Je m'affaire à la cuisine, un petit tablier noué à ma ceinture. Ça ne me ressemble tellement pas. Dans le salon, la table a été poussée contre un mur, le feu crépite dans la cheminée, la porte du petit salon et de la cave sont grande ouvertes, et on pose des victuailles sur tous les supports possibles. Je commence à me dire que la maison est trop petite, c'est incroyable. On aurait été en saison chaude, on se serait mis dans l'immense jardin, mais là on est obligés de rester à l'intérieur, il fait trop froid. Les deux pièces communes et la cave vont être mises à rude épreuve, si tous les gens qu'on a invité viennent, et qu'ils ramènent des amis en plus. Luz court dans tous les sens, elle aussi, et on a à peine eu le temps de se parler aujourd'hui d'autre chose que de l'organisation de notre petite sauterie improvisée.

Heureusement qu'on a fait la décoration avec Calixte et Luz au début de la lune dernière, ça fait déjà ça de moins à se préoccuper. Sous le grand sapin du salon trônent des petits présents. Pour la plupart, des boîtes de cookies préparés par nos soins - ceux que j'ai réussi à sauver du carnage que le blond et la rousse étaient en train de faire dans la cuisine - et quelques petits cadeaux personnalisés. J'en ai tout de même disposés quelques uns de particuliers, avec des petits mots. Une petite cape tricotée pour Jack, taille glooby. Aucun pouvoir magique, mais je la trouvais mignonne dans la boutique, alors je la lui ai prise. Un oeuf cherche-chocolat avec Xylia. Avec une petite notice sur la façon de l'utiliser pour les longues nuits solitaires qu'elle va avoir une fois qu'elle sera mariée au frère de Calixte... Je l'avais à la base acheté pour moi, d'ailleurs, à cet effet, mais avec tout ce qui m'est arrivé j'ai jamais eu le temps ni le courage de m'en servir, et je me suis dit qu'elle en aurait plus besoin. A Luz, une petite raclette faisant fondre le fromage automatiquement, gagnée à une loterie à laquelle j'ai eu la chance de pouvoir participer, en pensant justement à le lui offrir si je tombais sur le gros lot. A Vrenn, juste une petite enveloppe. Avec un bon pour trois jours de congés payés, à poser quand il le voudra. Le genre de cadeau que je n'ai pas du tout le droit de lui offrir. Mais je m'en fous. Et je sais que c'est la seule chose qui lui fera plaisir. Et puis pour Jin, un petit écrin en velours. Avec la carte de visite d'une belle bijouterie du centre de la Capitale, juste pour la blague. Et une dague de dépeçage de belle facture. Parce que c'est marrant, les blagues, mais je veux quand même lui offrir un truc.

Il y a des gourmandises pour les familiers de Naëry et Carci, et un pull pour Inaros et Ivara, qui peut se porter dans les deux sens, avec une couleur féminine de l'un et une plutôt masculine de l'autre. Et puis plein d'autres petites choses pour tout le monde. J'ai hâte de les voir les ouvrir, en tout cas. Ça me change tellement de l'année dernière, en cavale, avec Vrenn à ma poursuite en train de couper les liens qui m'unissaient à toute notre tribu les uns après les autres, à devoir réfléchir à mon prochain coup pour lui donner des indices sans me trahir...

Le carillon de la porte résonne, et j'entends les premiers invités qui rentrent, alors j'enlève rapidement mon tablier et le suspend à un crochet dans la cuisine, pour sortir le dernier plateau de friandises que je pose sur la table à manger, en offrant un grand sourire aux nouveaux arrivants.

« Bienvenue à la Volière ! »

Que la fête commence.

North ou pas North ? Familier ou pas familier ? Robe ou vieilles fringues traînant nonchalamment au fin fond du placard ? Et puis d'abord, pourquoi autant de question ? Peut-être parce que cela fait une éternité qu'elle n'avait pas vu du monde, qu'elle avait pas parlé, qu'elle n'était pas sortie de sa maison pour autre chose que des courses de premières nécessités.

