C’est la voix nasillarde du sale gamin qui vous a attiré dans ce traquenard qui vous sort de votre torpeur. Vous vous sentez étranges. Vous peinez à vous souvenir de ce qui vous a conduit ici, sur les quais, avant que toute cette histoire ne commence. S’agissait-il d’une mission pour la Garde ? De vacances bien méritées ? Vous vous rappelez en revanche que le marmot vous a cherché des noises, et que vous l’avez surpris qui plus est en plein vol de porte-monnaie un peu plus tôt. Manque de pot, il semble vous avoir piégé dans une ruelle adjacente aux côtés d’un(e) autre inconnu(e). Vous vous regardez d’ailleurs en fronçant les sourcils. L’autre n’était-il pas… Plus adulte au moment d’entrer dans cette satanée ruelle ? Vous baissez les yeux sur vos propres mains, votre propre corps, et comprenez enfin l’hilarité du garçon en face de vous.
Vous avez rajeuni. Et pas qu’un peu ! A vu de nez, vous semblez avoir entre 8 et 11 ans, et peut-être toutes vos dents. Cette information est moins sûre.
Il fanfaronne, car il est à présent plus grand que vous de deux ou trois ans. Vous apprendrez vite que la taille est primordiale pour faire sa loi dans les rues… Vous chercherez peut-être à faire usage de vos pouvoirs, mais vos objets magiques ont disparu et vos capacités personnelles sont instables, si ce n’est extrêmement faiblardes. Comme revenues aux temps premiers où vous deviez apprendre à les maîtriser.
Pietro Pon, tout habillé de vert sale, vous fait signe de le suivre. Une nuée d’enfants vous environnent déjà, apparus de nulle part à la manière d’une horde entourant ses proies. Vous avez semble-t-il mis la main sur une mafia entière de gamins… Ce n’est malheureusement pas tout, et vous découvrez malgré vous que dès que votre concentration s’étiole, vous perdez vos souvenirs d’adultes et vous êtes de plus en plus persuadés d’avoir toujours été un enfant des rues.
N’est-ce pas le cas… ?
Participants : Vrenn & Khalie
Challenge RP : Votre curiosité d’enfant vous démange, posez au moins une question par poste.
Il va voir, il ne perd rien pour attendre ce petit con que j’ai surpris la main dans le sac d’une pauvre dame qui avait de si tôt crier au voleur! Proactive, je ne me suis pas fait prier pour me mettre à sa poursuite et il semblerait que je ne sois pas la seule sur le coup. J’crois pas qu’il soit complice de ce dernier, mais il suit le gamin tout comme moi. Je pourrais utiliser mon pouvoir et tenter de le faire tomber ou du moins le ralentir, mais tel un petit rat, il se faufile entre les passants ce qui augmenterait les risques que je ne chope pas la bonne personne. Puis il y aussi le facteur que je n’ai rien sous la main ni en visuelle qui puisse m’être utile. Si on avait été à côté du marché, j’aurais pu prendre un drap, mais non! Puis un mètre soixante c’est pas jojo surtout quand tu es assez petite pour qu’on ne te voie pas par moment, mais trop grande pour te faufiler n’importe où. Je dois jouer du coude à quelques reprises en lâchant un « Pardon » à moitié désolé. En même temps, j’essaie de faire mon boulot de garde et on ne s’écarte pas de mon chemin! Un moment, faut être coopératif!
Mais alors que je crois finalement qu’on l’a choppé, je commence soudainement à me sentir étrange. Enfin, c’est sûrement dû à notre course poursuite, mais un regard sur mon voisin me fait plisser les yeux… Quoi? Puis je regarde mes mains un instant avant de rapporter mon regard sur le gamin qui est devenu étrangement plus grand que moi.
« Alors, on fait moins les malins ? »
Pourquoi il dit ça lui? Qui essaie de faire les malins? C’est plutôt lui qui est fait comme un rat… enfin, je ne suis plus trop sûre. Je touche mon front un moment essayant de me rappeler ce qui m’a poussée à emprunter cette ruelle et pourtant rien ne me vient à la tête si ce n’est qu’un début de migraine. Sauf que j’ai pas les moyens pour voir un guérisseur pour qu’il me donne des cachets… De toute façon, ils vont me chasser comme à l’habitude.
