Le simple désir d'une boisson chaude l'avait attisé pour l’emmener dans la première taverne qui s'offrait à elle. Qui aurait cru qu'en cette heure si tardive l'endroit pouvait être aussi bondé ? D'autant que la clientèle se faisait discordante jusqu'à l'éreintement. Il faut dire que la jeune femme ne connaissait que trop peu le grand port, ne sachant guère où elle posait le pied à chaque coin de rue. Finalement, Leina avait englouti sa boisson sans demander son reste dans le seul but de s'éclipser au plus vite. Elle aurait bien fait demi-tour avant de passer commande si on ne l'avait pas happée à la porte d'entrée pour savoir ce que voulait la demoiselle. La politesse oblige... Elle s'était installée. La faute à cette vieille porte grinçante très certainement. Malgré leur tapage ? Restée sur le porche de l'entrée, elle haussa les épaules, en se jurant qu'elle évitera désormais cet endroit. Elle regarda de droite à gauche, sa respiration apaisée nourrissant davantage la brume nocturne. De ce qu'elle pouvait percevoir, les rues paraissaient vides, un silence presque mortifère. La jeune femme aux oreilles pointues releva sa capuche avant de s'engouffrer sans regret dans la profondeur de la nuit.
Ne sachant trop où aller, elle laissa son esprit vagabonder au gré des flocons qui tombaient paisiblement sur le pavé granité. Elle déambulait là, au hasard, comme à son habitude, sans destination particulière. Pour quelles raisons ? Une simple envie. Une ballade nocturne qui avait l’avantage de remettre ses pensées à plat. Sans destination, elle n'était pourtant pas égarée, ne cherchant guère un chemin à suivre. Elle se laissait emmener par les aléas et la contingence ; le hasard faisait parfois bien les choses. Et qui sait, peut-être qu'au bout d'une nuit, une seule, elle tombera sur l'Être tant convoité. Néanmoins, la vagabonde n'était pas dupe. Difficile de croire en un tel événement libérateur. Pourtant, elle continuait d’espérer, un espoir illusoire. Au moins avait-elle l'impression de chercher, de remuer ciel et terre pour la retrouver.
Le doux bruissement des vagues la fit sortir de ses rêveries, ses pas l'avaient menés aux quais du port. L'air marin embaumait ses narines de cette odeur singulière de iode et de soufre. L'endroit semblait libéré de ce brouillard hivernal, ce qui lui offrait une vue particulièrement bien dégagée sur le paysage. La lune l'enveloppait désormais de ses rayons pâles d'une froideur affectueuse et cajoleuse, avec un délice tout particulier. La jeune femme contemplait l'immensité bleutée de l'océan ; sa mer spéculaire plus sombre que son ciel nocturne dont aucun nuage n'en ternissait sa beauté. Les flots étaient blanchis de son habituelle écume. Les étendues d'eau s'étalaient à perte de vue, une profondeur infinie qui ne pouvait lui transmettre qu'un sentiment indéfectible de liberté. La brise, à présent plus puissante, qui accompagnait la houle dansante rabattit son couvre-chef, dispersant ses cheveux d'or au vent. La mer lui sembla si calme, si sereine.
L'esprit tranquille, Leina se promena sur les pontons du quai vide de toute présence, observant un trois-mâts s’éloigner du continent, qui laissait dans son sillage, sur la surface paisible et luisante de l'océan, quelques lentes ondulations. La jeune femme termina sa ballade nocturne sur un large muré de pierre qui lui donnait une certaine hauteur et un aperçu panoramique du port et de ses étendues maritimes, bercés par la lumière lunaire. Assise là, face au vent, les jambes ballantes dans le vide, son regard portée vers l'horizon, chantonnant une douce mélodie. Au loin, le navire continuait sa course, s'éloignant inlassablement. Elle s’imagina à bord, voguant par-delà l'horizon, vers des terres nouvelles.
C'était une belle nuit, contrairement à la journée qui comme toutes les autres récemment, étaient compliquées. Ne pas savoir où dormir, errer entre tavernes et petits logements, voir des bâtiments abandonnés. Tel est mon quotidien, tant que ma situation ne se sera pas stabilisée avec la guilde, cela perdurera. Une bien belle désillusion cette liberté. Mais je conserve espoir, m'attachant à ce rêve, qui m'a fait quitter ma famille. Cela ne doit pas être en vain.
