Une réception, une des rares que les Whytlys tenaient annuellement en sélectionnant seulement une poignée de nobles afin de renforcer les relations. De la musique légère, de la bonne humeur, beaucoup de créations pâtissières et surtout, de l'alcool.
Et pour elle, toujours sa chambre. Laevis n'était même pas disponible pour lui tenir compagnie. La solitude de Gardenia était telle que le garde à sa fenêtre s'était assoupi, croyant qu'elle-même s'était endormie. Pauvre homme, il ignorait la fougue et la détermination de la jeune noble ; à la priver ainsi de sa meilleure compagnie tout en agitant sous son nez que la famille serait occupée dans un recoin du jardin, Gardenia voyait en cette soirée une opportunité parfaite pour s'éclipser, encore.

La même robe que celle du soir où Hryfin l'avait surprise, même cape, les cheveux cette fois-ci libérés, faisant un peu plus entrave au son qui se dirigeait sauvagement vers ses oreilles ; Gardenia se faisait passer pour une domestique, sans vraiment pouvoir complètement effacer les traits nobles de son visage.

La fenêtre s'ouvrit sans un bruit, tout en douceur, tandis que le garde assoupi peinait à ne pas s'effondrer, accroché à sa lance aussi fort que possible. Gardenia se mordit la lèvre alors qu'elle refermait le battant, le froid venant mordre ses mains libres ; et la seconde d'après, elle trottinait vers la sortie. Le jardin était grand, spacieux, orné de mille et uns arbustes souffrant sous le vent froid de la saison. La noble s'arrêta un instant lorsqu'elle entendit du bruit, s'accroupissant près d'un pommier ; le bruit était lointain, deux gardes qui discutaient, frustrés de ne pas pouvoir eux-même profiter d'une soirée de détente. Rien à signaler.

Reprenant sa route, elle jetait régulièrement des regards à droite, à gauche, soucieuse de ne pas être repérée de loin. La sortie était juste là, à quelques mètres ; l'atteindre ne fut guère compliqué, cependant sortir fut une autre histoire. Juste là, à la sortie, quelque chose sembla passer à vive allure, à basse altitude. Un rapace, un oiseau, un fantôme ; elle n'eut guère le temps de s'en rendre compte et ce fut un cri de stupeur qui lui échappa avant qu'elle ne fasse un pas en arrière et ne s'écroule au sol. Dans son oreille, un sifflement éteignit tous les sons alentours, son propre cri l'ayant blessée Elle se recroquevilla brutalement les mains plaqués sur les oreilles et les yeux fermés ; sa respiration se bloqua également, la demoiselle protégeant ses sens autant qu'elle le pouvait.

Mais rien ne vint.
Ni bruit violent, ni contact, ni odeur putride.
Alors, doucement, elle rouvrit les yeux, lentement, entendant de légers bruits. Est-ce qu'elle risquait quelque chose ? Pitié, pas ma famille.

Un oeil rouvert, puis un deuxième ; une voix venait à elle et Gardenia leva légèrement le nez pour voir en face d'elle, agenouillé, un homme aux cheveux d'un gris clair qu'ils lui semblaient presque blanc. Il affichait un sourire et tenait un masque de sa main libre, l'autre étant tendu vers Gardenia. Confuse, la jeune noble baissa les yeux sur la main gantée, puis à nouveau l'homme ; était-il un invité de ses parents ?

─ Qui... je...

Bégaiement, confusion. Gardenia se refusa néanmoins à prendre sa main, malgré le gant, trop peu habituée aux quelconques contacts physiques. Elle se releva, un peu honteuse de s'être fait voir de cette façon. Elle jeta un regard rapide à sa cape, un peu salie mais rien de grave. Toute bredouille, la demoiselle peina un peu à répondre à ses questions, étant davantage inquiète au son qu'elle avait produit ; elle jeta un regard derrière elle, vérifiant que personne n'approchait.

─ Tout va bien ?

Zut. Un garde. Relativement loin, mais il se rapprochait, ayant très certainement entendu son cri. Gardenia pesta dans un murmure et abattit la capuche sur sa tête. Il fallait qu'elle parte maintenant si elle voulait avoir un semblant de liberté. Alors, sans répondre à l'homme, elle lui attrapa vivement la main et le tira dans sa direction, l'entraînant avec elle vers la sortie, marchant rapidement dans la rue.

─ Suivez-moi.

L'ordre était un peu abrupte et dénué de sa douceur habituelle. Le stress d'avoir été vue prenait le pas et, alors qu'elle entendait le garde se rapprochant, elle serra les dents. Pas le choix.

