Ma vie chez Lyle est plutôt paisible. Une routine qui forge mon caractère autant que mon corps. Je pourrais certainement me contenter de forger toutes mes journées, tenir le magasin et écouter les enseignements de mon maître. Pourtant, cela ne me suffit pas. J'ai des projets, des envies d'évoluer. Ces idées ne se feront pas seules et surtout sans débourser quelques cristaux. Ma vie à la forge ne me permet pas pour l'instant de gagner beaucoup d'argent, je suis déjà nourrie, logée et blanchie en plus de recevoir les cristaux des ventes de mes créations. Rien d'extraordinaire, des petits gains que je mets de côté lentement, mais qui s'épuisent rapidement dès que j'ai besoin de faire une petite dépense pour ma vie quotidienne.

Reprendre mes missions d'aventurière a donc été une évidence très rapidement après le début de mon apprentissage. Je pensais un moment arrêter cette vie d'aventures, mais le besoin de récolter des cristaux est pour l'instant trop important pour moi. Même si j'ai trouvé plusieurs bons plans et contacts pour mes projets, j'ai besoin d'un bon investissement de départ. De façon régulière, je me rends au bureau de la guilde des aventuriers se trouvant à la forteresse. J'épluche les offres de missions à ma portée dans le secteur, mais aussi des missions pouvant me rapporter plus si je trouve des compagnons d'aventure ou si je voyage à travers le royaume.

C'est ainsi que j'ai trouvé l'offre de Vivianne. Une enchanteresse réclamant une escorte pour faire le plein d'ingrédients dans les montagnes. Une mission à la fois simple et complexe. J'ai la vie de cette femme entre mes mains et le poids de sa sécurité sur mes épaules. Mais j'ai appris à connaître les montagnes au fil des lunes et je me suis renforcée en continuant de suivre les entrainements donnés par Rid et Java. J'ai finalement accepté cette offre, voyant aussi l'occasion de tisser un lien avec une enchanteresse. À la forge de Lyle, nous n'utilisons pas la magie ou n'enchantons pas les armes, mais rien ne dit que je continuerai ainsi une fois que j'aurai ma propre forge. Ce contact peut s'avérer précieux pour l'avenir.

Je suis arrivée en avance au lieu de rendez-vous que j'ai donné à ma cliente. Une petite taverne proche du portail de téléportation de la forteresse, un lieu plutôt bien fréquenté où l'on ne risque pas d'être importuné par le premier homme bourré. Je me suis installée à une table en ne commandant qu'un verre d'eau. Le tavernier m'a un peu regardé de travers avant de remarquer le médaillon d'aventurière à mon cou. Sans une remarque de plus, il m'a servi mon verre et m'a laissé m'installer à une table. Je suis proche de l'entrée, de façon à être remarquée rapidement par ma cliente.

Je prends ce temps d'avance pour réviser mon équipement. Je porte ma robe d'aventurière habituelle, celle qui me permet de me battre et mouvoir aisément. Même si sa couleur n'est pas vraiment recommandée, car trop salissant. Je n'en ai que faire, mon net'noix sert à cela. Masquer ma présence ? Je n'en ai pas besoin aujourd'hui. Exceptionnellement, je porte une armure légère au niveau du torse et des bras, une protection basique que je teste avant d'appliquer à mon projet d'armure pour Sio. Mes cheveux sont relevés en une longue queue de cheval, laissant ainsi ma fleur parfaitement visible pour quiconque entrera dans la taverne. A côté de moi, mon sac sans fond contenant beaucoup d'équipements en tous genres et une longue lame rangée dans son fourreau.

Je relis rapidement les informations que j'ai sur ma cliente ainsi que celles que je lui ai fourni. Outre le lieu et l'heure du rendez-vous, je lui ai indiqué ma couleur de cheveux ainsi que la présence de ma fleur à la place de mon œil, un signe distinctif unique et reconnaissable entre tous. L'heure de notre rendez-vous est proche, je commence alors à guetter toutes les personnes entrant dans la taverne, à la recherche d'une femme correspondant aux quelques informations que j'ai sur Vivianne. Quand enfin je repère une silhouette féminine semblant correspondre à la description de ma cliente, j'affiche un sourire et fais signe à cette personne pour qu'elle me repère.

Le froid mordant balaya le visage de l’enchanteresse lorsqu’elle passa le portail de téléportation. La ville était bien éloignée du climat tempéré dont elle avait l’habitude à la Capitale, mais ce n’est pas pour autant qu’elle grelotait comme les sudistes qui avait traversé avec elle. Elle ne leur accordait pas vraiment d’intérêt d’ailleurs, trop occupée qu’elle était à contempler les arches de l’immense portail magique qui la fascinait depuis toujours. C’était un ouvrage d’exception qui pliait l’espace à la volonté des hommes. Tout le monde les voyait comme d’obscures constructions qui échappaient à l’entendement, mais la curiosité de la vieille femme ne pouvait s’arrêter à une conclusion aussi basique. Voilà plus d’un siècle que Vivianne se passionnait pour eux et elle n’en avait pas encore fini. Elle se promit de faire un tour à l’académie en rentrant.

Elle descendit les marches de l’esplanades en regardant autour d’elle pour repérer l’auberge qu’on lui avait indiqué. Elle connaissait toutes les principales villes du royaume comme sa poche, mais le nom des commerces changeait au fil du temps. La dernière fois qu’elle était venu elle était sûr qu’il y avait une teinturerie à cet endroit, mais c’était il y a 20-25 ans ? Elle ne savait même plus. Ou alors c’était l’année dernière … On avait beau traversé l’éternité, la mémoire humaine restait imparfaite. Il lui arrivait de poser ses souvenirs sur papier pour ne pas les perdre à jamais durant son interminable existence.

Je poussai la porte de la taverne et retirai doucement ma capuche. Je sentais que mon chignon n’était plus vraiment en place, alors je prenais soin de retirer ma broche pour les libérer. Ils tombèrent sur mes épaules, légèrement humides. Le froid avait condensé l’eau dans ma chevelure au moment où j’avais changé de climat à la sortie de la téléportation. Une main dans le fond de l’établissement attira mon regard, mais ce qui me captiva le plus était la splendide fleur qui ornait le visage de la jeune femme qui m’interpellait. Une lumière de curiosité s’alluma dans mon regard. Voilà, un pouvoir pour le moins surprenant, j’étais avide de savoir ce que cette fleur pouvait bien cacher. Une petite dissection peut-être …

L’enchanteresse s’assit à la table qu’on lui indiquait. Elle semblait bien fragile du haut de ces vingt-trois ans et n’avait vraiment pas l’‘air d’une aventurière.

« Sia Zmeï je présume ? demanda-t-elle d’une voire claire et calme. Enchantée, je suis Vivianne. »

Elle rassembla sa chevelure avec ses deux mains pour la faire passer au-dessus du dossier de la chaise et ainsi être plus libre de ses mouvements.

« J’imagine que vous savez pourquoi vous êtes ici ? J’ai fait en sorte d’en dire le maximum dans ma demande de quête comme je ne crée aucune surprise. Je sais que les montagnes sont un endroit dangereux alors j’espère pouvoir compter sur vous ma protection. »

Elle lui adressa sont plus beau sourire d’innocence. Elle était payée pour ça, mais toutes les sommes du monde n’empêchaient pas les gens de prendre la fuite quand leur peau était en jeu. Et quand on savait quels genres d’horreurs vivaient dans les montagnes, on tait en droit de douter. C’était un peu comme si la déesse Lucy avait fait un classement des animaux de la création et avait prit le bas du panier pour le placer au hasard entre les montagnes et l’autre côté de la frontière.

« D’habitude je me fournis auprès de spécialistes, mais j’entame la semaine prochaine un tout nouveau projet de recherche en alchimie. Et j’aimerai tester de nouvelles méthodes de récolte et de conservation. Nous irons chercher des Phume dont j’extrairai la sève ainsi que des Lux-Ianuam. Ces dernières tapissent les grottes, je compte donc sur vous pour que leurs occupants ne viennent pas me dévorer pendant que les récolte. Vous avez des questions ? »

Elle écouta ses réflexions si elle en avait avant de finir.

« Le paiement se fera par la guilde, mais j’aime toujours ajouter un petit bonus pour les aventuriers qui m‘accompagnent. Vous aurez donc droit à une réduction pour un enchantement personnalisé si vous le désirez. »

J'observe la femme me rejoignant. Elle est belle, vraiment belle, dans la vingtaine, une magnifique chevelure couleur bleue, des traits fins et élégants. Elle n'a absolument pas la carrure d'une aventurière ou d'une guerrière, peut être même plutôt d'une noble. Il y a un certain charme qui se dégage d'elle, de l'élégance et quelque chose d'autre sur lequel je n'arrive pas à mettre le doigt. Je l'observe jusqu'à ce que sa voix me ramène à la réalité. Quand elle se présente, je me contente de hocher la tête silencieusement. Quand elle fait ce mouvement avec sa chevelure, je ne peux empêcher mon regard de suivre son geste. C'est encore sa voix qui me ramène à la réalité alors que mon esprit semblait commencer à s'égarer. Je hoche à nouveau de la tête et je tapote légèrement du doigt sur la table tout en écoutant attentivement ses explications.

La phume est une plante dont j'ai appris à apprécier les saveurs depuis que je vis chez Lyle. Lorsque nous faisons le tour du marché, il n'est pas rare que l'on s'en procure des petites quantités pour remplacer les piments. Il m'est aussi arrivée d'en trouver une petite quantité en explorant le pied des montagnes. Extraire la sève des phumes ? Je hausse légèrement un sourcil en entendant cela. Je suis légèrement curieuse de cela, mais cette partie de l'escorte semble la plus simple. Vient alors la partie que j'ai redouté le plus en voyant l'annonce. Récolter des lux-ianuam dans les grottes. Les grottes, c'est un endroit que j'évite en général. Loin de la lumière, ma capacité de régénération passive est réduite, je ne peux compter que sur ma capacité de me soigner immédiatement si quelque chose arrive. Et l'obscurité, le manque de place, la pierre humide et glissante, mais surtout la possible faune y résidant. C'est l'une des parties les plus dangereuses des montagnes. Beaucoup de créatures se réfugient en ces lieux. Et en fin de saison chaude, beaucoup de créatures commencent à préparer leur nid pour affronter l'arrivée de la saison froide.

Elle me demande alors si j'ai des questions. Je prends un instant pour réfléchir avant d'enfin faire entendre ma voix.

« À vrai dire, j'en ai deux. »

J'observe l'enchanteresse dans les yeux, ma pupille scrutant attentivement sa réaction. Elle semble légèrement plus vieille que moi, mais ici je suis celle ayant le plus d'expérience avec les endroits où nous nous rendons.