Pas de quêtes pour moi depuis une semaine, alors que je déambule, je tâte ma bourse qui commence à se faire maigre. Les seuls biens de valeurs qu'il me reste sont peut-être cette tenue en cuir de qualité, elle se vendrait à un bon prix, mais je ne peux me résigner à me séparer de cette ultime relique de ma vie passée. Je compte donc bien profiter d'un plaisir gratuit et éternel que je me suis découvert il y a peu. Avant que je ne prenne ce rythme de vie nocturne, je n'avais jamais remarqué à quel point les astres sont magnifiques. Il faut dire que le ciel embrumé de la capitale ne permet pas non plus d'en profiter. Par ailleurs, cette nuit, les cieux sont particulièrement dégagés, si ce n'est pour dire vierge de tout nuage. J'avance alors, évitant les quelques regards que l'on pourrait me lancer.
La plupart diraient que je suis probablement perdu, mais je connais ma destination. Un petit coin tranquille, à l'abris des regards. Je l'avais découvert quelques semaines plus tôt, proche d'une bâtisse délaissée, ou je n'avais passé qu'une nuit. Bien ignorant que j'étais, ma journée de sommeil fut sans cesse perturbée, que ce soit par les oiseaux marins et leurs cris permanent, ou bien les embruns qui par je ne sais quelle magie, arrivent toujours à trouver leur chemin jusqu'à votre visage. Le front de mer, est désormais rayé de ma carte des lieux ou séjourner.
Depuis maintenant une bonne heure je longe les quais. Depuis la capitainerie, où ma quête d'un éventuel travail fut un échec, jusqu’au centre névralgique du port, où même à une heure pareille les matelots s'affairent. Quelle heure est-il ? Aucune idée, le seul indicateur étant la lune surplombant les flots. Quoi qu'il en soit, j'arrive enfin vers la partie calme des quais, l'heure ne me sera pas d'une grande utilité ici, comptant passer une bonne partie de la nuit à contempler les étoiles. La lumière se faisait plus rare par ici, de quoi bien apprécier la vue. Ou bien au contraire de rater certains éléments.
J'approche d'un pas léger le lieu où j'ai pris l'habitude de me poser. Mon regard se tourne face à la mer, une mèche de cheveux s'entête à vouloir masquer le paysage. Je finis par la maintenir en place d'une main appuyée sur mon front. Je m'arrête quelques instants, puis la présence d'un ponton abandonné plus loin me fait réaliser que je suis arrivé à destination. Je me retourne, dans le but d'aller m'installer sur mon perchoir. À ma surprise, un autre oiseau de nuit au plumage doré y avait installé son nid. Mon regard fuit l'occupante de l'emplacement. Mes jambes se remettent instinctivement en mouvement, m'entraînant à poursuivre mon route le long du quai. Me voilà bien malin, fuir tel un enfant face à un inconnu. Fuir, mais pour aller où ? Quatre nuit, quatre nuit que je venais ici sans ne jamais croiser personne. Et comme par hasard, la seule que je croise me vole ma place. Réaction bien puérile penseraient certains.
Me voilà désormais une vingtaine de mètres plus loin, un pas vers la rangée de bâtiments, puis je me retourne. Elle est toujours là, j'ai pourtant prié pour que mes yeux m'aient joué un tour, ou que m'apercevant, elle prenne le départ. Mais évidement, ni l'un, ni l'autre ne s'est produit. J'aurais pu tout simplement passer mon chemin, mais pour une raison inconnue je m'obstine à vouloir récupérer ma place. Une idée me vint alors à l'esprit, le mur étant assez long, je pourrais tout simplement m'installer loin d'elle, puis espérer que ma présence la dérange. Oui, très bon plan.
C'est déterminé, que je me remet en route. Au fur et à mesure que je me rapproche, je sens la détermination me quitter, mais trop tard, impossible de faire demi-tour. Quelle image je renverrai ? Un type louche comme on en croise pas mal. Le problème, c'est que j'ai besoin de me faire une réputation pour espérer gagner ma croûte, et qui embaucherait quelqu'un qui à mauvaise réputation ? Sans compter sur ma tenue peu commune qui me trahirait sans aucun doute. Malheur à moi, me voilà au niveau de la femme, une femme d'ailleurs que je n'avais aperçue que du coin de l’œil.
Je venais de m'arrêter, mais pourquoi !? Pris d'une panique intérieure que j'espère dissimuler, j'essaye de rattraper la situation en m'adressant à la personne me faisant désormais face.
« Je .. euh, excusez moi, j'ai l'habitude de venir ici .. je vais me mettre juste un peu plus loin »
Six petits pas, et voilà que je grimpe sur le muret. Mais qu'est-ce qu'il me prend. Je tourne vivement le regard vers ma droite. À peine un mètre me sépare de la blonde. Encore une fois, la panique précipite mes actions avant que je ne puisse les prévoir. Je m'immobilise alors, une petite goutte de sueur perlant sur ma tempe, espérant devenir invisible tel un caméléon.
