C’est tout moi, ça.
Et plus on est, mieux c’est. Même si beaucoup préfèrent ne pas trop se mêler à ces histoires, on a déjà un réseau établi dans tous le royaume, même si évidemment, il y a toujours des larges zones où on n’a pas de relais. Mais des copains sillonnent ces endroits pour recruter des gens. Et comme tout le monde le sait bien, à partir du moment où des gens s’installent à un endroit pour créer un village, il faut forcément qu’un gars, souvent le vingtième, se décide à créer une taverne pour abreuver les autres. C’est peut-être le premier établissement qui se crée dans un village. C’est ce qui lie les gens entre eux car c’est souvent là que ce font les plus belles histoires, des rires et des larmes, de la joie d’être ensemble à partager le plaisir simple d’une bière désaltérante. Ou autre, hein, on n’est pas discriminatoire. Pour la Capitale, il y a autant de taverne que de gens racontant des histoires dans cette ville. C’est dire. Je peux vous dire qu’après une dizaine d’année à arpenter ces rues, j’en connais un paquet de ce genre d’établissement. Et pourtant, je suis encore surpris de trouver de nouvelles adresses. Faut dire que les portes s’ouvrent et se referment aux grés des affaires. Ça évolue. Et même s’il y a toujours un plaisir à lever le coude sur un comptoir vieux de deux cents ans, jamais fermé depuis sa création, il est tout à fait agréable de tester les futs d’un nouvel arrivant car il faut savoir donner sa chance à tout le monde. Et pour ce qui est de testé, je prends ça plutôt à cœur.
Ce jour-là, cap sur les quartiers ouest avec un établissement que j’ai connu dans ma lointaine jeunesse. Il y a plus de dix ans. J’avais appris qu’il était sur le déclin à cette époque et comme il y avait peu de monde, on s’y cachait avec les copains de la bande quand on avait fait trop de bêtises dans les endroits où on allait régulièrement. Le bon vieux temps où nous étions fous. Maintenant, je me suis calmé. On ne me verra rarement foutre le boxon parce que ce n’est pas très sympa. C’est même un problème récurrent chez certains de nos petits potes au moins que ça parle de mettre en place un service spécial interne aux petits potes pour intervenir quand ça chauffe trop chez quelqu’un. J’aime pas trop l’idée. De se substituer à la garde. Surtout qu’on ne fait pas du maintien de l’ordre comme ça. Mais bref, c’est une autre histoire et l’important, c’est d’aller boire. Surtout que les derniers jours ont été éprouvants.
Comme souvent.
La taverne a été reprise il y a quelques années par une borgne. Parait que les horaires sont assez particuliers car l’établissement est capable de rester ouvert à n’importe quelle heure de la journée. Et de la nuit. Ce qui fait qu’il doit souvent avoir une population très variée et peut-être bien un peu trop éméché. La patronne doit savoir faire régner l’ordre, pour sûr, pour que l’établissement soit encore sur pied après tout ce temps. J’y vais en milieu d’aprèm. C’est souvent plus tranquille pour causer. Vous allez me dire que c’est pas une heure pour finir la journée, mais qui vous dit qu’elle est finie ? Vous ai-je déjà parlé des sessions nocturnes du conseil ? Non ? Vous préférez ne rien en savoir si ce n’est que c’est une invention de l’examinateur en chef Lou Trovnik et que ça doit suffisamment vous renseigner sur les difficultés à esquiver ce genre de réunions. Du coup, autant de faire une bonne pause dans la journée avant de passer une soirée passablement productive, même si c’est toujours mieux que de passer pour un idiot lors des fêtes organisés par la noblesse et auquel je suis forcé de participer de par mes responsabilités. La simplicité de la rue, on ne s’en lasse pas.
Bref, j’arrive. Je rentre. Calme, en effet. Je vais direct au comptoir. Commande une bière et j’observe. Et j’apprécie aussi ma mousse. Parce qu’avant les papotages, faut savoir respecter ce que l’on boit. Et si c’est bon, c’est que c’est digne d’être une petite pote.
Ce jour là, il avait du prendre son service vers huit heure. Probable qu'il travaillerai jusqu'à minuit, comme d'habitude. En journée, le lieu était plus calme. Il ne se surmenait pas mais tout de même. Parfois, elle lui laissait quelques heures dans l'après-midi pour faire ce qu'il avait à faire. Pas ce jour là. Elle lui avait laissé - comme à son habitude - la responsabilité de la taverne. Et comme à son habitude, elle ne lui avait pas dit où elle allait. Le service de nuit avait été plutôt calme. Le chiffre d'affaire avait été dans la moyenne et les rencontres sympathiques. Elle avait donc pris la liberté de se rendre au marché qui avait lieu ce jour là au centre de la capitale.
Il lui faudrait des provisions pour le service du soir. N'oublions pas que le Sillage proposait aussi des plats chauds à toute heure. Une aubaine pour les voyageurs qui n'arrivaient pas toujours à des heures décentes. A cette heure, le marché était plus calme. En principe, le gros de l'activité avait lieu le matin. Mais ce n'était pas un problème pour Morgane qui trouvait toujours de bonnes affaires. C'est munie de deux gros sacs de toile qu'elle arpentait les rues entre les étales. Saluant les commerçants qu'elle connaissait bien. Morgane était une femme sociable. Bien que parfois un tantinet désagréable. La plupart des gens ne savaient pas trop s'ils l'appréciaient ou non. Tant elle pouvait se montrer acerbe. Mais la plupart du temps, elle ne l'était pas. Et pouvait donc entretenir des relations à peu prêt saines.
S'arrêtant ça et là pour humer les fruits, et observer les bon produits qui se trouvaient là, elle se stoppa un moment, esquissant un sourire satisfait. Elle aimait faire le marché, sans trop savoir pourquoi. Et alors qu'elle finissait ses emplettes, ses deux sacs pleins de fruits, de légumes, de bons poulets et de quatre lapins elle marqua un arrêt devant le boulanger. Ce dernier l'avait déjà livré le matin même à la taverne. Mais elle y acheta quand même une pâtisserie qu'elle garda à la main pour ne pas l'abimer.
C'est donc bien chargée qu'elle repris le chemin du Sillage. Marchant une vingtaine de minute avant d'en pousser la porte brusquement, et avec quelques difficultés tant elle était chargée. "Leith, mon garçon, vient donc m'aider!" Somma t-elle, autoritaire alors qu'une pomme s'échappait de son cabas pour rouler au pied d'un homme qui se trouvait au comptoir. Le seul client à cette heure d'ailleurs. Elle aurait pu passer par l'entrée de service si cette dernière n'avait pas été obstruée de l’intérieur par deux gros fût de bière. Le garçon s’exécuta à la hâte pour la décharger d'un des deux sacs. Elle avança donc dans la pièce, sa pâtisserie à la main, passant derrière le comptoir pour se rendre à la réserve. Elle adressa un sourire à l'homme qui se trouvait là. "Bonjour mon gars". Lança t-elle avant de disparaitre très brièvement le temps de poser ses sacs dans la réserve. "Range ça mon garçon". Somma t-elle à l'attention de Leith qui exécuta. Elle posa la pâtisserie sur le meuble à vaisselle derrière le comptoir. "Le gâteau est pour toi, tu le mangera après". Prévint Morgane à l'attention de son serveur qui esquissa un sourire de contentement. Elle n'était pas toujours si prévenante.
Se tournant vers son nouveau client qui semblait déjà servi, elle reprit. "Je ne crois pas t'avoir déjà vu ici, t'es un aventurier?" Lança t-elle en laissant de côté la moindre politesse. Morgane avait toujours été très directe. D'autant plus depuis qu'elle n'était plus dans l'armée. Et le milieu des tavernes requière en fait assez peu de fioriture.
