— Mais ! Ce n’est pas une histoire où il faut être assez grand pour l’entendre ! Tu viens de me préparer le terrain pour une histoire plein de trucs horrible ou inavouable et on finit avec une simple courgette dans le derrière… C’est vraiment comme si tu disais qu’il allait avoir un superbe dessert au chocolat, que tu le tenace pendant tout le repas et en tu finis avec du bain et une barre de chocolat… Il y a un peu de la promesse d’origine, mais pas vraiment… Ou est-ce que je fais si gamin que cela pour croire que je serais choqué par cela ?
Tu te poses vraiment la question mine de rien. Alors que tu demandes cela la neige commence à tomber sur vous et vous rester dehors tout de même, après tout ce n’est pas quelques flocons qui vont vous faire peur avec vos super ponchos et la grille gourmands qui fait une source de chaleur en plus.
— Je sais que cela ne se voit pas, mais je suis a l’académie depuis mes douze ans, cela fait trois ans que j’officie comme garde et je suis soigneuse de base, il y a plus horrible que j’ai pu voir avec mes propres yeux. Est-ce que tu te rends compte de ce que certains gardes se mettent dans le derrière en étant bourré ou parce qu’ils veulent faire des expériences ? Ne me prends pas pour une enfant comme ça.
Un bon claquement de langue agacer se faire entendre et on croirait presque que tu es vraiment agacer. Même si tu l’as tout de même un peu, parce que vraiment il y a pire qu’une courgette dans cette zone-là. Les bouts de verre par exemple c’est assez peu reluisant. Quand c’est retourner comme une vielle chaussette aussi, mais ne partons pas sur ce chemin-là.
— Bon ! À moi du coup… hum…
Tu attrapes une brochette en face de toi et remontes dans tes souvenirs pour voir ce que tu pourrais utiliser. C’est le contact de ton collier qui te fait repenser à une anecdote qu’il avait raconté pendant la période où il le fabriquait. Finissait ta bouchère avec un gémissement de contentement, parce que la brochette est vachement bonne, il faut le dire, tu attaques ton tour.
— Pendant la période où il cherchait la pierre de lune parfaite pour finir mon pendentif, il m’a dit que vous aviez dû faire l’escorte d’une chorale. Attention, pas n’importe quelle chorale de pécore qui ne sait pas quoi faire de sa fin de semaine et qui finit dans les temples de Lucy en désespoir de cause. Non, une chorale qui avaient ensemble un pouvoir d’illusion énorme, une chanson de leur part et tu pouvais te penser en plein dans un champ de tournesol en pleine saison froide alors que c’est normalement impossible. Il y avait les sensations de tout dans l’illusion, vraiment quelque chose de parfait.
Il devrait avoir une dizaine de personnes qui faisait partit de cela et vous n’aviez aucune idée de qui avait quoi en pouvoir, mais ce qui était certain c’est que depuis des heures une bonne odeur de nourriture embaumait l’air et entourais tout le groupe. L’odeur était si forte que pas un seul estomac ne grognait pas comme des animaux enrager, mais personne ne disaient rien, comme dans un accord tacite que cela devait être normal, pourtant l’odeur amplifiait et amplifiait, sans jamais s’arrêter. Il y a même plusieurs créatures qui se sont arrêtées pour vous attaquer attirer par cette délicieuse odeur sans que rien ne change.
Cela devait faire une bonne heure que la dernière créature vous avez attaquer et en fait vous vous êtes rendu compte que vous sembliez pris dans une illusion qui vous faisait tourner en rond sans rien pouvoir faire d’autre. C’est l’incompréhension dans toute la troupe parce que personne ne sait ce qui arrive. Tout le monde commence enfin à parler et se disputer et alors que cela semble tourner en bagarre générale sans que vous n’arriviez a calmé qui que se soit c’est soudain le grand noir total avant une lumière vive et vous voilà assis tous les deux face à la troupe qui vous demande de comment était la prestation. Il parait que naïvement tu as dit que tu n’avais pas trop compris ce qui s’était passé et que cela vous avez valu une nouvelle chanson et une illusion bien plus longue et différente à vivre. Qu’heureusement vous étiez déjà arrivé à destination sinon vous n’auriez pas quitté la ville de départ à ce rythme.
Pourtant, tu le sais, cela s’entendait à l’intonation e ton frère quand il l’avait raconté, c’était seulement lui qui avait voulu entendre le chant la première fois. Lui qui avait voulu jouer au dur qui n’avait pas vu la différence. Lui, tout seul, qui avait été coincé dans cette illusion-là précisément alors que Java profitait elle du repas avec le reste de la troupe. Cela n’en restait pas moins une des histoires qu’elle appréciait beaucoup entendre parce que cela l’amusait à chaque fois.
— A toi du coup, mangue, bureaucratie, peigne !
Et pendant ce temps elle attrapa une nouvelle brochette qu’elle mangea avec un plaisir non feint en regardant la neige tomber et les étoiles toujours aussi visibles pour le moment.
▬ C'est vrai ! Faut pas m'en vouloir, c'est un réflexe un peu automatique devant les p'tites jeunes aux grands yeux. C'est même pas que j'te vois comme une gosse, juste, plutôt, comme, bah... la sœur d'un ami ? Et belle comme tout, en plus. On m'a appris à pas raconter des choses comme ça aux jolies sœurs de mes amis. Mais t'es pas comme les autres, toi, hm ?
Elle la taquine un peu, sans vraiment attendre de réponse. C'était sa façon à elle de sauver les meubles sans trop ravaler sa fierté. Et puis, après tout, si elle ne voulait pas être chouchoutée, Java n'allait pas commencer maintenant, non ? Elle écoute son histoire tout en la regardant de temps en temps, son attention alternant entre retourner les brochettes, faire un petit commentaire, et manger les brochettes.