- « Non, reste ! Ne m'abandonne pas ! »
Sa vue se brouilla, quelques larmes se perdirent sur ses joues. Elle se mit à courir les derniers mètres les séparant, tendant la main au loin dans l'unique espoir de la toucher, alors qu'une nouvelle présence se dessinait dans son dos. Une menace ? Mais que faire, elle se faisait si proche... Si accessible... Et... elle disparut, comme absorbée par la nuit. Les pas inconnus s'arrêtèrent dans un même temps, proche, bien trop proche. Leina se retourna brusquement, faisant volte-face à cette nouvelle présence, une larme perlant, son rêve se dissipant pour revenir à la réalité. Elle redécouvrit le port, la ville citadine réapparaissant sous ses yeux éveillés. Toujours sous l'émotion, son cœur tambourinait contre sa poitrine. Sa menue poitrine qui s’élevait et s'abaissait dans un rythme effréné. Elle sentait sa pression artérielle devenue lourde alimenter tous ses muscles, son corps se préparant à agir sous une réelle menace. Toujours sur son séant, Leina observa ce nouveau visage qui s'invitait dans la scène. Elle comprit alors qu'elle s'était assoupie, et cette présence bien réelle l'avait sorti de sa torpeur onirique.
Planté là, devant elle, voilà maintenant qu'il s'adressait à elle, une gêne palpable dans ses mots. Une simple excuse, comme un coupable pris en flagrant délit, pendant son crime commit. Il se pose à ses côtés, comme si de rien n'était, se permettant d'entrer dans une sphère personnelle, comme si le port n'était pas assez grand pour les deux protagonistes. Leina avait ouï-dire que des coupe-jarrets sévissaient sur les quais. Une chance qu'elle se soit retournée avant le mauvais forfait. Qui sait ce qui se serait passé si la jeune femme était restée dans sa somnolence... Un coup derrière la nuque, une lame entre les côtes... D'un revers de main, elle sécha cette larme solitaire qui avait transcendé son rêve. Sa tension artérielle redescendit, regagnant son calme habituel après ce mauvais rêve et cette surprise nouvelle. Elle fixa le jeune homme, sans aucune gêne, d'un regard froid, lourd et calculateur. Elle essayait de déceler toute mauvaise intention de sa personne. Surveillant ses moindres faits et gestes, essayant même de mesurer sa respiration. Leina avait déjà croisé des bandits de grand chemin, mais difficile pour elle de savoir à quoi ressemblait une petite-frappe des grandes villes. Les secondes s'écoulaient lentement, entachant cette atmosphère anxiogène. Son regard toujours porté sur cette silhouette masculine, elle ne s'occupait plus de ce paysage grandiose, son esprit occultant son environnement pour se focaliser sur l'individu. Celui-ci donnait l'impression de vouloir ignorer sa présence, comme si elle n'existait tout simplement plus. Son accoutrement faisait plus penser à un jeune nobliau qu'à un malfaiteur. Peut-être un déguisement pour baisser la méfiance de sa cible ? Difficile à dire. Il ne paraissait en tout cas pas hostile, mais des compagnons d'infortune pouvaient rôder dans les ombres, attendant le moindre moment d’inattention de sa part. Après de longues secondes interminables en plein silence, la jeune femme finit alors par conclure que le plus simple serait de lui poser directement la question. Elle avisera ensuite, en fonction de sa réponse.
Ainsi, la jeune femme aux oreilles pointues se releva gracieusement sur ses jambes, l'air toujours flegmatique, détachant enfin son regard de l'inconnu. Elle observa rapidement les environs derrière elle, mesurant sa situation, tentant de déceler la moindre présence dans les ombres. Elle était dos au vide, la situation n'était pas vraiment à son avantage. Néanmoins, personne en vu. Elle se retourna alors de nouveau vers le jeune homme, s'approchant un peu plus, encore plus près, le surplombant de sa hauteur, les deux bras croisés sur son torse, un sourcil froncé. Elle brisa le silence qui se faisait toujours plus lourd, d'une voix froide et détachée :
- « Tu en as après ma bourse ? »
Ce regard, il ne me lâche pas. Je n'ose l'affronter, du coin de l’œil je distingue à peine les yeux qui me dévisagent. À vrai dire, je ne vois qu'une mèche blonde qui s'agite au grès du vent, et une petite parcelle de peau immaculée. Figé, pour seul mouvement, je déglutis. Je n'avais pourtant qu'une seule envie, regarder les cieux sombres me faisant face. Mais ce regard, même sans le soutenir je ne pouvais le quitter. En y réfléchissant, il y a de quoi, tranquille au milieu de la nuit, un inconnu s'installe à côté de vous. Je commence à me maudire, pourquoi être revenu ? Pourquoi m'être assis si proche d'elle. Je connais la réponse, et elle ne me plaît pas. Mais c'est trop tard de toute manière, il ne me reste plus qu'à prier pour.. qu'elle parte sans un mot ? Oui, c'est probablement le meilleur cas de figure. Mais quelles sont mes chances pour que cela se produise.
