop longtemps.

    - Je vise le bureau de Monsieur Vachkiri lui-même.
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Ven 30 Avr 2021 - 18:31 #
    Calixte ne les fit pas réapparaitre dans leur cellule car, après tout, pourquoi se priver de l’avantage de pouvoir traverser les murs ? Observant prudemment le passage sombre avant de reposer son regard sur la silhouette de Kat, il attendit patiemment que celle-ci fût moins désorientée par la fusion/défusion pour considérer la suite de leurs aventures. Il tenait là suffisamment d’informations pour pouvoir mettre les voiles et filer directement à la Caserne chercher des renforts pour une arrestation rapide, mais il était encore curieux de savoir quel serait le plan d’action de la jeune femme. Elle avait visiblement pénétré les lieux sous l’excuse d’une inscription aux combats illégaux – ce qui, en soi, n’accentuait que le voile ténébreux de mystères l’entourant – mais son objectif réel paraissait tout autre. Et, apparemment, comprenait une visite du bureau du propriétaire des lieux.

    En l’état, il n’y avait rien de très défendable dans les agissements de Kat. Elle disposait visiblement de suffisamment de mauvaises connaissances pour s’introduire dans les milieux malfamés. Elle s’adonnait certainement au pillage ou au recèle d’informations sensibles. Elle jouait de costumes pour piéger à la sauvage des cibles certainement désignées par contrats. Elle procédait de manière clandestine, selon une logique échappant à l’œil extérieur. A l’œil du garde. Et pourtant. En dépit de son cheminement très clairement dans l’ombre de l’interdit, elle ne cessait de frôler la ligne scintillante de la justice. Certainement permissive, mais néanmoins justifiable. Voire légitime. Et malgré sa méfiance ourlée de défiance, la jeune femme s’était toujours montrée relativement courtoise avec lui. Dans la limite de son phrasé de charretier.

    Sans doute l’épisode de Ruth aurait-il dû lui apprendre définitivement la prudence, mais Calixte avait toujours été plus curieux que raisonnable, plus affable que soupçonneux, et la paranoïa n’avait jamais, jusque-là et en dépit des derniers évènements, imposé ses traits sur son caractère. Présentement, la logique – et la probité – aurait dû lui dicter de garder Kat attachée à son poignet – ou fondue dans une bille – et de la trainer avec lui jusqu’à la Caserne la plus proche. Afin de mettre en lumière tous ces secrets qui transpiraient interminablement de son ombre, afin de mettre un terme, le plus rapidement possible, aux agissements morbides des Vachkiri. Néanmoins, les chemins des espions avaient rarement été aussi franchement éclairés de droiture, et il se dessinait-là, en serpentin larvé sous une végétation sauvage, un passage en teintes de gris dont la destination pouvait se révéler fabuleuse.

    - Tu sais entretenir mon intérêt, Kat, nota-t-il un sourire légèrement amusé sur les lèvres. Attends.

    Il fusionna dans le fer passé à son poignet et réapparut hors de celui-ci.

    - Je ne peux pas faire de même pour toi, indiqua-t-il en sortant de sa ceinture son kit de crochetage. Mais ceci devrait t’en débarrasser relativement rapidement.

    Pour les mains habituées de l’espion, même maladroites, la faible luminosité n’était pas un obstacle. C’était un exercice qui, de toute façon, s’effectuait rarement en plein jour. Et sans doute aurait-il dû – pu – garder secrète cette capacité, mais sur le cheminement dangereusement tortueux que ses pensées venaient de s’engager, rien n’était moins naturel. Il y eut un déclic audible, et les menottes libérèrent totalement leurs prisonniers initiaux. Afin de ne pas donner d’information supplémentaire sur leur fugue à leurs poursuivants, Calixte les garda en main et rangea son matériel.

    - Je n’ai aucune idée d’où se trouve le bureau de monsieur Vachkiri, commenta-t-il en continuant à observer prudemment les alentours. Enfin ; il en a un, là-haut, d’une méticulosité réglementaire ennuyeuse à souhait. Je ne serai pas étonné qu’il traite ses affaires moins licites ici, quelque part dans ces souterrains.

    L’écho de pas pressés accompagnés d’éclats de voix mécontents leur parvinrent de plus loin dans le couloir, et après un échange de regard, les deux jeunes gens empruntèrent discrètement la direction opposée avant de se faufiler avec prudence dans ce qui ressemblait à des latrines. Assurément n’était-ce pas non plus le meilleur endroit pour élaborer leur stratégie, mais cela servirait tout de même temporairement leur cause.

    - Je pense qu’on peut explorer le coin plus aisément en usant de mon pouvoir, indiqua l’espion à voix basse pour éviter que sa voix ricochant contre la faïence des parois ne trahît leur position. Néanmoins je ne peux te faire fusionner avec moi que trois fois par vingt-quatre heures. Je peux cependant te faire fusionner à part, dans une bille – ou les menottes, ou un autre objet à ta convenance, je ne suis pas regardant – et continuer à user de mon pouvoir pour nous faire progresser.

    En dépit de la pénombre, rien n’était plus évident que la réticence de Kat, et il continua donc dans ses explications :

    - Quoi qu’il arrive, même si je devais… t’y oublier, tu resterais libre d’en sortir au bout d’une soixantaine de secondes à tenter de t’en extraire. Et quand bien même t’y trouverais-tu finalement confortable, je ne peux t’y laisser plus de trente minutes.