« Je me sens pas très bien, j’ai la tête qui tourne…
- T’inquiète pas ça va passer, aller, venez avec moi. »
Soudainement, plein d’autres gamins comme nous nous rejoignent et je lève les yeux d’incompréhension vers celui qui nous a trouvés. Est-ce que ce sont des enfants sans famille comme nous?
« Où est-ce qu’on va?, demandai-je.
- À notre planque! répondit le chef.
- Et c’est où? questionnai-je à nouveau d'une voix tout à fait innocente en le fixant de mes grands yeux.
- Un secret, d’ailleurs, bandez-leur les yeux jusqu’à notre arrivée! Ils doivent passer le rituel comme tout le monde pour pouvoir connaître nos passages secrets! me répondit-il d'un ton sec.
- Il va faire tout noir et j’ai peur du noir!
- Tu ne seras pas seule, on est là.
- D’accord, vous pouvez me tenir la main au moins? Je ne veux pas tomber. »
On me met un bandeau fait d’un tissu qui ressemble plutôt à un torchon, puis je sens une main se saisir de la mienne ainsi qu’une autre se poser sur mon épaule pour me guider. Je suis à la fois heureuse et apeurée. Je sais que je ne devrais pas suivre des inconnus, mais si nous sommes ensemble et que nous formons une bande, ce sera comme avoir une nouvelle famille, mais en bien plus grand!
Une nouvelle mission finie, quelques heures de repos avant d’enquiller la suivante, de retour à la Capitale, avec de nouvelles conneries à faire pour les patrons, des trucs finalement assez peu intéressants. Mais j’en profite pour l’instant pour flâner un peu dans les rues du Grand-Port, histoire de profiter du climat, plus clément sous ces latitudes, et de l’ambiance, toujours animée et cordiale, surtout dans les rues proches des quais, avec tous les marchands et les autres badauds.
Quand j’vois un gamin faucher une vieille, j’dois dire que j’ricane bien. Evidemment, en théorie, j’devrais le pourchasser et l’arrêter, puis rendre ses affaires à mamie. Mais dans la pratique, j’suis en repos, et il me rappelle moi au même âge, une belle petite crasse qui hésitait pas à délester ses aînés de leurs possessions terrestres afin de leur permettre de trépasser délestés de leurs possessions terrestres, voilà. Quelque part, j’étais un gentil, j’rendais service.
Y’a une garde qu’a l’air de lui courir après, ou une agent de sécurité privée, j’sais pas trop, m’en fous un peu, quelque part. Et quand on rattrape enfin le gamin…
C’est bizarre… ?
« Allez, on suit. »
J’ai l’impression d’avoir déjà vécu ça, les gamins des rues, les groupes, tout ça…
On a tous les deux un bandeau sur les mirettes, pour pas connaître l’emplacement de la planque secrète. C’normal, sinon les grands ils pourraient venir et nous prendre toutes nos affaires et nous faire ranger des trucs et mettre la table. Enfin, tous ces trucs-là, quoi. On tourne à gauche, puis à gauche, puis à droite puis… puis j’sais plus.
« Elle est bien la planque ? Que j’demande.
- Elle est trop géniale !
- C’est encore loin ?
- Non ! »
« Et là, c’est encore loin ?
- Encore un peu. »
« C’est encore loin, là ?
- On y est presque. »
« Et maintenant ?
- Stoppeuh !
- Mais je voulais savoir si c’était encore loin… »
J’sais que c’est important d’avoir une idée de si c’est loin ou pas, mais j’ai du mal à me rappeler pourquoi. En tout cas, j’veux vraiment savoir, c’est ça le plus important.
