Aux maux de notre jeunesse
[PV : Lilith Crabantill]
- Suite directe de Soins intensifs -
La musique inondait la pièce par vagues successives. Un remous entrecoupé par le rythme des instruments, tantôt ascendant, emballé sous les doigts effrénés des musiciens, et puis l’instant suivant le vol plané, la chute libre vers une onde plus langoureuse, un lent tamtam des cœurs présents… Lilith et Luz n’étaient plus les seules âmes endiablées à virevolter dans la pièce et plusieurs autres convives les avaient rejointes. Des buveurs de tout âge et de tout poil dont les crins de multiples couleurs étaient appuyés d’identiques sourires, une semblable tessiture musicale traversant leurs corps. Et cela n’avait que peu d’importance que la chorégraphie de leur danse soit peu respectée : comptait uniquement l’entrain qu’on y mettait, ici sautillant sur un pied, là enchainant une passade des hanches, pivotant d’une cheville en sens inverse pour mieux relancer son partenaire. Luz crut même reconnaitre parmi leur farandole de danseurs la gestuelle caractéristique des danses de Forteresse, étonnement accordée à la musique qui se jouait ce soir-là malgré ces mouvements beaucoup plus martiaux. Fondue dans cette foule assoiffée, la praticienne compensait son évident manque de pratique ces dernières années par un souple entrain téméraire, peu soucieuse de cette timidité qui limitait d’ordinaire considérablement les autres fêtards. Sa partenaire lui rendait de toute façon la pareille, et Luz pouvait lire dans ses pas de danse l’ombre de ses combats passés, cette adresse naturelle du pied sûr et d’une aptitude à plonger spontanément dans une synchronisation alliée…
Qu’il était agréable également d’obtenir en réponse de ses dérives audacieuses un identique amusement ! L’aventurière n’était nullement timide et ne s’embarrassait pas non plus des jeux parfois stupides de sa partenaire, Luz n’ayant cure du ridicule. De fait, elle s’amusait follement, passant dans cet exercice fantasque et dansé les tensions du jour, des mois et de l’année écoulée. Heh, à Helmex et à l’alcool tous ces proches qui l’enquiquinaient, ses désillusions passées, ses craintes et ses difficultés ! Pourvu que ce qu’elle croyait définitivement enterré le reste et que la culpabilité s’efface, que rien ne subsiste que ces lendemains imprévisibles et enflammés… Oui, elle avait presque failli blesser considérablement une précieuse patiente, mais cela ne pouvait lui être entièrement reproché lorsque ladite victime savourait présentement à ses côtés le rythme prenant d’une danse rapprochée ?
Les cheveux en bataille, Luz profita d’une accalmie pour retourner à leur table, non sans un signe du doigt pour signifier à Lilith que sa bouche était sèche. Sa poitrine se soulevait d’un souffle éreinté, aussi agréablement échauffée qu’après quelque combat au sommet : elle dut chasser les mèches flammes qui collaient sa nuque, ramassant son ample chevelure d’une main dans un soupir de contentement. Par Lucy que cette crinière tenait chaud ! Cela devait être pire pour sa compagne dont la peau était relativement plus vêtue, notamment les gants qui protégeaient ses mains et ses bras d’une fine couche de tissu. Et ces ailes…
Elle s’accorda ce faisant une rasade de bière fraiche, apportée un peu plus tôt par le serveur sur un signe de leur part. Combien de temps avaient-elles dansé ? Tout en se posant cette question, Luz réalisa dans l’instant qu’elle s’en foutait. Le monde extérieur n’avait qu’à rester en retrait jusqu’à l’aurore s’il le fallait, elle n’avait ni envie d’y retourner ni d’en retrouver l’âpre réalité ! Elle tendit sa propre boisson à Lilith qui revenait à son tour à leur table, compatissante de cette fatigue jumelle qu’elle devinait dans la respiration saccadée de sa comparse. Elle n’eut cependant guère le temps d’ajouter quelque chose qu’une voix masculine les hélait d’une table voisine :
La drague était évidente, correctement dosée toutefois. Leur interlocuteur avait approximativement leur âge, apparemment entouré de trois autres de ses amis. Le sourire affable, tout à fait sociable. Le genre de personne à tenter le coup sans s’offusquer d’un éventuel refus, peut-être habitué à différentes conquêtes régulières. Mignon. Mais pas essentiel.
« Et pour cette tournée ? s’enquit-il avec un clin d’œil. »
Cette fois, Luz se contenta d’un sourire, un subtil regard coulé à Lilith. Elle était son invitée ce soir et son évidente priorité. Elle la laissait par conséquent maitre de cette décision, ne niant pas en outre ressentir une profonde curiosité à son égard… Etait-elle du type à apprécier de se faire draguer en soirée ? A s’outrer au contraire d’une telle attention ? Préférait-elle seulement le masculin au féminin ?
Profitant d’un moment de répit musical l’aventurière suivit la praticienne jusqu’à la table qu’elles avaient quittées plus tôt. Ses longs cheveux noirs de jais partaient maintenant en tous sens après ce moment endiablé, quelques mèches étant même venues s’enrouler autour de ses cornes. Lilith entreprit donc de les démêler et de se recoiffer un minimum en se rasseyant en face de la rousse.
- J’ai l’habitude d’être en armure tu sais, et crois moi que ce genre de cages de métal sont bien pires que ma tenue du jour question chaleur. Mais je dois admettre qu’après avoir autant dansé un peu de fraicheur ne ferait pas de mal.
Elle ôta ses gants qu’elle déposa simplement sur le côté de la table et attrapa de ses mains libérées du tissu la boisson tendue par Luz, en prenant directement une lampée rafraichissante. Mais elle n’eut pas le temps de la remercier, interrompue par une voix masculine en provenance d’une table voisine. Comme Lilith l’avait déjà remarquée elles avaient attiré l’attention de quelques personnes dans la salle et elles se faisaient maintenant clairement draguer. Luz qui connaissait mieux l’établissement répondit à la première question du groupe d’hommes mais fit comprendre à l’hybride que le choix de se prêter à leur jeu de séduction ou non lui revenait. D’ordinaire elle aurait acceptée sans hésiter et se serait déjà jointe à leur table mais pour l’heure ses désirs étaient légèrement différents.