    Gêné par l’obscurité ambiante et le costume de Kat, Calixte peinait à déchiffrer correctement les émotions que son visages – ses yeux – trahissaient, mais au moment où il crût qu’ils pourraient échanger davantage à ce sujet, la porte des sanitaires s’ouvrit à la volée. Instinctivement, le soldat saisit à nouveau la main de la jeune femme et les fit fusionner dans la paroi la plus proche. Qui, sous les cristaux de lumière s’activant, devait être un urinoir. L’homme, massif, qui venait de pénétrer dans la pièce, ne paraissait se douter de rien, et lorsque ses pas l’amenèrent à une autre cuvette que la leur, l’espion dut se retenir de pousser un soupir de soulagement. Bien que rien ne pût les atteindre sous cette forme, l’expérience n’aurait pas été moins désagréable.

    Pendant quelques minutes qui lui parurent interminables, l’inconnu fit son affaire, rajusta ses vêtements avant d’essuyer ses mains dedans, puis tourna les talons pour repartir aussi ignorant qu’il était venu. Lorsque les cristaux se furent à nouveau éteints et que le silence reprit ses droits, Calixte les fit sortir de leur abri incongru.

    - Attention à ta gauche, il m’a semblé qu’il ne visait pas très bien, prévint-il la jeune femme tandis que ses yeux se réhabituaient à la faible luminosité entretenue par de petites veilleuses comme celles des couloirs. Je ne vais pas te mentir, Kat, ce qu’on a vu – et tes brèves explications sur les combats – suffirait déjà largement l’intervention armée de la Garde. Mais si je peux mettre la main, dès à présent, sur des preuves matérielles probantes dans le bureau de monsieur Vachkiri, ce serait vraiment avantageux. Et j’avouerai être intrigué par ce que tu peux bien y chercher, même si je ne m’attends guère à obtenir une réponse franche de ce côté-ci, ajouta-t-il avec un sourire amusé.

    A nouveau, la rumeur de conversations de l’autre côté de l’une des cloisons attira leur attention, et cette fois-ci les sourcils du coursier se froncèrent légèrement lorsqu’il comprit qu’elle se dirigeait vers la porte des sanitaires. D’un geste pressé, il sortit une petite bille de sa ceinture et la présenta à sa camarade d’infortune, à la manière dont il aurait pu demander une danse à sa cavalière.

    - Me permets-tu ?

    Et sinon, ils pouvaient toujours tenter de sortir de là en défendant leurs intérêts bec et ongle.
    Ivara Streÿk& Inaros
    Ivara Streÿk
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Mar 4 Mai 2021 - 23:37 #

    À la mesure du passage

    des astres

    Inaros


    Il détourna le regard pour ne pas affronter le spectacle abject qui se déroulait devant eux. Il ne prononça pas non plus le moindre mot tant qu’ils étaient fusionnés avec la paroi, attendant qu’ils retrouvent tous les deux de retour dans leur forme originelle. Une fois fait, et après avoir vérifié à plusieurs reprises qu’il ne mettait pas les pieds sur le liquide au sol, il hocha la tête et leva son doigt et son majeur. S’il comprenait bien, il ne pourrait fusionner qu’une seule fois supplémentaire avec le jeune homme. Cela aurait été gênant si le pouvoir de Kit n’avait pas été aussi développé et qu’il n’avait pas été capable de le faire fusionner à un autre petit objet pour le transporter avec lui. Quelques heures plus tôt, l’idée n’aurait pas enchantée le mercenaire. Désormais, il plaçait une infime part de confiance en lui. Il ne s’était pas trouvé ici par hasard, sûrement dans l’espoir de trouver quelque chose contre le couple Vachkiri puisqu’il mentionnait aussi dans cette affaire le passage armé de la garde. Il avait l’impression que tout n’était pas blanc ou noir avec Kit. Il y avait autre chose, mais peut-être cela n’était-il lié qu’à son caractère. Il suffisait d’un peu trop de curiosité…

    Observant tour à tour la bille et le faciès presqu’angélique qui lui faisait face, Inaros soupira légèrement et, cette fois, leva les bras. Il n’avait pas envie de se battre et d’alerter tout le monde. Il était ici pour récolter des informations et ce but croisait celui du garde. Il aurait dû en être heureux, c’était pour lui l’assurance qu’il le laisse repartir sans espoir s’il l’aidait - à sa manière - une nouvelle fois dans son affaire.

    - Allez, fais moi voyager dans ta bille. Mais, j’te préviens, à la moindre trahison… Commença-t-il à répliquer en chuchotant, mais sa phrase se perdit dans l’écho des voix qui venaient d’entrer dans les sanitaires. Alors, d’un regard, il fit comprendre à Kit qu’il pouvait y aller. Il espérait ne pas avoir à le regretter.

    Avoir son esprit qui fusionne dans un corps qui ne nous appartient pas est une chose, mais être matériellement transféré dans un objet en est une autre. Inaros était parfaitement conscient et à même de voir tout ce qui se passait sous ses yeux, bien qu’il fût rapidement obligé de les fermer. Ils naviguaient si vite de paroi en paroi qu’il commençait à avoir la tête qui tourne. Il n’avait pas non plus envie de tester les rejets gastriques dans cette position. Certaines expériences n’étaient pas bonnes à mener.

    - Je suis déjà allé là… Peut-être à gauche…, marmonnait-il en espérant que son transporteur l’entende de là où il était.

    Les souterrains étaient vastes. Qui pouvait faire tenir une arène sous son domaine pouvait tout aussi bien avoir une étendue de galeries toutes plus secrètes, sinueuses et lugubres les unes que les autres. Quelques rares cristaux fournissaient suffisamment de lumière pour distinguer ici une porte, là un renfoncement. Sous cette forme, ils évitaient aisément les gardes qui, heureusement pour eux, ne patrouillaient pas trop dans cette partie. Bientôt, force leur fut de constater qu’ils devaient s’arrêter et sortir du mur. Inaros, toujours dans sa bille, demanda au concerné de le faire sortir de l’objet. Il ne comptait pas attendre trente minutes pendus à la ceinture du garde. Il avait légèrement le tourni, ce qui le força à plaquer ses paumes sur ses tempes en les massant pour le faire passer. Il fit ensuite un signe de tête à Kit pour lui signifier que tout allait bien. Il ignorait dans quel état lui-même se trouvait, mais il n’avait pas l’air de se porter si mal que ça.