Ses yeux se perdent sur son pendentif tout en se remémorant les illusions de la chorale... Un sacré casse-tête, celui-là. Elle hésite un peu, puis se permet de quand même se moquer un peu de Polycaon, particulièrement de sa manie de vouloir écouter tous les musiciens qu'il croisait. Une manie qu'elle avait un peu récupéré à sa façon... Java sourit en entendant les mots que Xylia lui donne. Celle-là, elle l'avait raconté au moins une douzaine de fois rien que pendant la dernière lune. Elle garde un œil sur les brochettes pendant son récit, histoire de continuer à régaler sa nouvelle amie.
▬ Il a dû te le dire. Il voulait rejoindre la Commission. Un bel avenir, hein ? Enfin, il voyait ça comme ça. Perso ça m'a jamais vraiment attirée. Bref, pour amorcer le processus, il a commencé à contacter des amis de la famille, des nobles qu'on a aidé, des gens d'la haute, quoi. Et bien sûr, comme les lettres de recommandation, c'est jamais gratuits, on a dû rendre quelques services... Il voulait tout faire tout seul, au début, mais j'me suis incrustée dans ses trucs quand même. Parce qu'on devait quand même assurer nos devoirs habituels à côté, et puis bon, parce que j'aime pas laisser mes amis galérer tout seuls, même face à la bureaucratie.
Elle s'éloigne un peu du grill pour remettre son poncho, histoire de se blottir dedans pour le reste de l'histoire, et revient s'asseoir près de Xylia.
▬ Des fois, fallait juste qu'on joue les coursiers. Aller dire à machin que truc est enceinte de bidule, livrer un marteau au forgeron du coin, tu vois le genre, quoi. Jusqu'à ce qu'on rencontre... l'Artiste. On l'a surnommé comme ça parce que- bah, tu verras, mais c'est largement mérité. En gros, une amie d'une dame qu'on avait sauvée une fois nous a demandé d'aller récupérer une commande très très importante pendant qu'on était près du lac, mais sans nous dire quoi. Juste où trouver la personne, qu'elle préviendrait de notre arrivée. Rien que là, on aurait dû se méfier. Mais non ! Popol était motivé à l'idée de voir la fin de son calvaire, et à ce stade, y avait plus vraiment de quoi être surpris. Les nobles ont toujours des idées bizarres, t'façon. Donc on est allés au point de rendez-vous, où un type moitié-homme moitié-arbre nous a accueilli.
Java s'attarde un peu sur la description du bonhomme : les cheveux feuillus, des branches un peu partout sur le corps, la peau fusionnée avec l'écorce... C'est comme si elle y était à nouveau.
▬ Ca commence à partir en vrille quand le type veut qu'on lui serve de muses. Je savais pas ce que c'était alors j'ai dit oui, et on s'est retrouvé à taper des poses bizarres pendant au moins deux heures juste pour lui faire plaisir. Et le Popol, du coup, il était saoulé, donc il m'a dit de la fermer, et juste après : le type nous demande de faire des sculptures. Alors j'dis rien. Mais l'autre, il accepte direct. Et là, on s'est retrouvé à sculpter des petits tas de boue... attends... comme ça.
Elle récupère un peu de neige entre ses mains pour en faire un petit tas devant elle, et le façonne comme elle peut en une espèce de bonhomme difforme.
▬ Haha ! Aussi moche qu'à l'époque. Tu peux essayer aussi si tu veux, c'est marrant. Bref, le gars observe nos sculptures, il est content, puis après nous avoir demandé de manger des mangues sans les mains, de faire de la musique en utilisant uniquement nos visages, et de lui raboter quelques branches qui le grattaient, l'Artiste a eu son illumination. Et comme s'il nous avait oublié d'un coup, il a commencé à peindre sans s'arrêter, après avoir jeté un petit paquet devant nos pieds. La seule chose qu'il nous a dit avant qu'on parte, c'était de pas ouvrir le paquet avant sa destinataire. Alors forcément, on avait du boulot à faire avant de retourner la voir, donc le truc a fini au fond d'un sac et on l'a quasiment oublié pendant une lune. C'est Popol qui a fini par le ramener tout seul, parce que je voulais rentrer pour l'anniversaire de mon père. Et tu sais ce que c'était ? Juste un vieux peigne en métal tout rouillé. Apparemment, il avait une histoire de malédiction ou j'sais pas quoi, et elle voulait le récupérer pour j'sais pas quoi non plus. Tout ce que je sais, c'est que Popol m'a payé un sacré dîner pour se racheter après ça !
Après avoir ri un bon coup, elle redevient un peu plus sérieuse. La météo se gâte, et même si elles auront quand même pu dîner, elles feraient peut-être mieux de se mettre à l'abri dans la tente... Java décide de suspendre le jeu un bref instant.
▬ Ca va pas te gêner, pour ta prière, que les étoiles soient cachées par les nuages ?
Apostate ne veut pas dire égoïste, après tout.
Tu écoutes l’histoire avec un certain poids au cœur, tout ses efforts pour rentrer dans la commission. Tout ce qu’il a pu faire pour que cela soit possible. Tout ça pour du vent. N’avoir récolté rien de tout se travail, d’avoir même des moqueries de certaines a ses funérailles. Même sa femme avait eu un rire jaune avec cette histoire de commission, il avait promis qu’une fois là-bas il serait moins dans le feu de l’action et aurait plus de temps à passer avec son fils. Plus de ton temps l’autre monde surtout, visiblement.
Tu te mets toi aussi à faire un petit bonhomme de neige avec la poudreuse qui tombe, cela ne ressemble à rien, mais tu as passé l’âge que cela servent vraiment à quelque chose que cela ressemble à un truc. Même si au final tu as fini par fait un gloot en neige assez bien réussie, cela t’inspirait plus pour le coup.
— La commission c’était pour faire plaisir à ma mère à la base. Elle trouve le métier de garde trop dangereux et aimerais qu’on est toute une vie bien tranquille, ranger, cacher, où l’on fait des trucs de noble pompeux. Mon père disait qu’elle n’a pas toujours été ainsi, mais son premier fiancé était un garde ou aventurier, suivant qui raconte cela change, peut-être même un mélange des deux, dans tous les cas il était mal vu par la famille, mais elle était amoureuse.
