Biezdań
Un nouveau jour commençait et Nevaeh observa les rues commencer à s’animer doucement. Les marchants commençait à ouvrir leur commerce et certaines personnes quittaient la taverne où ils avaient bu toute la nuit. Cachée dans une ruelle, elle observait tous ces gens d’un œil méfiant. Parmi toutes ces personnes, ils devaient sûrement y avoir quelques hommes du Non-mort. Mais qui ? Elle n’avait vu personne la poursuivre et aucun incident n'était arrivé. C’était étrange. Lorsqu’un vent siffla entre les bâtiments, elle frissonna et tenta de réchauffer ses mains en les frottant ensemble et en soufflant dessus. Le froid de la saison fraîche était différent de celui de la capitale. Le vent salé de l’océan semblait plus glacial et mordait cruellement les joues de la jeune femme.
Au bout d’un moment, ne voyant rien sortant de l’ordinaire, elle décida de se faufiler ailleurs. Maintenant cacher dans une nouvelle ruelle, elle observa l’océan. Plusieurs bateaux étaient arrivés aux quais avec différentes marchandises. Mais aucune de ces marchandises ne l’intéressait. Ce qu’elle voulait était des informations. Cela faisait quelques jours que Nevaeh était au grand port. Elle aurait pensé qu’avec la grandeur de la ville, il aurait été facile de trouver des informations sur le Non-Mort. Elle avait séjourné dans différentes auberges et avait tenté de récolter des rumeurs de gauche à droite, pourtant, il n’y avait rien. Absolument rien. C’était tout aussi décevant que frustrant. Elle n’avait pas fait six jours de voyagement à pied pour tomber sur un mur. Elle soupira longuement. Elle avait espoir que peut-être ces criminels n’allaient pas la retrouver. Après tout, il n’y avait eu aucun incident. Non. Il y en avait eu un. Il y a de cela quelques jours, elle avait aidé une jeune femme. Un petit voleur avait décidé de voler le sac d’Ivara et elle l’avait aidé en arrêtant le bandit. Ce fut une histoire rapidement réglée et elle avait même laissé son nom pour que le garde puisse faire son rapport. Elle doutait qu’il s’agît du Non-mort. Après tout, le voleur ne s’en était pas pris directement à elle. Il faut cependant dire que cela n’avait toutefois pas aidé à sa situation psychologique. La fatigue s’accumulait tout autant que le stress.
Un peu fatiguée, elle décida de prendre la route vers l’auberge où elle résidait temporairement. Elle avait réussi à vendre quelques baumes et avait offert quelques services de soins. Cela aidait grandement à ne pas épuiser trop rapidement sa banque de cristaux. Maintenant, que la ville était bien réveillée et qu’il y avait de l’action tout autour d’elle, elle releva sa capuche et la tira jusqu’au-dessus de ses yeux. Avec autant de mouvement autour d’elle et sa vision beaucoup trop large, il était bien trop facile pour elle de souffrir de migraine. En chemin vers l’auberge, elle aperçut une garde venant dans sa direction. Pour ne pas être dans son chemin, elle se rangea sur le côté lorsqu’elle réalisa que la garde semblait la fixer. Nevaeh évita son regard, mais cela devint excessivement difficile lorsqu’elle remarqua que la femme s’arrêta devant elle. Elle pouvait déjà sentir une migraine se former. Qu’est-ce que cette garde pourrait bien vouloir ?
« Je peux vous aider ? »
L’Amiral avait hâte d’en finir avec cette procédure un tant soit peu ennuyeuse, car elle avait d’autres chats à fouetter.
Une disparition inquiétante avait secoué le régiment. Depuis quelques jours, plusieurs gardes avaient trouvé placardées un peu partout dans des endroits différents du Grand-Port, des affiches avec le portrait d’une jeune femme dessus, avec pour seule inscription “AVEZ-VOUS VU CETTE FEMME ?” Les affiches étaient placardées dans des endroits très différents : on passait de la grande place à une petite ruelle des bas quartiers, en passant par les quais. A chaque fois, les affiches étaient collées par quatre ou cinq exemplaires à la suite, comme un appel désespéré ou frénétique. Une sorte d'appel obsessif, qui mettait mal à l'aise celui se qui retrouvait devant cette série de portraits de cette personne avec seulement cette phrase inquiétante, écrite en gras.
Seul problème, aucune disparition correspondant au portrait de la femme n’avait été déclarée. Une petite équipe, intriguée par cette pseudo-affaire, comme ils l’appelaient eux-mêmes, avaient fait le tour des morgues, hôpitaux et sanatoriums environnants. Beaucoup d’efforts pour de simples affiches, mais le nombre de ces illustrations augmentait de jour en jour, et certaines avaient même finies affichées sur les murs du Bastion. Provocation ? Avertissement ? Personne en détresse ? Toujours est-il que cette personne était introuvable.
Kemenes s’était penchée elle aussi sur ce fait divers étrange. Car oui, cette histoire se rangeait parfaitement dans la case de définition étrange. L’Amiral s’était même retrouvée à avoir dans sa poche une de ses fameuses affiches, pliée proprement en deux. Elle la regardait de temps à autre pour imprimer le visage dessiné de la recherchée dans sa rétine, et qui c’est, la retrouver parmi toute cette foule. Même si la garde ne se faisait pas d’illusions, elle se doutait qu’il y avait peu de chance pour qu’elle et ses collègues ne résolvent jamais le mystère entourant ces affiches.
Toujours est-il que ce matin-là, Kemenes était allée avec l’esprit léger, rencontrer cette fameuse Raelyn, confirmer avec elle certains détails de sa déposition, prendre son nom et reprendre ses assignations plus importantes. L’air était doux, il faisait moins froid que la veille. Le brise matinale avait un parfum iodé, et soufflait légèrement dans les cheveux de la garde. La jeune femme inspira avec plaisir cette odeur qu’elle appréciait tant, se disant que cela allait certainement être une belle journée aujourd’hui. Elle vérifia l’adresse donnée par son collègue et marcha d’un pas allègre dans les petites rues du Grand-Port, qui commençaient tout juste à se réveiller, les commerçants ouvrant petit à petit leur boutique, quelques badauds déambulaient, des marins se préparaient à prendre la mer. Kemenes arriva enfin devant l’auberge, et alors qu’elle s’apprêtait à y pénétrer, elle entendit une voix l'appeler.
- Amiral Biezdàn ! Amiral !!
Kemenes se retourna. C’était Jarvis, le collègue qui avait mal pris la déposition. Il avait manifestement couru pour la rejoindre car il était en sueur. Quand il arriva à sa hauteur, il mit un instant à reprendre sa respiration, et s’épongea le front avec son avant-bras.
- Jarvis, qu’est-ce vous faites ici ? Je vous avais dit que je me chargerais de finir la déposition. Dit Kemenes en haussant un sourcil interrogateur.
- C’est…C’est justement pour ça que je suis là…La femme que j’ai interrogé hier ! Eh ben…Jarvis avait du mal à s’exprimer, étant toujours essoufflé.
- Eh ben quoi ? Reprenez-vous mon vieux !
- Vous savez l’histoire avec la femme sur les affiches ? Moi je les avais jamais vu, j’étais en inter’ toute la semaine dernière hors du Grand-Port, et je suis revenu qu’hier. Et hier pour ma reprise je me suis occupé de prendre la déposition des deux jeunes femmes là…
- Si vous pouviez en venir au fait, parce que là je ne vous suis pas.
- La femme qui a arrêté le voleur, dont on pas le nom. C’est celle sur l’affiche.
- Comment ?!
- Oui, oui je vous assure. Quand les collègues m’ont montré l’affiche ce matin j’ai cru nager en plein délire.
- Vous êtes certain que c’est elle ? Vous pouvez me l’affirmer ?
- Aussi sûr que j’vous vois ! Jarvis avait l’air quelque peu troublé, voire même effrayé. Si il avait courru jusqu’ici pour signaler cette information qui n’était pas des moindres, c’est qu’il devait être sûr de ce qu’il avançait. Et en même temps, Kemenes pouvait-elle croire sur parole un garde qui ne sait même pas prendre correctement une bête déposition ?
- Je sais bien ce que vous vous dites, Amiral, mais je vous jure sur mon uniforme, que la femme que j’ai rencontré hier est notre disparue.
Le garde avait l’air désespéré. Kemenes soupira et se massa la nuque nerveusement.
- Entendu. Je vais tout de même m’assurer que c’est bien elle. Envoyez quelqu’un d’ici une dizaine de minutes, d’accord ?
En guise de réponse, Jarvis fit un salut avec un sérieux très cérémonial, puis repartit en courant. La garde resta devant l’auberge, interdite. Instinctivement, elle sortit d’une de ses poches une des affiches qu’elle avait ramassée et la contempla une nouvelle fois. “Bien.”
L’Amiral resta postée près de l’auberge, scrutant les passants, qui se faisaient de plus en plus nombreux. Certains l’évitaient très vite du regard, soit intimidés par son apparence ou méfiants par le fait qu’elle soit garde. Mais aujourd’hui elle n’avait pas le temps de s’occuper de petits voyous. Elle guettait. “Aller Raelyn, montre-toi”
Comme si ladite Raelyn avait entendu sa prière, la jeune femme apparu au coin d’une ruelle, se dirigeant vers l’auberge. Kemenes ne la quittait plus des yeux. Elle avait une capuche sur la tête, qui dissimulait en partie ses traits. Cependant, quelque chose remua en Kemenes. Un instinct, un sentiment insidieux lui hurlant qu’il s’agissant bien là de la femme sur les affiches. Cette mystèrieuse femme dont le visage était placardé aux quatre coins du Grand-Port. Raelyn dû sentir le regard persistant de la garde, car elle leva les yeux vers elle et croyant qu’elle devait la laisser passer, se mit sur le côté de la rue. Voyant que Kemenes ne bougeait pas, elle lui demanda si elle pouvait faire quelque chose pour elle. Kemenes put enfin voir pleinement son visage. C'était elle. C'était bien elle.
La garde ne répondit pas de suite, se demandant comment aborder le sujet. Elle préféra aller avec la première raison de sa visite.
- Mademoiselle Raelyn ? Je suis l’Amiral Biezdàn, de la Navale. Hier vous avez assisté à une tentative de vol à la tire. Le garde qui a pris votre déposition a oublié de noter votre nom. Si vous êtes disponible dans l'instanté, je souhaiterais reconfimer certains points avec vous et clôturer le dossier.
“Et aussi que tu me dises pourquoi ton joli visage est affiché partout dans ma ville, mais on verra ça en temps voulu.”
Biezdań
La journée venait de commencer, et elle était déjà mal partie. C’était bien par politesse que Nevaeh avait demander à la femme comment elle pouvait l’aider. En réalité elle ne voulait absolument pas attirer l’attention de quiconque, encore moins la garde. Elle fixa la garde dans les yeux avec impatience lorsque celle-ci décida de prendre son temps à répondre. Pourquoi la regardait-elle de cette façon ? Est-ce qu’il y avait quelque chose sur son visage ? Est-ce que son déguisement n’était pas assez bon ? Pourtant, elle s’assurait de passer un coup de peigne magique à tous les jours pour s’assurer que sa chevelure reste blonde. Alors que le silence s’étira, elle commença à paniquer. Elle baissa la tête et jeta un coup d’œil rapide à sa tresse qui pendait. Elle était encore parfaitement blonde. Lorsque la femme s’introduis, les couleurs de son visage disparu un instant. C’était une blague, n’est-ce pas ? Elle devait tomber sur une amirale en plus ! Pendant un moment, elle maudit la déesse de la chance. Sincèrement, qu’avait-elle fait pour mériter une chance atroce. Elle était fatiguée et la dernière chose qu’elle voulait était de discuté d’une histoire qui aurait déjà dû être clos il y a longtemps. Le garde leur avait assurer qu’il avait tout ce dont il avait besoin et qu’elle pouvait repartir avec Ivara.