Il n'est plus question de parler de chance à présent. La pire des probabilités, quoique imprévisible, se dresse face à moi. Je ne pouvais plus faire l'ignorant, qui sait ce qu'elle fera ensuite. D'ailleurs, il bien vrai que je n'ai aucune idée de ce qu'elle peut bien vouloir. Si cela se trouve, je viens de m'asseoir à côté d'une tueuse qui réfléchissait à sa prochaine victime. Plus ça va, moins j'aime l'idée qu'elle prenne cet ascendant stratégique.
Cette fois je l'avais bien en visuel. Un premier pas dans ma direction. Cette fois, je ne reste pas immobile. D'une légère impulsion de mes paumes, mes pieds retrouvent la stabilité des pavés. La teinte magenta des mes yeux, ne quitte plus la silhouette fine, conservant un équilibre parfait sur le maigre mur de pierre. C'est après des secondes interminables que les premières paroles me parviennent. Sa bourse ? Si la tension n'était pas telle, j'aurais certainement éclaté de rire. À la place, seul un souffle du nez s'échappa pour traduire mon amusement. Il est vrai qu'en ce moment, je ne roule pas sur les cristaux, mais j'ai des principes et le vol n'en fait pas parti.
C'est sur un ton un empli d'arrogance que je lui réponds.
« Ta bourse .. qu'est-ce que je ferais de ta bourse ? M'acheter un repas à la taverne du coin ? La seule chose dont je voudrais m'emparer ici, ce sont ces étoiles »
Conclus-je alors tendant une main ouverte vers les astres, avant qu'elle ne se referme sans rien attraper.
Un peu trop théâtral, surtout après ce début très limite en terme d'assurance. Mais la situation n'était plus la même, je me suis senti menacé quelques instant. Au final je réalise que l'on me prend pour la menace. Peu habituel, généralement au contraire, on me sous-estime. Une allure assez frêle dissimulant mes vraies capacités. Quoi qu'il en soit, j'espère qu'a présent, la jeune femme, car je pouvais l'affirmer après plus d'observations, ne verra plus en moi un agresseur.
« Si tu pouvais descendre de là au fait, me dominer ne t'apportera pas grand chose .. »
Elle ne semble pas posséder d'arme, et je ne vois pas de raison pour qu'elle m'attaque à présent. Mais au moins, je sais que je peux me défendre. Maintenant que j'y pense, je sens que la soirée ne s'annonce pas aussi tranquille que je l’espérais.
De toute évidence, il n'était pas un coupe-jarret, un enfant des bas-quartiers ; mais plutôt l'un de ses gosses de nobles, élevé gracieusement dans des soieries aux reliques dorées, mangeant à sa faim de ses deux couverts d'argents. La mention d'une taverne et d'un repas chaud avait réveillé son estomac vide, lui rappelant alors qu'elle n'avait avalé à ce jour qu'une simple boisson chaude. Une mauvaise habitude qu'elle gardait malgré elle, ne portant que rarement une attention sur ses besoins primaires.
Mais la jeune femme avait encore fort à faire ici avant de penser à se sustenter. Elle réprima avec grande difficulté ce gargouillement passager. Comme un grattement qui la démangeait, une irritation qui grandissait. Une envie folâtre de l'aider dans son objectif ambitieux ; le balancer au loin vers les étoiles, le laissant retomber tête la première au fond des flots. Une simple pensée qui traversa son esprit. Il lui serait de toute façon impossible de le soulever au-dessus de ce muret, le lancer restait alors un rêve lointain.
En face-à-face, elle le discernait mieux à présent, sous la lumière lunaire. Une silhouette presque féminine mais qui cachait un athlétisme pourtant bien développé. Et puis, il restait bien plus grand qu'elle, et très certainement plus lourd. Bref, un individu au couleur pistache qu'il fallait se méfier, malgré son accoutrement raffiné.
Si raffiné son physique l'était, la chose se fit moins vrai sur le ton qu'il employait. Pourtant, elle se souvint, il s'était excusé un peu plus tôt en la dérangeant. Un élément qu'elle préféra cependant oublier. L'image du mauvais garçon lui sied si bien. Si elle n'avait jamais voulu se placer en dominante de la scène, elle reconnue cependant que son comportement pouvait tendre à le croire. Mais elle ne faisait que garder un ascendant sur celui qu'elle considérait au départ comme une possible menace, mais surtout pour avoir une vision d'ensemble de la scène. S'étant trompée sur toute la ligne, elle pouvait en effet descendre de son perchoir, abandonnant la place à ce jeune homme pistache pour se trouver un nouvel endroit, sans dire mot, juste en haussant les épaules. Elle éviterait ainsi des ennuis certains, des chamailleries enfantines et inutiles. Cependant, elle ne voyait pas la chose d'un si bon œil, se refusant pour une raison qui lui était inconnu de céder la place à cet inconnu. Ainsi, la jeune femme haussa les épaules, avant de souffler dans un ton catégorique :
- « Non. »
Derrière cet air d'insouciance et d'indifférence, il y avait comme un air de défi, une étincelle au fond de ses pupilles bleues.