Dans d’autres circonstances avec d’autres personnes, le trait d’esprit pourrait ne pas passer, mais il se dégage quelque chose de cette tenancière qui me fait croire qu’elle ne prendra pas ombrage qu’on fasse référence ainsi de son infirmité, encore moins quand on essaie de faire un peu d’humour. A son entrée, j’ai froncé les sourcils d’étonnement. Le doute s’est vite dissipée, ce n’était pas une cliente, mais il faut bien dire qu’elle dénote par rapport à la majorité de ces paires. Son œil unique très certainement a le don de se poser mille et une question sur son origine, s’imaginant bien des scénarios et s’attendant à quelque chose de banal. Mais un habitué des tavernes a toujours se don de savoir enjoliver les histoires pour les rendre plus intéressantes, je ne me fais pas de bile là-dessus. Ses tatouages et ses vêtements chaleureux rajoutent grandement à un style très atypique qu’on ne regrette pas. On se souvient beaucoup des profils un peu hors du commun. Plutôt charmante au demeurant et n’ayant pas l’air si vieille que ça, c’est à se demander pourquoi il y a si peu de personnes à cette heure. Et puis, toutes ces provisions, ce n’est certainement pas pour son usage personnel. Etre capable de gérer les fourneaux pour proposer une restauration de qualité avec des produits on ne peut plus frais, c’est un avantage certain par rapport à d’autres qui ne versent que dans le liquide et des grignotages classiques. Tout le monde n’a pas la patience et le talent de la cuisine, hein, on leur pardonne. Bref, Il suffit de peu d’observations pour se dire que cette femme et cet établissement mérite qu’on y écluse quelques choppes.
-Mais tu n’as pas vu celle-là.
Et je pose sur le comptoir cette fameuse pomme qui est venu rouler vers moi et que j’ai récupéré avec toute la souplesse dont je suis capable, la gardant un instant en main, la faisant pivoter entre mes doigts tandis que j’observais, un sourire aux lèvres, la patronne gérer ses achats et son personnel.
-Plus exactement, je suis au Conseil de la Guilde des aventuriers.
J’aurais pu mentir, il est vrai. Même si tout le monde ne connait pas le fonctionnement de la guilde des aventuriers, quand on est fait partie de la guilde et qu’on n’est pas un aventurier classique et que notre titre parait un peu important, on se dit rapidement qu’on fait partie des gens importants. Ce qui est vrai, en l’état, mais ça créée souvent de la distance avec les gens, comme si le fait d’avoir un membre de la plus haute autorité de la guilde des aventuriers, instance responsable d’une part non négligeable du chiffre d’affaires des établissements d’Aryon car on le sait tous, l’aventurier consomme beaucoup en liquide, ça intimide. Parce que ça se dit qu’il suffit d’un mot de travers pour se prendre une mauvaise pub. Alors que non, hein, je suis moi, quoi. Mais je comprends. J’ai quand même cette même façon de me tendre un peu quand je cause avec un membre de la noblesse parce qu’il suffit d’un mot de travers pour que j’en entende parler pendant des lunes. Alors, je préfère tout de suite me rabaisser à ma simple condition.
-Mais devant un comptoir, une bière à la main, on est tous des bonnes âmes à la recherche d’un rafraichissement de qualité, du contact humain et du divertissement par l’ambiance. Même si là, faut dire, j’ai connu mieux.
Pas d’offenses, hein. Puisque j’ai la bière et que j’aurais pas l’ambiance, on sait tous que je vais chercher le contact.
-C’est toujours comme ça ? Le Sillage me parait être un endroit assez agréable pour qu’il gagne à être plus populaire. La bière est bonne. Le service est bon et la patronne est sympathique.
Même si on n’a pas vraiment causé, je mets une pièce dessus. J’ai le nez pour bien sentir ces choses-là. Et puis ça met dans de bonnes dispositions, les compliments. Je lève un doigt comme si je viens à l’instant à bout d’une réflexion.
-Whiskeyjack Callahan. Mais on m’appelle souvent Jack. Ex-aventurière ? Blessure de quête ?
Avalant sans bruit. Elle le toisa presqu'un moment. Sans le moindre jugement. Elle donnait souvent l'impression de faire une analyse détaillée des gens. Pour l'heure, ce n'était pas le cas. Elle ne pensait à rien. Le moment d'absence passé, elle s'étira, le fruit toujours en main. Sans trop savoir pourquoi, elle l'aimait bien. La remarque qu'il venait de faire résumait assez bien ce pourquoi elle avait fait le choix d'ouvrir une taverne. Et il ne semblait pas s'embarrasser de fioriture pour en parler. Morgane avait toujours préféré la franchise. IL semblait en être doté. Bien qu'il soit sans doute encore bien trop tôt pour en juger pleinement.
Il avait connu mieux. Sans doute. Ce n'était pas une offense pour la tenancière. Un sourire en coin venait de se peindre au coin de ses lèvres en réponse à son annonce. Son œil unique balayait désormais le lieu désert. Il est vrai qu'à cette heure là, le silence pouvait rebuter plus d'un voyageur. Il faut dire que son établissement était bien plus animé en soirée, ainsi que la nuit. Quoi que l'heure du midi soit tout de même mouvementée. Sûrement pas autant que chez ses concurrents. Sa renommée à elle venait de ses horaires atypique. Une taverne qui ne ferme jamais a de quoi être pratique. "Il faut venir la nuit mon gars. C'est là qu'on y fait de bonnes rencontres". Précise alors Morgane en portant de nouveau le fruit à ses lèvres. Le grignotant rapidement.
"Tu veux manger quelque chose?". Proposa la brune alors que trois hommes venaient de faire leur entrée. L'un d'eux adressa un signe de tête à Morgane. "Bien le bonjour ma bonne dame!" Clama t-il haut et fort alors qu'un second riait, adressant un signe de tête à Jack au passage. "Bonjour Rory. Comme d'habitude?" Répondit elle d'une voix forte également. Il acquiesça. Le petit groupe pris place à la table à droite de l'entrée, parlant fort et riant beaucoup. Rapidement, Leith se mit en marche pour servir trois rhums et un grand bol de fruits sec importés des archipels.
"Quoi que, il n'y a pas d'heure pour accueillir les copains". Lança la brune à l'attention de Jack avec une malice relative. Elle avait rit avant de finir sa pomme. "Ancienne Walkyrie. Blessure de guerre. Vous auriez vu l'autre". Lança t-elle amusée. Elle ne l'était pas. C'était un masque bien rodé désormais. "L'autre" avait pris sa sœur. Jamais elle ne pourrait en rire. Mais elle en riait. Il n'avait pas besoin de savoir.
"Qu'est-ce qui t'amène par ici? T'es en mission?" Reprit-elle simplement. Elle était douée pour les changements de sujet. Mais pas très doué pour le faire sans que ça ne se remarque.
Le contact humain, c’est nourrissant, n’allez pas croire que je me fais des cuissots d’êtres humains, hein. Je baisse la tête un instant quand elle parle de sa blessure. J’ai évidemment entendu parler des Walkyries, un régiment du sud très féminin. Il y a toujours pas mal de rumeurs qui tournent autour de ce régiment, notamment parce que l’esprit humain ; entendre par là l’esprit des hommes en particulier ; est incapable de ne pas avoir une imagination florissante quand on lui parle d’un escadron militaire composé uniquement de femmes, souvent jeune, vivant en commun à des âges où l’on apprend en général à découvrir les autres. Enfin, vous comprenez. Ca les travaille. Et comme ça reste assez secret, ça bave pas mal sur eux. Et ça occulte souvent qu’elles sont parfaitement capables de mener à bien des missions importantes et que leur qualité martial sont tout à fait excellente. Les blessures ont combat, c’est rarement joli. Avec les aventuriers, on en voit aussi des biens dégueulasses. Mais là où le boulot d’aventurier est souvent solitaire, la garde est une grande famille et il y a des blessures plus graves que la perte d’un membre. Il y a aussi la perte d’un membre de cette grande famille. Heureusement, ça ne semble pas la concerner.
-J’ai bien l’impression qu’il n’y a pas besoin d’attendre la nuit pour faire des bonnes rencontres ici.
Je luis souris. Vrai qu’elle est d’une compagnie agréable. J’ai le contact facile et si beaucoup de gens me connaissent, ce qui favorise les nouveaux échanges, les gens sont généralement cordial pour un premier contact, mais sans cette proximité que la tenancière met entre nous. La nuit semble pleine de promesse, mais ça va être un peu long d’attendre si longtemps, quoique, le temps peut passer vite en sa compagnie. Et puis, si les habitués commencent à venir, je vais finalement avoir mon ambiance. Elle change de sujet. Je ne m’en offusque pas particulièrement. Quand on ne se connait pas, c’est assez habituel de changer de sujets histoires de mieux cerner les personnes. Je lui demandé sur son passé alors que je connais son présent, c’est plutôt cohérent de me demander ce que je fais ici, puisque de son côté, c’est assez évident. Je fais une grimace. J’aurais bien voulu retarder ça. Parler boulot, ça a tendance à rendre l’ambiance un peu moins désinvolte. Pas que les gens soient particulièrement contre ce que je propose, mais ça met vite des relations de collègues au premier plan. J’aime bien me faire des copains avant de me faire des associés. Les premiers petits potes, c’était mes établissements favoris, on se connaissait. Puis les connaissances vagues et ainsi de suite. Là, on ne se connait pas. Heureusement, je pense pouvoir compter sur elle pour ne pas que ça la chamboule outre mesure.
