Frey tentait d'imaginer ce que lui décrivait Almassar, une sorte de voile, comme un linge tendu au vent ou - peut-être - ces araignées qui tissaient un ballon de toile pour se laisser emporter par le vent. Il sentait qu'il y avait quelque chose qui se rapprochait mais qui n'était pas vraiment comme ce qu'il avait l'habitude de faire en temps normal. Il avait du mal à trouver les bons mots pour le décrire, alors il médita là-dessus en laissant l'enchanteur terminer. Ses dernière paroles laissèrent en lui une empreinte qui se fixa peu à peu à mesure que les secondes passèrent, dévoilant un sillage qui le trouvlait à mesure qu'il en prenait conscience. Il mérite ? Un instant, la pensée l'emporta. Ça devait être la première fois qu'on lui disait ça, la première fois qu'il y avait cet élan qui le faisait se sentir, une seconde durant, plus seul à affronter ses propres difficultés. Il cilla, laissa partir le souffle qu'il avait retenu. La sensation était étrange. Réconfortante, quelque part. Mais il se reprit intérieurement et finit par récupérer la pinte de bière, la ramener vers la table où il la posa. Déplaçant avec précaution les deux ouvrages qui étaient posés sur un deuxième siège, il vint s'asseoir à la table, de trois quart par rapport à l'enchanteur, laissant ses yeux aller sur le plat de nourriture qui avait été apporté et qu'il n'avait pas encore entamé.
Cherchant un instant quelque chose pour illustrer son propos, il prit un des couverts qu'il éleva de quelques centimètres avant de le relâcher, le laissant s'écraser dans un tintement sur le bois de la table.
C'était naturel, pour lui, intuitif, mais très difficile à expliquer. Il était une anguille dans l'air ? Un générateur qui niait la gravité ?
Il y avait, en réalité, un mieux, mais c'était une démonstration plus qu'une explication. La chambre était assez grande mais... Il serait clairement à l'étroit. S'il en venait seulement à cette perspective.
Ses yeux passèrent ensuite d'Almassar à son carnet, tentant de déchiffrer les symboles posés sur le papier mais il ne lui apparaissait qu'un amas de petites pattes de mouche qu'il lui faudrait des efforts assez importants pour commencer à déchiffrer. Et pas de petits dessins pour l'aider. Il fit une pause, ordonnant ses pensées pour la suite. Ou contemplant le vide devant lui, pensif, difficile à dire.
La façon dont les traits étaient dessinés sur son corps ne lui parlait pas du tout. Le seul élément qui lui était accessible était le fait qu'ils englobaient tout le corps pour l'impacter tout entier.
Il y avait autre chose, oui. Mais de complètement différent. Il y avait une difficulté pour faire sortir les mots, en grande partie irrationnelle, mais qui provenait sûrement de s'être ainsi exposé.
C'était simple, mais sincère. Et un battement plus tard il connecta finalement deux neurones, se rendant compte de quelque chose. Une part de ce qui avait fait cet éclat souriant dans son regard pétilla en cet instant, fugitif.
Puis vient la démonstration, bien plus parlante que toute explication fournie pourtant quelques instants auparavant. Voyant la fourchette heurter la table, il comprend. Récupérant son carnet, il reprends ses écrits mais avec un peu plus de conscienciosité. Le concept est intéressant mais complexe en même temps. Finalement, Almassar semble arriver à mettre le doigt dessus, et il sourit avant de reprendre à son tour la conversation.
-"Si je comprends bien, tu es immatériel mais pas éthéré. Tu flottes de toi même tout en pouvant te servir des vents. C'est une forme intéressante de magie innée et de déplacement. Mais je pense pouvoir reproduire cela et te permettre de voler ainsi."
L'explication qui suit ne fait que confirmer ses interrogations et ses présomptions. Peu à peu il semble toucher au but, arriver à dessiner un plan global de ce premier pan de tatouages pour permettre au rôdeur de retrouver sa liberté. Certes encore limitée dans un premier temps, mais liberté tout de même. Le vide semble prouver qu'il y'a une limite de hauteur vis à vis du sol. Un certain nombre de mètres au dessus duquel la forme n'arrive pas à s'élever, manque d'énergie ou d'Almassar ne sait quoi. Quand enfin Frey parle des tatouages, il redresse la tête et cesse d'écrire, laissant un "mhhhhhhm" échapper de ses lèvres et de sa gorge, cherchant comment répondre.
-"Tes tatouages existant déjà, je vais surement rajouter des extensions à ce dernier, pour puiser dans ce qui existe déjà. C'est plus simple et souvent plus efficace. Pour les lire, tout dépend de comment elle a décidé de les graver sur ton corps et si elle a voulu utiliser un langage précis. Donc je ne peux rien te confirmer ou t'infirmer à ce propos."
Alors qu'il songe à ces fameux tatouages, l'enchanteur arque un sourcil en entendant Frey le remercier... Puis lui donner son nom. Il est vrai qu'il ne l'avait pas jusque la. La pensée fait rire l'enchanteur, pour la première fois depuis un moment. Venant peu à peu se détendre après la tension qui n'a fait que grimper avant d'enfin redescendre. Le gros des détails semble enfin discuté, et la conversation peut prendre un ton plus léger, sans pour autant s'en détourner.
