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Lieu : Dans un endroit éducatif (musée, galerie etc...)
Evènement : Il doit y avoir une douce musique d'amour au violon ou piano (l'un de vous, PNJ etc)
Contrainte : Il ne doit jamais y avoir de prénom ou nom (de PJ ou PNJ) dans votre narration (dialogues autorisés)
Elle regardait l’invitation d’un air perplexe. Cachetée d’une cire bleue minuit, l’enveloppe était d’un noir profond, probablement en fibres neuve. Le lettre qu’elle renfermait était d’un papier de très belle facture, parfumée au pin et à la violette. Écrite à l’encre bleue noire, d’une main élégante et d’une plume à la calligraphie gothique, on l’invitait à venir participer au bal masqué des Liberalis, les mécènes du Grand-Port. Bal huppé du milieu artistique, il regroupait nobles et bourgeois autour d’une exposition sur fond de bal costumé. L’amiral était certaine qu’il s’agissait plutôt d’une excuse parmi tant d'autres pour se livrer à quelques débauches typiques de personnes aisées, mais la Major de la Marine, sa supérieure, lui avait affirmé qu’il n’en était rien. Apparemment, c’était un événement auquel il fallait assister une fois dans sa vie. Enfin, quand on avait les relations pour, bien entendu. Si l’amiral avait eu la chance de recevoir une invitation, ce n’était pas par goût de l’art ou par coquetterie passagère, mais à cause d’un signalement sur la possible présence d’objets volés de la ville Aquatique. Avec la piraterie revenue en force, un navire recelant bijoux et tableaux avait été pillé il y a de cela un mois et un intel aurait retrouvé la trace des dits objets dans cette exposition. La jeune femme avait été recrutée, avec un autre collègue, pour confirmé la présence des bijoux volés et des tableaux.
La major et la seconde de l’amiral, avaient pris soin de choisir son costume et son masque, car celui choisi originellement par l’amiral n’avait pas du tout été au goût de ses collègues. Elle pensait devoir se faire discrète, peut-être se travestir en homme, ce qui ne l’aurait pas dérangée outre mesure, bien au contraire. Or, ses comparses en avaient décidé bien autrement, en lui choisissant une sublime tenue finement brodée d’argent. La garde caressa le tissu délicatement brodé de paillettes, laissant courir ses doigts sur la mousseline de la robe. Elle avait reçu un cours express, et diablement efficace, d’une des chefs des valkyries, sur comment marcher avec des chaussures à talons et surtout ne pas se casser la binette en les portant. Elle n’avait jamais imaginé pouvoir en porter avec élégance, mais la valkyrie était une professeur aussi capable que stricte. Elle pouvait maintenant valser, marcher voire même courir après des bandits en escarpins. Même si, pour la dernière option, elle ne le fera certainement jamais. Enfin, elle ne l’espérait pas.
Elle devait y être pour minuit, comme dans les contes de fées pour enfants. Il était bientôt temps, elle serait escortée de son collègue, et emmenée telle une vraie aristocrate, en carrosse devant le manoir où se déroulerait le bal. la jeune femme avait les mains moites, la boule au ventre et l’air inquiet. Sa supérieure et sa collègue avaient promis de venir l’aider à se préparer mais elles n’étaient toujours pas là, alors elle avait commencé à revêtir sa robe de fête.
Une fois habillée, elle se tourna prudemment vers le miroir psyché qui trônait au milieu de la chambre. La garde ne put s’empêcher de se dire qu’il avait été mis de cette façon par son colocataire. Elle regrettait un peu qu’il ne soit pas, elle aurait bien aimé entendre ses petites blagues pour qu’elle se détende un peu. Elle s’avança vers le miroir, faisant bruisser la traîne de mousseline qui glissait nonchalamment à terre. La militaire retint son souffle. La robe était tout simplement divine, et elle devait l’admettre, lui allait parfaitement. Une taille corsetée aux paillettes d’un bleu indigo, des lignes de tissu vaporeux gris perle fluides retombant en traîne sur le sol, un décolleté chaste mais laissait deviner la gorge et une mousseline discrète qui fronce sur les épaules. Avec sa peau et ses traits, elle ressemblait à une naïade. Ses collègues avaient choisi une robe qui la mettait en valeur sans en faire trop. Elle se sentait élégante dans cette tenue de bal, peut-être même belle pour la première fois de sa vie. Elle enfila avec précaution les gants gris satinés assortis à la mousseline de la robe, et réajusta son corsage d’une main délicate. Alors qu’elle allait entamer, mortifiée, le maquillage, elle entendit toquer légèrement à la porte. C’était sa seconde.