-En vérité, je ne suis pas venu totalement par hasard.
Le mieux, c’est d’être flanc. Je lui jette un regard en coin avec un petit sourire du même acabit et je me penche pour ajouter un peu d’intimité sans qu’il y’en ait vraiment besoin, les habitués ne sont pas tout prêt.
-As-tu déjà entendu parler des petits potes ?
Dans le milieu des tavernes et autres établissement du même genre, difficile d’être passé à côté.
-C’est une sorte d’associations d’échangent et de partagent d’informations. Pour l’intérêt commun. Je l’ai créé, il y a plusieurs cycles, déjà. Sur un constat simple. Dans ton domaine de métier, j’ai bien remarqué que les gens aiment parler de tous et de rien. Parce que les tavernes sont des lieux où il fait bon parler. Echanger. Rencontrer. J’adore ça. Et dans tout ça, il y a toujours des informations qui semblent anecdotiques pour ceux qui les donnent, mais qui sont très importantes pour d’autre à l’opposé de la ville. Si untel a croisé un animal abandonné dans une ruelle, peut-être que cette animal perdue est recherché par quelqu’un d’autre. Qui va demander de l’aide. Comme dans une taverne ou il y a du monde. Et si un échange d’information peut se faire entre les deux établissements, surement que cette personne pourra retrouver son familier. C’est juste un exemple. Mais c’est l’idée.
Je lâche un silence le temps de bien assimilée ce que j’ai sorti. Et pour boire une gorgée, évidemment.
-Du coup, en venant ici, je me disais que, peut-être, tu voudrais rejoindre ce groupe.
Effectivement, même si la journée était plus calme au comptoir du Sillage, on y faisait tout de même de bonnes rencontres. Des habitués pour la plupart. Ou encore des voyageurs de passage. Ce jour là, c'était la première option. Soit. Mais il y avait Jack. Cet homme un peu sorti de nul part qui semblait pourtant pas avoir poussée la porte de l'établissement par hasard. Morgane n'était pas dupe. Bien qu'elle se trompe parfois, elle savait flairer les coups; Et bien qu'elle ignore totalement la raison de sa venue, elle pressentait qu'il ne soit pas là juste pour boire un verre. Il l'admit d'ailleurs sans détour. Ce qui plu à la tenancière qui n'était pas douée pour les devinettes. Sans parler du fait qu'elle n'avait jamais eue la patience pour ça.
Elle haussa un sourcil à l'entente des "petits potes". Oui effectivement, elle connaissait de loin. Ou du moins, en avait déjà vaguement entendu parler. Sa connaissance du sujet s'arrêtait là; Elle n'avait jamais cherché à en savoir plus. Pas qu'elle ne s'y intéressait pas. Mais...Si. En fait, elle n'avait pas été assez curieuse pour s'en soucier. Les ragots vont bon train à la capitale. Et il était d'usage pour la jeune femme d'en ignorer quelqu'un. "Hum...Je vois. J'en ai déjà entendu parler. Vaguement pour tout te dire." Précisa la jeune femme en croisant les bras, portant une main à son menton, semblant plongée dans un intense réflexion.
Morgane aime les histoires. Mais ne se montre sans doute pas toujours assez curieuse. Ceci dit, le principe évoqué par cet homme lui parlait. En fait, c'était déjà un peu ce qui se passait dans la plupart des établissements. Petit pote ou pas. "Mais pourquoi pas. Ça n'engage à rien. Comment tu répertorie les membres?" Reprit la brune en s'étirant, tirant un tabouret derrière le bar pour s'y asseoir. Faisant toujours face à son interlocuteur. "Il y a des projets à financer ou c'est vraiment juste un réseau?". Acheva t-elle simplement, curieuse - pour le coup - d'en savoir quand même un peu plus; Elle n'était pas pince au point de ne pas participer. Mais elle n'était pas naïve non plus. Aussi, elle ne comptait pas s'engager dans quelque chose sans en connaitre les bornes.
-On fait pas des listes. C’est sans âme les listes. Je suis bien placé pour le savoir en bossant à l’administration de la guilde. Ça porte bien son nom. Avant toute chose, on est des potes et l’amitié ne se liste pas, elle se vit. Je connais ceux qui participent. Chacun se connait un peu. Car au-delà de rendre service tout le monde par l’information, nos membres se serrent les coudes dans la vie.
On n’est pas dans un monde avec une concurrence folle ou chacun doit protéger sa clientèle s’il ne veut pas devoir fermer. Le nombre d’établissement varie fonction du public naturellement. Par contre, il y a toujours des broutilles de la vie de tous les jours. Quand un petit pote voit son établissement endommager par un incendie, les copains viennent donner un coup de main pour réparer. Quand ça ne marche pas trop fort, chacun fait jouer quelques contacts pour organiser des évènements. Une petite dégustation d’une brasserie, un concert d’un groupe local, une soirée bingo. Si l’un de nos camarades se fait emmerder par des clients récalcitrants, on vient lui prêter main forte. Ce n’est pas juste « les petits potes ». C’est l’amitié au sens large. Qu’est ce qu’on ne ferait pas pour les copains, hein ?
-Il n’y a pas d’obligations de résultats, d’indicateurs et d’autres bêtises du style. Chacun fait en fonction de ce lui dicte sa conscience. Les informations jugées utiles à transmettre, elles sont transmises. Le reste, c’est entre toi et ton client. Toujours avoir l’esprit qu’on doit servir le bien commun, mais faut faire attention de ne pas causer des problèmes individuelles. L’information est une solution, mais peut-être une arme à double tranchant.
C’est comme ça que le groupe a des liens avec la garde pour le transfert de renseignements concernant des criminels notoires. C’est peut-être pas sympa pour le type, mais faut mieux l’arrêter plutôt qu’ils ne causent d’autres ennuis à la société. Même si on fait avec nos moyens dans ce cas-là, puisque les petits potes s’arrêtent là où commencent les bars clandestins et les établissements louches, endroits beaucoup plus prisés des gens en dehors de la loi. Mais c’est surement pas le cas ici, même si avec son cache-œil, elle ne dénoterait pas dans des rades dangereux. Et surement qu’elle n’aurait pas besoin d’escorte d’après son passif.
-On se finance au don. Pour les renseignements obtenus, les gens donnent ce qu’ils veulent. Il n’y a pas de règle. On est pas là pour appauvrir les honnêtes gens. Avec l’argent qu’on arrive à se faire, ça permet de financer des couts fixes. On a quelques gars qui centralisent l’ensemble des informations du royaume. Ca fait une grosse quantité. On a aussi notre propre système de transmission de messages. Pour la campagne, des chiens sont élevés pour faire la liaison entre les différents établissements et sont bien évidemment choyés par nos potes. En ville, on a des écureuils. Tout ça coute, mais nos dons suffisent. Pour ce qu’ils restent, on n’est jamais contre les idées de projets de nos membres. Certains parlent de faire une sorte de « fête de la mousse » avec tout le monde. Et d’accueillir plein de gens. Ça nécessite pas mal d’organisation, mais si ça colle bien, on peut financer.
Je lève mon verre dans sa direction, espérant la convaincre du bon fond de nos actions, dans un geste amical.
-On est pas là pour s’enrichir. On s’enrichit surtout des rencontres que l’on fait, des belles âmes qui partagent notre passion et des remerciements de ceux que l’on a pu simplement aidé.
Je jette un œil dans la salle et autour de moi. Assurément un bel établissement, mais il ne faut pas trop presser les gens.
-Tu n’as pas à prendre une décision tout de suite. Je peux revenir plus tard si l’envie t’en dit et te laisser le temps de la réflexion. Et si t’as d’autres questions, n’hésite pas.
Si Morgane pouvait sembler un peu pince au quotidien, elle avait un côté généreux que peu de monde soupçonnait. Et elle ne comptait pas tirer de bénéfice des petits potes. Parce qu'elle en faisait déjà assez avec son affaire, d'une part. Et parce qu'elle n'était pas du genre à monnayer des informations. Ce n'était pas son rôle. Elle ne l'avait jamais fait. Ou du moins, plus depuis qu'elle avait quitté la garde. Quoi que, maintenant qu'elle s'en rappelait, si peut-être une fois ou deux. Mais uniquement avec des individus peu recommandables. Qu'elle n'acceptait pas dans son établissement. Donc le problème était réglé.
