Franchement, que pourrait-il arriver de pire après la saison chaude de l’an 1000 ? Vous portez l’insigne des Gardes avec fierté, avez bravé votre content de situations inédites et affrontez chaque fois le danger sans faillir… Alors, vraiment, ce n’était certainement pas un matin ordinaire qui allait vous perturber.
Vous avez d’ailleurs chacun vos raisons d’errer ce jour-là en plein cœur du quartier touristique du Grand Port. La foule est dense, il faut jouer des coudes pour parvenir à progresser dans les allées bondées, et des fragrances venues de multiples horizons vous chatouillent les narines. Les commerçants ont joliment décoré chaque étal, arborant une multitude de couleurs diaprées et de produits exotiques qui appâtent les chalands bien mieux que n’importe quel mot. Cela crie néanmoins, et cela s’interpelle, car rien n’arrête jamais le commerce !
Rien ?
Rien, sauf peut-être vous. Sauf peut-être cet instant où vous vous croisez, et où vos pas s’éloignent dans l’indifférence de cet endroit surpeuplé. Et dès lors que vos corps s’éloignent de plus d’un mètre, un étrange phénomène fait vibrer l’air et tourner les têtes dans votre direction…
Vous êtes soudainement devenus les deux personnes les plus attractives d’Aryon. Votre beauté éblouit et cloue dans un premier temps au sol les humbles mortels qui vous contemplent. Et puis, un frisson saisit la foule, un pas en avant les amène à se tendre vers vous… A vouloir vous toucher, vous approcher, vous supplier, tout pourvu que vous leur accordiez de votre temps divin.
Vous ne tarderez sans doute pas à remarquer que le phénomène s’annule dès lors que vous vous rapprochez à nouveau l’un de l’autre à moins d’un mètre. Davantage encore lorsque vous vous touchez.
Si tant est que vous surviviez déjà à la folie amoureuse d’une ville entière !
Participants : Dahlia & Calixte
Challenge RP : Trois pnjs devront vous faire une déclaration d’amour détaillée et enflammée dans vos postes, avec moult éloges à votre sujet.
- Ca sent bon l’été ! déclara Apolline sur son épaule, en suivant d’une rotation les corps légèrement vêtus de jeunes gens passant à proximité.
- Les épices, surtout, nota distraitement Calixte en tentant de se faufiler entre deux imposantes dames au profil particulièrement cubique. Et la sueur. N’y avait-il pas un marchant de thé par ici ?
- Qui veut du thé quand tu peux avoir ça ! indiqua la trousse avec enthousiasme tandis qu’iels étaient rabattu-es par la foule vers le présentoir particulier d’un marchant somnolent à l’ombre d’une toile tendue par-dessus son commerce. J’suis sûre que Luz dirait pas non à un œuf cherche chocolat, surtout après l’histoire avec Naë. Y a même un sachet de cacao offert avec, regarde !
- Hum, répondit intelligemment lo soldat-e dont les joues s’empourpraient légèrement au souvenir d’une assignation un peu particulière avec Solveig, où iels avaient été accompagné-es par Fauve.
- Y a aussi un cristal de massage avec vazéline ; tu pourras toujours lui dire que Lia trouve qu’ça donne des soins de qualité, poursuivit Apolline en ricanant. Hé y a des filtres marrants aussi !
- Allons voir ailleurs, décréta l’espion-ne dans un soupir en profitant d’une éclaircie dans la horde de badauds pour se frayer un passage vers les comptoirs suivants.
- Sûr ? Ce stand fait frissonner ma fermeture éclair, j’sens l’inspiration venir pour L’appétit de Croc de Foudre.
- Apo…
- Quoi ? Tu préfères plus large ? Soins particuliers sous les étoiles ? Comme ça on aurait Luz, Lia, peut-être Ayah… ça manque un peu d’hommes à l’Astre, non ?
- Je… commença Calixte avant de s’arrêter brutalement, prenant conscience que tout le monde tournait la tête vers eux.
Iel savait que l’âme artificielle pouvait perturber un certain nombre d’âmes – à commencer par la sienne – mais aussi largement c’était une première. Iel allait les excuser, lorsque l’affaire prit une tournure encore plus étrange.
- Votre beauté, ma dame, est à tomber en pamoison, déclara fébrilement la vieille femme la plus proche d’iels en laissant choir les étoffes qu’elle était visiblement en train de marchander pour se saisir de sa main.
Calixte cligna des yeux, incertain-e, avant de jeter un regard alentours pour se rendre compte que les propos de l’inconnue ne paraissaient pas interroger d’autres que iel.
- C’est la grossesse, ça fait rayonner, fit Abdallah dans son dos. Joconde, spéculum à l’hôpital, m’a dit que ça faisait partie des symptômes. Elle m’a filé la revue Marie Lucy, hautement scientifique ; j’te lirais le passage sur les soins d’peau pour magnifier ton éclat intérieur, ma sœur.
- Rien ne rend plus rayonnant que d’afficher qu’on connait le coït, acquiesça Apolline avec enthousiasme.
- Ecoutez madame…
- Monique Saint Chaste, l’aida la vieille femme d’un regard brillant particulièrement perturbant.
- Heu oui, madame Saint Chaste, je suis touché par vos gentilles paroles néanmoins…
Comme quelque chose effleurait son épaule, le reste de ses propos se perdirent dans un sursaut de surprise, et les doigts de l’espion-ne s’agrippèrent instinctivement à la lame retour pendue à sa hanche. Son regard inquiet quitta Monique pour détailler les traits coupés au ciseau d’un homme aux relents de caniveau.
- Hé m’dame : t’es bonne, lui déclara-t-il d’un sourire se voulant probablement aguicheur mais offrant surtout à Calixte une vue imprenable sur sa dentition précaire et une appréciation toute directe de son haleine de cheval. Tes yeux là, on d’rait des rondelles de rouille ! T’as d’beaux ch’veux comme d’la paille ! Et même tes habits d’mec i’t’vont comme une chaussette ! Tu m’fais palpiter d’en bas !
- Vrai qu’en haut y a p’tet plus grand-chose, nota Abdallah d’un ton songeur. T’as pas un peu abusé, frère ?
- Il a pas tort ceci dit ; à quoi ça sert que t’aies plein de déguisements si c’est pour pas mettre les sexy quand c’est l’occasion ?
- T’es trop belle comme… comme une queue d’pelle ! Et tu éblouis comme un salsifis !
