Il finit par s’arracher à sa contemplation pour rejoindre le reste des frères au temple. Aujourd’hui il faisait un peu plus chaud et le temple avait décidé d’organiser une séance de débat sur la plage. On l’avait bien entendu réquisitionné pour animer un groupe de parole. Il était courant que le culte organise ce genre de petits évènements pour rassembler les fidèles et approfondir leur foi. On ne pouvait pas simplement prier Lucy pour que tout ce qu’il se passe dans notre vie aille pour le mieux. Non, il fallait parfois agir de soi-même, prendre sa vie en main. Souvent, ses groupes de parole glissaient du débat aux groupes de soutien. Parfois même, cela donnait lieu à une véritable thérapie où les frères écoutaient les problèmes des croyants. Aord adorait particulièrement ces moments où ils pouvaient découvrir en profondeur de parfaits inconnus. Chacun était unique et avait sa propre histoire. Parfois pas très originale, certes, mais unique tout de même à quelques détails près. Il s’était donc prêté au jeu avec enthousiasme.
En arrivant sur la plage où se déroulait le rassemblement, il put constater que l’évènement avait attiré un bon nombre de citoyens. Certains groupes déjà formés s’étaient déjà rassemblés autour d’un ou deux frères et sœurs de Lucy. La perspective de discuter avec tous ces gens décrocha un magnifique sourire à notre frère. Il se précipita donc vers les organisateurs pour qu’on lui attribue un groupe rapidement. N’ayant pas d’affinités avec les frères du coin, il prit donc seul la charge d’animer son groupe. Il partit dans un recoin de la plage, à un endroit où les rochers permettaient de s’asseoir plutôt confortablement suivi d’une petite troupe de fidèles.
Le débat qui s’en suivit fut très animé, pour le plus grand plaisir d’Aord. Ils discutèrent tout d’abord de la manière d’exercer sa foi. Beaucoup ne partageaient pas les mêmes prières ni les mêmes rituels. Il incomba donc au frère de leur faire comprendre qu’il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise manière de rendre hommage à la déesse. Il expliqua par ailleurs que lui aussi avait une manière unique de le faire. Les conceptions du divin étaient également très variées. Aord parlait avec ferveur, prenant toujours le point de vue sceptique et critique face à ses partenaires. Cela agaçait un peu les croyants, mais ils finirent par comprendre que l’objectif du frère n’était que de les faire réfléchir pour approfondir leurs convictions. Jamais, au grand jamais, il ne les critiquerait pour les rabaisser, c’était aux antipodes de sa philosophie.
Ils discoururent toute l’après-midi, certains venaient se rajouter au groupe, d’autres partaient en remerciant le frère et Lucy. Seul le frère était resté du début à la fin, toujours animé par cette envie qui brûlait en lui. Le soleil commençait doucement à décliner dans le ciel et les membres du culte avaient allumé quelques flambeaux pour continuer d’y voir clair. Les discussions finirent cependant par prendre fin, tout le monde devait rentrer chez soi. Les fidèles remercièrent le frère pour sa bienveillance et sa patience, content d’avoir peut-être appris quelque chose aujourd’hui. Rien ne pouvait rendre Aord plus heureux que de les savoir l’esprit plus léger. Il les remercia à son tour, puis les regarda partir en direction de la ville. Il resta un moment à les regarder s’éloigner, avant de se mettre au travail, il devait ranger les flambeaux et peut-être qu’un retardataire voudrait lui parler ? Il était un peu en retrait de la masse des frères et après tout c’était son travail d’écouter de guider.
La vie ne lui avait pas toujours été favorable, loin de là même! Un pouvoir incontrôlable qui lui a fait vivre l'enfer, ressembler à une poupée est affreusement difficile et, même si tout le monde possède un pouvoir, certains sont plus simples à vivre que d'autres c'est un fait! Insultes, souvent motivées par la peur, parfois par la méchanceté dont tous les êtres sont capables, coups, murmures, regards... Rares sont les gens qui n'ont pas à son égard un geste ou une parole lorsqu'ils la voient pour la première fois! La noble poupée a toujours affronté cela avec une certaine force - en tout cas en apparence - se disant que la vie finirait par lui sourire, que la chance serait au tournant, que Dame Lucy veillait forcément sur elle... Une affirmation qu'elle commence à remettre en doute! Après tout, il est toujours plus simple de voir le côté sombre de l'existence que le lumineux, comme si les ténèbres étaient toujours plus présents que la lumière...
Heureusement, la lumière il y en a tout de même un peu! C'est ce que lui rappelle sa laïum! La belle dragonne sautant littéralement dans le lit de cette poupée qui refuse de se lever, bien qu'elle ne doive pas dormir, affronter la ville n'a rien de bien attirant en ce moment cependant, Twintania n'acceptera pas un nom comme réponse! "Twintania calmes-toi!" Dit-elle au dragon qui la pousse amicalement de sa tête. "Tu veux sortir?" Moment d'accalmie avant que le familier ne saute de nouveau, visiblement plus qu'heureux d'entendre ce mot... "Très bien nous allons faire un tour..." Conclue-t-elle en se levant. Après tout, elle a un familier maintenant, une merveilleuse surprise qui lui change les idées mais elle se doit de s'occuper correctement de lui! Lorsqu'on prend un animal il faut faire passer son bien-être avant tout et pour cela, la poupée est assez douée, faisant généralement passer les besoins des autres avant les siens, un sacrifice qu'elle ne refuse pas même si, cela aussi la pèse de plus en plus! Pour Twintania c'est différent, elle aime réellement être avec et puis, il faut aussi qu'elle développe son lien avec le gentil animal...
