Si ce n’était que l’hypocrisie ambiante qui me dérangeait, j’aurais à la rigueur pu m’adapter à mon public, mais les soirées de la noblesse était également le théâtre d’un autre fléau bien pire que tous les autres… les charmeurs. Ces insupportables aristocrates qui parcouraient la foule comme des abeilles, butinant à toutes les fleurs, même les plus laides, à mesure que le vin coulait à flots. Vous vous demandez sûrement pourquoi je les hais tellement. Après tout, je suis un homme et je ne suis guère un adepte des jeux de séduction. Pourquoi m’inquiéterais-je de ces animaux en rut ? Tout simplement parce qu’il me comptait dans leur tableau de chasse ! Je ne comptais plus les damoiseaux que j’avais éconduits sous le regard amusé des convives. Avec autant de monde, mon pouvoir était un vrai handicape et comme par hasard ce genre d’individu me voyait comme la plus belle femme qu’Aryon n’est jamais porté. Ils auraient pu me voir comme un homme ou comme une vieille carne, mais non, il faut croire que je les attirais comme un aimant.
Messire, j’ai bien peur que vous commettiez une grave erreur en me courtisant ainsi, peut-être devriez-vous demander à vos amis que je vois rire au fond de la salle de bal avant de vous couvrir davantage de ridicule.
Je m’inclinai cérémonieusement dans une révérence ironique avant de tourner les talons, laissant mon 7e prétendant de la soirée dans la confusion la plus totale. Je savais que j’attirai grandement l’attention sur moi à force de provoquer des paradoxes sociaux à répétition. Si seulement on me laissait mettre un masque, tout serait plus simple… Enfin… pas si sûr, mon corps subissait le même traitement que mon visage. Je pourrais toujours être un objet de désir pour ces chiens. Las des regards intrigués que j’attirais, je poussai la porte du balcon pour mettre un peu de distance entre moi et les jacasseries des bonimenteurs. La terrasse extérieure était assez large et peu de convives s’y étaient réfugiés. Je poussai un soupir de soulagement avant d’aller m’appuyer à la rambarde. Devant moi s’étalaient le grand port et la mer à perte de vue. L’odeur iodée vint chatouiller mes narines et décompresser le poids que j’avais sur la poitrine. L’air marin avait toujours été quelque chose de libérateur, sûrement parce qu’il interagissait de manière unique avec ma brume, allez savoir…
Mon regard se perdit dans les reflets de lune qui brillaient sur les vagues. J’étais arrivé dans une impasse. Depuis que j’avais appris pour l’empoissonnement de mère et que mes 5e fiançailles avaient été annulées, je désespérais de pouvoir un jour atteindre mes objectifs. Mes multiples visages, cet ennemi qui voulait nous voir couler, ma famille et moi, je n’arrivais plus à savoir comment les combattre.
Si seulement j’avais ce collier, murmurais-je au vent.
Oui si seulement je pouvais avoir ma propre apparence, alors seulement je deviendrai quelqu’un.
Mais pourquoi alors suis-je ici, en cette soirée que j'haïs pourtant? Discutant et riant avec des êtres pour lesquels je n'éprouve que dégoût? Mais pour la même raison que tout un chacun! Servir mes ambitions! La société que j'ai bâtis lors de mon installation au grand port est fonctionnelle certes, mais elle manque encore de ressources, de moyens, d'investisseurs! L'objet de ma convoitise, celui qui me permettra d'enfin atteindre l'un de mes objectifs se trouve quelque part, sans doute sur le vaste océan... Si je désire véritablement le trouver - et je le veux - il me faut des moyens financiers! Certes, je les ai sans doute déjà vu le butin avec lequel j'ai quitté mon ancienne existence, mais utiliser une telle somme de cristaux sans bonne explication derrière attirerait sur moi une attention non nécessaire de la garde c'est évident. Je dois donc faire comme n'importe quel nouveau riche : me faire voir, avoir des contact, me faire un nom sans que jamais l'on ne puisse questionner mon intégrité! Un projet long et fastidieux qui m'oblige à converser avec des personnes haïssables! Heureusement, la comédie et le mensonge ont toujours été une seconde nature chez moi!