« La première : avez-vous beaucoup d'équipements à transporter pour ces récoltes ? Comprenez bien que si nous devons fuir une créature ou une situation périlleuse, et pour assurer votre sécurité au maximum, je ne peux laisser une grande quantité d'ustensiles vous ralentir. Je n'ai pas l'impression que vous ayez un sac sans fond avec vous. »

Mon regard vient observer son équipement pour appuyer mes propos.

« Alors si tel est le cas, je peux vous laisser utiliser un peu de place dans le mien. Si vous avez aussi besoin de faire un tour au marché avant que nous partions pour une quelconque raison, cela est possible. Je préfère que vous soyez certaine d'avoir tout ce dont vous avez besoin avant que nous ne commencions à nous enfoncer dans les montagnes. »

Je vais une légère pause et prends une gorgée dans mon verre d'eau, le terminant au passage.

« Deuxième question : savez-vous vous défendre un minimum ? Si on vient à se retrouver dans une situation périlleuse où je ne peux pas vous porter immédiatement secours, je veux m'assurer que vous puissiez au moins être capable de fuir et vous protéger un minimum. Les grottes peuvent être de véritables pièges, alors je tiens à vous ramener en vie et en un seul morceau. Ce sera mon objectif, le reste ne sera que secondaire. »

Je regarde Vivianne avec un air des plus sérieux. Contrairement à elle qui affiche un magnifique sourire innocent, je dois donner une impression de grande froideur et de détachement. Quand on me voit ainsi, on m'imagine difficilement pouvoir afficher un énorme sourire commercial et devenir très chaleureuse envers les clients que l'on reçoit à la forge. Mais ici, je n'ai pas besoin d'avoir l'air jolie et gentille, je dois protéger la vie de cette femme, et j'espère bien qu'elle me prend au sérieux pour pouvoir respecter mes consignes le moment venu.

Elle continue en parlant du paiement. Je hausse à nouveau un sourcil en entendant qu'elle propose des réductions sur les enchantements. J'essaye de masquer mon soudain intérêt. Évidemment que les enchantements m'intéressent, c'est en partie pour cela que j'ai accepté cette escorte. Connaître un enchanteur a toujours un grand intérêt. Je ne suis pas capable d'enchanter d'armes ou d'objets, mais pouvoir l'apprendre ou avoir un contact régulier en étant capable, cela est un véritable avantage. Un avantage que je ne peux laisser échapper si je veux construire ma forge comme je l'entends. Et puis, j'ai un objet dans mon sac que j'aimerais faire enchanter. Je ne sais pas jusqu'à quel point les enchanteurs peuvent faire des miracles, mais j'en suis réellement curieuse. Il faudra que je puisse discuter avec elle des enchantements que je recherche si l'occasion se présente.

Je pense que nous avons abordé les différents points nécessaires, et nous sommes certainement prêtes à partir. Je dépose quelques cristaux pour payer mon verre et relève ensuite le regard vers la jeune femme.

« Une dernière chose avant que l'on se mette en route. Si je vous demande de fuir, faites le sans discuter. Comme je vous l'ai dit, votre survie et votre sécurité est ma seule priorité. Si je vous demande de fuir ou de vous cacher, c'est dans ce but. Je ne tiens pas à vous donner des ordres de manière tyrannique, simplement à vous protéger. Et n'ayez crainte pour ma propre survie ou pour mes possibles blessures. »

Ce dernier point étant maintenant clair, je me relève et récupère mon sac ainsi que mon arme que je garde pour le moment à la main. Si l'enchanteresse est prête nous pouvons partir maintenant. On peut aussi faire un rapide détour au marché. Il est encore tôt et nous avons pas mal de marche qui nous attend si l'on ne veut pas devoir camper dans les montagnes ce soir. Pas que le camping me dérange, simplement que l'endroit devient plus dangereux à la nuit tombée. Plus tôt nous partirons, plus tôt nous serons rentrées et en sécurité.

Elle avait l’air si jeune … Un bébé qui essayait de se faire passer pour une adulte. Le regard de l’enchanteresse resta bienveillant durant tout l’interrogatoire. Si cela pouvait la rassurer, Vivianne se prêterait au jeu. A vrai dire, l’enchanteresse utilisait l’aventurière plus comme une excuse que parce qu’elle avait besoin de sa protection. Elle n’était pas rompue au combat, son pouvoir l’empêchant de développer des talents durant ses cycles de vie, mais elle connaissait ces montagnes comme sa poche. Elle y avait passé une longue période de sa vie. Période pendant laquelle, elle avait fui la garde pour mener des expériences toujours plus borderline. Elle aurait pu s’y rendre seule et esquiver les dangers dans leur majorité, mais cela aurait été louche. Comment une enchanteresse née et ayant vécu à la capitale aurait pu se promener si aisément dans les montagnes du nord sans aucune escorte ? Cela n’aurait pas manqué d’attirer l’attention.

Elle sourit.

« Je n’emporte que quelques bocaux remplis de liquide pour la conservation, un scalpel pour disséquer les plantes et une paire de ciseau pour les cueillir, nul besoin d’un sac sans fond. Cela peut être étrange venant d’une enchanteresse, mais il est bon de savoir se débrouiller sans parfois. Merci d’avoir proposé. Et pas besoin de passer par le marché, j’ai pris tout ce dont j’avais besoin pour que nous partions au plus tôt. Je n’ai guère envie de passer la nuit en montagne. »

Les propriétés des sacs sans fonds faisaient qu’on ne pouvait y ranger d’êtres vivants. Des plantes fraîchement cueillies pouvaient entrer dans cette catégorie et Vivianne voulait justement étudier leur décomposition lorsqu’elles étaient conservées hors d’un contenant magique. Inutile de donner les détails à cette Sia, l’herboristerie devait être le cadet de ses soucis vu son regard sévère. Vivianne le soutint, toujours bienveillante. Un léger sourire se dessinait sur ses lèvres quand elle entendit la deuxième question.

« Je peut manier une arme, mais je crains de ne pas être d’un grand secours contre un grognours et ma magie ne s’étant toujours pas déclarée je ne peux même pas compter sur mon pouvoir. Cela pose-t-il problème ? Devrions-nous prendre un aventurier en plus ? »

Mes sourcils se levèrent pour accompagner la fausse inquiétude que j’essayais d’imiter. J’avais fini par opter pour cette stratégie en l’emmenant doucement sur le chemin du doute. Elle se rendrait peut-être compte qu’elle se posait bien trop de questions, nous n’allions pas non plus traverser la frontière, si ? Au moins elle s’était ressaisie et avait décidé qu’il était temps de partir. Parf … Sa dernière question me fit lui jeter un regard circonspect. Et s’en m’en rendre compte les mots sortirent tout seul de ma bouche.

« C’est votre sécurité qui devrait rester votre priorité. »

Le visage de Vivianne était indescriptible lorsqu’elle avait prononcé ces mots. C’était comme s’il avait vieilli l’espace d’un instant. Sa voix avait changé, plus grave. Et si Sia essayait de paraître sérieux, elle remarquera bien vite que la gentille enchanteresse était elle aussi très sérieuse, mortellement sérieuse. Il n’y avait rien de plus insupportable pour elle que de voir quelqu’un sacrifier sa vie pour un travail. C’était pour elle une preuve de soumission intolérable.

« Je ne vous ai pas engagé pour me comporter comme une enfant qui part pourchasser les papillons en pleine forêt. Rassurez-vous, je suivrai vos directives. Si tout est claire, je propose que nous y allions. »

L’enchanteresse n’en dit pas plus et ne laissa pas le temps à l’aventurière de répondre. Elle s’élança fièrement à l’assaut du froid et l’espace d’un instant, la petite vendeuse de magie avait laissé place à la femme centenaire qu’elle était. La masque d’innocence revint assez rapidement, détendant ses traits et redonnant sa jeunesse à son expression. Elle avait horreur de voir une personne sacrifier sa vie et sa liberté pour si peu de chose. Il y avait des causes qui méritaient qu’on se sacrifie pour elle, mais l’argent n’en était pas une.

Vivianne avança en tête jusqu’aux grandes portes de la forteresse. A partir de là, elle laissa bien volontiers le rôle d’éclaireur à Sia. L’alchimiste était restée silencieuse, le temps de redevenir la gentille Vivianne qui pleurait quand Aslander réclamait une ristourne. C’était ça sa vie maintenant.

Ce n’est que quand les routes pavées firent place à des chemins forestiers que Vivianne brisa le silence.

« Dites moi Sia, je ne voudrais pas être indiscrète, mais l’érudite que je suis ne peux s’empêcher de se questionner au sujet de votre fleur. A-t-elle des propriétés particulières ? »

C’était un moyen comme un autre d’ouvrir la conversation après ce long silence.

Je hoche la tête à la réponse de l'enchanteresse, pas besoin de détour par le marché. C'est parfait. Je n'ai moins non plus aucune envie de dormir dehors ce soir. Si je peux finir cette mission dans la journée et même rentrer à la forge avant la tombée de la nuit, je pourrais dire que la journée aura été plus que rentable. Je n'ai pas spécialement envie de devoir débourser les cristaux que je viens de gagner en auberge et autre restauration... J'arque légèrement un sourcil quand elle me dit que parfois il y a du bon à ne pas utiliser les objets magiques. J'ai l'impression d'entendre mon maître un instant, mais sa justification est bien plus logique que celle de mon maître.

Son léger doute vient légèrement me vexer. Non, pas besoin d'un autre aventurier, nous n'allons pas dans des endroits si dangereux, même si les grottes peuvent réserver bien des surprises. Au moins, l'enchanteresse peut se battre pour sa vie. Elle dit aussi ne pas avoir de pouvoir encore déclaré. Ce n'est pas une chose rare, néanmoins j'avoue être étonnée que vu son métier, elle n'ait pas encore eu la chance de développer sa magie. Ce n'est pas si grave, au moins je suis rassurée sur le fait qu'elle protégera sa vie si besoin. Cependant, son changement de ton me surprend. Elle n'est plus si douce et deviens presque autoritaire, me rappelant un peu ma mère quand je lui dis que si je me blesse, ce n'est pas si grave. Je ne réponds rien et me contente de hocher la tête silencieusement quand elle propose d'y aller.

La jeune enchanteresse redevient plus douce et part devant en affrontant le froid extérieur. La saison froide n'est pas encore installée, mais déjà le vent est bien plus frais et les monts enneigés se font plus nombreux à mesure que les jours passent, le niveau de la neige descendant toujours plus en altitude. Le chemin jusqu'à la sortie de la ville se fit dans le silence, je n'avais pas grand-chose à dire. Pour l'instant, nous étions sur des chemins sécurisés et bien gardés. L'alchimiste me laisse passer devant avec un air innocent sur les traits dès que nous passons les portes de la forteresse.