Revêtant une de ses nombreuses robes, la voici qui quitte donc la demeure avec la ferme intention de passer du temps avec le laïum. Naturellement, il a son pendentif glacial accroché à son collier, vu la chaleur de la région elle ne risquerait pas de sortir sans cela. Son but au départ : rester seule avec le dragon de glace, elle veut donc trouver un endroit relativement calme ou, du moins, avec assez d'espace pour pouvoir s'isoler... C'est alors qu'elle entend la conversation de deux personnes : un groupe de parole organisée par le temple sur la plage? Certes, elle imagine mal parlé devant des inconnus mais la curiosité, et la certitude d'avoir au moins un peu d'espace pour Twintania et elle-même, la pousse à se rendre en cette direction.
Un peu de monde tout de même, tout naturellement la poupée observe de loin - bien consciente que son apparence pourrait gêner - et puis, elle passe surtout le temps pour jouer avec son dragon! C'est lorsque les dernières personnes partent et que les frères et soeurs du culte commencent à ranger le matériel que la jeune poupée regarde dans leur direction... Elle qui commence à s'interroger sur sa vie, sa chance ou tout simplement sur sa croyance... N'est-ce pas un signe de Lucy que d'avoir mit cet événement sur sa route? Caressant la tête de son familier, elle cherche dans ses yeux une réponse et hoche finalement la tête.
"Viens Twintania..." Dit-elle en souriant alors que le laïum se met à ses côtés pour suivre la petite poupée qui avance vers un frère isolé. "Pardonnez-moi... Je comprends que j'arrive sans doute tard mais, auriez-vous un instant à m'accorder?" Demande-t-elle timidement, son regard inexpressif fixant le dos de cet homme qu'elle dérange peut-être.
Une poupée géante le fixait un peu gênée. La surprise le laissa sans voix. Pour dire vrai, il resta une bonne minute à contempler cette étrange apparition, n’étant pas sûr que la voix venait d’elle. Le laïum à côté aurait très bien pu se mettre à parler qu’il n’aurait pas été plus surpris. Les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte, il restait de marbre. Quand elle se mit à bouger, les yeux du frère s’écarquillèrent encore plus qu’il était humainement possible de la faire. Lorsqu’elle lui parla, ses globes oculaires faillirent s’échapper de leurs orbites.
Après une phase d’étonnement, il reprit soudain conscience qu’il s’adressait à quelqu’un et non pas un jouet. Elle venait de lui prouver qu’elle parlait et bougeait, mais par la déesse qu’est-ce que c’était que ça ? Le cerveau toujours englué par la surprise, il tenta quand même de lui répondre.
Ze … zoui in sur ke peu écouter …
Il n’arrivait pas à articuler une phrase correctement. Énervé par son côté ridicule, il se racla la gorge reprenant un air beaucoup plus sérieux. Il était un frère de Lucy et cette … jeune fille le sollicitait, il devait être professionnel. Lorsqu’il reprit la parole son ton était bien plus sûr.
Excusez-moi pour cette réaction gênante, vous m’avez … pris au dépourvu.
Il ne voulait pas la vexer, mais il l’avait sûrement déjà fait. Il se baissa pour poser ses flambeaux dans le sable, afin de lui accorder toute son attention. Il ne souhaitait pas lui demander comment cela se faisait qu’une poupée puisse parler. C’était peut-être une de ces âmes artificielles dont il avait entendu parler ? Les créations de Lucy étaient vraiment surprenantes.
Je suis le frère Svenn, mais vous pouvez m’appeler Aord. Ne vous inquiétez pas, j’ai toujours du temps pour écouter les enfants de la déesse.
Il regarda autour de lui pour voir où en étaient ses confrères. Il observa que leurs yeux étaient rivés sur la petite poupée, mais il était trop loin pour lire s’ils étaient en train de la juger. Il leur fit un signe de main, leur disant qu’il les rejoindrait.
Attendez-moi ici je reviens tout de suite.
Il pressa le pas pour ramener ses flambeaux auprès des officiants, mais en garda un qui brûlait encore pour qu’il puisse s’éclairer lui et la poupée. Des rumeurs lui parvinrent en provenance du groupe de religieux, mais il ne réagit pas, se contentant de rejoindre la petite et son animal. Il passe devant elle en lui faisant signe le suivre.
Venez, éloignons-nous un peu, nous serons à l’abri des regards.
Il l’entraîna derrière l’espace rocheux qu’il avait utilisé pour organiser ses débats en journée. Une fois hors de vu, il planta son flambeau dans le sable et invita la petite noble à s’asseoir où elle le voulait. Il s’assit également avant de prendre la parole.
Bien, enfin un peu d’intimité. Je suis tout à vous ! De quoi vouliez-vous me parler ?
Cependant, le frère se reprend assez vite! Un raclement de gorge, une excuse concernant cette réaction, une explication sommes toute assez logique? Elle le suppose du moins! Au moins il demande un certain pardon et sa justification n'est pas plus insultante, elle a déjà connu pire, c'est un fait! "Ce n'est rien..." Affirme-t-elle simplement, se retenant d'en dire plus, bien consciente qu'un ajout quelconque donnerait l'impression d'une plainte, que ce soit en affirmant qu'elle a l'habitude ou en précisant que c'est sans doute une réaction normale face à un monstre. Il est vrai que sa vision d'elle-même, qui avait commencé à s'améliorer, est rapidement revenu au point de départ suite à ses nombreuses déceptions, dont une en particulier bien-évidemment.
Un hochement de tête en guise de réponse, elle laisse le frère partir vers les autres membres du cultes alors qu'elle-même se tourne vers le laïum, cherchant dans le regard de son compagnon une réponse à une question qu'elle n'ose poser : a-t-elle réellement bien fait de venir demander l'oreille attentive de cet inconnu? Certes, un serviteur de la déesse qui affirme avoir du temps pour elle mais, la considère-t-il vraiment comme une enfant de la déesse justement? "Tu restes avec moi n'est-ce pas Twintania?" Demande-t-elle à sa compagne qui, en guise de réponse, vient frotter une nouvelle fois sa tête contre la main de la jeune noble. Leur lien n'est pas encore parfait mais c'est bien pour cela qu'elle est sortie avec elle aujourd'hui : créer un lien sincère entre elles deux et, il lui semble que cela sera plus aisée que prévu vu la gentillesse dont peut faire preuve la magnifique créature. Se tournant pour suivre le frère revenu, elle l'accompagne avec le laïum sur les talons.