- C’est tentant mais on va décliner pour ce soir. répondit-elle donc, accompagnant ses dires d’un sourire amical. Elle ne voulait pas se montrer trop brusque alors qu’ils n’avaient rien fait de mal mais cela ne servait à rien de leur faire espérer inutilement quelque chose. - Désolé ma belle, je nous prive de quatre beaux et jeunes étalons mais je n’ai pas envie de partager ce soir. Tu ne m’en veux pas j’espère ? Un sourire charmeur sur le visage accompagnait les paroles de Lilith qui tentait d’en savoir un peu plus sur les intentions de Luz. Il lui semblait clair qu’elle n’était pas plus hostile à ce genre de drague subtiles qu’elle ne l’était elle-même, pas plus qu’elle ne semblait regretter de s’en passer. Le choix qu’elle avait laissé à Lilith ne semblait donc pas être qu’une politesse cachant son propre avis sur la question mais bien un véritable choix.
Un soupir masculin derrière elles, une boutade lancée par l’un de ses amis et le groupe se plongea dans une courte discussion – cela n’avait que peu d’importance, car elle pouvait voir le quatrième d’entre eux revenir à leur table avec deux magnifiques créatures, visiblement davantage victorieux que son comparse dans cette pêche aux conquêtes. Luz observait ce manège aussi vieux que le monde avec une certaine nostalgie propre à ses années d’étude. Elle avait fui la Capitale le plus tôt possible et ses pas l’avaient maintes fois conduite à s’égarer dans les tavernes le soir, plus particulièrement celles fréquentées par de jeunes âmes en quête de bras provisoires. Une perspective idéale pour se protéger momentanément de ses inquiétudes habituelles et ne surtout pas appréhender sa propre solitude… Elle ne s’était plus adonnée à ce type d’activités depuis… Depuis longtemps. Le travail, ses proches et l’existence de manière générale prenaient le rythme emballé d’un cheval au galop et elle n’avait plus souvenir d’avoir vu les mois défiler. Tout cela pour… Être seule à nouveau.
Proche d’elle, elle avait spontanément laissé courir le dos de ses doigts sur la peau soyeuse de sa joue, caressant sa pommette de la pulpe du pouce avant de repousser l’une de ses longues mèches de cheveux brunes derrière une oreille.
Lilith sur les talons, Luz fendit donc la foule, ici se faufilant entre une épaule et une danseuse endiablée, là se glissant entre deux tables livrées à une intense joute de cartes. Enfin, la porte de l’établissement se dessina à l’horizon et l’air frais les happa dans un même ensemble. La praticienne en eut presque le souffle coupé, tant la taverne avait créé sa propre atmosphère d’énergie consommée. Dehors, l’obscurité avait absorbé toutes les silhouettes de la ville, une chappe d’ombres et de lumières traversées des rires des buveurs et des badauds qui profitaient tout comme elles d’une sortie nocturne. Luz écarta les bras, les prunelles tournées vers l’immensité du ciel, un surplomb constellé d’étoiles nébuleuses et d’étincelles fugaces :
Elle virevolta, un pas de danse mimé de leur précédente chorégraphie, légèrement ivre et largement heureuse. L’alcool traçait des lignes brûlantes dans ses veines, engourdissait juste assez ses sens pour rendre l’ivresse agréable. Elle tenait de toute façon brillement ses verres, guère éduquée pour manifester la moindre fragilité sur ce point.
Elle s’arracha à la contemplation du ciel pour poser le feu de ses prunelles sur sa partenaire, une curiosité matinée d’un mélange d’émotion dans le regard. Peut-être était-ce l’endroit, peut-être la compagnie, mais Luz se sentait investie d’une drôle de contemplation intérieure, percevant l’étendue des choix qui les avaient toutes deux conduites à ce moment. Que dirait la jeune Luz de son reflet adulte ? Qu’avait-elle réussi ? Ou raté ? Un silence et puis…
Etait-ce là ce qu’avait envisagé Lilith de sa vie ? Risquer son existence à chaque nouvelle mission, réaffronter chaque jour de plus terribles créatures que la veille ? Comment dormait-elle la nuit face à cette perspective, cette solitude ? Quelle récompense valait le coup d’un tel risque, si ce n’était de fuir autre chose de plus obscur ?
Elle avait entremêlé ses doigts aux siens, pressant doucement sa dextre pour lui transmettre ses bonnes intentions derrière ses questions malhabiles. Le regard compatissant, probablement plus qu’elle l’imaginait, après ce qu’elle avait elle-même vécu au sein de la Cité enfouie et du Désert volant.
- Avec plaisir.
Lilith laissa passer Luz devant et tâcha de se frayer un chemin dans ses pas au milieu de la foule en effervescence qui avait remplie la taverne. Lorsqu’elle arriva enfin dehors, refermant distraitement la porte derrière elle, l’hybride prit une grande bouffée de cet air frais qui manquais à l’intérieur. La nuit était complètement tombée mais en cette saison chaude les températures étaient encore agréables, suffisamment pour ce genre sortie nocturne et contempler la beauté d’un ciel étoilé et dégagé. Lilith, basculant un peu sa tête en arrière, laissa son regard se perdre en direction des astres lumineux, profitant simplement de l’instant et du calme ambiant, bien loin de l’atmosphère qui régnait à l’intérieur de la taverne. L’aventurière ne reporta son regard vers la rousse que lorsque celle-ci lui posa une question inattendue. Si la personne qu’elle était des années auparavant se voyait aujourd’hui, que penserait-elle de ce qu’elle est devenue ? Lilith garda le silence quelques instants, réfléchissant sérieusement la question. La réponse la plus évidente était affirmative ; Lilith avait toujours voulu devenir aventurière et elle l’était devenue alors son moi du passé serait au moins de fière de cela. Mais qu’en était-il du reste ? De ses choix de vie ? Depuis de nombreuses lunes maintenant, peut-être même plus sans qu’elle ne rende vraiment compte ou l’admette, Lilith s’était mise à douter de certains de ses choix mais elle ne s’était encore jamais demandée comment une version antérieure d’elle-même la verrait.
