Il se releva pour s’en approcher, complètement fasciné par l’apparition. Elle était exactement comme sur la peinture ! Le frère chantonnait en même temps qu’elle déambulant en direction du lac. Soudain, il sentit une pression autour de son corps et tomba en arrière. Son visage marqua la surprise et l’indignation.
Mais euh … je veux dire bonjour à la dryade !
Une femme apparue au-dessus de lui et lui boucha le nez. Aord sourit quand il reconnut son amie Nemue, elle lui avait préparé une potion, mais pourquoi l’attachait-elle.
Mais enfin Nemue ! On se connaît à peine ! On ne va pas jouer à ce genre de jeux !
Il n’eut pas le temps d’en dire plus puisqu’elle lui remplit la gorge avec une tisane un peu trop chaude qu’il avala malgré lui en toussant. Un quart de la préparation lui coula sur le visage finissant par terre pour satisfaire la curiosité d’Espoir qui en léchait les quelques gouttes perdues. Elle avait un goût de vin. Le frère n’aimait pas ce que Nemue lui faisait et commença enfin à essayer de se libérer du filet.
Non, j’aime pas …
Ses mouvements aléatoires lui permirent de libérer un de ses bras, puis le deuxième. Ses jambes étaient toujours entravées, mais il s’en fichait. Souriant comme un benêt, il attrapa Valravn/Nemue et lui fit un gros câlin.
‘sui trop content que tu sois là. J’ai failli mourir tu sais, noyé dans l’eau. C’tait trop horrible.
Il écrase Valravn contre lui dans une étreinte musclée, ne se rendant même pas compte qu’il comprimait sa blessure, répandant le sang chaud un peu partout.
T’es toute chaude c’est marrant.
Il rit comme un dément, continuant de serrer le pauvre vagabond. Il fallut attendre trois-quatre minutes avant que l’infusion fasse effet, relaxant ses muscles et permettant à Valravn de se libérer s’il ne l’avait pas déjà fait de manière plus violente. Les yeux du frère roulaient dans leurs orbites, il ne se déplaçait plus, mais des spasmes parcouraient ses muscles de manière aléatoire. Il ne délirait plus vraiment, mais était passé à des rêves tout aussi loufoques. Dans son état comateux, il se mit à parler de manière incohérente, ne pouvant arrêter son flot de paroles sans aucun sens. Espoir pensa qu’il voulait encore jouer, mais un faux mouvement du frère le frappa et l’envoya rouler plus loin sans le blesser heureusement. Après ça, le petit shallum n’essaya plus de l’approcher.
Le délire d’Aord dura 4h, 4h épuisantes pour Valravn qui devait l’empêcher de se blesser dans ses convulsions et de s’étouffer lorsqu’il vomit. Cette journée était vraiment une catastrophe, mais Aord ne pouvait pas encore s’en rendre compte. Il finit pourtant par se calmer, ses convulsions diminuèrent pour s’arrêter tout bonnement. Le frère retrouva une certaine quiétude qui dura 30 minutes encore. À terme, il ouvrit enfin les yeux. Ils étaient injectés de sang et il avait une mine affreuse. Il se tint la tête des deux mains tellement il avait mal. Sa tête, sa poitrine, tout son corps hurlait de douleur après les mauvais traitements qu’il avait subis.
Oh putain qu’est-ce que j’ai mal …
Il tourna la tête vers Valravn qui s’était approché de lui. Il n’arrivait pas à se souvenir de ce qu’il s’était passé ces dernières heures.
Valravn ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? On n’est allé voir les peintures ?
Le jeune homme n’eut pas le temps de répondre, la cape, dérangée par la recherche du filet -qu’il devrait d’ailleurs réparer, qu’est-ce qu’il avait comme force ce type, il l’avait déchiré !- ne put s’empêcher de faire entendre sa douce voix.
« Non mais i’s’fout d’nous là le Grand ? Pas vu les peintures ! Vous avez fait quoi là sous l’eau ? T’as failli buter ce crétin tellement tu étais ivre espèce de camé ! Moi qui croyais que les ecclésiastiques étaient des gens sérieux ! Puis ces embrassades hein… »
La cape se tortilla et tenta de rentrer seule dans le sac sans fond, soupirant sa désapprobation et exagérant le « choc » reçu en voyant Aord enlacer Valravn en lui susurrant du « Nemue, on se connaît à peine… »
Le vagabond lui avait viré au brique, ne sachant plus où se mettre tellement il était gêné. Mais qu’est-ce qui lui avait pris de donner à ce foutu vêtement une âme artificielle qu’il aurait pu revendre pour son plus grand profit… et sa tranquillité future.