« Eum, oui. Je peux bien vous suivre… »
Ce n’est pas comme si elle avait le choix. Même si ses instincts lui hurlèrent de ne pas la suivre, fuir la garde ne ferait qu'éveiller les soupçons. Elle mordit sa lèvre inférieur et maudit le garde qui avait failli à sa tâche. Comment pouvait-il avoir oublier de noter son nom alors que c’était l’une des seules questions qui lui avait poser. Elle laissa l’amiral ouvrir la marche et la suivit tout en essayant d’effacer sa présence le plus que possible. Elle gardait ses mains agripper aux rebords de sa cape, à la fois pour empêcher le vent de s’infiltrer et pour éviter que ses mains ne glissent trop près de ses dagues. Elle avait encore de la difficulté à supporter les foules. Elle serra les dents chaque fois qu’elle apercevait quelqu’un s’approcher un peu trop. Peut-être était-ce parce qu’elle était accompagnée de l’amiral, mais peu de gens osaient se mettre dans leur chemin.
« Je suis certaine que vous avez des tâches bien plus importante à faire. Si vous n’avez besoin que de mon nom, je peux simplement vous le laisser. »
Cela dit, elle ne se souvenait pas du tout du nom complet qu’elle avait donné. Elle savait qu’elle avait donner son nouveau prénom, mais le nom de famille avait été inventé de toute pièce. Sous le stress, elle avait dit la première chose qui lui était venu à l’esprit. Seulement, l’amiral avait besoin de plus que son nom. Elle lui avait mentionné qu’elle voulait revenir sur certain points… Sur quel point pouvait-elle vouloir revenir ? N’avait-elle pas été clair la première fois ? Le voleur s’était emparé du sac d’Ivara et avait prit la course. Nevaeh était simplement quelqu’un qui se trouvait sur son chemin et donc l’avait arrêté. Voilà une histoire courte et qui avait une belle fin. Il n’y avait pas plus de détail qu’elle pouvait donner.
Le cœur de Kemenes fit un bond dans sa poitrine. Est-ce que c’était voulu ? Est-ce que quelqu'un avait délibérément fait en sorte que ce soit la garde elle-même qui se retrouve à interroger la jeune femme ? Non. Impossible. C’était un pur hasard. Un hasard…Pourtant l’affaire à laquelle elle devait se concentrer ensuite était bien celle des affiches. Un sentiment désagréable monta en elle. Comme si on s’était joué d’elle, comme si elle avait été manipulée pour se retrouver exactement là où elle était actuellement. Et voilà qu’elle se retrouvait “par hasard” devant celle que toute une cellule de son équipe recherchait. D’ailleurs, ils avaient essuyé quelques railleries au Bastion. “C’est certainement une mauvaise blague.”, “Si vous aimez courir après du papier hein !”, “Quand vous aurez fini vos origamis, on pourra bosser ?” et autres petites plaisanteries agréables. Kemenes était déstabilisée. Il fallait qu’elle fasse remonter l’affaire à Jill. Tant pis si elle se moquait d’elle, il fallait que quelqu’un les prennent au sérieux. Finalement, ils s’étaient tellement concentrés à retrouver qui était sur l’affiche, qu’ils n’avaient pas pris le temps de rechercher QUI avait posé ses affiches. Mais Kemenes se doutait que même en cherchant avec tous les efforts du monde, ils ne tomberaient certainement que sur des petites frappes ou alors des enfants des rues, certainement payé pour faire le boulot. Après, elle n’allait pas rester sur des convictions, et aller mener son enquête. Bon sang, c’était juste des affiches quoi. Mais quelque chose ne tournait pas rond. Elle le sentait. Et Raelyn était au cœur de ce mystère. Elle détenait sûrement plusieurs réponses aux questions qui tournaient en boucle dans la tête de Kemenes. Maintenant qu’elles étaient ensemble, elle n’allait pas la laisser filer. Kemenes se mit à réfléchir à toute vitesse. Puis une idée lui vint. Peut-être un peu brutale, mais elle aura le mérite d’être efficace. Ça ne devait pas être très loin de là où elles se trouvaient. Elle espérait seulement que le choc ne serait pas trop violent ou que la jeune femme n'essayerait pas de s'enfuir. Pourquoi est-ce que l'Amiral pensait ainsi ? Elle ne savait pas, mais elle avait la certitude qu'elle devait rester à l'affût, et pas qu'avec Raelyn. Elle avait la sensation déplaisante d'être observée. Pas observée comme elle l'était habituellement, mais surveillée. Elle avait eu cette impression dès qu'elle était rentrée en contact avec Raelyn. Restant impassible, elle effectua un salut militaire et s'exprima avec une voix neutre :
- Je vous remercie. Je vous proposerai bien de nous installer dans l’auberge, mais j’ai peur que cela soit un peu bruyant. Si vous voulez bien me suivre, nous allons nous poser dans un endroit plus calme. Ce n’est pas très loin d’ici.
Raelyn ne pouvait pas refuser et elle le savait. D’autant plus que le grade élevé de Kemenes semblait l’avoir déstabilisée. Tout son langage corporel laissait deviner qu’elle était sur le qui-vive, elle évitait soigneusement que sa cape ne s'entrouvre trop. Kemenes l’observait sur coin de l'œil. La jeune femme avait tout le comportement d’une personne qui ne voulait pas se faire remarquer. Et surtout, elle semblait fuir quelque chose, une aura de danger planait autour d’elle. Son visage était tendu, et elle serrait les mâchoires dès qu’un passant passait trop près de sa personne. L’Amiral se posta légèrement devant elle, de sorte à ce que la foule les évite elle et aussi Raelyn par la même occasion. Kemenes ne faisait pas peur à proprement parler, mais son apparence pouvait dissuader plus d’un.
Heureusement, Raelyn semblait encline à la suivre. Alors qu’elles s’engagèrent dans une petite rue moins fréquentée, la jeune femme parut se dégonfler. Elle voulait donner son nom et s’en aller, certainement. Kemenes se mit à ralentir la cadence et se retourna vers Raelyn. Elles étaient bientôt arrivées. Comme Kemenes se tenait tous les jours au courant, elle savait que l’endroit n’avait pas été encore nettoyé.
- J’ai effectivement des tâches plus importantes à gérer. Dont une en particulier. Qui m’ennuie un peu voyez-vous. Tout en parlant, Kemenes tourna un coin de rue, plus sombre.
Elles étaient désormais dans les quartiers plus pauvres du Grand-Port. La ruelle n’était pas mal famée, et la lumière de l’océan éclairant de derrière les maisons à colombages donnaient une ambiance plus accueillante le jour à ces quartiers beaucoup plus dangereux la nuit. La garde se dit qu’elle devait faire en sorte de ne pas effrayer Raelyn, et adoptait une attitude calme, la moins menaçante possible. Elle regardait la jeune femme franchement, en faisant des gestes précis, laissant son arme bien en vue. Si Raelyn était réellement sur le fil du rasoir, elle sentirait que Kemenes ne lui voulait aucun mal. Elles étaient arrivées. Elle étaient dans une toute petite rue pavée, étroite et malodorante. Juste devant elles, sur un mur en pierre d’un commerce fermé définitivement et délabré, était placardé le visage de Raelyn en quatre fois, avec la fameuse phrase “AVEZ-VOUS VU CETTE FEMME ?”, qui paraissait menaçante à présent.
- Raelyn, j’ai besoin de savoir comment se fait-il que la personne que je cherche depuis plusieurs semaines se trouve à présent devant moi, et dont le visage est placardé un peu partout dans la ville, est finalement en parfaite santé et n’a pas disparu. Et surtout, j’aimerais savoir pourquoi.
Kemenes d’adossa contre le mur où se trouvait les affiches et scrutait la réaction de la jeune femme.
Biezdań
Il y avait quelque chose d’étrange dans l’air. Nevaeh n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Ce n’était pas l’apparence unique de l’amiral. Elle avait rarement vu des gens avec une peau bleutée, chose sûrement causée par son pouvoir. Mais au moment présent, elle pouvait bien de foutre totalement de l’apparence de la garde en face d’elle. Son attention était portée sur la situation qui devenait de plus en plus étrange. Après avoir sillonné les rues de la ville, elle avait réussi à se dessiner une carte dans sa tête pour mieux se retrouver. Lorsque Kemenes prit un tournant vers la ruelle, son cœur se serra instantanément. Ce n’était pas le chemin pour se rendre à la caserne. Que faisait-elle ? Était-ce un piège ? Était-ce quelqu’un déguisé en garde ? Pourtant, personne ne tenterait de se faire passer pour quelqu’un d’aussi gradé qu’un amiral. Son corps se tendit et inconsciemment, sa main se glissa sur sa cuisse où ses doigts effleurèrent la poignée de sa dague. Sentant le métal sous ses doigts, Nevaeh figea et remonta sa main. Elle ne pouvait pas se permettre d’attaque la femme seulement par peur.
Lorsqu’elles arrivèrent à destination, la jeune femme compris ce qui causait des ennuis à Kemenes. Si cela lui causait des ennuis, alors cela causait une panique générale chez la blonde. Son visage devint pâle en examinant les affiches collées sur les murs. Son visage était imprimé à la perfection sur les affiches. La femme sur l’affiche avait le même regard émeraude qu’elle et la même chevelure. Non seulement il n’y avait pas qu’une affiche, mais quatre ! Déjà une, c’était bien assez pour la faire fuir de la ville. Alors, qu’était-ce donc cette histoire ? Quand et qui avait fait ces affiches ? Elle n’avait qu’une seule personne. Le Non-mort. Cela ne faisait pas de sens. S’il l’avait retrouvé, pourquoi était-elle en vie ? S’il savait où elle était, il l’aurait retrouvé dans l’auberge et il l’aurait assassiné là où elle se trouvait.
« Alors, Amiral Biezdàn, sur ce sujet, nous sommes deux. »
Avait-elle vraiment dit plusieurs semaines ? C’était impossible. Cela ne faisait pas si longtemps qu’elle avait ce nouveau visage. Dès qu’elle eut la nouvelle que les quatre agresseurs restants avaient soudainement disparu de leur cellule, elle avait fui la capitale. Le trajet avait pris six jours à pied et elle n’était dans la ville que depuis environ quatre jours. Cela ne faisait donc moins de deux semaines qu’elle avait ce déguisement. Avec horreur, elle réalisa qu’elle devait sûrement avoir la même apparence que la pauvre dame disparue. Elle arracha l’affiche du mur et scruta l’image. Elle avait l’impression que c’était elle sur l’image. C’était quoi ce bordel ?
« Je doute sincèrement que je détienne la clé qui répondra à vos questions. Vous devriez plutôt retrouver celui qui a fait ces affiches. »
Si l’amiral tenait réellement à retrouver cette femme, elle allait avoir plus de chance en questionnant les vrais responsables. Cependant, plus elle regardait le papier, plus elle avait l’impression qu’elle regardait une image d’elle-même.