-"J'ai désormais une idée un peu plus précise de ce que tu veux et de ce que celal demandera. Si tu veux, je pourrais te préparer une liste de composantes à récupérer quand tu voudras repartir. Et un jour je tenterais surement de faire quelque chose pour permettre à un humain de voler. Ça doit être grisant comme sensation tout de même, de ne plus se laisser ainsi attirer par le sol et pouvoir explorer de nouveaux horizons..."
Bien sur que cette commande lui donne des idées. Qui n'en aurait pas à l'idée de pouvoir planer avec les oiseaux et enfin se libérer, même temporairement de la gravité ? Et surtout, pour voyager, ce serait bien plus agréable, de simplement se laisser guider au gré des envies sans dépendre des portails ou encore des routes... Un nouveau sujet qu'Almassar rentre dans sa liste des études à mener un jour, qui ne cesse de s'étendre au fur et à mesure de ses rencontres.
La tension disparaissait peu à peu tandis que les méfiances réticentes qui s'étaient mises en travers du chemin se défaisaient lentement. Si Frey n'était pas forcément prêt à être à l'aise de parler de tout dans les moindres détails, au moins avancait-il maintenant avec l'enchanteur et non à contre-courant. Il y avait une certaine défiance naturelle chez le rôdeur, face aux choses qui le contrariaient où le défiaient, un farouche dont il ne se défaisait jamais vraiment si on ne prenait pas le problème à bras le corps pour apprivoiser certaines choses. Pour l'heure, leurs affaires semblaient en bonne voie et pouvoir commencer sur une base à peu près solide. Almassar ne le savait pas mais, si les choses se confirmaient, il était en train de construire une alliance avec le rôdeur dont la loyauté s'acquérait petit à petit par les actes et les expériences communes vécues ensemble. Frey écouta - avec attention cette fois-ci - les réflexions de l'enchanteur et nota soigneusement les détails de ce qu'il en tirait. Il se rendait aujourd'hui compte d'à quel point il connaissait mal la propre origine de son pouvoir, étant incapable d'expliquer le fonctionnement de son vol surnaturel en des termes clairs.
Il avait raconté ça comme une constatation un peu désolée mais sans importance, habitué depuis le temps, s'intéressant soudain au contenu de l'assiette encore chaude qui était devant lui. Saisissant la fourchette, il commença à piocher dedans, cherchant les morceaux les plus gras. Quelque part, c'était pas plus mal d'avoir quelqu'un à qui confier ces petits désagréments.
Ça prendrait peut être plus de temps que d'aller acheter certaines choses sur le marché ou chez un herboriste - et encore, mais ça coûterait certainement beaucoup moins cher à Almassar pour tout ce qui concernait la fourniture des matières premières. Et il pouvait être assuré d'avoir des éléments de qualité, même s'il faudrait probablement les transformer par la suite, ou de quoi faire des échanges pour ce qu'on ne trouvait pas dans les montagnes du nord.
La fourchette dans la bouche, il interrompit un instant son geste, comme pris d'un doute. Fronçant les sourcils, il venait de penser à quelque chose qu'il semblait important de préciser.
La remarque paraissait n'avoir aucune utilité sur l'instant. Pourtant...
Son visage plissé en une moue d'incompréhension, il ignorait les subtilités du langage de l'enchanteur mais maintenant qu'il y pensait, il associait ça aux esprits ? Aux fantômes ? D'un coup, il parut saisir l'ampleur de la complexité que ce serait que de définir tout ce qu'il y aurait à définir, depuis les explications initiales jusqu'aux mises au point et autres... Essais ?
-"Pour être tout à fait sincère non, je ne peux pas l'imaginer. Par contre je peux voir comment cela t'affecte. Il est sur que quand l'on est habitués à voler et se déplacer à travers les éléments, être limité tel un être humain est bien plus difficile. J'ai l'avantage de n'avoir connu que ça, donc je ne sais pas ce que je perds... Et a vrai dire, si j'aimerais découvrir cela un jour, je ne suis pas sur en même temps de le vouloir. Je risque fort de finir dans la même situation que toi, sans vouloir t'offenser."
Cela soulève une question philosophique très intéressante : veut-on réellement la liberté si l'on sait que l'on peut la perdre ? Gouter à ses bienfaits et savoir ensuite ce que l'on perd ? L'idée est passionnante, mais l'évoquer reviendrait à passer la nuit dessus. La liste est en pleine écriture et s'annonce longue, même si la plupart des composantes ne sont pas très difficiles à obtenir. Almassar ne manque pas d'ingéniosité, et il arrivera bien à échanger le reste, faire du troc ou de la négociation pour échanger ce qui vient du nord contre d'autres biens. Puis vient la remarque sur l'eau, qui ajoute une nouvelle complexité, et surtout la question. Et effectivement, en réfléchissant à la question, l'enchanteur se rend compte qu'il a peut être fait une erreur, ce qui l'incite à froncer les sourcils pour réfléchir à comment tourner cette réponse.