L'autre gras du bide allait avoir sept lunes bientôt, il peut bien rester seul une soirée, non ? Bon, en même temps, il fout ses pieds dans sa bouche, gobe tout ce qui passe à côté de lui quand il rampe et rigole à n'en plus finir. Quand l'aventurière le met à la crèche, elle n'a qu'une seule envie, le laisser pourrir là jusqu'à sa majorité. Et encore, s'il sert à quelque chose à ce moment là.

“Ho, quelle femme détestable !” “Mais qu'est-ce qu'elle fait subir à son enfant ?!” “Mais appelez donc quelqu'un !” Pas plaisant d'entendre ce genre de chose. Surtout que bon, les rumeurs à la capitale vont bon train, et beaucoup d'entre elles sont très loin de la vérité à force d'être déformées. A contre coeur, Rebecca décide d'appeler avec son cristal de communication une vieille dame qui lui sert de nourrice quand elle a quelque chose à faire sans North. Elle a déjà essayé de l'emmener avec elle en expédition, mais à part lui donner deux fois plus de problèmes, il apporte rien de bon.

- Vous inquiétez pas, dame Hekmatyar, commence la vieille. vous savez qu'il est entre de très bonnes mains.
- Hmm.

Et sur ces bonnes paroles et vêtue d'autres choses que de son t-shirt sans forme et trop long pour elle, Rebecca sort dans la nuit de la nouvelle année. La nuit ne fait que commencer, mais pensez bien que pour un début d'année, la blanche pensait qu'il y allait avoir beaucoup moins de monde dans les rues. Mais non : ça court partout, ça se tape la bise en toute impunité, et vas-y que je te roule des pelles que je t'empoigne les hanches. Rebecca roule des yeux et continue son chemin. Son regard est vissé au sol. Commencez pas à vouloir lui proposer une embrassade sous le gui, au risque de vous retrouver avec un bon mal de ventre.

L'arrivée à la volière se finit s'en trop d'encombre, finalement. Elle qui espérer tout de même un peu devoir jeter un regard noir. Mais non, aucun gosse à terroriser. Après, vu l'heure, doivent sûrement être à table à manger des trucs complètement dégueulasse à faire comme s'ils aimaient ça.

Deux tocs à la porte, et c'est Zahria qui ouvre. Pas de bise, évidemment, froid oblige. Mais pour une fois, la blanche n'est pas venue les mains vide, et tant ce qui ressemble être un cadeau. L'emballage est complètement raté, il y a des trous partout et on dirait que toute la colle est passée dessus. Mais c'est un cadeau quand même.

- Ça fait longtemps.

Depuis quand, presque une année entière ? C'est pas passé grand chose de son côté, en même temps. Fin si, North, mais bon, pas trop important non plus. Peut-être si la jeune femme à le temps, elles pourraient se poser toutes les deux et converser sur l'année passée, autour d'une bonne bouteille, au coin de la cheminée. Ce ne sont pas des inconnues après tout, elles ont partagé pas mal de chose. Et faut dire que la fin de leur relation fut quelque peu brusque et rapide. Pas que Rebecca exige des éclaircissements, mais quelques explications seraient peut-être les bienvenues.

Mais pour l'instant, il fallait quitter le seuil de la porte, l'air extérieure refroidissant trop vite la pauvre demeure. Tout droit, porte, salon. Rebecca quitta son manteau quelque peu enneigé à l'accrochant où elle le pouvait. Aucun son ne provenait de cette fameuse salle. Donc soit elle est arrivée la première -- chose détestable -- soit l'ambiance n'était pas forcément celle d'une nouvelle année. En même temps, parler pour rien dire, ce n'est pas son fort non plus.

En pénétrant dans le salon, qu'elle ne fut pas sa surprise quand elle découvrit non pas un pecnot seul devant son verre à moitié vide, mais bien quatre hommes et une femme qui regardaient le sol comme si c'était le but ultime de leur vie. Aucun visage de connu, mais en même temps, ce n'est pas étonnant. La blanche ne veut pas sortir de sa maison, ne rencontre absolument aucune nouvelle personne et fait des phrases encore plus courtes qu'une gosse de 8 ans.