- J’imagine qu’elle serait fière, au moins un peu. commença-t-elle, toujours pensive. - J’ai toujours voulu devenir aventurière, et idéalement la meilleure qui soit, donc j’imagine qu’elle serait au moins fière que mon rêve n’ait pas changé à ce niveau-là et que je sois bien entrée à la Guilde même si je suis encore loin d’être Saphir et encore plus d’être la meilleure.
Lilith avait finalement occulté ses doutes, jugeant que ce n’était pas forcément le moment de parler de ça ne voulant pas gâcher l’ambiance. Mais Luz enchaina sur une autre question qui ne fit que ramener sur le devant la scènes les pensées que Lilith venait de chasser son esprit. La question sonnant comme un deuxième coup sur une plaie dont Lilith refusait généralement d’admettre l’existence, elle se renfrogna un instant. C’était bien avec la chasse à l’Umbra et ce qui en avait découlé que Lilith s’était mise à vraiment douter de ses choix de vie. Luz avait elle remarquée ce changement soudain dans l’attitude de l’hybride ? Ça en avait tout l’air puisqu’elle vint entremêler ses doigts avec les siens en lui offrant un regard empli de bienveillance. Retrouvant un sourire en demi-teinte, Lilith plongea son regard dans celui de la praticienne. Était-ce ce voile d’alcool qu’elle sentait flotter autour de son esprit ou al chaleur de Luz qui décida l’aventurière à parler ? Elle n’aurait su le dire ; sûrement y avait-il un peu des deux.
- Pour être franche je me suis sentie seule, seule et faible. Et ça n’est pas vraiment allé en s’améliorant depuis. Je te l’ai dit : je voulais être la meilleure aventurière de la Guilde mais forcée de constater que j’en suis bien loin. Encore plus depuis que j’ai perdu la plupart de mes pouvoirs. Et quand bien je le serais, est ce que ça serait suffisant ? Est-ce que j’en aurai assez ? Lilith marqua une courte pause, laissant les doigts de sa senestre jouer avec une mèche de cheveux flamboyante de la rousse. - Et pour la solitude, tu dois trouver ça bizarre non ? Je suis régulièrement entourée, je passe de nombreuses soirées dans les tavernes du royaume dès que j’en ait l’occasion mais on dirait que ça ne me suffit pas. Et paradoxalement j’ai aussi eu l’envie d’avoir pied-à-terre pour avoir des moments de tranquillité, seule chez moi.
Lilith avait l’impression de s’embrouiller dans ses dires, n’arrivant pas vraiment à ordonner ses pensées ni à mettre le doigts sur ce qui la dérangeait précisément dans sa vie actuelle mais malgré tout elle se sentait soulagée d’en parler un peu. Elle comptait en revanche bien changer de sujet dès que cette discussion serait finie et reprendre la soirée sur une note un peu plus joyeuse.
Un sourire radieux sur les lèvres, Luz laissa planer un instant de silence pour s’assurer que ses propos imprégnaient la chair de l’hybride, perçaient ses doutes et ses défenses pour mieux ancrer cette conviction dans sa poitrine.
Un pétillement amusé dans les prunelles, Luz avait reculé d’un léger pas pour tracer dans l’air de sa main libre l’angle mimé d’un cadre magique. Un œil fermé, son sourire s’agrandit et la rousse renarde reprit sa tirade avec cet aplomb caractéristique des téméraires culottés :
Elle tourna brièvement sur elle-même, gracieuse et souple malgré l’alcool, tenant toujours dans sa main les doigts fins de sa compagne du soir. Achevant ce tour théâtral, Luz poursuivit son mouvement d’une révérence bravache, portant la main amie à ses lèvres pour l’effleurer d’un baiser faussement chaste.
Elle espérait que Lilith lirait entre ces lignes un profond désir de se racheter pour ce précédent dérapage. Ah comme elle maudissait sa curiosité parfois ! Ces questions malhabiles qui franchissaient sa bouche avant que son cerveau ne les ait étudiées, cause régulière d’une multitude de problèmes ! Il aurait fallu être aveugle pour ne pas lire dans l’attitude de Lilith les marques d’une conscience si ce n’était brisée, du moins considérablement blessée. Un traumatisme que Luz n’avait pas vocation à faire ressurgir par cette nuit de saison chaude, ni même dans le cadre de leurs consultations. Elle comprenait qui plus est la terreur que pouvaient engendrer pareils souvenirs, car la Cité Enfouie n’avait pas été une sinécure. Certaines nuits de faiblesse plus pernicieuse que les autres, Luz sentait encore l’omniprésence des charognes, le crissement du sable et la lueur fantomatique qui avait embrasé les statues environnantes pour mieux les ramener à la vie. Du fait de son récent retour à la Capitale, la praticienne n’était aucunement équipée pour gérer cette agressivité minérale en plus des wardäns, et s’était vue contrainte d’abandonner ses camarades sur place… Fort heureusement, Arya aussi bien qu’Andra étaient à ce jour en parfaite santé – elle n’oubliait pas par ailleurs que la tentaculaire aventurière disposait à présent d’un joli badge de Saphir. Si ses pas la reconduiraient inévitablement dans une semblable situation périlleuse, l’expérience lui avait servi de dure leçon. Depuis, elle ne comptait plus le nombre d’objets magiques qu’elle portait quotidiennement sur le dos !
Elle jeta un regard autour d’elles, un air volontairement conspirateur sur le visage, jaugeant rapidement les silhouettes éparses qui discutaient tout comme elles à l’entrée de la taverne. Des couples en devenir qui se dragouillaient ici et là, ou le vaporeux nuage d’un cigare, les murmures ouatés d’amis plongés au cœur d’un débat. Elle-même à demie semée d’ombres, le reflet de ses prunelles agrémenté d’un éclat de dents blanches se devinait pourtant toujours dans la nuit.
Ses propos, sybillins, prirent tout leur sens lorsque la magie de son objet de pouvoir répondit à son appel. Sa peau auparavant de velours se recouvrit de quelques écailles satinées, tandis que ses omoplates s’alourdissaient d’une paire d’ailes jumelles à celles de Lilith. Sa crinière flamme couronnée de deux cornes majestueuses, Luz voulut ouvrir les bras sur un « tadaaa » magistral. Son effet fut cependant quelque peu gâché par une perte soudaine d’équilibre, très peu habituée à son nouvel objet de pouvoir. Se rattrapant de justesse aux avant-bras de l’hybride, la praticienne ne put que laisser filer un juron fort peu élégant, juste avant de se redresser vaillamment.