Les hommes avec lesquels je discute présentement sont... Des idiots en réalité! Stupide, misogynes, prétentieux... Sans aucun doute ce que ce monde fait de pire en matière d'être humain! Cependant, ils ont des moyens ce qui forcément m'intéresse et, la fille de l'un d'eux est loin d'être repoussante! Pas la plus belle mais sans aucun doute un bon parti même si supporter son père pourrait s'avérer difficile... Cependant, alors que nous conversons, l'un des hommes s'esclaffe grossièrement - même leur rire manque de bienséance visiblement - montrant du doigt l'un de leurs "amis" affirmant qu'il doit déjà être ivre puisqu'apparemment, il tente de séduire un homme persuadé qu'il s'agit d'une femme envoutante. Curieux malgré tout, je jette un regard dans la direction désignée pour voir effectivement deux hommes discuter : l'un, sans doute l'ami en question, se fait éconduire par l'autre! Assez grand, mince, de bonne allure cependant. Un bel homme sommes toute mais je n'ose imaginer l'état d'ébriété de son interlocuteur pour le confondre ainsi avec une femme! Pourtant, ma surprise ne cesse de croitre alors que mes propres interlocuteurs y vont de leurs commentaires : l'un voit une femme particulièrement laide, un autre affirme que c'est un homme de petite taille et rondouillard alors que le dernier est convaincu que c'est un vieil homme sans doute proche de mourir... Quatre personnes, moi comprit, et quatre visions différentes d'une même personne? Voici qui pique définitivement mon intérêt!
Je quitte mes compagnons, me moquant soudainement de leur fortune ou de la fille que l'un deux voulait désespérément me faire rencontrer. Il y a un homme - ou une femme pour ce que j'en sais - dont la mystérieuse apparence pour le moins... Changeante? Vient de donner un tout nouvel intérêt à cette soirée! Je prends un second verre sur le plateau d'un serveur et je rejoins le balcon vers lequel ce mystérieux protagoniste s'est réfugié. Arrivant à ses côtés, je dépose le verre sur la rembarde devant lui.
"Je doute que porter un collier vous aide à fuir ce genre de nuisible... A moins que le but soit tout autre?" Dis-je en souriant doucement sans réellement regarder vers lui.
J’étais du genre humble, il le fallait bien quand votre famille n’avait aucun pouvoir politique. Un simple mot des puissants et vous étiez écrasés comme un insecte. La vantardise n’était donc pas très recommandée, vu qu’elle vous mettait sous le feu des projecteurs. C’était l’une des principales raisons qui avaient poussé mes ancêtres à travailler dans l’ombre. Pourquoi s’ennuyer à faire de grands bals ou de grands évènements quand les contrats du marché noir vous enrichissaient de la même façon ? Pourquoi se donner la peine de monter une grande entreprise comme Murmevent quand vous pouviez vous enrichir simplement dans le crime ? Être une personnalité publique vous rend vulnérable. Enfin… je le pensais vraiment, mais cela ne m’empêchait pas d’être ici à jouer avec ceux que j’exécrais. Je restais un noble avec des devoirs, les ignorer me porterait préjudice à l’avenir. Surtout si j’espérais un jour faire perdurer ma lignée.
Toutes ses pensées m’avaient traversé en contemplant les vagues et elles auraient pu m’emporter avec elles si une coupe de champagne n’avait pas soudainement fait son entrée dans mon champ de vision. Lentement, je tournai la tête vers l’homme qui me dérangeait en pleines ruminations intérieures. Par Lucy, si c’était encore un amoureux transi, je ne répondais plus de rien ! L’homme étant grand, bien trop grand, son visage buriné et son corps musclé faisaient un peu tache parmi les convives élancés, fins ou grassouillets. « Un corps de combattant », me dis-je à moi-même. Je m’arrachais un instant à mon inspection pour lui répondre sur le ton de l’ironie.
Par pitié, je crois que j’ai eu mon comptant de prétendant éconduit pour ce soir. Si vous êtes venu me courtiser, je vous jure que je me jette du haut de ce balcon !