Une fois à destination, la jeune demoiselle fait asseoir sa compagne pour se placer ensuite à ses côté, le dragon utilisant toute sa taille pour venir poser sa queue d'un côté de Fedora, sa tête de l'autre comme l'enveloppant dans une position protectrice et réclamant en même temps quelques nouvelles caresses que la poupée lui offre naturellement. "De quoi voulais-je parler?" Répète-t-elle comme incertaine de la réponse à cette question, un bref regard inexpressif vers le ciel et la voici qui reporte son attention sur son interlocuteur.
"Je... Je ne suis plus sûre! De rien en réalité! Mon pouvoir est source de certaines réactions la plupart du temps." Commence-t-elle sans trop en dire, après tout le frère devrait bien comprendre ce qu'elle entend par là vu sa propre réaction en la voyant. "J'ai toujours tenté de sourire malgré tout, d'avancer en me disant que les beaux jours revenaient toujours après la pluie... J'y ai cru longtemps mais, ce n'est pas le cas! Je ne sais plus que faire, je ne sais plus que croire, j'ai l'impression que Sainte Lucy elle-même m'a abandonnée..." Avoue-t-elle finalement... Après tout, comment croire que la déesse de la chance veille sur elle alors qu'elle n'a aucune chance?
Le frère écoutait ce qu’elle avait à dire, patiemment et avec bienveillance. Sa surprise était passée et il pouvait maintenant l’observer d’un œil nouveau. Son apparence était déroutante et incroyable, unique même. Qu’un être humain puisse lui ressembler était invraisemblable. Pour Aord, cette unicité est ce qui fait la beauté d’une personne et cette jeune fille était clairement unique en son genre. La déesse créait vraiment des choses incroyables !
La petite semblait douter de quelque chose, mais le frère ne comprenait pas exactement quoi. Elle semblait avoir vécu beaucoup d’épreuves difficiles et doutait de sa foi maintenant. Il lui semblait qu’il y avait beaucoup plus à dire au milieu. Elle ne s’était sans doute pas mise à douter comme ça un matin, tout comme elle avait vécu jusqu’ici en supportant le regard des autres. Il avait besoin de creuser un peu.
Dîtes m’en plus sur votre histoire que je comprenne un peu mieux la source de vos doutes. Mademoiselle ?
Il lui jeta un regard interrogateur pour qu’elle lui donne son nom, ce qu’elle fit de bonne grâce.
Très bien Fedora, expliquez-moi un peu ce que vous avez vécu et comment vous l’avez vécu jusqu’ici. D’habitude comment faites-vous pour supporter le regard des autres ?
Il l’écouta expliquer ce qu’elle voulait bien lui dire, puis il continua.
Et quelque chose s’est produit récemment qui vous fait douter de vous ? De la déesse ? Qu’est-ce qui maintenait votre foi auparavant ?
"Ce que j'ai vécu?" Questionne-t-elle également... Comment parvenir à résumer cela exactement? Il y a tant à dire, bien plus qu'elle n'est capable de le faire! Est-ce que revenir sur tout cela ne serait pas comme un aveu? La confession de ses mensonges, de sa tricherie alors qu'elle souriait en voulant pleurer? Une nouvelle imitation du geste de soupirer, c'est elle qui est venue le voir, trop tard pour faire marche arrière maintenant n'est-ce pas? "Au début, j'étais une petite fille souriante et heureuse! Je ne me souviens même plus l'apparence que j'avais alors, cela fait si longtemps! J'avais des amis, j'étais appréciée, je sais même que certains nobles voulaient que ma mère me fiance à leurs fils - chose qui n'est jamais arrivé fort heureusement - mais tout cela a vite changé!" Commence-t-elle comme un énoncé des faits, pas spécialement d'émotion sur son visage, figé comme toujours, tout comme sa voix d'ailleurs incapable de réellement exprimer ses sentiments. "Ensuite vint mon pouvoir : une transformation! En une poupée en plus, j'aimais beaucoup les poupées à cette époque vous savez, j'étais heureuse de pouvoir en être une! Jusqu'à me rendre compte de la vérité : impossible de reprendre forme humaine, me voici, fille de tissu, à jamais! À partir de ce moment, tout à changé!" Continue-t-elle. "Peur, insultes, coups... Une poupée dont les membres tiennent au corps par des chaînes? Peut-on seulement les allonger et jusqu'où? Mes amis devinrent mes tortionnaires, les personnes qui m'appréciaient prétendument furent les premières à me railler et finalement, j'étais une petite fille bien seule..."
Oui, maigre résumé de sa vie depuis sa découverte de son pouvoir! Rien de bien amusant, rien de bien agréable et pourtant elle avait continué à se battre c'est vrai... Pour sa mère en grande partie. "Je n'ai jamais supporté le regard des autres... Peur, incompréhension, parfois haine... Comment supporter cela? Je me contentais de sourire, un sourire faux, figé, me disant que ma mère avait raison, que si je souriais à la vie alors celle-ci finirait par me sourire... Une expression de façade qui laissait place à des hurlements de peine et de douleur dès que j'étais seule chez moi..."
Et pourtant... Pourtant elle n'a jamais cessé de croire, de garder cette espoir que sa mère avait raison, que la vie finirait par lui sourire... Nouvelle question du frère alors que la poupée caresse la tête de Twintania qui la regarde comme si elle pouvait ressentir sa tristesse.