─ Courrez ! lâcha-t-elle.

Elle le tenait toujours par la main et le tirait dans la ruelle, dévalant les mètres aussi vite qu'elle le pouvait avec sa maigre endurance. Elle se risqua un coup d'oeil dans son dos, apercevant le garde confus à la sortie qui ne se lançait pas à leur poursuite. Oh, sans nul doute qu'il avait deviné qui elle était, il devait se demander que faire entre gâcher la soirée ou bien se taire, sachant qu'elle finirait par revenir de toute façon. Toujours était-il que Gardenia ne s'arrêta pas avant de prendre un tournant où elle finit par ralentir l'allure, à bout de souffle, relâchant son complice. Il lui fallut quelques secondes avant de reposer les yeux sur lui, le visage rougit par l'effort de sa course. Si elle voulut murmurer des excuses ce ne fut qu'entrecoupé de sa respiration rapide.

─ Je... désolée de... vous avoir... entraîné là dedans...

Une voleuse ? Une noble en fuite ? Elle se demandait bien de quoi elle avait l'air, présentement.

Terriblement gênée par ce qu'elle venait de faire, Gardenia ignorait comment réagir. L'homme ne semblait pas mal prendre la fuite improvisée cela dit, ce qui la rassurait partiellement. S'il ne lui en voulait pas, il ne serait probablement pas du genre à la dénoncer ou à lui crier dessus.
Les mains sur ses genoux, Gardenia peinait à reprendre son souffle quand l'homme, lui, se redressait déjà pour regarder autour d'eux et débiter des paroles plus vite qu'elle ne pouvait songer à sa propre réponse. Ce n'était pas comme si elle avait le souffle pour pouvoir lui répondre de toute façon. Le nuage s'échappant de sa bouche à répétition témoignait bien de sa fatigue et son coeur palpitait si vite qu'elle dû se concentrer pour se calmer, se redressant ensuite, lentement, pour regarder son... partenaire d'infortune ?

Un bavard. Un bavard très taquin également, semblait-il, un peu curieux. Gardenia haussa un sourcil en l'écoutant, se demandant qui était-il et pourquoi lui aussi avait-il quitté la réception. La suite de son discours cependant prit la jeune noble de court, qui sentit son visage rougir d'embarras lorsqu'il émit l'idée d'un amant potentiel. Comment osait-il ? Et le coeur qu'il fit avec ses mains finit de la surprendre ─elle ne saurait expliquer pourquoi, mais sur le coup, il lui parut un peu ridicule. Elle comprenait qu'il ne cherchait nullement à la provoquer ou se montrer blessant, mais la simple idée que l'on pense ça d'elle la rendait quelque peu... mal à l'aise. Camille, Nivan ? Le pire étant qu'ils traversèrent sont esprit, furtivement.

─ Que... Votre imagination est un peu trop fertile !

Elle croisa les bras, cherchant à reprendre un peu de sa prestance. Provoquée ainsi, elle mordait un peu à l'hameçon, n'étant guère habituée aux taquineries aussi directes de la part d'un inconnu.

─ Ne vous méprenez pas, je n'ai nullement participé aux festivités des Whytlys.

Alors... qui était-elle ? Et que faisait-elle chez eux ? Révéler qu'elle en était la fille la dérangeait présentement, ne souhaitant pas avoir à se justifier davantage. Elle regardait le visage espiègle et souriant de son interlocuteur avec des doutes dans le regard, ne parvenant pas à jauger l'individu. Impossible de savoir s'il était fréquentable ou non, si elle risquait quelque chose en sa présence ou s'il ne représentait aucune menace. Gardenia rouvrit la bouche pour parler mais son oreille pu entendre des bruits de pas, de course même, plus d'une personne d'ailleurs, peut-être deux ou trois. Des gardes avaient donc été envoyés. Elle regarda le coin de rue d'où ils venaient un instant, puis, les dents serrées reposa les yeux sur le jeune homme. Tant pis. Elle ne voulait pas rentrer, qu'importait que sa soirée soit en compagnie d'un homme étrange. Elle se souvenait qu'en cas de nécessité, un coup entre les jambes devrait faire l'affaire ; ou bien une morsure sauvage.

─ Est-ce que vous connaissez un endroit où personne ne pourra me trouver ?

Question risquée, mais il était un des contacts de sa famille, il ne pourrait pas lui faire de mal s'il découvrait qui elle était, non ? Dans l'immédiat, elle souhaitait juste s'enfuir pour la nuit. Et peut-être la journée du lendemain. Essayer une journée n'allait pas la tuer, si ?