Quelle chute ce serait ! Un tas de fumée jeter de 10 mètres de haut, que resterait-il de moi ? Bien entendu, je ne faisais que plaisanter. L’inconnu ne semblait pas me percevoir comme une femme attirante. Son regard était planté dans le mien et non sur une quelconque poitrine imaginaire ou alors, préférait-il les hommes ? Un frisson parcourut mon échine à cette idée. Par la déesse, faites que je me trompe ! J’attrapai délicatement la coupe de champagne avant de la porter à mes lèvres et d’en boire une gorgée. Le goût du breuvage ne me faisait ni chaud ni froid trop habitué que j’étais d’en boire à toutes les occasions.
Généralement le ridicule les arrête bien vite dans leurs élans passionnés. Je dois dire cependant qu’ils sont particulièrement nombreux et insistants ce soir.
J’orientai mon regard sur la mer qui frappait la côte au loin. Cet échange était creux et sans saveur. Une conversation banale avec un inconnu qui avait cependant l’air d’être plus intéressant que le reste des invités de cette soirée insipide. Je regrettai cependant d’avoir parlé à voix haute et d’avoir mentionné le collier. J’essayai donc de noyer le poisson.
Un collier, un masque, n’importe quoi qui pourrait leur faire comprendre que ce qu’ils voient n’est pas la réalité. D’ailleurs, que voyez-vous en me regardant ? Je serai bien aise de le savoir.
Nouvelle gorgée de champagne, ce n'est pas le moment d'être nostalgique ou d'oublier la raison de ma présence : un homme qui semble pouvoir avoir mille visages? Voici une personne que je veux connaître! Non pas que je veuille m'en faire un ami - il sera peut-être aussi désagréable, snobe et inintéressant que les autres - mais il a tout de même un avantage de piquer mon intérêt! Puisque de toute façon cette soirée ne m'apportait pas grand chose, autant voir si la compagnie de cet étranger n'est guère plus intéressante n'est-il pas? J'aime en tout cas sa vision de voir les choses! Détourner ces hommes grâce au ridicule, leur faire perdre un peu de crédit en même temps qu'il les repousse? C'est du génie! Il n'a même pas besoin de s'énerver pour les discrédité en plus de blessé leur fierté de mâles égocentriques qui pensent sans doute que personne ne pourrait refuser leurs avances! Fort appréciable donc mais voici finalement le moment qui m'intéresse réellement, posé sous la forme d'une question il me confirme ce que je pensais déjà savoir! Certes, pas dans les détails ni la fonctionnalité mais suffisamment pour que mon esprit en ébullition s'imagine bien des choses.
"Comment vous vois-je? Si cela peut vous rassurer : comme un homme déjà! Grand, mince, la chevelure sombre et les traits quelque peu marqué. Un peu plus jeune que moi aurais-je tendance à dire, trente-deux peut-être trente-trois ans? De belle allure, un bel homme si je puis me permettre même si, pas suffisamment pour me pousser à quitter la compagnie de la gente féminine j'en suis navré!" Dis-je en riant doucement. "Malheureusement, je crains qu'un masque ou un collier ne vous soit guère d'un grand secours lorsqu'il est questions de tels hommes très cher... Dans un milieu ou l'apparence fait tout, ou le paraître est plus important que l'être, je crains que de tels parasites soient toujours présents! Alors que pourtant, les apparences sont souvent bien trompeuses vous ne pensez pas?" Je le questionne en tournant le visage vers lui, un petit sourire en coin sur les lèvres. Après tout, combien d'entres eux sont ici avec leurs plus beaux atouts, leur étalage de richesses alors qu'ils sont désespérément pauvre par rapport aux autres et qu'ils cherchent uniquement une femme à marier, si possible plus riche qu'eux, pour s'élever dans une société ou l'avoir prime sur l'être? Mais l'heure n'est pas aux grandes conversations philosophiques, pas encore du moins! "Je conclu donc, puisque vous me demandez ce que je vois, que cette apparence n'est peut-être pas réelle?"