"Ce qui a changé... Le décès de ma mère tout d'abord! Elle était celle qui me donnait espoir, celle qui me prenait dans ses bras quand les autres me repoussaient - plus ou moins violemment... Je voulais continuer pour elle et c'est donc ce que j'ai fais! Souris à la vie et elle te sourira! Je l'ai cru longtemps..." Continue-t-elle. "Un moment j'ai cru que la déesse avait déposée son regard bienveillant sur moi, j'ai rencontré une personne formidable! Il m'a soutenu, il m'a aidé, il m'a protégé d'une certaine manière! Mon premier ami... Au gré des rencontres, des échanges épistolaires, des discussions et des rires j'étais persuadée qu'enfin, Dame Lucy me faisait un signe..." Dit-elle, en souriant doucement même si son visage ne peut afficher la tristesse de ce sourire. "Mais je ne suis plus vraiment humaine pas vrai? Une poupée, un objet, une étrange créature qui provoque des réactions certaines lorsqu'on la voit... Mes sentiments ne sont apparemment pas réciproques - rien d'étonnant, qui pourrait aimer une chose? - et depuis mon aveu, ma déclaration, je n'ai plus aucune nouvelle... Pourquoi? Pourquoi est-ce que Dame Lucy s'acharne ainsi sur moi? N'ai-je pas déjà assez souffert?" Demande-t-elle simplement. Nul doute qu'elle pleurerait si elle le pouvait mais encore une fois, cette horrible apparence l'empêche de laisser libre court à sa tristesse. Seule Twintania, son laïum, semble capable de comprendre ce qu'elle ressent exactement puisque le magnifique dragon vient délicatement pousser la poupée de sa tête comme pour lui changer les idées... Une action adorable mais peu efficace hélas.
Cependant, son histoire personnelle n’avait pas non plus grand-chose à voir avec celle de la jeune fille. Elle ne pouvait se soustraire au regard des autres, malheureusement. Aord n’avait pour l’instant pas de solution à lui proposer pour ça, mais il ne fallait pas non plus perdre tout espoir. Il y avait encore beaucoup de choses qu’elle pouvait faire pour recommencer à apprécier la vie. Quand elle eut terminé, le frère sentit l’émotion qui la prenait à la gorge. Son visage étrange transmettait très mal ses émotions, mais le frère arrivait quand même à sentir sa tristesse derrière ses grands yeux et sa bouche surdimensionnée. Il prit le risque de prendre la parole.
Subir ses regards et ses actes, cela a dû être un enfer pour vous. Je suis tellement navré que vous ayez rencontré ce que l'humanité à de pire en elle, mais il ne faut pas que vous vous arrêtiez à ça. Regardez-moi Fedora !
Il planta son regard dans celui de la jeune noble.
Ne pensez jamais, vous m’entendez, plus jamais, que vous puissiez être autre chose qu’une humaine. Que vos membres soient reliés par des chaînes, que vous soyez une hybride ou que sais-je ! Vous êtes humaines ! Toutes ces émotions que vous ressentez, l’importance que le regard des autres à pour vous, c’est la preuve que vous êtes humaine. N’en doutez jamais.
Un sourire bienveillant se dessina sur son visage. Ses yeux brillaient de gentillesse. Il était touché par ce qu’elle lui disait et ne pouvait la laisser penser ça.
Lucy a créé toute sorte de possibilités. Vous êtes l’une d’elles. Peut être que vous n’êtes pas ce qu’on a l’habitude de rencontrer, mais vous avez pour moi autant de valeur que les autres !
Son ton était monté un peu, pas par colère, mais par passion. Tout ce que la déesse avait créé méritait le respect, c’était sa foi, sa conviction. Il ne pouvait la laisser penser ça ! Il se contint cependant pour ne pas paraître trop passionné, il était là pour l’écouter après tout.
Cette personne qui vous a touché, qu’a-t-elle fait pour vous ? Qu’est-ce qui était différent exactement ? Avez-vous peur qu’elle vous rejette ? Qu’elle vous juge comme les autres avants elle ?
Il écouta sa réponse sans un mot, il voulait la mener doucement vers un constat très important pour elle. Il fallait qu’elle comprenne que fuir ses émotions négatives ne la mènerait jamais au bonheur. Car à chaque fois qu’elle fuyait les gens, elle se privait d’une possibilité d’être heureuse et s’enfermait petit à petit dans la solitude qui la tourmentait. Il garda bien cette idée en tête se préparant à embrayer sur le sujet si la réponse de la poupée lui en laissait l’occasion.
Cela ne semble cependant pas être le cas aujourd'hui! Un sourire chaleureux sur le visage, une passion évidente dans ses propos - sans doute autant que lorsque Fedora parle de ses recherches ou plus encore, des bonhommes de pierre - et surtout... Surtout des mots qui font échos avec ceux qu'une amie lui a dit il y a peu de temps encore! Jaina, alors qu'elles allaient récupérés ce magnifique laïum - surprise de l'ancienne garde pour la jeune noble - lui tenait plus ou moins le même discours, cette même affirmation stipulant qu'elle est et sera toujours humaine! Pourquoi est-ce alors si dur de le croire? Est-ce que la parole d'un homme de foi et d'une importante amie ne devrait pas peser plus dans la balance que les insultes de ceux qui représentent, comme le dit si bien Aord, ce que l'humanité a de pire en elle? Sans doute et pourtant, c'est si dur de faire abstraction des épreuves passées et de celles qui arriveront sans doute encore...