Elle l'écouta attentivement. Il avait une manière de parler de ce groupe. Comme si c'était en fait une véritable famille. Morgane n'aspirait pas à avoir une autre famille. Elle en avait déjà une qui était suffisamment un fiasco pour qu'elle ne soit pas tentée de recommencer. Mais pour le coup, elle avait le choix de ses membres, en quelque sorte.
Elle ricana à l'annonce de Jack - Wiskeyjack, c'est bien trop long, et ça ressemblait un peu trop à la bouteille dans son dos - avant de s'étirer de nouveau. L'information. Ce n'était pas à elle qu'il apprendrait sa valeur. Le manque d'information avait jadis plongé leur régiment et celui de sa sœur dans un get-apen tel que plusieurs n'en étaient pas sorti. Olivia, n'en était pas sortie. Son regard s’obscurcit l'espace d'une seconde. "Tu ne m'apprend rien. Je connais la valeur de l'information." Précisa t-elle simplement en un haussement d'épaule. "En fait, ce que tu me décris là, c'est déjà ce que nous faisons tous. L'idée est simplement de fédérer autour de ça n'est-ce pas?" Résuma t-elle simplement.
C'est vrai qu'en y repensant, elle faisait déjà ça. Filer des tuyaux. Elle ne le faisait qu'en interne ceci dit. La solution de son interlocuteur lui permettrait de voir plus large. C'était à ses yeux un bon équilibre. Peu d'effort, un maximum de résultat. "Je signe où?" Reprit-elle, enjouée. Morgane avait toujours été impulsive. Pourquoi réfléchir lorsque l'on est déjà persuadée? En soit, elle ne prenait pas franchement de risque. Ce gars semblait honnête. Autant qu'un seul œil puisse en juger.
Elle leva son verre à son tour. Excitée à l'idée de prendre part à quelque chose d'un peu plus grand. Sa vie manquait peut-être un chouïa de mouvement. Pourtant, elle était douée pour faire des vague. "Au fait, moi c'est Morgane. Je ne dors jamais, alors viens quand tu veux". Acheva t-elle en tendant la main vers son futur partenaire de réseau.
Je garde un instant le silence, la fixant dans le regard, l’air d’être parfaitement sérieux. Puis j’éclate dans un grand sourire moqueur assez rapidement parce qu’il ne s’agirait pas de vexer les gens. Même si Morgane parait accepter les gens tels qu’ils sont, on ne sait jamais, il y a peut-être un traumatisme à propos d’une secte chez les gens qui font que les blagues mêmes les moins crédibles ne passent pas.
-Je déconne. Il n’y a rien à signer. Pas de listes, que je t’ai dit. Tu es d’accord avec ça, tu es dedans. Tu veux en sortir, on en prend acte. Pas de protocole. Pas d’embrouille. Pas d’emmerde. Les mots, ça fait office de loi chez les petits potes.
Je trinque avec elle. Trinquer, c’est aussi de ces gestes qui ont un vrai sens dans ce genre d’établissement. C’est à la vigueur qu’on met dans le geste que l’on montre sa satisfaction de passer un bon moment avec des gens qu’on apprécie. Autant vous dire que j’y mets du bien. Les verres s’entrechoquent. On boit. Puis on échange une poignée de main ferme et vigoureuse. Clairement, Morgane n’est pas tenancière à se faire marcher sur les pieds. Il y a des gaillards qui doivent sortir de l’épreuve avec des doigts endoloris et un peu de fierté masculine dans les chaussettes. Je tique sur ces derniers mots. Elle a causé précédemment que c’était la nuit qu’on faisait les meilleurs rencontres et maintenant, elle raconte qu’elle ne dort jamais. J’esquisse un sourire pour moi-même. Je commence à croire que c’est une invitation à venir lorsque le soleil ne sera plus témoin de ce qui se passe ici, avec la promesse de découvrir une autre facette de Morgane, vu comment c’est vendu. Déjà qu’il est vrai que le soir et la nuit suppriment la plupart des inhibitions humaines puisque après vient le sommeil réparateur et qu’on n’a pas de responsabilité avant le lever du soleil. Peut-être qu’en fait, la nuit, Morgane montre une autre facette de sa personnalité à base de rituel sanglant dans sa cave, prêtresse d’un culte étrange et pourchassé. Et que tout ça, c’est pour que je serve de sacrifice.
Ça m’étonnerait quand même.
-Bien, puisque c’est comme ça. Je repasserais ce soir, si les nuits ici sont beaucoup plus intéressantes que la journée. J’espère ne pas être déçu.
Que je dis avec un certain défi dans la voix. Pas qu’il faut sortir le tapis rouge pour moi, mais il s’agirait que la pub ne soit pas mensongère. Qu’est ce qu’on dirait si en réalité, les petits potes étaient en fait une bande de connards qui déchirent les histoires des gens pour leur profil ? Toutes mes explications, ça serait mensonger. Ça va me laisser le temps de transmettre l’information au réseau et de faire préparer les quelques trucs propres aux petites potes, évidemment. Peut-être que je viendrais avec Domovoï, mon brave associée. Il ne dit jamais non à rencontrer les nouveaux participants du réseau. Et puis, c’est lui qui s’occupe de la répartition des écureuils transmettant les informations et derrière son attitude de gros dur, il se liquéfie de gentillesse avec ces petits protégés. Il voudra voir de ses propres yeux qu’il ne laisse pas un de ces écureuils adorés à quelqu’un qui ne saura pas s’en occuper.
Du coup, je lève le camp, garantissant ma présence pour ce soir. En espérant qu’elle soit plaisante.
Leurs deux verres s'entrechoquent bruyamment. Elle y va franco. Ce ne sont pas des contenants fragile. Et tant bien même. La casse, il y en a tous les jours. Une taverne sans bris de verre lui semblerait bien terne. Elle bois alors de bon cœur avant de reposer son verre sur le comptoir avec fracas. Le liquide restant danse à l'intérieur, léchant dangereusement les contours sans pour autant laisser échapper la moindre goutte.
Oui, le soir, c'était particulier. En fait, Morgane ne savait pas trop décrire pourquoi. La fatigue de la journée délie plus facilement les langues. Ça, et parfois le simple fait d'être soulagé d'avoir trouvé un endroit où faire une halte à une heure bien tardive. "Pas de problème, je t'attendrais de pied ferme. Je fais de la joue de bœuf pour ce soir si jamais ça t'intéresse. Le vin de pays que j'utilise pour la cuisiner fait des merveilles". Lance t-elle alors.
Bon,ne buveuse, Morgane est également dotée d'un bon coup de fourchette qu'elle partage allègrement avec les visiteurs qui franchissent la porte du sillage. Un bon verre, de la bonne bouffe. Que demander de mieux. Ça réchauffe les corps et les esprits et ça détends. Elle même appréciait les haltes dans les bonnes taverne lorsqu'elle était encore membre de la garde. Elle songeait d'ailleurs de plus en plus à compléter son établissement par une auberge, finalement...
-Encore deux minutes, Dom’.
-T’entends ça ? deux minutes. Oh oui t’es beau. et t’es fort, hein ?
Je tourne la tête derrière moi, surprenant mon partenaire en train de gratouiller la tête de son écureuil posé sur son épaule, observant les alentours avec une curiosité certaine. Quand on voit la masse de muscles et le visage buriné par les efforts de Domovoï, c’est dénote franchement avec son comportement pour ses animaux de compagnie.
Voyez un peu sa gueule.
- Spoiler:
Vous comprenez où je veux en venir ?
-T’es vraiment sûr qu’on peut lui faire confiance ? Je voudrais pas refiler Casse-Noisette à un mauvais partenaire.
-Elle est très sympathique. Je parie qu’elle va te plaire. En plus, il y a de la joue de bœuf ce soir. Quelqu’un qui fait de la joue de bœuf ne peut pas être méchant, non ?
Il réfléchit une seconde en se tenant le menton.
-Mouai. ça se tient.