- Désolée, il y a eu un peu de grabuge. La major Loritza ne pourra être présente, donc ça ne sera que moi. la brunette entra à pas feutré dans la chambre, comme s' il ne fallait faire un bruit tant l’instant semblait irréel. L’amiral sentit un léger pincement au cœur quand elle se rendit compte que sa chef ne la verrait certainement pas habillée ainsi. Tant pis. Sa collègue émit un petit sifflement admiratif, puis parlant très bas :
- Vous êtes à couper le souffle ! J’arrive pile au bon moment ! Tenez, asseyez-vous sur l’ottomane, je vais attaquer tout de suite au maquillage. On mettra le masque en dernier.
La naïade s’éxecuta sans broncher. Malgré la lourdeur de la robe à cause des sequins, elle était à l’aise et se mouvait avec distinction. Elle était tout bonnement transformée. Sa collègue ne la quittait pas des yeux, elle qui avait l’habitude de sa chef en uniforme de garde, toujours en caleçon et armure. Cela lui faisait étrange de la voir aussi joliment apprêtée. Elle était très heureuse de pouvoir être celle avec qui elle partageait ce moment privilégié. La brunette s’appliqua donc à lui faire un trait de khôl impeccable, suivi d’un peu de mascara, accentuant son regard bleu. Elle remit un peu de forme à ses sourcils, puis lui mit un léger fard à joue, de manière à, non pas d’estomper les endroits bleuâtres de sa peau, mais à les réhausser joliment. Enfin, elle traça un trait de crayon à lèvres sur sa bouche, puis une fine couche de pommade à lèvres couleur prune. Elle s’attela ensuite à la coiffure. Utilisant un gel de plantes, elle sculpta savamment les cheveux de sa chef en une coiffure raffinée, avec deux petits accroche-cœur des deux côtés de ses joues et un au-dessus de son front. Ayant fini, la garde se permit de poser ses deux mains sur le visage de sa supérieure, de lui tourner le visage d’un côté et de l’autre, admirant son travail.
- Su-blime. Dit-elle d’une sincérité désarmante. La naïade cligna des yeux plusieurs fois, peu habituée à ce genre de compliments. - Mais vous savez Chef, vous êtes tous les jours très jolie hein.
- Le masque…répondit-elle, embarrassée par ce soudain épanchement. La garde ne lui en voulut point, elle savait que sa supérieure n’était pas très douée pour recevoir les compliments, et lui fit un grand sourire.
-La touche finale ! Elle attrapa avec mille précaution le loup argenté qui était posé sur un coussin, non loin d’elles.
Elle le lui tendit, et ensemble, l’ajustèrent sur le visage de l’amiral. Le dessous du loup était serti de sequins qui s’étendait en deux colliers de perles des deux côtés du visage, retombant délicatement sur les épaules de la jeune femme. Le masque en lui-même gravé de motifs coralliens et autres éléments aquatiques, petit clin d'œil de la collègue pour sa chef.
Elle était fin prête.
Après avoir remercié chaleureusement sa seconde, elle s'emmitoufla dans sa cape bordée de fourrure, il faisait encore bien froid et se rendit devant le Bastion, où l’attendait son collègue. Collègue qui faillit bien ne pas la reconnaître, d’ailleurs. Il l’aida à monter dans le carrosse, et ils furent partis. Sur la banquette luxueuse de leur voiture, l’amiral ne pouvait se demander ce qui l’attendait, à ce bal. Il ne fallait pas qu’elle oublie l’objectif principal de leur présence sur les lieux, même si habillée ainsi, il était difficile d’avoir la tête dans les histoires d’objets volés, de contrebande et de recèle. Elle avait appris à danser rien que pour l’occasion, et nourrissait secrètement l’espoir de pouvoir être amenée à valser avec un cavalier ou une cavalière. Ils arriveraient bientôt.
La nuit ne faisait que commencer.
-Oh, vous savez, je trouve ça joli. Mais sans plus.
-C’est surtout précieux. Les gens de ce niveau-là, ils aiment dès que c’est précieux. Enfin, j’veux pas manquer de respect…
-Laissez. Je ne suis noble que depuis peu. Et un titre, ça ne vous change pas un homme. Le concept ne me parait pas déconnant, j’avoue.
-J’espère que vous allez passer une bonne soirée. Vous m’êtes plutôt sympathiques, pas comme la majorité des gens que je transporte, aussi noble qu’ils peuvent être.