Sans demander d'explication, le noble s'élança à la surprise de Gardenia qui le suivit sans tarder. Plutôt se perdre dans les rues que se faire attraper ; il imaginait sans peine que sa famille finirait par installer des barreaux à ses fenêtres pour éviter toute fuite nocturne à l'avenir. Mais pour l'heure, elle était là, dehors, libre de courir à perdre haleine, suivant un parfait inconnu, tenant sa robe dans chacune de ses mains pour ne pas trébucher dessus.
Elle redécouvrait ainsi combien le bruit de la course lui était bruyant ; sa propre respiration, celle de son compagnon de fuite, les chaussures claquant sur le sol quand bien même était-il recouvert de neige, les battements précipités du coeur ; tout un concerto de sons paniqués qui envahissaient ses oreilles et l'empêchaient de penser à autre chose. Elle ne chercha pas à comprendre lorsqu'elle s'engouffra derrière les grilles puis dans la chaleur d'une nouvelle demeure inconnue, s'arrêtant à l'entrée. La différence de température la frappa subitement car, en dépit de leur présence toujours en extérieur, il semblait que le temps ici n'était guère affecté par la saison. Regardant autour d'elle, elle pu entendre d'une oreille distraite les gardes abandonner la recherche. Ils n'avaient pas tort, elle finirait par revenir. Sa famille reprochant au départ l'incompétence des gardes avait finit par comprendre que le problème venait d'elle et non dans les soldats.

Reprenant encore progressivement sa respiration, calmant son coeur en folie, Gardenia reposa les yeux sur le noble tandis qu'il s'adressait à elle. Il était vrai que, compte tenu de la course-poursuite dans laquelle elle venait de l'impliquer, peut-être était-il préférable de lui expliquer dans quoi il venait de s'engager. Pourtant... quelque chose la dérangeait. Elle ne voulait pas faire autant parler de sa situation même si, à sa façon, elle se battait un peu pour son existence et sa liberté. Se redressant, dégageant une mèche de cheveux de son visage, la jeune femme pu articuler des mots sans bégayer, forçant sa prestance.

─ Ne craignez-vous pas être mêlé à des problèmes qui ne sont pas les vôtres ? souffla-t-elle. J'aurais tout aussi bien pu être une criminelle.

Il ne pouvait savoir et certainement lui dirait-il qu'elle n'avait pas l'air d'être un personne bien dangereuse ─ il aurait raison, mais la question n'était pas l'impression qu'elle pouvait donner.

─ Je...

Elle adressa un regard au jardin et la demeure des lieux. Un noble très riche, visiblement. Ah, quelqu'un d'assez influent même, potentiellement. Comptait-il la garder ici ? Si elle lui disait qui elle était, contacterait-il sa famille pour la livrer immédiatement ? Cette idée la rendit d'autant plus méfiante que ses sourires étaient indéchiffrables. Elle reposa les yeux sur lui, un peu suspicieuse.

─ Pouvez-vous me promettre de ne pas me délivrer aux Whytlys si je vous dis qui je suis, Messire... ?

Qui était-il ? Quel était son nom, d'ailleurs ? Elle ne se souvenait pas avoir vu son portrait dans aucun livre. Bien trop jeune très certainement pour paraître dans ses vieux ouvrages. Où venait-elle d'atterrir exactement ?
Si cet homme pouvait lui promettre d'être fiable et qu'il ne lui ferait aucun mal, alors essaierait-elle de se faire un nouvel allié.

Étrange. Cet homme était si... amical et chaleureux. La désinvolture qu'il affichait contrastait tellement avec les traitements auxquels elle était habituée de la part des autres nobles que cela la dérouta, et pas qu'un peu. Elle ne cacha pas sa surprise, ses sourcils se haussant légèrement alors qu'elle l'écoutait. Elle était libre d'aller et venir, il ne la jugerait pas, ne lui courrait pas après et surtout, ne considérait pas qu'elle lui devait quoique ce soit pour l'assistance qu'il venait de lui offrir gratuitement. C'était... déroutant. Et cela la rendait fortement curieuse. Qui pouvait-il bien être ? Qui était cet homme à l'avis aussi tranché et pourtant si jeune ? La richesse que sa demeure affichait devait être égale à celle des Whytlys si elle n'était pas supérieure, mais selon ses mots, il demeurait étranger aux lieux de la capitale et n'avait aucune affaire avec sa famille. Gardenia était... confuse.