Nous marchons encore un temps dans le silence. Mon expression est plutôt neutre, observant simplement nos alentours et les surveillants alors que nous progressons sur les chemins pavés empruntés régulièrement par de nombreux marchands. Nous finissons par les quitter pour gagner des sentiers s'enfonçant dans des parties plus boisées rejoignant les flancs des montagnes les plus proches. Un chemin familier qui me permet de gagner la forge Obsid, sauf qu'ici je bifurque pour m'enfoncer dans les bois que j'ai pu explorer ces dernières lunes. Nous marchons à un bon rythme et en une petite demi-heure, nous devrions gagner un premier point de récolte.

La voix de Vivianne finit par briser le silence et vient s'ajouter aux bruits des feuilles dans les arbres. Je souffle un petit rire à sa question. Beaucoup de personnes se posent des questions sur ma fleur, mais peu osent me les poser directement en me rencontrant pour la première fois. Les réactions varient entre les regards curieux, les envies de toucher ou le fait d'éviter de fixer ma fleur pour se concentrer sur mon unique œil. Venant d'une érudite comme elle, cela ne m'étonne guère qu'elle soit plutôt curieuse.

« Oui, elle est liée à mon pouvoir. »

Je mets un nouveau silence entre nous, me concentrant sur les environs plutôt calmes. Beaucoup d'animaux ont déjà quitté les bois pour rejoindre des régions plus chaudes, d'autres se préparent un nid douillet pour la saison froide, on peut tout de même entendre des petits rongeurs bruisser dans les feuilles s'accumulant au sol et fuir à notre approche.

« Je l'ai depuis ma naissance. Elle me fournit une énergie magique qui augmente ma capacité à me régénérer quand je suis exposée à la lumière. »

Une bonne façon de résumer ma capacité. Je ne tiens pas à donner plus de détails que cela, si la jeune femme est curieuse elle posera bien des questions, je n'en doute pas. Je continue d'avancer silencieusement en esquivant un rocher au sol. Nous approchons ensuite d'un tronc s'étant couché sur le sentier que nous empruntons. L'énorme arbre semble être tombé malade et a fini sa chute ici suite à une tempête. Peu de bucherons exploitent cette partie des bois, si bien que le tronc doit être là depuis plusieurs semaines. J'escalade cet obstacle avec prudence. Son écorce se détache déjà et l'humidité de la saison fraiche rend sa surface glissante. Je passe de l'autre côté et tend ensuite une main en direction de Vivianne.

« Faites attention, c'est légèrement glissant et trompeur. »

Je ne tiens pas à ce que ma cliente se foule une cheville alors que nous n'avons même pas encore atteint le premier point de récolte.

« Hum hum, marmonna Vivianne pour seule réponse. »

Elle avait un pouvoir de régénération, voilà qui était très intéressant. Evidement, la réponse de l’aventurière avait soulevé plus de questions qu’elle n’en avait répondues. La curiosité de la vieille dame était inextinguible et il était évident qu’elle ne pouvait s’arrêter là.

« Une telle forme de coexistence entre un corps humain et végétal est rare, particulièrement quand il ne s’agit pas d’une hybridation. Dans ce sens, vous êtes unique. »

Quel lien pouvait-il y avoir entre cette fleur et le reste de son corps ? Était-ce seulement une fleur ou une partie de corps qui en a l’apparence. Je promenais mon regard sur ses traits, alors qu’elle me tendait la main pour m’aider à descendre. Est-ce que cette fleur est relié à son nerf optique ? Et à son cortex occipital ? Rah, ce qu’il pouvait être rageant de ne pas savoir, si seulement je pouvais la disséquer ou au moins la voir de plus prêt …

Un craquement se fit entendre et l’écorce pourri se déroba sous les pieds de Vivianne qui chuta en avant tombant sur l’aventurière qui l’avait averti juste avant. Elle se rattrapa in extremis avant que sa tête ne percute le visage fleuri de Sia. Elle plongea son regard dans le sien quelques secondes et on put voir une étrange lueur dans ses yeux avant que Vivianne ne s’écarte le regard de nouveaux plein d’espièglerie et de curiosité.

« Ouf, merci, cette écorce était vraiment traitresse en effet ! rit-elle de bon cœur. »

Elle ne fit aucun commentaire sur leur soudaine proximité qui n’avait duré que quelques secondes et elle s’avança à travers les arbres pour débouché sur la vallée. Le terrain était plat, encadré par deux grandes montagnes qui vous faisait vous sentir si petit. Vivianne prit une grande bouffée d’air frai. Les montagnes, bien que froide et gelée, restaient son endroit préféré d’Aryon. Principalement par ce qu’elle faisait un territoire parfait pour disparaître sans laisser de trace. L’endroit rêvé pour une femme en fuite, mais elle ne l’était plus … Elle s’était échappée et maintenant elle était devenue une citoyenne respectable.

Un sourire se dessina sur ses lèvres à cette pensée.

« Vous êtes originaires de ces montagnes ? J’ai eu comme l’impression que vous connaissiez notre chemin par cœur ? s’enquit la jeune femme l’air de rien. Nous devrions trouver des Phum un peu partout au pied de ces montagnes. Vous connaissez un point particulièrement fourni ? »

Vivianne s’avança hors de la forêt, revoyant le ciel pour la première fois quand soudain un sifflement retentit dans les airs. La flèche frôla la joue de l’alchimiste et vint se planter dans le tronc d’un pin derrière elle. Les yeux de la magicienne se plissèrent quand plusieurs formes humanoïdes semblèrent apparaitre de nul par autour des deux voyageuses.

« Des bandits, bah voyons … cracha Vivianne pour elle-même. »

Il ne leur fallu pas longtemps pour les cerner de toute part, l’enchanteresse jetait des regards assassins à droite comme à gauche. Cherchant à cerner à quel genre de criminels ils avaient à faire. Ils étaient quatre, mais la petite illusion de tout à l’heure pouvait tout aussi bien en cacher d’autres. Vivianne se tourna la tête vers l’aventurière. Elle ne ferait pas le poids contre autant de personnes, il valait peut-être mieux se laisser faire ou fuir …

Je suis unique. Une sorte de compliment qui me fait rougir un très court instant avant que je ne reprenne mon sérieux. Je ne suis pas une hybride, contrairement à ma petite sœur. Au début je le pensais à la façon dont ma fleur m'aide à me régénérer, mais à force d'essais et de questions à des personnes spécialisées, il semblerait qu'elle et moi vivons dans une sorte de symbiose. On ne m'a jamais étudié de prêt, particulièrement parce que je n'ai jamais laissé personne m'approcher ou me toucher dans ce but. Certains ont évidemment exprimé leur curiosité comme Vivianne, mais j'ai toujours répondu négativement à ces propositions. Est-ce que la jeune femme va profiter de cette escorte pour essayer de se renseigner sur mon pouvoir ? Je ne serais pas totalement contre, j'aimerais aussi en apprendre plus sur mes capacités pour les améliorer et les manipuler plus facilement.

Quand j'aide l'enchanteresse à passer ce tronc, ce que j'avais anticipé arriva tout de même. Cet obstacle traitre fait glisser la jeune femme que je rattrape plus ou moins bien. Si je pouvais éviter de me retrouver avec une cliente à la cheville tordue juste après le début de notre course, ce serait agréable... Je ne dis rien quant à la proximité physique et désagréable que j'ai avec elle, ne faisant même pas attention à cette lueur dans son regard. Je prends sur moi et serre les dents pour l'aider à descendre sans se blesser. Elle reprend toute son espièglerie qui me donnerait presque l'impression d'une enfant qui s'amuse.

J'observe le dos de ma cliente alors qu'elle s'avance et semble admirer le paysage et profiter de l'air bien différent de celui de la Capitale. La ville ne me manque pas, j'ai rapidement pris mes marques en étant ainsi loin de tout, comme si c'était un lieu fait pour moi. J'ai grandi en ville, mais il semblerait que je sois destinée à vivre au grand air. À sa question sur mes origines, je souris.

« Non. Je viens de la Capitale. Je vis dans les montagnes depuis plusieurs lunes et les parcourent presque tous les jours. Et j'ai déjà récolté des phumes quelques fois pour des commandes ou pour les utiliser en cuisine. »

Il faut dire que Lyle aime particulièrement la cuisine épicée et le piment ce n'est pas forcément donné puisqu'ils viennent du sud d'Aryon pour la plupart. Alors quand je suis tombée sur des plants de phumes pour la première fois, je me suis renseignée sur ses feuilles que je savais épicées. Il s'est avéré qu'en pleine saison, il y a des requêtes déposées à la guilde pour en récolter. Évidemment, j'ai essayé de toujours laisser un bon nombre d'individus dans les coins que j'ai trouvés, histoire que les plantes puissent continuer de se reproduire et proliférer pour pouvoir en retrouver plus tard. Je ne tiens pas à complètement détruire un rare coin que j'ai pu trouver de ces plantes qui ne sont pas forcément faciles à trouver.

« Heureusement, en général on n'a pas besoin de beaucoup alors juste prendre un ou deux individus suffit. Je sais qu'il y a plusieurs endroits où ces plantes pousseraient et ceux qui les connaissent les gardent assez jalousement. Je vais nous emmener dans un des plus fournis que j'ai pu trouver pour que vous puissiez avoir un peu de choix. »

Tout est calme, presque trop. Et cette petite conversation avec Vivianne endort légèrement mes sens. Si bien que quand la flèche fend l'air et frôle ma cliente, je sursaute et instinctivement je me mets en position défensive en sortant mon arme, me rapprochant de la jeune femme. C'est déjà trop tard et nous sommes encerclées. Des bandits, comme si nous avions besoin de ça. Déjà que les montagnes ne sont pas toujours très amicales, nous n'avons pas en plus besoins du premier gredin qui veut détrousser le premier promeneur. Je soupire tout en réfléchissant. Je distingue quatre silhouettes. Je pourrais sûrement me battre contre eux et m'en sortir, mais je ne peux pas protéger ma cliente en même temps. Il ne me reste que l'option de la fuite ou de nous rendre.

Je fais un pas en arrière et essaye de guetter une ouverture. Une nouvelle silhouette apparait alors, nous coupant toute fuite ou option de retrait. Nous ne pourrons pas nous enfuir sans risquer des égratignures. Je claque ma langue d'agacement alors que je vais devoir choisir l'option de me rendre. J'ai horreur de ce sentiment d'être tombée dans un piège aussi nul, telle une débutante. Je m'approche un peu plus de Vivianne et essaye de chuchoter pour qu'elle seule m'entende.