- Jeune homme, je me dois d’intervenir : vos louanges ne sont pas à la hauteur de sa magnificence, coupa brusquement la vieille Saint Chaste en tirant toujours plus vers elle la main qu’elle avait gardée captive entre ses serres. Chaque parcelle de votre être apporte la félicité, mon enfant. Rien que vos prunelles de cet or rouge du soleil levant sont un trésor qui mériterait d’être jalousement gardé par la Garde Royale. Leur éclat ne connait assurément d’équivalent dans tout Aryon, et un seul papillonnement de leur lueur dans notre direction enflamme l’intérêt. Mon cœur s’échauffe de votre beauté si absolue, et ma langue pourrait en conter encore longtemps la richesse. Peut-être, tout bien considéré, vais-je m’y atteler.
Il y eut un murmure de contestation derrière Monique, et tandis que l’on s’insurgeait quant à l’espace de plus en plus réduit ne permettant guère d’atteindre ce joyau remarquable que semblait être devenu-e Calixte l’espace d’un étrange moment, lo soldat-e se dit qu’il était plus que temps de mettre les voiles. La tournure des évènements ne lui disait absolument rien qui vaille, et iel préférait s’éclipser de cette foule lo regardant toujours plus comme lo messie. Ou comme un bout de viande particulièrement alléchant.
- Jolie madame, déclara une petite voix d’enfant à hauteur de ses hanches, et comme une main effleurait l’un de ses genoux iel se remit en mouvement dans un sursaut d’inquiétude. La plus jolie des jolies madames. T’es une princesse ? Quand je serai grand je serai chevalier et on se mariera !
- C’est un peu cliché, non ? fit Abdallah d’une voix songeuse avant de se lancer dans une disgression sur les stéréotypes de genre pendant que Calixte tentait de prendre ses jambes à son cou.
Mais la marée humaine autour d’eux, soudainement animée de ce terrible désir de les approcher et de complimenter – aimer, s’approprier – lo coursier-e ne leur rendit pas la tâche aisée, si bien que Vreneli fut appelé hors des entrailles du sac-à-dos où il somnolait pour les aider à disperser – éloigner – ces vautours transits d’amour.
- Y aurait moyen pour une bonne grosse partouze, commenta Apolline tandis que Calixte profitait de ce qui ressemblait à une accalmie pour se glisser entre deux couples, tournoyer autour d’un groupe de touristes armés de cadres magiques, et esquiver de quelques pas en arrière certains marchands trop zélés. Demain ça fera la une des gazettes.
- Pas si j’ai mon mot à dire, grommela l’espion-ne avant de percuter une jeune femme sur son trajet chaotique. Ow, pardon, s’excusa-t-iel en prenant les mains de celle-ci pour l’aider à stabiliser son équilibre devenu précaire et se redresser.
Malgré la fébrilité liée aux évènements, le regard ambré de Calixte marqua un moment de pause, pensif, aux traits à la fois familiers et inconnus de celle qu’iel avait bousculée. Elle devait avoir à peu près son âge, possédait un visage aux courbes accortes auréolé d’une chevelure d’un blond presque laiteux, et le hâle de sa peau, s’il démentait des journées passées dehors, la rendait inhabituée au soleil ardent de la cité méridionale.
Encore ? fit Vreneli contre son esprit, et les yeux de l’espion-ne quittèrent immédiatement les prunelles mauves de la jeune femme pour prendre la mesure de leurs environs.
Néanmoins, soit les éclairs dissuasifs du teisheba avaient fait l’affaire, soit l’étrange sortilège ayant précédemment saisi la foule s’était rompu de lui-même. En dehors de regards un peu perdus de certains des badauds, chacun paraissait avoir repris le fil de ses activités sans sembler désireux de s’en écarter à nouveau pour déclarer sa flamme à Calixte. Sauf peut-être… rivant un regard un peu méfiant sur l’inconnue, iel délia enfin leurs mains. Contre son cou, il lui semblait sentir le métal de son talisman d’indépendance chauffer doucement.
Vêtue d'une robe longue dont les pans voletaient au gré de ses pas un peu perdus mais enthousiastes, Dahlia errait au milieu des étals, accompagnée de Keruberosu qui sautillait joyeusement à ses côtés, et sur l'une des têtes duquel se trouvait perché son glooby des glaces Sheepy - affublé d'un talisman glacial pour ne point souffrir du climat local. L'occasion était en effet parfaite pour sortir ses familiers, et elle regrettait juste de n'avoir pu prendre Skirfir également, dont le rythme vespéral n'était hélas propice aux flâneries diurnes. Et dont l'envergure aurait sans doute causé quelques troubles, au milieu de cette foule de badauds si densément agglutinée.
Le regard de Dahlia survola leur marée bariolée et mouvante pour admirer les présentoirs des commerçants bourgeonnant de divers objets ou mets, en quête d'une spécialité bien particulière.
« Ils doivent bien avoir des Capitale-Ville Aquatique, ici... »
Une pâtisserie ô combien délicieuse, dont elle avait fait la découverte lors d'une soirée mondaine assez particulière, peu de temps auparavant. Souriant au souvenir de cette soirée plus que mouvementée, elle venait de dénicher l'objet de sa convoitise et s'apprêtait à l'acheter, lorsqu'une voix retentit à ses côtés, par-delà la criée concurrente des marchands alentours.
« Hé mam'zelle, t'es fort charmante. C'est quoi, ton numéro de cristal… ? »
La surprise ébranla un instant Dahlia, presque aussitôt suivie d'un élan d'indignation qui la souffla avec force. Voir ainsi sa balade estivale entachée par un dragueur grossier, dont le phrasé rudimentaire n'avait d'égal que la rudesse d'approche… Elle s'apprêtait à le gratifier d'une réflexion bien sentie, lorsqu'un autre homme vint à son encontre.
« Oh, douce dame, vous faites chavirer mon cœur. Votre regard est un gouffre d'améthyste dans lequel je me laisse volontiers sombrer. Et que dire de votre chevelure, dont la splendide clarté illumine mon cœur de son éclat incomparable. Ou de vos courbes, aussi remarquablement profilées que la coque d'un navire. Oh, si vous me laissiez naviguer à bord de votre voluptueux vaisseau… »
Esquissant un mouvement de recul devant ces paroles enrobées d'un romantisme douteux, Dahlia ne put qu'affronter, plus désemparée encore, les regards larmoyants d'admiration d'autres personnes l'entourant. Ils avaient quoi, tous, aujourd'hui ? C'était sa robe, qui était si jolie ? Pour une fois qu'elle s'autorisait autre chose qu'un corselet d'acier ou de cuir, elle le regrettait amèrement. Mais elle réalisait bien que cette admiration sans borne dont elle faisait présentement l'objet n'avait rien que commun. Keruberosu, quant à lui, s'était scindé en trois et tentait d'éloigner les promeneurs transis à grands renforts de grognements.