« On est arrivé ! »
Un gamin de huit ou neuf ans m’enlève le bandeau, et j’suis dans une baraque désaffectée, avec pleins d’enfants assis sur des bouts de bois, des rochers, certains ont des coussins, généralement ceux qui sont plus grands ou trappus que les autres. On a l’air d’être une bonne quinzaine ou vingtaine à vue de nez, en tout cas.
« Woah, mais c’est génial, ici !
- Oui, hein ?
- Trop cool ! On fait quoi ? On joue à quoi ?
- Ah, mais la même chose que tous les soirs… »
J’pose le doigt sur mes lèvres en réfléchissant intensément.
« Mais on est pas le soir, si ? »
Moment de flottement.
J’suis pas la seule à me poser des questions. Après tout, c’est la première fois qu’on m’emmène quelque part avec les yeux cachés. Enfin, heureusement qu’on me tient la main parce que sans ça, je serais peut-être tombée une bonne dizaine de fois. C’est qu’après de longues et interminables minutes plus tard qu’on arrive finalement. J’suppose en fait. On nous enlève les bandeaux et je dois me frotter les yeux pour y voir quelque chose. On est dans une vieille baraque et celui qui s’était retrouvé dans la même situation que moi continue de les questionner.
Je glisse mes mains dans mon dos et je les laisse jouer entre elles avec nervosité. Faut dire que c’est intimidant de se retrouver ici devant tous ces gens.
« Et…et on fait quoi tous les soirs? Que je demande en brisant le moment de silence.
- Nous allons festoyer! Fêtez la venue de notre nouvelle sœur et notre nouveau frère dans notre famille!
- Woa! Une fête juste pour nous?
- Pas que pour vous, mais pour tout le monde! Mais vous devrez passer l’épreuve comme tous ceux qui se trouvent ici! »
C’vrai qu’il y avait une épreuve. J’avais presque oublié. Je déglutis péniblement comme si c’était la chose la plus difficile qui m’avait été donné de faire et j’ouvre de grands yeux gris incertains.
« Vous devez avant tout nous prouver que vous êtes dignes de la bande! Vous allez devoir préparer vous-mêmes le festin de ce soir! »
Le festin? Je regarde autour de moi et je lève timidement l’index pour compter toutes les personnes qu’il y avait… Un, deux, trois, six, huit, quatre, sept… Oufff ça fait beaucoup, j’ai du mal à tous les compter. Normalement, je dois m’assurer d’avoir à manger que pour moi, mais devoir préparer à manger pour tout le monde?! Je suis pas sûre de pouvoir y arriver.
« Vous vous d’mandez certainement, comment et où vous allez avoir la nourriture pour cela? Vous inquiétez pas, on a tous travaillé aujourd’hui pour nous préparer à ça. Micky va vous amener là. »
Évidemment pas l’temps de niaiser et je sens une main s’poser sur mon épaule. Micky c’est l’gamin qui nous a mis et enlevé l’bandeau. Il nous fait passer au travers d’un couloir aussi crade que le reste, on marche sur des débris voir même des déchets ou nous amène dans ce qui est supposé être la cuisine. Y’a pas vraiment de fourneau et j’pense qu’on n’aura même pas accès à l’eau. Y’a qu’un grand comptoir avec deux bancs pour nous aider.
« T’es le bras droit? Que je lui demande.
- On peut dire ça, en tout cas, tout ce que vous avez d’besoin est là-bas dans les sacs de toile. J’vous conseille de faire vite. On est pas mal tous affamés. »
Et il repart nous laissant tous les deux seuls.
Malheureusement, pour les deux gamins, ils ne savent pas réellement dans quel plat ils venaient de mettre les pieds. Peut-être que cela leur donnerait l’impression d’avoir enfin un sentiment d’appartement, mais ça, c’était que la petite mise en scène pour attiré leur confiance avant de les faire travailler comme tous les autres.
« Tu sais faire à manger ? Moi je sais pas. Enfin, j’ai déjà aidé Papa à faire des trucs, mais c’était surtout lui qui faisait, hein. Mais c’est normal, aussi, le comptoir, il était trop haut. Du coup, tu sais faire des trucs ? »
J’m’arrête quelques instants pour réfléchir. J’sais sûrement faire des vrais trucs.