Il dégageait une confiance propre aux nobles, restait digne en dépit des affronts qu'elle pouvait l'imaginer causer sans peine. C'était étrange mais cet individu semblait capable de répondre avec un vif cynisme face à ceux qui l'importunaient, peu importait leur rang, et cette audace était définitivement quelque chose que seuls ceux ayant un confort et une confiance absolue en leur pouvoir pouvaient afficher. Elle comprenait donc ne pas avoir rencontré n'importe qui et que devant elle, sur cette marche marbrée, se tenait un homme suffisamment puissant pour ne pas qu'il se soucie des moindres affaires de la capitale.

─ Je ne connais personne de ma caste pouvant faire preuve d'une telle franchise et surtout, pouvant se montrer aussi audacieux dans leurs propos. Est-ce pour ces raisons que vous avez quitté la soirée plus tôt que le reste des convives ?

Elle voulait lui parler, maintenant. Elle voulait écouter ce que cet homme avait à dire et à raconter, lui qui semblait déborder de connaissances qu'elle ne pouvait imaginer. Peut-être était-ce de la suffisance et de l'arrogance mais l'intuition de Gardenia lui confiait que c'était autre chose. Elle voyait ce que les petits esprits tels que son frère pouvaient causer comme tort à leur nom de par leurs bassesses et comportements présomptueux ; ce n'était pas le cas de cet homme. Il s'en fichait. Gardenia le suivait docilement, sa garde baissée, peut-être trop facilement conquise par la franchise et l'apparente honnêteté dont il avait fait preuve à son égard.

─ Qui êtes-vous... ? murmura-t-elle, définitivement intriguée, alors qu'elle le rejoignait sur les marches.

La soirée devait toujours battre son plein pour l'heure et Gardenia n'imaginait pas un seul instant que sa famille ait arrêté les festivités pour la rechercher. Il était également que trop rare de voir les invités s'éclipser, l'homme d'affaire pouvant parfois se montrer rancunier et encore plus difficiles en affaires lorsqu'il subissait un affront. Alors, qui était cet homme aux cheveux argentés, exactement ?

Pourquoi cette légèreté ? Pourquoi se sentait-elle aussi à l'aise ? Elle ne se l'expliquait pas. Le détachement de l'homme, peut-être, jouait-il sur l'importance qu'elle-même accordait aux standards. Il lui procurait de par son attitude un sentiment de liberté assez saugrenu en soit, car elle ne le connaissait absolument pas. Cependant à l'évocation de son nom et de ses possessions, la jeune femme sembla surprise et s'inclina également par respect, reconnaissant sans mal ses origines et surtout, sa renommée. La richesse qu'il affichait semblait soudainement tout bien naturelle, tout autant que l'aisance de ses mots. C'était un homme libre, éloigné des chaînes hypocrites de la capitale. Cette pensée réchauffait le coeur de Gardenia qui ne pouvait à ce moment là qu'envier ce confort et cette confiance qu'il affichait. C'était presque avec admiration qu'elle le regardait maintenant.

─ Je comprends mieux pourquoi vous ne m'inspirez aucun sentiment propre à la capitale. Vous venez d'ailleurs !

Cette simple exclamation semblait enfantine, presque comme si Liory était une nouveau au de-là de son identité. La jeune femme se rapprochait, lui emboîtant le pas. Elle désirait discuter, en savoir plus, peut-être poser des questions sur l'endroit d'où il venait. Si elle notait l'ambiance différente de sa demeure, la demoiselle n'avait d'yeux que pour son hôte qui la fascinait bien plus que les murs.

─ Vous êtes la première personne du Sud que je rencontre. Excusez-moi si je vous parais un peu... déplacée, c'est juste que je ne m'y suis jamais rendue, mais j'ai lu tant de choses à ce sujet !

Sa garde complètement baissée, elle laissait voir l'émerveillement et la curiosité d'une enfant assoiffée de connaissance. Elle ne pouvait s'empêcher de vouloir savoir, de poser ses questions ; mais avant, elle préférait être honnête avec lui.

─ Je n'ai guère d'histoire à vous conter et vous m'en voyez désolée. Ma condition fait que je n'ai que trop peu de connaissances du monde m'entourant, n'ayant pu vivre au de-là des murs de ma chambre. Pourriez-vous me parler du sud ? Qu'êtes-vous venu faire ici exactement ? Comptez-vous y retourner, un jour ?

Elle le suivait comme un chaton suivait son sauveur. Il avait les connaissances qu'elle cherchait, l'audace qu'elle lui enviait, le confort de pouvoir vivre libre des règles sociales ; c'était en tout cas ce qu'elle s'imaginait.

