-Je pense qu’il est facile de faire comme si tu n’es plus en sachant que c’est faux. Parce que derrière une situation en apparence dramatique, je saurais qu’il y a de l’espoir. C’est devoir mentir à tes proches qui seront dur. Et de les voir vivre avec ce mensonge.
Elle s’est trouvée un nom. J’aurais presque un sourire et un hochement de tête pour son choix si la situation n’était pas aussi dramatique. Ce n’est pas quelque chose que j’ai fait. Ce n’est pas quelque chose que je pensais faire, mais c’est quelque chose qui doit être fait. Et il s’agit d’être précis, efficace et de rien laisser au hasard. Ce serait horrible si tous les sacrifies réalisés ce soir ne servent à rien. J’essaie donc de faire le vide dans ma tête et de refluer mes sentiments et mes émotions en fond de moi-même pour penser correctement et méthodiquement. J’expose d’abord les faits.
-Il faut une histoire crédible. C’est un fait que tu étais enfermé plusieurs jours chez toi. C’est connu. Rien n’a fuité, évidemment, sur le plan officiel. Problèmes de santé. Ce soir, tu fuis ton appartement et tu rejoins la guilde en quête de sécurité. Amara est au courant, elle ne doit pas non plus savoir. Elle t’a vu paniquer. Elle ne connait pas les détails. Elle sait que nous nous voyons actuellement. Il faut maintenant compléter l’histoire qui sera compté.
La première idée qui me vient est celle d’une peur panique. Quelque chose d’inexplicable aux yeux de ses amis et de la guilde qui ne connaissent pas ces récents problèmes, et qui permet d’expliquer bien des comportements hasardeux. De plus, aux yeux de ceux qui la menacent, ça devrait tomber sous le sens que le poids de leur menace ait pesé sur la santé mentale de leur victime. Elle fuit donc, totalement paniqué, incapable de trouver autre endroit pour se protéger que son lieu de travail, cherchant mon aide parce que je suis déjà venu m’enquérir de son état de santé. Ce qui est quelque chose, aussi, de connu. Je suis resté vague, mais on a dû voir que j’ai été préoccupé. Un état psychologique fragile a pu justifier mon comportement à ce moment-là. Il serait cohérent que je cherche à falsifier une prise de contact auprès d’un médecin ou d’un psychologue. J’en connais qui pourrait probablement me faire ce coup de pouces sans poser de questions. Ce qui fait qu’on arrive à Nevaeh à la guilde avec, en apparence, une grosse fragilité psychologique inexpliquée. Il faut qu’elle puisse sortir d’ici afin d’enlever Amara de la liste des témoins potentiels. Quelque chose qui supprime de potentiels soupçons sur moi aussi. Qu’on ne puisse se dire que l’on cache quelque chose. J’expose ces informations à l’aventurière pour en arriver à la proposition qui traine depuis quelques instants au coin de mon esprit.
-A deux dans cette chambre, la situation dégénère et pris d’une nouvelle crise de panique, tu m’attaques, me blesses et tu me laisses ici pour t’enfuir.
Je lève la main comme pour arrêter la moindre contestation sur le coup de l’émotion. Elle n’a pas sa place ici. Méthodique et logique. Il ne faut absolument rien laissé au hasard. Car une fois qu’elle s’est attaquée à son dernier recourt, elle n’a plus aucune porte de sortie. La Nevaeh court sans raison dans les rues, tenant les passants à distance de sa lame ensanglantée, suffisamment en contrôle pour miner le chaos dans son esprit. Elle tracerait une piste de témoignages divers. La garde serait avertie. Elle traquerait quelqu’un portant mon manteau avec qui elle serait partie de la guilde. Pendant ce jeu de cache-cache, je parle à mes associés fidèles, dont Domovoï des petits potes. On demande à un de nos gars fidèles de faire un saut chez moi, de récupérer l’un de mes manteaux et de faire un saut dans le fleuve sous le nez de la garde pour faire croire que c’est la Nevaeh qui a sauté. Ce qui nous laisse le temps de faire la suite. Planquée, la véritable Nevaeh attend d’être récupérer discrètement. Il me vient alors une idée. Je sors de mes affaires un objet que je n’ai jamais utilisé, mais finalement, en voilà une utilisation utile. Une pierre de lien. Je la brise en deux comme il est prévu et je viens mettre une moitié dans la paume de la main de Nevaeh.