C’est étrange de parler de ta mère alors que vous êtes là pour parler de ton frère, pourtant il faut cette parti de l’histoire pour tout comprendre de son obsession pour la commission. Pour comprendre les rapports tendus avec sa famille en même temps. Puis cela fait partit des sujets surtout qu’elle voudrait aborder plus librement. Comment on parle de sa famille à problème parmi les espions qui ont parfois bien pire comme souci ? On se sent juste un peu con avec ses problèmes d’adolescent et on se la ferme.
— Dans tous les cas, le gars n’est jamais revenu d’un de ses voyages loin des Archipels et elle ne voulait pas qu’on vive cela. C’est notre père qui a toujours tout fait pour qu’on fasse ce qu’on voulait, ce dont on avait besoin surtout. Mère n’est pas méchante, elle est simplement cassée maintenant.
Parce que tu le comprends qu’elle n’est pas en conflit avec toi juste pour le plaisir, elle est simplement brisée par plein de choses et on ne l’a pas renforcé pour subir ce qu’elle a subit.
— À la base Polycaon il s’en foutait de la commission et trouvait juste notre mère chiante, puis il a rencontré sa fiancée et il est tombé amoureux. Genre, littéralement, le jour où il devait la rencontrer pour la première il a glissé dans les escaliers et a fait toutes les descentes des 18 marches en marbre sur le cul et en rythme. Il a même glissé en avant et ramasse le nez sur une marche alors qu’il voulait se relever tellement il a été subjugué. Elle lui a ri au nez et a passé la journée entière à ne pas pouvoir s’arrêter de rire à chaque fois qu’elle croisait son regard, en plus il avait même troué son pantalon, mais personne n’a osé le lui dire parce que c’était déjà trop pour lui et qu’on avait peur qu’il fasse une crise cardiaque.
Cela avait été une rencontre des plus pathétiques, mais les deux c’était plus et de fil en aiguille le mariage avait été concluant entre eux.
— Tout cela pour dire qu’une fois dans sa vie il voulait ne pas reproduire ce que mère avait vécus, mais la garde c’était sa vie, il avait ça dans le sang. La commission était ce qui lui allait le mieux pour allier les deux, mais bon, même avec ce genre d’explication je trouve qu’il a pu en faire trop. Surtout qu’il ne savait mieux que personne de comment certain noble sont stupide… L’argent rend des gens cons, le pouvoir aussi, alors les deux ensembles…
Il y a un soupire lasse en disant cela et de se dresser d’un coup un peu gêner d’avoir parlé autant au final. Surtout sur au final pas un souvenir en commun que Java pouvait avoir d’une manière ou d’une autre. Enfin, sauf si Polycaon lui en avait parlé, mais il était assez pudique sur sa vie de couple et surtout de comment tout avait commencé avec sa femme.
— Après, c’était son but, quelque en soit les raisons, je n’ai pas à juger de cela… et c’est un peu gênant, parce qu’on c’est déplacer pour mieux les voir, mais les Astres sont toujours là. Qu’on les voie ou non, ils sont là pour nous et ma prière atteindra mon but dans tous les cas.
Tout en disant cela, elle joint les mains et en profite pour chantonner son chant aux étoiles pendant que certains sont encore un peu visibles. C’est doux et sa voix laisse transparaitre l’habitude de l’exercice. Il y a une justesse que tu as une certaine fierté d’arriver à avoir. Une fois cela fait tu te ressert une tasse de thé et souffle un peu dessus pour la refroidir.
— Tu veux peut-être manger un bout avant de l’on continue ou même changer de jeu. Tu me dis, moi je m’adapte, je suis douer pour ça.
Pendant que Xylia chante aux Astres, elle fait une roulade en arrière dans la poudreuse pour se relever, de façon un peu plus sportive que d'habitude, certes, mais c'était le but. Elle enlève la neige qui s'est déposée sur son poncho et commence à s'étirer en prévision de la nuit qui arrive. Mieux vaut le faire maintenant que dans le noir total et quand il fera encore plus froid.
▬ Sympa. Je sais plus si j'te l'avais dit l'autre jour, mais tu chantes vraiment bien. Je m'étire un peu et on reprend ? Faut que je garde mes bonnes habitudes, sinon c'est mon dos qui va chanter demain matin. Beaucoup moins bien qu'toi.
Java s'exécute, et se concentre particulièrement sur ses bras. Elle avait renforcé ses dernières routines afin de grimper et de se balancer plus rapidement entre les arbres – en tant que nouvelle Tsi'ly, il fallait tout de même qu'elle soit à la hauteur pour pouvoir répondre rapidement en cas d'urgence. Plus particulièrement, il fallait qu'elle renforce ses compétences pour que ses clones puissent en bénéficier. Après une dizaine de minutes d'exercices, elle se rapproche à nouveau du grill pour y placer quatre brochettes, toutes différentes.
▬ J'aurais jamais cru, mais c'est plutôt agréable de faire ça en poncho. Même si ça fait un peu voile de bateau. Au moins, maintenant, j'ai bien chaud. J'vais continuer à manger tant que le grille-gourmand s'éteint pas, hésite pas à te servir aussi, si t'as encore faim.
Elle rajoute quelques brochettes de légumes, histoire de donner l'impression d'un repas varié. En vrai, c'était surtout parce qu'elle aimait bien l'odeur des trucs grillés. Tout en machouillant un morceau de poulet, elle réfléchit à ses mots... Tiens. Pas mal, ça.
▬ Quand tu seras prête... fête, velours, et sabre.
Et elle continue de manger gaiement.
— Oui, tu me l’avais dit ! Je suis assez fière d’arriver à bien chanter, même si en combat cela ne sert à rien du tout. Après, le fait de chanter tout les jours et le plus juste possible pour honorer les Astres aide pas mal… Je me vois mal les honorer avec des chants faux, à ce moment une prière silencieuse serait encore la meilleure chose à faire. Enfin, c’est ce que je me dis.
Puis, il faut le dire aussi, avoir travaillé ta voix avait été important dans ton apprentissage chez les espions, après tout il fallait savoir la moduler assez pour se faire passer pour quelqu’un d’autre ou ne pas se faire prendre à mentir. Il y a tellement d’émotion qui passe par la voix que c’est l’un des outils que tu as le plus rapidement appris à devoir gérer.