-Merci mon ami. Je dois dire que votre conduite est un ravissement. On glisse sur la route sans que ça tape le cul.
-Je connais les petites routes, monsieur.
-Pas de monsieur, vous pouvez m’appeler J…
-On est arrivé.
Je tourne la tête sur ma droite alors que le fiacre sort du trafic de la nuit pour venir se ranger sur le bas-côté. C’est sympathique, ce genre de véhicule, on peut causer avec le chauffeur. Peut-être que pour certains, c’est un déplaisir, mais moi, j’apprécie de pouvoir partager le temps des gens simples. Bien que j’aie été anobli il y a quelques lunes déjà, je reste un gars simple dans mon cœur même si, en apparence, il s’agit de se complexifier un peu. C’est un peu le but de ma présence ici. Comme l’a indiqué ma discussion avec le chauffeur, l’art n’est pas un concept qui m’a beaucoup touché au cours de ma vie. Alors, certes, on sait apprécier la beauté d’un paysage naturelle, la complexité élégante d’une architecture imposante et stylisée et, bien plus terre à terre, le grâce charmante d’une jolie femme. Ou d’un joli homme. Parce qu’il n’y a pas de discrimination là-dessus. Mais pour tout ce qui touche l’art, celui avec un grand A, c’est tout de suite plus compliqué, dans la mesure où c’est davantage une activité de riche individu qui peut non seulement se permettre de dépenser des fortunes dans l’acquisition de ce genre d’objets, mais qui est aussi invité à ce genre d’évènements qui sélectionnent souvent ces invités. Que je sois invité peut vous étonner un peu en vous disant que je ne suis pas dans le milieu artistique, mais il est assez facile d’imaginer que les influents mécènes du Grand-Port trouvent un certain intérêt à inviter à ce petit évènement un tout nouveau membre de la noblesse, à la suite d’une recommandation du Prince Héritier et récent ajout au Conseil de la Guilde des Aventuriers. La possibilité que mes frasques accidentelles lors des nombreux événements de la Capitale auquel j’ai participé ait eu une grande influence sur mon invitation est tout aussi grande. Les mauvaises langues pourraient dire que j’ai été invité que pour ça. Que les gens influents du Grand-Port puissent profiter tout autant que ceux de la Capitale de mes habitudes simples, de mon absence d’éducation des arcanes de la noblesse et de tendance chronique à commettre de gaffes.
Pourquoi se jeter dans un tel piège, une nouvelle fois, vous direz-vous ? J’ai appris que c’était un bal costumé où le masque est monnaie courante, dissimulant les traits et offrant un certain anonymat. Un bon point pour moi. Dans un deuxième temps, je ne peux pas décemment rester loin des cercles nobles et bourgeois. A un moment, il faut s’y mêler pour en faire partie, malgré mes bêtises et les accidents. Le faire loin de la Capitale, dans un milieu qui est peut-être plus bienveillant envers les nouveaux venus, surtout ceux venant de la Capitale qui ne devraient pas venir marcher sur les plates-bandes des autorités locales de la réputation, c’est une solution qui me parait profitable. Et puis, l’art, c’est très noble. Alors, pour devenir un peu plus noble, s’y frotter est envisageable. L’idée de constituer ma propre collection d’arts me trotte déjà dans la tête. Et la perspective d’inviter chez moi pour présenter mes œuvres est assez charmante. J’ai juste besoin de plus grand, car mon appartement populaire ne sied pas trop à grand monde, je pense, même si les tavernes dans les environs sont plutôt fameuses et presque propre.
Je vais probablement vous décevoir, mais je n’ai pas de quoi vous présenter graphiquement ma tenue. Comme il s’agit d’un bal, j’ai opté pour une queue-de-pie et d’un pantalon à galons noir, le tout complété d’un gilet échancré d’un bleu très foncé, d’une chemise blanche plastronnée et d’un nœud papillon noir réhaussé de quelques filets ocre pour la petite touche d’excentricité. Evidemment, mes plus belles godasses pour finir que j’ai ciré pendant une demi-heure pour qu’elles soient impeccables. J’aurais pu arriver à pied, mais ça ne fait pas très noble et puis, si j’avais marché dans une crotte en arrivant, j’aurais eu l’air malin. Je suis donc fin prêt, la moustache taillée pour l’occasion surplombé d’un masque en argent dissimulant mes traits. Peut-être pas très original, mais c’est ça aussi, faut passer relativement inaperçu sans trop se fondre dans le décor.