Ne voulant pas perturber cette ambiance digne des plus grandes cérémonies, Rebecca se dirige vers la table principal, où y réside -- principalement -- quelques verres d'alcool déjà remplis. Elle en prend un avec sa dextre, et se retourne pour fixer l'assistance. Doux Helmex, que je me régale de voir ces têtes.

Ah, les soirées du nouvel an, c’était toujours un moment bien marrant. Surtout que cette année, on se retrouve chez Luz et Zah. J’espère que ça ne sera pas comme l’autre fois où finalement on a dû annoncer à Jack que sa copine était morte. Super ambiance mais à priori pas de cadavres en vue. Juste des potes, des aventuriers et de l’alcool ! Evidemment, je viens avec Lin car elle devait voir les autres, surtout qu’elle a changé de tête. J’ai envie de faire des blagues sur ce sujet d’ailleurs. “ Hey, vous avez vu ma nouvelle conquête, elle est belle hein “ puis là tout le monde me dit “ tu as raison d’avoir changer Carci, c’était un monstre Lin “. Puis paf, Lin fait ses gros yeux et se présente. Bon finalement, ça causerait plus de souci qu’autre chose donc on va éviter. J’espère qu’il y aura Jack, il est marrant lui bon Lin ne l’apprécie pas même si j’ai beau lui répéter dix milles fois que c’est elle qu’elle aime.

- Tu verras Chérie. Ils sont tous formidables !    

K’awil était en humain pour l’occasion comme ça, il pourra participer à la fête. Dans un si petit espace, il était un peu gros avec ses grosses fesses. Il discutera avec Jack, je lui demanderai juste de ne pas lui donner de l’alcool, je n’ai pas envie de ramasser du vomi de loutre. J’approche de la maison, toujours aussi classe. Les filles avaient la classe et de l’argent. Ce n’était pas ma grange mais on dirait bien que garde ça payait bien.

- Allez, prête pour l’aventure ?  

On toque et Zahria nous ouvre. Je lui présente K’awill qui se trouvait à côté de moi. Il lui tendit une bouteille de rhum qui avait réussi à survivre au voyage.

- Joyeux Solstice, femme-chocolat.
-  C’est déjà passé K’awill…  
- Bonjour alors !

K’awill lui fait un gros câlin. Sa nouvelle passion depuis qu’il est en forme humaine. Prendre les gens, les serrer et accessoirement les étouffer.

- Puis je te présente ma chérie !    

Allez on tente la blague au pire, je rectifierai tout de suite après. On finit par entrer, pose nos vestes et écharpes dans un coin. Je fis un énorme coucou à Rebecca et dit les noms aux oreilles de Lin.

-  Bon… connaît pas, connaît pas, ah ça si une aventurière avec les cornes jamais travailler avec. Le petit blondinet, il me fait penser à Calixte, il est peut-être garde aussi. Ça m'étonnerait pas vu que Zah en fait partie. Oooh, je ne vois pas Luz et ni Jack.  

J’ai l’impression d’entendre le soulagement de Lin quand j’évoque le point mais continue ma tournée.

- Bon, lui il ne sourit pas là-bas et puis ce mec au beau costume. Tu crois qu’il fait partie d’un gang ? Pire banquier ?    

Juger les gens par leur apparences est tout un art.

- Oh par Lucy ! REGARDE !  

Je pointe pas du tout discrètement la première ministre et l’aventurier.

-  Mais ouais, ils se sont roulés un patin avant l’expédition du désert volant. Alors elle se tappe un aventurier. Franchement, c’est un champion. Oooh mais oui, il va passer Saphir, je crois. Attends, je dois lui dire bonjour.  

Lin se fait tirer et K’awill nous suit.

- Hey, tu es Jin, c’est ça !  

Je lui donne une tape amicale sur l’épaule.