Il est gentil, compréhensif, il semble sincèrement s'intéresser à la poupée, son histoire, ce qu'elle a à raconter... N'est-ce qu'une façade? Une obligation de son rang? Elle en doute mais comment l'affirmer? Soudain, une nouvelle question... Non, plusieurs en réalité : qu'a fait Faolan? En quoi cela a-t-il été différent? "Il m'a accepté?" Demande-t-elle semblant soudainement ne plus en être sûre. "Il a été gentil! Le premier en dehors de ma famille à me qualifier d'humaine, à me traiter comme tel, à me dire que j'étais belle... Il s'est mit entre moi et une personne me regardant avec dégout comme pour me protéger, il m'a même accompagné de la capitale jusqu'au grand port! C'était mon premier ami, le seul pendant un moment d'ailleurs... Il m'a rendu heureuse, m'a donné le sentiment d'être quelqu'un alors oui! J'ai peur qu'il me rejette, qu'il s'éloigne, pas comme les autres non! Il ne serait jamais capable de faire cela! Mais... Je voudrais juste qu'il... Qu'il..." Qu'il l'aime aussi? Qu'il lui rende ses sentiments? N'est-ce pas égoïste de demander cela? D'exiger qu'il ressente pour du tissu ce qu'elle ressent pour lui? "Que cela redevienne comme avant..." Finit-elle par dire. "Cela n'est pas grave s'il ne m'aime pas de la même manière que moi! S'il ne ressent rien pour moi... Je veux juste qu'on s'écrive à nouveau! Qu'il revienne me voir! Qu'il accepte que je prennes sa main pour l'entraîner n'importe où en courant ou en riant... Je veux nous retrouver!" Conclue-t-elle tristement.
Elle lui expliqua ses sentiments pour cet homme. Aord ne comprit pas vraiment ce qu’elle entendait en utilisant le verbe aimer : de l’amitié ? de l’amour ? À vrai dire, l’un comme l’autre le problème était le même. Cet homme ne lui répondait pas et elle était trop terrifié pour lui courir après. Aord réfléchit à ce qu’il allait dire. C’était quelque chose de délicat à évoquer. Il fallait qu’elle prenne conscience de l’emprise que ses émotions pouvaient avoir sur son comportement. Ce n’était pas une mince affaire. Après mûre réflexion, il prit la parole à son tour.
Très bien, essayons de résumer pour voir si j’ai bien compris votre situation. Vous avez pour habitude d’affronter le regard des autres, de supporter leur méchanceté. Cependant, cela vous touche énormément et vous fait douter de votre propre valeur.
Il la regarda dans les yeux, cherchant un signe d’approbation. Il ne faisait que répéter l’évidence, rien n’était le résultat d’une profonde analyse. Cela n’avait pour but que de poser le décor pour ce qu’il allait dire ensuite et il avait besoin qu’elle soit d’accord avec lui. Il continua :
Sauf que vous avez eu la chance de rencontrer quelqu’un qui vous a fait vous sentir vivante, qui a su vous comprendre et, le plus important, qui vous a protégé de ces émotions négatives. C’est bien ça ?
Une nouvelle pause et un nouveau besoin qu’elle acquiesce. Il arrivait enfin là où il voulait en venir depuis le début.
Maintenant, vous doutez encore. Vous ne savez absolument pas pourquoi il garde le silence n’est-ce pas ? Et cela a réveillé des émotions que vous pensiez avoir vaincues ?
Il marqua encore une pause pour la laisser réfléchir.
Si on observe les possibilités qui s’offrent à vous. Vous pouvez continuer à douter de cette personne et maintenir ce silence entre vous. Dans ce cas vous allez souffrir comme vous souffrez maintenant. Vous aurez peur, vous aurez mal et j’en suis vraiment désolé.
Ou alors vous pouvez aller à sa rencontre pour lui demander ce qu’il se passe. Aller le voir à la capitale si j’ai bien compris. Dans ce cas, il vous repoussera et vous souffrirez de la même façon.
Il venait de l’enfoncer, il le savait, mais c’était pour la bonne cause. Le visage du frère se para de bienveillance lorsqu’il termina son explication par le point final.
Cependant, il n’y a que l’une de ces deux situations dont l’issue est certaine. Vous voyez où je veux en venir ? En allant le voir, il y a aussi la possibilité que rien ne soit changé et que les sentiments que vous aviez ressentis lors de votre dernière rencontre soient toujours là.
Il corrigea sa position sur le rocher, car rester assis commençait à devenir douloureux.
En choisissant de rester seule et en pensant à ça, vous vous faites du mal. Le même mal que s’il vous avait rejeté pour de vrai, or vous ne savez pas encore. Il y a encore une chance pour vous deux. Cette chance que Lucy vous a offerte est encore là, ce serait dommage de la laisser passer par peur d’une souffrance hypothétique non ? Surtout quand cela implique de s’infliger la même souffrance de manière certaine.
Il ferma les yeux un long moment, prenant une grande respiration.
Qu’en pensez-vous ?
Et si la réponse était si simple? Si au final c'était le regard des autres qui provoquait réellement cela? Après tout, lorsqu'elle s'est transformé la première fois elle en avait été heureuse! Découvrir son pouvoir, ressembler aux belles poupées - car elle se considérait encore comme belle - qu'elle aimait tant... C'était un moment heureux! C'est après, lorsque les méchanceté ont commencées, lors des insultes, des coups, de la peur, des cris... C'est à ce moment seulement qu'elle a commençait à voir son pouvoir comme un problème intrinsèquement lié à son existence, une malédiction dont elle ne pouvait se séparer, c'est à ce moment qu'elle a commencé à douter d'elle et à ne plus forcément s'apprécier... Alors, d'un geste lent et incertain, elle hoche la tête suite à la première question : oui, c'est à cause du regard des autres qu'elle en finit par se trouver elle-même monstrueuse!