-Il parait que c’est le genre de truc où ça se débauche pas mal.
-Ah bon ?
-‘fin, c’est ce qui se dit. Y’a pas de mal, hein.
-Tant que c’est fait avec respect.
-Tout à fait. Allez. Bonne soirée à vous.
-Merci. A toi aussi !
Je paie la course, avec un bonus. Je longe sur quelques mètres une grille en fer forgé assez stylisée avant de rejoindre l’entrée, là où les personnalités les plus influentes descentes de voitures, juste devant les marches. Il y a foule pour monter la dizaine de marches. Outre les invités, certes masqués, mais dont les tenues traduisent plus ou moins leur niveau d’influence dans le vaste monde du Grand Port, on identifie très clairement le service de sécurité. Des gaillards habillés de noir surveillant les invités et les passants. Plusieurs hommes forment un barrage pour empêcher quiconque d’accéder aux jardins. Il y a probablement des patrouilles dans lesdits jardins pour que la seule entrée acceptée soit celle-ci. Faut dire, quand tout le monde porte des masques, il s’agit d’éviter aux maximums les inviter surprises. J’attends mon tour, me glissant entre un couple de vieux montant péniblement les marches et d’une jolie jeune femme venue seule. Arrivé aux doubles portes, un type de la sécurité intime à chacun de s’arrêter, laissant un groupe d’invité allait à la rencontre du majordome principal de la réception. Equipé d’un livre aux entrelacs d’or, il vérifie scrupuleusement la liste des invités. C’est la seule habilité officiellement à connaitre les participants au bal. Doté d’une grande mémoire, il connait parfaitement les visages des invités mis sur sa liste, invités qui se séparent un instant de leur masque pour montrer patte blanche, en plus de leur carton d’invitation.
Mon tour finit naturellement par arriver et je me déleste de mon masque. L’homme aux rides fournis mais au regard acéré me détaille un instant et m’identifie avant même d’avoir vu mon invitation.
-Monsieur le conseiller de la Guilde.
-Tout à fait. Je suis si connu ?
-J’ai entendu dire que vous aviez l’air sympathique. Je ne pense pas me tromper.
-Merci c’est gentil.
-Je ne fais que mon travail.
Tout est normal. Je passe, découvrant alors un intérieur à la hauteur de la réputation de nos hôtes dont l’accointance avec le milieu artistique ne semble pas usurper, les murs étant déjà naturellement recouverts d’œuvres diverses. Devant moi s’ouvrent un double escalier menant à des salons privatifs, sous surveillance de plusieurs membres de la sécurité qui conduisent les invités dans lesdits salons afin d’éviter qu’ils ne trainent dans les couloirs à fouiner là dans les parties privées. Sur ma gauche s’ouvre une grande galerie d’arts où des invités se promènent et où certains desdits artistes défendent ardemment leur vision dans la création de leurs œuvres. Des serveurs passent entre les invités proposants mets et boissons dans des flutes. La galerie semble se prolonger perpendiculairement, donnant l’impression que tout cet étage n’est qu’un enchainement de galerie connecté, comme une infinie salle de réception. Sur la droite, du coup, dans une galerie tout aussi imposante, le bal bat son plein. Une délicate musique jouée par un quintet expert font valser des inconnus, ou peut-être pas. Car il y a forte à parier qu’au milieu de ces différentes activités, chacun cherche à déterminer la véritable nature sous les masques pour obtenir un certain ascendant sur une future conversation.
Moi, je n’y connais rien. Alors, je vais d’abord m’attarder sur aller chercher à boire, parce qu’il fait soif. Et à chercher une compagnie solitaire parce que j’ai toutes les chances qu’elle ne me crée pas d’ennuis pour la soirée. La tranquillité, c’est important.
Les lumières du manoir apparurent au bout de l'allée aux ifs parfaitement taillés, des clameurs se firent entendre au loin. L'anxiété vint à poindre dans le ventre de la naïade. Ce n'était pas le moment de se débiner. Elle devait faire comme si elle n'était pas elle, ce soir. De toute façon, elle n'était pas elle. Elle était supposée être une fille de riche marchand venue pour admirer l'exposition de ce soir. Nom emprunté, robe empruntée...Elle n'avait plus qu'à faire opérer la magie. Une fois entrée à l'intérieur du manoir, seuls les alias et pseudonymes étaient autorisés, et les masques ne devaient être retirés sous aucun prétexte. Cela n'était qu'une fantaisie parmi tant d'autres, plus par soucis de divertir les jeunes aristocrates lassés par leurs propres mondanités. Cela lui était bien commode, l'anonymat pouvait facilement délier les langues. Alors qu'elle allait demander à son acolyte si il avait une idée de comment il allait opérer, le cocher leur signifia promptement qu'ils arrivaient. La femme aux cheveux noirs se pencha pour admirer le bâtiment, grandiose, à l'inspiration architecturale baroque. Tout était somptueusement éclairé avec des cristaux, des roses dorées avaient été accrochées en farandoles tout le long des colonnes et des fenêtres.
