La taille et la carrure de l’invitée ne laissait guère de choix, surtout qu’elle ne disposait que de quelques heures avant ce fameux dîner « non habillé » mais où la demoiselle devrait quand même apparaître en robe, parée, maquillée et coiffée.
Tirant discrètement sur un cordon, elle provoqua la venue de deux autres filles, d’un rang inférieur en domesticité semblait-il auxquelles elle ordonna de faire couler un bain très chaud avec beaucoup d’huiles parfumées, pour parfaire l’éclat de la peau expliqua-t-elle à Aishela muette de stupéfaction, et la rendre « aussi douce qu’un tapis de velours ».
Jetant un coup d’œil à ses mains, typiques d’une guerrière peu préoccupée par son apparence, elle manda la manucure. Elle sortit ensuite de sa poche de tablier un mètre ruban et pris les mesures de l’aventurière.
- Vous avez de magnifiques cheveux, la coiffeuse pourra en faire quelque chose de bien, et on doit pouvoir orner vos cornes de quelques bijoux pour faire plus féminin.
Notant les mensurations, elle regarda à nouveau sa « patronne », voyons… Pour la couleur ? la seule dame de Hvit qui approchait de cette taille colossale était la sœur du défunt maître, morte jeune malheureusement. Ses atours pourraient donc être retouchés rapidement mais seraient indubitablement démodés… Elle se mordit les lèvres, encore que… Cette dame avait la réputation d’être une « avant-gardiste » peu soucieuse des modes, elle avait un style à elle, un peu martial… Oui, la jeune dame serait parfaite dedans. Restait la couleur, la propriétaire des vêtements était très blonde comme le jeune maître actuel, l’invitée aussi avait des cheveux clairs, on devait pouvoir trouver… Noir ? non, trop stricte et ça la vieillirait… Bleu vif ? Elle fit non de la tête, ça apparaîtrait comme criard… Blanc ? Trop virginal, on y verrait une caricature… Brun profond avec un peu de rouge brodé ?
Elle recula de deux pas, transposant la robe dont elle avait l’image en tête sur le corps de Aishela… Oui, on pourrait en faire quelque chose, plus que du jaune or ou du vert lime de toute façon…
Sonnant de nouveau, elle fit venir la couturière et donna ses ordres, la manucure, la coiffeuse, la maquilleuse. L’invitée fut poussée dans la salle de bain et presque portée dans la baignoire tandis que la coiffeuse lui faisait « un masque » pour adoucir et renforcer ses cheveux, que la manucure s’attaquait aux cals de ses mains pendant que l’eau chaude détendait la peau, qu’une autre fille lui taillait les ongles de pieds… Tout simplement, la pièce était envahie d'une nuée de femmes et filles de tous âges et conditions sociales, qui pépiaient et virevoltaient, heureuses d'avoir enfin une jeune dame sous la main, même si celle-ci n'était pas l'épousée de Camille... tant attendue.
La pauvre aventurière avait été kidnappé et mit un moment à réagir.
- Personne ne touche à mes cornes, encore moins pour y mettre quoi que ce soit.
La servante accepta de ne pas y toucher, après un moment de réflexion, elle sorti d’une armoire un robe rouge foncé avec de la dentelle blanche avec des pointes de rose sur le haut de celle-ci. Elle était rouge sur le reste sauf au niveau de la taille, une nouvelle démarcation pour laisser la même couleur que la dentelle du haut de la robe, aller jusqu’aux pied. Il y avait avec une paire de gants blancs pour aller avec la robe.
Je ne pus la regarder longtemps avant de me retrouver transporter quasi de force dans une salle, remplis de jeune femme dans la même tenue que les autres, où émanait une odeur d’huile parfumée avec en son centre une bassine remplis d’eau. Je me retrouvais sans comprendre comment totalement nue et poussé dans la bassine dont le contenue était très chaud voire bouillant, je voulais en sortir et m’écriais.
- C’est archi-chaud, laissez-moi sortir ! Mais, à peine je voulais sortir que la première femme venait, me releva le menton avec une de ses mains, et me dit « qu’une femme doit se faire belle avant de mettre une robe ou de diner avec un noble comme le jeune maitre ». Je ne savais pas si elle parlait d’Arthas ou de Camille, si c’était le premier, je le frapperais jusqu’à qu’il comprenne la leçon si c’était le second, … eh bah …, la même chose, mais juste moins de coup que pour son serviteur.