— Merci de m’avoir rappelé de faire aussi mes exercices, j’avoue que souvent j’oublie et même si je de quoi me retaper c’est mieux sans avoir besoin de cela.
Une fois tes exercices aussi faits tu prends un morceau de poulet et le dévore avec appétit. Une part de toi regarde les brochettes e légumes avec envie, tu en prendre certainement une quand cela sera cuit. Ce n’est même pas une question d’équilibre alimentaire, juste c’est bon pour toi, alors tu manges. C’est souvent ainsi que tu as réfléchi, au plus grand malheur de ta mère qui aurait voulu que tu fasses attention à tes formes. Comme si on avait le temps pour ce genre de truc ou même si cela n’était pas dangereux même, mais bon, comme dit avant, ta mère te voudrait ailleurs que dans la garde de toute façon.
— Je n’hésite pas, c’est mauvais pour le moral de le faire et pour le ventre aussi.
Hésiter c’est mourir.
— J’ai le souvenir parfait ! Il m’avait parlé d’un sabre fait en verre, uniquement décoratif, qui devait être livré à bon port, en soit vous n’aviez qu’une escorte d’une petite caravane tout ce qu’il y a de plus classique. Dans toutes leurs cargaisons, il y avait plein d’objets avec beaucoup plus de valeur que ce sabre-là. Il avait même été dans l’intituler de cette escorte que si le bon était perdu ce n’était pas le plus important, les vies humaines passaient bien avant, que le moins de combats possible étaient demandés. Vous aviez visiblement trouvé cela louche qu’on demande a vous deux de faire ce genre de mission, parce qu’il était connu que vous aviez plus de facilité en combat qu’en négociation. Il disait que c’était toi qui l’influençais parce que sinon il ferait tout à la négociation et qu’il était un pro pour cela. Vu de comment il se faisait avoir par les marchands qui passait à la maison, je doute de ce point-là, mais passons.
Ton frère était trop idéaliste pour son propre bien. Un peu comme toi certainement.
— Le voyage ne se passe sans encombre, vraiment, aucun souci d’un bout à l’autre et la livraison arrive à bon port. Enfin, le caisson avec le sabre arrive à bon port, seulement, manque de chance, en l’ouvrant, on se rend compte d’une erreur. C’est un caisson rempli de vêtement de toute sorte, de bonne facture et qui fait même avoir un coup de cœur à la femme de la personne ayant voulu le sabre, il y avait visiblement dedans des robes en velours magnifique. Il n’a pas arrêté de vouloir me reproduire la façon de le dire de cette dame, visiblement c’était à mourir de rire, mais il ne fallait pas le faire, parce que ça ne faisait pas très bien.
Même si cela n’avait pas du manqué de le faire une fois sorti de la pièce.
— Suite à cela vous avez du remplir plein de papier pour une plainte de vol et perte de marchandise et quand enfin ce fut tout rempli, laborieusement, vu qu’on vous l’avez demander de le faire chacun de votre côté et que cela devait être parfaitement identique, il avait eu la personne du convoi qui c’était tromper de caisson qui est venu par elle-même savoir si on pouvait lui rendre son caisson à elle. En fait, le plus compliquer fut de faire que le caisson de vêtement parte de chez le noble parce que sa femme voulait vraiment garder le tout, alors que le propriétaire d’origine souhait donner cela à sa propre femme. Qu’au final, c’est votre supérieur qui a géré tout cela avec une partie de cartes avec tout le monde autour de la table, vous y compris ! C’est mon frère qui a fini avec la caisse de vêtement qu’il a offert à l’une de mes sœurs pour son mariage au final, alors que le sabre fut gagné par le propriétaire de la caisse de vêtement… c’est tellement ridicule tout cela… enfin bon…
Tu secoues un peu la tête et regardes le ciel maintenant blanc des nuages plein de neige. Vraiment dommage pour les étoiles, peut-être que cela se dégagerait plus tard.
— Si je pars sur temple, arbre et rivière, j’ai le droit à quoi ?
Répond Java sobrement aux remerciements, qu'elle estime ne pas mériter plus que ça. Peut-être que ça lui a donné l'idée ou la motivation de l'imiter, mais ce n'était pas son but. A ses yeux, c'était plutôt la détermination et la dévotion de Xylia qui méritaient des louanges. Mais elle préférait écouter son histoire plutôt que de l'interrompre.
Ah, oui, cette fichue escorte. Elle rit un peu en revivant l'histoire contée par Xylia, enfin, contée par son frère à travers Xylia. Il avait bien sûr arrondi les bords et loupé quelques détails – comme le fait qu'il avait perdu son slip aux cartes – mais à part ça, c'est comme si elle y était à nouveau. Quand tout était plus simple. Quand les plus gros problèmes étaient des erreurs de cargaison. Soudain mélancolique, elle décide de ne pas souligner le fait qu'elle ait oublié un mot. L'histoire était quand même réussie.
Après avoir englouti la dernière brochette, Java décide d'éteindre le grille-gourmand pour pouvoir le ranger plus tard, avant que la neige le dévaste. Sa jeune amie semblait repue, et elle se rapprocha d'elle pour l'enlacer de manière presque fraternelle, en passant un bras autour de ses épaules. Ca lui permettait à la fois d'être plus proche du thé et de se resservir de l'autre main, mais aussi d'avoir un peu plus chaud.
▬ Hum... Disons qu'il se peut que j'aie fait la cour à une initiée dans ma prime jeunesse. Rien qui n'ait porté ses fruits – on s'est éloignées avec le temps – mais à un moment, je passais de temps en temps au temple pour lui rendre visite, prendre des nouvelles, bref... Tout ça, quoi. On avait tous des petits détours à faire « pour le plaisir », du coup on arrangeait nos itinéraires en fonction. Sauf qu'un jour, on a eu un petit imprévu.
Java s'éclaircit la gorge. Comment Popol avait-il racontée celle-là, s'il l'avait racontée ?