Une idée intéressante, ma foi, je pourrai tout aussi bien faire courir d’infâmes rumeurs à leurs sujets en les agrémentant d’un zeste de fiction, puis je n’aurais plus qu’à les regarder sauter eux-mêmes, couverts de honte, en buvant une coupe de champagne. Enfin… ce n’est qu’une idée n’est-ce pas ?
Je décochai un sourire carnassier à mon compagnon de soirée, il pouvait très bien deviner si mes paroles étaient sérieuses ou non. Nous avions l’air de parler le même langage et pourtant nos points de vue étaient très différents. Je tenais avec lui la conversation la moins ennuyeuse de cette maudite soirée, autant continuer à le découvrir. Une vague de soulagement me parcourut quand il fit la description de ce qu’il voyait de moi. Enfin une apparence quelconque ! Je n’espérais plus pareille providence !
Vous ne pouvez pas savoir à quel point il est rare que je renvoie une image si commune à quelqu’un !
Je réfléchis un instant à sa première question. Les apparences étaient toujours trompeuses simplement parce qu’elles étaient une source d’information très succincte. Cela ne les empêchait pas d’être un rouage essentiel dans la façon dont nous nous construisons une impression sur quelqu’un. Elles étaient également un outil précieux pour guider les autres là où on voulait qu’ils regardent.
Je suis la définition même d’une apparence trompeuse comme vous avez pu le constater avec mes déboires tout à l’heure. Cependant, les apparences sont un outil précieux pour qui sait les magner avec astuces et originalité.
J’observai ma coupe de champagne que je tenais devant mes yeux. Oui, les apparences avaient toujours été mon terrain de prédilection. Tromper mon monde était devenu une seconde nature chez moi. Comment aurait-il pu en être autrement avec le pouvoir que je possède ? Il me fallait à chaque instant composer avec mon apparence fantasque au risque d’être discrédité. Mes yeux se plissèrent légèrement quand l’homme fit une déduction tout à fait logique. Je ne cachais pas vraiment mon pouvoir dans le monde de la noblesse, mais je ne le criais pas non plus sur tous les toits. De toute façon, sans le collier d’Ovide, il m’était impossible de le cacher. On me repérait au moment même où je passais la porte d’entrée.
Vous posez là une question à laquelle je ne saurais répondre. Chaque personne à sa propre image de moi. Pour vous je suis un homme, pour d’autres je suis une femme. Jeune, vieux, petit, grand, tout est possible avec la faculté que je possède. Mais si vous voulez savoir…
Je me penchai vers lui pour lui chuchoter à l’oreille.
En réalité, je suis un kraken aux multiples tentacules, mais ne le dites pas à mes prétendants. Je comptais en faire mon dîner de ce soir.
J’éclatai de rire en prenant une nouvelle gorgée de champagne, finissant ma coupe par la même occasion. J’aurais bien aimé que cette plaisanterie soit la réalité. Un kraken valait toujours mieux qu’un tas de fumée sans forme. J’observai les vapeurs s’échappant de dessous ma manche. Que pouvait-elle bien cacher en réalité ? Derrière ce rideau de ténèbres, ma vraie apparence m’était dissimulée ou alors c’était ça, mon vrai visage, un simple nuage. Je suis … un nuage. Quelle idée ridicule !
Je reposai ma coupe vide sur le rebord du balcon avant de reprendre sur un ton plus sérieux.
Nous parlons beaucoup de moi, j’ai l’impression, mais nous ne nous sommes pas encore présentés.
Je lui tendis une main amicale.
Je suis Oswald Cloverfield.
Je lui serrai la main s’il acceptait tout en continuant.
En parlant d’apparence, la vôtre est plutôt exotique au milieu de tous ces nobles rabougris ou enveloppés. À qui ai-je l’honneur de parler depuis tout à l’heure ? Un noble aventurier ? J’ai pu observer que vous regardiez la mer avec nostalgie. Êtes-vous capitaine ?
Dévoile-toi un peu cher inconnu. J’aimerais savoir à qui j’ai affaire avant de continuer à échanger sur mon pouvoir ou ma vie.