Au bout d’un moment, je commençais à me détendre dans ce bain, l’eau montait jusqu’au sommet de ma poitrine. Je sentis une des servantes prendre une de mes mains et idem pour l’autre, j’aurais, normalement réagis mais j’étais tellement relaxé que je les laissais faire, une autre mit un produit dans mes cheveux et les massais. Cela me fit tellement du bien que je me sentais comme dans un état second, elle pouvait me faire ce qu’elle voulait, j’étais à leur merci. Un moment l’une d’elle me dit de fermer les yeux et de pencher ma tête vers l’avant, à peine je m’exécutais qu’une bassine d’eau chaude, elle aussi fut renversé sur moi, principalement sur mes cheveux et mon visage. On me fit me lever, je sentais les gouttes d’eau perler le long de ma peau, la chair de poule dut au changement de température ne put apparaitre, je me retrouvais dans un vêtement à manches, de forme droite et assez ample, fermé par une ceinture, dans une matière qui semblait très absorbante, on aurait dit un manteau dans la même texture qu’une serviette. En parlant de serviette, on m’en mit une sur la tête et m’essuyait les cheveux avec en faisant attention à ne pas trop toucher mes cornes. Même si je ne sentais pas grand-chose, le moindre contact avec me dérangeait. Une fois complètement sèche, on me fit enfiler la robe.
Cette dernière était bien différente de quand je l’avais vue à maintenant que je devais l'enfiler, j’eus droit à une sorte de sous-vêtement qui me serrait au niveau de la taille, du ventre et surtout de la poitrine. Mes jambes étaient quant à elle recouverte de collant blanc qui allait avec les gants de la même couleur. L’une des jeunes femmes avait passé une sorte de pinceau sur mes lèvres pour les rendre légèrement plus rosé qu’à l’ordinaire, une autre avait coiffé mes cheveux vers l’arrière pour que le pointe remonte légèrement, et mit à la base d’une des cornes deux roses rouges qui semblait réel mais je compris vite qu’elles étaient fausses car elles avaient été sorties d’une malle. On mit à mes pieds des chaussures dotés d’un petit bout au niveau du talon, elles aussi rouge, pour me forcer d’être sur la pointe des pieds quand je marchais avec, ce qui était très dur et désagréable, je faillis tomber plusieurs fois pendant, ce que la servante en cheffe appelait des essais.
Une fois, tout ça de fini, je fus invité à descendre rejoindre Camille pour manger avec lui.
- Image de la robe, en gros:
- https://static.zerochan.net/Lotti.Baskerville.full.1274485.jpg
Camille, en grande discussion avec Arthas, pour une fois sur la gestion du domaine et non une épouse potentielle, se retourna à demi et se para d’un immense sourire.
- Mais vous êtes SUBLIIIIIMEE ! Arthas ! Regarde cette merveille ! Ma chère, au naturel vous cachez trop bien vos avantages -il rougit- pourquoi ne pas montrer un peu plus cette beauté dont la nature vous a gratifiée ?
Il avança, tendant le bras à son invitée pour qu’elle s’accroche opportunément en passant le sien autour, comme toute dame au bras de son cavalier. La voyant tarder un peu, il passa lui-même son bras dans celui de la jeune femme.
- Nous allons passer à table tout de suite après les collations, le chef est aux anges d’avoir une invitée, il s’est surpassé à ce que j’ai compris -il sourit derechef- j’ai peur de ne pas lui donner suffisamment l’occasion de montrer son talent. Venez, allons dans le petit salon.
Arthas, figé, regardait l’aventurière d’un air pincé, refusant d’admettre qu’elle était ma foi « sortable ». Suivant le couple du regard, il s’inclina légèrement, leur faisant signe de le précéder. Un air d’inquiétude lui barrait le visage tandis que le sourire de Camille grandissait : il n’allait pas s’enticher de cette… La bienséance lui souffla de ne même pas exprimer le terme auquel il pensait mentalement.
Le majordome précédemment vu entra presque spontanément, portant un gigantesque plateau remplit d’amuse-gueule et de canapés, suivi par deux valets porteurs eux de verres et de bouteilles multiples. S’inclinant devant Aishela, il énuméra les boissons disponibles ainsi que la composition des accompagnements, puis posa le tout sur une grande table basse. Les deux valets en firent autant quand Camille les assura qu’il ferait le service.