On arrive. Je retrouve facilement les lieux, sauf qu’ils sont beaucoup plus animés. C’est le soir. L’heure de la bouffe. L’heure des pics d’activités dans ce genre d’établissement, même si ça pourrait être pire, mais probablement que ça va se remplir au fur et à mesure. Parait-il que l’établissement ferme à des heures bien tardives, ce qui fait que bon nombre de gens peuvent y venir finir leur soirée, voire plutôt leur nuit, à l’heure où tous les autres ferment pour profiter du sommeil du juste. Quelques clients sortent en arrivant et on les laisse passer, l’un jetant un drôle de regard à Domovoï qui s’amuse à passer Casse-Noisette d’une épaule à l’autre comme un gosse. Casse-Noisette. Je l’ai connu meilleur sur les noms. On ne va pas juger. On entre. Et là, ça fait plaisir. Il y a des gens, de l’animation, les odeurs de bouffes nous assaillent les sens et les rires en disent long sur la bonne ambiance. L’alcool coule à flot, aussi, mais est-ce vraiment utile de le préciser ? J’avise rapidement Morgane, mais celle-ci est bien évidemment occupée à gérer ses clients, et même si on est tout nouveau partenaire, ça ne nous permet pas de passer devant tout le monde. Priorité aux clients, c’est le maître mot.
En tout cas, ça dépote derrière le comptoir. L’équipe paraît efficace pour gérer autant de monde avec si peu de mains. C’est là qu’on reconnaît les bons établissements aussi. Où on ne compte pas ses heures par amour de la profession. Avec l’ami Domovoï, on se fraye un passage jusqu’à un bout de comptoir délaissé par des clients rassasiés. Entre ces mains, mon associé retient son écureuil, bien trop inquiet qu’il lui arrive quelque chose au milieu de la masse et lançant des regards menaçants à quiconque le bousculant, ce qui pourrait blesser l’animal. Heureusement, l’ami Dom’ n’est pas bien grand, mais il est massif, ce qui le rend très solide sur ses appuis. On ne le bouscule pas beaucoup. C’est mieux pour tout le monde.
On attend notre tour qui finit par arriver, parce qu’on ne passe pas en priorité, mais on fait les gens dans le bon ordre. C’est normal. Elle me reconnaît, évidemment, en même temps, j’ose espérer qu’elle a une mémoire supérieure à douze heures.
-Re ! Morgane, je te présente Domovoï, mon associé. Domovoï, Morgane. Nouvelle petite pote.
-Salut. On m’a dit qu’il y avait de la joue de bœuf.
-Il a les crocs, je crois. Possible d’en avoir deux ?
-Et deux bières !
-Cela va de soi.
Il s’agit de pas trop l’occuper. On a tout notre temps et elle a du boulot avant tout.
La soirée avait bien débutée. Leith et Sofia, s'affairait en salle, servant les plats sortant de la cuisine. Pas de cuisinier. Un plat unique. Ce n'était pas un restaurant. Morgane avait concocté une grosse quantité de joue de bœuf qui mijotait toujours à feu doux dans plusieurs grosses marmite. Elle n'avait plus qu'à remplir des assiettes et fournir le pain et la bière. Rien de plus facile. Un repas simple mais généreux. Un bon feu dans l'âtre et une ambiance de franche camaraderie. C'était bien tout ce que l'on attend d'une taverne n'est-ce pas?
Les assiettes creuses généreusement garnie de pommes de terre et de viande partaient en salle, revenant bien vide dans la grande majorité des cas. Morgane tenait son poste au comptoir. Servant vin, bière, spiritueux et autre avec une abilité qui trahissait l'habitude. De temps à autre, un client l'interpellait, elle se rendait alors à sa table pour discuter un peu. Se tenir au courant, prendre des nouvelles, c'était aussi l'occasion. Morgane travaillait tous les jours, et le Sillage ne fermait jamais. Une particularité qui lui valait d'être évoqué de temps en temps comme un établissement pratique. Pourtant, à la capital, la concurrence est rude. Mais elle ne le voit pas comme ça. Morgane n'a jamais été une femme d'affaire. Elle n'avait rien contre le fait que d'autres fasse affaire de la même manière. Son truc à elle, c'était de profiter de cette bonne ambiance. Tant pis si elle devait perdre quelques cristaux car d'autres établissements sont présents.
La lourdes porte s'ouvrait et se fermait avec fracas au gré des allées et venues. Certains restaient prendre un repas. D'autre seulement pour un verre. Puis deux. Puis d'autres. Chacun était libre de faire comme bon lui semblait, tant que tout le monde trouvait sa place. A gauche du comptoir, la large cheminée crachait ses flamme et sa douce chaleur dans le lieu un peu sombre. La nuit était tombée depuis longtemps.
Morgane ne manqua pas d’apercevoir Jack. Il était - semble t-il - revenu accompagné. Elle lui adressa un large sourire et un signe de la main tout en continuant à servir les boissons qu'elle posait sur le comptoir. Sofia et Leith faisait régulièrement l'aller et retour. Lorsque ce fût plus calme, elle se dirigea vers le bout du comptoir pour les rejoindre, adressant un signe de tête en guise de salutation à l'attention du comparse de jack. "Bienvenue Domovoï". Lança t-elle de sa voix forte et assurée. Elle asséna un petit coup de poing sur l'épaule de l'homme, pour le saluer. A sa manière. A cette heure, elle avait déjà un peu bu, mais était seulement joyeuse. "Bien sûr, je vous sers ça! C'est parti pour deux assiettes". La tenancière disparu à peine une minute dans la cuisine derrière le comptoir, revenant avec deux assiettes creuses bien garnie qu'elle posa devant eux avec fracas. "Régalez vous !". Lança t-elle alors en servant deux chopes de bière. Elle déposa également à côté d'eux un petit panier avec quatre tranches de pain.
Son regard se posa alors que l'écureuil. Elle haussa un sourcil. Pas que cela lui pose le moindre problème, mais c'était déjà assez rare de voir des gens se pointer avec des animaux. alors un écureuil, c'était encore plus étonnant. "C'est ton familier? Il est mignon". Concéda t-elle alors en attrapant son propre verre - parce qu'elle en avait toujours un à porté de main - pour le porter à ses lèvres. "Tu vois, c'est quand même plus animé à cette heure" Lança t-elle alors à l'attention de Jack en lui adressant un clin d’œil, se tournant pour servir deux clients qui venaient d'arriver.
Je pose une main sur l’épaule de mon associé. Je comprends bien son dilemme. Il veut pas renier la petite créature même s’il est prévue de lui trouver un autre foyer ; ici même, en l’occurrence. C’est un peu dur et c’est pas l’habitude qui va l’aider à trouver facilement les mots pour décrire ce qu’il ressent. Pas parce qu’on est massif et qu’on sait imposer le respect à la force de ces poings dans une arène de fortune qu’on est capable de décrire les émotions contraires de son petit cœur envers des animaux aussi petits. Heureusement, il y a des sujets pour lesquels il est plus à l’aise, que d’autres décriraient comme grivois, surtout quand l’intéressée a le dos tourné.
-Et bah, pas désagréable celle-là. Ya que ces principes qui t’ont tapé dans l’œil ?
-Doucement, Dom’. Ce n’est pas très bien de parler comme ça des nouveaux associés.
Je le sens d’humeur à m’asticoter alors je le mets rapidement d’accord en lui intimant de gouter à son assiette. Et je peux vous dire que la faible longueur de la cartes est largement compensé parce qu’on avale. C’est très goutu. Extrêmement tendre, comme qu’on dirait que ça a été particulièrement bien cuit. Je trempe un quignon de pain dans la sauce épaisse et généreuse qui pourrait presque se manger tout seul même si on dit rarement non à quelque chose de bien ferme dans l’estomac pour le lester avant de le noyer dans la bière. Bière qui est toujours aussi bonne, comme je peux m’en douter, mais Domovoï me rejoint sur les qualités de cuisinière de la patronne et ses excellents choix de breuvages.
-C’est autre chose quand tu fais la cuisine, Dom’.
-J’ai jamais été cuistot.
-Tu t’es jamais occupé d’écureuils avant et pourtant, tu t’en tires comme un chef.
-C’est pas pareil. La cuisine, faut du talent.