Regardant le Frère, il se racla la gorge… Comment lui expliquer ? Il était grandement fautif, c’était lui qui l’avait entraîné dans cette galère…
« On y est allé… Mais je ne suis pas sûr que vous ayez vu grand-chose. »
Il essaya de résumer tout en restant neutre ce qui s’était passé : la presque noyade, l’arrivée dans la grotte, les champignons, le retour… enfin bref … puis la tentative désespérée pour le sortir de cet état second avant qu’il ne mette sa vie, et celle de son compagnon, en danger. De devoir expliquer à Aord qu’il l’avait embrassé sur la bouche pour insuffler de l’air dans ses poumons, puis assommé, puis pris au filet, avant d’être à nouveau embrassé, contre son gré cette fois-ci et enlacé… Les explications du jeune homme étaient de moins en moins audibles tandis qu’il avançait dans le récit, en proie à une confusion croissante.
Le ciel par la trouée témoignait en s’obscurcissant qu’ils avaient passé la journée à glander dans la grotte.
Valravn, toujours extrêmement ennuyé par sa responsabilité dans le malaise du prêtre ne cessait de répéter « je suis désolé, vraiment, je ne sais comment me faire pardonner. Je vous ai mis en danger, je suis totalement navré ». Il en était proche des larmes, se disant que le Vieux Frère lui aurait géré la situation, se reprochant d’avoir voulu en mettre plein la vue de l’homme en lui parlant des peintures, des livres de la cabane… Il avait fait preuve d’orgueil et d’égoïsme, avait essayé de se « placer » et de faire l’intéressant… Les dieux lui avaient rappelé l’humilité mais au détriment de la santé d’autrui, une leçon qu’il n’oublierait pas.
Dans une tentative pour détourner la conversation, il demanda :
« Je vous ai entendu dire « Nemue », vous connaissez Dame Nemue ? J’ai travaillé une fois pour elle, c’est une dame gentille et charitable »
Il regardait le frère, que pouvait-il faire pour lui sans encore empirer la situation… Qu’il ait mal à la tête, et ailleurs, ça n’avait rien d’étonnant. Du haut de ses dix-sept ans (peut-être dix-huit ?) Valravn voyait l’homme comme beaucoup beaucoup plus âgé, enfin en tout cas, trop âgé pour les cabrioles qu’il avait faites, d’autant plus qu’il était « intellectuel », n’avait-il pas dit qu’il était « calligraphe et illustrateur » ? ou un truc comme cela ? Ce n’était pas un acrobate ou aventurier qui s’entraînait quotidiennement à maintenir ses muscles en forme.
Impuissant, il lui tendit la gourde avec ce qui restait de thé de phiatri, lui disant ce qu’elle contenait.
« Je n’ai rien d’autre, ça vous a permis de revenir un peu, mais je doute que ça calme vraiment la douleur… J’avais de la poudre de rurd mais j’ai peur que l’onguent ait été perdu… »
Il regarda le sol, sur lequel d’autres vestiges du moment de folie d’Aord traînaient…
« Je suis tellement navré… Je n’ai jamais vu personne réagir comme vous, enfin je veux dire, à ce point-là… Parfois les gens ont une ou deux visions éphémères… »
Rouge brique il baissa la tête… A n’en pas douter ce type allait lui faire une réputation… Enfin… Non. Pour avoir une réputation, bonne ou mauvaise, il faut être quelqu’un, et lui n’était… rien.
Elle vient de parler je ne rêve pas hein ?
Bien sûr que je parle Ducon !
Le frère écarquilla les yeux en la regardant rentrer dans le sac. Cette journée était vraiment absurde. En fait, tout ici était absurde, lui y compris. Il regarda Valravn qui ne savait plus ou se mettre, papillonnant des yeux comme une biche effarouchée et rougissant comme une jeune fille innocente.
Il s’est passé quoi bon sang ?