« Je sais comment on fait des yaourts à la confiture ! On prend de la confiture, et on la met dans le yaourt, et c’est super bon, j’te promets ! Enfin, t’en as peut-être déjà mangé. Mais il faut faire ça avec les yaourts de la porte sud, ils sont meilleurs, plus frais. C’est pasque Théodule, le fermier, il a un pouvoir en rapport avec la conserve et les produits lactatotrucs. C’est un mot, lactalier ? »
Peut-être pas.
« En tout cas, avec ce qui sort des vaches. Pas le caca, le lait. »
J’me rends compte que je parle beaucoup, probablement à cause de la situation. J’fronce les yeux.
« Bon, arrête de parler, faut qu’on fasse un vrai festin de roi pour nos nouveaux copains ! »
Ne jamais montrer qu’on peut se faire marcher dessus, j’suis encore dans les p’tits, mais j’le sais déjà. Plus on se laisse faire, et plus on se fait faire, comme dit Nioh. Et c’est pas cool, de se faire faire. Avec autorité, j’m’approche du grand sac, et j’l’ouvre. Sur le dessus, y’a un grand cageot avec pleins de trucs verts et rouges.
« Beurk, des légumes. Et, euh, des fruits, je crois ? Ca, c’est une pomme. Le truc avec des piquants partout, par contre, aucune idée de quoi c’est. Tu saurais, toi ? En tout cas, j’suis sûr c’est pas bon. Ça ressemble à un truc d’adulte. »
La pire des insultes, que c’est, ça.
« Tu sais comment ça se coupe ? Et ça se cuit ? Attends, mais on a de quoi faire du feu ? De l’eau ? Des trucs pour faire cuire ? »
J’regarde autour, mais à part le sac et des tables et chaises qui sentent le moisi, sans déconner, y’a que dalle.
« Merde, merde, merde, pute borgne… »
C’est un juron que j’ai entendu des grands dire, ça doit être grave, du coup.
Avec un peu d’aide, j’sors le cageot de l’immense sac, pour voir des jambons et des grosses pièces de viande en-dessous. Avec un grognement, j’les soulève, et en-dessous, y’a des trucs avec pleins de couleurs dans des petits sachets.
« Des bonbons ! On est sauvé ! On va pouvoir leur faire un super festin ! »
Je glisse ma main contre mon front en voyant tout ce qui se trouve dans le sac. L’autre apporte des points importants! Comment on est sensé faire à manger si on n’a rien. Ça ressemble à une cuisine, mais y’a plus rien d’une cuisine. En tout cas, elle n’est pas aussi grande et belle que celle qui se trouvait chez moi.
« J’sais faire quelques trucs. Maman voulait m’apprendre à tenir une maison, mais elle a jamais voulu que je touche au feu. »
Enfin, il parle beaucoup le nouveau. Ça doit être le stress, une vraie pipelette! C’est comme ça que mère m’appelait tout le temps. En tout cas, je rapproche les bancs pour qu’on puisse monter dessus et je grimpe sur ce dernier sans trop difficulté. J’ai quand même plus cinq ans!
« J’crois pas qu’on ait de yaourt là-dedans ni de confiture. Mais c’est important d’manger des fruits et des légumes! Alors il faudra en couper! »
Par contre, j’sais pas trop quoi faire de l’espèce de bidule tout piquant. J’essaie de l’attraper, mais à peine les mains posées dessus que je le lâche! Ça, ça va rester dans le sac!
« Respire et calme-toi! Ça ne serait pas un défi si on avait tout cuit dans le bec!! Ils veulent savoir si on est débrouillardaire! »
Enfin, je pense que ça se dit comme ça. Enfin, mis à part des bonbons, il doit bien y avoir autre chose, non? Je le regarde sortir la nourriture du sac et remarque le jambon.