« Viens, Keruberosu, ne restons pas là... »
Fendant la foule amassée autour d'elle comme des abeilles autour d'un pot de miel, engluées dans cette adoration malsaine que rien ne semblait pouvoir désamorcer, Dahlia percuta - ou fut percutée, elle n'aurait su le dire - dans sa tentative de fuite une autre personne, qui s'était emparée de ses mains pour mieux se réceptionner.
Et, contre toute attente, dans le trouble auréolant cette rencontre impromptue, elle trouva un point d'ancrage inattendu. Tout d'abord en raison des traits de la jeune femme, qui n'étaient pas sans lui rappeler… ceux d'Astrid, à vrai dire. Avec certaines différences, comme l'ambre de son regard présentement quelque peu perdu. Sa ressemblance si familière avec la citoyenne lui inspira un sentiment ténu d'irréalité. Puis, par sa placidité, la jeune femme n'étant manifestement touchée par cet indicible amour transi à son encontre. Un fait suffisamment notable pour ne point l'écarter.
Quoiqu'elle n'eût encore parlé, mais son regard était empreint d'une ostensible méfiance, et ne brillait point de cette lueur irréelle d'adoration. Dans le silence instauré par une inespérée accalmie, autour d'elles, Dahlia ne parvint toutefois qu'à articuler :
« Ce… ce n'est rien. En revanche, je dois vous avouer que vous ressemblez grandement, et étrangement, à mon aïeul… » Notant l'incongruité de ses dires, elle dut se rattraper hâtivement : « Dans sa jeunesse, je veux dire. Mais veuillez m'excuser, je ne vais pas vous déranger plus longtemps… Bonne journée à vous. »
Retirant ses mains des siennes avec un empressement gêné, Dahlia songea qu'il était indécent de davantage l'importuner, et commença à s'éloigner de cette nouvelle rencontre… Ce qu'elle n'allait qu'amèrement regretter.
- Heu oui, bonne journée, ajouta-t-iel avec un temps de retard confus.
Son regard ambré s’attarda sur la silhouette en robe estivale, avant de glisser sur celle de son canitribus, puis de se détacher tout à fait de cette brève rencontre. Pour réaviser les yeux à nouveau larmoyants d’adoration de son entourage direct. Et moins direct, à en croire la petite foule de badauds nouvellement entichés qui bloquait son évolution vers l’allée remontant vers l’axe principal, salvateur, conduisant au Bastion. Instinctivement, iel imprima un mouvement de recul. S’iel avait pensé que le charme s’était précédemment rompu, iel s’était naïvement fourvoyé-e.
- Oh, ravissante dame, débuta un homme en venant à sa hauteur. Le temps d’un instant j’ai cru perdre vos courbes voluptueuses dans l’affluence de l’endroit, émergeant d’un songe éveillé avec un goût d’amertume sur le palais, mais c’était pour mieux vous retrouver. … Ou était-ce une autre ?
- Voilà qui est flatteur, commenta Apolline.
- Qu’importe ; vous êtes encore plus douce à mes yeux que précédemment, et l’ambre ardent des vôtres anime ma flamme. Et que dire de votre chevelure, dont la splendide clarté illumine mon cœur de son éclat incomparable. Ou de vos courbes, aussi remarquablement profilées que la coque d'un navire. Oh, si vous me laissiez naviguer à bord de votre voluptueux vaisseau…
- Ca sent le réchauffé, non ?
Vreneli n’eut pas besoin d’indication de la part de Calixte pour laisser libre cours à ses foudres hargneuses, et l’atmosphère se chargea d’électricité.
- Quelle ardeur ! s’exclama quelqu’un dans la foule, avec un ton un peu trop enthousiaste pour quelqu’un venant de se faire roussir le poil. N’aies crainte, ravissante demoiselle, je serai digne époux et il ne passera pas une journée où je ne conterai pas ta beauté ! La finesse de ton pied, le galbe gracieux de ta jambe, comme l’arrondit sensuel de ta fes… aïe !
Résigné-e à ne pouvoir fendre la cohue, toujours plus insistante dans sa folie amourachée, dans le sens qui l’aurait arrangé-e, Calixte effectua une nouvelle volte-face pour prendre ses jambes à son cou. Ses doigts se portèrent instinctivement à son talisman d’indépendance qui chauffait toujours plus contre sa peau, et ses yeux fouillèrent avec urgence la scène exotiquement chaotique du quartier touristique à la recherche d’un coupable. Rapidement, son attention et ses pas lo ramenèrent auprès de l’inconnue de plus tôt qui, elle aussi, visiblement, avait du mal à se délester de Monique Saint Chaste.
- Votre peau à la douceur de la pêche, disait-elle à la jeune femme dont elle avait, comme à l’espion-ne précédemment, subtilisé la main. Je donnerai cher pour que vous m’initiez à votre routine beauté, sous toutes ses coutures, poursuivit-elle d’un regard traçant lascivement les courbes de sa captive.
- Elle perd pas l’nord, mamie, commenta Apolline. Moi aussi j’veux savoir ! Hé belle petite-fille de Cal, t’es épilation à la cire ou au rasoir magique ? Maillot au naturel ou la totale jusqu’au SIF ?
- Je gage que cette parure-ci a l’éclat de votre chevelure éblouissante ; cette couleur d’un pâle presque nacré est absolument fantastique. Et…
- Je vous l’emprunte, intervint Calixte en posant sa main sur l’épaule de l’inconnue comme elle réussissait à se dégager de la poigne de la veille femme.
- Oh vous êtes là, belle enfant ? nota cette dernière, la lueur de son regard ayant néanmoins perdu de sa fébrilité. Oui, oui, bien sûr. Vous faites un bien charmant tableau, mesdames, et ça aura été un plaisir de discuter avec vous. Je vais néanmoins retourner à mes occupations premières, si vous le voulez bien ; il n’est pas raisonnable à mon âge de trop s’attarder sous ce soleil ardent.