« On dit que nous avons tous un sosie quelque part dans le monde, n’est-ce pas. Comme vous pouvez le constater, je n’ai pas disparu, mais peut-être que quelqu’un au même visage que le mien a disparu. Si c’est le cas, je ne pourrai point vous aider. Je ne suis qu’une herboriste ambulante. »
> musique
C’était une des premières choses qu’on lui avait enseigné à l’académie : détecter quand une personne mentait. Rien à voir avec la télékinésie ou la voyance, non. Il suffisait d’analyser le langage corporel de la personne interrogée. Son regard, son ton, sa manière de répondre tout était indicateur d’un éventuel mensonge, d’une dissimulation arrangeante. En cet instant précis, l’amiral savait que Raelyn lui mentait. Elle ne savait pas sur quoi exactement, cependant tout en elle exultait l’incompréhension, la peur et surtout le mensonge.
Elle se souvenait des premiers interrogatoires qu’elle avait mené. Si elle avait été remarquée, et qu’elle avait gagné le respect de ses supérieurs, c’est car elle avait la faculté de sentir si une personne mentait ou pas. D’une manière totalement ordinaire, bien entendu, et qui ne s'appliquait que sur des personnes dites “normales”. En effet, un expert en tromperie et dissimulation n’aurait aucun mal à entourlouper la garde.
Quand bien même, elle y était sensible, et avait pu mener à bien plusieurs interrogatoires délicats et mettre les mis en cause face à leurs contradictions. Elle pouvait aussi sentir la peur, le stress, la colère. Toutes ses émotions dépeintes comme violentes, qui se laissaient transpirer à travers l’être qui les ressentait. Était-ce un instinct animal hérité de la Prirva ? Kemenes ne savait pas vraiment. Cela ne s’appliquait qu’à son travail, pendant ses évènements particuliers. Interrogatoires, enquêtes, combats. Une sorte de traque incessante. En dehors, elle redevenait aussi perdue qu’un aveugle sans canne dans un marché ambulant.
Kemenes fronça les sourcils et se redressa. Elle regardait tour à tour Raelyn et les affiches, sans dire mot, faisant tacitement comprendre à la jeune femme qu’il était peu probable qu’une personne puisse lui ressembler de manière si identique. Elle avait l’air d’être une personne intelligente et ses histoires de sosie étaient difficiles à croire. Surtout avec le comportement méfiant qu’elle adoptait depuis qu’elle avait rencontré la garde. Que pouvait-elle bien cacher ? Kemenes n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Elle avait des difficultés à se dire qu’il s’agissait peut-être simplement d’une histoire de ménage, d’une mauvaise blague. Une impression étrange la tiraillait, trifouillait dans ses méninges et jouait avec ses nerfs. Et si elle se trompait ? Si elle avait faux sur toute la ligne ? Non. Il fallait qu’elle en ait le cœur net. Alors qu’elle s’apprêtait à questionner Raelyn, elle ressentit une présence derrière elle. elle se retourna vivement. Un homme vêtu en habit sombre, le visage masqué, se tenait derrière elle. Elle ne l’avait pas entendu arriver. Kemenes jeta un œil alerte dans la direction de Raelyn pour avoir la désagréable surprise de voir qu’elles étaient encerclées. Un homme, lui aussi masqué, s’était posté dans la ruelle par laquelle elles étaient arrivées. Un autre devant la rue donnant sur le port, et le premier intrus qu’elles avaient remarqué, dans le dos de Kemenes. Une tension meurtrière déchirait l’atmosphère. Raelyn et Kemenes se tournaient le dos, pour mieux jauger les intrus venus des ombres. L’amiral analysait la situation à toute vitesse. Elles étaient deux face à trois possibles adversaires, dans un espace restreint. Elle ne savait pas si Raelyn était en mesure de se battre, mais elle préférait partir du principe que oui. Il allait être difficile de s’en sortir sans égratignures s' ils décidaient de les attaquer. Mais déjà, comprendre ce qu’ils veulent. Après quelques secondes qui lui parurent interminables, un des hommes, le plus proche de Raelyn, brisa enfin ce silence insupportable.
- Bha alors Morgana, on part en balade ? On t’as cherché partout ma belle. C’est fini la petite escapade, on va rentrer maintenant. Et toi la garde, je te donne trois secondes pour te casser.
Sa voix était froide, incisive. Instinctivement, Kemenes sut qu’elle n’avait pas affaire à des petites frappes de bas étage. Ces gars-là étaient sûrs d’eux, d’autant plus qu’ils avaient la sécurité de l’anonymat avec ce masque uni, au design très simple, qui les dépersonnalisait complètement. La garde s’était mise en position de combat sans s’en rendre compte, avec sa main prête à dégainer son épée, l’autre non loin de sa dague. Il n’y avait aucune trace d’eau dans les parages, elle ne pouvait donc compter que sur sa force physique et ses capacités humaines pour ce qui se préparait.
L’amiral ne bougeait pas. Elle pouvait sentir la chaleur du dos de Raelyn, et trouva cela rassurant. Elle se concentra sur sa respiration, qui semblait contrôlée. La jeune femme paraissait maîtresse de ses émotions, mais Kemenes ne pouvait pas en être si sûre. Elle se rappelait qu’un de ses hommes était censé les rejoindre d’ici une dizaine de minutes. Or, elle n’avait pas prévenu qu’elle se rendrait à cet endroit. Il les chercherait certainement à l’auberge, et voyant qu’elles ne s’y trouvent pas, fera peut-être une ronde pour les repérer. Ce qui était sûr c’est qu’ici, personne ne donnerait l’alerte. Les passant sur les quais feront comme s' ils ne voyaient rien, de peur de se faire attaquer, croyant peut-être à une rixe de soulards. La ruelle était étroite et sombre, les quelques habitués du quartier devaient déjà avoir déserté l’endroit, craignant les représailles. Elles étaient seules.
-Tu m’as entendu La Bleue ? Je t’ai dit de dégager.
- Elle entend peut-être mal. Avec des oreilles pareilles en même temps.
L’homme devant la garde avait parlé d’une voix rauque. On pouvait l’entendre sourire derrière son masque. Il mit une main gantée sur sa hanche, montrant ainsi qu’il était armé. Doublement armé, même.
Seul, l’homme posté dans la ruelle menant à la rue principale d’où venait Raelyn et Kemenes restait silencieux. Elle eut la mauvaise impression que c’était celui qui était le plus dangereux des trois, et son regard fut attiré par un objet singulier qui pendait au cou de ce dernier. Un collier, mais…C'était de l’email ? Non c’était..!
Elle n’eut pas le temps de finir son train de pensées. L’homme en face d’elle, vif comme un serpent, tenta de lui asséner un coup de poignard au flanc. Surprise, elle se jeta contre le mur aux affiches pour éviter le coup, espérant que Raelyn puisse éviter son attaque. Étonnement, l’homme retint son coup quand il vit qu’il pouvait la blesser, et se retourna vers Kemenes. “Ils ne veulent pas la blesser. Intéressant.” Raelyn n’était pas sauve pour autant, car l’homme qui lui faisait face était bien décidé à l’emmener avec lui, l’appelant une nouvelle fois Morgana. Il ne semblait pas rechigner à user de ses poings pour y parvenir, et fit claquer ses poings l’un contre l’autre. Le bruit métallique qui se fit entendre fit comprendre à la garde que les jointures de ses gants étaient renforcées.
L’amiral remarqua très vite la posture offensive de la jeune femme, et pu ainsi se rassurer que Raelyn savait parfaitement se défendre toute seule.
L’homme qui l’avait attaqué s’était vite ressaisi et avait sorti une deuxième dague. Bien décidé à se débarrasser d’elle, il se précipita sur elle, se baissant avec une agilité impressionnante et chercha à planter une des dagues dans la cuisse de Kemenes. Il y parvint presque, et si la garde ne s’était pas décalée de quelques centimètres, il aurait certainement réussi à atteindre l’artère. Heureusement, sa jambière la protégea comme elle se le devait, et la lame ripa contre le cuir. L’amiral en profita pour lui décrocher un coup de genoux dans la tête, mais le bandit, habile, arriva à l’éviter de peu. Elle réussit tout de même à lui mettre le coup de genoux dans l’épaule de l’homme, ce qui le déstabilisa et il faillit perdre pied. Il ne se laissa pas démonter, et la jambe de Kemenes trop exposée, réussit à l’atteindre dans la partie à découvert entre sa cuissarde et sa jambière.
Sentant la lame s’enfoncer dans sa chair, la garde riposta en plantant sa dague dans le bras de l’homme, qui ne surveillait pas ses ouvertures. Décontenancé par la combativité de la garde, l’homme se rejeta en arrière pour mieux la jauger. Elle ne l’avait pas raté, car le sang de l’homme masqué trempait déjà le tissu sombre, donnant un reflet rougeâtre à la manche souillée. Elle aussi n'était pas épargnée et sondait sa propre douleur, essayant d’analyser la gravité de sa blessure. Elle ne ressentait rien, l’adrénaline gommait toute trace de souffrance.
L’amiral pouvait entendre les bruits d’une lutte acharnée derrière elle, mais elle ne pouvait se permettre de se retourner pour prêter main forte à Raelyn. Le troisième homme, jusque-là resté spectateur, avait décidé d’entrer en scène. Et Kemenes se doutait qu’avec lui ce serait une toute autre paire de manches. C’est là qu’elle comprit enfin quel genre de collier portait l’homme. C’était un collier fait d’os. Composé entièrement d'os.
Une chanson se mit à carillonner dans l’esprit de la garde.
“Les petits poissons dans l’eau…”
L’homme s’approchait doucement, elle n’arrivait pas à distinguer ses mains.
“Nagent, nagent, nagent, nagent, nagent…”
Celui blessé semblait prêt à reprendre l’offensive à tout moment.
“Les petits poissons dans l’eau…”
Elle n’arrivait pas à quitter le collier des yeux. C’est à ce moment que l’homme fondit sur elle.
“Nagent aussi bien que les gros.”
Biezdań
Si un jour quelqu’un devait rechercher la définition d’une situation confuse, la personne n’aurait pas besoin de chercher bien loin. Cette histoire était une vraie fourmilière à problème. D’abord, elle avait décidé d’aider, par bon cœur, une femme qui avait été victime d’un vol. Après, elle avait même été jusqu’à faire le travail d’un garde en emmenant ce bandit jusqu’à une caserne où on lui demanda son nom pour leur rapport. Ce qu’elle donna contre son gré. Et quelques jours plus tard, une amirale, rien de moins, était débarquer à son auberge pour venir récolter le nom qui avait été perdu. Ce qui s’était avéré être une ruse de la garde pour en fait la questionner sur une fausse disparition. Et si cela n’était pas assez rocambolesque, voilà maintenant qu’elles étaient encerclées par des hommes croyant fermement qu’elle était une certaine Morgana ! Mais quel était ce bordel ! Elle s’avait très bien qu’elle n’était pas ‘Raelyn’, c’était une identité complètement inventée. Mais elle savait, sans l’ombre d’un doute qu’elle n'était pas Morgana.