« On pourrait faire des sandwichs au jambon! Est-ce que tu as vu du pain ou du fromage? Enfin, j’vais regarder aussi. »
Je descends de mon banc et l’approche du sien pour qu’on n’est pas à se battre pour voir les choses, puis je remonte aussitôt dessus. Des bonbons, c’est pas trop nourrissant, mais j’imagine qu’on pourra en faire un bol pour le dessert. Enfin, je fouille dans le sac vite fait et trouve une baguette de pain. Puis c’est vrai que si y’a pas de yaourt, y’aura sûrement pas de fromage. Ça se gaspillerait. Et la viande, elle? Est-ce qu’elle est séchée au moins?
« On pourrait couper des fruits et des légumes, faires des sandwichs au jambon et en dessert un grand plat rempli de bonbon, t’en penses quoi? Enfin, tu crois que la viande peut se manger comme ça? »
Puis j’ai une idée de génie!
« Je sais! Aide-moi à ramasser des débris de la maison! On va essayer de faire un feu! Ils pensent qu’on va rien faire cuire, mais nous on est malin et on va les surprendre! Ils vont tellement être impressionnés qu’ils ne pourront pas nous jeter dehors! »
J’ai déjà allumé un feu dehors sans rien, seulement du vieux bois sec, et j’imagine qu’on pourra en trouver dans ce taudis. Je me mets donc à chercher tous les morceaux qui prendraient feu et je les mets dans l’espèce de poubelle métallique. J’suis sûre qu’on pourra en garder le contrôle. Enfin, une fois ça fait, je sors qu’une seule de mes petites dagues de ma petite pochette en cuir et je la donne à mon camarade.
« Tu veux bien commencer à préparer la viande? Mais fais attention, ça coupe! »
Je prends finalement le bout de bois le plus rond que je peux trouver et commence à le frotter sur un bout de bois plat juste à côté, comme ça dès que je vois du feu, je le jette dans ma poubelle et hop le tour sera joué!
Ma copine, elle décide qu’il faut couper des trucs. Vrai que j’ai déjà un couteau, comme les grands, et que j’sais presque m’en servir aussi bien que les autres ! Enfin, presque, dans quelques années quand j’serai grand aussi, quoi. Mais c’est déjà pas mal, après tout. Reste que couper les légumes, en vrai, faut faire ça comment ? On va faire des cubes et des tranches, ce sera très bien. Y’avait ça, avant, quand on allait encore à l’école, même si c’est fini depuis genre deux ans maintenant.
« Mais les légumes, c’est pas super bon, si ? Surtout cru. Puis faut les rendre bon avec de la sauce et tout… Et on n’a pas de sauce et tout… »
Khalie, elle laisse retomber aussi le machin dur et piquant avec la tête verte et les picots jaunes. De toute façon, on sait pas ce que c’est.
« Ca se trouve, c’est un piège, une feinte pour vérifier si on connaît ! Et en fait c’est pas mangeable. Ouais, c’est sûrement ça ! »
Elle propose de faire des sandwichs avec la viande. Vrai que c’est bon. Papa, il m’en a déjà acheté. Et il faut faire du feu pour cuire le tout, mais je sais pas faire du feu, moi. Nous, quand on veut du feu, on appuie juste sur le cristal magique, et ça fait pouf ! Mais Papa et Maman, ils ont dit que j’avais pas le droit, puis de toute façon, c’est un peu trop haut pour que je réussisse à l’attraper.
« Tu vas faire avec juste du bois comme ça en le frottant fort ? T’es super balaise en fait ! Ben je vais couper, alors. Je fais des bouts comment ? Comme des bouts de pain ? Je vais aussi faire ça ! Couper le pain pour faire les sandwichs ! On n’aura qu’à mettre les légumes à côté. Genre, ça, le truc vert, je suis sûr ça se mange cru aussi, j’ai déjà vu mes parents le faire. »
J’pointe du doigt l’amas de légumes vert, sans savoir lequel précisément. De toute façon, c’est pas grave. Le couteau à la main, j’commence par virer les bouts qui ont l’air un peu pourri, genre le brun qui tombe un peu en miettes liquides. J’serre les dents et j’tire la langue, tout concentré sur mon œuvre. Puis, une fois les grosses tranches coupées, je les mets de côté avec le pain, et j’commence à regarder le gros jambon. A côté, y’a un peu de fumée qui s’élève des bouts de bois, donc on va p’tet même pouvoir le cuir pour de vrai !