Le ton était devenu un peu plus inquiet, car il ne se souvenait vraiment de rien du tout et ça commençait à l’énerver. Valravn finit par cracher le morceau. La bouche d’Aord s’ouvrit quand il lui raconta la noyade, l’ouverture s’élargit quand il lui expliqua pour les champignons et sa mâchoire finit de se décrocher quand il lui expliqua ce qu’il avait fait pendant son trip. Il avait fait quoi ??? Un profond sentiment de honte l’envahit, il avait envie que la terre s’ouvre sous ses pieds pour l’engloutir à tout jamais. Comment c’était seulement possible une histoire pareille ? Il rougit lui aussi jusqu’aux oreilles.
J-j-je oh merde …
Il n’arrivait pas à trouver de mots, rien ne venait. En fait, il préférait garder le silence, se contentant de regarder son hôte avec des yeux de merlans frit. Le burlesque de cette situation avait fait griller les derniers neurones que le manque d’oxygène et les psychotropes avaient épargnés. Tout n’était que bouilli dans sa tête, c’est pourquoi il répondit de manière mécanique.
Oui … gentille et charitable …
Par Lucy, il l’avait pris pour Nemue ? Son torse se souleva, comme s’il avait le hoquet. Il s’imagina en train de rouler sur le sol en câlinant le jeune homme. Il n’avait pas fait ça si ? Les regards fuyants du principal intéressé semblaient vouloir confirmer cette hypothèse. Oh merde … Il hoqueta encore, tout en restant silencieux. Il devenait de plus en plus rouge, comme s’il se gonflait de l’intérieur. Une larme coula le long de sa joue, puis une autre et encore une autre. Ce n’est qu’en voyant l’air peiné de Valravn qu’il éclata.
Le rire du frère retentit dans toute la caverne. Des larmes roulaient maintenant par dizaine sur ses joues. Son hilarité était très intense et c’était le seul moyen qu’il avait de réagir à cette situation surréaliste. Des images loufoques s’enchaînaient dans son esprit relançant le frère dans une hilarité toujours plus forte. Il n’arriva pas à se tenir assit et s’effondra sur le dos, oubliant presque de respirer tellement il riait. Par Lucy, il n’en pouvait plus. La fatigue, toutes les émotions qui l’avaient traversé aujourd’hui. Toute cette pression avait besoin d’être évacuée par le rire. Aord ne pouvait même pas voir comment réagissait Valravn, il se contentait de se rouler par terre totalement hilare.
Le fou rire de l’ecclésiastique dura une bonne dizaine de minutes. Chaque fois qu’il allait se calmer, il repartait de plus belle. Finalement, il s’arrêta enfin, complètement essoufflé et les abdos en feu. Il n’avait pas ri comme cela depuis bien longtemps.
Par la déesse, qu’est-ce que ça fait du bien.
Il était encore parcouru par des petits spasmes de rire, mais ils n’étaient plus assez puissants pour le faire repartir. Il retrouva une position assise.
J’ai du vous en faire voir de toutes les couleurs. Pardonnez au boulet que je suis, je ne suis qu’un innocent citadin qui mange des champignons au hasard.
Il pouffa encore de rire avant de se reprendre en essuyant ses larmes.
Mais quelle histoire ! J’espère au moins que vous avez apprécié le moment.
Il lui fit un clin d’œil complice pour le taquiner. Ce n’est qu’à ce moment qu’il se rendit compte que Valravn saignait. Les émotions du frère retombèrent immédiatement.
Mais vous saignez, oh par Lucy je suis désolé.
Il se précipita pour nettoyer la blessure de Valravn en utilisant un linge trempé d’un peu d’eau. Elle était vraiment très moche, trempée de poussière et de crasse. Il lui avait vraiment infligé ça ? Il caressa doucement l’omoplate du jeune homme pour déceler l’entaille sous la crasse, puis nettoya doucement autour pour éviter qu’elle ne s’encrasse davantage. Il n’avait pas de quoi faire un bandage malheureusement, mais la blessure était déjà refermée. Il fallait maintenant prier pour ne pas qu’elle s’infecte. Il se déplaça pour être de nouveau face au vagabond.
Bon, reposez-vous, vous en avez assez bavé à cause de moi. Cette journée a été riche en émotions !
Il lui prit le bras délicatement et le releva pour l’amener auprès du feu. Cette fois c’est lui qui allait préparer le repas, hors de question qu’il se fasse servir après l’avoir fait tourner en bourrique toute la journée.