Il invita la jeune femme à prendre place sur un sofa confortable mais à l’assise un peu dure, choisi par son grand-oncle qui dans les derniers moments de sa vie avait du mal à se relever si les fauteuils étaient trop mous. Il prit place sur le même siège, gardant une distance honorable, repris par sa timidité.
Du regard, il invita sa compagne à choisir quelques gâteries, répétant que le dîner lui-même serait servi bientôt. Ses yeux brillaient, témoignant de ce qu’il était finalement aussi heureux de recevoir que ses domestiques de voir le manoir investi par une jeune personne choisie par leur maître. Il n’était bien sûr pas question d’un quelconque ressentiment à l’égard d’Arthas et des troupeaux de mijaurées qu’il faisait défiler, dans l’espoir qu’une convienne au seigneur du lieu…
Tandis que l’intendant sirotait pensivement son whiskey et que Camille trinquait avec Aishela, la nuit tomba. Les cristaux de lumière se mirent à briller comme mille feux, un domestique discret relança le feu dont le crépitement mettait une note aussi joyeuse que chaude dans la pièce.
Le majordome revint, annonçant cérémonieusement que le dîner était servi et son maître se leva, tendant la main à Aishela tout en s’inclinant à nouveau.
Montrant la porte la plus proche qui s’ouvrit comme par magie, poussée par un domestique et laissant apercevoir une immense table de bois brillant recouverte sur tout une partie d’une nappe immaculée, de chandeliers portant des cristaux de lumière, d’arrangements floraux disposés sur un superbe tapis de table brodé et de vaisselle coûteuse et ouvragée, il sourit en prononçant un « Madame, après vous » et lui tendit son bras, pour lui éviter la honte de tanguer dans ses nouvelles chaussures.
- Parce que pour se battre, une robe comme ça n’est pas pratique et je n’en ai jamais eu. Le corset me serrait vachement mais j’arrivais à parler facilement. Je peux comprendre rien qu’au toucher, ça ne doit pas être donner, et je trouve qu’il faut faire beaucoup de chose pour mettre un tel vêtement.
Il s’avança et me tendit son bras, je ne comprenais pas trop ce qu’il voulait de moi, à ce moment puis il passa son bras sous l’un des miens et me fit avancer en même temps que lui. Il n’y a pas à dire les membres de la noblesse ont des coutumes bizarres. Camille parlait de collations avant le diner donc il mange deux fois dans un repas. Je ne comprends pas l’idée derrière le fait de séparer un repas en deux. Le fameux Arthas me regardait d’un mauvais œil, il nous fit passer devant lui. Puis, peu de temps à peine, trois personnes passèrent devant nous, et tout en s’inclinant proposa diverses boissons et plats tout petits, qu’on aurait dit des gâteaux, le tout présenté sur un plateau qu’ils posèrent sur une table à côté d’un canapé. Le jeune noble me fit m’asseoir sur ce dernier, il était un peu dur mais assez confortable mine de rien, il m’invita à me servir, je pris un des gâteaux qui s’avéra extrêmement salés et chauds, tout en mangeant, il me dit que le diner sera bientôt servi.
- C’est courant de manger en plusieurs fois chez toi ? Je ne comprends pas l’intérêt si t’as assez de nourriture pour faire plusieurs repas autant en fait juste un seul assez copieux, histoire d’être bien remplis. Après, ça a l’air d’être normal chez toi. On a bu ensuite à la célébration de notre rencontre, j’avais envie de lui dire qu’il ne lui en fallait pas beaucoup pour vouloir trinquer avec autrui, mais je me retins pour ne pas l’embêter.
Quand la nuit fut tombée, des cristaux s’allumèrent pour faire de la lumière, c’est bien la première fois que je vis de tels pierres lumineuses.
- C’est beau … Je ne pus retenir ces mots, c’est un nouveau monde que je découvrais. Je savais que j’allais voir des choses nouvelles en devenant aventurière mais pas autant de nouveauté. Je vis l’un des hommes de la maison ravivé le feu de cheminée, puis repartir aussi tôt. Ça me rappelait la maison.
Ce dernier revint nous voir pour nous annoncer que le repas était servi et nous invita, Camille et moi à venir nous installer, pour m’aider il me tendit sa main que je pris car ces chaussures, en plus de faire mal au pied, ne sont pas pratique pour marcher. Il ouvrit la porte et me proposa son bras comme Camille l’avait fait pour m’aider à entrer dans la pièce.
- Euh, merci … Je ne savais pas quoi dire d’autres.