─ J'ai lu que les gens du port étaient beaucoup plus chaleureux et libres que dans la capitale, que le travail ne manquait pas et qu'il y faisait bon vivre. Est-ce vrai ? Avez-vous déjà vu une agaela ? Ces créatures m'ont toujours fascinée !

Les livres contaient tellement d'histoires et offraient tant de matière à l'imagination déjà bien fertile de la jeune Whytlys que cette dernière ne réalisait pas si ses questions pouvaient être déplacées ou un peu stupides pour la personne les recevant. Il s'agissait juste d'une occasion d'obtenir davantage de connaissances pour elle, occasion dont elle comptait se saisir.

Gardenia le suivait, la méfiance laissée à la porte. Elle était en territoire inconnu mais cet homme lui inspirait une étrange confiance et un respect qu'elle ne saurait expliquer ; c'était juste lui qui laissait cette impression. Était-ce sage ? Peut-être pas. Mais elle ne le contrôlait pas. Il expirait la richesse mais n'avait pas l'allure des faux-semblants ou des jeux de mensonges, ni la suffisance qu'elle ne connaissait que trop bien chez son frère et ses amis.

Tout ce que Liory lui racontait la faisait rêver et la miniature de la demeure la fit sourire comme une enfant ; elle la regardait mais son imagination la conduisait sur une magnifique demeure près d'un sable qu'elle n'avait vu qu'en dessin, imaginant sa couleur, se demandant quelle sensation ce contact pouvait procurer. Des grains si fins et si petits qu'ils roulaient sur la peau, entre les doigts, contrairement à la terre. Elle tentait d'imaginer le bruits des vagues qui allaient et venaient, quelle odeur avait ce vent salin. Tout ce qu'il lui décrivait était idyllique pour elle qui n'avait pas vécu la moindre des sensations que tous ces éléments décris pouvaient causer. Elle l'enviait terriblement et espérait un jour pouvoir s'y rendre. Pourrait-elle l'accompagner lorsqu'il rentrerait ? Seraient-ils amis et la laisserait-il se rendre compte de tout ce qu'elle pouvait décrire ? Gardenia s'égarait dans ses pensées et son imagination, assise mais droite comme un i, si attentive aux paroles de cette nouvelle rencontre.

Il finit par se rapprocher, le regard vissé sur elle, rappelant Gardenia à la réalité. Elle papillonna des yeux un instant, perturbée, ne comprenant pas immédiatement les compliments qu'il lui offrait tant son esprit était resté dans son sud imaginaire. La deuxième question qu'il lui posa, plus spécifique, finit de la ramener au présent et elle détourna le regard un bref instant, songeuse. Parler de son pouvoir finissait par devenir une sorte de handicap qu'elle devait décrire quand elle ignorait bien souvent quel était le pouvoir des autres. Prenant une légère inspiration, elle préféra ne pas mentir ni faire de cachotteries à son hôte.

─ Vous me sur-estimez, tristement. J'ai été dotée d'une sensibilité sensorielle bien au-dessus de la norme et malheureusement pour ma sécurité mais également le bien-être de mon entourage, cela a résulté en une isolation totale des années durant.

Elle reposa les yeux sur lui, ne voulant pas s'afficher comme une victime à plaindre ou une petite chose fragile à protéger.

─ Je suis Gardenia Whytlys. C'est un plaisir de faire votre connaissance, Liory.

Les mains posées sur ses genoux, elle soutenait le regard de Liory, nullement intimidée et son émerveillement atténué. Elle reprenait un peu de sa prestance habituelle, moins enfantine et plus gracieuse, plus digne de son rang.

─ Vous m'avez surprise sur le point de m'enfuir pour la nuit. J'ose espérer pouvoir un jour faire honneur à vos paroles et pour ce faire, il me faut découvrir davantage la capitale et ses habitants. Je vous avais demandé un peu plus tôt de ne pas me dénoncer aux Whytlys ; ceci uniquement pour me permettre de faire des rencontres et profiter de la nuit, plus calme et accessible pour moi.

Regardant autour d'elle, Gardenia observa encore les détails de la grande pièce, les murs, les tableaux, les peintures et autres richesses qui donnaient au lieu tout son caractère.

─ Je n'aurais pas imaginé que mon sauveur du jour serait d'une famille si noble et accomplie. Le lieu que vous m'avez précédemment décrit me semble magnifique et je vous remercie d'avoir répondu à mes questions très... enthousiastes.