-Si tu sers ce fragment dans ta main, je pourrais sentir la direction approximative dans laquelle tu te trouves. Tu te cacheras et je donnerais cette pierre à un ami de confiance qui mourrait plutôt que de me trahir. Il te retrouvera. Quand tu voudras te cacher, mais ça, avec mon manteau, tu passeras pour moi de loin.
Ça, c’est un postiche de moustache. Une fois posée et c’est une formidable moustache qui viendra orner son faciès. De quoi la confondre avec moi et d’éviter les questions. Avec ce matériel, on peut la retrouver et s’en occuper alors que la garde et les gens la penseront perdu dans les flots. Il en vient l’épineuse question du corps. On est pas des marchands de cadavres, chez les petits potes, mais on sait des choses. On sait quand des gens meurent, sans famille, sans amis, par les histoires un peu partout via le réseau. Je pense qu’il ne sera pas compliqué d’avoir vent d’un décès anonyme et de récupérer le corps, dans les prochains jours, en toute discrétion, pour l’affubler de mon manteau avant de l’abandonner en aval du fleuve pour qu’il soit retrouvé. Quid de la ressemblance ? On pourra dire que Nevaeh avait souhaité changer d’apparence pour fuir ses agresseurs. Une apparence que peu auraient vraiment vue. Les ravages des corps dans l’eau feront le reste pour la rendre difficilement reconnaissable et conclure sur son décès.
Je m’arrête dans mes réflexions pour en arrive à un point sentimentalement épineux.
-Je ne sais pas si la noyade est une mort assez douce. Et ni même si un corps qui aurait été défiguré par les ravages de l’eau et de la magie soient d’un grand secours pour le deuil de tes proches, mais tout le reste me parait tenir. Qu’en penses-tu ?
Car le tout relève finalement de sa décision. Je ne suis que l’instrument qui doit accomplir son devoir.
Callahan
Nevaeh avait du mal à suivre le plan. Elle comprenait l’importance de la crédibilité. Le monde devait croire qu’elle était morte. Cependant, elle ne comprenait pas pourquoi elle devait l’attaquer puis s’enfuir ensuite. Qu’est-ce que cela accomplirait ? Avec la commotion, cela alerterait Amara qui viendrait voir si tout se passe bien. Elle verrait la jeune femme s’enfuir avec sa dague. Ah, c’était sûrement pour que l’autre hôtesse la voie partir. Elle ne pouvait tout de même pas mourir à l’intérieur de la guilde. Sinon sa mort serait suspecte et Jack serait le premier à être interrogé.
Lorsque le conseiller lui remet la pierre, elle observe l’objet un moment. Ce ne sera pas lui qui viendra la chercher. Elle aurait dû s’en attendre. Si elle ne pouvait pas faire confiance à cette nouvelle personne, elle faisait confiance en Jack. Donc, si elle suivait bien le plan, elle devait s’attaquer à lui, puis s’enfuir. Après avoir trouvé une cachette, elle se déguiserait en Jack en portant son manteau et une moustache. Elle était un peu nerveuse de quitter la guilde. Elle n’avait pas vu personne la suivre, mais elle avait cette peur que l’un des hommes du Non-mort pourrait la voir. Ce qu’elle ne comprenait pas était à quel moment elle allait mourir. Elle ne faisait que se cacher. Pendant qu’elle serait cachée, il orchestra donc la mise en scène de sa mort ? Il faut avouer que c’est un peu difficile à digérer. Il avait trouvé un plan en si peu de temps.
Puis, vient le sujet de sa mort. La noyade. Ça fait du sens. Après tout, Nevaeh n’avait jamais appris à nager, même après 27 ans. Ce n’est pas comme si elle aimait beaucoup l’eau non plus. Si elle devait réfléchir aux morts les plus douces, elle la noyade n’aurait pas été dans ses premiers choix. Sentir la panique alors qu’elle se débat contre le courant pour remonter à la surface. Sentir ses poumons exiger de l’oxygène, mais être rempli d’eau à la place. Mais elle supposait que c’était le meilleur scénario qu’elle pouvait demander. Elle voulait tout de même que sa mort soit naturelle. Sa famille ne devait pas penser qu’elle s’était fait tuer. Même si une flèche droite au cœur devait sûrement être la façon la plus rapide et sans douleur de mourir.