- C’est vrai que tu vas passer Saphir ! Déjà tu es revenu en vie du désert non ? Franchement, chapeau mec.  

Je me tourne vers la ministre.

- Vous avez vu, les aventuriers, on sait faire plein de trucs surtout lui si j’ai bien compris, il s’enflamme pour tout et….  

Lin me fait taire avant que je continue ma bêtise. Elle l’a salue poliment comme si elles se connaissaient. Haru essaye de chercher d’où elle l’a pu la connaître mais elle semble la reconnaître.

- Mademoiselle Gher ? Vous êtes bien l’enchanteresse, c’est bien ça.
-  Non mais tout le monde la connait alors !  

Puis le drame arrive et K’awill qui comprends que Lin la connaissait à décider de faire un calin à la Ministre. Je ne sais pas si je devais rire ou l’empêcher de le faire. Mais une fois qu’elle se trouva entre ses bras, elle essaya à tout prix de s’échapper.

- Toi sentir Floki ! Puis Gloot. Moi pas aimer gloot. Eux méchant.
- K’awill, relâche là s’il te plaît.    
- Oui Maîtresse.
-  Ah oui, désolée. K’awill ma loutre géante mais elle peut aussi se transformer en humain. Il a encore du mal avec certaines règles de vie. Excuse toi, K’awill
- Pardon Femme-Floki
-  Madame Première Ministre  
- Madame Première Ministre-Floki.

Je finis par l’attraper le bras et l’éloigner avant qu’il raconte encore n’importe quoi.

- En tout cas, Jin. Dès que tu as ton étoile de Saphir, tu me le dis. Oh faut qu'on organise une fête avec Arya. J’ai jamais eu l’occasion de fêter ça aussi.  

Je sors mon cristal de comm pour le synchroniser avec lui.

- Tiens, on pourra rester en contact.  

J’entendis alors un bruit de verre cassé. K’awill vient de faire tomber un vase et je pars à sa rescousse.

- Je reviens ! Je dois aller sauver le monde et éviter de me faire tuer par Zah !  

K'awill Humain:

Les arrivées défilent, et moi je fais des allers-retours à la porte sans avoir le temps de présenter nos invités les uns aux autres ni de discuter avec eux. Je sens bien à chaque fois que je reviens dans le salon que l'ambiance n'est pas encore de la partie, et je me demande où a bien pu se foutre Luz. C'est elle la reine pour mettre tout le monde à l'aise. Heureusement, y'a Carci et K'awill, et ça va aider à détendre un peu l'atmosphère. J'ai un peu balisé en voyant rentrer Haru avec Jin, j'espère qu'elle ne va pas reconnaître le maître-espion derrière moi. Faudrait que je leur explique, à l'occasion, à tous les deux, Jin sait plus ou moins mais j'ai pas eu le temps de rentrer dans les détails avec lui dans le désert. La fin a été un peu abrupte, pour nous deux, il faut dire.

Il y a des gens que je connais mais qui ne me connaissent pas, et chose étrange, ce Warren, qui me connaît, mais que je ne connais pas, même si un pressentiment me dit que je devrai. J'entends la première ministre reconnaître Lin Gher au bras de Carciphona, et je me dis qu'heureusement que je n'ai pas eu le temps de placer deux mots, parce que j'aurais certainement gaffé. Elle ressemblait pas à ça, la dernière fois que je l'ai vue.

Il manque encore plein de gens, mais il y a un moment d'accalmie alors j'en profite pour revenir au salon, au moment où K'awill fait éclater un vase de fleurs au sol. Je me penche pour ramasser avec lui les éclats, en lui faisant un clin d'oeil malicieux.

« Ça tombe bien, je l'aimais pas celui-là. »

Carci arrive pour réparer les bêtises de son familier, et j'en profite pour les laisser oeuvrer alors que je fais virevolter ma robe verte pailletée devant mes invités.