Face au danger, la jeune femme se rapprocha instinctivement de la garde sans quitter les ennemis des yeux. Un pas de plus vers l’arrière et la voilà dos à dos avec l’amiral. Dans ce moment de silence, elle ne savait réellement pas quoi pensée. S’il n’avait pas mentionné le mauvais nom, elle aurait pu croire que Kemenes travaillait pour le Non-Mort et qu’elle avait découvert sa réelle identité. Avec la façon qu’elle l’avait regardé, elle était certaine qu’elle ne croyait pas un mot de ce qu’elle disait. Si ce n’était pas de la confusion intense, elle aurait pu croire que la femme avait délibérément emmené Nevaeh dans la ruelle pour se faire prendre par les hommes de son traqueur. Mais devant cette situation qui ne devenait que de pire en pire, elle avait simplement envie de tourner les talons et quitter le grand-port et laisser cette sordide histoire derrière elle.
Autant, aurait-elle voulu oublier cette histoire, c’était pratiquement impossible de valser hors de cette situation. Un premier homme se jeta sur la garde et ce n’était que par ses réflexes aiguisés par ses nombreuses aventures qu’elle réussit à éviter l’attaque en se collant au mur opposer de l’amiral. Elle commençait vraiment à regretter le service qu’elle avait rendu à Ivara.
« Allez, ne fais pas la difficile et viens avec nous, Morgana. »
Elle en avait assez. Elle détestait déjà le sentiment de ne pas être elle-même, elle n’allait pas laisser cette bande de brutes continuer à lui inventer une identité qu’elle n’avait pas. D’un mouvement brusque, elle retira la capuche qui dissimulait ses traits et commença à pointer son visage de façon exaspéré.
« Tu vois ma tronche ? Tu la vois bien ? Parce que t’as pas la bonne personne, enfoiré. C’est Raelyn. Pas Morgana. »
Ne pouvant pas utiliser son arc, car celui-ci était dans son sac, elle ne pouvait que compter sur ses deux dagues fidèlement accrochées à ses cuisses. Le combat rapproché n’était pas sa force, mais son corps étant alimenter par la frustration et l’adrénaline, elle arrivait à tenir tête à l’homme en face d’elle.
Nevaeh enchaînait les coups de pieds et les feintes telle une chorégraphie qui n’avait pas été pratiquer depuis quelques jours. Ce n’était pas parfait, les mouvements n’étaient pas aussi fluides qu’ils auraient pu l’être, mais dans l’ensemble, elle se débrouillait bien. Avec un peu moins de gracieuseté qu’un signe, mais plus qu’un dindon, elle esquiva les coups rapides et puissants de son adversaire. Ils avaient peut-être des muscles, mais ils manquaient clairement de cervelle. Ou d’organisation. Ou peut-être les deux. Comment pouvait-il croire qu’elle était leur cible ? Si cela faisait des semaines que cette Morgana avait été kidnapper par eux, comment ne pouvaient-ils pas voir qu’elle n’était pas la bonne personne.
« Ça s’échappe quelques jours et ça pense que ça peut se permettre d’avoir de l’attitude ? »
« Tu veux voir à quel point je peux te faire de l’attitude ? »
L’ex-aventurière détacha sa cape et la lança sur l’homme. Surpris, mais surtout aveugler, elle en profita pour charger sur lui avec ses dagues et l’empaler dans haut de sa cuisse et ses côtes. Celui-ci tomba au sol incapable de se relever à cause de la blessure à sa cuisse. Mais il ne manqua pas de riposter en abattant son coude violemment sur son omoplate. Les deux au sol, elle roula hors de sa porter avec un couinement de douleur. Elle resta au sol un moment pour reprendre son souffle, puis remarqua que l’attention de la garde semblait captiver par quelque chose d’autre que le combat se déroulant sous ses yeux. Ça se dit amiral et ça ne porte même pas attention au combat…
Plus rapidement que le troisième homme pouvait attaquer, Nevaeh se releva et tira l’amiral derrière elle. S’il ne pouvait pas blesser cette supposer Morgana, alors allait utiliser de cet avantage pour être un bouclier et se mettre entre sa collègue temporaire et leur ennemi. Cela dit… Une fois pris dans le mouvement, l’homme n’arriva pas à arrêter le mouvement et c’est à ce moment qu’elle réalisa qu’elle avait possiblement commis une erreur dans son calcul.
- Raelyn, son collier, attrape ! Elle balança le collier à la jeune femme. L'homme lui lança un regard assassin au travers de son masque. Le collier semblait maintenant plus important que cette "Morgana".
Maintenant en lieu sûr, elle pouvait en découdre correctement avec le gaillard, sans risquer qu’il ne reprenne son bien, qu’il semblait si prompt à vouloir récupérer. Voyant Raelyn prête elle aussi à en découdre, l’homme était acculé. Il semblait hésiter entre récupérer son collier, tuer Kemenes (car oui, elle pouvait sentir qu’il souhaitait la tuer, purement et simplement) ou mettre les voiles. Tandis que l’homme tergiversait encore, la garde sauta de nouveau sur lui, le plaquant contre le mur. Or, épuisée par sa blessure, et sa lutte précédente, Kemenes était plus en difficulté pour le retenir, même si elle y mettait encore toute sa furie pour l’empêcher de fuir. Malheureusement, l’homme au masque parvint à se défaire de son emprise non sans mal, ses forces étant aussi amenuisées. Il disparu dans une ruelle, aussi vite qu’il était apparu.
A bout de souffle, la cuisse en sang, Kemenes s’adossa contre le mur de la ruelle et se laissa glisser à tard. Elle demanda à Raelyn si elle allait bien. Elle n’avait pas l’air blessée. Le type qu’elle avait mis au tapis gémissait. Exténuée, mais ne souhaitant aucune mauvaise surprise, l’amiral se leva, s’approcha de l’homme, l’assomma avec le manche de son épée, et se replaça exactement au même endroit. L'autre, gisait toujours au sol, la brique à côté de son crâne. La garde espérait que le choc ne l'avait pas tué. Elle n'avait aucune idée de ce qu'il venait de ce qu'il venait de se passer. Elles venaient de se faire attaquer par trois individus, entrainés, masqués, qui connaissaient Raelyn. Du moins semblait la connaitre, car la jeune femme s'était bien défendue d'être la dénommée Morgana qu'ils recherchaient. Elle se massa douloureusement la jambe, et déchira la manche de sa chemise pour se faire un pansement de fortune. Elle regarda Raelyn avec un pauvre sourire. Puis, apercevant le collier du criminel, senit une nouvelle fois ce sentiment étrange poindre dans ses entrailles.
- Fais-moi voir le collier s’il te plait. Il avait l’air bien énervé quand je l' ai pris. Une fois le collier dans les mains, Kemenes l’examina. Elle mit un petit os entre son pouce et son index et s’adressant à Raelyn : - C’est ça qui m’a fait halluciner tout à l’heure. Ce sont des os humains. Des vrais.
Elle mit le collier dans sa poche, bien à l'abri. Elle resta un instant silencieuse, puis élevant la voix :
- Qui que vous soyez, sortez de là. Ils sont partis.
Il y eut un moment de flottement. Puis il y eut du bruit au dessus de leur tête. Sur le toit du commerce abandonné, pour être plus précis. Quelques tuiles tombèrent, craquaient sous les pas de la personne qui marchaient sur le toit manifestement en mauvais état. Après un moment d'attente, un jeune homme fit son apparition, passant par la fenêtre aux vitres cassées de la maison abandonnée. Il était mal coiffé, aux habits rapiécés, malingre et l'air apeuré. Il tenait dans une de ses mains une brique, de la même couleur que celle qui avait assommé l'homme masqué qui avait blessé Kemenes. Le jeune homme, d'une vingtaine d'années, se dirigea prudemment vers elles et, en apercevant Raelyn, lâcha sa brique, son visage s'éclairant d'un grand sourire. Il s'avança vers elle et lui prit gentiment les mains. Il semblait bouleversé.
- Morgana ? Morgana ! Lucy soit louée, tu as réussi à t'en sortir ! Vous ! Il s'adressait maintenant à Kemenes. - Vous êtes garde non ? Vous allez nous aider ? Ils n'arrêteront jamais de la poursuivre maitenant qu'on a réussi à la faire s'évader !
Biezdań
Le reste du combat se passa si rapidement, elle avait du mal à comprendre ce que se passait. Après avoir tiré l’amiral hors de danger, Nevaeh s’était elle-même mis devant l’attaque de l’homme masquer. En réalité, elle ne savait pas du tout pourquoi elle avait fait une telle chose. C’était complètement idiot. Elle avait réussi avec peine et misère de battre son premier adversaire, elle se voyait très mal en affronter un nouveau. Lorsqu’elle respirait, elle pouvait sentir ses côtes s’enflammer, signe que son ennemi avait dû fracturer quelque chose. Elle allait clairement demander une compensation à la garde pour ces blessures. Si la douleur était moindre pour le moment, c’était seulement à cause de l’adrénaline. Une fois le combat terminé, ses cotes allaient lui donner un mal de chien.
Contre toute attente, ce qui les sortit de cette fâcheuse situation fut une brique. Depuis quand des briques tombaient du ciel ? Franchement, elle avait l’impression d’être dans un cirque. La liste des choses étranges s’allongeaient plus le temps avançait. Après la brique, voilà que la garde semble avoir une obsession envers l’étrange collier de leur attaquant. Une chance que son champ de vision fût large, sinon elle n’aurait pas vu Kemenes lui lancer ce paquet d’os qu’elle appelait un collier. Lorsque le dernier ennemi disparu, elle se permit de respirer et de s’appuyer contre le mur. Mis à part les hommes du Non-Mort, elle ne s’attendait pas à devoir se battre contre d’autres criminels.
« Vous savez, j’ai des bandages dans mon sac. C’est un peu plus efficace pour panser les blessures qu’une manche. »
Elle lui lança le collier et fit une grimace lorsqu’elle lui dit qu’il s’agissait de vrai os. Un frisson de dégout parcouru son dos pensant aux gens à qui appartenait ces os. Quel genre de personne voulait avoir les os de quelqu’un d’autre autour du cou ? Certainement pas elle. Ouvrant son sac, elle s’apprêtait à sortir son kit de premiers soins lorsqu’elle vit les tuiles du toit tomber. Qui avait donc lancer ces briques ? Était-ce un allié ou un ennemi sachant très mal viser ?
« Stop. Non. Non. Je vous arrête là. Il y a un ÉNORME mal entendu. Je ne suis PAS Morgana. »
D’un coup sec, elle retira ses mains avec un léger tremblement. Peut-être qu’elle aurait pu être plus douce dans ses mots et ses actions, mais elle détestait les contacts physiques et elle en avait assez que tout le monde croit qu’elle est Morgana. C’était bien une des seules vérités qui avait sorti de sa bouche récemment. Prenant un pas de reculons, le regard de la blonde se promenait entre le nouvel arrivant et l’amiral.
« Je vous avais pourtant bien dit que je n'étais qu’une simple herboriste ambulante. »
Simple. Peut-être pas. Après avoir mis au tapis un des agresseurs et s’être placé entre Kemenes et l’homme avec le collier de façon si téméraire, simple n’était pas le bon mot. Éventuellement, elle allait devoir trouver une excuse derrière ses compétences au combat, mais ce sera pour plus tard.