Ces préliminaires terminés, le domestique avança, flanqué du sommelier en chef et du cuisinier, pour présenter le menu du jour qu’il annonça comme « improvisé à la hâte ».
Premier Service.
Pour le milieu un Surtout.
Aux deux bouts du Surtout deux potages.
Un d’une Poularde en Julienne, aux oignons blancs.
Un de six petits Pigeons aux Ecrevisses du grand fleuve.
Pour les quatre coins du Surtout quatre Entrées.
Une de Cannetons de Manillam en popiettes, une essence.
Une de noix de Veau à l’oseille des affluents du grand fleuve.
Une d’un Dindonneau gras aux melons de chance.
Une de Timbales au champignon pudding.
Quatre Entrées aux quatre coins de la Table.
Une de Pigeons au gratin, une truffe chaque.
Une de Poulets aux œufs au beurre de l’arbre sacré.
Une de gigot de Mouton à l’eau du Grand Port.
Une de Lapereaux aux fines herbes des montagnes.
Second Service.
Six plats de rôt.
Un de Levreaux.
Un de petits Poulets à la Reine.
Un d’un quartier d’Agneau.
Un de Lapereaux.
Une de Campine.
Un de Pigeons en Ortolans.
Quatre salades.
Deux sauces.
A l’énoncé des viandes, Camille eut une moue indéchiffrable qu’il cacha de son mieux.
Troisième Service.
Dix Entremets.
Un de croquante.
Un de ramequins.
Un d’œufs au lard.
Un de baies de lucols rouges.
Un de divinams confites.
Un de petits pois.
Un de baies des grottes glacées.
Un de melons de chance.
Un d’un ragoût de Tortues.
Un d’aruyes des profondeurs.
Le sommelier énuméra ensuite les vins et liqueurs qui accompagneraient ce « petit dîner improvisé », souriant de toute sa dentition -pas peu fier de leur rapidité de réaction à tous les trois-.
Arthas les gratifia d’un signe de tête satisfait et Camille surenchérit. Il jeta un coup d’œil à Aishela, et répondit à sa question.
- L’apéritif n’était là que pour mettre en bouche… Voici le véritable repas, j’espère qu’il vous reste de la place ? Notre maître-queue serait déçu si vous n’appréciiez pas ses efforts, c’est un exploit d’improviser en si peu de temps ce type de menu.
Il se pencha un peu vers l’aventurière et lui chuchota « Vous n’êtes pas obligée de vous goinfrer mais il est d’usage de goûter à tout, et franchement, ne pas le faire serait dommage ils se sont donnés beaucoup de mal pour vous faire honneur ».
Les convives, après avoir levé leur verre pour un dernier toast, commencèrent à manger. Chaque plat étant annoncé puis servi par le maître d’hôtel et deux serveurs.
Maïa assise à la droite d’Arthas face à Camille que flanquait Aishela, souriait à cette dernière pour la soutenir dans ce qu’elle supposait une épreuve pour elle. L’intendant mangeait silencieusement, son regard allant du jeune maître du manoir à l’aventurière, et sa perplexité ne faisant que croître…
Après un temps… conséquent, le maître d’hôtel annonça que le café était servi dans la bibliothèque. La jeune écuyère s’excusa et se volatilisa, murmurant dans l’oreille de l’invitée « si vous voulez voir des espèces animales peu courantes, venez me voir demain, nous pourrons jouter aussi si vous le souhaitez ? Arthas m’agace quand nous nous entraînons, il est d’un conventionnel… Et Camille, enfin… » elle eut un regard joyeux « vous avez affronté Camille ? il m’a dit que vous savez… Comment s’entraîner avec lui »
Une nouvelle fois, le jeune homme tendit son bras à l’aventurière pour lui permettre de changer de pièce sans rougir de sa démarche.
- Menu inspiré de:
- https://interdisciplinart.over-blog.com/article-menu-d-un-livre-de-cuisine-au-xviiie-siecle-92004877.html
- Vous arriveriez à le faire partir, juste pour le faire arrêter une charge, j’ai dû l’attaquer et l’effet de surprise avait fonctionné. J’ai pu lui briser sa corne avec mais réussir à déplacer une créature comme ça avec son nid me parait assez compliqué. Je ne pus m’empêcher d’être surprise. Cette jeune femme était-elle si forte pour pouvoir déplacer une créature de cette envergure.