▬ Le petit imprévu étant... Bah, autant que j'donne le contexte avant. Donc on débarque, y en a qui vont prier, et moi je me sépare du groupe pour aller voir ma douce. Sauf qu'au lieu de juste vouloir ma présence, elle insiste pour que ton frère vienne avec nous. Alors moi je lui dis que si c'est pour... enfin... tu vois, quoi, ben c'est mort, parce que c'est un ami et qu'on fait pas ça tous les deux. Et elle me dit que non, elle veut juste lui présenter quelqu'un. J'essaie de lui expliquer qu'il a déjà quelqu'un, du coup. Mais elle me dit qu'elle a, je cite, « mieux ». Et accessoirement, que si je la laisse pas au moins lui en parler, je dormirai solo tant qu'on sera là.
Petit rire nerveux.
▬ Du coup, on est parties lui demander, et comme il a tout de suite compris que c'était important pour elle et donc pour moi, il était sympa, il a dit oui. Ma belle initiée s'est tout de suite emballée, et elle est partie prévenir son « mieux » en nous disant de l'attendre au lieu de rendez-vous, au bord d'une rivière. J'sais pas ce qu'elle a fait qui ait pu duré aussi longtemps, mais on s'est fait bouffer par les moustiques. Au moins, elle avait choisi un coin avec des arbres pour qu'on ait de l'ombre... Et du coup, quand elles ont débarqué, on s'est retrouvé un peu cons. Parce que la personne à qui Popol devait foutre un râteau, ben, heu... c'était une prêtresse, en fait.
Petit rire sincère.
▬ Bon, j'm'en suis bien sortie de mon côté, mais le pauvre, il a pédalé comme pas possible pour éviter de vexer la dame. En même temps, il devait lui expliquer qu'il n'était ni intéressé ni disponible, alors qu'elle s'était complètement montée la tête, et sans salir le nom de votre famille... Il a réussi comme un pro, au final. Elle lui a même demandé s'ils pouvaient rester en contact après. Et cette fois, c'est moi qui ai payé ma tournée pour faire honneur à ce brave Popol.
Elle boit une gorgée de son thé, qui a tiédi pendant le récit. Il n'en est pas moins bon pour autant.
▬ A ton tour ! Oiseau, flèche, et bouteille.
— Celle je ne l’avais jamais eu, sous aucune forme, je me demande bien pourquoi.
Et sincèrement, tu te demandes de pourquoi il ne t’avait pas enjoliver cette histoire, cela aura eu mérite d’être amusant pour vos moments. Peut-être parce que lui aussi voulait te protéger encore un peu de certaines choses de la vie. Qu’il avait une certaine pudeur pour ce qui était arrivé. Qu’il ne voulait pas repenser à ce moment-là en particulier qui avait été délicat pour lui et son mariage d’une certaine façon ? C’est quelque chose que tu ne sauras certainement jamais.
— C’est un peu bête, parce que cela m’aurait amusé…
Oui, plus que ce que ça t’amusait maintenant en tout cas. Il aurait été là, il aurait été charitable, il aurait été tangible et rien n’aurait été pareil au final. Avant qu’une vague de mélancolie ne te prenne, tu attaques ton histoire. Tu ne veux pas pleurer, tu veux continuer à penser des choses joyeuse, juste et remémorer de bons souvenirs et en apprendre des nouveaux.
— Alors, celle que j’ai se déroule au tout début de son service dans la civile, enfin, c’est ainsi qu’il le présentait en tout cas, même s’il lui a fallu du temps pour me la raconter. C’était lors d’une patrouille tout ce qu’il y a de plus calme et tranquille, une où il commençait à se faire chier comme un rat mort malgré la bonne compagnie avec qui il était que cela arriva.
Plus par jeu qu’autre chose, tu fis un clin d’œil à Java pour souligner que c’était supposer être elle la bonne compagnie. Qui l’aurait crut quand on écoutait la conversation depuis le début ?
— C’était dans un village dans les pleins, un qui était un peu perdu et qui voit la garde qu’une fois les 28 lunes. L’accueil n’avait pas forcément été des plus chaleur et on vous avez même envoyer une bouteille d’huile au visage à un moment, même si là, pour le coup, c’était une erreur parce que visiblement le lanceur vous avez pris pour son conjoint qui avait visiblement oublié de ranger cela correctement. En tout cas c’était l’excuse que vous avez eue et visiblement vous n’avez pas cherché plus loin suite à un discours pacifique de sa part.
Ce que tu doutes fortement, mais c’est la version que lui t’a offerte.
— Quoi qu’il en soit, vous êtes en patrouille quand un éleveur de crocpoule vient vous voir en panique parce que certaine ce son enfui de chez lui et qu’il faut l’aider à les récupérés. Pensant qu’il n’y en avait pas beaucoup vous êtes partie à la recherche des oiseaux de l’éleveur, mais quelle ne fut pas votre surprise d’apprendre qu’il fallait en trouver soixante-neuf précisément et non deux ou trois comme ce que vous pensiez à l’origine. Seulement vous aviez déjà donné votre accord pour l’aider jusqu’à que tout soit rentré au bercail donc vous êtes partie pour faire le tour de la ville pour les récupérés sans vous prendre de représailles de leur part. Le pire dans l’histoire c’est pendant que vous cherchiez tout ces volatile placer à des lieux improbables, l’éleveur lui, il ne se bougeait pas le cul et continuait sa petite vie tranquille. Pour en attraper certain il avez fallu escalader des bâtiments ou bien encore tirer des flèches sur des mécanismes étranges pour faire les faire descendre. Il a fallu une semaine entière pour trouver toute les crocpoule et votre seul remerciement pour cela fut un grognement sur le fait qu’un gamin en vert était allé plus vite que vous, en étant seul, la dernière fois que c’était arriver avant de vous claquer la porte au nez.
Ton frère avait été complètement dépité quand il avait conté cela, comme si ce qui l’avez le plus dérange c’est qu’une personne seule était allée plus rapidement qu’eux au maximum de leur capacité. En même temps, quelle idée de perdre autant de bestioles ? Après, il semblait dire aussi que les bestioles semblaient avoir l’habitude à ce genre de fugue et s’amusait plus qu’autre chose. Qu’il y avait même à manger et boire à chacune des cachettes, comme si c’était prévu que les animaux en question y resteraient un certain temps.