Ni sa superbe agilité. Tout le monde n’avait malheureusement pas l’heur de posséder de nombreuses années d'expérience dans ce domaine !
- C’est flatteur mais je doute fort que tu sois le genre de femme à te laisser dompter aussi facilement n’est-ce pas ? En tout cas je ne cracherai pas sur un peu moins de fenrir pour un peu plus de Luz sauvages dans ma vie. conclut-elle finalement d’un ton rieur tandis que les commissures de ses lèvres s’étaient relevées pour retracer le sourire qui avait quitté son visage quelques instants plus tôt.
Luz avait certes emmenée Lilith sur un terrain plus que difficile mais elle l’en avait aussi sortie aussi vite qu’elle y était entrée. L’hybride ne lui en voulait donc aucunement, au contraire même elle avait plutôt envie de la remercier. D’une certaine façon elle se sentait un peu plus soulagée maintenant et la soirée reprit un cours normal comme si rien ne s’était passé.
- Pas besoin de te rattraper tu sais...Lâcha-t-elle à demie-voix avant d’arquer un sourcil interrogateur. Quelque chose à lui proposer pour se rattraper ? Elle se demandait bien ce que Luz avait en tête, surtout au vu de l’air qu’elle arborait. La praticienne semblait bien préparer quelque chose mais l’hybride ne parvenait pas à se figurer quoi.
Quand finalement la rousse daigna donner plus d’information et qu’elle se parut d’écailles et d’une paire d’ailes semblable à celle naissant dans le bas dos de Lilith cette dernière ne put qu’écarquiller les yeux et entrouvrir la bouche de surprise. - Oh ! Je m’attendais vraiment pas à ça. Luz était même dotée de cornes maintenant pour ajouter aux ressemblances entre les deux femmes. Lilith avait instinctivement resserrée ses doigts autour des avant-bras de la métamorphosée pour l’aider à reprendre son équilibre tandis qu’elle détaillait curieusement les nouveaux attributs apportés par l’hybridation. C’était plutôt flatteur de savoir qu’elle l’avait influencé dans son choix de pouvoir et en même temps légèrement perturbant pour Lilith.
- Je vois… Tirant légèrement Luz vers elle, Lilith décolla du sol d’un puissant battement d’ailes, attirant avec elle sa compagne du soir. - Je pensais pas que ta proposition pour te rattraper soit qu’on s’envoie en l’air ma belle, mais je ne dis pas non. Un air de gamine sur le visage, elle n’avait pas pu s’empêcher ce jeu de mot doublé d’une blague graveleuse. - Plus sérieusement si je peux t’aider c’est avec plaisir mais je suis pas sure d’être de la plus grande utilité, pour être franche depuis le temps c’est devenue assez instinctif pour moi de voler.
L’aventurière avait légèrement reculée se mains, ne laissant que ses doigts entremêlés à ceux de la praticienne pour qu’elle ait suffisamment d’espace et de liberté. Luz ne contrôlait pas encore ses ailes correctement alors rester trop proche l’une de l’autre n’allait faire que la gêner, mais Lilith devait rester suffisamment proche pour l’assister voir si la rattraper au cas où. Maintenant cette distance jugée suffisante, l’hybride continuait de monter en altitude -attirant la rousse avec elle- jusqu’à se retrouver plusieurs mètres au-dessus des toits des bâtiments de la Capitale.
- La ville est plutôt jolie vu du dessus, surtout de nuit et lorsque c’est l’une des premières fois. Une balade nocturne t’irait en guise de premier cours ? Elle lui laissa quelques instants pour réfléchir à la proposition. - Puisque je suis avec toi tu vas pouvoir te lâcher sans risque, je te rattraperai si tu perds le contrôle. Fais-moi confiance.
L’aventurière avait appris à voler en armure alors voler vêtue que d’une simple robe était plus qu’un jeu d’enfant pour elle, elle n’aurait donc aucun mal éviter une potentielle chute à Luz. Elle lâcha donc finalement les mains de la rousse, lentement pour qu’elle ne soit pas surprise, et prit les devants en invitant sa belle à la suivre.
- Je t’ai dit avoir acheté un appartement à la Capitale non ? Il semblerait que j’ai oublié ton carton d’invitation pour la crémaillère mais j’imagine qu’il n’est pas trop tard pour me rattraper ? On pourra finir la soirée chez moi après cette escapade nocturne si madame est partante.
La rumeur de la lune brillait de mille feux sur la chevelure obsidienne de son accompagnatrice, et une poignée d’éclats rebondissaient subtilement sur sa peau, accrochaient les écailles dispersées de la praticienne. Elle ignorait comment l’Aventurière parvenait à conserver cette stature malgré la présence de membres supplémentaires… Car si la magie réglait le caractère impossible d’une telle situation, l’esprit peinait encore à appréhender la localisation et la gestion de ces deux appendices par manque d’habitude. Luz chassa le frisson d’appréhension qui s’était glissé sous sa peau, avait enferré ses anneaux dans le creux de ses reins. Ce n’était pas la première fois qu’elle se retrouvait suspendue au-dessus du vide, d’ordinaire soit soutenue par la magie de Rebonds soit convaincue de pouvoir bénéficier d’un atterrissage aquatique tolérant. En l’occurrence, et hormis la présence rassurante de Lilith, l’arrête effilée des toits, la rugosité des tuiles et la platitude mortelle des pavés étaient sans appel. Une digne promesse de mort aussi brutale qu’effroyable. Concentrée donc sur sa gestuelle, dédaignant parfois le reste de son corps pour se focaliser sur le doux bruissement des plumes à son oreille, Luz laissa les doigts de Lilith quitter les siens avec un pli contracté au coin des sourcils. La belle cornue n’eut pour sa part aucune difficulté à s’éloigner prudemment – prudemment uniquement parce qu’elle se souciait de la santé de sa partenaire peu habile -, mue par cette grâce fluide qui la caractérisait au sol tout autant qu’en plein ciel.