-"Alors ma réponse est purement subjective et personnelle, c'est toujours ouvert à débat sur comment définir les deux précisément. Mais a mes yeux ce qui est immatériel est quelque chose sur lequel le monde physique comme les éléments, les obstacles n'ont pas prise. Donc j'ai fais une erreur dans mon choix de terme et la terminologie. Tu n'es pas complètement immatériel. Éthéré implique que tu es détaché du monde matériel, sans y être entièrement coupé, contrairement à l'immatérialité. Tu peux encore être influencé par certains éléments, par certains décors. C'est dur d'être réellement précis la dedans, tant il faudrait de longues recherches pour vraiment couper définitivement le nœud de cette question. Mais vu ce que tu m'expliques, on est plus proche d'un être éthéré, sur lequel le monde autour de lui n'a qu'une emprise très limitée, mais existante. Tu es soumis aux courants, l'eau te ralentit plus de l'air, sans que ce soit aussi intense que pour un être humain."
Revenant une poignée de page en arrière, il vient raturer ce qu'il avait écrit avant de refaire ses notes. Définitivement, ce carnet devra être remis au propre dès que possible tant les lignes sont effacées et refaites. Mais au moins, ils avancent dans la bonne direction. Et finalement, Almassar semble terminer la liste qu'il vient refermer et glisser au rôdeur sur la table, fermant un instant les yeux en poussant un long soupir, ce qui ne l’empêche clairement pas de sourire.
-"On part sur une sacrée aventure, qui sera pleine d'expérimentations et de découvertes. Mais je pense arriver à te donner ce que tu souhaites. Pour les ressources, ne t'en fais pas, je retournerais bientôt à la capitale négocier ou troquer ce que tu ne peux me trouver dans le nord. Je n'ai pas envie que tu y passes des mois, surtout si c'est pour te rendre ta liberté de mouvement."
Ils commencent à avoir un début de plan, d'idée et même ce qui est nécéssaire pour l'accomplir. Autant dire que tout semble enfin commencer à se dérouler comme ils le souhaiteraient, du moins il semblerait. Beaucoup de travail, la majorité même, reste encore à faire. Mais les bases semblent solides, et c'est le plus important pour pouvoir avancer sur un tel projet.
Almassar semblait incroyablement gentil et ouvert d'esprit, au point où c'en était presque suspect. Frey ne savait pas tout à fait comment réagir à ça alors il se contenta d'écouter les explications de l'enchanteur en piochant distraitement dans l'assiette de nourriture. Les subtilités des notions qu'il lui donnait lui paraissaient bien obscures et il n'était pas certains de savoir réexpliquer ça à quelqu'un d'autre même dans moins d'une heure. Observant les ratures et les précisions sur le carnet où étaient déjà griffonnées un tas de notes, le rôdeur se demandait comment il pouvait bien s'y retrouver dans tout ce fouillis. Probablement l'habitude.
Alors, Almassar tendit la liste à Frey et le regard de celui-ci tomba dessus, rencontrant subitement un vite face à toutes ces petites écritures. Ne comprenant que maintenant son erreur, il attrapa le papier du bout des doigts, son palpitant battant un peu plus vite à la perspective d'échouer à déchiffrer les symboles et il commença à les identifier mentalement un par un, lettre par lettre, avec une lenteur qui rendait le tout inefficace et non sans erreur.
Il s'imaginait mal, en effet, juste attendre que le temps passe sans fournir d'efforts. Les ingrédients faisaient certes partie du paiement mais pour Frey le processus de prendre le temps, de voyager et chercher, de rassembler petit à petit et parfois dans la difficulté ce qu'il fallait était aussi une manière de construire psychologiquement cette transformation. Cette demande allait changer sa vie, il voulait en être l'acteur et pas simplement le spectateur.
Concentré sur sa liste, les yeux légèrement plissés, il en était à la deuxième ligne.
Un peu embarrassé d'avoir demandé une liste alors qu'il n'était presque pas capable de la lire, il finit par se rendre à l'évidence.
Il ne devrait pas avoir trop de mal à pouvoir la relire par la suite, mais il fallait qu'Almassar l'aide à déchiffrer les mots pour être sûr de ce dont il s'agissait. Avec quelques inscriptions savantes à base de petits bâtons, de cercles et de schémas très grossiers de fleurs que lui-seul serait bien à même de déchiffrer, il serait capable de s'en souvenir par la suite. Il avait bonne mémoire, après tout, il lui fallait juste un petit coup de pouce.
Ils discutèrent donc encore un moment des différentes herbes, des quantités et des parties à récupérer et dans quel état, afin que Frey puisse identifier les éléments les plus à portée immédiate et organiser la récolte ou l'échange du reste. Ça prendrait un peu de temps, en effet, surtout que la saison fraîche annonçait une neige de plus en plus présente, mais qui n'était pas patient dans la montagne n'arrivera jamais à rien.
Le reste...
Le reste sera une autre histoire.