— Cela a tout de même dû être quelque chose pour y rester une semaine entière.
Cela te provoque un rire en visualisant la scène alors que tu cherches tes prochains mots. Tu aimerais bien une histoire un peu épique, une qui a bougé, alors tu tentes de trouver ceux qui seront le mieux pour cela.
— Bon, cette fois, je te propose falaise, embuscade et mer.
Cela ne pouvait que donner quelque chose de sympathique, n’est-ce pas ?
C'est le moment. Il n'y aura pas de meilleur moment pour lui dire sans lui faire plus de mal. Pire : rater le coche ne passerait pas inaperçu, pas aux yeux d'une gamine aussi maligne. Java la regarde, blottie contre elle, et caresse maladroitement ses cheveux. Il va falloir qu'elle s'éloigne un peu. Elle se décale légèrement, toujours muette, et pendant ce silence de quelques minutes qui semble durer une éternité, elle se demande ce qui aurait pu être.
S'il avait été là, Polycaon aurait sûrement fait le plus gros bonhomme de neige. Il aurait insisté pour saupoudrer toutes sortes de petites épices sur les brochettes pendant la cuisson alors que les viandes étaient déjà marinées. Il aurait probablement fait une belle guirlande de fleurs pour enjoliver la tente en l'honneur de cette petite sœur, que ça la fasse rire ou pester. Son regard vide revient à Xylia. Elle commence l'histoire.
▬ Tu le sais déjà, mais c'est dangereux, d'être garde. A tout moment, on peut être appelé à mettre notre vie en jeu pour la sécurité du royaume et de ses citoyens. Et on se fait pas que des amis, quand on défend la loi. C'est pour ça qu'on est entraîné, pas vrai ? C'est pour ça qu'on se lève le matin, sans forcément savoir si on ira se coucher le soir. Les histoires que je t'ai raconté jusque là ont toutes eu une belle fin. Pas celle-là. Mais c'est pour ça que tu dois l'entendre, j'imagine... C'est important.
Embuscade.
▬ On était en chemin vers le Grand Port après une assignation. Sauf qu'on s'est fait prendre en embuscade sur le retour par une bande de hors-la-loi – une famille dont on avait démonté les opérations, je crois ? On avait arrêté l'un d'entre eux et ils nous avaient retenus comme des ennemis, quelque chose comme ça. J'ai pas vraiment écouté les explications avant la raclée. C'était chiant. Ils étaient un peu plus nombreux que nous, mais c'était pas le plus gros problème. Là où la situation s'est compliquée, c'est qu'ils se battaient vachement bien. Assez bien pour venir à bout de plusieurs de mes clones, et peu importe nos tactiques de groupes, plusieurs d'entre nous aussi.
Falaise.
▬ J'étais au sabre court contre un type avec une cimeterre, et j'ai du faire de sacrées pirouettes pour éviter de finir K.O aussi. Ton frère aussi était toujours debout, mais son adversaire utilisait sa force pour le repousser de plus en plus vers la falaise. Au final, la terre a cédé sous ses pieds, et un de mes clones a réussi à le rattraper au dernier moment...
Mer.
▬ Mais... J'ai pas... Je- J'avais plus d'énergie. Il avait pas de prise. Le clone a disparu, et il est tombé dans la mer.
Elle s'était répétée l'histoire un nombre incalculable de fois dans sa tête, mais elle n'avait que rarement dépassé ses lèvres. Java ne se rend même pas compte que ses yeux pleurent, ni que sa voix a baissé d'un ton supplémentaire. Elle continue simplement de meubler un silence qu'elle ne pourrait pas supporter.
▬ J'me rappelle pas bien de ce qui s'est passé après. J'crois que j'ai buté les deux types qui restaient. J'ai voulu plonger, mais on m'a pas laissé faire. Alors j'suis descendue, et j'ai nagé comme un diable pour essayer de le retrouver, de le sauver ? C'était trop tard. Je me suis endormie sur une crique après être ressortie de l'eau. Y avait rien à ramener... Rien à sauver. Quand on est retournés sur la falaise, je savais pas quoi faire avec ses affaires. On a déposé son sac aux types qui contactent les familles dans ces cas là. J'ai gardé une tunique qu'il voulait recoudre... J'sais pas pourquoi.
Elle tire lentement sur le ruban qui noue ses cheveux, qui tombent sur son épaule, et le montre à la jeune femme.
▬ J'ai toujours un peu de lui avec moi. J'en ai besoin, je crois ? Je... je sais pas. Je suis désolée, Xylia.
Ses yeux quittent le vide pour se plonger dans les siens. Son regard est triste, mais plus que ça : il demande sincèrement pardon. Pour n'avoir pas pu sauver un frère. Pour avoir égoïstement gardé ses couleurs dans son deuil. Pour tout, en fait. Tout ce qu'elle refoule avec les autres.
Quelque part, elle te rappelle ton frère à ce moment-là. Jamais tu ne diras que ce qu’elle te dit passe bien en toi, non, parce que cela remet une grosse couche de sel sur les plaies encore beaucoup trop fraiches du deuil de ton frère. Seulement ce n’est pas à elle de porter tout cela sur ces épaules. Comme ce n’est pas à Ombre de garder la responsabilité de la mort de Ruth ou encore à toi d’arriver à sortir ta mère de ton déni.
— Pourquoi tu es désolée ?
Ta voix tremble, parce que tu ne voulais pas que le jeu finisse ainsi, parce que savoir comment il est mort ne rend pas cela plus simple et te donne encore plus envie de pleurer, mais tu es forte. Tu l’as été pour ta famille, les deux, tu peux encore une fois être forte pour quelqu’un d’autre que toi-même.
— C’est qu’une tunique, elle ne pourra pas le faire revenir, mais si toi tu en as besoin, alors garde là. Ça serait égoïste de te la prendre. On a tous eu besoin d’un truc à sa mort.