Le dit Valravn lui se sentait gagné par cette hilarité, son regard brillait, ses lèvres souriaient, il aurait voulu pouvoir partager ce moment de folie de tout son cœur. Mais il n’y parvenait pas… Le rire -propre de l’homme selon certains sages- lui était semble-t-il interdit. S’il était heureux pour Aord et communiait de toutes ses forces avec lui, profitait même par ricochet de cette détente extrême, son corps refusait de se relâcher, tout au plus atteint-il un paroxysme dans un sourire éclatant, soulagé.
Appréciant ce rire comme une manne rare, il ferma les yeux, essayant d’appeler tout au fond de son être le mode d’emploi de la rigolade, sans trouver autre chose qu’une gaieté raisonnable, une joie sage, une allégresse contenue.
Lorsque le prêtre se fut calmé, lui lançant un « Mais quelle histoire ! J’espère au moins que vous avez apprécié le moment. » Il ne le nia pas. Oui, sans doute raconterait-il dans quelques mois, peut-être semaines, cette journée comme une excellente plaisanterie, mais pour l’instant la terreur qu’il avait ressentie à l’idée que le frère allait trouver la mort à cause de lui n’arrivait pas à faire place à autre chose qu’un soulagement réel.
Au risque de passer pour triste et solennel, il répondit sincèrement « vous m’avez fait tellement peur… J’ai cru que vous alliez… Enfin, je ne me serais jamais pardonné qu’il vous arrive quelque chose à cause de moi »
Tandis que le frère regardait sa blessure il ne put s’empêcher de se débattre un peu « ça va passer, ce n’est rien, j’ai été surpris, ça n’aurait pas dû arriver »
La question des peintures demeurait, Aord n’avait rien vu… Pour l’instant il ne semblait pas désireux de réparer cela, Valravn se garda donc bien de ramener le sujet sur le devant de la scène, si son compagnon n’en parlait pas, il « oublierait » de proposer une autre visite.
Il se demandait déjà comment éviter de continuer le voyage en sa compagnie. Cette journée resterait mémorable à n’en pas douter mais elle lui avait fait comprendre que son partenaire était inapte à certains exercices, et dans sa jeunesse pleine de candeur il considérait que le suivre en montagne, l’hiver, faisait partie des activités dangereuses pour le frère.
Il n’avait pas hésité à entraîner Yuka, son cadet, dans cette aventure, pourquoi avait-il soudain de telles craintes en ce qui concernait Aord ? De nombreux bucherons et trappeurs faisaient la route chaque année et d’aucuns étaient beaucoup plus âgés que le prêtre ? Il ne parvenait pas à situer ce qui l’ennuyait à l’idée de le guider plus en altitude, mais il lui semblait que les montagnes dont disait être originaire le frère et les siennes étaient aussi différentes qu’un torrent en furie et un étang artificiel de la capitale.
Sentant la chaleur du feu, et l’odeur de nourriture, Espoir pointa son nez, circonspect. Il s’approcha doucement des deux hommes, fit un mouvement pour monter sur les épaules de Valravn et recula, incommodé par l’odeur du sang encore présente.
Le jeune homme, pensif, évaluait, ou du moins essayait d’évaluer la difficulté de ce qui les attendait. Sans transition, il demanda tout simplement :
« Vous pensez pouvoir monter jusqu’à la cabane ? Vous le souhaitez toujours ? »
Eh Valravn, ce n’est pas grave hein ! Il n’y a pas eu mort d’homme. Je vais bien maintenant et je t’en remercie du fond du cœur.
Il lui adressa son plus beau sourire empreint de bienveillance. Cela le peinait de le voir se décomposer ainsi. Ils s’en étaient sorti tous les deux, il fallait maintenant avancer sans se coltiner le boulet du passé au pied. Sans s’en rendre compte, il avait abandonné le vouvoiement. Avec ce qu’ils venaient de vivre, cette marque de politesse lui semblait bien superflue.
Tu es un peu mon ange gardien envoyé par Lucy.
Il lui fit un clin d’œil montrant qu’il plaisantait. Le vagabond devait certainement croire que sa Lucy devait être une déesse bien capricieuse pour mettre son serviteur dans de telles situations et il … aurait raison de penser ça. Il avait vraiment la poisse en ce moment ou alors c’était de sa faute ? Il mangea tranquillement assis à côté de Valravn. Espoir mangeait encore une noix qu’il devait trouver dans une dimension parallèle, c’était la seule explication.