Le cuisinier énuméra un si grand nombre de plat que je fus perdu. Il y en avait beaucoup trop même pour nous tous, le pire, c’est que le tout était soi-disant improvisé. Qu’est-ce que c’est quand c’est prévu ? Le jeune homme me prévenait qu’avant c’était juste pour donner faim.
- Vous avez besoin de quelque chose pour vraiment titiller la faim avant de vraiment commencer à manger. C’est vraiment bizarre chez toi ? Il me conseilla de ne pas me goinfrer mais de gouter à un peu de tout. Du mal pour me faire honneur mais ils me prennent pour une personne de la haute ou quoi ? Une seule de ses soupes aurait été largement suffisant pour me satisfaire.
La jeune femme en face de moi me souriait comme pour me soutenir, par contre je sentais le regard d’Arthas contre moi de temps à autres. Si je n’avais pas été à table ou dans cette robe, je lui serais bien rentrés dedans mais déjà que je me sentais serré dedans, alors hurlé est quasi impossible.
Quand on eut « fini » de manger, en gros quand tout le monde avait gouté à tous les plats, l’homme de maison qui avait ravivé le feu, vint nous annoncer que le café était prêt dans la bibliothèque. À ses mots, Maïa se leva pour passer à côté de moi et me murmurer de venir la rejoindre demain matin sans Arthas ni Camille juste entre femmes, et lui expliquer comment j’avais fait avec son jeune maitre pour l’entrainer même si je l’ai plus attaqué pour voir son pouvoir qu’autre chose. Cette perspective me semblait intéressante.
Le jeune homme me proposa à nouveau son bras que je saisis correctement, et le suivait jusqu’à la bibliothèque.
Maïa avait réussi à lui extorquer le récit de son aventure tout en le faisant danser autour d’un mannequin d’entraînement, comme s’il avait besoin d’exercice après sa journée ! Arthas qui les avait vu faire lui avait tenu la jambe -furieux- en lui disant qu’il perdait son temps à des occupations de roturier et il avait dû le calmer. Pour finir, le jardinier en chef l’avait coincé dans un couloir alors qu’il montait s’habiller, lui disant que ses gars avaient poursuivi un gloutovor qui venait faire son marché dans les silos… Son valet l’attendait dans la chambre pour lui expliquer qu’une lavandière avait ruiné sa chemise préférée.
Passant à nouveau la main devant sa bouche en tâchant discrètement d’avoir l’air de tout sauf prêt à s’endormir, il jeta un coup d’œil à Arthas. L’intendant, son diabolique carnet en main, écrivait et rayait des noms d’héritières susceptibles d’être invitées… Non pas qu’il le lui ait dit, mais Camille connaissait trop ce carnet pour en douter. S’il avait été moins fatigué, il serait allé voir qui on lui réservait encore, mais il n’avait pas le cœur à rire… Un jour il en était certain, Arthas pris par sa mégalomanie inscrirait « Atheas Renmyrth » persuadé qu’elle seule pouvait convenir à son pupille ! En attendant, si lorsqu’il était de bonne humeur et en pleine possession de ses moyens, il arrivait à Camille de sourire des propositions -tant que les donzelles restaient sur le papier en tout cas- là il n’était vraiment pas disposé à discuter. Aussi reporta-t-il son attention sur Aishela, assise un peu raide dans un fauteuil, une tasse posée devant elle sur la petite table.
Si Arthas n’avait pas été là, il l’aurait complimenté sur sa tenue pendant le repas et lui aurait demandé ce qu’elle en pensait. Il doutait qu’elle ait souvent participé à ce genre de dîner et jugeait qu’elle devait les trouver invraisemblables. Le peu de remarques qu’elle avait faites suffisait à montrer qu’elle trouvait étrange la coutume de scinder un repas en plusieurs services, et de le faire précéder d’un apéritif.
Sans doute trouvait-elle aussi bizarre qu’on trouve nécessaire de le terminer par un café ou une infusion dans une pièce encore différente… Après tout, peut-être avait-elle raison, éduqué dans un monde où ce genre de chose est parfaitement normal, le jeune homme ne s’était jamais demandé comment on peut vivre autrement. Il savait pour l’avoir entendu dire que les pauvres gens se contentent de quelques plats, parfois un seul, mais n’avait jamais réfléchi à la question.