Un léger rire à sa remarque, certes je doute que cela soit une plaisanterie et pourtant, n'est-ce pas amusant? Lui et moi avons une vision similaire des choses tout en ayant une vision tellement différente... Oh oui les apparences sont importantes, cela fait bien longtemps que j'ai appris à les manier pour en faire ce que je désire, cependant là où lui pense que ne pas avoir une apparence prédéfinie est un désavantage, j'y vois une possibilité infinie de manipulation, de tromperie et de profit pour ma part au détriment des autres. Il faut croire que chacun a une vision bien différente entre lui qui possède ce pouvoir et moi qui ne fait qu'en imaginer les aboutissants? "Certes, mais vous pouvez jouer de cette apparence! Si vous affirmez que chaque personne à sa propre vision de vous, cela signifie que vous pouvez absolument tout faire!
Sans parler de criminalité, vous pourriez manipuler tout et tout le monde pour vos propres ambitions, c'est ma foi, le meilleur exemple de manipuler les apparences que je vois..." Dis-je en vidant ma coupe. "Certes, je ne suis qu'observateur extérieur, je ne vie pas avec votre pouvoir et sans doute êtes-vous mieux placer que moi pour le dire mais, j'y vois tellement de possibilités, de capacités et d'avantages qui sont, peut-être, masqués par les désagréments pour vous qui le vivez chaque jour?"
En tout cas, il a de l'humour malgré tout! Un kraken... Voici bien ce qui serait la définition même d'apparence trompeuse c'est certains! Cela me fait me poser la question : est-ce que certains le voient comme une créature monstrueuse? Si oui, voici un désagrément de taille pour le coup! Je me retiens cependant de poser la question, surtout parce que sa remarque suivante me fait comprendre qu'il est temps que je retourne la politesse, après tout je suppose qu'il doit avoir l'habitude que l'on veuille parler de lui et, pour une personne telle que moi, être dans la lumière en permanence n'est pas une bonne affaire, pourquoi alors lui infligerais-je cela? "Aslander O'Sullivan! Un plaisir de vous rencontrer!" Dis-je en lui serrant cette main tendue vers moi. Et oui, je lui donne mon véritable nom! D'une part parce qu'il n'est pas une jouvencelle que je tente de séduire sans qu'elle puisse me retrouver ensuite, d'autre part parce que dans une soirée mondaine, je n'utilise que rarement une fausse identité! Après tout, je subis ce genre de petite fête désagréable dans le seul but de me faire voir...
Un léger rictus, peut-être un peu dégoûté s'il l'on fait bien attention, lorsqu'il parle de noble aventurier. Une négation de la tête alors que je prends appuie sur la rambarde, regardant l'horizon et cette amante si agréable qu'est la mer. "Rien de noble chez moi et croyez-moi, ils font tout pour que je m'en souvienne!" Dis-je armé d'un sourire quelque peu amer. "Je suis ce qu'ils appellent avec un certain dédain un "nouveau riche". Aucun titre donc de mon côté pour l'instant. Je suis effectivement un ancien capitaine, un navire marchand sur lequel j'ai tout appris. Maintenant aventurier, je possède ma propre entreprise spécialisée dans le dépeçage et la chasse aux monstres marins, une activité qui se marie parfaitement avec la profession d'aventurier et qui me permet de faire affaire avec les enchanteurs, apothicaires ou autre forgerons du royaume et qui m'assure cette richesse que certains nobles convoitent par le biais d'un mariage, là ou d'autres la dédaignent de part ma nature d'homme du peuple au départ..." Me tournant vers lui je souris doucement. "Douce ironie non? Trop de cristaux pour être ignorés mais aucun statut pour ne pas être regardé de haut! Lorsqu'on dit que les apparences sont importantes, j'en suis un parfait exemple!"
Il serra ma main en me donnant enfin son nom. Une lumière de curiosité s’alluma dans mon regard. Je me faisais l’obligation de suivre toutes les créations d’entreprises en Aryon et j’avais entendu parler d’Aslander et c’était une sacrée affaire qu’il avait créée. Le rencontrer ce soir était une aubaine que je n’allais pas laisser passer.