    - Ton pouvoir est sacrément utile. Et il n’y avait pas que ça. Il s’était bien gardé de faire ses commentaires sur certains tour de passe-passe de Kit, le mercenaire n’aurait pas aimé que ce dernier vienne mettre son nez dans ses compétences. J’suis même étonné qu’tu n’sois pas au moins Capitaine. Attends, c’n’est pas toi, hein ? Tu m’fais pas une farce depuis tout c’temps ? Il plissa les paupières pour ponctuer sa question, retroussant son petit nez avant d’enchaîner, sur un ton plus sérieux. Qu’importe. J’te suis r’connaissant d’m’avoir sorti d’là et d’consentir à v’nir jusqu’ici. J’pense qu’on d’vrait pouvoir trouver l’bureau tranquillement…

    Kit semblait de son avis. Bien vite, ils ouvrirent plusieurs portes, jusqu’à tomber sur une pièce circulaire qui les interpella. Un grand bureau au centre, des tonnes de documents un peu partout, deux grandes bibliothèques… Si ce n’était pas le bureau qu’ils recherchaient, alors Inaros voulait bien se jeter dans la Rivière Luisante. Il jeta un coup d'œil à son compagnon, qui acquiesça à son tour. Il devait penser la même chose que lui. Comme deux ombres, ils se glissèrent dans le bureau. Kit déclara alors qu’ils auraient peu de temps et qu’ils devraient agir de façon méthodique. Chacun s’empara alors d’une pile et commença ses recherches.

    - Facture, lettre pour se faire engager, transaction… Elle est pour toi cette pile-là... , bougonna-t-il en tendant plusieurs papiers à Kit. Si tu vois le nom de Stentor apparaître et que tu m’le fais savoir, j’prendrais volontiers c’verre avec toi…

    Finalement, il allait bien devoir prendre ce verre avec lui. Quelques instants plus tard, il lui glissa une lettre jaunie par le temps sous les yeux. Le nom de Stentor y figurait. Interdit, Inaros dévisagea l’écriture pendant de longues secondes. Ce n’était pas l’écriture de son paternel, c’était celle d’un autre. Fine et élégante, elle pouvait être de Monsieur Vachkiri lui-même.

    Monsieur Vachkiri,

    Vous comprendrez qu’il est dans votre intérêt de faire gagner le dénommé Stentor lors du prochain match. Ses fréquentations, que je ne puis mentionner dans la présente missive, je suppose que vous n’avez pas envie de vous les mettre à dos. N’oubliez pas de le laisser discuter avec les gamins.

    N’oubliez pas non plus que la discrétion est de mise.

    Soucieux devant cette missive qui n’avait aucun sens aux yeux d’Inaros, il ne trouva qu’une date pour l’aiguiller davantage le 8ème jour de la lune douce de l’an 983. C’était bien beau, mais ça ne le renseignait absolument pas sur ce qu’il était venu chercher à la base : des informations pour comprendre comment un artefact magique aussi puissant avait pu atterrir dans ces locaux et par quel hasard s’était-il retrouvé entre les mains de Stentor ? Il fronça les sourcils et remarqua que plusieurs autres missives suivraient. Pourquoi n’avait-il aucun objet magique pour capturer un souvenir de ces échanges ? Il n’avait pas le choix, il serait obligé de les embarquer.

    - Par contre, c’moi qui choisira l’lieu ! Prévint-il dans une petite boutade, avant de se raidir pour écouter aux portes. Bon, allez, faut qu’on s’tire d’ici. J’pense qu’on a tout c’qu’il nous faut. C’bon pour toi ?
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Mar 11 Mai 2021 - 19:13 #
    Calixte ne s’était pas forcément attendu à ce que Kat consentît à se laisser fusionner dans la bille qu’il lui présentait. Après tout, ils ne se connaissaient – croisaient – que de manière assez erratique et superficielle, et le caractère profondément méfiant de la jeune femme aurait pu opposer un « non » sans retour à sa proposition. Peut-être commençait-elle à baisser la garde en sa présence, ou bien peut-être simplement que le désir de mettre au plus vite une distance raisonnable entre eux et les latrines était-il plus fort que la prudence ? Dans tous les cas, l’espion se sentit soulagé par la tournure des évènements. Ainsi libre de ses mouvements et d’user de son pouvoir pour traverser les couloirs en toute discrétion, il ne tarda pas à les mener loin des toilettes comme de l’arène. Et lorsque la jeune femme sortit de la perle où il l’avait glissée, il dut retenir un rire à la mention de son possible grade de Capitaine.

    - Si mes chefs t’entendaient, murmura-t-il autour d’un sourire.

    Son regard ambré chercha dans la pénombre celui turquoise, presque bleu marine dans l’obscurité, de Kat, et il l’observa avec curiosité retenir l’intérêt qui semblait percer de ses remarques. A nouveau, il fut intrigué de cette retenue courtoise spontanément offerte. Lui cédait-elle cette part de mystère afin de mieux conserver la sienne, ou au contraire s’échauffait-elle à son contact ?

    - C’est utile pour fuir rapidement, choisit-il de commenter en haussant les épaules. Ce qui, lorsqu’on est affecté à la logistique de la Garde principalement en raison de sa maladresse, est beaucoup plus utile que ce que l’on pourrait croire. Ça aide bien en mission d’infiltration, aussi. Mais bon. Ça n’est étrangement pas là où Al Rakija me place spontanément. Et il a bien raison.