« Donc, on dira que j’ai tombé ? Que j’ai été poussé ? Je préfère ne pas dire que j’ai sauté de ma propre volonté. »
Une fois les derniers détails en place, elle ne trouva rien à réfuter. Le plan était parfait.
« Je ne pense pas avoir quoi que ce soit à rajouter. Tout est bon. »
Une fois tout en place, il était alors temps de mettre le plan en action. En théorie, tout fonctionnait. Mais, maintenant Nevaeh devait commencer ce spectacle en attaquant Jack. Du moment que sa lame le touche, sa vie allait changer. Nevaeh allait mourir, Raelyn prendrait sa place. Elle reprit sa dague et se leva. Ce genre de chose, personne ne nous prépare à cela. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut s’imaginer arriver dans notre vie. Son regard tomba sur son arme. Dire qu’elle avait pris une douche pour se laver du sang de l’hybride. Maintenant, elle allait se retrouver avec le sang de Jack. C’était pire. Mais il était trop tard pour faire marche arrière.
« Je suis désolée. »
Elle aurait préféré que cela se fasse sans douleur, mais le conseiller l’avait empêché de contester cette partie.
« Je ne peux pas rester. Je n’arrive pas à respirer. Je dois sortir. »
Sa voix se fit plus forte et stridente à chaque phrase. S’il voulait une crise de panique, en voilà une. Sa main tremblait un peu maintenant qu’il était temps qu’elle le blesse. Où ? Le bras. Il n’aura qu’à dire qu’elle l’avait accroché en le poussant de la porte lorsqu’elle voulut sortir. Elle n’osa pas regarder derrière, de peur de regretter et rester figer. Alors, elle quitta les lieux, laissant derrière Jack blesser et Amara ne comprenant rien.
Alors qu’elle courait dans les rues de la capitale, elle chercha un endroit pour trouver refuge. Quelques personnes se trouvaient dans son chemin, mais avec sa dague ensanglantée, ils n’osaient pas approcher. Il ne fallait pas que cela devienne une habitude. Cela allait faire deux fois que cela arrive. Elle ne voulait pas non plus être appréhendée par les gardes. Sûrement, qu’ils allaient être alertés. Après tout, ce n’est jamais une bonne chose de voir quelqu’un avec une arme imbiber de sang.
Après avoir parcouru une bonne distance, elle s’arrêta un instant pour reprendre son souffle. Elle n’était pas sûre ou elle avait atterri. Elle n’avait suivi que ses instincts, tournant les coins de rues aléatoirement. Elle était rendue seule dans les rues. C’était le bon moment d’enfiler le manteau de Jack et de poser la moustache. Elle erra dans les petites rues à la recherche d’une cachette. Elle finit par trouver un bâtiment en construction. Parfait. Elle se trouva un coin dans la noirceur ou elle pouvait facilement passer inaperçu. Elle se planqua derrière un mur à moitié terminé et prit la pierre dans sa main. Il ne restait plus qu’à attendre.
-Qu’est ce qu’il se passe ?
-J’ai envie de pisser.
-Ah.
-Va te mettre à l’abri en attendant.
-J’y compte bien.
L’homme saute au sol avant de se glisser en quelques pas silencieux vers un abri de l’autre côté de la rue. Il ne sait pas trop ce qu’il se passe, mais il n’est pas là pour poser des questions. Quand un gaillard comme Domovoï vous demande de ratisser les rues de la ville en vous donnant des directions au demeurant erratique, s’arrêtant plusieurs fois, invoquant toujours la même raison et vous incitant à regarder ailleurs, vous savez que ce n’est pas vos affaires. C’est bien payé et il ne fait rien de mal, alors, il la boucle. Les mains dans les poches. Il se réchauffe tant qu’il peut, convaincu que le Dom’ prend contact avec des informateurs très spéciaux, parce qu’il sait quand même qui c’est. Le gars des Petits Potes. Des bon gars. Il a déjà eu droit à deux ou trois informations utiles sans que ça lui coute grand-chose. Alors, il pose pas de questions. Il obéit bien sagement. En plus ce Domovoï est sympathique, malgré son physique assez brutale.