Quelle surprise que nous nous rencontrions ici ce soir ! Je m’intéressais justement à votre affaire ces derniers temps. Je suis investisseur voyez-vous, je me tiens donc au courant des entreprises en plein développement.
J’abaissai le ton pour que seul lui m’entende.
Et je suis toujours très bien renseigné.
Je haussai un sourcil mystérieux. Aux vues de mes renseignements, cet homme devait certainement faire plus que de la chasse, mais il se gardait bien de m’en parler. Nous aurons bientôt l’occasion de parler affaires, mais pour l’instant, il allait être temps d’accomplir ce pour quoi j’étais venu ici ce soir.
Assurément, vous êtes bien plus intéressant que tous ceux avec qui j’ai pu converser ce soir.
C’était peu dire, un ancien capitaine et un aventurier étaient infiniment plus divertissants que ces vieux nobles. Il continua en m’expliquant à quel point il était rabaissé par le reste de la noblesse. Comme je le comprenais, moi aussi j’étais la cible de leur raillerie.
Je comprends parfaitement, croyez-moi. Ma famille ne brille pas par son influence politique et le reste de la noblesse nous a trop souvent pris de haut. Heureusement pour nous, nous savons pertinemment où se trouve le vrai pouvoir.
Je mimai un cristal que je serai en train de faire rouler entre mes doigts.
Plus ils s’élèvent dans la société et plus dure sera leur chute.
Un serviteur vint nous interrompre pour nous proposer une coupe de champagne. Je déposai ma coupe vide sur son plateau en la posant à l’envers. Il me fit un signe de tête sans rien dire et s’éloigna. Je me tournai alors vers la ville qui illuminait la nuit au loin quand soudain une immense colonne de fumée se dessina dans le ciel. Un entrepôt du port semblait être en proie aux flammes. Je regardais la bâtisse brûler au loin en plissant les yeux, ébloui par la lumière intense qui s’en dégageait.
Eh bien, voilà un magnifique feu de joie vous ne trouvez pas ? Je crois que cet entrepôt appartient à l’hôte de cette soirée si je ne m’abuse.
Les convives se réunissaient sur le balcon pour voir l’incendie, tandis que la garde se mobilisait en ville pour tenter d’éteindre les flammes. L’hôte finit par faire son apparition sur la terrasse attirée par les murmures et le mouvement de foule. Il semblait désemparé de voir ainsi ses stocks partirent en fumée.
Je l’ignorai pour regarder mon interlocuteur.
Je pense que la soirée touche à sa fin. Peut-être devrions-nous aller ailleurs. J’aimerais tant converser avec vous plus longtemps. Je suis sûr que vous auriez beaucoup de choses à me dire sur votre affaire. Je cherche justement de nouvelles pistes d’investissement plus … profitables.
Tout en parlant, je retirai lentement ma bague de mon doigt. C’était une chevalière assez imposante en or massif. Un bijou clinquant sans réelle valeur selon les standards de la noblesse. Je la montrai bien en évidence à mon partenaire avant de continuer.
J’ai le pressentiment que cette soirée va mal se terminer pour notre cher baronnet.
Je désignai du menton l’hôte qui faisait des pieds et des mains sur le balcon pour comprendre ce qui arrivait à sa marchandise. D’un geste, je lâchais ma bague dans le vide tout en faisant un clin d’œil à Aslander. Plus ils s’élevaient, plus dure serait la chute. On entendit soudain la voix d’une femme qui cria à qui voulait l’entendre qu’on lui avait volé son collier. Une autre encore demanda où était sa bague. Ce fut une vraie cacophonie qui commença à couvrir les discussions pour informer les autres de la disparition d’un bijou de valeur.
Allons bon, voilà que ses invités se font voler sous son toit. Cela ne va pas aider sa réputation. Un coup dur pour lui vous ne pensez pas ?
Je prit un air faussement surpris par la tournure que prenaient les évènements. Ce soir, le baron Schwarz chuterait de si haut qu’il ne s’en remettrait jamais.