Elle se doutait bien que sa subite curiosité avait certainement donné d'elle une image quelque peu ingénue, sinon enfantine. Sa curiosité si facilement prononcé n'était qu'un écho à la jeunesse qu'elle n'avait pas pu avoir. Toutes ces questions que l'on posait durant l'adolescence et l'enfance, Gardenia les posait aujourd'hui, préférant l'entendre de la bouche de ceux qui savaient que de lire ses réponses dans des livres plus vieux qu'elle.

Il était impressionnant de voir avec quelle dextérité Liory arrivait à mettre Gardenia à l'aise. L'homme lui parlait comme s'ils se connaissaient depuis un moment et elle n'éprouvait ni honte ni timidité à échanger avec lui. Elle ne le réalisait pas encore mais cette discussion allait laisser une empreinte mémorable en elle, tout autant que l'impression qu'il lui faisait. Les sourires que Gardenia lui offrait étaient sincères et francs, la commissure de ses yeux offrant ces plis si propres aux sourires honnêtes. L'écoutait l'enchantait, lui répondre la ravissait. Nul doute, cet homme était d'excellente compagnie et elle ne s'en cachait pas, osant même des rires légers par instances. Néanmoins à la vue du vin, un semblant de timidité se manifesta furtivement, même si elle se convainc sans mal qu'elle ne risquait rien ce soir.

─ Je ne m'y connais guère, alors je vous fais confiance !

Un pari risqué. Elle n'y connaissait rien en vins, mais surtout, elle n'y connaissait rien en alcool. Ce n'était pas quelque chose qu'elle touchait. Elle n'en avait, pour ainsi dire, jamais bu de toute sa vie. Elle en connaissait quelques échos et légendes mais elle était forcée d'admettre qu'elle n'avait jamais vu de ses propres yeux les différents effets, se contentant des histoires des uns et des autres ─ surtout de Laevis, qui était son seul contact régulier. L'odeur de l'alcool ne lui était que trop peu plaisante mais pour que ces boissons soient aussi populaires, c'était bien qu'elles devaient être bonnes, non ?

Liory avait l'art de la complimenter et charmer avec brio, sans pour autant la rendre timide. Le confort de la jeune femme était tel qu'elle s'autorisa à quitter sa posture bien droite pour se pencher en avant, coudes sur les genoux, le menton posé dans ses mains qui encadraient son visage souriant.

─ Si vous ne risquiez pas les mauvaises rumeurs, vous seriez prêt à m'enlever à ma demeure ? C'est plutôt audacieux et surprenant, mais très plaisant comme scénario, je le confesse !

L'idée l'amusait et lui rappelait effectivement ses romans ─ sans dire que c'était quelque chose qu'elle avait toujours trouvé terriblement romantique, elle s'était souvent demandé si ce type de scénario s'était déjà produit en vrai. Une de ses mains quitta son menton pour venir toucher du bout du doigt la table, ses yeux bleus observant le contact.

─ Ma famille a déjà tenté par le passé par le biais des améliorations mais à l'époque, les seules personnes capable d'y parvenir ne pouvaient appliquer une amélioration sans douleur. Autant vous dire que cela a été un échec total. D'autant plus que rien ne pouvait garantir que mon cas ne s'en retrouverait pas aggravé. Quant aux objets, seules les menottes de la Garde pouvaient théoriquement fonctionner mais s'en procurer semblait compliqué... Ce n'est pas le genre de matériel que l'on offre aux citoyens.

Gardenia reposa les yeux sur Liory, nullement attristée par ces aveux, les voyant simplement comme une autre page de son histoire.

─ Mais je n'abandonne pas. Je me dis qu'il est également possible pour moi d'apprendre à le contrôler au travers de mes expériences, peut-être. Durant mon jeune âge je comprends que cet apprentissage pouvait se révéler problématique pour mon entourage, cependant je suis maintenant adulte et je pense pouvoir découvrir mes limites sans trop de risques.

Abaissant à nouveau le regard, elle fit glisser la pulpe de son doigt sur la texture lisse et froide, un peu songeuse.

─ A force de n'avoir vu ce don que du mauvais oeil, j'ai longtemps imaginé qu'il n'était que synonyme de souffrance. Maintenant, je me dis qu'il a des côtés positifs que j'ai niés trop longtemps. Par exemple...

Gardenia se redressa et montra la paume de ses mains, expliquant ainsi quelques subtilités de son pouvoir.