« Je vous en prie, servez-vous ! Pas de cérémonies entre nous, vous êtes ici comme chez nous. N'hésitez pas à vous balader dans la maison, la cuisine est par là si vous manquez de quoi que ce soit, vous avez un autre petit salon là-bas pour ceux qui voudraient un peu de tranquillité. Une petite salle d'eau dans le corridor, à votre convenance. La température n'est pas idéale mais vous pouvez aller faire un tour dans notre jardin aussi si vous le souhaitez ! La cave vous est aussi ouverte, on y a mis une grande table et des victuailles, comme ici. N'hésitez à me dire si je peux vous aider pour quoi que ce soit ! L'idée que tout le monde passe un Joyeux Solstice ! »

Je ne parle pas de l'étage, pour l'instant. Entre mon bureau aux multiples alarmes et défenses magiques, et Inaros qui me semble être encore là-haut, je préfère éviter d'y voir passer trop de gens. Luz est probablement en train de se préparer dans sa chambre, aussi, et si elle n'est pas spécialement pudique, je doute qu'elle apprécierait de voir tous nos amis passer dans sa chambre alors qu'elle est dénudée. J'entreprends alors de créer quelques alliances, de provoquer quelques rencontres, et de protéger Haru du Lys de l'oeil inquisiteur de Lunar du Fay. Qui l'a invité, lui, d'ailleurs ? Je ne l'ai jamais revu depuis le râteau qu'il m'a foutu dans la maisons aux shalupins, c'est certainement pas moi. Peut-être Luz, mais je ne la savais pas amie avec lui...

« Rebecca, ma chère, tu connais Jin ? Je ne sais pas comment se passent tes missions à la guilde, mais c'est un compagnon d'aventure exceptionnel, je suis sûre que tu apprécierai de partir avec lui. Et Lilith, vous étiez avec lui au désert volant, il me semble ? Ce serait génial de vous voir partir tous les trois sur une quête ! »

Je les laisse entre eux, en espérant que cela marchera, et me tourne vers Gwain, à qui je fais un clin d'oeil.

« Tu connais Amaryllis Tylwaen, bonhomme ? Elle est conseillère de la Commission. Amaryllis, je vous présente Gwain, c'est un excellent ami, il est coursier. Je suis sûre qu'il serait ravi de livrer vos colis si vous avez besoin de ses services ! »

D'une pierre deux coups, je rapproche deux personnes qui ne se connaissent pas et mets une relation intéressante dans le cercle de Gwain. Faut que j'arrête de penser au boulot. J'ai pas invité Höls, d'ailleurs. J'espère qu'il m'en voudra pas.

« Hé, K'awill ! Viens, je vais te présenter Lunar, il adore les animaux. Surtout les shalupins. Hésite pas à lui poser plein de questions, et puis je suis sûre qu'il va adorer ton nouveau pouvoir, il faut absolument que tu lui expliques ! »

Hop, hop, hop. Je m'approche enfin de celui qui a le plus attisé mon infinie curiosité à son arrivée. Ce Warren Richter. Il est près de Lin, ça me fait une belle approche.

« Cela faisait longtemps que je ne vous avais pas vu, mademoiselle Gher. Vous ne ressembliez pas à ça d'ailleurs, la dernière fois... Toujours à supporter la pétillante Carciphona ? Et... Warren, c'est ça ? Je n'ai pas bien saisi la nature de votre lien avec Luz, par quel biais l'avez-vous rencontrée ? »

Je. Veux. Savoir. Mon instinct me dit qu'il se passe quelque chose ici. Et je veux savoir. Je suis sûre que c'est encore une affaire juteuse dont Luz a le secret. Sauf qu'elle ne m'en a pas parlé, et c'est ça qui est étonnant. Elle ne me cache rien d'habitude... Mais je vais tirer ça au clair.

La ponctualité était d'habitude le fort de Liory, mais la lettre de Luz était restée bien trop longtemps sur le perron de sa porte, la demeure inoccupée n'ayant guère de moyen de le prévenir. Il ne l'avait trouvé que tard en regagnant la capitale, enfouie sous une montagne d'autres missives bien moins importantes, et en s'apercevant autant de l'heure que de la date le noble avait presque sursauté, découvrant que sa toilette d'aventurier n'avait rien pour le faire accepter à une telle réception.