Leur carrosse se gara avec d'autres voitures, dont certaines dont les armoiries appartenaient à des familles soit très influentes, respectées ou anciennes. L'amiral se demandait si elle aurait vraiment sa place parmi tout ce beau monde, pour se rappeler qu'il y aurait aussi des familles bourgeoises et autres familles d'origine roturière sans titre, certes, mais acquéreuses d'une nouvelle fortune. Ce qui, dans ce monde, était non négligeable. Heureusement qu'elle avait reçu un cours express d'étiquette, sinon ça aurait été un moment bien difficile à vivre pour elle. Et elle voulait bien l'admettre, elle voulait rendre justice à sa si jolie toilette en ayant une attitude irréprochable pendant ce bal.
Son collègue garde se leva le premier, pour lui tendre la main de sorte à se qu'elle puisse descendre du carrosse. Elle ne put s'empêcher de remarquer qu'il serra un peu trop fort sa main quand elle remonta légèrement sa robe pour poser son pied sur le marchepied. La jeune femme se retint de rouler des yeux. Cet homme n'était pourtant pas un parfait étranger. Il la connaissait, et n'avait jamais montré d'intérêt quelconque envers elle. Voire pis, elle l'avait déjà entendu faire des remarques sur son apparence quand elle avait été promue amiral. Ce revirement n'était donc ni appréciable ni appréciée pour la garde, qui aurait aimé qu'il se concentre un peu plus sur leur mission plutôt que d'essayer de reluquer les chevilles de sa supérieur. D'ailleurs, si il aurait pu lui lâcher la main, cela aurait était fort aimable de sa part. Cependant, quand la jeune femme balaya du regard son environnement, elle remarqua bien vite que la plupart des jeunes filles de bonne famille étaient escortées et, soit étaient pendues au bras de leur cavalier, soit avaient leur mimine gracieusement posée sur celle de leur galant. "Oui donc, lâche-moi la main alors." Pensa la soldat en imitant ce qu'elle voyait. Son collègue lui décrocha un sourire radieux, et l'invita alors à prendre part à la queue qui attendait de pouvoir rentrer dans le manoir. Il relevait discrètement ses doigts lorsqu'il parlait, de sorte à les entrecroiser brièvement avec ceux de sa partenaire, comme si de rien n'était. L'amiral commençait à bouillonner intérieurement. Elle ne connaissait peut-être pas grand-chose au flirt et à la séduction, mais elle savait pour sûr qu'il fallait un minimum savoir si la personne à qui nous avions décidé de faire la cour était au moins à l'aise avec l'idée. Clairement, ce mufle ne se posait pas cette question, et continuait de tripoter ses doigts comme bon lui semble. Lucy merci, elle portait des gants. Mais tout de même. Ce qui l'écœurait, ce que son comportement était tout autre quand elle est en uniforme ou dans ses habits quotidiens. Dès qu'ils seraient rentrés, elle irait se perdre dans la foule. La mission lui était favorable, car il était bien stipulé qu'ils devaient enquêter chacun de leur côté, jouant de leur assets qui leur avaient été donnés. "Même si là, je ne vois pas trop quels sont les siens..."
La pluie avait cessé. Arrivés devant un majordome au joli masque de perroquet, ils montrèrent chacun leur invitation et la jeune femme demanda poliment si il était possible de garder la sienne en souvenir. Le majordome acquiesça avec un grand sourire, disant qu'il était courant pour les jeunes demoiselles de garder les invitations des Liberalis. La soldat le remercia et remarqua que l'homme la regardait avec un œil admiratif, ce qui la flatta. Il n'était pas le seul, certains regards glissaient sur elle avec un certain intérêt, ce qui fit du bien à l'ego très pauvre de la garde. Ils montèrent les escaliers de marbre rose, et elle aurait pu savourer ce moment solennel si son escorte n'avait pas décidé d'être le plus grand mufle que Lucy n'est vu en cet endroit. Il commentait le tenue de certaines jeunes filles négativement pour les comparer à l'amiral et lui dire combien elle était bien mieux apprêtée qu'elles. Qu'elles se disaient filles de nobles mais qu'elles n'étaient pas si jolies que ça, comparée à sa supérieur, en l'occurrence. La jeune femme aux cheveux bleutés se stoppa devant la porte d'entrée, magistrale. Elle le regarda avec un sourire froid et lui répondit :
- Vraiment ? Pourtant, il me semble me souvenir qu'à une certaine époque, mon apparence vous rebutait plus qu'elle ne vous sciait, Monsieur.