─ Avant, je craignais le moindre contact qui n'était pas celui de mes vêtements. Maintenant, plus je touche de choses, plus je découvre des textures différentes, certaines procurant des sensations de douceur et de bien être que j'ignorais jusqu'alors. L'eau chaude par exemple m'est un contact que j'ai toujours apprécié mais je l'avais ignoré, tandis que maintenant je le savoure. Les pétales de fleur également, me sont majoritairement extrêmement doux, tout comme les pages d'un livre, le bois travaillé, la neige ou bien encore la peau humaine. J'ai récemment pu caresser un cheval pour la première fois et si leur poil n'est guère très agréable, la chaleur qu'ils dégagent est étrangement réconfortante et adoucit l'inconfort du contact.

A mesure qu'elle parlait, Gardenia réalisait les quelques progrès qu'elle avait fait sur ces derniers mois et en particulier ses dernières semaines. Alors, rayonnante de positivité, elle sourit à Liory, pleine de confiance pour le futur.

─ Si je peux autant ressentir la douleur, alors je peux techniquement autant éprouver le plaisir, non ? questionna-t-elle sans vraiment attendre de réponse.

Du vin. Elle allait vraiment goûter du vin. A peine la bouteille était-elle ouverte qu'elle pouvait déjà sentir les effluves sucrées chatouiller ses délicates narines ; elle sentait effectivement l'alcool mais ce n'était pas la senteur prédominante, à sa surprise. L'odeur était forte mais étrangement délicate, aussi ne quittait-elle pas son verre du regard en le prenant. Sans même avoir goûté à la boisson, les odeurs parlaient déjà d'elle-même. Gardenia craignait que le goût soit trop fort, elle qui n'avait pas tant goûté au plaisir des saveurs fortes tant son odorat pouvait poser problème.

Reposant le regard sur Liory, elle n'osa poser ses lèvres sur son verre immédiatement, préférant attendre avoir le courage de se lancer après s'être habitué aux odeurs. La suggestion des bracelets personnalisés avait bien été envisagée mais elle ne connaissait pas tout des travers de sa famille, de leurs motivations et affirmations. Lorsqu'on lui avait dit qu'ils avaient déjà essayé, elle n'avait pas insisté.

─ Je pense qu'ils y ont songé, mais que des choses les en ont empêché. Je ne connais pas tous les tenants et les aboutissants et confinée comme je l'étais, je n'avais guère le choix que de croire en leur parole.

Son regard se baissa sur le liquide pétillant dans son verre et elle manqua un soupir ; Liory retirait ses gants et lui offrait la paume de ses mains. Gardenia se figea un court instant, surprise, avant de relever les yeux vers lui, un peu confuse. Il l'invitait à le toucher ? Il lui offrait un contact physique, si cela pouvait la réconforter ? Il ne savait pas ce qu'un tel contact pouvait signifier, certainement. C'était une évidence. Une teinte rosée vint s'emparer des joues de Gardenia qui restait muette de surprise. La seule personne dont le contact était régulier et réconfortant était celui de Laevis, qu'elle considérait comme sa propre soeur. Les deux femmes se connaissaient depuis des années, vivaient presque ensemble ; personne d'autre ne la touchait jamais. Il y avait eu furtivement Camille qui l'avait prise par surprise, mais sinon ? Personne.

Ses yeux bleus se posèrent sur les mains de Liory et Gardenia réfléchit un moment. Elle avait besoin de ce moment de silence pour qu'elle-même songe sérieusement à l'invitation et qu'elle sonde le confort dont il était question. Un silence qui se solda par un mouvement un peu inattendu ; elle leva le verre à ses lèvres et bu son verre quasi d'une traite, ne pouvant réprimer une grimace une fois le verre vidé ─ elle ignorait que l'alcool ne se buvait pas comme de l'eau d'ailleurs. Le goût était fort, sucré mais fort, plus fort qu'elle ne l'avait anticipé. Elle essayait, au moins, elle se risquait à tester et découvrir.
Elle posa le verre sur la table et s'avança légèrement, ayant visiblement pris sa décision. Lentement, presque craintivement, Gardenia avança ses mains en direction de celles du jeune noble. Plus ses mains se rapprochaient, plus elle sentait l'embarras la prendre en traître, ses joues trahissant ses émotions.

C'était chaud, et doux. Juste du bout des doigts, elle se risqua à toucher les siens. Le contact était léger mais suffisant pour que la sensation que ce toucher procure se diffuse au de-là de ses extrémités. Si elle appuyait légèrement plus, le contact se réchauffait davantage. Il ne lui fallut à peine plus pour sentir au de-là de ce qu'il pouvait imaginer ; des battements d'un coeur qui n'était pas le sien. Un contact s'alliant au son qu'elle recherchait instinctivement à entendre, comme pour marier les deux ensemble. C'était étrange de se dire que par le biais de ses seules mains, elle semblait pouvoir toucher un coeur ─ et autres particularités du corps humains, mais rien n'était plus puissant ou bruyant qu'un coeur qui bat. Progressivement, elle parvint par laisser ses paumes sur les siennes, toujours concentrée sur cet échange quelque peu hors norme.