Elle regarde le frère Aord, l'observant de ses grands yeux inexpressif, pourquoi n'avait-elle jamais fait cette constatation exactement alors que lui la faisait si vite? Elle n'est pourtant pas idiote du moins, elle ne le croit pas! Trop gentille pour imaginer qu'une personne autre qu'elle-même puisse être responsable de sa propre vision sombre des choses? Possiblement mais aucune certitude! Pourtant, alors qu'elle vivait sans cesse avec ce mal, lui était capable d'en comprendre immédiatement les raisons, raisons qu'elle refusait sans doute de voir! Est-ce parce que Lucy lui donnait son aide? Une aide qu'elle semblait avoir refusé si longtemps à la poupée? Ah moins que ce ne soit cela justement l'aide qu'elle offre à la jeune noble? Pas réellement le temps de s'interroger cependant, nouveau hochement de tête - moins hésitant cette fois - oui, Faolan avait fait tout cela, aucun doute possible!
"Non..." Répond-t-elle à la troisième interrogation. "Pas que je pensais avoir vaincue..." Dit-elle simplement. Y a-t-il réellement besoin d'en dire plus? Elle ne le croit pas, elle n'a jamais vaincue cela! Ce mal-être, cette tristesse, cette souffrance... Oui, elle a bien évoluée depuis, il est plus aisé de le cacher, de tenter de nier leurs existences mais pourtant, lorsqu'elle est seule, elle les ressent encore parfaitement! Elle ne viendra probablement jamais à bout de cela, de ces sentiments négatifs qui l'assaillent sans cesse mais, au moins, elle le masque la plupart du temps! Cela serait-il pire? Oui, si c'était Faolan qui venait à la repousser alors, sans doute ne serait-elle pas capable de le masquer...
Mais il y a pire : les deux choix qui lui sont offert par le frère n'ont rien de rassurant! Dans un cas elle souffre sans savoir, dans l'autre elle souffre en sachant! Y a-t-il réellement une meilleure solution? Pas vraiment selon elle et surtout, ce n'est pas ce qu'elle voulait entendre! Loin de là même... Cependant, après un petit moment d'attente, Aord reprend la parole et la poupée lève sur lui ses yeux qu'elle avait alors baissé : une seule des deux possibilités est certaine? Est-ce réellement le cas! Il n'est pas le premier à lui dire cela, à affirmer que temps qu'elle n'a aucune confirmation, tant que Faolan ne l'a pas clairement dit, il reste de l'espoir! Wilfred le lui a déjà signalé alors qu'il la voyait se morfondre, bien conscient de la raison de sa détresse... Pourtant, c'est si difficile d'y croire, espérer n'est-il pas vain et affreusement douloureux? Alors qu'elle est ce qu'elle est justement? Oui, c'est le regard des autres qui a commencé à la faire douter, oui c'est cela qui l'a fait souffrir au départ mais, c'est une vision d'elle-même qu'elle a inconsciemment adopté! Elle est loin la jeune fille qui se trouvait jolie en croisant les miroirs, bien trop loin même!
"Si Lucy avait voulu me donner une chance, m'aurait-elle seulement mise dans cette situation?" Demande-t-elle simplement. "Je sais ce que je suis, ce à quoi je ressemble... Comment croire qu'il existe réellement une chance pour une poupée? Je ne suis pas le genre de personnes avec lesquelles on aime s'afficher Aord, je le sais parfaitement! N'avez-vous pas vous même eut une réaction oscillant entre la surprise et la peur - voir le dégout - en m'apercevant? Au point de ne plus savoir que dire face à cette chose étrange qui vous parlez?" Ni colère ni haine dans la voix, juste un énoncé des faits, une constatation quant à ses espoirs qui sont sans aucun doute vides.
Le frère avait une tout autre idée des desseins de sa divinité. Il ne la voyait pas infliger sciemment une telle torture à la jeune fille. Il concevait plutôt son problème comme un cercle vicieux dans lequel sa tristesse l’amenait à fuir les autres augmentant encore plus son sentiment de solitude et d’abandon. En somme, Fedora confondait la volonté divine et la vie tout simplement ! Il fallait qu’il lui en fasse part.
Ce que je pense comprendre, c’est que vous avez eu la chance de rencontrer cette personne, que vous avez apprécié cette rencontre. Maintenant qu’elle est loin, il ne tient qu’à vous de recréer cette chance qu’on vous a donnée. Vous ne pouvez pas conclure que c’est terminé sans rien faire.
Il réfléchit un instant, se demandant si c’était pertinent de partager ses croyances avec elle. Peut-être que sa conception du divin pourrait l’intéresser ?
Vous savez, je ne crois pas que Lucy distribue de la chance quand cela lui chante ou lorsque nous la prions. Je pense que cette chance que nous lui demandons sans cesse, elle nous l’a déjà donnée. Il ne nous reste plus qu’à la rencontrer ou à créer les conditions qui nous permettront d’en profiter. Cette personne que vous aimez, vous savez qu’elle existe, vous savez qu’elle est potentiellement une des rares personnes capables de voir ce que vous êtes vraiment, une jeune femme humaine.
Il avait bien insisté sur ce dernier mot, car il sentait que sa condition de poupée était encore une fois en train de lui cacher la vue.
Oui, je l’avoue j’ai été surpris en vous voyant pour la première fois. Je n’ai par contre pas eu peur ni n'ai été dégoûté. C’est vraiment ce que vous avez vu en moi ? Du dégoût ? Vous avez vu ce que vous vous attendiez à voir, mais ce n’est pas toujours la réalité, vous savez. En tant que religieux, je connais bien cela. Nos croyances sur les autres ou sur le monde nous masquent parfois la réalité. Les émotions négatives la ternissent à tous les niveaux. Nos convictions nous amènent à nous tromper dans nos jugements. C’est pour ça qu’on a besoin des autres, pour pouvoir avoir un autre point de vue.
Il lui laissa le temps de digérer tout ce qu’il venait de dire. Il n’y avait pas de bonne réponse juste des questions et encore des questions. Valravn serait là, il expliquerait certainement que c’était le quotidien de tout être conscient et que c’était la preuve qu’on était envie.