Toujours concentré, j’commence à couper mes gros morceaux de jambon. Mais il est coriace, alors j’suis obligé de peser de tout mon poids pour réussir à en faire quelque chose, et faire en sorte que ce soit possible de le chauffer ensuite.
« Tu t’en sors ? J’ai déjà fait trois bouts ! »
« C’est pas grave, ça ajoutera de la couleur... » que je réponds par automatisme. J’ai souvent entendu les grands dire ça par moment quand quelque chose n’allait pas avec certaine chose. Puis bon, pourquoi ramener des légumes et des fruits si ce n’est pas pour les manger? Moi tant que je peux avoir quelque chose dans le vendre, si ça se mange et je sais ce que c’est, je prends et j’fais pas la difficile.
Enfin, je m’installe donc rapidement après avoir vérifié vite fait le contenue du sac et décidé du menu du soir et comme on est malin et qu’on ne veut pas se faire jeter à la rue, je fais tout mon possible pour leur offrir un bon repas et pas que des trucs non préparés, froids et sans goût!
« Fait comme tu le sens. C’est un travail d’équipe, après tout. Mais faut qu’il y en aille pour tout le monde. Tu te souviens combien ils étaient? »
Du coup, je m’installe devant mes petits bouts de bois et les frottes rapidement ensemble, mais ça prend du temps tout ça. Il a même le temps de presque tout couper que je n’ai pas encore réussi à enflammer mon bout de bois, mais ça ne saurait tarder! J’ai confiance! Ça peut être long alors je me concentre encore plus! La langue sortie sur le coin de la bouche, les sourcils froncés, je redouble d’ardeur jusqu’à ce que ça commence à fumer.
« Super! Que je m’exclame dans un premier temps, autant pour moi que pour sa question. J’y suis presque. »
Je vois une petite flamme lécher rapidement le bout de bois et me dépêche de mettre un vieux bout de papier non loin pour essayer de l’alimenter. Je souffle doucement dessus puis dès que ça prend, je me dépêche, mais avec douceur tout mettre dans le sceau métallique que j’ai trouvé. Je souffle dessus pour l’alimenter davantage et me relève enfin.
« Tu veux que je m’occupe des cuissons? » que je demande. J’sais que ça a toujours été mon père qui s’en était occupé et il a toujours dit que le barbecue c’était une affaire d’homme. Bon, mon feu de poubelle est moins impressionnant et à une drôle d’odeur, mais c’est mieux que rien.
Mais bon, vous savez, je voyais peut-être un peu grand et faire du feu dans une maison qui tombe en débris n’était peut-être pas l’idée du siècle. Le pire dans tout ça, c’est qu’on n’a pas d’eau pour le contrôler en cas de besoin et vous l’aurez devinez, à peine me suis-je détourner de ce dernier, qu’une grande fumée noire se mit à envahir la pièce jusqu’à ce répandre dans les couloirs. Les petites flammes prirent un peu plus d’ampleur.
« Aaaah! Vite, il faut empêcher les flammes de s’échapper! » Que je me dis dans un moment de panique. À ce moment je cherche de tout. Des bouts de bois supplémentaire pour essayer de l’étouffer, sauf que ça ne semble que l’alimenter, je tente de frapper avec les autres bouts de papier journal que j’ai roulés, mais la chaleur devient insupportable. Je me brûle le bout d’un doigt et dans le mouvement de douleur, je frapper du bout du pied la poubelle qui se renverse sur le côté.
« Hey merde! »
C’est d’ailleurs à ce moment que les autres décident d’arriver.
« Mais qu’est-ce que vous foutez!?
- Il faut fuir, vite! M’écriai-je en dernier. »
Moi, j’aime pas trop les côtelettes. Et du coup, j’veux pas finir comme ça. J’veux rester bon, ça serait drôlement plus cool. Pas pour nourrir mes copains, ça, ils peuvent crever. Juste, pas être nul, quoi.