« Essayons de parlementer, et dès qu'il y a une ouverture, on fuit. »

Je me mets alors dos à elle, essayant au moins de couvrir ses arrières. Je lève alors mes mains, sans pour autant lâcher mon arme.

« Nous sommes aventurières. On n'a pas de cristaux sur nous. »

Les deux femmes étaient cernées. Les bandits, toujours plus nombreux, s’approchaient sans rien dire, ignorant les suppliques de Sia. Une main attrapa une pierre et la brandit en l’air.

« Attention ! cria Vivianne. »

La pierre s’abattit sur le crâne de l’aventurière inconsciente du danger et elle s’effondra dans l’herbe, assommée. Vivianne se tient derrière elle, la pierre dans la main, légèrement tâchée de sang. Elle jeta la pierre dans l’herbe en soupirant.

« On avait dit une meute de loups, pas des bandits.

- C’est quand même vachement plus réaliste avec des bandits, lui répondit une voix dans le vide. »

L’air se brouilla et un homme d’une cinquantaine d’années apparut, vêtu d’une cape et d’une capuche de voyageur. Son visage était barré de quelques cicatrices, symbole d’un passé dans la garde ou le mercenariat. Vivianne le dévisagea, visiblement pas très étonnée de sa présence.

« Sauf que les bandits, généralement on les dénonce à la garde qui envoie des unités. Et je n’ai pas besoin de t’expliquer pourquoi ce serait gênant Afreed … »

Vivianne darda son regard sur le mercenaire avant de se pencher sur l’aventurière inconsciente pour vérifier qu’elle ne l’avait pas trop abîmée. Elle la retourna avec son pied et admira la magnifique fleur qui ornait son visage.

« Et je peux savoir pourquoi on se fait chier pour une gamine qui se prend pour une aventurière ?

- C’est très simple mon cher, cette gamine possède un pouvoir unique. Celui de transformer l’énergie solaire en énergie de soin. Pas besoin de t’expliquer en quoi cela nous serait incroyablement utile n’est-ce pas ?

- Pourquoi s’emmerder alors qu’on a les potions de soin ?

- Je ne te parle pas de soin, mais de régénération cellulaire, de jeunesse ét … oh et puis laisse tomber. Occupe-toi de la porter jusqu’à la grotte. Et donne-lui le sédatif, j’aimerais pas qu’elle se réveille lorsque je commencerai l’extraction ! »