Et Monique Saint Chaste retourna à ses étoffes, comme si rien de particulier ne s’était passé. Retirant ses doigts de la bretelle vaporeuse de la robe de la jeune femme, Calixte se reconcentra sur celle-ci. Visiblement, elle ne paraissait pas pressée, comme tous les autres, à lui faire la cour, et pour une raison quelconque, leur proximité semblait stopper cet élan magique incongru.
- Mesdames, puis-je vous inviter pour une boisson en terrasse ? Il serait presque criminel de passer à côté de votre grâce sans lui témoigner l’attention qu’elle mérite.
Ou simplement diminuer. Rivant brusquement son regard suspicieux vers l’aventurière bardée de cuir et d’acier leur offrant un large sourire enjoliveur, l’espion-ne observa ensuite rapidement le reste de leur entourage. Si la plupart avait repris leurs activités, d’aucun les observait encore de loin comme deux trésors égarés au milieu de l’allée, et on devinait au voile curieux de leurs prunelles fiévreuse que l’idée de venir en clamer la possession n’était pas loin dans leurs esprits intéressés.
- Non, merci, répondit brièvement Calixte avant de se tourner pleinement vers l’inconnue et son canitribus. Je crois qu’il faut qu’on parle, déclara-t-iel d’un ton toujours méfiant. Désolé pour le voyage.
Et sans plus de préambule, profitant de la confusion ambiante, iel fit fusionner la jeune femme dans une bille, se baissa promptement pour faire de même avec le familier et…
- J’ai vu tomber une crotte hybride limace-bélier non ?
Un petit glooby désorienté. Décidemment, ces familiers étaient à la mode.
Eli ! appela mentalement lo soldat-e avant de fusionner de concert avec le glooby dans une dernière sphère.
On tenta de leur mettre la main dessus, mais le teisheba, qui n’était pas loin, remplit l’espace d’un nuage d’éclairs rétributifs, et attrapa la perle de bois pour l’emmener sur les hauteurs du quartier. Après avoir parcouru une trentaine de mètres dans les airs, le familier avisa une série de toits en terrasses pour déposer ses précieux passagers. Immédiatement, Calixte les fit tous défusionner et s’écarta de la jeune femme les mains en l’air en signe de paix. Ou, tout du moins, d’absence de nouvel épisode programmé de kidnapping.
- Est-ce de votre fait ? demanda-t-iel sans ambages, prêt-e à dégainer ses menottes au besoin.
Y avait-il là l’action d’un pouvoir, ou d’une magie, quelconque ? L’inconnue ne paraissait pas particulièrement coupable de quoi que ce fut – elle semblait même aussi agacée qu’iel – mais iel avait déjà appréhendé des malfrats aux allures de chérubins. Peut-être que sous ses airs angéliques son interlocutrice usait en réalité d’artifices divers pour entourlouper les honnêtes citoyens !
Une rumeur montant des ruelles croissait peu à peu et semblait venir vers iels. Pâlissant légèrement, Calixte se demanda si leur horde de prétendants ensorcelés oserait prendre d’assaut les parois des bâtiments pour tenter de les retrouver.
« Quand je vous vois, ravissante dame, je me sens grandi… Face à votre indicible charme, mon amour est prêt à jaillir de moi, pour se déverser sur votre mirifique personne, et vous inonder de toute sa puissance. Oh, laissez-moi vous combler de mon... »
Non, décidemment, Dahlia ne pouvait supporter qu'on lui compte davantage fleurette. Ce fut alors que, tout en louvoyant entre les passants et leurs déclarations à la lubricité plus ou moins explicite, une idée émergea dans son esprit. Elle semblait les attirer au plus haut point, telle une jeune femme à l'apogée de sa beauté… Mais si elle n'était plus, ou plus entièrement, humaine ?
Sans attendre davantage, elle recueillit la concentration nécessaire à l'émergence de son pouvoir, faisant poindre des cornes au sommet de son encéphale, qui prirent peu à peu de l'ampleur. En parallèle, sa peau se tapissa progressivement d'une toison laineuse, qui grapilla chaque parcelle de son épiderme pour former un duvet dense et cotonneux. Hélas, elle n'avait pas encore fait l'acquisition du tatouage lui octroyant des sabots, mais ses attributs animaux restaient plus qu'évocateurs. Si avec ça, on continuait de l'assaillir avec cette fougue concupiscente, il y aurait de quoi se poser des quest…
« Oh, ma belle…-ier, je n'avais encore jamais vu de telles cornes. Si joliment spiralées, épaisses et robustes… je ne serai pas contre que vous me fassiez du rentre-dedans, héhé. Et votre laine semble douce comme de la soie. Par Lucy, que j'aimerais profiter de sa chaleur cotonneuse. Venez donc avec moi ce soir, et je ne vous laisserai pas le temps de compter les moutons... »
Les yeux de Dahlia s'agrandirent dans la plus parfaite sidération, et ses sourcils tutoyèrent le sommet de son front – à l'image de ceux, naguère, de l'inconnue dont elle avait croisé la route. Il y avait vraiment des individus avec de drôles de penchants, en ce bas monde. Plus qu'ébranlée dans sa foi en l'humanité, elle dissipa aussitôt la magie de ses attributs bestiaux, préférant encore recevoir des louanges sur sa beauté humaine – toute relative mais présentement transcendée par une magie manifestement à l'œuvre. Ce fut alors qu'une main vint se refermer sur la sienne.
« Vous m'éblouissez de votre grâce, ma dame… » Une vieille femme à l'attitude particulièrement pieuse la couvait de son regard scintillant d'admiration, et Dahlia n'eut pas le temps de s'y soustraire qu'elle poursuivait : « Votre peau à la douceur de la pêche. Je donnerai cher pour que vous m’initiez à votre routine beauté, sous toutes ses coutures. »
Une grimace courba les lèvres de Dahlia, tout cela devenait vraiment confondant. Ce fut alors qu'une voix émanant de ce qui semblait être… une trousse ? la tira de sa perplexité. Pour la noyer dans une circonspection plus vaste encore, face aux questions qui lui étaient destinées. Ce qui ne détourna aucunement l'attention de la dame âgée, qui poursuivit de plus belle :
« Je gage que cette parure-ci a l’éclat de votre chevelure éblouissante ; cette couleur d’un pâle presque nacré est absolument fantastique. Et… »
Dahlia glissa son regard sur la main qui s'était subitement posée sur son épaule, avec un empressement impérieux, et remonta jusqu'au visage de sa détentrice. Il lui avait bien semblé reconnaître sa voix, et elle fut à nouveau confrontée à ses traits bien trop familiers. Cette inconnue tout juste rencontrée était donc venue la soustraire à l'emprise passionnée de la vieille dame, une action plus que louable de sa part. Et concluante, ce qui soulagea grandement Dahlia. Les deux jeunes femmes n'étaient toutefois pas sans attiser l'intérêt d'autres personnes alentours, et Dahlia craignit à nouveau de se retrouver ballotée dans l'océan tumultueux de leurs amours exacerbées. Mais l'autre jeune femme avait manifestement un plan.