Quand le feu commence à se répandre, j’cherche tout autour comment l’arrêter, mais j’trouve rien. Khalie non plus, d’ailleurs.
« Merde, merde, merde, on fait quoi ? »
J’crois qu’elle m’entend même pas, dans la panique, et c’est rapidement tous les autres qui arrivent. Mais le feu, il est déjà sur les planches mitées, sur les rideaux troués qui pendouillent tristement aux murs, et il monte vers le toit et sa charpente toute moisie. Les grands jettent des vêtements ou des verres d’eau sur les flammes, mais c’est trop tard, et ça passe à travers le tissu et l’eau fait juste un sifflement de vapeur en s’élevant tout de suite sans rien éteindre.
Il fait super chaud.
« Faudrait pas partir ? »
Le chef hésite, il se mordille le coin de l’ongle. C’est sa cachette secrète et on a tout cassé, je pense qu’on va pas être pris dans le gang, en fait…
« Pol, Hartir, prenez la bouffe ! Sami, Momo, venez m’aider pour le butin ! Les autres, sortez discrètement ! »
Tout le monde s’agite pour lui obéir, et ses quatre lieutenants principaux filent pour s’organiser, s’y mettant à deux pour soulever l’imposant morceau de viande, sans les petits bouts que j’ai déjà coupés. Eux, j’les ramasse et j’les fourre dans ma bouche. Un peu sec, mais plutôt bon, j’dirais. Papa, il dit toujours qu’il faut pas gâcher la nourriture.
On sort dans le désordre, et dehors, il fait nuit, maintenant. Donc on voit vachement bien les flammes qui s’élèvent tout autour de nous. On discute, on crie, on chahute, en zonant à côté. Y’a quelques adultes qui sont là, mais ils font pas grand-chose, alors on va se blottir en face, sous un bout de toit qui dépasse. On attend encore les autres.
Ça fait bien cinq minutes qu’on attend, quand on se rend compte qu’autour, en fait, y’a beaucoup de gardes. Ils essaient pas vraiment d’éteindre le feu, par contre, juste d’empêcher qu’il se répande aux autres maisons, et comme elle était un peu isolée, ça marche plutôt bien. Puis y’en a quatre qu’arrivent en tenant Sami, Momo, et notre chef. Enfin, je suppose que non, vu qu’on n’a pas été pris dans la bande, pasqu’on a raté le défi…
Les deux premiers se débattent, mais le troisième pend mollement avec une paire de menottes aux poignets. J’cligne des yeux. Ça m’dit quelque chose, ces menottes…
Puis toute la perspective change. Là où j’regardais tout d’en bas, j’suis vachement plus haut vachement vite, jusqu’à ce que mes yeux soient à la même hauteur que ceux des gardes et que ma mémoire me revienne. J’sens un truc qui gratte sur ma joue, et j’me rends compte que c’est ma barbe. Puis tout se remet en place doucement.
Oh putain.
Sous les regards des gardes et des badauds, la bande de gamins cradingues et mal élevés redevient une bande d’adultes plus ou moins perdus. Nous, c’était que quelques heures, mais si les autres, c’était plusieurs jours, ça doit leur faire tout drôle…
« Oui, c’était bien lui, le coupable, fait un des gardes en secouant le menotté.
- Appelle les renforts, va falloir s’occuper de tous ces gens. »
Un sacré bordel. J’montre ma plaque de garde aux collègues.
« C’était le gamin qui enlevait les gens et les faisait travailler pour lui ?
- Oui. Plusieurs semaines qu’on était sur sa piste. L’incendie nous a permis de voir la bande d’enfants, et ça a suffit pour qu’on le ramasse en train d’essayer de s’enfuir discrètement par l’arrière et les cristaux et les bijoux.
- Ben… Bien joué, collègue.
- Ahah, merci. Et faites gaffe, la prochaine fois, de pas vous faire…
- Oh, merde, quoi, que j’réponds en rigolant. »
Il a pas tort, mais il était pas obligé de le dire.