Il avait fallu une bonne douche et quelques minutes de recherches pour trouver une tenue décente, une veste noire rehaussée de fils d'argent que l'argenté affectionnait du temps de ses affaires commerciales, dont l'élégance sobre lui permettait d'être bien plus à l'aise que dans une tenue officielle.

Peigné, coiffé et très légèrement parfumé, il claqua la porte de chez lui, accourant dans les rues sombre de la capitale, usant de son pouvoir pour concevoir un cadeau digne de ce nom, sous la forme d'un bouquet de roses d'or et d'argents qu'il donnerait à la belle rousse et aux divers invités.

Dans son esprit, cela valait mieux qu'une griffe de harpie ou du sang lamia.

Ses pas le conduisirent bien rapidement dans les quartiers les plus calmes, ces derniers bordants la luisante en formant un écrin de calme dans la capitale bourdonnante.

La foule s'était faite plus fine, même en cette veille de solstice et bientôt seul la demeure de Luz fut en vue, éclairée somptueusement et décorée de manière soignée.

Si quelques indices lui prouvaient qu'il avait jusque-là manqué le tout début des réjouissances, la soirée semblait pour autant encore bien ouverte.

Escaladant les marches quatre à quatre, Liory frappa à la porte par trois fois à la lourde porte de bois, laissant son regard vagabonder aux alentours.

Mais quelqu'un fut bien plus rapide qu'escompté, et la porte s'ouvrit à la volée, projetant sur lui un mélange de sons et de parfum propres aux grands évènement.

-Mes hommages

Dit il en se tournant vers la demoiselle qui avait ouvert la porte, ne la reconnaissant cependant pas, le noble se fendit d'une révérence, présentant son bouquet de roses métalliques avant d'ajouter

-Liory Alkh'eir, je n'ai reçu la lettre de mademoiselle Weiss que tardivement, et je m'excuse de ne pas être arrivé parmi les premiers

Sa voix chantante résonna sans peine dans le hall, les yeux azurés du noble se portant sur la métisse qui tenait la porte.
Son sourire s'élargissant alors qu'il sélectionnait une des roses dans ses mains, l'offrant volontiers à la demoiselle

-Et un joyeux solstice à vous

La rose faite d'argent accrocha un instant la lumière, brillant de milles feux avant que l'argenté ne la dépose délicatement dans la main de cette dernière

-Me voilà bien navré de ne pas vous avoir connu plus tôt

Ajustant ses gants blancs, il jeta un regard furtif aux invités, n'y trouvant ni Luz ni la moindre connaissance pour le moment.
Nul doute que cela viendrait

Contre toute attente, la deuxième hôte des lieux ne vint pas des escaliers. En lieu et place du bruit répétitif de ses escarpins sur les marches, les proches invités purent sentir le froid glacial aspirer soudainement l’espace tandis que la porte menant sur les jardins s’entre-baillait suffisamment pour permettre à l’indocile praticienne de s’y faufiler. Dans sa robe noire et or cintrée à la taille, à peine l’appui d’un bustier dont les manches débutaient à mi-épaules pour mieux dénuder l’envergure de son cou, ses longs cheveux flammes étaient constellés d’infimes flocons et leur morsure glacée s’évasait progressivement en chute humide sur sa nuque. Pour l’heure, elle ignorait toutefois royalement l’omniprésence de toute cette froidure, occupée à ne pas trébucher sur Khoni.


La jeune dohlio, le museau bas, s’empressa de trottiner entre les jambes des invités, rentrant ventre à terre dans sa caverne : autant dire la chambre de sa maitresse. Percevant, enfin, plusieurs regards sur elle, elle ne put résister au fragment de sourire qui gagnait ses lèvres à la vitesse d’un feu de poudre.