- « Néanmoins... »
Elle pivota sur son corps, face à la mer, le regard loin dans le ciel. Néanmoins... Il est vrai que ce ciel étoilé est magnifique. Les astres stellaires étincelaient de mille feux dans ce voile nocturne. Elles étaient si nombreuses et gracieuses. Après quelque longues secondes de contemplation, Leina se décida enfin à finir sa phrase, d'une voix qui se faisait lointaine, presque absente.
- « … Ça tombe plutôt bien. Ma bourse est presque vide.»
Elle ne pensa pas à s'excuser de l'avoir pris pour ce qu'il n'était pas. Après tout, c'était lui qui s'était incrusté dans ce beau paysage, la sortant malgré elle de ses songes. Lui qui dérangeait, et non l'inverse.
- « Du coup, est-ce que ça te dirait... de...disons... »
Elle se retourna de nouveau face à lui pour ajouter d'une voix redevenue soudainement froide :
- « … D'aller attraper tes étoiles ailleurs ?... »
Le port était grand, les quais tout autant. Pour quelle raison ce mystérieux inconnu la collait-il autant ? Une question qu'elle ne se gêna pas de poser.
- « Je pense que le port est assez grand pour nous deux s'il ne s'agit que d'observer le ciel. Alors, pourquoi t'approcher si proche de moi ? »
Croisant les deux bras contre sa poitrine, son visage ne laissait rien insinuer. La jeune femme attendait en toute innocence une réponse claire de son interlocuteur.
La réponse fut brève. Le message, transmis sans aucun doute. Mais je n'arrive pas à l'accepter. À priori, ses craintes ne sont pas dissipées du tout. Et cela veut donc dire qu'elle ne songe pas à s'en aller. Pourtant elle semble avoir compris que sa bourse ne m'intéresse pas. Une simple question de fierté peut-être ? Mon regard ne la quitte plus, contrairement à elle qui me quitte des yeux l'espace d'un instant. Maintenant que j'ai engagé cette joute, pour l'instant verbale, je me vois mal abandonner ma revendication si simplement. Pas la peine de répondre instantanément, ce serait le meilleur moyen de faire un faux pas. Et je sais parfaitement que je ne suis pas fait pour les réactions, à chaud. C'est même le meilleur moyen pour moi d'exprimer ma maladresse. Il me faut donc quelque chose de réfléchi et qui marcherait à coup sûr.
Après quelques secondes d'intense de réflexion, une idée me vient. J'étais en effet venu les jours précédents sans voir personne, je peux donc tenter un bluff. Pour préparer une nouvelle tirade, je m'écarte de la jeune femme et me rapproche d'un partie du bâtiment délabré qui semble à peu près épargnée.
« Pourquoi pas ? Eh bien parce que j'ai posé mon bivouac ici depuis deux bonnes semaines à présent, donc je ne vois pas de raison pour aller chasser les étoiles ailleurs ! »
Dis-je alors presque en tournoyant sur moi même pour désigner l'entièreté de la ruine.
Cependant, certes, cela n'explique en rien ma proximité lorsque je me suis assis. Si je venais à lui dire la véritable raison, toute ma crédibilité s'écroulerai. Par chance, elle ne semble pas avoir remarqué mon premier passage, la nuit est de mon côté. La question à présent est, est-ce que je tente un quitte ou double ? Si ça réussi, parfait, mais si ça échoue, je risque de ne pas parvenir à tenir le rythme ensuite. J'ai parfaitement conscience de mes limites, tant que je suis un plan établi sans imprévus, tout se déroule parfaitement. Mais si je devais sortir un peu du sentier, mes calculs vont se retourner contre moi et je risque de paniquer. Plus le temps de réfléchir d'avantage.
« Eh bien tout simplement parce que la vue semblait plus belle de ton point de vue, je voulais simplement voir si tu avais bon goût »
J'ai failli être fier de moi, mais c'était avant que je réalise que ma langue vient de fourcher.