« Et vous, je suis sincèrement navré de vous dire que… Bah je ne suis pas Morgana. C’est pas grand-chose, mais au moins, vous pouvez vous dire qu’ils se sont pris à moi au lieu de votre chère amie. Ce qui veut dire qu’elle est encore un peu en sécurité. »
Après avoir réussi à blesser deux des trois malfrats, il n’en restait qu’un. Et avec le regard qu’il avait lancé à l’amiral après qu’elle lui ait volé son collier, elle était certaine que Morgana était le moindre de leurs soucis dans le présent. S’il revenait, ce serait sûrement pour le collier. Et peut-être se venger ?
- Une "simple herboriste" hein ? Dans tous les cas, vous êtes dans une sacrée mouise, c'est moi qui vous le dit. Morgana ou pas, ceux qui nous ont rendu cette petite visite de courtoisie ne vous lâcheront pas tant qu'ils ne vous auront pas récupérée apparemment. Dit-elle tout en se massant la cuisse. "Et pour d'autres, récupérer un certain bijoux." La garde posa instinctivement une main sur sa poche où se trouvait son seul indice. Elle tourna son regard vers le garçon, qui semblait ne pas totalement comprendre la situation. - Comment tu t'appelles ?
- Marlo, m'dame...
- Tu peux m'expliquer pourquoi tu as confondu ma partenaire avec cette Morgana que tout le monde semble chercher de manière si véhémente ?
Biezdań sentit le regard de Raelyn sur elle "Eh oui ma grande, que tu le veuilles ou non, on est dans la même galère à présent, autant s'associer." Son regard parlait de lui-même.
Le jeune homme se tripotait les mains, embêté et surtout effrayé. il regardait autour de lui comme si il avait peur qu'on ne l'entende. Ou qu'on ne le voit. Certainement les deux.
- Si tu n'es pas Morgana, ça veut dire que je ne sais toujours pas si elle s'en est sortie ou pas...Je pensais vraiment que mes affiches aideraient...Répondit Marlo en regardant Raelyn d'un air affolé. Kemenes se redressa vivement, tout en grimaçant, sa cuisse la lançait affreusement.
- C'est toi qui a posé ses affiches dans toute la ville ?!
- Oui-da m'dame...Je voulais lui montrer que personne l'avait oubliée...
- Qui ça ? Morgana ? Qui l'aurait oubliée ?
- Sa famille, ses amis...Moi...Le regard du jeune homme se fit infiniment triste. - Ce n'était pas que pour elle, mais pour toutes les autres aussi.
- Les autres ? L'amiral avait peur de comprendre. Son coeur s'emballa. Cette histoire ne lui disait rien qui vaille, se faisant de plus en plus sombre, elle avait l'impression d'évoluer dans un brouillard aussi noir que la suie, aussi visqueux qu'une toile bien tissée et potentiellement mortelle pour l'imprudent qui se faisait prendre.
- Oui. Y'a pas que Morgana.
- Il va falloir que tu m'explique mieux que ça Marlo ! S'impatienta l'amiral en essayant de se relever.
- Pas ici. Trop d'oreilles indiscrètes. Et faut vous soigner. Marlo s'avançant vers elle, et avec toute la délicatesse du monde l'aida à se mettre debout. De par ce geste, Kemenes sut tout ce qu'il y avait à savoir sur ce garçon. C'était un jeune homme brave, qui était désespéré de retrouver cette jeune fille mais qui n'oubliait pas de montrer de la compassion envers les blessés en étant pourtant lui même dans une situation difficile. -Venez demain chez moi. J'habite dans le bas quartier des pêcheurs. Ils ne traînent jamais dans ces environs-là.
- Mon collègue...Commença Kemenes.
- J'ai déjà envoyé quelqu'un le prévenir de ce qu'il se passait, je vous suis depuis que vous avez retrouvé Morgan...je veux dire votre partenaire devant son auberge. Expliqua Marlo avec un sourire penaud. - J'ai juste eu le temps de faire le tour et de grimper sur le toit quand j'ai vu qu'ils vont avaient pris pour cible.
A peine il eut terminé sa phrase, qu'effectivement, un petit groupe de gardes arriva au trot avec Jarvis à sa tête. le pauvre garde avait une tête de six pieds de long, et devint blanc comme un linge à la vue de sa supérieure blessée. Après avoir donné quelques directives, et surtout rassuré ses collègues sur son état, Biezdań ordonna qu'on embarque les deux hommes assommés, espérant qu'au moins un des deux étaient encore vivant pour pouvoir l'interroger. Elle écrivit une lettre à Jill, expliquant brièvement ce qu'il venait de se passer, lui demandant la marche à suivre. Était-ce encore du ressort de la Navale ? En attendant, elle n'allait pas lâcher l'affaire comme ça, puis-ce que maintenant elle avait confirmation qu'il y avait belle et bien une affaire. Elle avait bien fait de se fier à son instinct.
Marlo indiqua son adresse, et un garde habillé en civil le raccompagna chez lui et y fut assigné à résidence, pour s'assurer qu'il ne décide pas lui aussi de disparaître, mais aussi pour assurer sa sécurité. En partant, le jeune homme fit un petit signe de main à Kemenes et Raelyn, mais surtout il glissa quelque chose dans la main de l'amiral, à l'abris du regard de tous, sauf peut-être de l'herboriste. Intriguée, celle-ci résista à l'envie de regarder de suite ce dont il s'agissait et cacha le morceau de papier, car au toucher elle pouvait deviner que c'était de ça qu'il s'agissait, dans son autre poche vacante. L'endroit, déjà étroit, semblait grouiller de gardes alors qu'ils n'étaient pourtant pas bien nombreux. Biezdań se tourna vers Raelyn.
- Je vous propose, pour notre intérêt commun et votre propre sécurité, d'être logée à cette adresse. Le Merlu Borgne, une taverne. Il ne vous arrivera rien là-bas. Le gérant s'appelle Mislav, donnez mon nom, c'est un ami. Si vous êtes d'accord je viendrais vous y chercher demain matin, nous nous rendrons chez Marlo ensemble.
Biezdań
Ce n’est pas que Nevaeh détestait l’amiral, mais on ne pouvait pas dire qu’elle l’aimait beaucoup. Ce n’était pas logique et ce n’était pas juste, mais elle la blâmait pour cette histoire. Si elle l’avait mené jusqu’à la caserne pour qu’elle puisse prendre son nom, tout cela ne serait pas arrivé. Cela dit, si elle n’avait pas été accompagner par la garde, elle aurait sûrement fini dans le sous-sol d’un autre fou qui semblait kidnapper des jeunes femmes. Elle plongea sa main dans son sac pour y sortir sa gourde et se désaltéra tout en écoutant Marlo tenter d’expliquer la situation avec difficulté. Elle manqua de s’étouffer en entendant la garde mentionner qu’elle était sa partenaire.
Après ce combat, il était évident de l’amiral ai du mal à croire que Nevaeh n'était qu’une simple herboriste. Ses réflexes et ses mouvements étaient fluides. Du moins, il était facile de voir qu’il s’agissait du résultat de longues années d’entraînement. De longues années qu’une ‘simple’ herboriste n’aurait pas en général. Elle lui lança un regard irrité, mais décida de rester silencieuse pour ne pas rendre cette situation plus confuse. Elle poussa un long soupir. Pourquoi avait-elle choisi cette apparence ? Elle aurait dû se trouver un autre déguisement. Maintenant, elle devait faire attention à ce groupe de criminel en plus de devoir rester à l’affût des hommes du Non-Mort. Elle avait envie de frapper quelque chose.
Malgré tout, elle pouvait voir la panique dans les yeux du jeune garçon. Il tenait beaucoup à cette Morgana. Elle aurait aimé pouvoir le rassurer, mais elle n’était pas assez optimiste pour lui dire que tout allait bien aller. Même si cela lui déplaisait, elle avait encore un cœur. Elle ne pouvait pas garder les bras croisés alors qu’une pauvre femme fuyait des criminels pour aucune bonne raison… Ou peut-être était-ce, car la situation semblait similaire ? Remarquant le groupe de garde arrivé, elle remonta sa capuche et observa la discussion de loin. Elle se demandait qui pouvait bien être ces criminels. Elle n’aimait pas être dans l’ignorance. Surtout lorsque l’ignorance pouvait lui coûter cher. Elle se tourna vers les affiches collées par le jeune homme. Si cette nuit-là, les hommes avaient réussi à l’enlever, est-ce que quelqu’un aurait poser des affiches comme Marlo ? Qui serait parti à sa recherche ? La guilde était importante pour elle. Mais… Était-elle importante à la guilde ? Était-elle quelqu’un qui valait la peine de coller des affiches sur chaque mur de la ville ?
Sur ses pensées, elle secoua la tête. Pourquoi réfléchir à quelque chose qui n’arriverait jamais ? Elle ne devait pas faire d’illusion. Nevaeh était morte. Personne ne partirait à sa recherche. Après tout, qui partait à la recherche de mort ? Lorsque Kemenes eut terminé avec son escouade et le jeune homme, elle se tourna vers la blonde. Cette dernière ne daignait pas de se tourner. De toute façon, avec son champ de vision, elle arrivait à la voir, même de dos. Lorsqu’elle termina de parler, elle prit quelques secondes pour réfléchir à ce qu’elle lui avait dit. Puis, elle fit face à l’amiral.
« Arrêtez-moi si je me trompe, mais le devoir d’un garde est de protéger les citoyens. Vrai ? Je ne suis pas originaire de la ville côtière, mais je suis tout de même une citoyenne. »
Ex-aventurière ou herboriste, elle restait une citoyenne. Peu importe comment elle se présentait, elle avait le droit d’être protégé, non ? Même les aventuriers avaient besoin d’aide parfois. Ils n’étaient pas ces êtres invincibles et intouchables que les gens avaient tendance à croire.
« Puisque je suis une citoyenne et que vous êtes garde, je crois qu’il serait juste pour moi d'attendre de vous que vous me protégiez. Il serait aussi juste que je vous demande une compensation pour les blessures que j’ai subi durant ce combat impromptu. Mais je suppose que je pourrais oublier ce détail si vous ne cherchez pas à me connaître davantage. Ça serait pour notre intérêt commun et notre propre sécurité à chacune. »
Elle termina sa phrase avec un sourire forcé et attrapa le bout de papier avec l’adresse indiqué en même temps. Le Merlu Borgne. Elle pouvait supposer que sa sécurité pouvait être assuré au sujet des kidnappeurs. Mais quand était-il de ses propres poursuivants ? Rien ne pouvait la protéger. Avec un dernier soupir, elle reprit la parole.
« Je vous attendrez donc à la taverne, amiral. »
Avec une légère inclinaison, elle la salua et tourna les talons pour se rendre au Merlu Borgne. Elle aurait bien voulu perdre la trace des gardes et simplement changer d’apparence, mais ayant donné rendez-vous à l’amiral, il serait suspicieux de ne pas être au lieu du rendez-vous. Elle trouva rapidement l’endroit et demanda de parler au gérant. La personne au comptoir fut un peu surprise de voir quelqu’un se pointer aussi tôt dans la journée, mais lorsqu’elle mentionna le nom de l’amiral et qu’elle avait besoin de se loger, l’homme fut très compréhensif et ne posa pas plus de question que nécessaire.
Les clés de la chambre entre les mains, elle murmura un petit merci avant d’aller se reposer. Toute l’action l’avait épuisée. Elle avait que peu d’énergie et elle essayait de la conserver autant que possible. Elle se laissa tomber dans le lit et observa les planches de bois au plafond. Elle avait encore du mal à comprendre ce qu’il s’était passé. Elle essaya de réfléchir et de placer les pièces du casse-tête, mais il manquait trop de morceaux et elle avait l’impression de sa tête était dans un étau. Préférant éviter d’empirer son mal de tête, elle ferma les yeux pour s'indulgencier d’une longue sieste.
