On the route encore !

S’il y avait une chose que l’on ne pouvait décemment pas reprocher à Santua, c’était sa capacité à se remettre en question. Face à la leçon de vie d’Evelyn, au sujet du risque et de la vie, la jeune femme acquiesça en silence. D’aucuns auraient peu apprécié qu’on leur rappelât ce qu’ils savaient déjà ; pas Santua. Elle était pourtant bien placée pour savoir ce qu’était le risque, dans toute sa splendeur. Elle en avait pris un gros en dénonçant sa famille aux autorités. Ce faisant, elle avait perdu ses repères. L’endroit où elle vivait et où elle travaillait depuis toujours lui avaient été enlevé. C’était ce risque qui l’avait amenée à se détourner du chemin qu’elle poursuivait jusque-là. Elle avait quitté l’ombre réconfortante des coulisses pour aller dans la lumière. De simple gestionnaire de scène, elle était devenue celle qu’on acclamait lorsqu’elle pénétrait dans l’arène. Alors… Regrettait-elle les risques qu’elle avait pris ? Pas le moins du monde. Elle avait agi, lui semblait-il, pour le meilleur. Du reste, elle comptait bien remonter le théâtre par ses propres moyens – des moyens légitimes, cette fois-ci.

« À vrai dire, ce qui m’intéresse le plus jusqu’à présent est le tir à l’arc. Ça peut m’être utile, aussi bien au quotidien que professionnellement. »

Preuve en était leur mésaventure : avec un arc maîtrisé supplémentaire, les choses ne se seraient probablement pas déroulées comme cela. Et puis, sans vouloir abuser de l’expression, c’était une nouvelle corde à son arc professionnel. Dans le milieu du spectacle, c’était un atout non-négligeable que de savoir viser des cibles en mouvement, en étant soi-même en mouvement. Santua imaginait déjà les spectacles que sa troupe pourrait mettre sur pied avec une telle maîtrise… Mais ça n’était pas pour tout de suite, pour sûr !

Contrairement à ce que la jouteuse craignait, les propriétaires ne les blâmèrent pas. Les termes utilisés par Evelyn avaient peut-être adouci le récit, déformant – ou en tout cas taisant certaines parties – ce qu’il était réellement, mais qu’importait : ils accueillirent de bonne grâce les restes du chouettours. Qu’ils vendissent les morceaux ou les consommassent, c’était un apport majeur à leur confort de vie et ils ne crachaient pas dessus, quand bien même il fallût dépenser un peu d’argent pour soigner les blessures d’Athesis. En voyant l’état dans lequel se trouvaient les jeunes femmes, ils eurent même la gentillesse de leur proposer le gîte et le couvert. Evelyn allait-elle accepter ou avait-elle à faire ? La réponse de Santua dépendait de la sienne.

On the route encore !

La soirée fut conviviale. Rassemblés autour d’un repas copieux, Santua, Evelyn et leurs hôtes partagèrent quelques anecdotes autour de leurs aventures passées ou simplement de leur quotidien. Les rires furent au rendez-vous, quoi que Santua crût constater qu’Evelyn restait réservée. De son côté, la jouteuse n’hésita pas à conter certains événements marquants de sa profession, des chutes les plus improbables aux plus spectaculaires, en passant par les coups de frayeur que les chevaux pussent provoquer à leurs cavaliers.

La nuit était déjà bien avancée lorsque les deux jeunes femmes, à qui l’on avait préparé une chambre, s’y rendirent pour y prendre un repos bien mérité. Elles échangèrent quelques mots – une façon de faire le point, ou peut-être de clôturer cette soirée inattendue – et s’endormirent. Elles en avaient manifestement grand besoin.

Santua était déjà levée lorsque les premiers rayons du soleil filtrèrent à travers les carreaux de la chambre. Elle rassemblait ses maigres affaires – elle tâchait toujours de voyager léger – lorsqu’Evelyn se manifesta. Il était temps pour chacune d’elles de débarrasser le plancher et de retourner à leurs occupations.

À l’instar de sa camarade chasseuse, la jeune femme remercia leurs hôtes pour leur hospitalité. Elle s’excusa une fois de plus pour les blessures d’Athesis, ce à quoi on lui répondit qu’elles seraient vite résorbées. À son grand étonnement, les propriétaires lui proposèrent même de les solliciter de nouveau si sa troupe et elle avaient encore besoin d’un cheval.

Un peu plus loin, Santua prit le temps de remercier Evelyn et de lui souhaiter une bonne continuation. Elle n’hésiterait pas à passer la voir à l’occasion mais pour l’heure, elle avait une chose à faire : se procurer une arme… S’il y avait une chose qu’elle avait retenu de son voyage, c’était bien celle-ci : mieux valait toujours avoir sur soi de quoi défendre sa peau.