- Spoiler:
Vous trouvez pas ?
Une fois certain que le conducteur s’est mis à l’abri, Domovoï rentre dans la maison en construction avant de sortir de sa poche la pierre que lui a filée Jack. Il serre le poing, sentant à travers la magie de la pierre que l’autre n’est vraiment pas loin. Dans cette pièce, surement. Son regard balaie l’espace. On n’y voit pas grand-chose. Puis il y a un mouvement. Léger. Un bruit. Faible. Le grand gaillard a un sourire las. Il aimerait bien retrouver son lit, autant que ça finisse vite et sans accroc. Il lance la pierre dans la direction du mouvement d’une chiquenaude habile. La pierre roule dans sa direction. Une pierre que Nevaeh finit par ramasser révélant qu’elle est bien l’autre moitié de la pierre que Jack lui a donné plus tôt dans la nuit. Lentement, elle sort de sa cachette. Domovoï sort une grande cape qu’il donne à la jeune femme pour empêcher le moindre regard inquisiteur du coin d’identifier l’hôtesse. Puis il l’invite d’une main burinée par les efforts physiques de rejoindre la voiture dans laquelle le couple insolite monte, s’asseyant l’un face à l’autre. Domovoï sort une petite carte de sa poche où il est indiqué qu’il vient au nom de Whiskeyjack Callahan, signé de son tampon que l’hôtesse a pu identifier lors de son travail. Difficilement imitable.
-On repart.
-Ok. On va où ?
-Rejoins la grande rue. La suite, je te le dirais.
Comme d’habitude. Le conducteur reprend sa place et lance les chevaux au trot. Domovoï ne pose pas de questions et il évite de dévisager Nevaeh. Il a eu des instructions assez claires. Aux éventuelles interrogations, il se contente de dire qu’elle verra avec leur ami commun. Il y a de l’eau, du pain et des fruits si l’aventurière a un creux. En face d’elle, Domovoï se concentre surtout sur un petit écureuil endormi qu’il a laissé dans la voiture, lui grattant le dos d’un doigt, l’air songeur. Le trajet dure une quinzaine de minutes, entrecoupé d’instructions sonores de Domovoï à l’attention du conducteur qui semble se repérer facilement dans les rues d’une ville qu’il n’a jamais vraiment quitté de toute sa vie. L’ambiance pourrait être pesante, mais l’hôtesse peut sentir la même sympathie à l’égard de Domovoi que pour Jack, grâce à la fameuse petite carte octroyant à son possesseur les mêmes avantages de sympathie que Whiskeyjack Callahan. Mais ça, personne ne le sait, pas même l’intéressé. La voiture finit par s’arrêter dans un quartier populaire de la ville. Tout simplement chez Jack. Quoi de plus normal pour Domovoï d’allait voir Jack, même à une heure tardive ? Le duo sort de la voiture et le bras droit libère le conducteur, qui part aussitôt en rêvant de son lit. Il laisse Nevaeh sur le pas de la porte, son écureuil à sa poche de veston jetant un regard intrigué à l’aventurière. Il n’a que peu de mots pour elle. Il ne sait pas tout. Il saura peut-être un jour. Mais lui aussi, il a envie de retrouver son lit.
-Bon courage.
A l’intérieur, je l’attends dans ma chaise longue, le regard à travers ma fenêtre, songeant à chaque détail du plan et à tout ce qui doit être entrepris encore. Mon bras est bandé, mis en écharpe pour éviter le moindre souci. Je dois aller voir un médecin demain et m’occuper par la même occasion des quelques falsifications prévues. Amara a parfaitement réagi en me voyant au sol dans mon sang. Elle s’est occupé de moi et j’ai pu contrôler sa panique pour qu’elle réagisse selon comment je le voulais, d’après le plan qui avait été conçu. La blessure n’est pas grave. On dira que j’ai eu de la chance. Je dirais que ce n’est pas une chance que d’avoir échoué à aider une aventurière. Et l’histoire se terminera là. De mon autre main, je porte à mes lèvres un verre d’alcool fort qui est plutôt pratique pour oublier la douleur et grâce à mes habitudes dans les bars, je résiste très bien aux effets enivrants de l’alcool. Je tourne la tête vers Nevaeh à son arrivée. J’ai un sourire pour elle.