Après quelques mots égrenés avec concision, elle… l'affranchit de son enveloppe charnelle, pour la faire rejoindre une bille. Quelques instants plus tard, Dahlia en émergea, se retrouvant sur les hauteurs d'un toit en terrasse, accompagnée de ses familiers et faisant face à l'inconnue qui revendiqua une posture de paix. Avant de l'interroger impérieusement, une défiance tangible perçant dans sa voix.
« Alors non, je n'ai jamais souhaité de telles avances… même lorsque j'étais au plus mal de mon célibat. » se défendit Dahlia dans une moue vexée. « Merci de m'y avoir soustrait, cependant. Vous ne manquez pas de ressources. »
Jetant un œil en contrebas, Dahlia avisa la marée humaine grouillante qui se massait, peu à peu, au pied du bâtiment. Visiblement, sa comparse et elle continuaient de miroiter, tels deux astres jumeaux, les attirant irrémédiablement à elles.
« La magie à l'œuvre semble nous cibler toutes les deux… Je gage que la personne qui en est responsable doit sûrement avoir des griefs contre nous. Avez-vous… refusé les avances de quelqu'un, récemment, à tout hasard ? »
Dahlia n'entrevoyait pas d'autre piste qu'une vengeance, à vrai dire… Ou alors, elles avaient été juste frappées de malchance, et tout cela était le fruit de la volonté impitoyable de Lucy. Réalisant soudainement qu'elle n'avait pas eu le loisir de se présenter à sa partenaire d'infortune, la garde entreprit de combler cette lacune :
« Je m'appelle Dahlia Delancy, du régiment du Blizzard, au fait. Nous pouvons peut-être nous tutoyer, jusqu'à ce que nous parvenions à nous sortir de là ? »
Une chaussure écrasa les lèvres enhardies par la magie emplissant l’air, et la sérénade mourut dans un glapissement outré. Perplexe, penché-e aux côtés de Dahlia Delancy, Calixte arqua un sourcil incrédule à la vision de la marée humaine déferlant contre les reliefs de leur perchoir providentiel. Vue la détermination de leurs plus ardents prétendants, leur terrasse ne resterait pas longtemps terre de refuge. Quelques dizaines de minutes, tout au plus.
- Et du coup, pour ou contre la polygamie ? demanda joyeusement Apolline à la jeune femme aux yeux violines. Attention à la réponse, peut-être qu’elle décuplera les efforts de nos zombies énamourés.
- Calixte Alkh’eir, se présenta à son tour lo coursier-e en reportant son attention sur sa collègue, tout en gardant un œil circonspect sur les âmes survoltées commençant à escalader les murs. Du régiment Al Rakija. Je ne pensais pas croiser une collègue dans de telles circonstances, mais c’est tout de même un plaisir.
L’ambre de ses prunelles détailla avec plus de curiosité l’arrondit du visage lui faisant face, cherchant à retrouver la familiarité qu’iel avait sentie – et maintenant savait – présente. Delancy ; ce n’était pas un nom inconnu au sein de la Garde – voire au sein du Royaume, plus globalement – et Calixte savait que leurs promotions avaient été proches, voire jumelles. Et puis, Vaelin avait brièvement partagé le dortoir de la jeune femme. Satisfait-e d’avoir ainsi pu mettre en lumière cette zone d’ombre qui agaçait son esprit, l’espion-ne adressa un sourire plus sincère à sa collègue.
- Apolline, Abdallah et Vreneli, poursuivit-iel succinctement en indiquant tour à tour ses compagnons avant de river un regard interrogateur sur les silhouettes du glooby des glaces et du canitribus. Et sinon, je n’ai pas le souvenir d’avoir éconduit…
- Réno ? Pour le jeu du Poulet Enjoué.
- Il essayait – encore et très mal – de séduire Agatha. Et il n’a aucun pouvoir en rapport.
- Hélène, qui regardait entre tes jambes.
- … c’est elle qui t’a éconduite, toi. Examen obstétrical, ajouta-t-iel distraitement à l’adresse de Dahlia.
- Sémantique. L’homme de la Fesse’tiv’nière, hier soir ?
- Il essayait d’acheter les faveurs de la Garde, pas les miennes en particulier. Une assignation avec descente en milieu heu… sulfureux.
- Cherchait des faveurs oui, plutôt en nature même. Pas sûr que la nuit au trou – ahahahahahah – l’ait refroidi, lui. Entre les menottes, le cuir, les uniformes et les barreaux… L’a même dû demander du rab !
- Avec la boule de vision on peut vérifier tout le monde, adelphe, intervint Abdallah. Tu repenses à toutes les personnes à qui t’as mis des râteaux là – d’ailleurs c’pas cool, t’sais j’pense que Soly elle est ouverte aux nouvelles expériences dans votre vie sentimentalo-sexuelle – et on peut vérifier s’ils sont dans l’coin. C’pas génial pour l’intimité d’ceux qui sont innocents dans l’histoire, et ça manque certainement de régulation dans votre code de la Garde sur ce sujet, mais y a moyen de trouver une piste. En plus, c’est cool d’s’intéresser à c’que sont devenus les gens qu’t’as croisés, t’vois. Genre les Repetto d’y a une semaine : est-ce qu’ils sont partis à la Capitale pour y conquérir le marché de la danse, ou est-ce qu’ils ont tout claqué pour partir en voyage initiatique aux Archipels ? Le confort du luxe ou la liberté de la rupture ?
- Je ne vais pas vérifier l’environnement de toutes les personnes que j’ai croisées jusque-là, trancha Calixte dans un soupir exaspéré, bien déterminé à ne pas épiloguer sur sa vie intimement intime, tandis que son sac à dos poursuivait sa diatribe sur le nouveau dilemme moral à sa portée. Que ce soit le résultat d’un pouvoir, ou d’une magie ciblée ou hasardeuse, il finira bien par s’estomper avec le temps…
- J’vous aiiiiiiiiime ! hurla un preste jeune homme en enjambant la rambarde abritant l’humble terrasse où iels se trouvaient. J’vous aiiiiiiiiiime. Comme un fou, comme un soldat, comme le champion de l’arén…
Une main vindicative le tira en arrière et il rebascula pour s’écraser dans la ruelle matelassée des corps serrés de la foule amourachée. A sa place, l’aventurière de plus tôt leur adressa un sourire tout carnassier.