    Ils parcoururent à pas de loup quelques couloirs encore, tentèrent leur chance en poussant plusieurs battants, jusqu’à ce qu’une pièce, correspondant à l’idée qu’ils s’étaient faite du possible bureau de sieur Vachkiri, se découvrît à eux. Dans un accord silencieux, ils pénétrèrent dans son ovale richement meublé, et avisèrent les piles de documents s’offrant à eux. Sans perdre plus de temps, ils s’attaquèrent chacun à un bout du bureau.

    - Lettres de remerciements, carnets de comptabilité, murmura-t-il distraitement en passant en revue les dossiers que ses mains trouvaient. Beaucoup trop de choses qui pourraient étayer mon rapport, mais aussi beaucoup trop de choses à trimballer… Ah, merci ! fit-il en réceptionnant les papiers que Kat lui tendait. Voilà qui est déjà plus prometteur de concision. Et je cherche quoi pour ta part ? demanda-t-il alors que son regard effectuait un aller-retour curieux vers la jeune femme.

    Apparemment un certain « Stentor ». Et visiblement Kat était prête à prendre un verre avoir lui s’il mettait la main sur cette information. Arquant les sourcils de surprise, sentant l’amusement étirer à nouveau ses lèvres, Calixte se déconcentra temporairement de ses fouilles et la pile de livres de comptes devant lui, déséquilibrée par ses mouvements maladroits, effectua un formidable plongeon. Jurant dans un souffle, le coursier se baissa pour récupérer les documents suicidaires et reformer une tourelle acceptable qui ne ferait en rien douter de son passage. Chaussant ses lunettes de jour pour se faciliter la tâche et éviter une nouvelle bévue, il finit par remettre à leur place tous les livrets qu’il avait délogés ainsi que mettre la main sur diverses missives aux traits d’écriture divers. Elles n’étaient en rien remarquables, si cela n’était que l’une d’elles portait la mention du fameux Stentor. Mémorisant le texte pour pouvoir le retranscrire plus tard dans son livre mémoire, l’espion tendit finalement les papiers à Kat.

    - On dirait que Lucy tient à ce verre, commenta-t-il sans dissimuler sa fébrilité.

    On aurait pu croire que c’était l’envie de tourner cette rencontre en rendez-vous galant qui l’enjouait de la sorte, mais en réalité l’espion était bien plus intéressé par les mystères voilant la jeune femme que le galbe des vêtements moulant ses formes. Même si l’habitude – professionnelle, bien évidemment – lui en avait déjà fait retenir les mensurations.

    - Vendu, acquiesça-t-il alors qu’il finissait de saisir les documents les plus récents qui l’intéressaient de son cadre magique.

    Il avait gardé quelques papiers plus anciens, qui ne manqueraient assurément pas tout de suite à l’hôte des lieux, mais préférait ne pas laisser trop de traces – voire aucune – de son passage. Hochant la tête à la demande de Kat, il la suivit hors de la pièce.

    Leur progression se fit initialement sans heurts et puis, alors qu’ils gagnaient l’une des issues que la jeune femme avait repérées, il leur devint évident que l’annonce de leur escapade avait fait majorer la surveillance aux abords du souterrain. Redoublant de prudence, jouant à nouveau du pouvoir de Calixte, ils finirent cependant par quitter le dédale de celui-ci en remontant fusionnés dans le pantalon d’un domestique jusqu’au rez-de-jardin de la demeure. Là, quittant leur cachette providentielle pour gagner celle plus neutre d’un mur, puis d’un vase, puis du cadre d’une fenêtre, ils s’éclipsèrent ainsi par le couvert protecteur d’arbres fruitiers formant un large bouquet d’ombres dans l’espace vert cerclant le manoir. Alors que seule la demi-lune et les lueurs festives s’échappant de la bâtisse s’efforçaient d’éclairer leurs silhouettes fendant les ténèbres de la nuit, ils franchirent l’enceinte murée d’une dernière fusion, et parcoururent encore quelques mètres avant de trouver l’abri de ruelles calmes.

    Comme ils reprenaient leur souffle, l’espion attrapa un bout de parchemin dans sa ceinture ainsi qu’un crayon.

    - Il faut que j’aille récupérer mes collègues et qu’on boucle notre mission, ça sera une fois prochaine pour le verre, indiqua-t-il à voix basse à Kat. Je suis actuellement basé au Bastion du Grand Port, mais tu peux me laisser un mot à cette adresse. Je suis sur la Capitale toutes les une à deux semaines, selon les assignations et le courrier qu’on me demande d’acheminer.

    Tendant le papier – qui mentionnait donc l’une de ses boites aux lettres régulièrement entretenues pour ses alias – à la jeune femme, il l’observa un instant songeur, avant de ranger son crayon et de poursuivre :

    - Je ne gagerai pas de l’éternelle concordance de nos objectifs, mais tant que cela semble être le cas, peut-être pourrions-nous trouver un terrain d’entente ?

    Sautillant légèrement sur ses pieds pour chasser la fatigue grandissante et calmer la curiosité fébrile qui s’insinuait sous sa peau, il riva son regard sur la silhouette somptueuse du manoir Vachkiri se découpant en camaïeu de gris sur l’horizon obscure par-delà les toits plus modestes du reste du quartier.

    - La Garde aurait bien besoin d’une informatrice supplémentaire, et peut-être pourrait-elle en retour te faciliter l’accès à certaines données, poursuivit-il en glissant l’ambre de ses yeux contre la poche où la jeune femme avait rangé les missives évoquant Stentor. Dans la limite de la légalité. Un échange d’informations en fait, simplement, précisa-t-il en haussant les épaules comme pour chasser toute illusion de marchandage douteux. Il n’y a, bien évidemment, aucune obligation. Dis-moi ce que tu en penses la prochaine fois.