-Bienvenue. Jolie moustache.
Elle doit avoir des tas de questions. Que je peux lui fournir. Le plan s’est déroulé principalement comme prévu. Une fois soigné, j’ai fait alerter Domovoï avant la garde. Domovoï a pu lancer la fausse piste et surveiller notre gars qui s’est débrouillé comme un chef. Nul ne sait si c’est les individus aux trousses de Nevaeh auront mordus à l’hameçon, mais il est certain que pour le grand public, ce sera la vérité que l’on a décidé d’écrire qui sera pris en compte. Domovoï dit s’occuper de trouver une Nevaeh de remplacement demain. Pas une mince affaire, mais il devrait s’en sortir. Il n’a pas posé de questions. Chercher à comprendre. C’est la guilde. Il sait que ça compte beaucoup pour moi. Aider les gens aussi. Ça compte aussi pour lui. M’aider. Surtout. Je lui revaudrais ça. Il me semble que sa cave à spiritueux s’est vidée récemment. J’en reviens à Nevaeh. Je ne me lève pas, je suis un peu affaibli.
-Pas d’inquiétude pour ma blessure. J’aurais une jolie cicatrice. Il parait que ça attire les femmes.
Dédramatiser. Toujours. Nevaeh est morte. Raelyn est née.
-Tu peux prendre la chambre pour te reposer, si tu le souhaites. Pour demain, je te laisse décider. Tu souhaites peut-être ne pas trop m’en dire. En tout cas, sache que cette porte te sera toujours ouverte.
Il a fallu en arriver à cette extrémité pour la sauver. Je lui ai fait confiance. La confiance est importante. Et je ne vais pas lui forcer la main après tout ça. Elle peut toujours avoir mon aide. Mais l’accepter est une autre paire de manche. Ça n’a jamais été facile, même.
Callahan
Cela faisait près d’une heure que Nevaeh s’était cachée. Depuis, une pluie légère avait commencé pendant la nuit. Elle commençait à avoir froid, mais elle n’osait pas bouger. Elle osait à peine respirer de peur de faire le moindre bruit. Éventuellement, l’ami de Jack la retrouva. Lorsqu’elle entendit quelqu’un entrer dans la bâtisse, elle se pencha légèrement pour voir qui s’était introduit dans la pièce. Une fois certaine qu’il était bel et bien envoyé par le conseiller, elle le suivit. La route fut silencieuse. Elle ne savait pas quoi dire. Ses yeux fixèrent le petit animal pour se distraire de la situation. Ce serait bien pouvoir être un écureuil, se dit-elle. Une vie simple a ramassé des noix et se promener dans les bois. Elle aimait les choses simples.
Une fois arrivé à destination, elle le remercie avec un signe de la tête, puis entra. Elle trouva instantanément Jack. Durant le trajet, elle n’avait pas pensé à retirer la moustache. Lorsqu’il lui rappela, elle l’enleva. Elle n’avait plus besoin de lui ressembler. Elle n’enleva toutefois pas le manteau, elle avait encore un peu froid. Son regard se posa sur le bandage. Cela faisait partie du plan, mais elle détestait le fait qu’elle l’aille blesser. Il sembla voir ses yeux posés sur la blessure et tenta d’alléger l’atmosphère. À son commentaire, elle roula les yeux.
« Pas toutes les femmes. »
Peut-être que cela l’aurait attiré si ce n’était pas elle qui avait causé la blessure. Elle était trop épuisée pour penser à quelque chose d’autre que la chambre offerte.
« Tu devrais te reposer aussi. »
Après tout, Amara était allé le chercher en plein milieu de la nuit. Elle aurait pensé qu’elle aurait au moins attendu que le soleil se lève. Elle n’avait pas voulu qu’il se fasse déranger pendant qu’il dormait. En plus d’un réveil brutal, il était maintenant blessé. Lui aussi avait besoin de repos. Nevaeh laissa Jack seul avec son verre pour retrouver un sommeil bien mérité. Peut-être était-ce à cause de la fatigue et de l’épuisement mental, mais cette nuit, elle n’eut aucun cauchemar.