Et elle le planta là, pénétrant dans le hall principal. Le pauvre bougre se figea sur place, mais se reprit bien vite pour ne pas perdre la face et se rangea à côté d'elle. Sans essayer de lui reprendre la main, cette fois-ci. Ils étaient en train de confier leurs manteaux quand un valet vint à leur rencontre avec une lettre sur un plateau. Intrigué, l'homme interrogea prudemment sa supérieur du regard et une fois qu'elle signifia d'un hochement de tête qu'il avait son accord, il ouvrit la lettre. Au vue de sa réaction en la lisant, la garde crut à une mauvaise nouvelle concernant leur mission. Un danger ? Une menace ? Y a-t-il avoir un assaut imminent ?
- Eh bien mon brave, qui y a-t-il ? Demanda la brune, en lui prenant le papier des mains.
- Jugez par vous même. Bafouilla le jeune homme en évitant son regard. Haussant un sourcil interrogateur, elle se mit à lire :
Chers agents.
Avons trouvés les objets volés chez un notable de la ville.
Soldat rentre immédiatement pour autre mission,
Amiral reste pour profiter de l'invitation.
Bien à vous,
Votre Major bien-aimée.
- Eh bien Monsieur, il semblerait que nos chemins se séparent ici. Je ne vous souhaite pas le bonsoir. Elle lui asséna un sourire narquois, et entra avec grâce dans l'antichambre où on lui proposa une coupe de champagne. Elle allait décidément passer une belle soirée.
-Fascinant, n’est-ce pas ?
Je me tourne brusquement, manquant de faire déborder ma coupe de champagne dans le procédé, mes yeux se posant sur une délicate créature dans une longue robe carmine au décolleté avantageux et jouant de cet avantage. Equipé d’un simple masque à travers duquel brille un regard malicieux, elle rabat soudainement son éventail pour dévoiler le bas de son visage et une bouche mutine faisant apparaître quelques rides, juste assez pour se rendre compte que même si elle est très bien apprêtée, la beauté doit se trouver quelque part dans les eaux troubles de trentaine avancé. Je m’en préoccupe peu, m’attardant sur ce qui est mis en avant avec beaucoup trop de sciences que je n’en vois pas les ficelles évidentes.
-Euh… Mais… De … quoi…
Elle sourit, les yeux mi-clos avant de les rouvrir et de taper légèrement sur cage de verre à l’aide de son éventail.
-Une pièce magnifique malgré sa dégradation avancée. Qui peut s’imaginer dans quelles mains cette pièce est passée ? Tout autant que nous ne connaissons pas les peuples et les histoires de ceux qui ont habité le Désert Volant. Tant de mystères. Tant de secrets. Tant d’exotismes. Derrière chaque pièce aussi insignifiantes pour leur ancien propriétaire, c’est un trésor d’imagination qui s’ouvre à nous.
Sa voix est aussi douce que chaleureuse, ses mots prononcés à voix basse sont prononcés de tels sorte qu’on pourrait presque se sentir transporté au milieu des dunes de sable du Désert, fouillant le sol sous ses pieds et ressentir l’exaltation palpable en découvrant une nouvelle création d’un autre temps, d’une autre civilisation. Elle continue.
-On en sait rien. Et pourtant, on s’imagine tout. On invente une histoire à chaque objet. Une légende. N’est-ce pas le sens même de l’art ? De signifier bien plus grand que son existence purement matérielle ? De faire vibrer quelque chose dans nos cœurs. A se dire que le moindre détail peut-être la marque d’une destinée plus grande… Dire qu’il y a si peu de reliques sorties du Désert jusqu’à maintenant. C’est définitivement une belle pièce. Vous ne trouvez pas ?
-Maintenant que vous le dites… oui.
-L’art du Désert vous intéresse ?
-Le Désert m’intéresse. En beaucoup de points. Je dois dire que depuis que je l’ai exploré, il est difficile de ne pas y penser.