Kemenes arqua un sourcil. Aucun citoyen qui se respecte ne demandait de compensation quand il se faisait blessé surtout quand ce n'était pas du fait de la Garde. Raelyn n'était pas bête, elle était là avec elle quand elles s'étaient faites attaquées toutes les deux.
Si l'on devait imputer la faute à qui que ce soit (ce qui serait inutile car c'était de la faute des criminels non pas des victimes.) Mais si on devait faire ce calcul risqué, ce serait plutôt de la faute de l'herboriste qui semble baigner dans des histoires un peu louches, et qui avait embarqué Kemenes avec elle. L'amiral trouvait cela étrange qu'elle avait insinué devoir toucher de l'argent pour ce qu'il venait d'arriver. Un aventurier ou un garde pourrait faire ce genre de demande. Mais pas un simple citoyen, si ?
Bien sûr que oui, un médecin allait venir là où elle serait logée et si elle l'avait envoyée au Merlu Borgne, c'est qu'elle y serait en sécurité. C'est une manière de procéder professionnelle. L'amiral n'appréciait pas qu'on remette ses compétences en question. L'herboriste était presque trop passive-agressive pour être innocente. Elle cachait définitivement quelque chose. Déjà, aucune "simple" herboriste qui se respecte ne savait se battre comme elle le savait. Kemenes s'était battue à ses côtés et faisait tout pour être correcte avec elle, mais la jeune femme rendait les choses difficiles. Si Raelyn s'entêtait moins dans le mensonge, peut-être qu'elle serait plus à même de l'aider. Cependant, elle avait expressément demander à ce qu'elle ne cherche pas à en connaitre d'avantage à son sujet, pour leur "sécurité commune". L'intuition de l'amiral était donc juste, Raelyn était menacée. Mais par qui ? Par quoi ? Après ce n'était plus de l'ordre de la Garde si la jeune femme refusait toute aide, quelle qu'elle soit. La grande question restait de savoir si oui ou non elle était mêlée à cette histoire de disparition. Il serait parfaitement incroyable qu'une jeune fille à l'apparence identique, sans lien de parenté, ait disparue sans qu'elle ait aucun rapport avec tout ceci. Après, Kemenes avait dû apprendre avec le métier de ne plus s'étonner de rien.
Dans tous les cas, l'affaire avait grandement avancée. L'amiral soupira de fatigue. Elle commençait à être endolorie de partout, l'adrénaline avait quitté son organisme et son corps se réveillait petit à petit pour son plus grand malheur. Son collègue la soutenait toujours et ils attendirent ensemble qu'une monture lui fut apprêtée pour qu'elle puisse rentrer au Bastion sans encombre. Une fois arrivée, elle n'eut pas le temps de souffler. Après avoir reçu les soins pour sa cuisse et ses ecchymoses, elle se rendit en béquilles dans le bureau de sa chef Jill. Elle n'était pas seule, quelques autres collègues étaient présents dont certains qui n'avaient pas cru en l'affaire de Kemenes. A la vue assez pitoyable de leur camarade blessée, ils la saluèrent, et tout de suite une chaise lui fut offerte. Elle accepta de bonne grâce car elle était épuisée, mais souhait une bonne fois pour toute en finir avec cette journée de l'enfer.
- Bon, je sais que t'es crevée avec une jambe en moins Biezdań, mais va falloir que tu nous raconte le bordel qu'il s'est passé près des quais. Jarvis était paniqué, je l'ai jamais vu comme ça.
C'était un des gardes présents dans le bureau qui avaient parlé. En prenant une grande inspiration, l'amiral compta tout de A à Z, sans omettre aucun détail. Depuis le début de son enquête à sa séparation avec Raelyn. Enfin, si elle ometta volontairement de dire que la jeune femme lui avait demandé de ne pas essayer d'en savoir d'avantage sur elle. Elle ne voulait pas porter des soupçons infondés sur sa personnes, et surtout elle voulait d'abord apporter des preuves solides avant de proposer quoique ce soit sur Raelyn.
- Comment pouvons-nous être sûrs que cette Raelyn n'est pas mêlée à l'affaire ? S'exclama un des gradés.
- Nous ne le sommes pas pour le moment, c'est pour cela qu'elle et Marlo ont été assignés à résidence, pour les garder sous le coude mais surtout pour leur propre sécurité. Mais si je peux me permettre, au vue de comment elle s'est défendue sur place, elle n'apparait réellement pas être la Morgana que les mis en cause recherchaient. Où en êtes vous dans l'interrogatoire d'ailleurs ? Repliqua Kemenes avec tact.
- Chaque chose en son temps, Biezdań. Ils sont arrivés en geôle à peine avant vous. Laissez-nous le temps de les cuisiner un peu. Répondit un autre gradé avec un sourire chaleureux.
- Laissez-moi m'en charger, je pourrais-
- Hors de question. Tu restes sur le terrain. Gagne la confiance de ce Marlo, et vois ce que cette herboriste a vraiment à faire avec tout ça. La coupa Jill. - Mais surtout soigne-toi, tu vas pas enquêter avec cette démarque de pingouin. Quelques rires fusèrent et la jeune se mit à rougir légèrement d'embarras.
Après les avoir saluées, le petit groupe de gardes et gradés sortirent du bureau de Loritza, certains tapotèrent amicalement l'épaule de l'amiral avant de fermer silencieusement la porte. Une fois seules, Kemenes se détendit, et s'avachit un peu plus sur sa chaise. Jill l'invita à s'assoir sur le sofa, un peu plus confortable pour une blessée.
- Comment tu te sens ? Lui demanda-t-elle une fois qu'elles furent toutes les deux installées sur l'ottomane.
- Vannée. Souffla la jeune femme en laissant aller sa tête en arrière.
- J'te jure toi et ta manie de t'attirer des emmerdes. Dit Jill en ébouriffant la chevelure noire et bleue de Kemenes. La garde ferma un instant les yeux, savourant ce geste affectueux. Puis, se rappelant de ce qu'elle avant dans la poche, elle se redressa.
- C'est le métier qui rentre. Ecoute, j'ai rien dit devant les autres, mais avant de partir Marlo m'a filé un papier en douce. A ses mots, elle sorti le petit bout de papier, sale et usé. Jill haussa un sourcil interrogateur et approuva du regard pour que Kemenes ouvre le mot. D'ensemble, elles se penchèrent pour lire ce qu'il y avait griffonné dessus. Jill retint un cri de surprise. Kemenes avala sa salive, un frisson désagréable parcourut son échine.
- Oh merde Kem. Dans quoi tu t'es fourrée...
Sur le papier tâché, s'étalait une liste, écrite avec une écriture étroite et maladroite :
- Amélia Beauvoir
- Marie-Rose Larse
- Raphaëlle dite La Douce
- Morgana Leckël
- Esmée Ahmed
Biezdań
Dormir. C’est important le sommeil. C’est tout aussi important que faire de l’exercice et de manger santé. Cependant, niveau santé, Nevaeh n’était pas à son meilleur, et ce, surtout à cause de son manque de sommeil. Évidemment, tourner le dos à un mort-vivant n’était jamais idéal pour la santé, mais oublions ce détail. Pour une fois, le manque de sommeil n’était pas causé par son traqueur, mais plutôt par Marlo. Allongée sur le matelas plus confortable qu’elle ne l’aurait pensé, elle compta les planches de bois du plafond tout en repassant les événements dans sa tête pour une énième fois. Elle avait prévu faire une sieste, malheureusement lorsqu’elle fermait les yeux, elle voyait encore le visage inquiet du jeune garçon. Elle se souvenait comment ses yeux avaient perdu une certaine lueur lorsqu’elle lui avait dit qu’elle n’était pas Morgana. Avait-elle été trop directe ? Trop froide ? Aurait-elle dû lui annoncer cette nouvelle plus doucement ? Elle aurait dû. Après tout, il avait l’air si heureux de croire que son amie était enfin sauvée. Soudainement, elle se sentait horriblement, mal.
Depuis, elle n’avait pas été tout à fait patiente avec l’amirale. Au vu son rang, il aurait été préférable qu’elle soit plus respectueuse envers la dame. À sa défense… Non. C’était inexcusable. Même si elle était fatiguée ou anxieuse, cela n’excusait pas son comportement. Son but était de se faire la plus discrète possible. Commencer à être un peu trop agressive envers les gardes était tout sauf discret. Cela dit, s’excuser n’était pas dans ses plans. Au moment propice, elle allait foutre le camp. Éventuellement, Kemenes allait réaliser que l’ex-hôtesse n’avait aucun lien dans cette histoire. La seconde qu’elle allait tourner son attention ailleurs, Nevaeh allait partir de la ville. Évidemment, elle aurait aimé rester plus longtemps au port pour trouver des informations, mais cela deviendrait trop difficile avec la surveillance de la garde. Éventuellement, elle pourrait revenir avec un nouveau déguisement. Avec un peu de chance, elle ne prendra pas l’apparence d’une femme kidnappée.
Cela dit, pour revenir à un endroit, il faut d’abord le quitter. Où pouvait-elle aller ? Il était hors de question qu’elle retourne à la capitale. Elle n’allait tout de même pas retourner à la ville qu’elle avait fuie. Le grand port était un choix logique pour la jeune femme, car il s’agissait de la deuxième plus grande ville. Plus les villes sont grandes, plus il y a de rumeurs intéressantes à écouter. Il serait possible pour elle de se rendre à la ville aquatique… Mais à moins d’y être forcé, elle allait passer son tour. Si elle éliminait ces villes, il restait encore le village perché et la forteresse. Cependant, il serait trop difficile pour elle de se rendre à son village natal. Si elle devait croiser un membre de sa famille, leur mentir serait trop difficile pour elle. Alors qu’elle considérait ses options, un bruit attira son attention. Trois grands coups à la porte la tirèrent de ses pensées. Qui pouvait bien être de l’autre côté de la porte ? Elle était censée être en sécurité. Un soupir mélangé à un grognement s’échappa de ses lèvres lorsqu’une autre série de coup se fit entendre. Avant de se rendre à la porte, elle prit sa dague et la cacha derrière son dos. Doucement, elle tourna la poignée et ouvrit légèrement la porte.
« Je peux vous aider ? »
Elle observa la dame qui avait perturbé le silence. Ses cheveux blonds, retenus par un ruban, étaient si pâles, ils avaient l’air blancs. La dame lui sourit et son regard s’adoucit.
« Je suis docteur Nyx. Amiral Biezdań ne vous a pas prévenue de ma visite ? »
Ah, oui. Elle lui avait dit que quelqu’un viendrait… Il était trop tôt pour baisser sa garde, mais elle laissa Nyx entrer dans la chambre. Celle-ci se dirigea vers la table pour y déposer sa malle et retirer son manteau. L’ex-aventurière prit place au bord du lit, tout en observant les mouvements du docteur. Les deux femmes restèrent silencieuses, tentant de jauger l’autre. Le silence ne fut brisé que quelques fois pour poser et répondre à des questions. Elle essaya de répondre honnêtement à certaines questions, mais gardait certaines informations pour elle-même. Si c’était l’amirale qui avait envoyé le médecin, elle n’était pas sûre si elle pouvait lui faire confiance. Elle lui indiqua les endroits où elle avait été blessée et retira son chandail pour laisser la dame panser les blessures. Du coin de l’œil, elle remarqua un miroir et vit les cicatrices parsemer sur son corps. Elle pouvait voir certaines cicatrices qui provenaient du temps lorsqu’elle était particulièrement imprudente durant ses missions. Mais elle pouvait encore s’imaginer les blessures lors de l’agression. Elle tourna son regard vers la table en repensant à cette nuit.