"Mais la réciproque est vraie mon cher!" En effet, bien plus intéressant que cet idiot qui voulait me faire rencontrer sa vie ou que cette jouvencelle certes plaisante physiquement mais dont le nom et la fortune ne me permettraient pas de m'élever dans cette société. Non, la conversation d'un homme lettré capable de faire comprendre bien des choses sans réellement les dire est bien plus intéressante que n'importe quelle compagnie d'un soir, c'est une évidence. De plus, je suis toujours bien plus intéressé par une conversation lorsqu'il est question de cristaux! Oui, les cristaux dominent le monde c'est un fait, dans ce royaume tout peut s'acheter ou presque c'est une évidence et je suis toujours enclin à écouter les arguments d'un homme qui ne se contente pas d'amasser les richesses juste pour se reposer dessus mais qui semble comprendre l'intérêt profond de la richesse : les cristaux servent à être utilisés pour réaliser nos ambitions voilà tout! Je ne crois pas que le pouvoir soit uniquement dans les moyens financiers mais assurément, ils aident à en avoir!
J'arque un sourcil à sa remarque, ne voulons-nous pas tous nous élever dans la société pour une raison ou une autre? Je m'apprête à en faire la remarque lorsqu'un serveur intervient pour nous proposer une nouvelle coupe, puisque mon partenaire semble la refuser je fais de même, être seul à boire n'a jamais été très attrayant pour moi je dois bien l'avouer et soudain, alors qu'encore une fois j'allais lui signaler que je compte bien m'élever, c'est un autre événement externe qui m'en empêche : une fumée opaque qui fait son apparition signe d'un incendie quelque part sur le grand port... Rien d'anormal, ce sont des choses qui arrivent mais par contre, impossible de savoir qu'il s'agit de celui de notre hôte comme le fait mon compagnon... Un léger sourire se trace sur mon visage, rictus mauvais alors que je découvre une nouvelle facette plus intéressante encore de ce mystérieux protagoniste : il vient de jouer une carte sur table, un atout qu'il est risqué d'afficher : par cette simple parole il m'a avoué qu'il est sans aucun doute responsable de cet incendie - directement sans doute par l'intermédiaire d'un voyou quelconque alors qu'il était dans cette soirée - et donc c'est un aveu d'un acte criminel! Un pari osé car si je suis quelqu'un de droit et d'honorable, le dénoncer serait la bonne chose à faire...
"Après vous cher ami! Je suis sûr que notre entente sera plus que profitable et notre discussion des plus intéressantes!"
Je relance la donne! De toute évidence je ne suis pas le bon garçon qui va le dénoncer, que du contraire! Je viens de trouver un homme des plus intéressant et il serait dommage de ne pas en profiter! J'avoue donc sans le dire que ce genre d'acte sans aucun doute illégal n'est nullement un problème, pire encore, je ris lorsque je comprends la raison pour laquelle il se débarrasse d'un bijou alors que les convives crient au vole. "Une bien triste soirée pour ce cher baron... Quel dommage..." Dis-je faussement désolé alors qu'un rictus laisse bien comprendre que je me moque complètement des déboires de ce cher noble. Ce n'est pas comme si j'allais pleurer l'infortune d'un des soi-disant bien lotie de la ville. Son entrepôt me gênait même, certes il n'était pas dans le même domaine que moi mais, il avait tout de même quelques articles me faisant concurrence. Pas assez pour que l'incendie attire les regards dans ma direction mais suffisamment pour que ses pertes profitent à mes affaires. Oswald vient de me rendre service sans même le savoir.
Nous quittons donc la soirée sans réel regard en arrière, visiblement ce pauvre homme va faire une chute vertigineuse comme l'avait prévu mon nouvel ami. Pour l'heure cependant, cela ne m'importe que peu! Je verrais demain quelles seront exactement les conséquences pour mon propre commerce mais présentement, il y a bien plus important.