Malheureusement, le jour arriva beaucoup trop rapidement. Au moins, elle était moins fatiguée, mais la même chose ne pouvait pas être dite pour son corps. Encore couché dans le lit, son corps était lourd et elle considéra un moment rester là toute la journée. Elle resta allongée encore pendant un moment, se demandant quoi faire. Jack avait sûrement des questions. Il avait été assez gentil pour l’aider sans trop la questionner. Il serait donc juste qu’elle lui dise la vérité. Mais n’était-ce pas dangereux ? Le moins il en savait plus il était en sécurité. En gardant sa langue dans sa poche, elle pouvait au moins être sûre qu’il ne devienne pas une cible. Était-il cependant trop tard ? Est-ce que les hommes savaient où elle se trouvait ? Savaient-ils qu’elle était avec un membre de la guilde ? Non. Lorsqu’elle s’était enfuit, personne ne la suivait. Personne ne l’avait suivi non plus lorsqu’elle dut partir de la guilde. Son regard se perdit sur le plafond alors que ses pensées allaient dans tous les sens. Elle devait garder ce secret pour protéger ceux à qui elle tenait. Mais elle voulait aussi remercier Jack en lui accordant à son tour sa confiance. Pour cela, elle devait s’ouvrir à lui.
Éventuellement, elle se leva malgré les plaintes de son corps. Bien que l’idée de rester enfermé ne semblait pas mauvaise, elle décida tout de même de quitter la chambre. Être chez Jack était un peu étrange. Elle n’avait pas l’habitude de rester chez d’autres personnes. Après avoir suivi le couloir, elle finit par le retrouver. Étant dos à elle, elle ne voulait pas lui faire peur alors elle annonça sa présence en se raclant la gorge.
« J’espère que la nuit n’a pas été trop difficile. »
Nevaeh entra dans la pièce et prit place en face de Jack.
« Merci. »
Elle ne savait pas quoi lui dire, mais le remercier pour ce qu’il avait fait semblait un bon début. Sans lui, elle n’aurait pas trouvé d’autre plan que de rester caché dans la guilde.
« À propos d'hier… »
La confiance commençait avec de l’honnêteté et avec la communication.
« J’aimerais vraiment tout expliquer. Mais j’ai peur. »
Elle devait s’ouvrir.
« Je ne veux pas te mettre en danger. Mais je crois que c’est un peu trop tard. »
Sa gorge se serra, mais elle continua.
« Quelqu’un est venu… J’ai peur qu’il s’en prenne à la guilde, aux aventuriers, aux hôtesses, aux examinateurs, à tout le monde. »
Elle avait peur de ce que le Non-mort pouvait faire, mais elle avait peur de ne pas être assez forte pour l’arrêter. Malgré ses peurs, elle ne pouvait pas le laisser faire sans lui mettre des bâtons dans les roues.
« Mais je ferais tout pour l’en empêcher. Je veux l’arrêter plus que n’importe qui. »
Et ça, elle le ferait. Même si cela devait lui coûter la vie.
Je mens. Je dois avoir une tête affreuse. La vérité, c’est que j’ai pas dormi. Lorsque Nevaeh a fermé la porte derrière elle, j’ai longuement fixé cette porte comme si elle représentait physiquement la situation dans laquelle j’étais. L’ignorance. Et derrière, il y a la connaissance. Mais ça serait brisé la confiance que l’hôtesse porte à mon égard que de chercher à obtenir cette connaissance. Ça serait se trahir soi-même. L’alcool et l’absence de repos m’a fait douter un instant. J’ai eu l’envie de forcer cette porte et de secouer Nevaeh pour enfin savoir. Je vous l’ai déjà dit. La guilde, c’est une grande famille. Et en tant que conseiller, je me dois de la protéger. Protéger Nevaeh. Protéger la guilde. Protéger chacun d’entre ces membres. Même ceux que je n’apprécie guère. Mais on m’interdit de connaitre le nom de mon ennemi. Et ça me frustre. Ça me révolte. J’ai eu une soudaine envie de lui forcer la main. Je me suis levé l’espace d’un instant. Et l’instant d’après, je me suis dégouté. Ce n’est pas une blessure factice que j’allais récolter, mais une bien plus grave dont on ne guérit pas. Jamais. Alors, j’ai fixé la fenêtre à la recherche d’une ombre qui n’est pas venu. Espérant avoir été découvert pour traquer mon ennemi et mettre un terme moi-même à tout ça. Dans le même temps, j’ai attendu que l’on vienne toquer à ma porte. Que la garde surgisse pour m’informer que tout mon stratagème ne les a pas bernés. J’ai aussi attendu des développements dans mon plan, mais mes hommes de mains sont suffisamment malins pour ne pas trop s’agiter la nuit. C’est le meilleur moyen d’attirer l’attention. J’ai donc passé le reste de la nuit à attendre une agitation qui n’est pas venu. Une agitation qui aurait été source de nuisances, mais à ce moment-là, j’étais prêt à faire taire cette nuisance à coup de poings pour effacer ma colère. Envers cette situation injuste. Envers moi-même. Mes faiblesses. Et mon incapacité à remplir mon office de protéger la Guilde.
