- Certaines aimes les oiseaux balafrés. Répondit-elle en haussant les épaules, s’enroulant d’autant plus autour d’elle-même sur le sofa en fronçant les narines lorsqu’il déposa le café près d’elle. Comptait-il la mettre au supplice en l’obligeant à en boire ? D’un air écœuré elle repoussa la tasse. « Si tu tiens à m’empoisonner c’est raté ! » grogna-t-elle intérieurement tout en fusillant le liquide fumant du regard comme si cela pouvait changer quoi que ce soit à sa composition. - Ça t’aidera toujours plus que la danse en tout cas…Persifla-t-elle d’un air narquois.
La question qu’il lui posa après ne la surprit pas vraiment. Même si elle ne révélait presque jamais ses talents de danseuse, elle savait qu’hier elle avait baissé sa garde. Suffisamment en tout cas pour qu’un novice comme Hryfin se rende compte d’une quelconque facilité. Par chance, Diane était aussi une bonne comédienne. C’est donc avec une habileté certaine qu’elle sourit, l’air plus amusé qu’autre chose. Mais avant qu’un mot ne puisse franchir la barrière de ses lèvres, la remarque réelle mais pas moins cinglante lui éclata en plein visage. Immédiatement elle fronça les sourcils et le fusilla du regard.
- Tu tiens vraiment à ce que l’on parle cheveux ? Oh oui, il était mal placé pour l’ouvrir avec ses cheveux en pétard semblable à la queue ébouriffé d’un écureuil. - Sans compter que moi, au moins, il me suffira de me recoiffer et de lisser ma robe pour ne plus avoir une sale gueule. Puis pour ponctuer sa phrase elle emprunta un air hautain, digne de la noblesse de haute volée et pinça le nez dans un petit « humpf » dédaigneux. - Et puis au risque de te décevoir, comme si cela ne suffisait pas, elle croisa les bras sur sa poitrine, toujours sans lui adresser un regard du fond de son canapé. - Mon travail n’a rien d’artistique. Quoi que… Je maîtrise les arts de la chambre… Un petit sourire mutin raviva la chaleur de ses lèvres tandis qu’elle lui offrait enfin son attention. - Pas ceux que tu crois, pas de panique. Je parle de changer les draps, tapoter les oreillers et autre joyeuseté. Tu as devant toi la plus artistique des domestiques. Ça en jette hein ? Ses iris le défièrent de faire un commentaire. En soit il ne serait pas le premier noble à s'y essayer.
Diane était de basse extraction, elle ne s’en cachait pas lorsque la question lui était posée. Néanmoins elle évitait de le crier sur tout les toits. Y avait-il quelconque fierté à être née dans les basses ruelles de la ville, avoir grandit dans un orphelinat pour finalement atterrir chez un érudit dont la curiosité lui avait ôté la vie ? Aucune. Cependant Diane était un piège magnifique. Que cela soit lié à son port altier, son sourire enjôleur ou encore la cambrure trop parfaite de son dos ; elle n’avait rien d’une plébéienne. De même elle était une femme cultivée, parfaitement capable de tenir une conversation de haut vol. C’était pour cela que ses clients appréciaient sa compagnie, lorsque ce n’était pas pour ses danses. Hryfin lui était sympathique et elle lui aurait volontiers avoué qu’elle n’était pas simplement ce qu’elle acceptait de lui montrer. Mais hier soir elle avait déjà fauter. Elle lui avait dévoilé son talent, partiellement, et nul doute que le garde se contenterait de croire qu’elle était plus douée que la moyenne. Il n’empêchait que c’était ce genre d’erreur qui pourrait la conduire à sa perte. Autant l’emmener tout de suite sur une fausse piste.
- J’aime danser de temps à autre. Reprit-elle d'un air désinvolte. - Mais je n’ai rien d’une artiste.
Sans crier gare elle bondit sur ses pieds comme un chat et traversa la cuisine pour se retrouver à la hauteur du garde. Une pichenette sur le front et son rire retentit, comme une punition aux critiques qu’il lui avait envoyé un peu plus tôt. - Tu as vraiment une mine affreuse. Heureusement que tu es un guerrier, pas un membre du gouvernement. A l’aide du reflet d’une vitre elle s’attacha à refaire sa coiffure, lissant du mieux qu’elle le pouvait les boucles brunes qui, visiblement, n’avaient pas décidé de se laisser discipliner. - Oh aussi… Elle sourit à son reflet. - Il y a autre chose qui ne t’aidera pas avec les dames… Et elle tapota son cou du bout des doigts, désignant indirectement les marques qu’elle avait laissé sur sa peau. - Ça t’apprendra ! Oh certes elle n’avait aucunement prémédité le fait qu’il lui parlerait d’autres femmes dès le lendemain matin, néanmoins elle trouvait la vengeance parfaitement adéquate.