N’y tenant plus, il se leva et se tournant vers la jeune fille s’inclina légèrement : « Puis-je vous raccompagner ? ou souhaitez-vous demeurer encore un peu ? Une autre tasse peut-être ? »
Arthas parut prêt à bondir de son siège, puis se ravisa, attendant la réaction de la fille. Si elle restait, impossible de la laisser seule ! Non pas qu’il craignit qu’elle ne vole quelque chose ou en profite pour faire on ne sait quoi, mais la bienséance ordonnait qu’on reste avec une dame… Il pinça les lèvres, quelle que soit la dame…
Les deux hommes la regardèrent donc, attendant le verdict. Camille souriait et Arthas ressemblait à un molosse prêt à mordre.
- Je ne te savais si entreprenant, c’est de m’avoir vu NUE qui t’excite à ce point ? Je fis exprès d’accentuer le termes nue pour voir la réaction de l’intendant du jeune homme. Déjà qu’il était prêt à bondir pour n’importe quelle raison alors là, c’était sûr qu’il allait réagir. Merci, je commence à fatiguer moi aussi, je propose qu’on aille se coucher.
Cette fois aucune blague. Je commençais à légèrement vouloir bailler moi aussi donc autant aller dormir surtout si demain, je voulais me lever tôt pour aller voir Maïa et discuter avec cette dernière. J’espère que le lit est plus confortable que le canapé sinon, je vais avoir mal au dos demain.
Alors qu’il ouvrait la bouche, sidéré de ce que semblait sous-entendre la répartie d’Aishela, Camille entendit un râle qui lui fit tourner la tête illico.
Arthas se tenait debout, livide, le visage déformé par une douleur indicible, il avait fait le geste de porter la main à son cœur mais elle restait suspendue à mi-distance et il était plus près de tomber comme une masse que de jouer la comédie de l’indignation. Oubliant l’aventurière et ses propos… provoquants il se précipita pour retenir l’intendant tandis que le maître d’hôtel accourait.
- Philbert ! Faites quérir un médecin ! Et envoyez-moi de l’aide il faut le porter dans sa chambre ! Arthas ! Arthas mon ami mais voyons, reprenez-vous !
Le malheureux ex-officier de la garde geignait, inconscient et pesait son poids ! Regardant Aishela dans sa jolie robe, les cornes ornées de roses et perchée sur ses talons, il lui demanda, enfin lui ordonna plus qu’il ne demanda, bien que son ton soit suppliant :
- Aidez-moi !
Au vieux mentor évanoui, il ne put qu’implorer
- Par les dieux Arthas, mais ne me laisse pas seul ! Pas toi aussi !
Alertée, Maïa entra en trombe dans la pièce, soutenant l’intendant et repoussant Camille. Pendant qu'on la mettait au courant de la cause du malaise, elle l’allongea sur le canapé du mieux qu’elle put et entama un massage cardiaque énergique.
- Allez vieil idiot ! Du nerf ! C’est pas ton heure !
Combien de temps dura la séance ? impossible à dire tant la tension était grande mais le médecin mandé trouva le vieil homme hoquetant, légèrement violet encore. Il aurait certainement des bleus le lendemain mais était sauvé et encore sous le choc ne revint même pas à l’image monstrueuse d’Aishela NUE dans les bras de Camille qui avait provoqué la crise.
Ahuri, ce dernier restait les bras ballants oublieux de ses devoirs et des convenances et la jeune femme brune, prenant Aishela par le bras l’entraîna.
- Allons, il est temps de dormir, je vais vous aider à retirer votre déguisement.
Elle sourit, continuant :
- Ne vous inquiétez pas, ils se remettront, que voulez-vous ce sont des hommes n’est-ce pas ? C’est fragile ces animaux-là, pas la peine de vous faire passer une nuit blanche.
Elle sourit derechef,
- Je vous attends demain à l’entraînement hein ? Pas en robe -elle éclata d’un rire joyeux- première leçon de femme à femme : ne laissez jamais un homme vous imposer votre comportement, vous avez pu voir que je n’ai pas dîné en robe. J’ai soigné ma tenue certes, mais rien ne vaut un pantalon pour se mouvoir !
Plus sérieuse elle continua
- Et ne vous en voulez pas pour Arthas, d’abord il est en vie, et puis s’il était différent il ne se serait pas rendu malade pour si peu…
La servante brune qui avait sauvé Arthas me prit par le bras et m’emmena dans ma chambre. Une fois dans la chambre, elle m’aida à retirer la robe, je tremblotais légèrement, pas de froid mais presque de tristesse de ce qui s’était passé. Elle me réconforta mais je restais sourd à ce qu’elle disait, une fois assis sur le lit, je l’attrapais par le bras comme un réflexe, je faisais beaucoup ça quand j’étais plus jeune et triste mais là personne n’était présent pour me soutenir. Est-ce que j’avais fait le bon choix en partant pour devenir aventurière ? Je ne pu longtemps me poser la question que je fus sorti de mes pensées par un câlin de Maïa, je la pris dans mes bras.