"Avez-vous un endroit de prédilection pour notre discussion? Je connais bien une taverne assez calme dans laquelle la discrétion est assurée. Elle ne paie pas de mine mais le rhum y est excellent! Bien loin de la population noble du royaume par ailleurs qui ne se risquerait pas dans un tel quartier..."
Son sourire mauvais m’indiqua que le poisson était ferré et ne comptait plus me lâcher de la soirée, parfait. Nous avions tant à nous dire, il aurait été dommage qu’il soit l’un de ces petits joueurs qui se défilaient dès que les affaires prenaient une tournure un peu sombre. Le baron allait avoir du mal à se remettre de ce coup dur. L’incendie de l’entrepôt allait lui coûter bien cher et les vols de ce soir allaient jeter l’opprobre sur son nom. Difficile alors pour lui de trouver des fonds pour se ressaisir. Ce n’était pourtant pas suffisant pour enterrer son entreprise une bonne fois pour toutes. Je l’avais mis à terre, mais il me fallait encore porter le coup de grâce. Les vols n’étaient que la première étape, il restait encore la seconde.
Je retins l’aventurier en l’attrapant par l’épaule alors qu’il pensait pouvoir s’en aller comme si le spectacle était terminé. Mon cher, je ne bâcle jamais mes plans.
Attendez encore un peu, les déboires de ce cher baron sont si divertissants.
Comme pour me donner raison, un nouveau coup de théâtre retentit quand la garde franchit la porte de la salle de bal.
Tiens, voilà la garde, ils sont arrivés bien rapidement. Vous m’excusez une minute Aslander ? Je dois aller signaler le vol de ma bague. Nous partirons juste après, j’ai hâte de continuer cette conversation ailleurs.
Je m’approchai des gardes en le laissant seul un moment pour pouvoir jouer ma comédie. J’expliquai donc à un jeune homme qu’on m’avait dépouillé de ma chevalière familiale, inestimable et irremplaçable. Je hurlai qu’il fallait fouiller toute la maisonnée pour trouver le coupable qui ne devait pas être bien loin. De bouche à oreille, mon idée se propagea de garde en garde, jusqu’à ce que leur supérieur décide d’envoyer un de ses soldats fouiller l’étage du haut. Un air satisfait se dessina sur mon visage. Je faisais ma déposition auprès des gardes avant de rejoindre mon invité.
Bien, bien, il est temps de partir vous ne penser pas ?
Je l’accompagnai jusqu’à la sortie ou la garde nous fouilla ne trouvant bien entendu absolument rien de compromettant. Si seulement, ils savaient où fouiller. En sortant, je pus observer l’un des gardes s’approcher de son supérieur en lui tendant une lettre, l’air grave. Un rictus mauvais fendit mon visage alors que je tournai le dos à cette maison et m’enfonçai dans les ténèbres de la nuit avec mon nouveau partenaire.
Je me demande bien ce que la garde a pu trouver. J’espère que cela à un rapport avec notre voleur, j’aimerais tellement retrouver ma bague.
Mon regard ironique trouva son reflet dans celui de mon compagnon. J’avais bien des sujets à évoquer avec lui. Des propositions de partenariat, des idées de contrat, voir des projets d’avenir, tout cela prendrait du temps, mais je savais que nous en sortirions bien plus riches lui et moi. En me renseignant un peu sur ses affaires, j’avais pu admirer son talent certain pour le business. Toutefois, j’aurais apporté quelques modifications de-ci de-là à sa chaîne productive. Il y avait moyen d’améliorer grandement la sécurité de ses opérations si nous arrivions à un accord.
Oh ! Je crois connaître la taverne dont vous me parlez. Ce sera un endroit parfait. Il me tarde de m’éloigner de cette mascarade pour entrer dans le vif du sujet avec vous.
Nous quittâmes donc la soirée en laissant derrière nous la famille Schwarz brûler sur le bûcher de leur orgueil. Plus vous montez et plus il était facile de vous faire trébucher, la chute sera alors vertigineuse. En descendant le chemin, je regardai le haut de la falaise où nous étions un peu plus tôt. Y verrions-nous le baron sauter demain matin ? Probablement pas, vu qu’il passerait la nuit à la caserne.