L’avantage à cette hauteur, c’est qu’une perdition d’une dizaine de mètres n’était pas dramatique. Par certains aspects, voler pouvait s’approcher d’un plongeon au cœur des abysses : la matière était différente, mais les risques encourus similaires. Allons, calme-toi ma fille. Respirer paisiblement, du moins répartir l’air uniformément dans sa poitrine, pas de brusques à-coups, rien que la moiteur estivale de l’air et la présence réconfortante de Lilith… Et puisque le premier stress diminuait, qu’elle ne s’était encore jamais aventurée aussi haut en l’absence de feu pour aiguiser son courage, le naturel revint au galop.
Une étincelle mutine rayonna dans ses prunelles, rapidement suivie d’un semi sourire en coin craquant.
Elle voulut se fendre d’un haussement d’épaules faussement résigné, mais un courant aérien plus sournois que les autres s’empêtra dans ses ailes et la contraignit à gesticuler un court instant. Heh, compliqué de draguer et d’impressionner les minettes tout en s’adonnant à une activité qu’elle ne maitrisait guère ! De qui était-ce l’idée déjà… ? Elle parvenait cependant à suivre Lilith sans trop d’hésitation, quand bien même la cornue aurait pu la semer d’un seul coup d’aile supplémentaire. Elle était pour autant chanceuse dans la mesure où cela ne paraissait pas être le plan de la soirée !
Prenant progressivement confiance en ses capacités, Luz se surprit même à gagner spontanément de l’altitude, son regard cherchant à capturer les confins du continent à peine esquissés par la rumeur de la nuit. De fins nuages s’effilochaient entre ses doigts, parfois brouillés par le bout de leurs ailes, tandis que la Capitale lui renvoyait le vaste miroir scintillant d’une multitude de feux encore allumés à cette heure. Le ronronnement diffus de la ville à moitié endormie, à moitié fêtarde laissait ici et là dans une volute la fragrance épicée de la nourriture chaude recrachée par une kyrielle de cheminées, mêlée de senteurs beaucoup trop complexes pour son odorat d’humaine. Derrière l’horizon, la ligne des arbres serrés en rangs d’ombres signalait la présence de la Grande Forêt, longeant les Plaines d’un imposant manteau.
Elle tourna ses prunelles curieuses vers sa partenaire de vol, pressentant que leur ballet aérien arrivait bientôt à son terme.
Malheureusement, Lilith devait avoir rarement l’heur de choisir sa météo dans son métier. Les bestioles ne vous attendaient pas non plus pour s’enfuir à toutes pattes et vivaient tout aussi bien leur vie sous une pluie diluvienne. Quant aux chutes de neige… Mieux valait être au sol et n’avoir pour problématique que de trouver comment composer son futur bonhomme de neige, plutôt que d’affronter pareilles bourrasques. Et puisque la cornue amorçait une manœuvre d’atterrissage, Luz se ferma d’une concentration studieuse, impatiente, déjà, de découvrir le lieu de vie de Lilith. Etait-elle désordonnée ? Maniaque ? Du type à s’abimer des heures durant dans une décoration pointilleuse ou privilégiait-elle plutôt des pièces anonymes et impersonnelles ?
- Je dois dire l’avis que la noblesse porte sur mes actions ne m’intéressent plus depuis bien longtemps. Mais je m’en voudrais d’entacher la réputation de l’inarrêtable mademoiselle Weiss a qui Lucy semble avoir promis une grande carrière. Un sourire en coin se dessina sur le visage de l’hybride, accompagné d’un regard entendu et elle ne put s’empêcher d’éclater de rire -après s’être assurée que Luz ait bien reprit son équilibre- lorsque cette dernière se fit mettre à mal par un courant d’air sournois. - Ton grand-père m’a l’air d’être un sage, on ferait bien d’écouter ses conseils avisés avant que tu ne finisses blessée par une autre turbulence. D’un battement d’aile mesuré elle vint s’approcher de Luz. - Meilleures danseuse du village je veux bien te croire, meilleure humaine volante… t’as encore un peu de travail je crois. Et avec la même agilité dont elle avait fait preuve pour s’approche, Lilith s’écarta à nouveau de la rousse.
En vérité elle voyait bien que Luz prenait petit à petit confiance en elle et s’améliorait à vue d’œil dans sa maîtrise du terrain aérien mais elle n’avait pu s’empêcher de la taquiner un peu. Finalement c’est même Luz qui commençait à prendre de l’altitude de sa propre initiative et à vraiment profiter du vol. Lilith continuait de suivre ses changements de hauteur et sentit qu’elle n’avait plus besoin d’être aussi vigilante à son égard. Elle commença donc à s’amuser elle aussi, filant en tête pour montrer le chemin, profitant de la vue qu’elle connaissait déjà bien mais appréciait toujours autant et se permettant quelques pirouettes aériennes.
- Et encore, les plus beaux paysages sont loin de la villes si tu veux mon avis.
Lilith balaya du regard les bâtiments en contrebas ; son appartement n’était plus très loin et leur sortie ailée allait toucher à son terme.
- Ça dépend des gens j’imagine. Moi je m’en lasse pas mais quand je vole, même si la Capitale est belle à voir, je préfère la nature seule, loin des bâtiments de la ville. Par contre… les temps que je préfère sont les pires pour voler ! J’aime la neige et les orages, et crois moi je te déconseille de voler par ce temps. Riant de bon cœur de ses propres contradictions Lilith amorça sa descente, invitant Luz à faire de même. - On arrive ma belle.
Lilith ouvrit la porte et gravit les escaliers menant à son appartement, suivie par la rousse. Situé au dernier étage du bâtiment, l’appartement offrait une belle vue sur la Luisante en contrebas.