Ses cheveux retombèrent en une longue tresse or et brune le long de sa colonne vertébrale. Des épis continuaient de persister ci et là, tandis que des mèches folles échappaient encore et toujours à son contrôle mais c’était là le maximum qu’elle avait à offrir sans eau ni brosse.
- Il est temps de se quitter, je crois. Dit-elle lorsqu’elle eut, pour la énième fois, tentée de lisser sa robe. - Je te remercie de ton hospitalité, que je crois avoir parfaitement honoré. Taquine, elle ne se priva pas de laisser aller les sous entendu. - Peut-être que nos chemins se recroiseront… Danvil. Et de son pas léger, elle se dirigea vers la sortie, disparaissant dès qu’il lui en laisserait l’occasion.
Comparé à la veille, ainsi qu'aux antipodes de comment il s'est comporté avec Kala depuis son levé, il balaya mentalement d'une traite toute remarque qu'il pourrait faire pour surenchérir de nouveau sur les moqueries de la danseuse. Oui, balafré car il est marqué, oiseau car un hippogriffe c'est à moitié piaf, blablabla. De grandes redites de tout ce qu'il a entendu dans sa vie ; bon, à part pour ce qui à attrait à la danse, n'étant pas fin danseur, et cela s'est observé pendant de longues minutes hier soir, depuis tout petit, il a l'habitude des mêmes rengaines.
Jeune, il avait déjà une taille déraisonnable, pour un enfant. Un visage moins buriné, mais tout de même dessiné de manière très brute, la même tignasse qu'on qualifiera d'indomptable, la vérité étant qu'il n'a jamais vraiment tenté de la dresser. Les bleus et autres contusions venaient pour leur part de quand il jouait ''à la bagarre'' avec d'autres enfants du Grand port, ou plus rare, quand on embêtait à sœur, à tout âge. Avant de partir pour la capitale, quelques semaines avant, il s'était prit la tête avec un lourd qui en voulait absolument à Béryl. Il était bien sur plus âgé que lui, après tout, il est le petit frère. Mais quand même plus grand, plus solide, plus agressif outre mesure. Ça n'avait été qu'une promenade de santé. Espérons qu'elle se soit endurcie, depuis tout ce temps.
Dans ses pensées, il n'avait écouté la dame que d'une oreille trop distraite à son goût, puisqu'il reporta son attention sur elle qu'une fois avoir compris que son métier était artistique, mais genre, l'art de...La chambre ? Vraiment, on en est là ? Remarquez, ça mettrait en lumière que la chance de Ryf avec les dames n'existait que si la personne était déjà, au préalable, plutôt open sur le sujet. Par contre, si il paye pas, il se passe quoi ? Ah, non. Son air interrogateur complètement perdu du remettre Kala sur les rails, puisqu'elle précisa être domestique. Tout, dans ses paroles, son regard, son attitude, semblaient attendre patiemment une attaque envers ses choix de vie qui ne doit être que trop critiqué, comme une provocation, ''Allez, attaque, que je te remette les idées en places''. Elle est pas tombée sur le bon client. Il n'en a que bien cure, de ce que les gens font pour vivre. Dans un haussement d'épaule, il se leva, pour débarrasser, les deux tasses de café à présent vide ; la boite en fer blanc contenant ce qu'il a prit comme petit déjeuner, tout de même embêté qu'elle parte sans ne s'être rien mit sous la dent. L'idée de lui proposer un verre de rouge le fit sourire, mais c'était peu convenu.
'' Tu es domestique. Et alors ? C'est très bien. Pas de honte, il en faut, pour tous ces gens incapables de mener leur vie correctement. ''
Sur ces mots, il sortit du confort du canapé pour se diriger vers la cuisine, poser la vaisselle qu'il ne nettoiera et rangera que plus tard, fermer la boite et la remettre à sa place, continuant tout de même à écouter la jeune domestique. On la lui fait pas, en vrai ; c'est bien plus que de temps en temps, qu'elle danse, ou bien possède-t-elle un talent inné ? Malheureusement sous exploité, à son sens. ''Rien d'une artiste'', mais oui, et Hryfin n'a pas la gueule de son emploi, tant qu'on y est. Se retournant vers le salon, il vit qu'elle s'approchait de lui en toute grâce.