Tu ne pourrais pas supporter qu’on te prenne le collier qu’il t’a fait. Sa femme garde précieusement son alliance. Ta mère est attachée à un vieux peigne à cheveux qu’il lui avait trouvé. Son fils à une couverture brodée qu’il avait pris pour sa naissance. Un peu tout le monde dans ta famille avait un quelque chose, même insignifiance qui lui appartient d’une manière ou d’une autre. De quel droit tu lui prendrais cela à elle aussi qui a été une amie précieuse pour lui ?
— Merci, même si elle n’a pas une fin joyeuse, cette histoire il n’aurait jamais pu me la dire. Du coup, merci.
Ta voix ne tremble comme pas possible pourtant tu restes forte pour ne pas pleure parce que tu ne penses pas que c’est à toi de le faire. Le deuil à a été fait. Tu veux le croire. Même si là tout de suite tu te sens minuscule. Même si là il y a une gamine en toi qui hurle encore une fois la perte de son frère dans une mer qu’elle aime pourtant tellement.
Il y a un sentiment d’impuissance de ne pas avoir pu le sauver alors que tu n’étais même pas là. Tu n’avais même pas fini ta formation quand c’était arrivé. Pourtant une part de toi aurait voulu être là pour tenter de le sauver, alors tu n’oses même pas imaginer ce que c’est de porter cela pour Java qui a été là. Qui a eu sa magie qui l’a abandonné au pire moment possible. Une part de toi tente de le transposer avec les espions et cela te glace le sang à imaginer. Comment est-ce qu’on dort la nuit avec ce genre de chose qui nous hante ?
Tu fixes simplement Java, parce qu’au final tu n’oses même pas faire autre chose. Est-ce qu’elle va se briser si tu tentes de la toucher à un moment ?
▬ J'aurais dû le sauver. Comme toutes les autres fois où il a eu besoin de moi, et toutes les fois où j'ai eu besoin de lui...
Elle s'essuie les yeux avec son poignet bandé, et reprend.
▬ Merci à toi de m'avoir écoutée. J'sais que c'est une histoire lourde à porter – je l'ai gardée pour moi pendant un moment. J'crois que ça va encore être comme ça pendant un bout de temps. Mais comme tu la dis, on fait c'qu'il faut, hein ?
Java se penche vers les desserts, et enfourne une poignée de chocolats dans sa bouche, qu'elle engloutit immédiatement. Ca ne chasse pas l'amertume de ses mots, mais c'est bon quand même.
▬ J'peux pas m'empêcher de m'en vouloir. Te vexe pas, t'es vraiment une brave fille. Mais ça se voit que t'as mûri un peu trop vite. C'est normal... Mais t'aurais peut-être pu rester une petite sœur insouciante un peu plus longtemps sans ça. Et même si j'peux plus rien y faire, même si je suis contente d'apprendre à te connaître telle quelle, ça pique un peu de voir ça.
Elle attaque maintenant les meringues. Le bruit croustillant comble le silence comme il peut entre les deux. Au loin, un son de cloches presque effacé. Avec toutes ces histoires et tout ces silences, le temps était passé bien vite. Déjà minuit... Et pourtant, Java « couche-tôt lève-tôt » n'avait aucunement envie de dormir. Quand bien même Xylia s'endormirait, elle savait déjà qu'elle se contenterait simplement de veiller sur elle. Certaines nuits sont moins douloureuses quand elles restent blanches.
Java soupire, et son regard revient à la jeune femme. Sa maîtrise d'elle-même hors pair était plus qu'impressionnante : elle était effrayante. Bien incapable d'en connaître les vraies raisons, la garde se contentait de constater les dégâts d'un deuil, et de se poser silencieusement des questions. Elle aussi, avait changé, depuis. D'occupation, grâce à Titus, mais pas seulement. Est-ce que ça avait changé sa sœur à elle ? Ou son frère ? Elle n'aimait pas y penser, parce qu'elle savait que non. Après tout, elle n'était pas celle qui était morte, et elle n'avait jamais vraiment rien partagé d'autre de la situation que des récits vagues et quelques cicatrices. Ils avaient mieux à faire, de toute façon. Elle aurait seulement été un poids. Ou peut-être pas, mais elle était persuadée que si.
Trop gamberger n'aide pas. Et toujours égale à elle-même, Java veut protéger les autres de ce qu'elle s'inflige. Alors il faut faire diversion. Adoucir l'ambiance.
▬ J'pense qu'il serait content de nous voir comme ça. En ponchos, dans mon tipi, sous la neige, avec à manger, à boire, et des histoires. En tout cas... j'suis contente d'être là.
« Être là » avait plus d'un sens, mais elle préférait laisser l'interprétation à la finesse de la demoiselle qui lui tenait compagnie. Même si son sourire était toujours un peu triste, elle ne mentait pas. Elle ne cachait rien. Et ça, c'est déjà pas mal, pour une Java.
C’est la première pensée qui te vient en tête quand elle dit qu’elle aurait dû être là pour le sauver. Parce que tu as bien écouté son histoire, sa version, ce qu’elle a dit et c’est sans appel. Elle a été là et fait ce qu’elle pouvait. Elle s’attendait à quoi ? À faire plus que l’impossible peut-être ?
— Tu penses être une envoyée des Astres ou quelque chose dans le genre ? Parce que je ne veux pas te blesser, mais tu n’as pas la gueule de l’emploi.
Il n’y a pas vraiment d’humour dans cette affirmation. Java n’a pas la tête de l’emploi. C’est aussi simple que cela. Enfin, s’il y avait une tête à l’emploi pour ce genre de chose. Il fallait de toute manière le dire crûment parce que, là, de manière désagréable, elle te rappelle ta mère dans son déni de la mort de Polycaon. Java n’est pas dans le déni du fait qu’il ne sera plus là. Non. C’est pire. Elle est dans le déni qu’elle a fait tout ce qui était possible.
— Si tu veux, je te présente ma mère, elle est persuadée qu’il est encore en vie. Vous pourrez faire un club de thé d’auto apitoiement…
Tu dis cela avec un rire sans joie parce que cela te rend un peu triste en fait. Il serait beaucoup plus simple que rien ne soit comme cela. Le deuil sans l’esprit qui part dans tous les sens pour diverse raison cela serait tellement plus simple.