Non, aucun familier n’était blessé, oui, cette maison commençait à ressembler à une véritable ménagerie ! … Et cette impression risquait fort peu de s’améliorer au regard du nombre d’invités qui avaient déjà investi ces murs. Avaient-elles exagéré en invitant la quasi-totalité des personnes qu’elles connaissaient ? Peut-être. Était-ce gênant, regrettable ? Jamais. Songeant que les voisins pouvaient bien brûler sous les feux de leurs plaintes et le continent tout entier cesser de tourner une nuit durant, le sourire de Luz s’agrandit tout à fait, radieuse et lumineuse entêtée que la gravité entrainait naturellement près des siens. Elle les détailla un à un, bien sûr, un instant contemplatrice, un instant saisie par cette sorcellerie étrange qui s’était emparée de ce premier jour de l’an 1002 comme l’on se découvre étourdi devant une situation inédite. Chacun d’entre eux était l’incarnation d’un miracle miniature. Et aucun n’avait proprement commencé à étriper les autres, ce qui constituait à vrai dire l’unique crainte de Luz ce soir… Elle comptait grandement sur l’alcool pour leur épargner un tel désastre qui ne serait finalement guère plus qu’une énième aventure du Maitre espion et de sa copine la soigneuse. Avec une pensée émue pour la pelle qui patientait paisiblement dans le jardin pour ces occasions disgracieuses, Luz tâcha de se reconnecter au présent et d’adresser aux invités son plus ravissant sourire.

Lunar Le Fay, tout d’abord, connaissance passée et confrère de l’Académie qu’elle fut heureuse de découvrir avec la candeur qui la caractérisait. Amaryllis Tylwaen, merveilleuse rencontre de la veille au soir qu’une prompte invitation n’avait de toute évidence pas effarouchée. Jin Hidoru, à qui elle leva son verre en souvenir de ces conquêtes passées et de ces combats embrasés, accompagné par sa belle, nulle autre que la Première ministre en personne. A elle, Luz adressa un rapide clin d’œil taquin. En souvenir du bon vieux temps, mais d’un autre type de bon vieux temps. Leur baiser et leur relation officielle étaient devenus célèbres suite au grand départ pour le Désert volant ! Carciphona Ixchel et ses satanées mais Ô combien adorables bourdes, de toute évidence en compagnie de ce qui ressemblait fort à K’awill humanisé – le petit four à la sardine qu’il goba rond confirma derechef les hypothèses de la praticienne – et de Lin E. Gher, enchanteresse de génie que Luz avait déjà eu l’heur de croiser. Liory Alkh'eir, ah qu’elle aimait les Alkh'eir ! Le minois aussi charmant qu’auparavant, plus assuré, plus affirmé depuis qu’il avait troqué ses couverts d’argent pour la précarité d’une glorieuse carrière d’Aventurier. Rebecca Hekmatyar dans de ravissants atours qu’elle ne lui avait plus connus depuis quelques temps, la vision de l’Aventurière lui arrachant un sourire rassuré et enchanté, consciente que la naissance de North devait avoir sensiblement bouleverser sa liberté : quelle plus parfaite soirée que celle-ci pour lui changer les idées, lui proposer des mets de tous les coins d’Aryon et la divertir de son quotidien ?

Plus à gauche, Luz découvrit la silhouette enjouée et familière de Lilith Crabantill, qui n’avait plus que le titre informel de patiente tant elles avaient partagé de moments d’égaiements, et de moments d’égarements bénéfiques. Et gymnastiquement agités. Adam De Obelia, également, compagnon d’enfance lorsque les dîners parentaux s’avéraient trop pénibles, qui était parvenu à ramasser ses forces pour réaffronter cette Capitale qu’il haïssait tant. Deux visages inconnus l’accompagnaient. Les seuls de cette soirée, en réalité, sur lesquels Luz demeurait incapable de mettre des noms.