Elle était contente que ce soit une femme qui soit venue. Elle avait été plutôt anxieuse et mal à l’aise lorsque ses doigts entrèrent en contact avec sa peau. Même si c’était nécessaire pour la soigner, elle détestait les contacts physiques. Si c’était un homme, elle aurait sûrement refusé tout traitement. Une fois l’auscultation terminée, Nevaeh remercia la dame et la laissa partir. Une fois Nyx hors de sa chambre, elle retourna au lit pour se reposer.
Le lendemain arriva plus rapidement que prévu. Le soleil se leva, éclairant la chambre de la jeune femme. Ses muscles étaient endoloris par les mouvements de la veille. Elle aurait bien aimé profiter du lit plus longtemps ou profiter d’un bain, mais l’amiral allait sûrement arrivée d’une seconde à l’autre. Après avoir enfilé un chandail de laine à manche longue et des pantalons, elle sortit de la chambre pour attendre Kemenes à une table libre. En attendant son arrivé, elle se commanda un thé aux citrons. Alors que le jeune serveur lui apporta sa tasse, elle entendit la porte s’ouvrir.
« Bon matin, amirale. Vous avez passé une bonne nuit ? »
Pour le moment, elle devait se concentrer sur ce qu'elle avait de tangible et remercier son collègue avec une de ses meilleures cuvées, pour qui a bien voulu réparer sa jambe plus vite que la nature ne l'entendrait normalement. Elle avait toujours un peu mal, et elle aurait certainement une cicatrice, mais au moins elle ne boîtait pas. Enfin, boîter est un euphémisme. Elle n'a plus la démarche de mamie après s'être fait roulée dessus par trois carrosses à pleins chevaux. L'amiral passa sa main sur sa cuisse. Le compère lui avait tout de même dit de ne pas trop forcer, alors elle irait à la taverne à cheval. Ce n'était pas son moyen de locomotion de prédilection, vu qu'elle passait le plus clair de son temps professionnel en bateau, cependant, au grands maux les grand remèdes. Elle se doutait que sa jument ne serait pas forcément ravie de la voir, au vu du peu de foi qu'elle venait lui rendre visite. Kemenes se sentait un peu coupable, elle avait déjà été rabrouée par Jill pour son manque d'attention envers sa monture qui était un cadeau de sa tante.
Quand elle pénétra dans les écuries, tout était calme. Elle croisa quelques gardes qui s'enquirent de sa santé. Elle échangea quelques banalités avec eux comme elle avait le temps. Bien qu'elle n'était pas forcément à l'aise avec les relations sociales en dehors de son travail, au sein du Bastion, elle mettait toujours un point d'honneur à maintenir une bonne entente générale avec ses collègues.
Quand l'amiral s'approcha du box de sa jument, elle resta un moment interdite devant la porte en bois. Elle n'avait pas réalisée à quel point elle était exténuée. des bribes de cauchemars continuaient de la tourmenter, et cela même après avoir discuté avec les deux jeunes soldats présents dans l'écurie. Elle grimaça, la douleur dans la cuisse se faisant plus aigüe. Alors qu'elle posa la main sur la zone endolorie, un soupir agacé se fit entendre, puis une tête sombre apparut par dessus le box. La garde releva la tête et se retrouva transpercer par deux yeux ambrés, brulant d'une lueur accusatrice.
- Aye, aye Rusalka. Dit gentiment Kemenes en saluant la jument. Rusalka battit furieusement de la tête. Un palefrenier s'approcha de l'amiral, proposant de préparer la monture de la garde. Kemenes accepta sans hésitation, se disant que seule, la jument allait certainement lui faire payer son absence. L'homme se mit alors aussi au travail. Pendant qu'il harnachait l'animal, il jetait des petits regards en coin à la garde, ce qui la mit rapidement mal à l'aise.
- Elle vous attendait vous savez ! Dès que quelqu'un rentre ici, elle regarde qui c'est. Quand elle voit que c'est pas vous, elle fait la gueule. Vous aviez donné votre permission pour que d'autres gardes puissent la monter si jamais, mais y'a rien à faire, elle veut pas hein. Expliqua-t-il enfin pour défendre ses regard en biais. Il flatta le flanc de la bestiole, qui lui répondit par un soufflement des naseaux dédaigneux.
- Elle a juste son caractère, ça ne veut pas forcément dire qu'elle m'attend moi. Se justifia Kemenes en regardant Rusalka, qui se laissait étrangement faire. Piètre excuse. Sa robe grise tachetée était bien brossée, son crin noir brillait. au moins, on s'occupait bien d'elle. Une pointe de culpabilité vint piquer le cœur de la garde, et elle évita soigneusement le regard de sa monture, qui cherchait de croiser le sien. Le palefrenier ne répondit rien mais son regard voulait tout dire.
- Très mal, pour tout vous dire. Trop de mauvais...rêves. Répondit-elle franchement. - Et vous ?
Elle remercia Varvara d'une voix douce quand celle-ci lui déposa devant elle. Elle huma l'odeur du breuvage aux grains fraîchement moulus. Qu'est ce qu'elle n'aurait pas donner pour oublier le contenu de la liste qu'elle avait dans la poche.
Biezdań
La taverne était pratiquement vide. Il n’y avait que quelques employés accomplissant leurs tâches diverses en silence. Cela faisait un grand bien pour la vision de Nevaeh. Les mouvements autour d’elle étaient minimes et le silence était grandement apprécié. Si la capitale était une ville qui ne dormait jamais, la même chose pouvait être dite pour le grand port. De jour comme de nuit, il y avait de l’action. Pour la taverne en question, l’action se passait tard le soir. À quelques reprises, elle s’était réveillée à cause des voix un peu trop fortes ou des rires trop heureux de boire. Elle faisait, autrefois, partie de ces personnes ayant trop d’énergie peu importe l’heure de la journée. Maintenant, elle avait peine à se lever le matin.
« Des mauvais rêves, hein… La journée n’a pas été facile. »
Des mauvais rêves… Ça faisait partie de son quotidien. C’était une chose rare auparavant. Même lors de mission plus difficile, son esprit était peu souvent victime de cauchemar. Maintenant, ses cauchemars étaient tel un invité désagréable qui ne savait pas quand partir. Puis, éventuellement, cet invité devient un colocataire qui n’est pas plus agréable… Elle se demanda un moment ce qui pouvait bien causer des mauvais rêves à l’amiral. Réfléchissant à la journée d'hier, elle ne comprenait pas ce qui pouvait bien troubler son esprit. L’attaque, avait-elle été traumatisante pour la jeune femme ? Pourtant, elle était garde. Le combat ne devrait pas la traumatiser.
« Je n’aurais pas refusé quelques minutes de plus au lit, mais on ne peut pas rester au lit toute la journée, n’est-ce pas ? »
Pouvoir se reposer au lit sans la moindre inquiétude était un luxe qu’elle n’avait pas. Elle avait des choses à faire, tout comme l’amiral qui avait sûrement d’autre dossier exigeant son attention. Tant de choses à faire et si peu de temps dans une journée. Nevaeh leva la tasse à ses lèvres et prit une seconde pour savourer l’arôme citronné de sa boisson. L’odeur était nostalgique.
« Mais, même si les journées sont très occupées, un déjeuner commence toujours très bien une journée très rempli. »
Elle n’avait pas faim, mais elle savait que les gens avaient parfois tendance à relâcher un peu leur garde en mangeant. Et puis elle n’arrivait toujours pas à surmonter cette angoisse grandissante lorsqu’elle devait manger. Il était plus facile de vérifier si son thé était empoisonné, mais infiniment plus complexe de détecter du poison dans un repas.
« Docteur Nyx est venu me rendre visite hier. Très professionnelle. Très bonne aussi dans son travail. Après vous avoir vu marcher jusqu’à la table, je crois qu’il ne serait pas une mauvaise idée que vous la rencontriez. »
Elle eut un sourire en coin légèrement moqueur qu’elle dissimula en buvant une gorgée de son thé. Une fois la tasse déposée, ce sourire disparu. Elle n’avait rien à gagner en taquinant la garde. Cependant, elle était curieuse à savoir si les deux femmes avaient discuté ensemble. Même si maintenant Kemenes semblait croire que Nevaeh n’était pas Morgana, elle restait une personne suspicieuse aux yeux de la garde.
- Je suis bien d'accord avec vous. En plus ici tout est fait maison, même le thé que vous avez là a été cueilli et préparé par Varvara, la tenancière. En tout cas, ça à l'air de vous plaire, c'est bien. Kemenes paraissait rassurée que la boisson était au goût de la jeune femme. Elle huma à son tout son café fraichement moulu et en avala une gorgée bien chaude, se délectant des arômes torréfiés à la finale chocolatée. L'amiral eut un petit rire à la remarque de l'herboriste sur sa boiterie.
- Le docteur Nyx est une très bonne praticienne, mais elle ne peut malheureusement rien faire de plus pour ma jambe. le temps fera son effet. Peut-être quelques plantes par-ci par-là, et du repos mais ça, c'est plus difficile à obtenir.
Elle n'était pas totalement honnête. Bien sûr que la Garde ne forcerait jamais un soldat à exercer blessé, surtout une gradée comme elle, seulement avec l'apparition de la liste, elle se voyait mal demander un arrêt. C'était mal venu et surtout, elle savait pertinemment qu'on viendrait la voir tous les jours pour demander des précisions sur ce qu'elle avait vécu la veille, autant restée à disposition. Pour le moment. Elle poussa un soupir fatigué, et releva les yeux vers Raelyn. Elle aussi semblait extenuée. La militaire se demandait ce à quoi elle pouvait bien penser en cet instant précis. Quelles pensées pouvaient habiter cette jolie tête blonde aux yeux constamment inquiets et sur le qui-vive.
- Je tenais à vous remercier de vous être battue à mes côtés hier. Ce n'est pas tout le monde qui aurait eu le courage d faire face à ce genre de criminels à qui nous avons eu affaire. Vous avez pris des coup pour me protéger et je vous en suis reconnaissante. Dit Kemenes avec sincérité. Pudique, elle laissa un peu d'espace à la jeune herboriste pour accepter ou non ses remerciements et se remit à boire lentement son café. Son assiette d'œufs arriva, avec une corbeille de pain. une délicieuse odeur de bacon grillé s'en dégageait et un petit pincement dans le fond du ventre de la garde lui fit remarquer qu'elle avait faim. Elle cassa le jaune de son œuf avec sa fourchette.
-Vous avez une technique de combat intéressant...Pour une herboriste.Dit-elle avec un air narquois. Elle prit une bouchée de bacon et d'œuf, salvatrice car elle n'avait pas remarqué à quel point elle avait faim. - Ecoutez, je ne sais pas ce que vous fuyez, et pour tout vous dire ça ne me regarde pas. Je ne suis pas bête, pour tenir tête à des gars comme ça, être juste une petit herboriste de campagne me parait un peu léger. De plus, le fait d'être le parfait sosie d'une jeune fille disparue...Vous n'êtes pas Morgana, je vous crois. Je ne veux pas m'avancer hein...On va dire que ça s'est mal goupillé si vous souhaitiez passer inaperçue.
