Elle marqua un temps de silence, avant qu’un fugace sourire d’autodérision ne franchisse ses traits.
Elle eut un haussement d’épaule assez risible, parfaitement sincère en la matière. Warren aurait probablement eu beaucoup d’arguments à ajouter à ce tableau de même que des solutions concrètes, mais la subtilité n’était effectivement pas le fort de la praticienne. Son esprit animal se limitait par trop à mordre si quiconque parmi ses proches se retrouvait en danger, ignorante des plans magnifiques que pouvaient par exemple concevoir Zahria. Voilà vraisemblablement pourquoi elle n’avait pas souhaité rejoindre la Garde ou les espions même encore aujourd’hui, menteuse malhabile, trop franche et passionnelle. Heureusement qu’elle n’avait pas non plus fait carrière dans la politique ou dans la criminalité ! Elle étouffa un léger rire lorsque Lovis réagit vivement à sa remarque sur les assassins, se mordant la lèvre inférieure pour ne pas le heurter davantage. Elle n’avait aucunement l’intention de se moquer de lui, bien plus touchée par sa candeur et par la promptitude de sa réaction défensive. Il lui arrivait d’oublier à quel point son collègue était un homme bon, et cette qualité s’avérait délicieuse à constater !
C’était toutefois pour cette raison précise que d’autres devaient accepter de s’ensanglanter les mains, et ce profond désir de protéger s’agitait en elle avec la ferme conviction que Lovis méritait le meilleur dans son existence. Quel malheur que des individus tels que lui doivent affronter de pareils soucis… Quand bien même leur discussion philosophique ne le concernait pas directement et se révélait exagérée, il avait de toute évidence une autre source d’anxiété, bien réelle celle-ci. Des tracas qui ne portaient peut-être pas sur une question de vie ou de mort, mais qui étaient suffisants pour l’empêcher de dormir. Elle croisa doucement ses mains dans son dos, la longe de Morille toujours emmêlée dans ses doigts, et leva les prunelles vers le ciel à la recherche d’une formulation appropriée.
Elle soupira, ferma un court instant les yeux, baissant à nouveau le visage vers la terre ferme, ce chemin de terre battue qu’ils parcouraient depuis un moment déjà. La ville les attendait, désormais proche, magnifique et indifférente à leur vie d’humains.
… Hormis lui-même. Le poids de cette décision était colossal et la culpabilité qui résulterait d’un drame de cet acabit suffisait bien souvent à conduire les Hommes à la folie. Sur ces propos sibyllins, Luz coula un regard attentif à Lovis. Peu importait sa situation, finalement, et si celle-ci concordait avec leur hypothèse ou ne concernait a contrario que le choix du sandwich du jour. Elle voulait uniquement lui faire comprendre qu’elle ne le détesterait pour sa part jamais, et qu’il subsisterait des gens en ce monde pour lui prêter main forte sans une once de jugement. Même si tout s’effondrait.
Surtout, si tout s'effondrait.
Heures supplémentaires
Une problématique vitale… Tu avais laissé Luz choisir la problématique, mais tu n’étais pas certain que ton bourreau soit la proie de quelqu’un plus dangereux que lui-même. Tu frissonnas à l’idée, et un peu à cause d’un vent frais qui venait de se lever. Il en voulait à ta sœur à cause de son manque de courtoisie. Enfin, c’est ce qu’il t’avait dit. Ton bourreau n’agissait pas par détresse, mais simplement vengeance. Il y avait une dette à payer et si elle ne payait pas, quelqu’un d’autre sera forcer de payer le prix de son manque de courtoisie. Même si tu aimais ta sœur, tu refusais que ce soit votre mère qui doive souffrir.
« C’est une raison très valable. »
Même si elle disait qu’elle n’était pas très inventive, elle avait trouvé une raison très logique. Elle ne s’appliquait simplement pas à ta situation.
« Et puis on ne peut pas être parfait. »
Tu haussas légèrement un sourcil en voyant la réaction de Luz. Tu n’avais pas pu cacher ton choc lorsqu’elle avait mentionné l’idée d’engager des assassins. D’ailleurs, savoir que quelqu’un pouvait approuver la proposition était inquiétant. Tu n’aimais pas le crime. Le crime n’est jamais la solution et apporte souvent bien plus de problèmes qu’autre chose. Et puis le crime était fait au détriment des autres. Comment approuver une telle chose ? C’était parce qu’il existe des criminels que le royaume a besoin de garde… Quoi qu’il ne faille pas oublier la menace que peut représenter certaines créatures… Il faut dire que ce n’est pas dans la capitale que tu t’attends à faire la rencontre avec un monstre légendaire. Après tout, un monstre aussi gigantesque qu’une montagne, ça se remarque.
« Si j- le héros, devais engager des assassins, il ne serait pas mieux que le bourreau. La règle œil pour œil, dent pour dent est une règle pour des sauvages. Il existe des lois pour châtier des criminels de façon appropriée sans que les citoyens ordinaires n'aient besoin de se salir eux-mêmes les mains. »
Tu avais réussi à te rattraper juste à temps. Pendant une seconde, tu avais oublié que le héros n’était pas toi dans cette situation. Le héros était une personne fictive, il n’existait que dans vos questions philosophiques. Cela dit, tu devais te douter un peu que Luz se formait des idées dans le fond de son esprit. De tes questions, elle analysait ce que tu lui disais, essayant de comprendre ta situation. Elle gardait tes réactions à l’œil, tentant de les déchiffrer. Mais tu ne pouvais pas la laisser résoudre le mystère que tu essayais de résoudre.
« Je crois que nous pouvons conclure qu’il n’y a pas de bonnes solutions. Il faudra que notre héros soit décisif et qu’il croit au chemin qu’il aura emprunté. L’important, c’est de faire ce qu’il peut pour qu’il soit accablé par le moins de regret possible. »
Le moins de regret possible. C’est ce que tu allais devoir faire. Essayer de te trouver un chemin où tu sacrifieras le moins de chose possible. Une fois que tu auras commencé à entreprendre ce chemin, il faudra que tu continues à avancer. Une fois que les engrenages commenceront à tourner, tu ne pourras pas faire marche arrière. Cette situation était effrayante, mais tu devais traverser cette épreuve.
Peu à peu, la ville apparaissait à l’horizon. Même s’il commençait à se faire tard, la ville ne dormait jamais. Les boutiques et les marchés étaient fermés, mais les tavernes étaient ouvertes. Les auberges accueillaient des clients en tout temps et l’hôpital accueillait des patients jours et nuits. Le palais illuminé pouvait être vu même en bordure de la ville. La capitale… Une ville si grande et belle là où la lumière brille. Toutefois, chaque lumière projette une ombre.
« Sur ce, je te souhaite une excellente soirée, Luz. Merci. »