Puis enfin, un sourire naquit sur ses lèvres tandis qu'elle s'habituait. Elle ne relevait pas les yeux de leurs mains, continuant d'observer cet échange complètement surréaliste à ses yeux.

─ Je peux vous entendre, murmura-t-elle, davantage pour elle-même que pour lui.

Le hochement de tête de Gardenia, bien que subtil, confirmait qu'elle entendait ses battements de coeur ; un rythme qui changea et s'accéléra quelques peu, la laissant un peu curieuse, car le sien suivit automatiquement, comme s'ajustant à une nouvelle fréquence.
Cet échange surprenant, qu'elle n'aurait jamais imaginé oser faire ce soir, les enfermait dans une sorte de bulle silencieuse, très intime. Elle ignorait pourquoi Liory avait su rapidement la mettre en confiance, ne comprenait pas comment il avait réussi à la convaincre. Peut-être était-ce le naturel qu'il dégageait, la bonté et la sincérité de ses gestes ? Il était curieux d'elle, elle était curieuse de lui. Quand il initia un contact plus complet, plus proche encore, Gardenia sentit une nouvelle vague de chaleurs et de sensations étranges la prendre, presque en torrent. Ce n'était pas comme avec Laevis. C'était différent.

Mais derrière cette timidité apparente, Gardenia se savait déterminée et courageuse. Elle ne fuyait pas devant l'adversité, les challenge, ne niait pas ses peurs ou ses envies. C'était certainement grâce à cette force de caractère qu'elle pouvait répondre à Liory, ne craignant pas qu'il la lâche.

─ Tous les jours, j'apprends de nouvelles choses. Tous les jours, je dépasse un peu plus mes limites et sors de ma zone de confort. Je suis déjà heureuse d'être là et d'avoir l'occasion de discuter. Il ne m'en faut guère plus, vous savez.

Les mots étaient sincères. Entre ses quatre murs et discuter avec lui, elle préférait cent fois être à cette table. Ses yeux ne quittaient pas leurs mains et tandis qu'elle s'habituait au contact, elle osait davantage. Sa peau glissa alors qu'elle-même entourait sa main autour de la sienne, effectuant une pression légère. Ses mains étaient beaucoup plus douces qu'elle ne l'avait imaginées, plus que celles de Laevis ; peut-être était-ce là une différence entre la noblesse et une simple domestique. Quelque chose fascinait Gardenia dans cet échange. Elle découvrait de nouveaux sentiments, de nouvelles sensations, et dans cette quête de découverte, peut-être jouait-elle un peu trop avec le feu ; son pouce caressa l'intérieur de la main de Liory, dessinant la forme de son muscle avant de passer sur la peau fine de son poignet, où subitement les battements de coeur y étaient plus bruyants encore. Elle y laissa son doigt un court instant, intriguée, avant de revenir vers sa main, la touchant avec attention. Elle en oublia quelque peu sa main gauche toujours dans celle de Liory, se concentrant sur sa main droite qui venait cette fois-ci s'étaler sur celle de l'homme, paume contre paume et doigts contre doigts. Ajustant leurs mains devant son visage, Gardenia réalisait qu'il avait des doigts plus longs que les siens et que sa main à elle était plus petite dans sa globalité. Et là, juste derrière ces mains, elle repéra son visage ; son attention bifurqua en douceur pour qu'elle le regarde, droit dans les yeux.

Et là, elle réalisa ce qu'elle faisait à le toucher ainsi.
Le rouge pris subitement son visage et ses yeux s'écarquillèrent sous la gêne et la honte avant qu'elle ne retire ses mains, sans précipitation, intimidée par sa propre audace.

─ M-mes excuses Liory, je suis navrée si j'ai dépassé certaines limites. Je n'ai jamais osé avant et... je me suis un peu laissée emporter.

Elle posa ses mains sur son visage, sentant à quel point l'embarras l'avait changée en tomate bien rosie. Qu'avait-elle fait, à le toucher de la sorte ? Ne devait-il pas y avoir des barrières, tout de même ? Il faisait terriblement chaud et c'était à se demander si la cause en était cet échange ou bien sa gêne.