Elle marque une pause, visiblement surprise, ces lèvres formant un O qu’elle fait disparaître bien rapidement. Une lueur d’intérêt apparaît dans son regard, mais c’est clairement le genre de chose que je ne perçois pas trop, car encore faut-il avoir le cran de la fixer dans le regard.
-Vous êtes allés dans le désert ? Vous avez donc toute mon attention. Je partage avec vous un grand intérêt pour ce territoire inconnu, mais il ne m’a jamais été permis de le voir de mes propres yeux. Pour avoir eu ce privilège et vous faire inviter ici-même, vous ne devez pas être n’importe qui.
-Pas tant que ça, je suis…
Elle me fait taire d’un léger coup d’éventail.
-Non. Ne dites rien. Les personnalités de haut rang à avoir visité le Désert ne sont pas nombreuses. Homme. Bel Homme dirais-je même. A son âge d’or. Pas un membre du gouvernement. Très clairement. Mal à l’aise en haute société.
-Euh pas tant que ça…
-Mon ami, apprenez donc à contrôler votre regard, alors. Mais je ne vous en tiens pas rigueur. Inexpérimenté même. Seriez-vous le plus jeune Conseiller de la Guilde des Aventuriers ?
-C’est que… je ne dois pas donner mon nom.
Elle rit.
-Je sais. Mais votre aveu me suffit.
-Et vous ?
Elle sourit à nouveau comme si j’étais un idiot.
-Je ne peux pas vous donner mon nom, bien évidemment.
Ça me fait une belle jambe. Se savoir parfaitement identifié sans connaître l’identité de son vis-à-vis est un sentiment des plus déstabilisants. Des plus désagréables aussi. Mais je n’y peux rien. Je n’ai aucun pouvoir ici et puis, ça irait contre les règles établies dans le cadre de cet événement. S’amusant de mon trouble, l’inconnue me tend son bras.
-Permettez que vous m’accompagniez. En échange, je ne soufflerais mot de votre identité.
Avec le sentiment de m’être fait piéger, je viens prendre son bras et s’élance soudainement, m’imposant son rythme et j’évite de peu de me casser la figure au premier pas. Dans son autre main, la belle dissimule son visage derrière son éventail, me laissant être l’un des seuls à profiter de son regard coulant vers moi, comme si elle partageait un secret avec moi.
-J’ai un grand intérêt pour le Désert Volant et pour les personnalités intéressantes. Vous faites parties de ces deux mondes, assurément. Peut-être que quelqu’un d’aussi intéressant que vous sait attirer d’autres individus des plus divertissants. Qu’en pensez-vous ? Qu’est ce que votre regard innocent vous attire dans ce panel de personnalité.
Je me plis à contre-cœur à sa demande, même si, il faut le dire, sa compagnie n’est pas désagréable et puis, elle semble encline à ne pas m’exhiber comme une créature de foire à ces contacts. En quelque sorte, je dois choisir mes spectateurs. Mon regard balaie l’assemblée et je finis dans un premier temps par m’arrêter sur un jeune homme masqué d’un oiseau que je ne connais pas. Ma compagne au bras répond presque instantanément à mon interrogation silencieuse.
-Il s’agit d’un artiste. Sculpteur. Peintre. Très prometteur. Les bonnes familles du Grand Port se l’arrachent pour profiter de son grand sens artistique pour embellir leur demeure. Beau garçon, quoiqu’un peu indifférent à la chose. Elles sont nombreuses à rêver d’être sa muse.
Si partager du temps avec un artiste peut être intéressant, surtout si celui-ci semble un peu éloigné du grand jeu des influences de la noblesse où se moquer des gens comme moi est un sport national, je sens comme une soudaine pointe de jalousie poindre le bout de son nez. La perspective de passer la soirée en compagnie d’un bellâtre qui fait tourner toutes les têtes me fait titiller un peu. Et puis, attirer le regard, ce n’est pas ce que je cherche. Je retourne à la chasse, mon regard passant de l’un à l’autre, m’arrêtant sur un homme à l’allure bien sévère derrière son masque de loup. Au moins, lui, n’a pas l’air d’être particulièrement bel homme. Ma compagne fait la moue.
-Le représentant du Ministre des Armes. Un fonctionnaire ennuyeux qui ne pense qu’à ces petits soldats de plomb et à réclamer plus de budget auprès de la Couronne. Je vous le déconseille. Il n’est jamais très agréable d’avoir ce genre d'oiseaux de malheur sur son épaule comme si le moindre de vos gestes était une atteinte à l’intégrité du Royaume.