    Sur un sourire final, levant les trois doigts avec lesquels il avait pris l’habitude de saluer Kat, il se remit en mouvement. Il n’avait pas menti lorsqu’il avait mentionné le besoin de récupérer ses collègues comme de terminer son assignation.

    - A la prochaine !

    Deux enjambées le propulsèrent sous l’ombre d’un porche où il se retourna une dernière fois :

    - Au fait : attrape.

    La barre chocolatée emballée dans son petit sachet de coton rouge vola à travers l’espace pour gagner les mains de la jeune femme – ou tout du moins c’était l’objectif initial, mais Calixte n’avait jamais été très adroit de ses quatre membres – et l’espion s’éclipsa définitivement dans les ténèbres de la nuit. Peut-être que, finalement, rien ne déboucherait de cette étrange soirée. Mais celle-ci s’était déjà révélée bien moins catastrophique que prévue, et le coursier éprouvait l’agréable sensation d’avoir avalé une potion d’ivresse habilement dosée. Peut-être, après tout, ne tuerait-il pas Réno.
    Ivara Streÿk& Inaros
    Ivara Streÿk
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Ven 6 Aoû 2021 - 17:14 #

    À la mesure du passage

    des astres

    Inaros


    1ère lune saison froide, an 1001.

    Certaines voies étaient impénétrables et il valait mieux qu’elles le restent. L’escapade dans la demeure des Vachkiri avait été riche en péripéties et en informations. Il en était sorti avec des questions plein la tête, déçu de ne pas avoir pu en apprendre davantage sur Stentor, et une proposition. Il y avait longuement réfléchi, se demandant s’il était capable d’échanger ce type de bons procédés avec la Garde, ce groupe qu’il avait fui comme la pire des maladies depuis qu’il vivait dans les rues de la Capitale. S’il accordait autant d’intérêt à ce projet, c’était uniquement à cause de la figure du soldat Walsh, ou Kit, ou peu importe son identité. Ce type dissimulait un certain nombre de choses, au moins presqu’autant que lui, il en aurait mis sa main à couper s’il la possédait toujours. La tentation était trop grande, il voulait en savoir plus.

    Plusieurs lunes s’étaient écoulées. Le soldat et le mercenaire ne s’étaient jamais recroisés, ou du moins n’y avaient-ils pas prêtés attention. Un visage perdu au milieu d’une foule ne comptait pas, encore moins quand il était masqué.

    Il avait mis longtemps avant de se décider à envoyer un des gros rats de la ville délivrer son message. Cette bague de communication avec ces rongeurs était diablement efficace.

    - File à c’t’adresse, murmura-t-il en caressant le pelage de l’animal du bout des doigts. Il avait l’impression que la bague fonctionnait mieux s’il établissait un contact avec la créature, comme si elle ne pouvait pas l’entendre s’il ne se mettait pas à minima à sa hauteur.

    Kit,

    Des affaires pressantes m’ont retenu durant ces longues lunes, mais je n’ai pas oublié notre rendez-vous. Que pensez-vous du dix-huitième jour de cette lune ? Renvoyez moi le rat avec votre réponse.

    Kat.

    Court, efficace et une réponse qui ne s’était pas fait attendre. Il s’était donc apprêté en conséquence : simple pantalon, chemise ample et coup de peigne magique pour raccourcir sa chevelure dorée. Ses habituels bandages retenaient sa poitrine, et il avait même eu le droit à la mauvaise humeur d’Ivara pour commencer la journée.

    En effet, certains vœux du Solstice s’étaient vus réalisés et, par il ne sait quel procédé magique, il s’était retrouvé capable de pouvoir dialoguer une minute par nuit avec la sculptrice. Cette dernière nourrissait de plus en plus de sentiments haineux à son encontre, alors que lui-même avait opéré une tangente pour essayer de la comprendre et de se racheter. Qu’importe, il devait se concentrer sur son rendez-vous du jour. Il avait beaucoup de questions à lui poser et de mystères à éclaircir et un petit quelque chose lui disait que la réciproque était sans doute presqu’aussi vraie.

    En arrivant au lieu-dit, une taverne réputée de la Capitale, il comprit rapidement pourquoi elle était aussi fameuse. Le service semblait irréprochable, ou bien était-ce grâce aux serveuses qui avaient la part belle et mettaient généreusement en avant leurs attributs. Inaros n’était pas choqué par cette attitude. Lui-même usait du corps d’Ivara pour se sortir de situations fâcheuses. Si cela fonctionnait, c’est que son interlocuteur y était suffisamment réceptif.

    Il s’installa à l’une des tables, commandant une bière en attendant que Kit arrive. Se savant lui-même peu reconnaissable, principalement à cause de sa coupe de cheveux qui, si on était pas attentifs, pouvait réellement le changer, il plaça soigneusement la barre chocolatée qu’il avait reçue la dernière fois sur la table. De sa dextre, il plaça aussi ses doigts pour former le chiffre trois et la posa négligemment sur la table, laissant à penser que cette posture était tout à fait anodine. Une jambe par-dessus l’autre et sa bière dans sa main libre, il scrutait avec attention ceux qui entraient dans l’établissement. Le soleil s’était déjà couché depuis une paire d’heures mais l’endroit ne désemplissait pas.

    - S’il-vous-plaît, oui, répondit-il à l’un des serveurs lorsqu’on lui proposa de remplir une nouvelle fois sa choppe.