Pourtant, Aord a une vision bien différente des choses, de la chance et de Lucy d'une certaine manière : elle donnerait la chance dès le départ? N'est-ce pas alors plus triste encore? Découvrir son pouvoir, voir son grand-père et sa mère mourir de la même maladie... Cela serait une chance? En quoi? Elle n'arrive pas à comprendre, elle n'arrive pas à le concevoir et pourtant, peut-être y a-t-il réellement une raison à cela? Peut-être est-elle réellement chanceuse en un sens mais comment le comprendre lorsqu'on ne voit que les côtés négatifs d'une situation?
Pourtant, il y a du vrai dans ses paroles, Faolan a déjà prouvé qu'il la voyait comme une humaine, en tout cas il l'a affirmé... Avant de ne pas réagir à son baiser, avant de la laisser partir en pleure, avant de ne pas comprendre ce qu'elle ressentait, avant de lui dire qu'il avait besoin de temps, avant qu'elle n'ait plus de nouvelles! Certes, avant beaucoup de choses mais malgré cela, il l'a traité comme une humaine quand personne ne le faisait c'est vrai... Une petite minute d'interrogation finalement interrompue par le laïum, toujours lui, qui semble réclamer que sa maîtresse reprenne les caresses... Un autre point de vue? Regardant un instant le frère, elle finit par oser poser la question.
"Et quel est votre point de vue alors? Non pas sur la déesse ou sur les croyances... Vous affirmez que je suis humaine, que j'ai autant de valeur que les autres? Savez-vous à quel point cela est difficile à croire? Quel point de vue suis-je censé avoir quand l'homme auquel j'ai ouvert mon coeur n'a pas comprit mes intentions? Quand il a cru à une sorte de coutume chez les nobles alors qu'il a servi chez des nobles dans sa jeunesse, quand enfin je lui dis vocalement ce que je ressens, il me demande du temps pour ne plus donner de nouvelle ensuite? Comment suis-je alors censé voir les choses? Comment puis-je garder espoir en sachant ce à quoi je ressemble, ce à quoi les autres ressemblent! Toutes plus jolies, plus normales, plus humaines..."
Je n’en sais rien Fedora. Je pense même qu’il n’y a pas de réponse à cette question. Je ne peux pas savoir ce que cela fait comme vous dites, je ne peux que l’imaginer et compatir. Votre douleur, ce que vous ressentez, les pensées qui vous assaillent à chaque fois que vous voyez une nouvelle personne. Pourtant vous êtes là aujourd’hui à me confier tout ça. Moi, un parfait inconnu, vous vous êtes ouvertes à moi, vous avez pris ce risque.
Il lui sourit tendrement, il avait vraiment de la compassion pour elle.
Et est-ce que ce risque vous a déçue ? Il ne sortira peut-être rien de transcendant de notre rencontre, mais au moins vous avez vu que la solitude n’est pas une fatalité non ? Je ne sais pas comment vous me percevez, mais maintenant que nous avons parlé, ai-je l’air comme ses gens qui vous ont harcelé ?
Il lui laissa le temps de répondre. C’était vrai qu’il avait été surpris au début, mais cela ne prédisait en rien la façon dont ils s’étaient comportés par la suite. Peut-être verrait-elle la vitesse à laquelle elle commettait une erreur de jugement en décortiquant son exemple. Il ne pouvait pas la forcer à le voir, juste gratter la surface de ses œillères en espérant faire entrer un peu de lumière dedans. Il continua encore un peu à la faire réfléchir.
L’espoir n’est pas forcément quelque chose de bon. Ce qui est le mieux c’est la certitude que lutter pour ne plus avoir mal est veine, je trouve. Une fois qu’on a compris ça, on est capable d’apprécier d’autant plus le positif dans notre vie, même si celle-ci peut être dure parfois.
Je ne peux pas vous promettre que cet homme vous rendra vos sentiments, je ne connais même pas son nom ! Mais je suis certain par contre que vous laisserez passer une occasion d’être un peu plus heureuse en ne faisant rien. Garder espoir ne sert à rien si vous ne faites rien pour qu’il se réalise. Pensez-vous qu’il vaut mieux espérer qu’il vous rende vos sentiments ou plutôt qu’il faille le vérifier par vous-même une bonne fois pour toutes ?
"Non..." Répond-t-elle doucement. Elle ne peut pas dire qu'elle soit déçue, pas plus qu'il semble être comme ses précédents agresseurs. Loin de là même, il a prit le temps de discuter! Même s'il s'avérait dégoûté par elle, même s'il la trouvait hideuse, repoussante, effrayante, monstrueuse... Même dans ces conditions, il a prit le temps de parler et serait donc différents de ceux qui lui on fait du mal précédemment c'est un fait! "Vous n'êtes définitivement pas comme eux!" Bien forcée de le reconnaître. Peut-être cette rencontre ne répondra pas à ses questions, peut-être la poupée ne verra-t-elle pas son chemin plus éclairé suite à cette discussion mais sur ce point au moins, elle peut être catégorique.
Voir le positif de la vie? Difficile de l'imaginer malheureusement mais une chose résonne quand même dans son esprit : être fixé vaut mieux que d'attendre en espérant... Peut-être! Pourtant, ne dit-on pas que l'on peut mourir de chagrin? S'il la repoussait vraiment, y aurait-il encore du positif? Pourtant, elle le sait... Il y a déjà eut trop de quiproquos, d'hésitations, de non-dits entre elle et le jeune homme! C'est même bien souvent cela la cause de leurs incompréhensions mutuelles : lui persuadé sans le dire qu'elle pourrait trouver mieux, qu'une noble n'a rien à faire avec un roturier, que leurs différences sociales empêche toute relation même s'ils le voulaient. Elle, victime de son apparence! Persuadée que nul ne pourrait aimer une poupée, que sa demande de réflexion n'est qu'une manière gentillette de ne pas la repousser, que de toute manière il y a quelque chose entre lui et cette fameuse Solveig - qui est bien plus belle qu'elle il faut le dire - et que donc il n'a que faire d'une vulgaire poupée... Oui, les non-dits provoquent des pensées fortement négatives et les enferment dans un cercle vicieux c'est un fait alors peut-être... Seulement peut-être... "Peut-être avez-vous raison... Je devrais sans doute mettre fin au silence, demander à le voir, exiger une réponse ou au moins une discussion mais..." Elle regarde le prêtre, un désarroi invisible sur le visage. "Que me restera-t-il s'il ne veut réellement pas de moi? S'il ne veut même plus de moi comme amie?"