- Est-ce que j’ai failli tuer Arthas avec une simple blague ? Je ne voulais pas, c’était juste une taquinerie pour les deux. Je … je … Elle ma caressa le haut du crâne, en frôlant mes cornes, je ne pus retenir un léger cri de surprise, elle s’excusa légèrement et se retira, j’allais un peu mieux.
Elle confirma le fait de vouloir me voir demain matin aux écuries, et pas en robe, elle en rit et je ne pus m’empêcher de faire de même. Elle me donna une « première leçon » de femme à femme, je retins bien ça dans un coin de mon crâne. Elle me dit de ne pas m’en faire pour Arthas, que c’était un peu de sa faute s’il avait réagi comme ça. Elle me souhaita une bonne nuit et sorti de la chambre, j’étais allongé dans un lit très confortable et moelleux, différent du fauteuil d’en bas où j’avais été assis. Malgré le fait que la servante ne m’avais dit de ne pas m’en faire, je ne pu rester sans réfléchir, alors que je dormais dans un coin de mon esprit demeurait la question : Comment me faire pardonner ?
Il dut admettre cependant que l’intendant avait étrangement réagi, lui qui ne cessait d’envoyer son pupille dans des « établissements choisis » pour qu’il apprenne avant le mariage… euh… enfin… Camille rougit violemment et manqua un peu de souffle.
Bref. L’aventurière n’avait rien à se reprocher.
Maïa aurait été capable de ce type de répartie, à ceci près que jamais le vieil homme n’aurait cru que la Louve et lui…Mais après tout ? Pourquoi pas ? Elle était jolie, dégourdie, et il l’aimait beaucoup.
Il restait totalement perdu à se demander pourquoi alors que son mentor ne manquait pas chaque jour de se désoler de son inexpérience, le fait de comprendre -à tort- qu’il avait « appris » auprès d’une jeune femme tout à fait correcte l’avait conduit à deux doigts de la mort…
Renonçant à se torturer les méninges davantage, il passa en revue les expéditions de grain, fûts de vin et autres denrées périssables qu’il devait orchestrer du fait de l’indisposition du responsable habituel.
Une barge était à quai qui attendait d’être chargée, il faudrait lui envoyer les chariots dés qu’ils seraient chargés. Mais celle-ci ne vaudrait que pour le blé et le vin, elle prendrait trop de temps pour les légumes et fleurs dont le domaine inondait les marchés. Par-contre, un petit bateau rapide, muni qui plus est de deux cabines confortables -il avait eu l’occasion de les tester plus d’une fois- serait à quai demain et atteindrait rapidement la capitale.
Peut-être Aishela voudrait-elle en profiter pour aller se présenter à sa fameuse Guilde ?
Il ne la chasserait pas, sa compagnie avait en peu de temps changé leur routine en une petite fête, la présence d’un étranger avait toujours cet effet, le manoir sans être triste n’était pas suffisamment peuplé pour que la lassitude ne vienne pas parfois entacher les relations de ses habitants entre eux. Mais elle avait bien fait état de son désir d’atteindre le siège de la Guilde des aventuriers, son voyage n’avait été entamé que dans ce but.
Il se demanda si elle avait choisi une ou plusieurs pièces d’équipement dans les réserves, il faudrait qu’il demande à Maïa, elles avaient l’air de bien s’entendre. Ensuite, son invitée lui ferait part de sa décision : rester quelques jours encore ou prendre le bateau.
Paraphant un ou deux documents commerciaux, il resta la plume en suspens, comme envahi par des pensées erratiques et imprécises…
Il était temps de prendre du repos, Philbert et le médecin étaient restés auprès d’Arthas, Maïa avait entraîné Aishela dans ses appartements, il se surprit à s’endormir assis à son bureau. Dédaignant de sonner, il retira ses bottes et posa ses vêtements de jour sur une chaise, enfilant une ample chemise courte, et se faufila dans ses draps… Seul, sans aventurière nue à ses côtés…
Mutin, il se demanda la tête que ferait Aishela s’il la faisait mander pour qu’elle rende véridiques ses affirmations du début de soirée mais n’eut pas le loisir d’imaginer les conséquences ni la réaction de la jeune femme… Sa longue chevelure éparpillée sur le lit, le seigneur de Hvit ronflait, doucement, calmement, sans exagération… Un ronflement somme toute poli et bien élevé, discret, timide…
- Salut, ça va ? Certes s’était basique mais fallait bien commencer quelque part.