Je discute pas, pas que je suis de son avis, mais qu’on évoque trop régulièrement le sujet pour qu’on radote en soirée. Même si c’est un copain, il nourrit un sentiment d’infériorité que je voudrais bien dissiper, mais il est aussi têtu qu’un rocher. Tout ça parce que moi, je suis un conseiller qui traine avec des gens de la noblesse ; pas que ça me fasse nécessairement plaisir, hein ; et que les petits potes, j’ai beaucoup contribué à les mettre en place avant que je vienne demander son aide. Et si aujourd’hui, il est indispensable à la bonne marche de ce réseau qui aide tant de gens tous les jours, il a toujours du mal à en accepter ces légitimes lauriers, quitte à se réduire à un profil d’hommes de mains du sympathique Whiskeyjack, trop brute pour être aussi sympa, trop anonyme pour être connu, trop rustre pour être compétent. Alors, on finit de manger en silence en se retrouvant avec la satisfaction d’un repas simple mais fait avec amour, dans l’ambiance de tous les bars du monde, mais où chaque bar a quelque chose de différent. Je saurais pas mieux expliquer, mais vous me comprendrez aisément.
Justement, on m’alpague. Des connaissances. Lointaines. Je remets pas trop les noms, mais les intéressés ne s’en formalisent pas. On échange, on bavarde et j’essaie d’inclure Domovoï dans les échanges alors qu’il se recroquevillait déjà dans son coin, à câliner Casse-Noisette, comme si je prenais toute la place. Du coup, il se force à sortir quelques répliques bien sentis qui n’appellent pas forcément de réponses, un brin provocateur pour tirer un sourire gêné et un faux air de consternation. Ça reste cordial, hein.
V’là que Morgane revient vers nous, pour nous débarrasser et je ne taris pas d’éloges sur sa cuisine et Dom’ fait pareil, mais à sa façon.
-Dites, t’aurais pas un gaillard dans votre vie ? Parce que j’ai gouté la cuisine de femmes de potes et je peux dire qu’elles n’arrivent pas à ta cheville.
Qu’il fait avec un petit clin d’œil tandis que Casse-Noisette lui monte sur l’épaule, fixant la propriétaire des lieux comme s’il savait déjà quelque chose. A côté, j’ai le sourire amusé du copain qui sait bien que c’est pour l’ambiance et que c’est assez habituel de vanter les talents des demoiselles qu’il croise. Je me permets d’enchainer à mon compte.
-Il dit ça parce qu’il a justement quelqu’un pour toi.
Il tourne la tête dans ma direction l’air de dire qu’il avait pas prévu de ça et je pointe du doigt son animal. Il fait un « ah » silencieux.
-Dans la continuité de ton association aux petits potes, je te présente Casse-Noisette. Pour l’originalité des noms, il faut se plaindre de Dom’.
-Hé !
-Casse-Noisette a été entrainé à porter les messages entre son chez lui et les bureaux des petits potes pour centraliser les informations. Tu as donc la lourde charge de partager ta vie avec lui.
Casse-Noisette agite les dents. L’air de dire que…. J’en sais rien. C’est un écureuil. Je comprends pas l’écureuil.
-Enfin, si tu le souhaites. Dom’ ne dira pas non à le garder pour lui. Il a du mal à partager.
-Mais !
Mon associé tend la main et l’écureuil vient lentement se glisser dans celle-ci selon un rituel bien huilé. Parce que pour l’habitué à faire le chemin, il a fallu faire l’opération avec des partenaires pour que les petits animaux prennent l’habitude de s’adapter à un nouvel établissement et de se débrouiller à retrouver leur destination. Il n’y a plus qu’à se faire adopter.
En passant devant eux de temps en temps, elle perçois des brides de conversation. Pas assez pour comprendre. C'est pas franchement comme si c'était ce qu'elle avait voulu faire. Elle s'affaire, naturellement. D'autres assiettes quittent le comptoir. Le balai des verres vides remplacés par des pleins n'a de cesse de s'intensifier. C'est une bonne soirée. A la fois en affaire et en convivialité. Morgane est dans son monde et oubli l'espace d'un instant ses deux visiteurs.
Ce n'est que lorsqu'elle aperçois leurs assiettes vides qu'elle revient vers eux, retirant les contenant vides. Appréciant le compliment maladroit de Domovoï au passage. Cela faisait bien longtemps qu'elle ne prenait plus mal les remarques de ce genre. Ce type n'était pas un mauvais bougre. Elle ricana, esquissant un sourire en coin. "Tous les gaillards que tu vois ici mon gars. Et plus encore. C'est justement parce que je n'ai pas qu'une seule bouche à nourrir que je suis si douée !". Rétorqua t-elle en riant avant de s'absenter quelques secondes pour mettre les assiettes à la plonge. Morgane n'était pas une femme facilement séduite. Elle avait cette fougue qui faisait d'elle un objectif inatteignable. Elle n'avait de toute façon pas le temps. Ni le cœur pour ça. Ses sentiments avaient toujours été bien trop absents. "Oh, ce petit gars là? Je n'aurais pas grand mal à le rassasier je pense." Rétorqua t-elle avec malice en portant son œil unique sur la petite boule de poil.
Son regard glissa de nouveau sur l'acolyte de Jack à l'évocation du prénom de l'animal. "Simple mais efficace. J'aime bien." Lança t-elle alors en esquissant un sourire. Bon, il est vrai que ce n'était qu'un détail. Mais il valait le coup d'être soulignée. "Pas bête comme méthode de communication" Admit-elle sans mal en reportant son regard sur l'écureuil. "Tu sais quoi Casse-Noisette?" Amorça la tenancière avant de disparaitre à nouveau en cuisine avant de réapparaitre avec une poignée de noix et quelques châtaignes. "Je n'ai pas de noisette, mais je crois qu'on devrais pouvoir faire affaire toi et moi" Acheva t-elle en posant le tout sur le comptoir.
"J'y connais pas grand chose en écureuil, mais je suis presque sûre que ça te plaira". Son regard se reporta sur Jack. "Vous utilisez un principe de cryptage ou quelque chose du genre? J'imagine qu'on a pas toujours des missives importantes, mais si le petit se faisait attraper avec une information un peu sensible...Comment ça se passe?" Reprit la jeune femme en attrapant un tabouret pour s'asseoir derrière le bar. Leith et Sofia bossaient désormais pour trois. Tant pis. Elle les récompenserait.
C’est ce que j’explique à Morgane alors que Domovoï pose la main sur le comptoir, permettant à l’écureuil de venir taper dans les friandises sans trop se préoccuper de cette histoire de course effectuée. L’important, c’est de manger. Comme les humains. Sauf qu’on boit aussi. On se resserre donc.
-Déjà si un connard essaie d’attraper un de nos écureuils, je le retrouve, je le défonce, puis je le leste de métal et je le balance dans le fleuve.
-Du calme, du calme, Domovoï.
Il a un truc dans le regard qui vous dit qu’il ne rigole pas forcément en disant ça. Avec ces poings massifs, il serait capable de tuer rien qu’à la deuxième phase de son plan, les autres servant uniquement à se défouler, même si ça va couter cher en métal à un moment. Je lui mets le reste de ma bière dans les mains pour qu’il ait quelque chose à se désaltérer en attendant la prochaine tournée et j’enchaine.
-Du fait de leur petites tailles et de leur rapidité, je pense qu’il doit être assez difficile de les intercepter. Si c’est vraiment le cas de manière régulière, ça finira par se savoir, je crois. Là, on pourra agir. Puis, pour que ces … « espions », dirais-je ? Que ces espions interceptent quelque chose de sensibles, il faudrait qu’ils aient une sacrée chance, ce n’est pas non plus le cœur de l’activité. Il faudrait limite qu’ils aient entendus parler de l’information pour savoir lequel d’écureuil à intercepter. Ça me parait assez difficile à concevoir. Pour ça qu’on n’a pas mis de codes en place.
-ça serait du travail pour tout le monde et encore plus pour moi et mes gars pour décrypter.
-Ou alors, on crypte que les informations importantes, mais il suffirait que quelqu’un surveille ton établissement et voit que tu passes du temps à rédiger un message pour savoir que c’est une information importante.
-Encore faut-il réussir à identifier une information importante.
-Aussi. Dom’ n’a pas tort. C’est beaucoup sur ça que le système repose. Une anecdote amusante pour l’un est une information importante pour l’autre. Le tout est de mettre en relation l’information avec la bonne personne.
On est servi pour une nouvelle tournée. On trinque. On boit. Ça me fait cogiter à une question.
-Le cryptage, c’est quelque chose de courant dans la garde ? J’ai toujours un peu de mal à visualiser d’intérêt. Il n’y a pas d’ennemis aussi important pour lutter contre la garde. C’est plutôt que les gens essaient de faire profil bas et qu’ils regardent ailleurs. Quand on sait que les Walkyries ont des sources chaudes exclusives, on peut se demander s’ils sont vraiment attentifs à leur responsabilité.