    Il avait bu vite, mais l’occasion était bien trop belle. Avec tous ses tracas en tête, il se rendait compte que la boisson lui faisait du bien. Lui qui, d’ordinaire, évitait de boire à cause de la constitution d’Ivara qui ne tenait pas aussi bien l’alcool que lui, il replongeait doucement…  
    Calixte Alkh'eirDamoiseau
    Calixte Alkh'eir
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Jeu 12 Aoû 2021 - 17:48 #
    Au tout départ, le rendez-vous du dix-huitième jour de la première lune de la saison froide de l’année 1001 avait paru être une excellente idée. Et puis, à mesure du passage des jours, l’emploi du temps de Calixte s’était rempli de manière de plus en plus effrénée jusqu’à faire craindre à ce dernier de ne pas avoir assez d’heures dans une journée, et de journées dans une lune, pour remplir ses obligations officielles comme officieuses tout en gardant un semblant de vie à côté. Néanmoins, habitué à jongler avec un planning improbable et aussi débordant qu’une caisse de pêche après une fructueuse journée en mer, le coursier avait réussi à maintenir son rendez-vous avec Kat dans le continuum de sa journée de consultations obstétricales sur la Capitale. Même, à s’octroyer, comme prévu initialement, les quelques heures de repérage à la taverne proposée afin de bénéficier d’un temps d’observation discret, à la fois personnel et professionnel. Après avoir galéré à renvoyer sa missive à Kat – car au moment où l’espion était passé à sa boîte aux lettres de la Capitale, ledit rat avait mis les voiles depuis probablement longtemps – en usant de divers stratagèmes plus saugrenus les uns que les autres – une combinaison complexe d’usage de ses bagues de communication avec les fourmis et les araignées, un recours au réseau des Petits Potes, une chance de cocu presqu’inespérée pour lui, et un rat visiblement habitué et ouvert au marchandage avec les humains – le coursier aurait été fort désappointé de devoir annuler leur entrevue.

    Calixte avait choisi ce point de rencontre parce qu’il y avait des facilités d’accès via une connaissance qui y travaillait. Rencontrée initialement par l’intermédiaire de Diane, du temps où il fréquentait relativement assidument le cabaret du Chat Noir, l’espion avait gardé contact avec Clara et il n’était pas rare qu’ils échangeassent quelques bons procédés. Plus que des amis, ils étaient restés des connaissances professionnelles ; le coursier profitant des rumeurs que lui faisait parvenir la jeune femme, et cette dernière bénéficiant gratuitement du système de la Prévoyance – la déconvenue subite de son emploi précédant lui avait appris l’intérêt d’avoir une épargne sûre. Clara avait changé d’employeur lorsque le Chat Noir avait définitivement fermé, et s’était tournée vers un travail régulier de serveuse à la taverne des Cinq Cristaux. Cette dernière, située à l’angle de l’une des artères principales de la Capitale et de la Place Commerçante, connaissait un essor dû non seulement à sa localisation, mais aussi à son standing apprécié par les riches bourses s’affairant dans le coin. Et puis, les tenues seyantes de ses employés – en majorité de sexe féminin – toujours très sensuelles tout en flirtant délicatement avec la limite de la vulgarité, n’étaient pas pour rebuter une clientèle toujours plus nombreuse.

    Sous prétexte d’un rhume carabiné de la titulaire, Calixte avait glissé ses pieds dans les escarpins de Clara, et remplacé celle-ci sur sa demi-journée de travail – sa matinée ayant été autrement prise à l’hôpital de l’Astre. Ça n’était pas la première fois qu’ils procédaient ainsi, et ça ne serait pas la dernière non plus. Pendant que l’espion profitait de quelques heures au cœur de l’effervescence de la taverne, la jeune femme se payait le luxe de congés improvisés pendant que son employeur se satisfaisait d’un remplacement sans conséquences pour lui. Pour toute sa maladresse, grâce à son entrainement officieux et son expérience de terrain, le coursier était à présent rompu au travail de serveur. Rares étaient à présent les piles de verre finissant un peu trop promptement leur vie contre le sol des bars. C’était donc sous des traits féminins, obtenus via le SAPIC usé déjà par deux fois afin de ne pas changer de manière impromptue de genre, que lo soldat-e observait la cliente de la table numéro sept. Kat. Probablement. Certainement. Sa silhouette n’était pas exactement conforme au souvenir qu’iel en avait gardé, mais iel n’avait pas exactement pu détailler celle-ci en de parfaites conditions les fois précédentes, et leur dernière rencontre remontait déjà à plusieurs lunes. La mémoire de l’espion-ne avait ses limites.
    Néanmoins, la barre chocolatée disposée en évidence à côté d’elle, et les trois doigts familiers étendus de manière presque négligente, permettaient peu de place au doute. Passant un coup de torchon distrait sur son plateau, iel leva un regard interrogateur vers l’un de ses collègues revenant vers le comptoir du bar.

    - Bières pour la trois, sept, onze et quinze, indiqua-t-il au barista. Trois cafés pour la deux.
    - J’amène celle de la sept, intervint-iel.
    - J’croyais qu’t’avais fini. Charlotte n’est pas arrivée ?
    - Si. Mais c’est une amie, répondit-iel avec un sourire tout en détachant le tablier ceinturé à ses hanches avant d’aviser le minuscule vestiaire des employés.