- Mesdames, il me faut insister. Le vide que votre absence imprime contre mon âme n’a que trop duré. Mon cœur se désespère de ne trouver le battement enflammé des vôtres à ses côtés. Ma chair se flétrit de ne pouvoir se nourrir de la brûlure de vos corps divins. Et il est une ardeur échauffant mon pelvis qui n’en peut plus d’attendre la fièvre de votre passion. Je vous le dis : vous et moi, ici et maintenant. Nul doute que vos formes voluptueuses mises à nues ne sauraient offenser l’œil de l’éventuel spectateur.
Autour du bâtiment, le rugissement bovin de la cohue ensorcelée les assura que l’éventuel spectateur était en réalité multiple, et que non, vraiment, la possibilité d’assister – voire participer – à une représentation de jambes en l’air ne le dérangeait nullement. Quelque part, la décence et les bonnes mœurs avaient été sacrifiées sur l’autel de la concupiscence magiquement décuplée.
- A nouveau, pardon, prévint tout juste Calixte avant de refaire fusionner sa collègue, et ses familiers, avec iel dans une perle.
- Ô éblouissantes minuscules courbes délicates, se languit l’aventurière alors que Vreneli claquait quelques éclairs menaçant avant de reprendre la route des airs.
Filant au-dessus de la tête des badauds étourdis d’amour artificiel, esquivant les mains s’élançant avec adoration vers la bille entre ses crocs, le teisheba s’éloigna loin dans les rues du Quartier Touristique, jusqu’à rejoindre les ruelles légèrement moins peuplées de la cité portuaire pour enfin gagner le calme relatif d’un parc situé non loin des quais maritimes. Là, le familier déposa son trésor au sommet d’un large palmier d’une dizaine de mètres de hauteur.
- Je ne suis pas certain que ce soit une excellente idée…
Cal et Dada pas sécurité au sol. Ni sur terrasse. Aller plus haut encore.
- Tentons… en dernier recours, j’imagine qu’on pourra toujours s’isoler en mer sur ma mini-barque, soupira lo coursier-e en les faisant tous défusionner.
L’affaire fut un peu périlleuse, et il leur fallut quelques contorsions prudentes avant de finir assis dos à dos, calés par les branchages solides de l’arbre entre leurs jambes. Le tissu de la robe légère de Dahlia dû être remonté de manière un peu cavalière à la racine de ses cuisses mais, étonnement, aucune des quelques âmes errant dans le parc ne semblait intéressée par l’étrange vision qu’ils offraient. Ni, pour le moment, d’escalader le palmier pour leur déclamer sa flamme.
- La vue est ravissante, nota Apolline, observant bien plus intensément la blancheur de la peau de la soldate que le panorama effectivement époustouflant.
- Il y a eu certains moments pourtant, tout à l’heure, où j’ai eu l’impression que le sortilège s’amenuisait, reprit Calixte comme si leur réflexion sur leur mésaventure n’avait pas été interrompue par leur fuite précipitée. Mais je n’arrive pas trop à savoir à quelle faveur…
Se tortillant un peu pour trouver meilleur assise, iel fit attention à ne pas imprimer contre Dahlia, qu’iel sentait collée contre iel de ses épaules à son bassin – iel avait basculé Abdallah contre son torse afin de gagner un peu de place – de malheureux mouvements risquant de la faire chuter de leur perchoir. Encombrée de son canitribus, son propre équilibre tenait de la gageure.
- A tout hasard : tu n’aurais pas de pouvoir particulièrement utile dans ce genre de situation ?
Y avait-il seulement un pouvoir expressément efficace contre une armée de soupirants ensorcelés ? A la réflexion, Calixte se demanda s’iel n’avait pas vu une boutique, non loin de la Guilde Commerçante, proposant des accessoires – des chaussettes-claquettes ? – permettant de repousser toute attention indésirable.
- Et tu n’as pas non plus de prétendant éconduit qui pourrait chercher à te le faire regretter ?
- Peut-être que c’est son – ou sa – chéri-e qui cherche à tester sa fidélité, nota Apolline avec enthousiasme. Hé Dada, il est comment ton, ou ta, chéri-e ?
- As-tu besoin d’un chapeau ? Ou de quelque chose pour t’abriter un peu des rayons du soleil ? embraya avec inquiétude l’espion-ne qui percevait du coin de l’œil l’éclat de la peau de sa collègue lui rappelant un peu trop bien celui de la neige.
Une neige qui, à défaut de fondre, risquait de brûler.
- J’espère que toute cette affaire n’a pas trop gâché ta journée au Grand Port, poursuivit-iel songeur-se. Y es-tu pour longtemps ?
« Plaisir partagé, je suis quelque peu soulagée d'affronter mon infortune aux côtés d'une collègue. Voici Keruberosu et Sheepy. »
Calixte revint alors sur ses derniers soupirants… Enfin, plutôt Apolline, à vrai dire, dont la languette s'avérait toujours aussi particulièrement pendue. L'évocation de certaines rencontres fit naître un irrépressible sourire à la commissure des lèvres de Dahlia, et elle ne manqua par ailleurs de noter la mention d'un examen gynécologique. Ainsi que d'une certaine Soly. Voilà qu'elle commençait à entrevoir d'assez près la vie privée de sa partenaire de circonstance, à peine aux prémices de leur rencontre, ce qui commença à faire poindre l'ébauche d'un malaise en elle.
Presque heureusement, l'échange des deux jeunes femmes fut toutefois interrompu. Par l'arrivée d'un jeune homme fougueusement enhardi, tout d'abord, qui fut très rapidement devancé par l'aventurière naguère croisée, qui se fendit d'une proposition particulièrement ardente. Bientôt approuvée par la rumeur animalement enthousiaste de leur nuée d'amants entichés. Cela sonna le signal de départ, et d'une impulsion magique induite par Calixte, Dahlia regagna à nouveau la quiétude de l'inerte.