Il doit s’agir d’être prêt si un ennemi de l’extérieur arrive un jour dans l’espoir que ça n’arrive jamais. Du coup, il n’y a pas grand-chose à faire et ça préfère prendre du bon temps, le tout payé avec nos impôts. M’enfin, j’ai déjà croisé des gardes qui ont fait du bon boulot par le passé. Même s’il n’y a pas d’ennemis au sens global du terme, il y a des causes pour lesquelles il est important de se battre.
Son unique œil se porta sur la petite boule de poil alors que Domovoï illustrait à merveille le sort réservé à quiconque aurait l'audace de s'en prendre à lui ou à un autre des écureuils de l'organisation. Un sourire amusé se dessina sur les lèvres de la brune alors qu'elle portait une nouvelle fois son verre à ses lèvres. "Je vois que t'es un gars plutôt direct toi" Lança t-elle amusée dans un ricanement. "J'aime ça". Souligna t-elle simplement sur le ton de la discussion. Elle avait resservis ses acolytes - parce qu'ils l'étaient un peu désormais - mais aussi son propre verre. Sans radinerie aucune d'ailleurs. Elle avait toujours eue la main lourde.
L'ambiance était bonne enfant. C'était souvent le cas au Sillage. C'était un peu le terreau d'une bonne taverne après tout. Morgane y veillait, consciemment ou non. "C'est vrai que vu comme ça...J'imagine que la plupart des informations transmises sont sans importance si elles ne sont pas reçue par la bonne personne de toute façon". Conclu t-elle simplement en un haussement d'épaule et une gorgée de rhum supplémentaire.
Son regard se reporta sur Jack lorsqu'il évoqua les Walkyrie. Un peu plus dur, plus froid, que le regard amusé qu'elle avait pu lui lancer jusqu'à maintenant. Il venait de mettre les pieds sur une pente glissante. Mais alors qu'elle s’apprêtait à réagir violemment, probablement de manière peu conventionnelle, elle se contenta d'un soupire. Ce n'était pas le genre de soupire las, ou de ceux trahissant une fatigue. Mais bel et bien plus un soupire de contrôle et de décontraction. Elle se pondérait. Autant qu'elle le puisse. "Même si nous ne sommes pas en guerre, des gens meurent pour que nous puissions vivre notre vie tranquillement. Si cela implique de tortiller son cul meurtri par des jours de chevauchée dans une source d'eau chaude, je ne vois pas le problème." Ses mains s'étaient resserrées autour de son verre. Tellement que la jointure de ses doigts étaient devenue blanche. Elle avait esquissé un sourire. En fait, elle n'avait pas de raison valable de s’énerver. Jack n'avait pas tort. Mais voilà. Morgane savait que tous les gardes ne se valaient pas. Et en l’occurrence, elle n'était pas bonne pour en juger. Son impartialité avait été réduite à néant à l'instant même ou elle avait signé pour y entrer.
"Pour répondre à ta question. Non, pas si courant que ça. Mais ça arrive, pour les affaires sensibles. Je ne suis pas très au courant de tout ça. Notre job à nous, les Walkyries, c'était quand même plus la force de frappe". Précisa t-elle alors en soulignant "les walkyries" avec une pointe de sarcasme. Elle se foutait gentiment de lui. Elle avait beau s'en vexer un peu, elle ne pouvait pas le priver de son libre arbitre après tout.
Elle reprit alors, un peu plus sérieusement, préférant jouer la carte de la franchise. "Ah et Jack. Penses ce que tu veux. Mais j'ai laissé ma sœur et un œil à la Garde. Crois moi quand je te dis que ce n'est pas toujours une partie de plaisir". Précisa t-elle simplement en un haussement d'épaule. Elle ne voulait pas de sa pitié. Elle n'était pas dans la complainte. Mais peut-être comprendrait-il alors qu'elle ne voulais plus aborder ce genre de sujet avec lui.
-Je dois aller aux toilettes.
Domovoï lève son regard dans ma direction, surpris, puis légèrement inquiet de devoir se retrouver en première ligne, seul, à gérer peut-être les conséquences de mes déclarations. En vrai, j’ai une envie pressante, mais la situation s’y prête, parce que je ne sais absolument pas quoi dire. ça m’arrive pas souvent. En tant que conseiller, à devoir discuter avec des nobles, j’en ai commis des gaffes et ils en ont bien profité pour me rabaisser. C’est leur monde qui veut ça. Là, j’ai gaffé, mais j’ai blessé. Quelqu’un qui, comme elle l’a dit, à bosser pour que d’autres vivent tranquillement. Qu’ai-je fait, finalement, à part remplir des papiers à longueur de journée et mettre en relation des gens un peu partout ? Si un jour je devais défendre mon pays, risquer ma vie pour celles des autres, est-ce que ça servirait à quelque chose ? Je veux dire, est-ce que je serais capable d’avoir une utilité dans ce combat pour préserver des vies ? Ou est-ce que je vais me contenter de rédiger des rapports en espérant que d’autres fassent ce sacrifice à ma place ?
Ces pensées, je les fais devant le miroir en me lavant les mains. Subitement, toutes mes activités n’ont plus aucune importance puisque finalement, je suis un notable bien à l’abri à la capitale, protégé par la garde, au milieu des gens que j’aime. Je n’ai pas de problème familial, ni avec mes amis. J’ai une bonne vie pourrait-on dire. Mais c’est peut-être parce que je suis un lâche et que d’autres font des sacrifices à ma place. J’ai envie de revenir et de m’excuser, mais j’ai le sentiment que ça ne servirait à rien. Elle n’a pas besoin de mes excuses. Elle s’est faite ainsi, elle en a souffert et elle s’est faite tavernière seule, sûrement. Un Jack de plus ou de moins, ça ne change pas grand chose. Je m’ajoute juste à une longue liste de gens qui n’écoutent que les histoires sur les gens et pas ce qu’ils sont réellement, au final.
Je finis par revenir, parce qu’il faut bien et que Domovoï ne mérite pas de devoir gérer ça seul, même si probablement Morgane est retournée à ses affaires. Elle a une boutique à faire tourner. De nouveau dans la salle principale, j’hésite à nouveau à aborder le sujet, puis je secoue la tête. Pourquoi forcer à évoquer à nouveau le passé ? C’est le sien. Pensons au présent. C’est une taverne. Ce n’est pas un lieu pour les mines graves et les remords.
-Bon, belle compagnie, est-que ça serait pas l’heure des histoires et des chansons ?
Les plus alcoolisés répondent par l'affirmative dans l’espoir des chansons à boire. Les autres ne disent pas non à la convivialité des chants des uns et des autres. Un moment de partage dans la bonne ambiance Un gaillard sort une flute tandis qu’une femme agé pose une gratte sur son genou, grattant plusieurs accords d’une célèbre chanson de taverne évoquant les allées et venues d’un fils dans l’établissement de son père, grandissant à chaque couplet. Un triplet de braves gars se mettent à chanter avec corps et cœur. La pièce se remplit progressivement des fredonnements des uns et des autres et je mets la patte à quelques couplets avant de rejoindre Domovoï qui n’a pas bougé.
-Me refais plus ça.
Qu’il me glisse doucement. Je ne sais pas ce qu’il a fait, mais je suis sûr qu’il a géré. Je capte Morgane qui apporte la commande d’un client et nos regards se croisent. J’hésite à le détourner, mais je tiens bon. Faut assumer. J’ai un signe de tête, l’air de dire. Pas que ça veuille dire quelque chose, mais que je sais que j’aurais pu être plus malin. En tout cas, quand on se capte, je lui redemande sur le ton de comme si on reprenait une discussion laissée normalement en suspens.
-Alors, tu as adopté Casse-Noisette ?
Sa désinvolture n'était pas une façade. Bien que Morgane sache parfois se montrer extrêmement rancunière, il lui arrivait de faire la part des choses. C'était le cas présentement. Jack lui inspirait un genre de confiance. Elle ne pouvait pas le résumer à ce qu'il pensait d'un corps de la garde. Elle avait parfaitement conscience du fait que dans ce monde, rien n'était tout blanc, ou tout noir. Elle avait sa vision des choses, lui la sienne. Et pour une fois, elle voulait éviter de se comporter en enfant capricieuse. Le sujet était bien trop sensible. Et pour le coup, bien trop anecdotique. Ça n’interférerait pas dans leurs nouvelles affaires en commun. Elle ne le permettrait pas.