— Tu n’aurais pas dû le sauver. Tu as fait de ton mieux. Ce n’est pas toi qui as choisi qu’il y est une embuscade là. Ni que ça soit sur une falaise avec la mer en dessous. Ce n’est pas toi non plus qui as défini les limites magiques de ton pouvoir. Même avec un pouvoir qui puisse remonter dans le temps, si ça existait, je doute que tu aies pu faire mieux que ce que tu as fait ce jour-là. Ou alors il va falloir qu’on discute de ton implication dans une bande de hors-la-loi alors que tu viens passer Lieutenante.
Cela te semble stupide qu’elle s’en veuille. Toi-même tu aurais voulu pouvoir faire quelque chose, mais tu sais que ce n’est plus possible. On ne peut plus rien faire une fois une personne morte, juste s’améliorer pour que cela n’arrive pas à nouveau. Elle n’a rien pu faire pour lui, comme toi. Comme avec Ruth aussi.
— Et sinon, oui, il serait content. Moi aussi, je suis contente d’être là et que tu sois en face de moi. Il avait raison d’autant parler de toi. Tu es une bonne personne.
Elle était sa meilleure amie en fin de compte. C’est vraiment dommage qu’il n’ait pas pu vous présenter lui-même, mais ce n’est pas grave. Il reste là, dans le cœur et beaucoup trop de souvenirs.
C’est déjà bien, non ?
Elle tend le bras pour attraper les chocolats et en grignoter quelques uns. Ca remonte le moral, ça, non ? C'est que les grosses dames disent quand elles en achètent. Elles ont bien raison. C'est vrai que ça fait du bien, ces cochonneries. Après avoir dévoré quelques cœurs, elle place le sachet près de Xylia, pour qu'il soit à portée de main, si jamais elle veut se remonter le moral aussi. Une autre Java se serait peut-être dit que la solution à tout n'était pas dans la nourriture, mais pas celle d'aujourd'hui.
▬ J'crois que je préfère boire du thé et grignoter avec toi, sans vouloir manquer de respect à ta daronne. Déjà, ça fait moins loin, et puis...
Elle lui fait une petite pichenette sur le côté du bras.
▬ C'est pas plus mal si t'es là pour me rentrer dans le lard. Comme ça, j'reste à l'affût. Dans une autre vie, on s'arrangera pour que tu sois un peu plus tranquille, hein ? Et Popol aussi. Et tous les gens bien qui l'méritent.
Malgré ses jolis mots, elle arbore son sourire moqueur, son petit mécanisme de défense habituel. Bien sûr, elle n'y croit pas un seul instant. Y aura pas d'autre vie, et si y en avait une, ils se recroiseraient sûrement pas. Mais c'est pas l'important. L'important, pour elle, c'est que c'est sympa d'y penser. Et puis c'est un peu drôle, de s'imaginer dans une autre vie. Peut-être qu'elle serait un gloot ! Ou un gros babouin. Bah. C'est une vie comme une autre. On se débrouille avec ce qu'on a.
Et quand Java regarde les yeux de cette petite sœur devenue grande, elle se dit qu'elle est vraiment contente d'avoir la vie qu'elle a, et que tout ça l'ait menée à faire sa connaissance. Elle est comme son frère, unique en son genre. Mais ça, elle saurait pas mettre des mots dessus. Alors elle se contente de sourire et de manger des chocolats, jusqu'à ce que ses paupières soient de plus en plus lourdes, et qu'elle s'affale de plus en plus sur le sol de sa tente.
▬ Bonne nuit, Xylia.
Au moins, cette fois, elle aura eu le temps d'être polie avant de partir pour le monde des rêves.
— En plus elle ne fait pas des quantités suffisantes pour ne plus avoir faim après le thé, même pour moi… Tu fais le bon choix, j’accepte cela.
Comme si c’était toi qui choisissais ce genre de chose. Comme si ton acceptation changeait quelque chose. Enfin si, ça change que tu cherches à détendre l’atmosphère, a rendre tout cela moins pesant pour le reste. Moins de larmes, il y a déjà trop eu pour ton frère de toute façon.
— Dans une prochaine vie, on changera tout. C’est certain.
Dans une autre vie, tu ne seras pas noble peut-être. Tu ne seras peut-être même pas humaine ou une femme. Dans une autre vie, tu ne croiras peut-être pas aux Astres. Dans une autre vie, tout sera différent, c’est certain. Pour le moment il faut faire avec ce qu’il y a. Ce qu’il a actuellement c’est toi qui vis de deuil en deuil, de famille en famille et qui ne sait pas trop de comment on danse les prochains pas que réserve la vie, mais qui tente tout de même. La danse, ça n’a jamais été ton truc à la base, mais tout s’apprend mine de rien.
Là, dans cette vie-là, tu as deux familles, pas mal de proches et même s’il y a des pertes, tu te relèves. Alors tu vas rester debout, sourire et t’accrocher un peu à Java qui a des bouts de ton frère dans la mémoire et qui sait le rendre vivant pour quelque seconde sans que cela soit forcément larmoyant. Peut-être qu’elle aussi sera un jour assez proche pour être un membre de ta famille de cœur. Tu le voudrais en tout cas, tout serait plus simple si le monde est rempli de monde à qui pouvoir faire aveuglément confiance.
Le poids de Java qui s’endort se fait sentir, cela te fait du bien. Tu profites du temps et encore du ciel. Tu sais que tu ne tarderas pas non plus, mais tu as besoin d’un petit temps à toi aussi, le temps de finir de digérer tout cela. En tout cas, ce soir tu te sens un peu plus légère, un bout de ton deuil en moins.
— Bonne nuit Java.
Suite à cela tu te mets à fredonner une vieille berceuse de ton enfance pour accompagner ces songes. Elle a dit que tu avais une belle voix, la dernière personne à t’avoir fait un compliment sur cela et qui t’a fait autant plaisir a été Polycaon. Cela te donne envie de chantonner bien plus souvent que pour tes prières pour le coup.