Je la fixe un instant, le regard las. J’espère tant que sa nuit de repos lui ait donné l’envie de se confier, mais je constate rapidement que c’est peine perdu. A nouveau, j’ai l’envie fugace de me lever et de la secouer en lui ordonnant de tout me dire. Et à nouveau, j’étrangle cette pensée en serrant mon genou comme pour refréner le geste. Elle a fait son choix. Le parent ne peut protéger son enfant. C’est l’enfant qui veut protéger sa famille. On aimerait se sacrifier pour eux. Pour elle. Mais j’en suis privé. Comme si déjà, on me disait que je n’étais plus dans le coup. Obsolète. Condamné à voir de loin. J’ai tout donné pour lui rendre l’anonymat. C’est tout ce que je peux faire. Elle est déterminée. Je devrais être fier d’avoir des hôtesses aussi fortes qu’elles. Mais à combattre seul un ennemi qu’elle décrit comme puissant, je devine la crainte qui étreint ma poitrine en ce moment. La peur de la perdre.
Mais elle a fait son choix.
Et je pourrais rien y faire. Je sors un papier où il est écrit quelques lignes et je le tends à Nevaeh qui s’en saisit. Je m’explique.
-C’est l’adresse d’un associé. Dans la ruelle de son arrière-boutique, tu trouveras un cagibi qu’il laissera ouvert et où tu pourras trouver de l’équipement. Si tu as une demande particulière, indique-le sur une feuille laissée dans ce cagibi. On se débrouillera pour te le fournir.
Même si je suis laissé sur le côté, je ne vais pas la laisser seul. Je peux m’assurer qu’elle ne manque de rien. Je peux au moins faire la logistique. Tristesse. Evidemment, si elle demande mon aide, j’accourais aussitôt. Que ce soit sur ce bout de papier ou si elle revenait ici, mais on voit bien dans son regard qu’elle est déterminée à se débrouiller seul. La guilde est l’alliance de chacun. C’est triste que l’une de ces membres en vienne à croire que l’on peut être plus forte seule. Mais je dois lui faire confiance. Que serait la guilde sans la confiance ? Que serait une famille sans la confiance ?
Je me lève. Je me doute qu’elle veut maintenant disparaitre. Chaque minute à rester ici accroit mon exposition. Celle qu’elle veut éviter. J’ai pas envie de faire des adieux. Ça me remet à nouveau devant mon propre échec. Alors je pose juste une main sur son épaule. Un instant, je la serre. Sans la regarder.
-Ne meurs pas.
A pas lent, je me dirige vers ma chambre. J’aurais dû me reposer, mais l’avantage quand on est son propre chef, c’est qu’on peut s’imposer ses propres repos. Au moins une chose dont je suis capable de faire.