    Le cagibi était déjà occupé de quatre autres personnes, comme on arrivait sur l’heure de relève, et Calixte abandonna l’idée de se changer complètement. Enfilant un simple gilet par-dessus son uniforme de serveur-se, iel défit le chignon sévère mais pratique qu’iel avait opté pour l’après-midi, et laissa ses blondes mèches cascader sur ses épaules – pour une image non contractuelle, je vous invite à regarder le profil d’Astrid uhuh. Le SAPIC avait encore devant lui six bonnes heures d’action, et iel hésita à raccourcir d’un coup de peigne magique sa chevelure, afin de coller davantage à la silhouette que Kat lui connaissait. Avant de finalement éluder cette pensée. Iel ne pourrait de toute façon rien pour ses courbes ostensiblement féminines, et ça n’était pas comme si l’objet de pouvoir modifiait non plus radicalement ses traits, en dehors de le changer de genre. Ses doigts passèrent instinctivement sur le léger, presqu’invisible, arrondi de son ventre, et iel se demanda si cette rencontre se serait déroulée autrement si elle avait eu lieu avant son assignation avec Solveig dans les montagnes quelques jours auparavant. Secouant la tête pour chasser tout songe parasite – il serait toujours temps de s’abrutir d’interrogations lorsqu’iel serait de retour à la Volière, si possible dans le confort des effluves florales des tisanes de Luz – iel ramassa sa besace et quitta le vestiaire.

    Ramassant la chope nouvellement remplie sur le comptoir, et négociant de ses grands yeux remplis de – fausse – innocence un verre de jus de pommes, Calixte traversa la taverne animée d’un pas léger jusqu’à la table où se trouvait sa cible.

    - Kat ? fit-iel avec une curiosité trempée d’anticipation.

    Et iel déposa la bière à côté de la barre chocolatée tout en plaçant dans ce mouvement le geste des trois doigts, avant de revenir à une posture des plus candides et s’assoir à côté de la jeune femme. Dans la lueur crue projetée par l’éclat vif des cristaux de lumière, l’espion-ne laissa ses yeux ambrés courir le long des traits de cette inconnue qui n’en était plus tellement une, avant de rebalayer leur entourage immédiat. Kat avait choisi – ou tout du moins, avait choisi parmi les tables que lo faux-sse serveur-se avait pris soin de laisser libres – de s’installer non loin de l’issue principale de la taverne, mais aussi de l’une des rares fenêtres teintées de l’établissement, de manière à pouvoir garder un œil sur l’agitation de la pièce tout en présentant un profil relativement discret à son entourage. Cela avait pris plusieurs tournées à Calixte d’appréhender correctement la silhouette de la jeune femme sur l’heure précédente, et quelques circonvolutions adroites afin de pouvoir affiner les souvenirs qu’iel avait d’elle, non seulement de son dos et de ses latéralités, mais aussi de ses courbes antérieures, en toute délicatesse.

    - Kit, évidemment, précisa-t-iel pour effacer toute confusion, croisant l’azur méfiant de son ambre souriant. Certaines obligations m’ont fait prendre cette apparence, pour quelques temps, précisa-t-iel tout en tirant de sa besace son globe de vérité pour appuyer la véracité de ses propos.

    Il y avait une certaine fatigue, plus que la tension qu’iel connaissait à Kat, tirant les traits de cette dernière et faisant écho au propre désir de repos, et de calme, qui croissait toujours plus dans la poitrine de l’espion-ne. Néanmoins, si iel avait mentionné à Luz que sa situation complexe – et se complexifiant toujours plus – lo faisait réviser certains aspects de sa vie actuelle, iel avait toujours eu tendance à se complaire dans cette fuite en avant lui évitant d’affronter pleinement certaines décisions, certaines réalités. Et, présentement, engoncé dans son double travail, iel mettait joyeuse en berne la lassitude bordée de dissonance harassant doucement mais certainement son âme.

    - Je suis presque surprise que nous ne nous soyons pas recroisées plus tôt, poursuivit-iel en arquant un sourcil amusé. J’avais pris goût à te voir surgir de manière impromptue au décours de mes assignations ; beaucoup de travail ?

    Prudent-e des oreilles potentiellement indiscrètes bien que la table à laquelle iels étaient assis-es fût relativement éloignée des autres et protégée par le brouhaha ambiant de la pièce, afin de ne pas se mettre davantage en porte-à-faux, Calixte avait opté pour s’attribuer temporairement le féminin.

    - Et en parlant de travail : as-tu réfléchi à ma dernière proposition ?
    Ivara Streÿk& Inaros
    Ivara Streÿk
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    Ven 13 Aoû 2021 - 16:36 #

    À la mesure du passage

    des astres

    Inaros


    Il leva les yeux vers celui qui venait de l’interpeller par un prénom qu’il n’avait donné qu’à une seule personne. Il avait été surpris par son intonation de voix plus douce, lui semblait-il, que dans ses souvenirs. Des lunes s’étaient écoulées et il avait été occupé par plusieurs autres affaires, sans doute était-il normal qu’il ne se souvienne pas de ce genre de détail. Plissant les yeux, comme un petit vieux qui essayait de déchiffrer son journal sans ses lunettes de vue, il fut bien obligé de constater que sa mémoire et ses sens lui avaient cruellement fait défaut lors de leurs entrevues précédentes. Lui qui s’était attendu à voir le fringant jeune homme des dernières fois, il se retrouvait nez à nez avec des courbes féminines - très bien définies, là n’était pas la question. Sa chevelure rivalisait avec celle d’Ivara, son visage s’était affiné, ses yeux étaient un peu plus grands et étirés, sa silhouette et son attitude générale laissaient transparaître plus de grâce dans ses mouvements. Pourtant, pas de doute, il s’agissait bien de Kit.

    Mais l’explication arriva bien vite et, dans ce monde où la magie était omniprésente et où lui-même était coincé dans le corps d’une femme, il ne trouva pas cette situation plus étrange qu’à l’accoutumée. Au contraire, il se mit presqu’à jalouser ce talent et il se demanda si la paie des soldats était à ce point conséquente pour pouvoir s’offrir les fameuses potions pour changer de genre. Il s’agissait en tout cas bel et bien de Kit, celui - ou celle - qu’il avait croisé à de nombreuses reprises et à qui il avait adressé cette invitation.