La jeune femme marqua une pause, prenant son temps pour manger un morceau de pain et boire un peu de sa boisson chaude. Elle avait parlé d'un ton calme, sans menace ni mal. Avec un regard franc, elle fixait Raelyn sans ciller de ses yeux aux grandes pupilles noires. D'un geste doux, elle s'essuya la bouche, en dévoilant sans faire attention ses dents pointues.
- Si vous souhaitez déjeuner, n'hésitez pas à commander, il y a beaucoup de choses délicieuses. Recommanda-t-elle avec un grande sourire. A ces mots d'ailleurs, elle recommanda un café. - Bref, pour tout vous dire, vous restez pour nous, suspecte. Personnellement, c'est plutôt votre personne qui me parait étrange que votre implication réelle dans cette histoire. Je n'ai rien contre vous et encore moins légalement. La Garde quant à elle, n'a aucun élément tangible pour vous retenir. Bien que vous le concèderez, tout cela est tout de même bizarre.
L'amiral émit un rire d'un air entendu, et se mit à finir son assiette avec appétit. Elle se délecta de son second café en écoutant Raelyn. Très sérieusement, après avoir entendu tout ce que la jeune herboriste avait à lui dire, elle sortit le fameux morceaux de papier usé et le posa bien déplié devant Raelyn, guettant la moindre réaction sur le visage fin de la jeune femme.
- Est-ce que ces noms vont disent quelque chose ?
Biezdań
Parfois, le meilleur remède est le repos. Même avec tous les bandages du monde, il faut laisser la blessure prendre le temps de guérir. Bien sûr, les plantes peuvent aider à réduire le temps de guérison, mais il faut tout de même attendre un peu. Une potion pourrait facilement remédier à tout, mais ce n’est pas quelque chose de donner. Et puis investir de l’argent dans une potion de soin pour des blessures mineurs était une perte de cristaux. Cela dit, les blessures de l’ex-aventurière étaient mineures, mais elle ne refuserait pas une potion. Pour fuir ses poursuivants, il était important d’être en pleine forme, ce qui n’était pas le cas présentement.
« Je suppose. Mais je n’allais pas me laisser kidnapper en gardant les bras croisés. »
S’il est vrai que ce n’est pas tout le monde qui aurait combattu, ce n’est pas tout le monde qui aurait suivi sagement des gens souhaitant les enlever. Ce n’est pas qu’elle doutait les capacités de la garde, mais il y avait beaucoup d’ennemis. Si elle n’avait pas agi, les chances de Kemenes n’auraient pas été très favorables. Après tout, ce n’est pas impossible de gagner un combat trois contre un, mais ce n’est pas non plus quelque chose d’aisé. De plus, ayant pu échanger quelques coups contre l’un d’eux, elle savait que ces criminels étaient habitués au combat. Avoir combattu aux côtés de Kemenes était un choix bénéfique aux deux femmes. Toutefois, son image de petite herboriste en avait pris un coup. Il allait être difficile de continuer cette masquarade avec l’amiral.
« Quand on est herboriste, il faut aussi apprendre à se défendre contre les créatures de la forêt. »
Tout en écoutant la femme, l’ex-hôtesse sirota son thé en s’appuyant plus confortablement dans sa chaise. En la regardant manger avec appétit, un certain aventurier apparu dans ses pensées, mais elle le chassa tout aussi rapidement. Elle n’avait pas le temps de penser aux autres pour le moment.
« Je suppose que vous avez raison. Je ne suis pas une simple herboriste. Je ne suis pas non plus Morgana. À ce sujet, nous sommes sur la même page. »
Au moins, cela avait été clair avec la garde et avec le jeune homme d’hier. Elle ne pouvait pas en dire autant pour les criminels. Cela allait être compliqué de retrouver des informations avec les kidnappeurs et les hommes du Non-Mort sur ses traces. Déjà que cette apparence est déjà son deuxième déguisement. En à peine quelques semaines, elle avait déjà réussi à compromettre sa première identité. Elle ne pouvait pas se permettre une telle chose encore une fois.
« Mais, être une simple herboriste est ce que je souhaite être le plus longtemps possible. Pour ce qui est d’être le sosie parfait de quelqu’un d’autre… Sachez que je suis sincère, c’était le hasard. Cela ne m’amuse pas d’avoir le même visage qu’une personne que l’on veut kidnapper. »
Il faut dire que se faire enlever est quelque chose de très horrifiant pour Nevaeh. Surtout sachant que ce n’était pas quelque chose d’impossible à planifier pour le Non-mort. Il était donc impératif pour elle de garder son image intacte et laisser le monde croire qu’elle était morte le plus longtemps possible.
« J’aime me réveiller dans le même lit que celui de la veille… »
Maintenant que tout cela avait été dit, il était temps de revenir à cette étrange histoire et à ce papier usé. Elle leva un sourcil en lisant la liste de noms. Pourquoi devrait-elle reconnaître ces noms ? Le seul qui attira son attention fut celui de Morgana, mais la liste ne lui disait rien.
« Je suppose qu’il s’agit des autres jeunes femmes disparu. Malheureusement, ça ne me dit rien. »
Devrait-elle poser plus de questions ? Devrait-elle s’impliquer davantage dans cette histoire ? Non. Elle devait rester discrète, mais elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter pour ces femmes. Quelles horreurs vivaient-elles ? Elle avait vécu son propre enfer dans les ruelles de la capitale et celui-ci la suivait même au grand-port. Retrouver ces femmes serait sûrement la bonne chose à faire. Elle hésitait.
« J’espère qu’elles vont bien. Ou qu’elles sont mortes sans souffrance. »
L'atmosphère s'était détendue. Peut-être que le fait pour Raelyn d'avoir enfin admit qu'elle n'était pas qui elle disait être et pour Kemenes de l'entendre dire les avaient toutes deux mises sur un point d'entente. La tension présente auparavant semblait s'être dissipée. Ce qui ne déplu pas à la garde, qui passe une main sur une de ses épaules, douloureuse à force d'être trop tendue. Elle écouta la jeune femme avec attention, et touillait son café.
- Je veux bien vous croire oui, il est toujours plus agréable d'avoir ses repères et quand, en plus on a un bon lit douillet, c'est tout de même plus agréable si on peut le retrouver le soir venu. Après, je n'irais pas jusqu'à dire que les matelas du Bastion sont des plus confortables, mais ils font l'affaire.
Kemenes n'avait pas de but précis dans cette conversation. Raelyn avait vécu un évènement perturbant la veille, et la jeune femme se disait qu'un thé au calme avec quelqu'un qui n'essayait pas de la tuer et lui parlait de banalités pourrait peut-être lui faire du bien. Elle n'avait plus d'éléments à fournir à l'enquête, le témoignage de Biezdań suffisait amplement. Cependant, l'amiral était tiraillée entre la laisser partir et lui demander de rester dans les parages. Les autres bougons de supérieurs avaient beau dire ce qu'ils voulaient, si elle n'avait rien à voir dans cette affaire, à part attirer inutilement l'attention à cause de son visage fantastiquement identique à celui d'une des disparues, elle ne voyait pas l'utilité de la retenir indéfiniment. Seulement, était-ce suffisamment prudent de la laisser gambader dans les rues du Grand-Port sans escorte, avec ce visage identique à une victime recherchée ? Elle qui semblait déjà fuir le diable en personne. Elle posa un coude sur la table, et mis son menton sur sa paume. Les noms sur la liste ne lui disait, rien ce qui n'étonnait pas l'amiral. Elle n'attendait pas grand chose en lui montrant la liste, elle voulait écarter le dernier doute qui aurait pu encore planer sur Raelyn. Son attention se reporta sur le morceau de papier abîmé posée en face de la jeune femme blonde.
- C'est ce que j'aimerais savoir aussi. Dit la militaire en récupérant le morceau de papier avec précaution. - Je compte bien le découvrir. Elle rangea le morceau de papier dans une petite pochette de cuir. - En tout cas, je ferais tout pour, même si on essayera surement de me remercier et de me renvoyer sur mon navire.
Elle finissa son assiette avec gourmandise, et commanda un petit plateau de fromages avec une miche de pain frais aux céréales. Elle n'en fit qu'une bouchée et, repue s'étira.
- Si ces noms ne vous disent rien, et je n'ai pas de raisons pour ne pas vous croire, je n'ai plus aucune raison valable pour retenir. Vous êtes une femme libre. Enfin...On se comprend. Ca ne met plait pas trop de vous savoir dans la nature comme ça, avec ces gars qui en veulent à votre jumelle. Je vous proposerez bien de rester dans cette auberge, avec un garde rapprochée, mais mon petit doigt me dit que vous allez m'envoyer balader. Kemenes décrocha un grand sourire à Raelyn.
Elle en oublia qu'elle devait faire attention à ne pas dévoiler ses dents. Quand elle s'en rendit compte, il était déjà trop tard, l'herboriste devait déjà avoir remarqué ses dents acérées. Mal assurée, la garde passa une main devant sa bouche, comme pour faire oublier ce qu'elle avait fait voir à la jeune femme.
- Si vous avez besoin de quoique ce soit, n'hésitez-pas. Je suis sérieuse. Marlo s'est même proposé pour vous héberger, et là où il habite cela m'étonnerait fortement qu'on essaye de vous faire du mal. Il y a une forte mentalité communautaire dans ce genre de quartier, tout le monde s'entraide. Si on fait passer le mot que des gars suspects avec de masques se baladent, et je suis sûre que notre jeune ami l'a déjà fait, je suis persuadé qu'ils ne pourront pas mettre un pied dans le quartier où vit actuellement le petit.
Il y eut un peu de bruit. Une silhouette familière pénétra dans le Merlu Borgne. C'était Alydia, sa seconde. La garde aux cheveux frisés noirs semblait la chercher, et une fois qu'elle l'eut trouvée du regard, lui fit un signe particulier, qui signifiait que Jill souhaitait la voir. Kemenes soupira. Elle était populaire en ce moment, décidément.
- Excusez-moi, il semblerait que je suis convoquée.
Elle se leva, et enfila son grand manteau de la Marine. Elle salua de loin Mislav, qui continuait semblerait-il de s'acharner sur ses comptes. Avant de partir, elle s'assura de dire :
- Dans tous les cas, sachez qu'une aide vous sera toujours accordée ici, à n'importe quel moment. N'hésitez surtout pas.
Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle insistait sur le fait que Raelyn pouvait compter sur elle. parfois, il ne fallait pas chercher à comprendre, juste agir. Elle salua la jeune femme, puis se dirigea vers la porte. Avant de sortir de la taverne, elle se retourna une dernière fois vers elle.
- Peut-être devriez-vous penser à altérer votre apparence, pour confondre ceux qui cherchent Morgana. Non pas que vous n'êtes pas charmante en blonde. Mais...Je suis sûre que le brun vous irait à ravir.
Et elle s'en alla.
Quelque chose lui disait qu'elle n'en avait pas fini avec cette étrange herboriste. Une sensation étrange titillait Kemenes, lui disait d'un air narquois qu'elles seraient amenées à se revoir. Dans quelles circonstances ? Cela, seule Lucy pouvait le dire.