Vivianne sortit une fiole de sa poche et la lança à son sbire qui s’empressa de la faire couler dans la bouche de l’évanouie. Il la chargea ensuite sur son dos et suivit Vivianne.

~~~
« Sia, Sia, Sia ! Réveille-toi ! dit-Vivianne en poussant l’aventurière évanouie sur le sol. »

L’enchanteresse avait le visage en sang, un filet d’hémoglobine avait coulé sur la moitié gauche de son visage, collant ses cheveux ébouriffés à son crâne. Son visage était sali de terre et seul un petit sillon de propreté s’était creusé sous ses yeux, probablement grâce à l’écoulement de ses larmes. Elle secouait Sia cherchant désespérément à la réveiller. Sia ouvrit en fin son unique œil et Vivianne soupira de soulagement au point que de légères larmes perlèrent dans ses yeux.

« Oh merci soit la déesse ! »

Vivianne l’aida à s’asseoir. Si l’enchanteresse faisait pitié à voir, sa garde du corps l’était tout autant. À la place de sa fleur, un énorme bandeau cachait une orbite désormais vide. Un peu de sang tachait le bandage, mais la blessure semblait propre, pour l’instant. Vivianne recula pour lui laisser un peu d’espace.

« Je suis tellement désolée Sia, ils … ils … ils m’ont obligé à l’extraire, sanglota-t-elle. »

Ses pleurs résonnèrent dans la caverne où elles étaient enfermées. De l’autre côté des grilles de leur prison, on pouvait apercevoir un petit établi sur lequel une perle brillante scintillait. L’endroit était couvert de sang séché, mais étrangement cette perle rayonnait comme un petit soleil étincelant, comme si elle avait stocké la lumière de l’Astre lui-même pour éclairer ce lieu sombre et humide.

« Il voulait la contrer dans un une bille parfaite, si je n’avais rien fait ils l’auraient extraite par eux-mêmes et … oh par Lucy je suis désolée … »

Vivianne ne s’arrêtait pas de s’excuser, totalement inconsolable. Malgré ses pleurnicheries, on pouvait entendre des pas qui s’approchaient au loin. Leur impact se répercutait sur les murs de pierre de la grotte. Vivianne se tut quand un homme déboucha du couloir sans leur accorder le moindre regard pour s’asseoir devant l’établi et observer la perle à l’aide d’une loupe.

Un instant j'étais en train de protéger ma cliente et essayer de négocier avec des bandits dont je ne voyais pas le visage et l'instant d'après j'étais au sol. Tout se passa rapidement et tout devint sombre. Je ne sentis même pas la sourde douleur qui se propageait dans mon crâne. Tout devint brumeux et incompréhensible. J'entendis des voix comme lointaine sans pouvoir distinguer à qui elles appartenaient ou ce qu'elles disaient. Et puis d'un coup, il n'y avait plus rien. J'avais l'impression de flotter, d'être dans une espèce de boue sombre dont je ne pouvais m'extraire. J'étais prise au piège dans un lieu complètement noir et où je ne pouvais bouger. Aucun son, aucune lumière, pas une sensation. Seulement ce sentiment de vide.

Et puis une lumière se fit enfin. J'entendis mon nom et des sensations revenir petit à petit. Mon corps entier était parcouru de fourmis, je ne savais pas ce qui s'était passé. Quand j'ouvris l'œil, tout était flou. Une voix me parlait, mais je n'arrivais pas à comprendre ce qu'elle me disait. Il me fallut un moment pour reconnaitre Vivianne. Le temps que ma vue réussisse à faire la mise au point, mais aussi qu'un espèce de sifflement que j'entendais se calme. Ma tête était lourde, et à vrai dire, c'était l'ensemble de mon corps qui semblait lourd.

Je me rappelle alors l'escorte de l'enchanteresse et le fait que je devais la protéger. Je me rappelle vaguement les bandits, puis c'est le vide. J'ai affreusement mal au crâne et les paroles de la jeune femme ne font aucun sens dans mon esprit. Je me relève péniblement avec cette impression que mon corps a du mal à me répondre. Je regarde ma cliente qui est sale et en pleurs. Elle semble réellement soulagée de voir mon état, mais je peux lire aussi de la peur sur son visage. De mon côté, c'est l'incompréhension la plus totale.

« Combien... »

Ma voix est coupée par une quinte de toux. J'ai la gorge sèche et je cherche du regard mes affaires pour espérer avoir ma gourde fontaine à portée de mains. Je me racle la gorge et déglutit avant de reprendre la parole.

« Je suis inconsciente depuis combien de temps ?... Non. Allez-vous bien ? »

Je peste intérieurement avant de me frotter le crâne, je n'ai pas de moyen de la soigner et je n'ai même pas de potion de soin. Je sens alors le bandeau qui m'entoure la tête. Je sens comme un fourmillement à la place de ma fleur et une douleur pour lancinante sur le crâne. C'est quoi ce merdier ? Mon cœur se met à battre la chamade alors que les paroles de Vivianne se mettent à faire sens dans ma tête. Je n'ai plus ma fleur. Je regarde l'enchanteresse pleurnichait à côté de moi, mais de mon côté tout se mettait à défiler trop vite. On m'a arraché ma fleur. Pire. Vivianne a ouvert ma peau pour la sortir de mon corps.

J'ai d'un coup un haut-le-cœur, réalisant ce qu'on m'a fait. C'était moi que l'on voulait. On a voulu me capturer. Pourquoi ? Je relève le regard vers l'homme qui observe une étrange sphère. Je ne sais pas de quoi il s'agit et je déglutis difficilement. Si on m'a arraché ma fleur pour une raison ou pour une autre, c'est dans un but précis. Je n'ai que peu parlé des effets de mon pouvoir depuis mon arrivée à la forteresse, mais je ne l'ai pas caché non plus. Je n'ai jamais pensé que l'on pourrait convoiter le végétal qui habite mon corps. Je retiens une envie de vomir et tourne mon regard vers Vivianne, complètement livide et tremblant légèrement à cause de mes nausées.

« Comment ?... Comment l'avez-vous enlevé ? Et... depuis combien de temps ? »

Je ne comprends pas cette histoire de bille, mais s'ils voulaient la mettre dans une boule en verre, ils allaient être déçus. J'ai arraché ma fleur à de nombreuses reprises par le passé, la détestant et n'acceptant pas d'être si différente. Je préférais être une simple borgne qu'un pot de fleur sur pattes. Il y a une chose que j'ai toujours pu noter, après un certain temps ma fleur se fane complètement. Bien plus rapidement que si on coupait une fleur normale. Le plus long que j'ai pu observer était une bonne heure avant qu'elle se mette à flétrir et s'assombrir en quelques minutes, comme si elle allait partir en poussières au toucher. Je ne l'ai pas retiré depuis plusieurs lunes, alors avec un peu de chance, elle tiendra plus longtemps.

Perdue, voilà ce qu’elle était. Je regardais Sia derrière mes larmes de crocodile, s’inquiétant tantôt pour moi, tantôt pour elle et tantôt de la situation. J’avais mis des heures à extraire sa fleur pour en garder l’essence. Cueillir une fleur ne suffisait pas quand elle était de nature magique, il fallait en garder l’essence qui était la seule chose intéressante qui pouvait être utilisée en enchantement. J’avais été surprise que la fleur de Sia se prête aussi bien à ce genre de transformation. La bille produite était gorgée d’énergie solaire, signe que sa fleur était arrivée à pleine maturité. Cela donnait un condensé d’énergie très puissant, mais parfaitement inutile sans les enchantements pour la canaliser. J’avais bon espoir de pouvoir l’utiliser pour créer un conduit permettant de transmettre des énergies de soin. Peut-être en l’incorporant à du métal via un lien runique …

« Trois jours … je crois. Je ne sais pas vraiment, la lumière du soleil n’atteint jamais cet endroit. Mais j’ai compté les rondes des gardes et j’en ai déduit à peu près le temps qu’on a passé ici. Je suis tellement désolé … »

Vivianne se remit à pleurer à chaude larme pour retarder au maximum le moment où elle allait devoir répondre à sa question.

« Il allait le faire avec … oh mon dieu ces sagouins … Alors j’ai proposé de l’extraire, proprement une simple section avant la base neurale, comme … une plante normale, pour qu’elle puisse repousser. Pitié, dites-moi qu’elle va repousser, que je ne vous ai pas mutilée à vie. Pitié … »

Les yeux de Vivianne semblaient l’implorer, la supplier de confirmer qu’elle n’avait pas commis une énorme erreur. Elle cherchait le regard de Sia avec insistance.

« Fermez-là ! hurla l’homme de l’autre côté des barreaux. »

Vivianne se tut de nouveau, visiblement chamboulée par les cris de leur geôlier. Elle se mit alors à chuchoter en se roulant en boule, faisant tinter les chaînes qu’elle avait aux pieds.

« Ensuite, ils ont réduit la fleur en charpie et en on extrait l’essence magique dans un cristal. C’est plus simple pour l’incorporer à un enchantement comme ça … Je leur ai fait croire qu’ils avaient besoin de nous au cas où ça rate, mais dès qu’ils arriveront à leurs fins … il n’auront plus besoin de vous … ni de moi … »

Vivianne déglutit et une réelle peur passa sur son visage. Elle ne donnait clairement pas cher de leur peau dans les prochains jours. L’homme derrière elles se leva et leur jeta un morceau de pain et une gamelle d’eau en guise de subsistance avant de partir dans le couloir les laissant seules. Vivianne rampa jusqu’à la nourriture et la partagea avant de donner sa part à Sia avec un sourire. Elle but quelques gorgées d’eau, mais en laissa la plus grande part à Sia qui venait de se réveiller.

« Buvez, vous avez besoin de vous réhydrater pour récupérer … »

Vivianne sourit timidement quand tout d’un coup un grondement retentit à l’entrée de la grotte. Vivianne se tassa contre le mur, tandis que des hurlements se faisaient entendre. Les claquements des épées répondaient aux grondements bestiaux et d’un coup ce fut le silence. L’enchanteresse se recroquevilla au fond de la cellule sans un bruit.

Le silence dura 5 bonnes minutes et tout d’un coup un grognours apparut au coin du couloir, reniflant l’air. Vivianne écarquilla les yeux et jeta un regard apeuré à Sia. La bête était couverte de sang, plusieurs blessures sur son flanc prouvaient qu’elle avait bien combattu. Son souffle était roque, irrégulier. Elle traînait le cadavre de leur geôlier dans sa gueule.

*Gasp*

Vivianne venait de déglutir quand la bête tourna son regard vers elles. Ses babines se retroussèrent et elle fonça sur elle, mais la grille tint bond. Elle se heurta plusieurs fois au fer avant d’abandonner dans un dernier grognement. Visiblement elle avait perdu trop de sang pour s’acharner sur deux humaines planquées derrière une porte de fer. Elle abandonna sa proie et repartit à l’entrée de la caverne.

Vivianne se rendit compte qu’elle avait arrêté de respirer et elle prit de grandes bouffés d’air. Son regard chercha celui de Sia comme pour lui demander ce qu’il venait de se passer. Puis il glissa vers le cadavre abandonné à la porte et elle blêmit.

« Sia … la clé … dit-elle en désignant d’un doigt tremblant un objet métallique dans la main ensanglantée du malheureux. »

Trois jours. TROIS. JOURS. C’est énorme. J’ai dormi si longtemps ? Mais que m’ont-ils fait ? Ils ont dû me droguer pour me maintenir endormie si longtemps. Je ne me rappelle rien du tout. Je m’adosse un peu au mur de notre cellule tout en écoutant les pleurs de l’enchanteresse, essayant d’organiser ses paroles dans mon esprit embrumé. Je ne comprends pas tout ce qu’elle dit, elle a apparemment découpé ma fleur sous ma peau en s’assurant de lui laisser la possibilité de repousser. Je regarde l’enchanteresse avec un air désolé quand elle m’implore pour savoir si elle ne m’a pas défiguré à vie. Je n’ai pas le temps de lui répondre que notre geôlier la fait taire.

Je l’écoute continuer ses explications, dans un murmure. Elle parle jusqu’à ce que l’homme revient nous apporter un peu d’eau et de pain et disparaisse je ne sais où. Je n’ai pas vraiment d’appétit, comme si mon corps n’avait pas senti les jours passés. Sûrement un contrecoup de mon sommeil forcé. Je souris timidement à la jeune femme, me forçant à boire pour réhydrater ma gorge sèche. Dès que je me sens un peu mieux, je lui souffle doucement la seule chose que je sais.

« Cinq jours. Il faut cinq jours pour qu’un bourgeon réapparaisse quand ma fleur est enlevée. »

Je ferme l’œil en m’appuyant au mur alors que ma tête se met à tourner.

« Donc, on va compter cinq jours à partir du moment où vous avez détaché la fleur de mon corps. Donc dans environ deux jours si rien n’apparait, il faudra s’inquiéter. »