'' Mais oui, c'est ça. Bah tu pourrais le devenir, car tu danses b- Hey ! ''
Interrompu par une chiquenaude sur son front, puis son rire, délicieux à son oreille. Il prit un air renfrogné, doublement quand elle remit sur le tapis son ecchymose -et non son visage entier, espérons- et la tronche que ça lui donnait. Si elle savait, qu'il n'avait pas souvent l'occasion de ressemble à un soldat, rarement blessé ou même inquiété la plupart du temps. L'observer tripoter ses cheveux ne lui provoqua pas l'envie de s'occuper des siens, il a jamais été coquet, ni très regardant sur son apparat. Un minimum, tout de même, pour ne pas ressembler au premier traîne-savates venu. A la base, il ne voyait pas de rapport entre le cou de Kala et la difficulté qu'il aurait à séduire, si bien qu'il se mit à palper sa propre nuque, et il comprit, il l'avait vu dans le miroir, les marques laissées par cette nuit endiablée.
'' Oh. Ouais, en effet. C'était pas prévu, dans tous les cas. Pis, ça se verra pas avec l'armure. ''
Oui, quand il avait dit ça, c'était plus pour l'ironie de la chose, et appuyer sur le fait que dans tous les cas, lui et les femmes...C'est compliqué. Il a toujours rejeté la faute sur son air patibulaire, mis en emphase par sa stature impressionnante, qui fait plus un effet de ''Ouah r'garde comment l'est grand lui !'' qu'autre chose, couplé à son air froid qu'il prend systématiquement aux premiers abords, son regard perçant qui vous surplombe. Y a peut-être autre chose, tout compte fait. Au vu de comment ça s'est passé avec elle, sans doutes le manque d'alcool dans le sang ? Cette mauvaise pensée le fit tout de même sourire, alors qu'il l'observait se préparer vainement.
'' Allez, file. Les lits vont pas se faire tout seul. ''
Bon, il avait vraiment rien contre les domestiques et leur statut, hein, mais c'est quand même trop facile de l'embêter maintenant qu'il sait ça, surtout qu'elle a l'air tatillonne sur le sujet. Il l'accompagna jusque la porte d'entrée, qu'il ouvrit même pour elle, en parfait gentleman.
'' J'espère pour toi que tu honores pas l'hospitalité de tout le monde comme ça, hein. '' Il commença à rire, mais s'arrêta bien vite. '' Ouais, non, ça me regarde pas. Cette ville est plus ptite qu'on veut bien l'dire. C'est possible qu'on se retrouve un jour. Bon courage, euh, Kala. ''
Son prénom n'avait pas été oublié, mais le fait qu'elle l'appelle pas son nom l'avait déstabilisé un peu. Déjà, elle devait savoir qu'il détesterait ça, la garce. Ensuite, eh bien, il ne connaissait en rien le sien, de nom. Après, quelle importance ? C'est les nobles qui se caractérisent de la sorte. Il pourrait très bien s'arrêter aux prénoms toute sa vie, ce n'est que par son métier qu'il se présente par nom et prénom, c'est presque une obligation. Il s'adossa quelques secondes à l'embrasure de la porte, l'observant partir au loin, dans cette rue qui commençait lentement à s'animer, nullement conscient de s'il aurait du lui dire au revoir d'une quelconque autre manière. Les dimensions sociales comme ça, c'est pas son dada.
'' Bon, Faut ptet que jme prépare, hein. ''
Une douche rapide. Le temps de s'habiller. La tête qui le lançait, souvenir douloureux de la consommation excessive d'hier soir. Pas l'envie de s'entraîner, de toutes façons, pour ce qu'il allait faire sur place...Il allait encore devoir faire des rondes dans le palais, s'assurer que tout se passe bien, que sa majesté la Reine et son seigneur le Roi se portent. Vivement que d'autres choses plus palpitantes lui arrivent, car là le palais, il commencerait à en avoir presque assez. Les mêmes nobles, les mêmes manières, les mêmes personnes...L'armure fut enfilée d'une manière presque religieuse, et c'est ainsi qu'il sortit de chez lui, à peine une heure après le départ de son amante d'une nuit, vacillant bon an mal an jusqu'à son poste du jour.
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