Je me met alors à prier je ne sais qui, espérant qu'elle ne relève pas. Et comme je l'avais prédit, un petit gravier est venu se glisser dans le rouage de mes pensées. Je commence alors à prévoir quoi répondre ensuite. Mais comment on peut rattraper ça ?! Aucune idée. Je dois essayer de me calmer. Par chance je m'étais éloigné d'elle et l'ombre des autres bâtisses doit m'envelopper. Que faire maintenant, lui couper l'herbe sous le pied et poursuivre avant qu'elle ne puisse répondre ? Nan c'est trop tard, je réfléchis trop. J'essaye bien sûr de garder un sourire un peu hautain pour prouver que je suis confiant. Mais je commence alors à me demander si c'est une bonne idée, si au contraire cela ne va pas empirer ma bourde. Et voilà que je nouveau le stress monte, je dois absolument me contenir.
Le jeune homme, distingué par cet habit raffiné, s'écarta soudainement, mais tranquillement, de sa position. Peut-être était-ce lui qui avait finalement abandonné ? Un sursaut d'amabilité ? La situation était presque étrange, comme s'il se préparait à son prochain mauvais coup. Malheureusement, il s'arrêta, pourtant en si bonne lancée, dans l'obscurité de la bâtisse. Il s'était placé à quelques mètres, là où la fondation de cette ruine paraissait en meilleur état. Leina ne discernait presque que sa silhouette. Il n'en ressortait que la couleur atypique de cette chevelure si particulière. Les deux bras toujours croisés, Lei fronça les sourcils, s'attendant au pire. Il prit enfin la parole. Si elle pouvait paraître sûre d'elle, elle fut déconcertée par ces mots, comme une surprise qui venait remodeler sa vision des choses. Une affirmation qui suggéra qu'elle avait elle-même fait preuve de maladresse, qu'elle était la gêne. Prise au dépourvu, elle laissa retomber ses bras le long de son corps.
- « Oh... Je... »
Fallait-il qu'elle s'excuse ? Qu'elle se sente gênée ? Qu'elle éprouve une forme de remords ? La chose était difficile à concevoir quand on réfléchissait à la situation. Elle se tue, essayant d'observer les formes aux travers des ombres. Il n'y avait pas que l'apparence bourgeoise du jeune homme qui contredisait ses dires, mais également la bâtisse elle-même, exempt de toute trace de vie. S'il vivait réellement ici depuis plusieurs semaines, il y aurait assurément des traces, des odeurs, des objets qui témoigneraient alors d'une présence vivante et humaine. Or, ces ruines paraissaient totalement inhabitées depuis bien longtemps. Si la jeune femme ne pouvait supporter une chose, c'était bien le mensonge. Dissimuler la vérité dans l'unique intention de la tromper délibérément. C'était mesquin. La tromperie lui laissait toujours un goût âcre et amer au fond de sa gorge. Mais pas de précipitation, peut-être disait-il vrai, même si Leina se montrait particulièrement douteuse sur les affirmations de cette chevelure pistache.
Elle voulut lui faire part de ses doutes quant à la véracité de ses propos, le sermonner comme l'on sermonne un enfant pris en flagrant délit. Du moins, jusqu'à ce que celui-ci renchérit sur ses paroles mensongères...
Encore plus douteux et nébuleux étaient ses nouveaux propos. Voir inquiétant, épris d'une étrangeté évidente. Finalement, il s'agissait peut-être d'une autre forme de prédateur. Un animal encore plus crasseux qu'un coupe-jarret qui n'en voulait qu'à sa seule et miséreuse bourse. Si la jeune femme replongeait dans ses doutes, la question se faisait davantage légitime. La liste des preuves l'inculpant s'allongeait allègrement.
Elle ne dit rien, fronçant les sourcils, tentant de discerner son faciès, d'y trouver une trace de malignité perverse sur ce jeune visage. Difficile de voir les expressions de son visage dans cette obscurité. Tout était peut-être calculé. Mais Leina n'était nullement apeurée. A vrai dire, elle ressentait plus une forme d'aigreur et d'agacement. Désireuse de confirmer les intentions de cet inconnu, elle sauta du muret et s'avança alors d'une marche décisive vers cette chevelure pistache. Elle sentait sa propre patience diminuer à chaque fois qu'elle s'en approchait davantage. La distance les séparant se fit mince, très mince, puis trop mince. Ce sourire d'arrogance se dessinait au fur et à mesure dans les ombres. Elle se planta alors juste devant lui, son visage à quelques centimètres du sien, sans aucune gêne. Le regard suspicieux et l'air dédaigneuse, son petit nez en trompette renifla une fois de dédain, avant que sa bouche consentit à parler.
- « ...Si j'ai bon goût ? C'est une blague, c'est ça ? »
Il voudrait mieux pour lui, même si dans ce cas, elle n'était absolument pas réceptive à ce genre d'humour grivois.