Callahan
Nevaeh pouvait lire la fatigue sur le visage du conseiller. Apprendre que quelque chose ou quelqu'un la poursuivait devait sûrement peser lourd sur la conscience. Connaissant Jack, il voulait sûrement tout savoir. Qui était la menace ? Ce qui s'était passé dans son logement. Peut-être si c'était sur un autre sujet, si la vie des autres n'était pas en danger elle lui aurait dit. Elle aurait accepté son aide pour arrêter le Non-mort et elle lui aurait tout dit. Mais, s'il ne voulait qu'elle, alors elle ne pouvait pas partager ce poids. Il était le sien. Elle voulait lui promettre que tout irait bien, que cela allait rapidement être une histoire du passé. Elle voulait lui promettre qu'elle viendrait le voir si elle avait besoin d'aide. Mais elle ne trouva aucune promesse à lui faire. Elle ne voulait pas lui promettre quelque chose qu'elle n'allait pas tenir. Alors elle ne lui promit rien. Elle voulait lui dire qu'elle allait revenir vivante lorsque tout serait terminé. Dire qu'elle n'allait pas mourir était impossible. Elle ne savait pas ce que la vie lui réservait. Nevaeh le regarda partir un instant. Elle resta silencieuse. Il n'y avait plus rien à échanger. Plus rien à dire. C'était plutôt triste. Elle voulait lui faire confiance et le laisser traverser la forteresse qu'elle s'était bâti. Il voulait tant comprendre et savoir ce qui se passait. Elle se sentait mal de le laisser dans l'ignorance. Mais l'ignorance était ce qui le protégeait. Même s'il détestait cela. Même si cela le blessait ou le rendait triste. Il serait triste, mais au moins, il serait vivant. C'était l'essentiel. Lui et sa famille seraient vivants. Elle ne voulait pas lui dire adieu, elle avait encore espoir de le revoir. Mais elle ne pouvait pas lui dire à la prochaine, elle ne savait pas si elle allait revenir. Ce n'était pas le moment d'être sentimental. Elle n'arrivait pas à écraser le sentiment de tristesse qui montait alors elle le rattrapa et l'enlaça. Elle retira ses boucles d'oreilles et lui remis dans les mains.
« Je vais revenir les chercher. Un jour. »
Ce n'était pas une promesse. Mais, c'était quelque chose. Une fois seule, elle regarda le papier qu'il lui avait donné. Elle allait avoir besoin de plusieurs choses pour être capable de changer d'identité. Elle ne pouvait pas se promener dans les rues en ressemblant à elle. Après tout, Nevaeh était morte. Maintenant, elle devait devenir Raelyn. Son regard se perdit dans la fenêtre. Qui allait être Raelyn ? À quoi allait-elle ressembler ? Comment allait-elle se présenter aux autres ? Elle ne savait pas encore. Ce qu'elle savait était qu'elle allait devoir commencer par acheter un peigne magique et ensuite se rendre dans son appartement pour le vider. Si elle vivait seule et sans voisin, le plus facile aurait été de brûler le bâtiment. Quoi que cela aurait attiré l'attention.
Elle quitta l'habitation de Jack et se rendit à l'adresse indiquée. Elle devait faire attention. Elle se faufila dans les ruelles vides et évita de se faire voir. Avec sa vue, il était facile d'observer ses alentours. Personne ne la suivait. Personne n'était caché derrière un mur. Les civils marchaient dans les rues, vivant leur vie simple ne portant pas attention aux ruelles. Les gardes semblaient un peu plus alertes, mais ne lui portaient pas attention. Ce fut assez facile de se rendre à la boutique. Et encore plus facile de trouver ce qu'elle avait besoin. Avec de nouveaux vêtements et une nouvelle coupe de cheveux, elle sortit de la ruelle, non pas plus belle, mais différente. Son corps était dénudé de tout bijou qu'elle avait l'habitude de porter. Sa longue chevelure noire était maintenant d'un rouge éclatant et une longue capuche cachait ses yeux. Avec ce changement, personne ne devrait pouvoir la reconnaître trop facilement. Elle attacha même une épée à sa taille. Elle n'avait pas l'habitude d'en utiliser une, mais elle savait comment s'en servir. Elle doutait que les hommes du Non-mort aient pu bien voir son visage dans la noirceur. Il devait donc sûrement chercher une jeune femme avec des cheveux long et noirs et non rouge. Et puisqu'elle utilisait rarement une épée, elle était certaine qu'ils n'allaient pas chercher quelqu'un avec une telle arme sur elle.
Elle remercia l'associé de Jack et reprit son chemin. Même avec une nouvelle apparence, elle préférait rester cachée dans l'ombre des ruelles. Il était temps d'aller visiter son appartement et le vider. Mais cela allait devoir attendre. Elle irait pendant la nuit lorsqu'elle serait camouflée par les ténèbres de la nuit et que personne ne pourra la voir entrer et sortir. Entre temps, il y avait quatre hommes qu'elle devait visiter. Dans la prison.