Et puis… Gwain Dalgaard. Membre officieux de son aimée famille, ces espions aventureux qui vivaient sur le fil du rasoir et à qui elle avait promis une maison vers laquelle éternellement retourner. Qu’importait son tempérament et son passé, elle le couvait déjà d’un regard tout maternel, attentive à devancer son confort. Elle avait d’ailleurs à l’instant mis la main sur l’un de ses gâteaux au miel, véritable bouquet de saveurs qui lui rasséréna l’estomac après une journée entière passée à s’agiter. Elle nota qu'il lui faudrait lui dire avant la fin de la soirée. Non loin de là, l’usurpateur évoluait impuni dans le corps d’Ivara, cible devenue intouchable aussitôt que Luz avait appris la nature de ses liens avec Zahria. Comment désirer sa mort s’il n’était autre que le frère de sa chère, sa tendre et aimée Luciole ? La praticienne n’avait eu ainsi d’autre choix que de remplacer la violence et l’agressivité par des esquives, des ronds de jambes et des sourires crispés. Elle l’ignorerait le temps que durerait cette soirée, tout comme elle s’était effacée la veille pour offrir une réunion qualitative au frère et à sa sœur. Car Zahria le méritait. En tout ce qu’elle avait de plus brave, de plus généreux, de plus éclatant, quand bien même ces aspects n’étaient pas ceux qu’elle privilégiait sous sa casquette de Maitre espion. Sa colocataire était une personne magnifique quel que soit son aspect, et Luz escomptait bien travailler à faire de cette soirée un joyau parmi la ribambelle de souvenirs que chérissait Luciole… Il n’y aurait rien de tel, alors, pour la garder amarrée à cette demeure, et lui souhaiter par la même un joyeux et doux retour.

Cela, hormis une découverte qui risquait de chambouler ses plans. Une histoire qu’elle n’avait pas vraiment eu le loisir de lui raconter, tant elles étaient accaparées par leurs métiers respectifs. Heh, salut Zahria, je couche depuis des mois avec un criminel, mais tout va bien, c’est également un excellent commerçant ! Oh, on a peut-être tué une ou deux personnes, rassure-toi, on a pas utilisé la pelle du jardin. Sans doute pas l’entrée en matière idéale, ni celle que Zahria méritait. Restait qu’il fallait bien abattre cette partie-là du programme et que Luz n’était ni pudique ni honteuse. Oh, il s’agissait assurément d’un défaut, tant la roublarde n’hésitait jamais à marcher droit vers sa fin, impériale et assurée en dépit des escarres et des bris de glace que son chemin croisait parfois. En revanche, aucun des présents dans cette pièce ne pouvaient affirmer connaitre Luz autrement, aussi ne risquait-elle que bien peu de drame à agir exactement comme bon lui semblait. Après trois expéditions mortelles, une aventure désastreuse, la Cité enfouie et le Désert volant, il lui apparaissait que l’existence était beaucoup trop courte pour se soucier de ce type de désagrément. Elle marcha donc. Se glissa d’un pas souple à travers la pièce, repoussant machinalement derrière une oreille une mèche flamme trempée de neige, saisissant brièvement au passage la taille de Zahria pour lui souffler un rapide « Merci d’avoir accueilli tout le monde, tu es géniale ». Elle la libéra prestement et partit achever sa course auprès de l’âme qui la complétait, fort occupé au demeurant avec ce satané PasIvara et un jeune homme qu’elle ne connaissait guère.


Elle avait déjà, alors, glissé deux doigts doux comme des ailes d’hirondelle sous le menton de Warren pour mieux déposer sur ses lèvres un fugace baiser de bienvenu. Un requin de sa stature saurait bien survivre à cette soirée, heh ! Autant ne pas regarder de trop près les deux autres, puisqu'il semblait beaucoup trop les connaitre. Un froncement de sourcil et...


Sa dextre, d’ailleurs, manquait singulièrement de verre rempli d’alcool. Et elle n'avait pas encore pris le temps de saluer les autres minois qu'elle était absolument ravie de découvrir dans son salon ! En outre, le duo de musiciens enrôlés pour la soirée n'allait pas tarder à arriver...