Parfait, la femme à la chevelure dorée, bien que ternit par la pâleur des rayons lunaire, semble mordre à l'hameçon. Elle parait même gênée de l'apprendre, il faut dire que les lieux ne payent pas de mine, et pourtant, j'y avais bien passé deux nuit il y a une semaine maintenant. À même le sol, avec pour seule couverture, mon veston. L'un des défauts de mon pouvoir est sa durabilité, je ne pouvais qu'à peine l'utiliser pour me réchauffer, à moins de rester éveillé. Mes flammes ne perdant d'intensité qu'avec une certaine lueur, les combustibles tel que le bois se consument bien rapidement, contrairement à une flamme naturelle. Mais trêve de pensées inutile pour ma situation, j'ai déjà bien assez à penser pour ma prochaine réponse. Et.. j'aurais du y réfléchir un peu plus à priori, un simple mot s'est échappé de ma diction. J'espère qu'elle n'a pas remarqué, j'essaie de distinguer les traits de son visage, mais mon interlocutrice exposant son dos à la lune, la tâche n'est pas aisée. Mes doutes s'intensifient, bien que je tente de conserver un air détendu.
Soudainement, après un petit bond la jeune femme se met en marche dans ma direction, silencieuse. Voilà que c'est à son tour de grignoter la distance nous séparant. Cette fois je pouvais voir son expression, vraiment pas ce que j'aurais souhaité voir. Il est à présent sûr qu'elle a relevé. Je reste là immobile, ne souhaitant en aucun cas perdre de ma prestance, me sachant déjà en tort pour avoir fourché. Elle s'arrête bien trop près de moi, c'est à peine quelques centimètres qui nous séparent. Que faire, que dire, que penser ? Rien, oui rien, j'attends qu'elle m'adresse la parole.
Le peu de mots qu'elle prononça, me firent sentir son souffle chaud sur mon visage. Certains aurait pu l'apprécier, dans ma situation, ce n'est pas le cas. Malheureusement, ce n'est pas une blague.
« Désolé de te décevoir, mais ce n'est pas le cas, une simple erreur de ma part. Je ne fais pas partie des cannibales que l'on peut croiser sur certaines îles, même si je dois le reconnaître, en ce moment je ne mange pas assez pour me rassasier »
Autant jouer la carte de la sincérité, tout en gardant peut-être une note d'humour. J'ai déjà pris un risque tout à l'heure avec mon bluff, pas la peine d'en rajouter plus, il faut savoir se retirer de la table de jeu au bon moment. En plus de ça, l'avoir avoué, a libéré le poids qui pesait dans mon esprit. Malgré ça, une autre chose me titille toujours, nous sommes incroyablement proches, contrairement à ce dont j'ai l'habitude. Je me déplacerai bien, mais je suis dos au seul mur à peu près en bon état. Le mouvement n'est pas une option pour le moment, cela trahirait ma faiblesse et étant donné le pétrin dans lequel je me suis fourré..
Je fais donc avec, tentant de masquer mon stress. Réfléchir n'est pas mon échappatoire, je le sais plus que tout, plus je réfléchis, plus je panique. Je dois donc parler, mais de quoi ? Peut-être essayer de faire dévier la situation sur autre chose. Le seul point commun qui me vient en tête, est notre situation financière, qui ne semble pas être la plus clinquante pour la jeune femme, comme pour moi. J'enchaîne donc, essayant de ne pas laisser un vide entre nos réponses.
« À ce que je vois.. c'est pas la forme pour nos deux bourses. C'est peut-être inutile de se chamailler pour si peu. Et puis.. comme ils m'ont dit à la guilde, mieux vaut se serrer les coudes dans les temps difficiles.. »
Chose que je n'avais absolument pas appliqué depuis que j'y suis inscrit. J'étais resté seul, j'avais fais le voyage seul jusqu'ici, réalisé de petites quêtes seul. Je ne sais pas pourquoi, mais cette phrase a refait surface en lui adressant la parole. Je n'ai plus qu'à prier, pour qu'un aventurier n'ai pas tué un de ses parents à cause d'un pouvoir mal contrôlé, ou alors je ne tiens cher de ma peau. Sans m'en rendre compte, chaque mot prononcé m'a fait prendre du recul, enfin mes pieds sont toujours à leur place, mais me voilà légèrement penché en arrière.