Pour l'heure, il fallait se changer les idées. Ne pas rester sur une noter aussi grave. Jack devait le savoir puisqu'il encouragea les chants. Elle lui adressa un sourire moqueur. "Des chansons qui tombent à pic hein?" Railla t-elle franchement, histoire de lui montrer qu'elle ne lui en voulait pas. C'était le cas. Elle avait dit ce qu'elle avait à dire et ne voyait pas franchement l'intérêt de s’étendre davantage. Elle contourna le comptoir, attrapant les deux homme de part et d'autre, bras dessus, bras dessous, les entrainant avec elle dans la danse. "Comment ne pas l'adopter? La question est plutôt de savoir si lui m'a adopté. Tu en penses quoi Domovoï?" Lança t-elle en haussant la voix pour couvrir le brouhaha, les chants et la musique qui battait désormais son plein.
Le Sillage s'était éveillé. Quelques clients, resté assis à leur table, battait le tempo d'une main, ou du pied, ou les deux. Tandis que certains rejoignait la folle ronde qui commençait à se créer. En arrière plan, parfois, une chope se brisait. Des rires éclataient. Enroué d'avoir chanté trop fort, des voix se taisaient, remplacées par d'autres. Enivrée par la fête, Morgane n'avait aucune idée du temps qui avait pu s'écouler lorsqu'elle arrêta de danser. Le temps, elle n'en avait que faire. Elle n'aurait pas besoin de répondre à un quelconque besoin de repos. Néanmoins assoiffé par tant d'exercice, elle se resservi un énième verre de rhum.
Regagnant son comptoir, elle s'adressa de nouveau à Jack, criant un peu pour se faire entendre. "Alors, tu as adopté le Sillage?" Lança t-elle amusée, reprenant volontairement la tournure qu'il avait utilisé plus tôt. Casse-noisette, lui, pris de fatigue, s'était lové dans un tas de sacs en toile de jute. Attendrie, Morgane attrapa son châle qu'elle posa délicatement sur le petit animal qui n'ouvrit même pas un oeil.
-Comment ne pas l’adopter ?
Un endroit qui pourrait ressembler à des tas d’autres, mais qui a son petit quelque chose qui le rend unique. Evidemment, n’allez pas croire que désormais, le Sillage serait mon rendez-vous de tous les soirs. Il y a toujours des tas d’autres établissements qui méritent d’être fréquenté et d’autres qui méritent d’être découvert. Ce n’est pas être très respectueux des taverniers que de se limiter à un seul établissement. Ça voudrait dire que les têtes ne changent jamais, et ce n’est pas l’essence de ces lieux, clairement. On est là pour se concentrer, alors il faut que les gens tournent. Entre ici et ailleurs. Combien de temps on a passé à échanger au travers des médiums de la danse et du chant ? Je ne sais plus. Les heures peuvent devenir des minutes. Et c’est quand les tourbillons des pas s’arrêtent qu’on se rend que tout à changer à proximité. S’il y a toujours un chœur qui ne semble pas pris de fatigue en apparence, mais qui se renouvelle sans cesse en réalité, l’assemblée s’est un peu plus clairsemée. Les couche-tôt sont partis entre temps. Bientôt, les couche-tard partiront à leur tour et alors ne restera que ceux qui n’ont pour seul limite que leur capacité à tenir sur leur deux jambes. Le souffle revenu, Domovoï a un regard attendri pour Casse-Noisette auprès duquel Morgane s’est rapproché lui portant une attention toute particulière qui démontre bien qu’elle l’a adopté. Comme l’a dit Domovoï plus tôt, il suffit souvent de bien se comporter avec eux pour qu’ils vous adoptent. Sur ce point, on ne se fait pas de doute qu’elle saura se faire accepter.
-Je suis mort. Et puis, faut encore travailler demain.
-Pas que toi, Dom’.
Puis j’avise Morgane et je lui fais une grimace en lui montrant du doigt mon compère, haussant un peu le temps parce que ça se donne à fond à côté.
-Il en peut plus. Tu l’as crevé !
Moi aussi, clairement, mais je fais genre que non. Je serais plus d’avis de rester poster encore un peu plus longtemps avant de mettre fin à cette journée bien rempli. Finissant son propre verre, Domovoï a un geste attendri en direction de l’écureuil avant de saluer la patronne, moi-même, puis quelques personnes de l’assemblée encore présente avec qui il a partagé une danse. Puis on le voit disparaitre d’un pas fatigué à l’extérieur. Je souris. Dire qu’il sera à huit heures pétante à son poste. Un bon gars, ce Dom’. Je viens me poser auprès de Morgane après une nouvelle pause technique. La fréquentation étant moindre, l’activité a décru. Et puis, les quantités se font moins impressionnante tandis que ce n’est plus trop l’heure de la restauration. On se peut se permettre de souffler.
-Qu’est ce que tu as à proposer en truc un peu plus fort, mais bon, parfait pour la fin de soirée ?
Parce qu’il n’y a pas que la bière dans la vie. De nombreux alcools forts et liqueurs divers offrent des saveurs agréables et certaines mêmes favorisent la digestion. C’est peut-être un peu tard pour ça, mais ça ne fera pas de mal.
-En tout cas, non seulement tu sais bien tenir ton bar, mais en plus, tu sais animer la piste de dance.
Une saine observation. Je n’en ferais pas autant. Les gens sont bourrés de talents et c’est ce qui est admirable. On dit la même chose de moi, parfois, c’est avant tout de la chance et la capacité à être bien entouré, mais c’est parce que Dom’ et Morgane était là.
-Ça aussi, c’est tous les soirs comme ça ?
Pas besoin de continuer les entrainements de la garde avec ce genre de séance tous les soirs, sans compter le boulot.
Quoi qu'il en soit, le regard de la jeune femme se tourna vers Domovoï qui, à priori, avait tout donné sur la piste de danse. Elle esquissa un sourire. La concernant, elle n'était pas fatigué du tout. Elle n'en montrait pas le moindre signe. Mais le rouge lui était quelque peu monté aux joues. A la fois à cause de l'alcool, mais aussi de la chaleur du lieu qui commençait néanmoins à se vider peu à peu.
Le calme se fût un peu plus présent. Bien des réminiscences de chant se fassent entendre parfois à certaines tables d'habitués. Elle adressa un signe de la main à un couple qui venait de partir. Des habitués. "Il est m'a l'air solide pourtant ton compatriote !" Lança Morgane d'une voix forte. Trop forte pour le calme qui régnait désormais. Ce serait probablement le ton de la fin de soirée. Encore une fois, un peu trop arrosée. Elle se mit à rire d'une rire gras qui manquait de grâce pour le coup. Comme sa personne, la plupart du temps, en fait.
"Mais bien sûr que j'ai ça. J'ai un excellent Rhum. J'ai la version arrangé au fruit de Cactoto. Je peux te proposer aussi un excellent bourbon ou un whisky au miel d'Ambrosia. Il doit me rester quelques bouteilles de vin de baies de lucols rouge. Mais honnêtement, ce truc là, c'est très cher, et c'est pas si bon que le rhum...hein." Avait-elle énuméré tout en sortant les bouteille une à une pour illustrer sa liste. Tout compte fait, elle vendait assez peu de ces alcool. Le Sillage étant surtout réputé pour ses bières d'excellentes qualité. Et puis, il faut dire que tous ses alcool étaient quand même plus chers que de la bière. Donc pour payer une tourner ou s'en enfiler plusieurs, il fallait avoir les moyens. Ou un sens des priorités en terme de budget hors de toute logique.
"Et pour la danse, disons que j'ai eu le temps de m'entrainer avec tous les troubadours qui passent dans le coin. Et j'ai de l’énergie à revendre ! " Lança t-elle comme pour se vanter de sa faculté. Ce qui en soit, n'était pas complétement faux. Pas du tout, en fait. "Oui, quasiment tous les soirs. Sauf quand il y a des animations plus intéressantes dans d'autres tavernes. Mais en principe, on fait un roulement. J'ai pas mal d'habitués, mais aussi pas mal de nouvelle tête. La clientèle tourne pas mal" . Lança t-elle en haussant les épaules, parlant toujours d'une voix très forte. Le rhum avait fait son œuvre.
Attrapant un verre, elle commença à en laver quelqu'un. Deux d'en eux s'écrasèrent au sol. Elle les regarde d'un œil inexpressif. "Ça m'en fera moins à laver" constata t-elle en continuant. Ce qui ne l'empêchait pas de poursuivre la conversation.