J’ai à peine le temps de finir mes explications d’un grognement bestial se fait entendre. On entend au loin les bruits d’un combat avant qu’ils ne cessent. Je ferme l’œil pour me concentrer sur les bruits alentours. Viennent alors des bruits de pas, caractéristiques d’une créature au physique imposant. Et puis j’entends les reniflements de l’animal. J’ouvre à nouveau l’œil, regardant Vivianne puis l’animal. Un grognours. J’ai toujours essayé d’éviter cette créature quand je croisais son chemin. Similaire à un ours, elle en est toutefois bien plus crainte. Un frisson me parcoure alors que j’aperçois le cadavre de l’homme qui nous gardait plus tôt. Je vois les blessures à son flanc. L’homme était seul ? Je me rappelle plusieurs présences avant de m’évanouir. Je fronce les sourcils tout en restant concentrée et la plus discrète possible.

Trop tard. Vivianne nous a trahie. L’animal fonce sur la grille et vient s’y acharner. Elle parait vouloir l’enfoncer, cherchant aussi à passer ses grosses pattes à travers les barreaux sans succès. Finalement, elle se détourne de nous, repartant en laissant le cadavre du pauvre homme qui git non loin. L’enchanteresse me murmure alors quelques mots. Je porte mon index à mes lèvres pour lui indiquer de rester silencieuse. Même si le grognours semble être parti, il peut attendre non loin pour voir si l’on va sortir. Même s’il s’agit d’un animal, certains individus font preuve d’une grande intelligence. Silencieusement, je me glisse vers la grille, mon corps encore engourdi et paraissant avoir mal vécu ce sommeil forcé. Je glisse ma main hors des barreaux pour essayer d’atteindre le trousseau de clés. Trop loin. Alors j’essaye d’attraper le cadavre. J’arrive à m’accrocher à une manche. Je tire alors autant que je peux, appuyant mes pieds sur les barreaux.

Après des efforts me paraissant presque surhumains pour rapprocher le cadavre et tirer son poids, les clés sont enfin à ma portée. Je les récupère et les jette à ma compagne de cellule pour qu’elle se détache en premier. De mon côté, je reprends mon souffle et essaye de bouger mes membres. Je reprends un peu d’eau avant d’observer les alentours. Quand Vivianne semble vouloir venir défaire mes chaines, je lui souffle doucement.

« Restons encore un peu ici en attendant de voir si le grognours revient. »

Une vingtaine de minutes. De quoi laisser mon corps se remettre un peu et nous assurer que l’animal est bien parti. Un temps pendant lequel on peut observer les alentours et évaluer notre situation dans une relative sécurité.

« Combien de gardes ? »

Même si notre gardien est mort et prêt à finir six pieds sous terre, nous ne pouvons être sûres de l’état de ses compagnons. Si ça se trouve, d’autres vont rejoindre la planque au moment de changer les gardes. Nous ne pouvons pas perdre de temps une fois la cellule quittée. Je dois récupérer mes affaires. Et cette bille tant convoitée. C’est ma magie. L’essence magique de MA fleur. Elle m’appartient, et à personne d’autre.

Le talent d’Alfreed me fascinait toujours autant. Ce grognours était criant de réalisme, ce cadavre était tellement détaillé … On voyait même les petites giclés de sang, signe d’un cœur encore envie qui perdait peu à peu en puissance. Non, il n’y a pas à dire, j’en avais pour mon argent avec lui. Son illusion était tellement parfaite qu’elle était également tactile, auditive et olfactive ! N’allez pas me dire que vous n’êtes pas vous aussi impressionnés ! Sia n’y avait vu que du feu et moi aussi si je n’avais pas su que le fameux cadavre n’étais en fait qu’un sac de pierre dissimulé par magie. J’attrapai la clé et défis mes fausses menottes avant de libérer Sia et d’ouvrir la porte de notre cellule.

« J’en ai vu 6 différents, mais il y en a peut-être d’autres … Avec un peu de chances, les autres seront sortis ou ils seront … morts. »

L’aventurière passant devant l’enchanteresse en attrapant la perle de lumière qui trônait toujours sur l’établi. Vivianne la regarda en tremblant, comme si elle avait peur de ce qu’elles allaient découvrir. En découchant au bout du couloir, elles ne trouvèrent aucune trace du grognours. Seul le cadavre d’une dizaine de bandits parsemait la grotte, remplissant ses irrégularités avec leur sang encore chaud. Vivianne émit un petit cri quand son pied heurta la tête d’un jeune homme aux yeux vitreux et elle courut pour rattraper Sia. Leurs affaires traînaient dans un coin, visiblement épargnées par le carnage qui les entourait. Les deux femmes purent récupérer leur possession et avancer vers le fond de la grotte. C’est alors que Vivianne fit remarquer quelque chose.

« Sia regardez, il semble y avoir plus de lits que de corps … ça veut dire qu’il y en a d’autres … »

Vivianne laissa Sia partir en reconnaissance, mais elle ne trouva personne à l’horizon, pas même le grognours. Lorsqu’elle revint Vivianne la regarda implorante.

« Alors il y en a d’autres ? On peut s’échapper ? Je veux juste que ça s’arrête et rentre en lieu sûr. Tant pis pour mes plantes … elle … elle … »

L’enchanteresse se mit à sangloter, mais cette fois en silence. Cette expérience avait été un véritable calvaire pour elle, semble-t-il, au point de lui faire oublier ses recherches. En pleurant, elle heurta encore une fois l’un des cadavres et le voir provoqua chez elle un mouvement de recul. S’en était trop, elle laissa Sia en plan et courut vers la sortie, complètement perdue.

« Non, non, non, ce n’est pas réel, je dois être en train de rêver … »

Le soleil m’éblouit quand j’arrivais à l’extérieur. Il était midi passé. Du coin de l’œil, je pus observer Alfreed qui me faisait signe qu’il pourrait encore tenir un peu, mais qu’il allait falloir que je fasse vite partir Sia avant que l’illusion commence à se dissiper. Cette dernière finit par me rejoindre.

« Je suis désolé, tous ces cadavres … c’était juste trop pour moi … »

Vivianne se tourna vers la vallée en contrebas de la grotte et demanda à Sia.

« On a l’air d’être loin de la forteresse, je ne suis pas sûre que nous arrivions à la rejoindre avant la nuit … Vous ne connaîtriez pas un endroit sécurisé dans ces montagnes où nous pourrions passer la nuit ? »

Six. C’est un nombre d’adversaires potentiels conséquent. Nous parcourons les lieux, inspectant autant cadavres que le repaire pour faire du repérage. Quand tout semble plus sûr, nous prenons un peu plus de temps pour inspecter l’endroit. Nous retrouvons nos affaires, mais rapidement Vivianne parait s’affoler. Elle sort de l’endroit en criant, m’empêchant d’inspecter un peu mieux les cadavres. Cette attaque n’est pas normale, on m’a attaqué de façon directe. Je dois prévenir la garde, peut être même Rid... J’aimerais pouvoir prendre le temps de voir si je trouve un signe distinctif pour identifier ce groupe de bandits, mais la jeune femme ne m’en laisse pas le temps.

Quand je sors, la luminosité extérieure m’éblouis un moment. Je retrouve ensuite ma cliente, s’excusant et visiblement paniquée. Je soupire, moi-même assurée de ce qui vient de se passer. S’il y avait plus de couchages, c’est qu’il y a sûrement plus de bandits dans la troupe que ceux morts. Il y avait six cadavres. Il y a aussi un grognours qui doit être dans les parages. Je fais un rapide calcul en observant le paysage. Je ne sais pas exactement où nous sommes, mais j’ai le choix entre deux options : descendre en direction de la vallée jusqu’à trouver un chemin ou remonter un peu pour trouver les entrées vers le réseau de grottes. Deux points qui pourraient m’aider à nous situer précisément.

Vu notre état et la menace d’autres bandits à mes trousses, je choisis la seconde option. Je fais signe à la jeune femme de me suivre silencieusement, prenant la route en dehors des chemins tracés par les allés et venus répétés. Je laisse la laisse me suivre, essayant de nous guider aussi bien que possible pour trouver un point de repère. J’utilise les indices de la nature : l’inclinaison des arbres, la position du soleil, la pousse de la mousse et des différents végétaux. Après presque une heure de marche, je m’arrête, laissant Vivianne rejoindre mon côté. Je n’ai rien dit jusque-là, me plongeant dans mes réflexions autant que sur notre survie.

« Je sais où nous sommes. Nous n’irons pas loin dans notre état. Je connais une grotte proche où nous pourrons passer la nuit tout en étant à l’abri. Nous repartirons demain au levé. »

Une bonne occasion pour moi. Nous nous reposerons, je dois avoir des petites rations dans mon sac, bien assez pour nous nourrir pour passer la nuit et je pourrais en profiter pour la questionner. Et des questions, j’en ai de nombreuses. Je veux savoir ce qui m’est arrivé exactement, quelle est cette bille, ce à quoi elle peut servir, si elle peut m’être utile et un maximum d’informations sur mes agresseurs. Je reprends la marche, bien plus lentement, parlant doucement, mais suffisamment pour être entendue.

« Et demain quand nous arriverons à la Forteresse, je me débrouillerai pour signaler ces malfrats. Je m’arrangerais aussi avec la guilde pour votre requête. Je vous ai mise en danger par ma présence, et je m’en excuse. »

Je ne la regarde pas et j’essaye de contrôler ma voix, mais j’ai perdu une part de ma fierté et dignité, par ma faute une cliente de la guilde a été mise en danger. J’ai aussi perdu une part de mon innocence, ne faisant attention qu’aux bêtes et à la nature dans ces contrées déjà dangereuses, maintenant je dois aussi me méfier des hommes.

Vivianne était à la traîne. Ses vêtements quelque peu déchirés, elle peinait à suivre le rythme de Sia. L’aventurière avait toujours plusieurs mètres d’avance sur l’enchanteresse et devait parfois lui donner un coup de main pour pouvoir passer les obstacles. Elle avait l’air à bout et tout dans son attitude indiquait qu’elle n’avait qu’une envie, c’était de retrouver la civilisation et le confort de la ville. Loin des bandits, des ours et de la montagne en général, et loin de Sia aussi. Elle trébucha et émit un petit cri perçant en s’effondrant sur les pierres, s’écorchant le genou. On avait presque l’impression qu’elle allait pleurer, mais qu’elle se retenait parce qu’elle n’était pas seule. Elle se releva en s’époussetant et en jurant dans sa barbe contre la terre entière.

« Ne vous excusez pas. Comment auriez-vous pu savoir ? Ce sont eux les seuls responsables. Je dirais à la guilde la vérité, que vous avez fait tout votre possible pour me ramener en sécurité. Je vous ai engagé pour me défendre contre les loups, pas une embuscade de bandits … »

Non, ne t’excuse pas, si ce n’est d’être incroyablement crédule mon enfant. Tu dois probablement te poser mille questions, mais tant que tu seras avec moi, je ferais en sorte de te retarder le plus possible. Quand tu feras ton signalement, la garde ne trouvera rien, car il n’y a jamais rien eu. Quelques jouets qu’Alfreed fera disparaître rapidement, du faux sang qui disparaîtra en quelques jours avec le traitement chimique approprié … Tu passeras le reste de tes jours à te poser des questions, mais je veux bien répondre à quelques-unes d’entre elles. Tout comme je répondrai le plus innocemment du monde à la garde pour expliquer ce que j’ai vu. Tout ça pour ton œil très chère, si tu connaissais son potentiel …

Vivianne s’effondra sur le sol de la grotte tandis que Sia inspectait les alentours. Elle se massa les cuisses pendant que sa garde du corps leur allumait un feu pour ne pas mourir de froid cette nuit. Il allait être temps et Vivianne s’en rendit rapidement compte. Lorsque Sia sortit son joyau de sa poche pour l’inspecter sous toutes les coutures, l’enchanteresse savait que les questions allaient fuser. Elle les attendit sans bouger, feignant de ne rien savoir et elle répondit.

« C’est un peu difficile à expliquer … Vous voyez votre fleur transforme l’énergie solaire en une sorte d’énergie de soin. Et bien ce joyau, c’est le résultat de l’extraction de ce processus de conversion. Une sorte de copie artificielle de votre fleur. En théorie et avec un dispositif magique adapté, elle devrait permettre de convertir ou transférer une énergie de soin entre une source et une cible. Par exemple, elle pourrait permettre de transférer votre capacité sur quelqu’un d’autre en faisant office de canal ! C’est un objet prodigieux, mais qui est totalement inutile pour l’instant. C’est un cœur, mais il lui manque l’enrobage adapté … »

Je m’allongeai sur le sol en contemplant le plafond de la caverne avec insistance. Il m’avait fallu du temps pour créer ce dispositif afin qu’il soit capable de copier et absorber les propriétés de sa fleur. De nombreux prototypes avaient fini à la casse, mais j’avais finalement réussi à mettre l’énergie vitale sous cloche.