« Venez, je vais vous montrer l’armurerie aussi, je crois que Camille vous a proposé de vous équiper ? Il y a de tout, à une époque pas si lointaine, les Hvit préféraient chasser et guerroyer que broder… »
Elle sourit sans émettre de jugement, le maître du domaine avec ce maudit pouvoir n’était pas le mieux choisi pour entrer à l’académie militaire, quand bien même il en aurait émis le désir.
« Vous pouvez choisir ce que vous voulez, à part une ou deux pièces historiques qui sont de toute façon conservées à part. Sinon il n’y a que très peu de gardes ici et ils ont leur propre équipement, Camille ne se sert de rien, il dit qu’étant incapable de manier une arme il aurait l’air ridicule en armure ce qui n’est pas vraiment faux… Donc ce que vous voudrez emporter sera à vous »
Elle la guida vers une grande bâtisse.
L’armurerie était immense, non seulement elle contenait des pièces d’armures aussi bien de plaques que de cuir, mais avait dû servir de salle d’armes à un moment donné, un vaste espace permettant de s’affronter à couvert les jours d’intempéries.
Les armes, aussi bien épées, masses, fléaux d’armes, poignards, arcs, arbalètes, étaient bien entretenues, comme d’ailleurs tout le reste, par-contre leur qualité si elle n’était jamais mauvaise, allait du correct à l’inestimable.
Saisissant un lourd bâton terminé par une pique acérée à chaque extrémité, Maïa lui dit qu’elle la défierait avec ceci quand elle le souhaiterait. Ses courts cheveux bruns et son équipement léger en cuir semé de métal lui donnait l’air d’un très jeune garçon. Légèrement plus petite que sa partenaire, elle était largement aussi musclée et paraissant assurée.
« Si vous voulez en profiter pour essayer une ou l’autre pièce d’équipement allez-y ! Vous êtes toujours d’accord pour un combat amical ? La première qui mord la poussière doit une tournée à l’autre à l’hostellerie ! »
Elle se mit en position, les yeux brillants et le sourire aux lèvres, attendant la réponse.
Dans le fond du bâtiment, une porte s’était ouverte discrètement et se faisant tout petit, Camille attendait d’assister au spectacle, suffisamment dans l’ombre pour qu’elles ne l’aient vu ni l’une ni l’autre.
Comme Maïa, il attendait de voir ce qu’Aishela allait répondre et décider. Voulait-elle profiter de l'armurerie pour s'équiper ? Il était temps encore, le bateau pour la capitale se chargeait lentement.
L’heure était au divertissement… Du moins il savait que sa brune amie le voyait comme ça, est-ce que l’aventurière était du même avis ? Il se sentit coupable d'annoncer l'arrivée des mariniers et de rappeler à Aishela que si elle voulait partir pour la capitale en bateau, il lui fallait écourter la séance.
Les deux femmes posèrent leurs armes et se serrèrent la main. Camille se tenait prêt à escorter la jeune femme aux cornes et cheveux blancs jusqu'à l'embarcadère...
- Merci mais je ne prendrais rien, on dira que le dédommagement pour ce que j’ai causé à Arthas, et pour l’affrontement, dans d’autres circonstance, j’aurais accepté mais là, je suis pressée. Je posais mon arme, pris la main de la servante et sans prévenir lui fit un câlin qui la surprit un peu. Sans compter Camille, elle avait été la seule personne à me traiter comme son égal dans cette demeure.
Je vis le jeune noble nous rejoindre pour m’annoncer que le bateau était arrivé, je pris mes affaires, et on se dirigèrent vers l’embarcation. Avant de monter à bord, je fis aussi un câlin à Camille.
- J’espère qu’Arthas se remettra et que toi, tu deviendras un peu plus fort si on se recroise. Je lui donnai une tape sur l’épaule en faisant attention à ne pas taper trop fort. Enfin, je montai à bord, et pendant qu’on s’éloignait de la demeure, je fis signe de la main aux personnes de la demeure. Je trouvais enfin, une place où m’asseoir et passa le voyage tranquillement à regarder le paysage et le ciel jusqu’à mon arrivé à la Capitale.