Elle aurait presque souhaité y rester, pour une durée indéfinie, ainsi à l'abri de toutes considérations charnelles et sentimentales – elle était loin de se douter que même sous cette forme, on lui prêtait un charme rondement enjolivé. Mais, malheureusement, la réalité la rattrapa bien vite de nouveau. Dahlia reprit consistance au sommet d'un palmier à l'ample ramure. Au terme de quelques contorsions hasardeuses, l'ensemble du petit groupe y trouva un équilibre salutaire, bien que précaire et d'un confort tout relatif. Par ailleurs, la proximité soudaine qu'il impliquait instilla une inévitable gêne chez la garde, qui ne fut qu'attisée par les dires d'Apolline. Ses joues vivement empourprées, elle tenta d'étendre sa robe davantage sur ses cuisses, d'une main - sans grand résultat, sa tenue n'étant hélas indéfiniment extensible - tandis que de l'autre elle tenait fermement Keruberosu contre elle.
Abandonnant vite sa vaine entreprise pour recentrer son attention sur les réflexions émises par Calixte, Dahlia prit quelques minutes pour les considérer. Des moments où le sortilège s'atténuait ? Il y avait bien eu celui de leur télescopage, précédemment, durant lequel la foule s'était comme suspendue dans sa fiévreuse transe dévouée. Et, présentement, les passants ne leur prêtaient qu'un vague intérêt… mais cela pouvait être aussi bien dû à leur haute distance du sol.
« À mon grand regret, mon pouvoir ne nous sera d'aucune aide… Quant au prétendant éconduit, je n'ai guère que le souvenir d'avoir repoussé des soûlons de taverne, dernièrement. Je serai bien étonnée qu'ils en gardent un souvenir vindicatif... » La question d'Apolline sur son partenaire désireux d'éprouver sa fidélité provoqua une réaction spontanée, et elle rétorqua aussitôt : « Arthorias ? Non, impossible. »
La sollicitude de Calixte la toucha, lorsqu'elle s'inquiéta de la morsure incandescente des arcs du soleil sur sa peau laiteuse, mais Dahlia hocha négativement de la tête à nouveau.
« Merci, mais ça devrait aller. Si le teint écrevisse risque de n'être pas très seyant, il pourra peut-être au moins permettre d'éloigner ces incessants prétendants. »
Un vœu pieux, sachant que même sa laine n'avait suffit à calmer leurs ardeurs magiquement amplifiées, mais Dahlia continuait d'espérer malgré elle.
« Je n'y faisais qu'une courte halte, surtout en quête d'une trêve estivale. Malheureusement, la saison chaude s'avère rarement de tout repos, cette année encore… Et toi, tu n'avais pas une affaire trop pressante, ou une mission d'importance, qui a été interrompue ? »
Elles échangèrent ainsi ensemble, nichées sur leur perchoir de fortune qui leur offrait un répit bienvenu. Puis, lorsque la magie de Calixte fut à nouveau efficiente, elles retournèrent se fondre dans les billes de la garde, avant de se faire charrier par Vreneli dans un nouveau périple dans le ciel pur de Grand Port. Le teisheba s'approcha des quais, mais à peine effleura-t-il les crânes dégarnis des marins, qu'une clameur de compliments débridés retentissait à nouveau. Il se rabattit alors sur la dernière solution : une embarcation en mer. C'est ainsi qu'il les déposa au sommet du mât d'un navire. En reprenant forme, Dahlia s'empêtra dans l'entrelacs des cordages et des haubans, puis s'enroula autour de la vergue. Ainsi suspendue, elle réprima un haut de cœur qui s'accordait parfaitement au cadencement des vagues.
« Calixte ? Tout va bien ? » s'enquit-elle alors d'une voix inquiète.
Il n'y avait plus qu'à prier pour que l'équipage ne remarquât leur présence, et surtout, ne s'en éprenne pas trop.
- Fort heureusement – ou malheureusement, l’emploi des menottes anti magie de l’escouade aurait pu être utile dans cette situation – je n’étais pas en mission ni sur de quelconques impératifs.
- Ca aurait été cocasse que le sortilège ait pris au moment de ta consult’ obstétrique, nota Apolline. Tu crois qu’Hélène approuvera l’escalade de palmier en activité de femme enceinte ?
- Hélène n’a rien besoin de savoir à ce sujet, grommela l’espion-ne au souvenir de l’étudiante en maïeutique qui, après une première rencontre un peu paniquée devant tant d’atypie, avait fini par dévoiler, au fil des consultations, un esprit bienveillant mais particulièrement rigoureux voire sévère. Et techniquement, nous n’avons pas escaladé ce palmier.
- Sémantique. Hé Dada ; ton « Arthorias » c’est Boucle d’Or de la Royale ? T’sais qu’on s’est roulé un patin après notre assignation pour arrêter la Furie Rouge ?
- Repartons, décréta Calixte à l’adresse de Vreneli pour ne plus entendre parler de cette histoire de nichoir précaire, ni de celle des patins d’Apolline.
Iel n’avait visiblement pas pensé que le teisheba, dans le cheminement tout hasardeux de sa réflexion, les percherait en milieu encore plus vertigineux. Mais lorsque l’indication du familier effleura son esprit et que ses bras battirent des ailes qu’iel ne possédait avant de céder à l’instinct de fusionner dans la surface la plus proche, lo coursier-e dut se rendre à l’évidence qu’en dépit de son désir de protection se développant toujours plus, Vreneli avait encore du mal à apprécier ce qui pouvait s’apparenter à un espace sécuritaire pour des humains.
- Ca va, répondit-iel d’un ton légèrement suraigu, surpris, comme iel appréhendait leur nouvel abri.
L’azur des flots enlaçait de bras scintillants la coque louvoyante de l’embarcation dont iels squattaient les cordages en hauteur, isolant leur nouveau refuge de tout accès à la terre ferme et des soupirants qu’iels y avaient laissés. Néanmoins, le bateau était loin d’être grand, et bien qu’iels fussent perché-es à une douzaine de mètres au-dessus du pont où s’affairaient un petit groupe de pêcheurs, il aurait suffi que l’un d’eux levât la tête pour les surprendre. Pour surprendre Dahlia et les familiers. Cependant, les choppes bien remplies et rapidement vidées de breuvages colorés occupant autant de temps de passage entre les mains gâtées que les filets en préparation, avivaient la flamme d’espoir de discrétion de l’espion-ne.
- HééEEEéEéééé !
Pour, apparemment, pas très longtemps.