« Je ne sais pas où ils ont pu obtenir un tel objet. Ils devaient sûrement en savoir long sur vous pour pouvoir le créer. Ce n’est pas le genre d’objet qu’on peut commander à un enchanteur sur un coup de tête … »

L’enchanteresse se releva et se pencha sur la petite bille.

« J’ai l’impression qu’il brille un peu moins non ? »

En effet, le joyau perdait de son éclat, mais de manière très lente, imperceptible à l’œil nu.

« Je pense que tant qu’il ne sera pas traité et incorporé à un objet, il va continuer à perdre de l’énergie au point de s’éteindre et de perdre ses propriétés. Vous avez une idée de ce que vous allez en faire ? interrogea Vivianne avec un regard en coin. »

Nous montons un petit camp sommaire, je fais un petit tour avant de rassembler de quoi faire un petit feu. Cela risque de nous faire repérer, mais Vivianne est épuisée, pas vraiment habituée au climat des montagnes, et sûrement frigorifiée. Une fois cela fait, je m’installe aussi, face à ma cliente tout en étant tournée pour voir l’extérieur de la grotte et observer les alentours. Je sors les maigres rations que j’ai en stock et en tend une part à l’enchanteresse. Tout en mangeant, je ressors le joyau que j’ai récupéré plus tôt. Je l’observe, comme hypnotisée par son éclat. Et puis vient enfin le moment des questions.

« Qu’est-ce que c’est au juste ? Et à quoi ça peut servir ? »

Pourquoi me fait-on cela à moi ? Je garde cette dernière question pour moi. La jeune enchanteresse ne doit rien savoir, je n’ai pas à la harceler de questions dont elle ne peut avoir les réponses. Elle essaye alors de me répondre du mieux possible avec les informations qu’elle a. Je l’écoute sans broncher, me massant légèrement les tempes tout en observant l’éclat de la bille. Effectivement, cette dernière semble plus terne que lorsque je l’ai vu la première fois.

Je réfléchis à sa question sans trop savoir. Je m’adosse à la paroi de la grotte, le regard dans le vide pendant que différentes options me traversent l’idée. Transférer une énergie de soin. Ce passage me repasse encore et encore en tête. Je cherche cela depuis un moment. Jamais je n’ai été capable de transférer ma régénération malgré ma volonté et mes essais. J’ai appris les limites de mon pouvoir à force d’essais et jusqu’à maintenant je suis la seule à pouvoir bénéficier des bienfaits de ma plante.

Je pousse un petit soupir et tire mon sac sans fond à moi. Je fouille un moment dedans, essayant de me rappeler son contenu. Mes pensées sont encore un peu embrouillées et confuses, j’ai du mal de tout me rappeler. Il me faudra sûrement une bonne journée de repos et un vrai repas pour me sentir mieux. Je sors d’abord ma gourde fontaine pour que nous puissions nous hydrater après notre détention, une couverture si elle souhaite se couvrir et je trouve enfin le bijou que je cherchais.

Un bracelet composé d’un alliage argenté. L’objet est assez détaillé et j’ai passé un moment à travailler dessus. Je l’ai réalisé pour me forcer à améliorer ma finesse et précision. Un serpent possédant deux têtes. Chaque extrémité permet la fermeture du bijou tout en détaillant la tête d’un reptile, les crocs pointus sortis et la mâchoire pouvant s’ouvrir pour défaire le bracelet. Le corps est composé d’un grand nombre de maillons que j’ai œuvré chacun à la main, permettant d’enrouler le bracelet comme on le souhaite autour de son poignet et d’ajuster sa taille. Une souplesse et une certaine fermeté des mailles le rendent agréable à porter.

Je tends le tout à l’enchanteresse, un air sérieux sur les traits. Elle semble savoir de quoi elle parle, moi je ne comprends qu’à peine le fonctionnement de mon pouvoir. Après tout elle est celle qui m’a retiré ma fleur et qui a pu voir nos geôliers faire. Moi j’ai été absente tout du long. Je ne peux me reposer que sur elle.

« Vous sauriez faire ? L’énergie pourrait rentrer dans ce bracelet au style discutable ? Vous vous y connaissez bien plus que moi. »

Je la laisse récupérer les objets, faire ses observations et expérimentations. J’ai la paupière lourde, mais j’essaye de ne pas la quitter du regard.

« Et après ça, nous devrions dormir un peu. Nous partirons demain à l’aube. »

Je pris le bracelet hideux qu’elle me tendait et l’inspectait sous tous ses aspects. Oui, il était possible d’y glisser l’énergie de la perle. Il serait cependant compliqué d’y glisser toute l’énergie sans en perdre dans le processus. Ce qui donnerait alors un objet bien loin de ses attentes. Je fis rouler la gemme à la surface, cherchant un emplacement adéquat où le métal serait suffisamment épais pour accepter le transfert. Non, ça ne suffirait pas …

« C’est un objet bien fragile je crains qu’en l’absence de matériel ou des conditions adéquates le transfert se fasse de manière partielle. Ce qui vous donnerait un objet de piètre qualité magique. »

Vivianne sembla réfléchir longuement alors que Sia prenait ses aises tout en restant concentrée sur l’enchanteresse, pendue à ses prochains mots. Si Vivianne avait eu l’ait fatiguée, elle était maintenant pleine d’une énergie curieuse et revigorante. Elle aimait les défis, cela se voyait.

« Mais … »

Un petit sourire s’afficha sur son visage.

« Mais cette perle est un condensé d’énergie naturelle et nous avons la chance de nous trouver en pleine nature. Nous pourrions utiliser l’énergie ambiante comme un solvant dans lequel l’énergie de la perle serait insoluble. De cette façon, nous aurions le temps de l’injecter dans le bracelet, mais pour cela il me faut un condensateur magique ou de quoi tracer un cercle de confinement énergétique de type 2 et il nous faudrait aussi … »

Elle s’arrêta de parler et son regard se perdit dans le vide derrière Sia.

« Un éclair, juste un, pas forcément bien placé, mais sa puissance suffirait à créer une disruption suffisante pour énergétisé la magie ambiante suffisamment longtemps pour l’opération. »

Vivianne s’était visiblement perdue dans un charabia magique qu’elle seule pouvait comprendre. On voyait presque les pièces d’un puzzle infiniment complexe se mettre en place derrière ses yeux, un puzzle dont le sens échappait au plus grand nombre. Elle en avait même oublié Sia qui attendait toujours une réponse claire à sa demande. Soudain, Vivianne sembla sortir de sa transe réflexive.

« Oh pardon, je me suis égarée dans mes réflexions. Oui, je pense que c’est possible avec les moyens du bord et avant que la perle perde sa magie. Pour ça, il nous faudrait un endroit isolé, dégagé et donc sans arbre. Il me faudrait aussi de quoi graver des runes dans la pierre et enfin, il nous faut un orage et plus particulièrement un éclair. »

Un sourire étrange apparut sur son visage.

« J’ai toujours rêvé de faire de la magie comme dans les temps anciens. Avant qu’on invente les runes et les catalyseurs. Comme au moment où les hommes cherchaient à dompter les forces de la nature. »

Pour dire la vérité, j’avais déjà essayé de le faire, à plusieurs reprises. La magie ancienne était plus puissante, mais aussi beaucoup moins contrôlable. La technomagie moderne offrait quant à elle la stabilité, mais manquait de puissance. Combiner les deux était donc un parfait compromis.

« Connaissez-vous un endroit qui ferait l’affaire ? L’air était lourd au-dehors tout à l’heure. Il ne devrait pas tarder à pleuvoir. Il nous faut juste être prêtes quand un éclair se montrera. Vous pensez que c’est faisable ? »

On dirait que j’ai su éveiller la curiosité de l’enchanteresse. Je l’observe alors qu’elle semble chercher une solution, réfléchir et surtout commencer à sortir tout un charabia incompréhensible. Je ne sais trop ce qu’elle raconte tandis qu’elle parle de savoirs qui me sont complètement inconnus. Je croque un instant dans ma ration, mâchant doucement tandis que la jeune femme revient à elle et se met à employer des termes qui me sont plus familiers. Un éclair ?

Je regarde l’extérieur pendant qu’elle me détaille ce dont elle aurait besoin, observant la météo changeante. Je renifle légèrement, l’air est en effet lourd et on peut sentir cette odeur si particulière qui annonce l’arrivée d’un orage après un temps particulièrement sec durant plusieurs jours. Je me mords la lèvre inférieure. Je suis tentée par cette idée, mais un tel lieu ne me parait trouvable que plus bas, il nous faudra marcher et il est déjà particulièrement tard.

« Je dois avoir ce qu’il faut dans mon sac pour tracer des runes. J’ai toujours des outils avec moi. Pour le lieu... J’ai une idée, mais il faudra marcher et il est bien trop tard. Je pense que l’orage risque d’éclater dans la nuit. Si nous dormons un peu pour récupérer, on devrait pouvoir se déplacer à la lumière des torches pour arriver à l’endroit qui me vient à l’esprit. »

La marche sera loin d’être aisée, surtout avec l’obscurité et l’orage qui menace. Au moins, l’astre lunaire est presque à sa plénitude ce soir. Avec un peu de chance, sa lumière arrivera à percer les nuages pendant notre marche. Je m’installe un peu plus confortablement, la paupière lourde.

« Dormez et nourrissez-vous un peu. On ne restera que deux petites heures ici. Si nous partons demain matin, nous risquons de rater le plus gros de l’orage. »

Je ferme complètement ma paupière pour commencer à somnoler et entrer dans un demi-sommeil. Je ne me réveille entièrement que quelques heures après en entendant le ciel gronder. Notre feu est quasiment éteint, les nuages menaçants et s’épaississant à vue d’œil. Bientôt nous ne verrons plus rien. Je grogne légèrement avant de fouiller dans mon sac. Je sors de quoi nous préparer des torches en en allumer une première. Je réveille ensuite Vivianne alors que j’éteins le feu et range notre petit campement.

« Nous devons y aller si nous ne voulons pas rater cet orage. »

Une fois que tout est prêt, j’allume et donne la seconde torche à Vivianne.

« Faites bien attention à où vous placer vos pieds. Le terrain devient trompeur la nuit. »

Je prends la tête pendant que je guide la jeune femme. De nuit, il devient difficile de se repérer, mais ici nous n’avons qu’à faire confiance au dénivelé et descendre autant que possible. Il faut hâter le pas, nous nous sommes reposées un peu trop longtemps. Je regarde derrière moi de façon régulière pour surveiller l’avancée de ma cliente. Parfois elle trébuche et je viens l’aider ou la rattraper juste à temps. Nous marchons ainsi, courant presque par moment, emportées par la descente et l’urgence de notre course contre la montre. Nous restons à chaque fois trop près de la forêt.

Et puis d’un coup, nous quittons la végétation et le décor boisé pour arriver sur un flanc de montagne complètement à nu. Un lieu qui a été exploité par des bûcherons et particulièrement bien nettoyé. Seuls la terre et des souches sont encore présents. L’endroit a été déserté depuis un moment, la nature reprenant au fur et à mesure ses droits, mais le tout reste proche du sol. Je tends une main à Vivianne pour l’aider à enjamber plusieurs souches avant que nous n’arrivions à nous éloigner autant que possible de la verdure. Il y a de nombreuses pierres alentours, nous rappelant que nous sommes quand même en pleine montagne.

« Vous pensez que ça ira ici ? Si besoin, je dois avoir de vieilles épées que l’on peut utiliser pour attirer la foudre. »

Même si certaines ont des alliages spéciaux, mes échecs pour fabriques des lames peuvent avoir cette utilité. J’ai toujours mon cimetière avec moi après tout. Je commence à sortir mes outils de forgeronnes, me hâtant alors qu’au-dessus de nos têtes l’orage menace de plus en plus. Ses épais nuages finissent par complètement masquer le ciel et la luminosité de la lune, des éclairs se faisant voir au loin et les grondements se rapprochant de plus en plus rapidement. Je sors aussi le coffret avec mes diverses lames brisées si Vivianne souhaite les utiliser pour attirer la foudre, mon bracelet et la bille lumineuse qui émet encore assez pour légèrement nous éclairer en plus de nos torches.

« C’est parfait. »

Vivianne s’avança soudain beaucoup moins gauche que lorsqu’elle avait gravi la montagne. Son regard avait changé, plus fin, plus perçant, plus ancien. Elle commença par fouler du pied le bord de la falaise, testant du talon la solidité de la pierre. Des nuages menaçants commencèrent à glisser devant la lune projetant une ombre sur leur perchoir. L’enchanteresse resta un instant immobile, silencieuse. Son regard se perdait un peu dans le néant, comme si des souvenirs lointains lui revenaient tout d’un coup à l’esprit. Elle en oublia presque Sia qui parlait dans son dos.