Valravn brisa enfin le silence pour évoquer l’autre possibilité qu’ils avaient évoquée : la cabane. En son for intérieur, Aord se sentait tout à fait capable de voyager jusqu’à la cabane, mais hors de question passer par les grottes. Cependant, en observant son compagnon, il eut l’impression qu’il n’était plus emballé par l’idée. Sûrement dû à la frayeur qu’il lui avait faite. Il se devait de le rassurer.
Écoute Valravn, je t’ai dit que je venais des montagnes et c’est vrai. Je ne sais peut-être pas nager parce que je n’ai jamais trop eu l’occasion d’apprendre de par chez moi, mais marcher dans la neige, le froid et des corniches escarpées : je sais faire. Ce qu’il s’est passé c’était …
Il réfléchit un instant.
Un enchaînement de catastrophes imprévisibles, c’est tout ! Ce n'était pas de ta faute. Surtout de la mienne à vrai dire, mais ne va pas croire que je suis toujours aussi maladroit !
Il termina son repas avec appétit. Valravn ne semblait toujours pas être convaincu.
Après si tu ne veux pas je ne vais pas te forcer. J’ai déjà découvert un petit peu ton monde et je saurais me contenter de cet aperçu. Si tu veux, je partirai demain à l’aube, nous nous reverrons peut-être un jour à la capitale qui sait ? J’espère simplement que tu garderas de moi un souvenir un peu plus gratifiant que celui d’un prêtre un peu fou qui mange des champignons au hasard !
Un grand sourire se dessina sur son visage. Il avait passé du bon temps avec lui et il ne verrait pas d’inconvénient mettre un terme à leur rencontre, même si c’était de manière prématurée. Il aurait d’autres occasions d’en apprendre plus sur les frères de la nature. Il posa de nouveau sa main sur son bras.
Il ne faut pas que tu te sentes obligé hein.
Par les dieux il ne manquerait plus que ça … Il n’avait pas la carrure pour veiller sur les autres, déjà lui souvent c’était de justesse … Il regarda le prêtre avec surprise et -comment qualifier cela ? du doute ? non il ne doutait que de lui-même, de la méfiance ?-
Il fallait bien le reconnaître, s’il avait abordé la rencontre comme n’importe quelle autre, mis en appétit par les questions du religieux sur le Vieux Frère et son apparente curiosité au sujet du culte de la Fraternité, il en venait de plus en plus à le considérer comme une épreuve destinée à lui faire ou bien perdre totalement pied, ou reprendre le contrôle de ses pensées souvent erratiques depuis quelques temps.
Imparfaitement formé, Valravn avait en plus de ses croyances profondes et de sa foi réelle en la vie et les droits de chaque être vivant, une aura de superstitions qui nimbaient le tout d’étrange manière. Cet homme était-il ce qu’il semblait être, ou bien une sorte de test des dieux mineurs, des esprits de la nature ? Si sa partie raisonnable repoussait cette idée et lui criait qu’il se laissait submerger par des sottises, il avait de plus en plus besoin de se conforter.
Sa méfiance de petit paysan à la fois savant et inculte se réveillait de façon particulièrement gênante.
« Marcher dans la neige, le froid et des corniches escarpées : je sais faire. Ne va pas croire que je suis toujours aussi maladroit ! Après si tu ne veux pas je ne vais pas te forcer. J’ai déjà découvert un petit peu ton monde et je saurais me contenter de cet aperçu. »
Si les dieux l’avaient envoyé pour qu’il transmette le savoir, pouvait-il lui dire : suffit, j’en ai soupé de vos cabrioles et de votre habitude à frôler la mort ? Sortez de mon monde ? Assurément pas. De plus, les dénégations de l’homme paraissaient sincères, malgré ses paroles il avait l’air de vouloir continuer, et que valait « l’aperçu » qu’il avait donné… Une explication incomplète et une découverte partielle ne pouvaient conduire qu’à des interprétations erronées ?