    - T’as l’air d’pouvoir choisir toi au moins, marmonna-t-il à moitié dans sa barbe - inexistante à son plus grand désarroi.

    C’était aussi une période où les tensions avec la sculptrice ne faisaient que croître. La situation était pénible, usante pour l’un comme pour l’autre, et n’était pas prête de se calmer. Tous les deux se pensaient dans leur bon droit et elle avait si bien floué le mercenaire qu’il n’éprouvait plus aucun scrupule à son égard.

    D’un signe de tête, il remercia Kit pour la chope de bière déposée sur la table. Il remarqua également que, sous son gilet, la blonde portait en réalité un costume de serveuse. Un sourcil arqué vers le haut pour marquer son étonnement, il faillit formuler sa question à voix haute avant de se raviser. Après tout, le fait qu’iel possède un tel obet - le globe de vérité - l’avait aussi beaucoup intrigué et il n’avait rien dit. Et puis, lui aussi avait ses secrets et le moment n’était sûrement pas venu de questionner ainsi Kit. Il opta donc pour le silence, mais peut-être pas pour le meilleur puisque ce fut à lui d’être cuisiné.

    - Beaucoup d’travail. C’plutôt moi qui suis étonné d’pas t’avoir r’croisé plus tôt. J’ai bien cru qu’t’allais m’ignorer, n’recevant pas d’réponse d’ta part avant… Longtemps. J’pas compté.

    Il ne donna pas tout de suite plus de précisions sur ce fameux travail, qui avait surtout concerné la création d’un ordre de chasseurs d’artefacts. Ses cernes violettes, ses paupières tombantes, ses traits marqués par la fatigue étaient juste marqueurs de ce fait : il n’avait pas chômé. Il avait tant réfléchi à l’Ordre, qu’il en avait oublié la proposition de Kit et il n’avait même pas pensé que le sujet pourrait être ramené sur la table, encore moins aussi vite. Buvant la moitié de sa chope d’une traite pour mieux réfléchir, il la reposa un peu plus brutalement que ce qu’il pensait sur la table. L’alcool n’aidait pas et commençait déjà à lui monter à la tête. Ajoutez à cela un peu de faiblesse due à l’épuisement…

    - J’n’y ai pas vraiment réfléchi. Pas du tout, pour être honnête. Quelles genres, hum, d’infos, pourraient m’être d’mandé ?

    Peut-être qu’il pourrait accepter et que ça pourrait être bénéfique pour l’Ordre de Célantia. Ou peut-être pas. Il lui fallait peser les pour et les contre. Il n’avait pas encore perdu toute sa tête.

    - Vois-tu j’ai… J’ai une… Rejoins une sorte d’Ordre où on essaie de trouver, chasser et récupérer certains trucs anciens. L’genre d’truc avec une histoire, un passé, que’que chose à raconter ou qui permettent de d’venir plus riches. Rien d’illégal, j’te rassure. Mais, l’réseau est plutôt bon. Très bon. P’t’être de quoi m’permettre d’être encore plus utile… Ou bien p’t’être que ça pourrait t’être utile pour toi d’le r’joindre. T’as l’air d’aimer avoir plusieurs couvertures.

    Après un coup d'œil appuyé sur son chemisier et une claque mentale, il coupa court le reste de son argumentaire. Lui qui avait dit qu’il n’en parlerait pas, l’alcool lui avait délié la langue. Non seulement s’était-il retrouvé à mentionner en partie l’Ordre, mais aussi à proposer à Kit de le rejoindre. Oh, ce n’était pas incompatible avec son travail de garde mais certains préceptes étaient peut-être incompatibles avec ses choix de vie personnels. En règle générale, un célonaute était recruté après un temps d’observation de l’individu, une fois que l’on était certain de ses capacités et de sa vision des choses. Là, ce n’était pas le cas. Ils avaient beau s’être croisés plusieurs fois, ces deux jeunes gens ne se connaissaient pas plus que ça.

    La boisson faisait tomber son masque froid et dur de mercenaire. En réalité, il avait surtout besoin de parler à quelqu’un et de se confier, mais il ne se l’avouait pas. Plusieurs de ses réflexions allaient dans ce sens. Celle qui suivit n’en était pas exclue.

    - T’es obligé d’rien. Ce s’rait juste cool de t’avoir avec nous, j’pense. Tu sais bien t’débrouiller et… Il ne savait pas quoi ajouter, ni plus quoi dire. Tu vas vraiment boire c’te jus ? Prends donc une bière, non ? s’exclama-t-il pour détourner l’attention sur tout ce qu’il venait de dire.

    Oh, ce pauvre Inaros était bien seul et cela ne se ressentait que trop bien dans ce qu’il disait. Il en ressortait comme une pointe de détresse. Chaque mot était comme une bouteille jetée dans un torrent impétueux et qui n’avait, finalement, aucune plage sur laquelle terminer son périple. Il se surprit même à tousser, couvrant sa bouche avec le pli de son coude.

    - Promis, j’essaie pas d’te faire boire comme un d’ses mecs minables, se justifia-t-il après coup.

    Qui avait dit qu’il ne pouvait pas enchaîner bourde sur bourde ? Ce n’était peut-être pas le bon jour pour le mercenaire car, pensant bien faire, il leva la main pour interpeller une serveuse et manqua de renverser le verre, bien plein, de celui qu’il avait autrefois connu comme étant le soldat Walsh.
    Contenu sponsorisé
    Informations
    Re: A la mesure du passage des astres
    #
    Le royaume d'Aryon  » Le royaume d'Aryon » La capitale
    Aller à la page : 1, 2  Suivant