Soudain elle se retourna et attrapa les outils que lui avait laissés Sia.

« Allez planter vos lames sur le bord, près du précipice, en un arc de cercle. »

Vivianne la laissa faire et commença à graver un cercle dans la pierre. Puis, elle traça diverses formes d’une grande complexité tout autour et termina en dessinant une étoile en son centre. Elle récupéra délicatement le bracelet de Sia et le déposa au centre de l’étoile.

Un grondement effroyable se propagea à travers les montagnes se répercutant entre les parois rocheuses et donnant l’impression que le ciel était en train de s’ouvrir en deux. Le vent sifflait aux oreilles de la vieille femme et la pluie tombante commençait à former une boue qui encrassait ses vêtements alors qu’elle terminait ses tracés à même le sol. Vivianne se releva et détacha ses cheveux chargés d’eau, son regard était devenu perçant, presque comme si un grain de folie s’y était glissé. Le tonnerre gronda de nouveau et le petit morceau de pierre fut illuminé par son éclat pendant une fraction de seconde. La pluie s’intensifia et le vent se renforça encore plus. Les cheveux de Vivianne battaient au vent au moment où elle fit signe à Sia de revenir.

« Je suis prête ! hurla-t-elle pour que sa voix survive au fracas des éléments. »

Elle indiqua une branche de l’étoile.

« Mettez-vous ici et surtout ne bougez pas d’un pouce, c’est clair. Cette magie peut-être hautement instable et je ne voudrais pas vous voir vous faire foudroyez sur place ! »

Le tonnerre gronda de nouveau comme pour les menacer de sa présence. Vivianne se positionna à l’opposé de Sia, bien droite et fière. Son grain de folie se transformait en un véritable de brasier qui éclairait ses yeux et déformait ses traits. Ou alors ce n’était qu’une impression ? Qui pourrait le dire dans la pénombre et derrière un tel rideau de pluie.

« Maintenant on attend. »

Vivianne leva les yeux vers le ciel. Plusieurs éclairs dansaient à la surface des nuages, se propageant comme un cours d’eau. Elle avait toujours trouvé la foudre magnifique. L’attente fut longue et difficile. Le vent plaquait leurs vêtements sur leur corps, alourdissait leurs cheveux. Une odeur ionique commençait à se diffuser autour d’elles et l’air était de plus en plus lourd.

Soudain, l’éclair tant attendu se manifesta, vibrant comme la corde d’un arc, il vint frapper l’une des lames de Sia la faisant fondre presque instantanément. Très réactive pour une personne qui était restée immobile pendant de longues minutes, Vivianne sortit la gemme de sa poche et la fracassa à l’aide d’un marteau sur la pierre. Toute l’énergie qu’elle contenait s’échappa comme de la fumée et s’éleva lentement dans les airs. C’était comme un nuage de lucioles scintillantes, bercées par le flux de la magie environnante.

Un autre éclair frappa, déclenchant même un petit feu qui fut rapidement éteint par la pluie torrentielle. Le nuage de lumière sembla se tordre et se déformer comme si un courant d’air le perturbait. Il tourbillonna sur lui-même avant d’entamer une lente rotation tout autour du cercle. Vivianne observa Sia à travers le voile de magie. L’énergie tournait de plus en plus vite, à tel point qu’on arrivait à peine à distinguer ce qu’il y avait derrière ce tourbillon de luciole.

« Maintenant on entre à trois. Un, deux, trois ! hurla la magicienne. »

Les deux femmes pénétrèrent le cercle en même temps et se retrouvèrent à l’intérieur du vortex magique. Vivianne souriait et c’était effrayant. Elle s’accroupit et invita d’un signe de tête sa garde du corps à en faire de même. Elle attrapa un bord du bracelet et laisse Sia en faire de même. Elles se levèrent lentement tout en tenant l’objet du bout des doigts. Vivianne lui accorda un dernier regard des plus étranges. Elle raffermit sa prise sur le bracelet et le tourbillon cessa de tourner. Les runes qu’elles avaient tracées s’illuminèrent, ainsi que le pentagramme et toute l’énergie ambiante commença à s’insinuer dans le bracelet que les deux femmes tenaient. Durant toute l’opération, Vivianne ne lâchait pas Sia des yeux, même quand le bracelet se mit à trembler et vrombir entre leurs mains. L’énergie fut alors complètement absorbée dans le bijou qui émettait des vagues de chaleur.

La chaleur s'accentua et les têtes des serpents commencèrent à glisser le long des poignets des deux femmes, répandant leur chaleur sur leur peau avant de mordre leur poignet, faisant gicler le sang. Pendant un instant fugace, Vivianne se sentit comme en suspension, comme si la pluie s’était arrêtée à mi-chemin entre le ciel et la terre, comme si le vent s’était tu, comme si l’éclair qui tombait derrière elle, le faisait avec une lenteur infinie.

Elle sourit et c’était terrifiant.

Le temps sembla reprendre son cours, le froid revint, fini la chaleur et la lumière. Les deux femmes furent plongées dans le noir, trempées jusqu’aux os. Cet instant étrange s’était envolé. Vivianne lâcha le bracelet et couvrit la petite blessure qu’il lui avait infligée. Le serpent se contorsionna et revint s’enrouler autour du poignet de sa nouvelle propriétaire.

« Et voilà très chère, on testera ça quand on sera à l’abri de ce déluge vous en dites quoi ? »

Tout ce qui se passe est particulièrement vague dans ma mémoire. Je ne sais dire exactement comment nous avons regagné l'abri de la grotte. Les événements se déroulent à nouveau dans mon esprit comme si je n’avais vécu qu’un long rêve particulièrement réaliste. Pourtant, je suis là, trempée, à attiser un nouveau feu de camp alors que la pluie tombe avec intensité à l’extérieur. Je tremble légèrement de froid et ma cliente n’est pas dans un meilleur état.

Une fois le feu ayant suffisamment pris, je fouille dans mon sac sans fond, sortant des couvertures et fourrures, ainsi que des linges que je garde toujours pour me laver. J’en tends un à l’enchanteresse pour qu’elle s’essuie. Je commence à retirer mes vêtements, essayant de masquer mon corps avec le tissu pour ne pas déranger Vivianne d’ainsi me voir. Quand mes vêtements sont déposés sur la pierre pour sécher, près du feu, je m’enroule dans mon linge et observe les mouvements du feu. Je me sèche sommairement avant de récupérer une couverture dans laquelle me tenir au chaud.

« Vous devriez aussi retirer vos vêtements humides et vous sécher. »

L’orage à l’extérieur est violent et je me demande encore comme nous avons réussi à rentrer sans une égratignure. Mon regard glisse vers mon poignet où le bracelet en forme de serpent a élu domicile. Le métal est froid contre ma peau et semble s’être rigidifié par rapport à ma création initiale. J’ai presque l’impression que le reptile va se réveiller à tout instant pour planter ses crocs dans ma peau.

Je repense alors à la petite douleur que j’ai ressenti pendant le rituel. Je n’arrive pas à me rappeler les détails, les choses s’étant déroulées trop rapidement. Tout ceci me parait encore trop étrange, irréaliste, comme si ce n’était qu’une illusion de mon esprit. Mes doigts viennent parcourir le métal froid. Le serpent ne réagi pas, parfaitement inanimé. Je ne suis pas certaine de son fonctionnement, mon regard se portant sur l’enchanteresse qui a permis d’y insérer la magie.

Je repense à ses mots et la description de la bille lumineuse. Ce bracelet va maintenant me permettre de transmettre une magie de soin ? Je porte ensuite ma main à mon visage où une petite cicatrice remplace ma fleur. Je n’ai jamais réussi à me guérir en son absence, mais est-ce que je m’y prends de la mauvaise manière ? Je reporte mon attention sur la jeune femme, à la fois curieuse et fatiguée.

« Vous voulez l’essayer ? »

Je tends le bras portant le bijou pour le désigner. Je m’interroge, essayant de retrouver les sensations de plus tôt.

« Je vous avoue que je n’ai aucune idée de son fonctionnement... J’espère que vous en saurez plus. »

Avant même que l’enchanteresse ne réponde, j’essaye de ressentir ma magie comme lorsque j’essaye de me guérir. Soudainement, le serpent s’anime. L’une de ses têtes vient planter ses crocs dans mon poignet alors que l’autre glisse sur ma main pour dérouler lentement la longueur de son corps. L’autre tête semble chercher une cible, sans la trouver. Finalement, le reptile revient à sa place et perd son animation. Légèrement surprise, mon regard commence à s’illuminer comme celui d’une enfant qui a trouvé un nouveau jouet.

« Je crois que j’ai compris. Vous avez une blessure ou une égratignure quelque part ? Peut-être que je peux le faire fonctionner si vous êtes plus près de moi. »

Je laisse l’enchanteresse décider de si elle souhaite participer à cette expérience, de mon côté je m’amuse à animer le serpent, essayant de progressivement mieux ressentir la circulation de ma magie et la façon de l’insuffler dans le bijou. Quand la jeune femme est d’accord pour faire des essais avec moi, je viens lui tenir une main dans la mienne. Je me concentre à nouveau pour animer la créature de métal. Cette fois, la seconde tête parait trouver facilement sa cible, ondulant sur la main de Vivianne jusqu’à son poignet. Là elle vient planter ses crocs et attend la suite.

Je ne suis pas certaine de ce que je dois faire ensuite. Je ferme l’œil et me concentre, essayant d’insuffler plus de magie à travers le bijou qui nous relie. Je sens mon énergie me quitter petit à petit, mais je n’ai pourtant pas l’impression que cela change quelque chose pour ma cible. J’essaye encore et encore, me fatiguant rapidement et finissant par abandonner. Je relâche la main de l’enchanteresse et le serpent reprend sa forme initiale. Je porte une main à mon côté borgne avant de légèrement me masser les temps, soudainement épuisée.

« Je pense que sans ma fleur, cela ne sert à rien... »

Essai non concluant, il semblerait. Il faut dire qu’elle ne devait plus avoir une once d’énergie de soin dans son corps vu que je l’avais siphonnée à outrance pendant trois jours. Elle arriverait bientôt à retrouver son plein potentiel, quelques nutriments un peu de soleil et sa plante devrait revenir pour lui permettre de soigner autrui. J’étais certain que mon enchantement serait efficace le cas échéant.

« Vous devez être épuisée, tous ces mauvais traitements auront eu raison de votre énergie de soin. Elle reviendra avec le temps. Si jamais vous voyez le moindre problème, rapportez-moi l’objet à ma boutique de la capitale et je m’occuperai de le retravailler … gratuitement. »

Je ne m’engageais à rien, vu que je savais pertinemment que mon travail était excellent. Elle n’aurait sûrement rien à redire. Nous ne nous reverrons probablement jamais gamine, tu continueras ta vie et je continuerai la mienne. Tu te demanderas toujours pour tu t’es faite attaquer et pourquoi on t’a pris ta fleure, mais maintenant repose toi. J’ai obtenu tout ce que je voulais, tu es en sécurité.

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Vivianne jeta son sac dans un coin de son atelier et s’étira de tout son long. Elle était enfin rentrée à la capitale après de longues heures de marches à travers les montagnes sauvages du Grand Nord. En arrivant, elles et Sia étaient allées signaler les bandits à la garde qui ne trouvèrent qu’une grotte vide, faisant passer les deux femmes pour des folles. L’officier très énervé d’avoir perdu son temps avait même menacé de les faire emprisonner pour avoir menti. Bien entendu, c’était à ce moment que Vivianne s’était éclipsée discrètement pour ne pas s’attirer d’ennui. Elle avait fait un rapport à la guilde avec l’accord de Sia disant qu’elle avait mené sa tâche à bien vu que personne ne les croyait de toute façon.

Vivianne s’assit devant son établi et souffla un moment. Cette opération n’avait pas été de tout repos, mais le jeu en valait la chandelle. Elle se baissa pour attraper son sac et en sortit un objet brillant. Une perle aux reflets solaire qui irradiait comme une petite étoile. À l’intérieur on pouvait voir la même énergie que la perle de Sia, mais plus intense et en y regardant de plus près, on pouvait aussi y distinguer de minuscule arc électrique.

« Bien, il est temps de voir si cela marche autrement qu’en théorie. Le prototype est un succès, mais ce n’est pas encore gagné. »