Il avait pour habitude de jauger la capacité à survivre des autres en fonction de leur âge et de leur état physique et mental. Avant de délirer parce qu’il avait ingurgité n’importe quoi, le frère lui avait paru à la fois en bonne santé et doué de raison… Qui diable était-il pour refuser une telle opportunité ? Son indécision devait se lire sur son visage. Il se savait transparent comme un verre propre, son partenaire devait pouvoir juger de chaque étape de sa réflexion…
Espoir, lassé de cette si longue immobilité sauta sur son épaule, ayant la bonté de choisir celle qui n’était pas douloureuse, et entreprit de le coiffer, ce qui eut pour conséquence de rendre plus horrible encore l’agencement de sa fichue tignasse sur son crâne.
Déçu, le shallum observa son humain qui généralement réagissait en criant « non ! mais arrête » et qui restait désespérément muet.
Saurait-il faire ? Depuis son voyage initiatique avec Yuka, il avait l’impression d’avoir avancé dans la maîtrise de ce fichu pouvoir. Peut-être parviendrait-il à être fixé ? Si cette âme était louable et digne comme il l’avait cru en lui parlant devant l’arbre… Il ne pourrait refuser de l’amener jusqu’aux livres et de le laisser progresser dans la connaissance.
« Si je venais à tomber, soyez gentil, attendez-moi ? J’aurai juste besoin de reprendre des forces… »
Il devait savoir… Voyagez avec quelqu’un dont on se méfie comme la peste, c’est impossible… Restait à savoir s’il y arriverait. Approchant la main du visage du frère comme un aveugle qui cherche les traits d’un homme, il la posa à plat en se concentrant de toutes ses forces… Pour une fois, il appelait la créature et ne la repoussait pas.
« Montre-toi ! je dois savoir »
Reculant de trois pas il attendit… une forme commençait à se matérialiser à la droite d’Aord… Un dragon somme toute de petite taille mais bien net, et…
Aussi blanc que celui du Vieux Frère !
Submergé par l’émotion, Valravn eut tout le temps de fixer l’animal, calme et majestueux, et le frère… Murmurant un « Par les dieux ! On ira… » que le prêtre n’entendit peut-être pas, mais comme à l'habitude, au bout de quelques minutes, il tomba comme une masse toute son énergie pompée par l'effort consenti et accompagné par un bruit surprenant de la part d’Espoir, une sorte de « couuuiiiiiiic ! » strident.
- HRP:
- Je ne peux m'empêcher de penser que pour un prêtre malchanceux, aucun des lancers de dés de Valravn n'a réussi à mettre ton personnage en difficulté ^^ et qu'il a été systématiquement sauvé des situations génantes par ces mêmes lancés... Avoir la prétention de vouloir un dragon blanc... Quand on sait ce que ça représente pour Val ^^ Certes j'avais juste demandé "quelle est ta couleur préférée ?"
Aord allait se lever pour rassembler ses affaires, afin de partir très tôt le lendemain, quand Valravn finit enfin par réagir. Le frère lisait dans ses yeux qu’un conflit violent faisait rage à l’intérieur de lui. Peut-être avait-il baissé les bras trop tôt ? Le vagabond se leva et le frère en fit de même. Il semblait déterminé, mais à faire quoi ? Aord n’en avait aucune idée. Il ne comprit pas non plus pourquoi il allait tomber.
Euh … comment ça va tu vas tomber ?
L’air sérieux de Valravn le réduisit au silence. Il se laissa faire quand il approcha sa main de son visage, mais garda les sourcils froncés et un air un peu interdit quant à la suite des évènements. C’était un rite druidique ou quelque chose du genre ? Valravn sembla invoquer quelque chose à se manifester. Puis soudain, il recula complètement ébahi par une chose qui se trouvait dans le dos d’Aord. Il se retourna pour tomber nez à nez avec un dragon blanc, absolument magnifique. Il eut d’abord un mouvement de recul, instinctif, avant de comprendre que cette créature sortie de nulle part n’était pas dangereuse. Il passa de longues minutes à le contempler avant qu’il s’efface comme dans un mirage. Un bruit sourd sortit Aord de sa surprise, Valravn venait de s’évanouir derrière lui. Affolé, le frère se précipita pour lui porter secours, mais il venait simplement de s’endormir, fauché par la fatigue de cette journée complètement folle.
Aord l’allongea dans un coin, et le recouvrit de sa cape qui hurla de protestation quand il l’extirpa du sac sans fond. Puis, il se plaça auprès du feu pour prier et remercier Lucy pour cette rencontre qui, il le savait, allait les changer tous les deux.