À force de discuter avec la jeune fille, Aord se rappelait lui aussi qu’il avait une amie à qui il avait peur de parler. Depuis qu’il avait trouvé ce livre, il hésitait à en parler à Nemue. Pourtant, elle serait sûrement la plus à même de comprendre son intérêt pour cet ouvrage. Peut-être y trouverait-elle une aide pour contrôler son pouvoir ? Un moyen de s’affranchir des émotions des défunts ? Plus Aord essayait de convaincre Fedora d’aller voir son ami et plus il se convainquait lui-même d’aller voir la sienne. Qu’est-ce qui l’en empêchait après tout ? Les menaces de Camille ? Il ne croyait pas aux malédictions, sinon ils finiraient comme Fedora, convaincu d’être maudit par la déesse et il voyait bien à quel point ça la faisait souffrir. Camille aussi avait souffert à cause de cette histoire et de ce dilemme. Il ne valait mieux pas se prendre la tête.
Je ne sais pas, mais je peux vous assurer que ça ne changera pas de maintenant si c’est le cas. En ce moment, votre ami est absent et s’il vous rejette il sera aussi absent dans le futur. De ce côté-là, tout sera pareil. Vous serez triste ou dévastez qu’il vous quitte, mais en même temps n’est-ce pas déjà ce que vous ressentez rien qu’à l’idée qu’il vous rejette. Au final, ne vaut-il mieux pas vivre cette expérience désagréable une bonne fois pour toutes plutôt que de vous l’imaginez en permanence. Le simple fait d’y penser suffit à créer l’émotion que vous voulez éviter.
Tout ça pour dire qu’il vous restera la même chose que ce que vous avez maintenant. À vous de me le dire Fedora, je ne vous connais pas assez. Je ne sais pas si vous pourrez guérir d’un autre abandon, mais il est certains que vous ne guérirez jamais d’un abandon que vous imaginez sans cesse. Alors, pourquoi vous infliger ça ?
C’est vrai ça, pourquoi ne pas aller la voir ? Elle avait été tellement gentille et compréhensive avec lui. Son soutien serait vraiment un réconfort bienvenu pour lui. En plus, si elle s’intéressait elle aussi à l’ouvrage, il n’en serait que plus motivé ! Il ne savait pas ce que Fedora allait décider, mais lui venait de décider qu’il irait voir son amie pour lui demander son avis. Il n’aurait qu’à lui envoyé une lettre à la capitale, même s’il avait l’impression que quelque chose de sombre se tramait là-bas. Les actions du frère supérieures restaient encore un mystère pour lui. Il regarda la jeune fille essayant de voir si elle prendrait le même chemin que lui.
Je crois que je n’ai plus grand-chose à vous dire. Maintenant, c’est à vous de décider ce que vous allez faire, mais peut-être devriez-vous dormir un peu là-dessus avant de prendre cette décision ? En parlez à du vous chambouler, vous serez plus sereine demain.
Il regarda la plage déserte battue par les vents. Seul leur petit flambeau éclairait timidement les deux retardataires. Il serait temps de rentrer, la nuit commençait à se faire noir et il n’était pas vraiment recommandé à une poupée de se promener seule dans les rues du grand-port à cette heure.
Être fixée? Le peut-elle? Le veut-elle vraiment? Et en même temps qu'elle intérêt de continuer à vivre avec cette horrible douleur? Il suffirait d'un moment, d'un geste, d'une lettre pour reprendre le contact... C'est une décision difficile bien-entendu mais en même temps, les décisions importantes ne le sont-elles pas toutes? Oui! C'est assez d'attendre, de rester dans l'expectative, d'espérer en vain qu'il se décidera à revenir vers elle! Elle a été assez patiente, elle ne lui demande pas la lune, juste de lui dire honnêtement ce qu'il en est! Mais... En même temps, n'est-ce pas égoïste que d'exiger cela après lui avoir dit qu'il pouvait prendre son temps? N'est-ce pas un retour sur ses propos précédents? Nouvelle imitation de soupire.
"Je suppose que vous avez raison... Il est sans doute temps d'arrêter d'être passive et de prendre en main ma chance!" Dit-elle, sans doute plus pour se convaincre elle-même. Plus facile à dire qu'à faire il faut bien l'avouer! Elle s'apprête à ajouter quelque chose mais est coupé par son laïum qui baille de manière bien sonore, de toute évidence le petit dragon doit être épuisé! Il faut dire qu'ils ont joués longtemps sur la plage et que l'heure est déjà bien avancée dans la nuit. Par ailleurs, le frère affirme qu'il ne peut sans doute rien dire de plus, en effet, quoi qu'il dise maintenant de toute façon c'est elle la seule qui peut décider de la suite. Se levant lentement pour ne pas trop déranger Twintania - qui se lève aussi vite de toute manière - la jeune noble de tissu se penche dans une petite courbette, pas trop appuyée pour ne pas en perdre la tête cependant.
"Merci... Pour votre temps et vos conseils... Je pense qu'il est temps que je fasse ce qu'il faut. Après tout, qu'ai-je à perdre n'est-ce pas? Bonne soirée Aord, vous avez su apaiser un peu mes craintes et m'avez sans doute aider à voir plus clair..." Et sur une dernière courbette, elle prend congé pour reprendre la route de sa demeure avec une décision potentiellement prise d'écrire à Faolan.