Si Lilith rejetait la plupart du temps la noblesse, son lieu de vie trahissait ses racines et l’influence qu’elles avaient sur elle. L’aventurière ne cachait pas un certain attrait pour une forme de luxe lorsqu’elle n’était pas en mission. Ainsi elle avait acheté grand. Il y avait largement la place pour deux chambres de tailles respectables mais l’appartement était clairement agencé pour une personne seule ou un couple. Une seule chambre spacieuse et une vaste pièce de vie sur laquelle on arrivait directement après être entré et avoir passé un petit couloir. Une cheminée encastrée dans l’un des murs offrait un côté chaleureux à la pièce, un fauteuil était placé de chaque côté de cette cheminée et le canapé lui se trouvait judicieusement placé juste en face tandis qu’une table basse trônait au milieu de tout ça. Juxtaposée au salon, seulement séparé par véritable table servant à manger, se trouvait la cuisine où Lilith tentait tant bien que mal de produire des plats décents, ce qui se soldait souvent par un échec. Le couloir menait ensuite vers la salle de bain et la chambre de Lilith dont Luz pouvait voir un bout et le large lit y trônant à travers la porte négligemment laissée grande ouverte. Malgré la taille de l’appartement, celui-ci était assez sobre, entre autre parce que Lilith n’avait pas encore eu le temps de décorer.
- Installe toi, j’arrive tout de suite.
Elle lui indiqua d’un geste le canapé, y déposant au passage ses gants fins sur l’accoudoir, et partit dans la cuisine pour attraper quelques gourmandises qu’elle disposa délicatement sur un petit plateau.
- Tu m’excuseras pour la déco, j’ai pas encore eut le temps de m’y mettre. Je te sers quelque chose à boire ? fit elle en déposant le plateau sur la table basse, prenant au passage l’une des sucrerie qu’elle avala en une bouchée. Elle s’enquit de la commande de Luz et revint rapidement avec sa boisson qu’elle déposa à côté du plateau.
Au lieu de s’installer avec Luz, Lilith passa une nouvelle fois derrière le canapé, non pas pour se rendre dans la cuisine cette fois mais dans un tout autre but. Dans son dos, Lilith fit glisser ses doigts agiles vers les épaules de Luz qu’elle commença à masser avec une grande délicatesse.
- Les premières fois que je me suis servie de mes ailes je me retrouvait toujours avec un mal de dos et aux épaules pas possible. T’as pas dû y échapper non plus j’imagine avec notre petite escapade aérienne.
Les mains de l’hybride maintenant dédiées à détendre la praticienne commencèrent également à s’aventurer un peu plus loin sur le corps de Luz, effleurant sa poitrine du bout des doigts avec une envie retenue.
Luz ne retint pas son soupir d’aise. Les doigts de Lilith courraient sur ses épaules, agiles et pertinents, assurément connaisseurs des anfractuosités et des inflammations passagères que ses ailes avaient fait naitre dans ses muscles. Le lendemain s’avérerait probablement passablement douloureux malgré ce traitement de faveur, la praticienne n’ayant jamais eu l’habitude d’utiliser son corps de cette façon. Les acrobaties ne lui étaient certes pas étrangères dans le cadre d’un combat, ses points d’appui résidaient pour autant généralement dans ses hanches, ses jambes et parfois la détente de ses bras. Elle n’avait pas non plus la carrure d’un joueur de glooball et la magie n’apportait aucun réconfort lorsqu’il s’agissait de tricher avec ses propres limites physiques… Portant à sa bouche l’une des délicieuses friandises apportées par son hôte, Luz ne manqua pas de percevoir la subtile différence d’atmosphère.
Allons, ne trompons personne, aucun adulte ici présent n’était pris au dépourvu quant au déroulement de cette soirée. Ni Lilith ni la rouge renarde ne brillaient pas leur innocence, de surcroit réputées pour aimer les plaisirs simples de l’existence. Et, sous les effets de l’alcool, de l’adrénaline, et d’une émotion plus profonde, Luz pouvait sentir sa peau s’éveiller sous le passage de sa vis-à-vis, une trainée de feu qui laissait dans sa chair une nuée de pétillements agréables. Depuis quand quelqu’un avait-il été aussi doux avec elle… ? Depuis quand lui avait-on manifesté un tel intérêt, une douceur tendre mêlée d’une besoin impérieux, toujours respectueux néanmoins ? La réponse, pourtant limpide, n’était pas spécialement la bienvenue en cet instant. Lilith méritait une pleine attention, la reconnaissance de son existence et des bienfaits qu’elle se proposait de lui offrir en cet instant. Avait-on jamais vu âme plus généreuse ? Alors, puisqu’il lui fallait bien reléguer au cent vingt-cinquième plan de sa conscience l’existence de sa récente rupture avec Naëry, et qu’il ne serait jamais fait de tel affront à la splendide cornue, Luz plongea toute entière dans le fin mot de cette rencontre nocturne.
Levant les prunelles vers Lilith qui la surplombait, légèrement en retrait dans son dos, Luz lui tendit de deux doigts mutins une sucrerie enrobée d’un délicat vernis de chocolat noir. Et, tandis que les lèvres de l’Aventurière se saisissaient de l’offrande, les siennes s’entrouvrirent sur un soupir entrechoqué, la plainte silencieuse d’une envie fascinée. Se servant de sa main libre, elle avait glissé sa senestre sournoise derrière la nuque de la belle, s’arquant souplement du même temps pour mieux aider Lilith à traverser la distance, goûtant d’un même élan à cette bouche charnue au goût de sucre et de confiseries. Leurs souffles avidement mêlés, désireuse de taquiner la lippe si aguicheuse de la cornue, Luz ne recula que pour mieux l’observer, la respiration courte et le voile de ses longs cils noirs à demi-clos sur le miel sulfureux de son regard.