- Qu’est’ qu’vous faites-là ?! C’pas un bateau d’transport ! ‘fin si. Mais pas d’femme ! C’porte malheur en plus, s’époumona l’un des hommes en indiquant d’un doigt malpoli Dahlia cramponnée à la vergue.
- Arrête, Sardyn, fit l’un de ses collègues qui avait rivé un regard de merlan frit sur leur passagère clandestine. On transporte bien des thons ; et là c’beau thon ! Hé mam’zelle bouge pas, j’vais… ouais, bouge pas, en fait, poursuivit-il en suivant d’un œil bien trop intéressé les mouvements de robe imprimés par la houle et la brise marine.
- On va changer de véhicule, proposa Calixte dans un soupir. Visiblement c’est un environnement encore propice aux effets de ce fichu sortilège. Vreneli va nous dégager le passage, et je vais nous sortir une barque.
Attaquer ! s’écria le familier avec une joie hargneuse.
- Prête ?
Se rematérialisant transitoirement pour profiter immédiatement d’une fusion glissée calculée, lo coursier-e dévala le mât où iels s’étaient abrité-es sous un concert de sifflements et exclamations aguicheuses. Ces dernières virèrent cependant rapidement à une surprise endolorie lorsque les éclairs vindicatifs du teisheba emplirent l’air, et Calixte profita de ce temps de répit pour déployer sa mini-barque magique. Keruberosu fut le premier à y être poussé, puis Dahlia s’y aventura d’un pas rendu hésitant par le roulis – et les autres désagréments accompagnants celui-ci. Le bateau des pêcheurs amourachés imprima cependant un brusque sursaut sous les mouvements anarchiques de ses occupants, et la fuite des deux soldat-es prit une tournure particulièrement bancale. Dans un cri de surprise, l’espion-ne sentit l’espace entre les deux embarcations s’agrandir inéluctablement jusqu’à ce que ses pieds glissassent pour un plongeon tout en disgrâce dans les eaux alentours. Bien que celles-ci fussent agréablement échauffées par le soleil estival qui n’avait cessé de régner ces derniers temps, le choc de l’onde humide contre sa peau lui arracha une nouvelle exclamation ahurie. Ses doigts fermement arrimés contre la coque de sa mini-barque réagirent à nouveau instinctivement, et iel se coula dans le bois de celle-ci pour y trouver un abri salutaire. Après quelques secondes de repos pour calmer son palpitant, Calixte défusionna dans l’enceinte bien au sec du petit bateau.
- Dahlia ? fit-iel d’un ton inquiet comme seuls Keroberosu et Sheepy lui tenaient compagnie.
Se déplaçant avec précaution du côté où les deux familiers semblaient avoir repéré la jeune femme, iel jeta un coup d’œil vigilant à la crête des flots.
- Dahliaaa ?
- Je crois qu’Eli a dans l’idée de les pousser à l’eau pour joliment les y finir, intervint joyeusement Apolline.
- Quoi ? Non !
NON, ELI ! Donne-leur juste envie de ne pas nous poursuivre, mais n’électrise pas l’eau !
- Faudra lui demander si elle veut pas changer de régiment pour joindre celui des assignations plage et mojito, continua la trousse de cuir. Ça lui a certainement vendu du rêve tout ça !
À défaut de pouvoir la voir, les mots, concis mais rassurants, de Calixte ne tardèrent à lui parvenir, lui faisant expirer un souffle rassuré. Ils lui révélaient que la jeune femme se trouvait également en sécurité, ayant à nouveau pu activer sa faculté de fusion pour se mettre à l'abri, elle et le surcroît de vie qui grandissait en elle. Dahlia se demanda un court instant si la garde du régiment du Sud pourrait encore longtemps rester en poste, de par sa grossesse. Car ce qu'elles vivaient présentement n'était rien, en comparaison des dangers qui pouvaient émailler leur quotidien martial. Et ensuite, comment élever une progéniture en parallèle d'un tel travail ? Des questions que Dahlia n'était guère prête à affronter, pour sa part, si bien qu'elle n'escomptait pas y faire face de sitôt…
Extraite de ses pensées par l'attention des marins, en contrebas, qui avait hélas fini par se river sur elle, Dahlia accueillit favorablement le nouveau plan esquissé par sa collègue, toujours aussi richement pourvue en idées ingénieuses. Elles s'affranchirent ainsi du joug des voyeurs de façon… plus ou moins maîtrisée. La garde ne put retenir un cri de surprise teinté d'amusement en apercevant Calixte rejoindre inopinément l'océan dans un fracas d'écume, alors qu'elle tentait de monter sur leur barque de fortune. Mais son hilarité se dissipa bien vite, en voyant alors Calixte disparaître. Sondant la surface houleuse de l'onde, Dahlia craignit le pire, et décida de plonger à son tour afin de sauver sa récente amie peut-être aux prises avec une quelconque créature marine, qui aurait pu l'entraîner bon gré malgré dans les fonds marins.
Totalement immergée, elle explora en quelques ondoiements de jambes les alentours de la barque, regardant également sous celle-ci, sans déceler toutefois de signe de sa collègue. Remontant finalement à la surface pour aspirer avidement une goulée d'air, Dahlia put constater avec un soulagement non feint que Calixte était de retour dans leur embarcation.
« Heureusement, pas de Léviathan en vue. Dépêchons-nous de rallier la terre ferme. »
Une fois de retour au port, les deux jeunes femmes eurent la surprise de constater que les passants ne dardaient plus de regards énamourés vers elles, ni ne se fendaient de déclarations transies, à leur plus grand bonheur. Le charme, de quelle origine qu'il fût, s'était enfin étiolé, leur permettant de retrouver un semblant de normalité dans leurs existences. Elles décidèrent de fait de se quitter, après avoir échangé encore un peu sur leurs mésaventures, non sans être gratifiées des usuels commentaires un peu trop avisés d'Apolline. Mais ce déboire avait au moins eu le mérite de provoquer leur rencontre, et Dahlia espérait intérieurement que le destin entrelacerait leurs routes à nouveau, dans le futur.
« À la prochaine, Calixte… Et si on ne se revoit pas d'ici là, bon courage pour… la suite. En tout cas, si jamais tu fais une dépression post-partum, tu sais où, peu ou prou, retourner égarer tes pas... » plaisanta-t-elle avant de retourner aux portails de téléportation, peu désireuse de prolonger davantage son séjour au sud, après cette déconvenue. Voilà un incident qu'elle n'était pas prête d'oublier.