Pour autant, Leina ne bougea pas d'un pouce, réfléchissant longuement à la meilleure façon de réagir dans cette situation qui lui apparaissait à présent stupide, voir puérile. Un simple sourcil froncé transparaissait désormais sur son visage redevenu impassible. Son air dédaigneux s'était totalement effacé, la jeune femme se demandant pourquoi elle avait agi de manière aussi agressive. Sûrement était-elle trop fatiguée pour rester impassible face à ce sourire d'arrogance. Elle aurait mieux fait d'abandonner la place, regrettant presque d'avoir pris part à la conversation. Pourquoi est-ce que je suis encore ici moi... La chevelure pistache la fit sortir de ses pensées. Il cherchait de nouveau à calmer la situation, lui qui avait été si entreprenant dans cette fausse joute verbale enfantine. A croire que cet aventurier cherchait presque à sympathiser, essayant de trouver des points communs aux deux interlocuteurs. Et ils en existaient, assurément, étant elle-même aventurière débutante dans le domaine. Mais il ne connaissait rien de sa vie, et la jeune femme n'avait aucune envie de sympathiser. Le fait qu'il soit également aventurier sur la paille n'y changeait rien.
La jeune femme n'était arrivée pas plus tard que la veille au Grand Port, après un long voyage d'errance sans la moindre récompense. Elle était pourtant consciente que mener ainsi ses recherches n'avait aucun sens. Mais avait-elle le choix ? Pas vraiment, personne ne pouvait l'aider dans ses recherches infructueuses et si coûteuses. Leina avait rapidement compris que sans argent, on ne pouvait aller bien loin. Si la nature pouvait vous donner beaucoup de choses, elle restait tout de même limitée. Ainsi, elle réalisait de temps à autre quelques quêtes dès que son porte-monnaie se faisait vide, avant de repartir en errance. Son train-train quotidien. Une vie d'aventure pourtant bien loin du rêve que s'en faisait sa sœur. Leina souffla d'agacement.
- « Cette conversation n'a aucun sens, je perds mon temps... J'aurai mieux fait de partir sans demander mon reste. »
Elle remarqua soudainement la distance entre elle et son compère aventurier légèrement penché vers l'arrière, réalisant qu'elle se trouvait en effet à une distance non-raisonnable des normes sociales. Leina s'écarta d'un pas en arrière, sans dire, mot avant d'ajouter :
- « Je n'ai que faire des leçons de moralité de la guilde. Et puis... Moi, je n'ai pas besoin d'aide. »
Dit-elle, alors qu'au même moment, son ventre se mit à gronder de mécontentement. Une longue complainte qui se fit bien gênante pour la jeune femme, restée pourtant impassible, fixant la chevelure pistache d'un regard qui le mettait en garde de faire le moindre commentaire. Elle sentit ses oreilles devenir légèrement chaudes, se sentant quelque peu honteuse de montrer à son interlocuteur ce qui pouvait s'apparenter à une faiblesse, d'autant plus après une telle affirmation.
Toujours aussi proche, la paire d'oreille pointue s'exprima vis-à-vis de sa présence en ces lieux. Non-contente d'être ici à priori, je ne pouvais pas dire l'inverse non-plus ... Je voulais simplement être tranquille, et me voilà dans une espèce de confrontation de territoire enfantine. Est-ce que ça me ressemble ? Absolument pas, et pourtant. Acculé, je tente de conserver l'équilibre tout en essayant de maintenir une distance qui me convient. La position n'était pas idéale et cela pouvait se voir à mon expression. Mais la tournure de la dernière phrase m'amusa. Tu aurais, mais tu ne l'as pas fait, rien ne te retiens pourtant ... Mais ce n'était pas suffisant pour qu'un sourire se dessine encore sur mon visage.
Enfin, la "pression" finit par se relâcher, la jeune femme s'écartant enfin. Sans m'en rendre compte, j'avais suivit son mouvement, revenant à la verticale, voir la tête un peu penché, la surplombant. La phrase qui survint ensuite m'intrigua, connait-elle la guilde ? Je cherche alors sur sa tenue une quelconque plaque, similaire à celle qui est cachée sous mon jabot. Rien de tel, peut-être a t'elle était victime d'une bavure de la guilde ou je ne sais quoi par le passé. Mais à nouveau, la tournure employée portait à sourire, et il ne fallu pas plus d'un gargouillement d'estomac bien distinct pour me l'arracher cette fois.
« Ah ça oui, je vois bien que tu es une grande fille, qui n'est pas dans le besoin »
Je conclue alors ma phrase par un ricanement étouffé par ma main, venant masquer ma bouche le temps de celui-ci.
Cependant, je n'avais pas de remarque à faire non plus, n'ayant pas encore mangé depuis la veille. Mais moi au moins je ne cherchais pas à le cacher pensais-je, l'air satisfait de ne pas avoir le comportement d'un enfant.
« Tu devrais aller manger un truc, moi aussi d'ailleurs ... à moins que ta bourse ne te le permette vraiment pas ... »
En réalité, la mienne était fournie, mais je ne pouvais pas dépenser tout mes cristaux, réservant ceux-ci pour l'achat d'une nouvelle épée, ayant brisé l'ancienne il y a deux semaine de cela, sur la cuirasse d'une saleté de tortugram.