Aucune trace de remords, bien sûr, sur son visage. Rayonnante au contraire, maligne et fragmentée d’un fin semi sourire en coin joueur. Impériale. Elle avait pivoté, déjà, s’arrachant au contact moelleux du canapé pour mieux poser un genou sur ses coussins, portant l’écrin de ses mains autour du visage de l’Aventurière. Ses doigts effleurèrent ses pommettes, filèrent chasser une mèche de cheveu esseulée d’un geste d’une douceur exquise, pour mieux parcourir sa brune chevelure. Happer à nouveau ses lèvres soyeuses. Glisser, peu à peu, sur le coin de sa bouche, tracer une trainée brûlante sur la naissance de son cou. A peine une morsure taquine, assurément suffisamment prudente pour ne pas la heurter - jamais -, écho rendu à l’éclat malicieux de ses prunelles. Sa voix ne fut qu’un murmure chaud soufflé contre son oreille, la teinte d’une espièglerie toutefois, référence passée à l’une de leur toute première discussion :
Elle avait adroitement enjambé le dossier du canapé, enroulant ses doigts autour des poignets de Lilith pour mieux la ramener à elle, faire courir l’empreinte de ses paumes le long de ses hanches. Il lui semblait, tout à coup, important de découvrir la rondeur exacte de sa silhouette, décrire les yeux fermés l’aube de sa poitrine et l’étendue de cette peau qui se cachait toujours sous ces trop nombreux centimètres de tissu. Ainsi collée l’une à l’autre, Luz pouvait sentir sa respiration saccadée, leurs corps frissonnants étroitement mêlés vibrer d’une électricité contenue, et c’en devenait une forme de torture savoureuse. Ses ongles vinrent courir sur le dos dénudé de la belle, frôlant d’une caresse maîtrisée et tentatrice le creux offert de ses reins, sa senestre froissant du même temps sur la cuisse de Lilith cette si jolie robe blanche ourlée d’or qui gênait son entreprise. Alors, le regard pailleté d’ambre, Luz recula légèrement son visage, la pulpe de son pouce profitant de cette accalmie pour parcourir la lippe inférieure quelque peu malmenée de sa partenaire, presque plongée dans une expectative subjuguée.
Accepterait-elle cette invitation muette, cette possibilité ouverte sur une étendue vide, un plongeon dans l’espace sans retour… ?
Lorsque Luz s’arqua pour mieux faire face à Lilith en lui tendant l’une des sucreries amenées par cette dernière, l’hybride chassa au fin fond de son esprit toute ses pensées superflues. Elle arrêta son massage, sa dextre quittant la peau halée de la rousse pour venir effleurer du bout des doigts son visage, son pouce caressant sa pommette. Et elle combla les derniers centimètres la séparant de la confiserie enrobée de chocolat qu’elle vint cueillir avec gourmandise, ses lèvres s’attardant quelques instants de trop autour des doigts de la praticienne. Délaissant finalement la main de Luz pour avaler son chocolat, elle se dirigea vers une tout autre friandise. Bien plus alléchante encore que celle chocolatée. Elle parcourut rapidement la distance les séparant et goûta avec avidité aux lèvres fines de la belle. Elle pouvait aisément sentir son souffle chaud et irrégulier mêlé au sien tandis qu’elle finit par s’écarter à nouveau du visage de la praticienne.
- Un vilain défaut, au même titre que la curiosité, à ce qu’on dit. Mais je crois pouvoir le supporter pour ce soir conclut-elle en dévorant des yeux la rousse. Elle aussi était gourmande, à n’en point douter.
Lilith amena son pouce contre la commissure des lèvres de Luz s’étant tournée pour lui faire face et parcourut sa lippe avec envie, sa senestre jouant avec les longues mèches de cheveux couleur de feu retombant en queue de cheval dans son dos. Un frisson de plaisir traversa son corps lorsque Luz joua avec elle, goûtant ses lèvres une nouvelles fois, glissant contre elles pour rejoindre son cou afin d’y laisser la fine trace d’une douce morsure sur la peau laiteuse facilement marquée de l’aventurière. Ses lèvres malmenées se courbèrent finalement en un sourire amusé lorsque la rousse fit référence à leur toute première rencontre et elle ne put s’empêcher de laisser s’échapper un bref rire.
- Tu le découvriras bien assez vite. Elle lui susurra ces mots à l’oreille d’un ton lascif, promesse évidente pour la suite de la soirée.
Luz ayant quitté le confort du canapé, leurs corps rapprochés n’étaient plus séparés que par les centimètres de tissus de leurs tenues. Bien trop nombreux centimètres pour l’hybride malgré la légèreté de la tunique portée par la praticienne. Elle pouvait malgré tout sentir cette chaleur brûlante et dévorante monter en elle à son contact, le souffle saccadé de la rousse contre sa peau et ses doigts fins courir contre son corps malgré la robe s’y opposant. Le regard de l’ailée était plongé dans celui de Luz, toutes deux prêtes à s’abandonner l’une à l’autre elles faisaient néanmoins durer la chose. Les caresses tentatrices et contenues ne faisaient qu’attiser la flamme du désir brûlant qui prenait possession de son corps. N’y tenant plus, Lilith finit par plonger pleinement, s’abandonnant à ses désirs. Elle dépassa le pouce plaqué contre sa lippe et vint embrasser fougueusement Luz. Ses mains quittèrent le visage de sa belle pour décrire à leur tour avec précision chacune des courbes de son vis-à-vis. Glissant le long de sa nuque elles s’attardèrent un instant de plus sur ces épaules qu’elle avait massées pour en écarter les bretelles de la tunique blanc crème. Leur chemin continua en direction de sa taille, le bout de ses doigts glissant le long du galbe de sa poitrine, pour y trouver la ceinture en cuir l’enserrant. Elle déboucla la fine ceinture et passa ses mains dans son dos, effleurant sa chute de reins et faisant tomber le short court à leurs pieds. Elle avait délaissé les lèvres de la rousse pour prendre entre les siennes son lobe d’oreille qu’elle tritura quelques instants. Ses mains remontaient, glissant le long de sa colonne à la cambrure féline pour venir achever sa tâche en ôtant la tunique légère lui barrant encore la route.
- Quelle superbe créature… commenta-t-elle avec une envie dévorante en découvrant pleinement le corps enjôleur de Luz. - Je crois être sacrément chanceuse.
Assistée des mains délicieusement délicates de sa partenaire, Lilith se délesta également de sa robe qu’elle déposa nonchalamment sur l’accoudoir du canapé derrière elles. Elle enroula ses ailes autour de Luz pour mieux la serrer contre elle tandis que ses mains exploraient son corps dénudé et que ses lèvres embrassaient la naissance de son cou.
Luz n’avait pas disparu au point du jour, et la culpabilité ne l’avait nullement étreinte. Un très bon réveil, au demeurant, décida-t-elle dans l’instant. Sa conscience professionnelle était certes toute relative, Lilith représentait finalement une exception légitime. Leurs liens avaient progressivement glissé vers une amitié franche qui dépassait du moins largement le cadre du simple rapport entre une patiente et son médecin ! Heureusement, le pouvoir d’un certain espion empêchait Luz de faire de cette situation une généralité, ayant préalablement oublié son existence : il n’y avait donc pour elle aucun précurseur. Et puis, au diable les calculs et les remords, Lilith s’était révélée d’une insatiable compagnie, douce et chevronnée lorsqu’il s’agissait d’ouvrages charnels ! Impossible de ne pas se fendre d’un sourire spontané en la découvrant enroulée dans les draps au matin, sa chevelure aussi emmêlée que la sienne quoiqu’en meilleure disposition physique. Luz grimaça, consciente qu’elle n’avait plus spécialement l’habitude de courir monts et jardins ces derniers mois. L’expérience gracieusement procurée par le Désert volant l’avait convaincue qu’une existence derrière un bureau serait fort légitime pour quelques temps. Elle payait à présent le prix de cet ennui volontaire, moins habituée à… Hé bien, battre le Fenrir tant qu’il est encore chaud, qu’une Aventurière en pleine possession de ses moyens.
Qu’en était-il d’elles deux ? La brune avait soutenu ne pas être à la recherche de relations sérieuses ni décidée à s’amarrer dans une relative sécurité. La praticienne, pour sa part, œuvrait encore parmi les échardes de son cœur en chantier, plus prudente qu’un chat échaudé. Elle était ainsi divisée, en partie incertaine quant à la conduite à tenir envers une personne qui lui était devenue chère sans prévenir ni mot dire. Cette cavalcade sous les draps allait-elle sonner le glas de leur amitié ? Comment se positionner, lorsqu’elle ignorait tout de la sensibilité de la belle cornue, et de ce qu’elle recherchait précisément dans cette nuit d’acrobaties… ? Elle s’était redressée en bordure du lit, insouciante de sa propre nudité et guère gênée par la proximité de son interlocutrice. Ses sourcils s’étaient plissés d’une courbe soucieuse en cela qu’elle n’avait aucunement l’habitude d’hésiter. Si elle n’escomptait jamais blesser, elle ne prenait pas non plus de gant quand il s’agissait de s’exprimer. Lilith méritait également l’ample vérité, une honnêteté droite digne de sa grandeur d’âme, de sa bienveillance et de sa générosité.
Un sourire attendri dessina une infime pointe sur ses lèvres tandis qu’elle replaçait une mèche de cheveux brune de l’Aventurière, faufilant une main délicate dans sa chevelure.
Elle fit la moue et ce fut finalement un rire qui la saisit, brève envolée d’une agréable légèreté :
Titre encore amplement mérité la veille même lorsque l’envie subite d’électrocuter une jeune femme blessée l’avait saisie. Ce n’était que l’un des nombreux exemples de la célèbre disgrâce dont elle était capable, l’un des plus croustillants ayant entrainé son interdiction de participer aux réunions des anciens médecins organisées par son grand-père. Une sombre histoire de dentier et de blague salace.
- "Mademoiselle Weiss, éminente directrice et fondatrice de l’Astre de l’aube se voit dans l’obligation de se rendre absente de son bureau pour la présente journée. En effet la praticienne est contrainte de passer ladite journée avec une patiente un peu difficile affectée d’une maladie étrange nuisant à sa santé lorsqu’elle n’est pas en compagnie de la rousse directrice. En attendant de trouver un remède efficace à ce mal inconnu, mademoiselle Weiss se doit donc dans l’obligation de rester avec sa patiente. Je vous prie de bien vouloir l’en excuser, cordialement, ladite patiente." A qui dois-je adresser le mot d’absence mademoiselle Weiss ? Votre secrétaire peut-être ?
Bien évidemment les choses n’étaient pas aussi simples et, même si toutes deux ne diraient certainement pas non à une grasse matinée bien méritée, elles n’allaient plus tarder à devoir se quitter pour vaquer à leurs occupations respectives. Lilith laissa s’échapper de ses lèvres un soupir empli de lassitude tandis qu’une question s’imposait à son esprit tout juste réveillé : qu’éprouvait-elle vraiment pour la praticienne et comment allait évoluer leur relation maintenant ? Assurément elles étaient loin d’une simple relation médicale entre une patiente et son médecin. L’hybride ne voyait clairement pas non plus la belle comme un simple coup d’un soir, loin de là. Elle vouait au contraire à Luz un profond respect et une affection sincère. Cette nuit n’était-elle donc qu’un égarement charnel dans leur amitié ? Puisqu’elle en venait à se poser la question l’hybride se demandait s’il n’y avait vraiment que ça. Mais pour elle qui n’avait pas eu ni voulu de relation sérieuse depuis de nombreuses années l’idée de soudainement désirer plus qu’une nuit était difficile à envisager.
Ainsi perdue dans ses pensées c’est Luz qui la tira de ses interrogations. Elle disait vouloir conserver leur relation en l’état, sans regretter ce qui s’était passé entre elles ni désirer plus. D’une certaine façon, et malgré un léger pincement, ces mots rassurèrent Lilith. Elle aurait été bien attristée que la praticienne regrette cette nuit et une envie d’aller plus loin l’aurait assurément plus perdu qu’autre chose. Elle chassa finalement ses doutes, les remettant à plus tard, et se redressa elle aussi, laissant tomber les draps la recouvrant sur ses hanches. Elle effleura la pommette de la rousse du dos des doigts avant de lui offrir une chaleureuse étreinte amicale.
- Merci à toi, pour la soirée et pour le reste. Et ne t’inquiète pas, on devait bien évoquer le sujet à un moment ou un autre alors autant que ce soit maintenant. Notre relation restera la même, à condition que tu ne tentes pas de m’électrocuter la prochaine fois que je débarque en sang dans ton cabinet bien sûr.
Elle délaissa finalement la rousse et reposa sa tête contre l’oreiller duveteux après ce trait d’humour en référence à leur aventure électrique de la veille.
- La salle de bain est toute à toi si tu veux te préparer avant de partir. Mais je ne suis qu’une humble aventurière moi, je n’ai pas d’hôpital à faire tourner donc je pense traîner au lit encore quelques minutes de plus si ça ne te dérange pas.