Elle n’a pas tort. Certes, il m’est arrivé de côtoyer le Prince Héritier, mais je n’ai jamais parlé avec des représentants d’un Ministère. Pour que le Prince ait eu affaire à moi, c’est qu’il a peu confiance dans ses propres services gouvernementaux. Et puis, ce serait faire rentrer la politique dans cette soirée. A nouveau, je pars en quête d’un autre candidat je tombe sur une candidate. Comme toutes les demoiselles de cette soirée, celle-ci est séduisante avec ce je ne sais quoi qui la rend intrigante. Ma compagne sourit.
-Vous avez bon goût. J’ignore son identité, mais elles sont peu à être aussi fringantes et à parcourir ses salles sans être au bras de quelqu’un. Je l’ai vu éconduire son accompagnateur sur le perron. Très curieuse. En effet. Allons donc sauver cette belle inconnue.
Sauver, parce qu’elle semble faire l’attention de plusieurs convives qui semblent tout aussi conscients de son absence de chaperon. J’ai la gorge sèche mais heureusement j’arrive à récupérer deux verres sur un plateau d’argent porté par un serveur imperturbable. Nous déboulons dans le cercle de trois personnes au grand dam des individus déjà présents. L’inconnue à mon bras ouvre les hostilités.
-Ma chère. Vous êtes ravissantes. Un véritable astre dans cette soirée. Et pourtant, je ne fais que répéter les mots de mon ami ici présent.
Son ami. Elle parle de moi. Je lui fais les gros yeux qu’elle ignore totalement, dissimulant son sourire moqueur derrière son éventail.
-Nous étions justement en train d’admirer les œuvres exposées ici. Quelle collection, n’est-il pas ? Que vous en soyez le pinacle ne m’aurait pas étonné. Je vois que votre verre est vide, heureusement, mon ami à penser à vous sauver.
Je l’aurais bien gardé pour moi, mais visiblement, il serait malvenu de ne pas m’en séparer. A contrecœur, je lui tends mon verre, baissant le regard pour ne pas commettre de gaffe, croiser son regard, ou m’attarder là où je ne devrais, créant le scandale.
-Êtes vous amatrice d’art, ma chère ? J’ai un talent pour trouver des gens de goûts et vous faites probablement partie de cette même catégorie de personne que mon voisin. Un protecteur tout ce qu’il y a de plus respectable, selon les standards.
Je ne sais absolument pas où cela me mène, mais l’alcool est une route sûre que je connais si bien. Alors je m’enfonce dans la contemplation du parquet et de mon verre de plus en plus vide.
Elle pensait pouvoir y admirer les œuvres d'art tout en sirotant tranquillement son effervescent, qu'elle soupçonnait être de la vigne à bulle, mais il n'en fut rien. Elle devait être une des rares femmes à être non accompagnées, et qui dit dit non accompagnée veut dire plusieurs choses pour ce genre de société. Soit elle s'était faite abandonnée par son cavalier et donc il fallait se montrer magnanime et tenir compagnie à la pauvre jeune femme éplorée qu'elle était, pour qu'elle puisse garder bonne figure. Soit elle était une femme de petite vertu, vénale, croqueuse de diamant en tout genre venant offrir au plus offrant, comme il y'en avait dans ce genre de soirée. Les autres possibilités n'existaient pas trop pour ce genre de public, et l'amiral se mit à réfléchir à toute vitesse quand elle vit un homme, d'un âge plutôt avancé, la regarder d'un œil porcin à travers son masque, lorsqu'elle pénétra dans la somptueuse salle d'exposition. La naïade décida de prendre alors un air faussement mélancolique tandis qu'elle déambulait parmi la foule, et parfois quand un homme semblait un peu trop pressé de venir à sa rencontre, elle poussait un soupir théâtralement triste ce qui décourageait certains mal opportuns aux idées vicieuses. Seulement, elle ne se sentait pas d'aller regarder les bijoux et autres merveilles mise en valeur dans leur galerie de verre, si elle devait tenir ce rôle à tout bout de champs. La garde allait bien vite fatiguer, et ne pas du tout s'amuser ou "profiter" comme avait si bien dit sa supérieure.
Elle soupira d'un air navré, authentique cette fois, et décida de se retirer légèrement de la foule, en s'adossant à une énorme colonne de marbre rose. Elle n'avait pas pour risque de se faire plus remarquer d'une autre, outre le fait qu'elle n'eusse pas de chaperon, beaucoup de jeunes femmes échauffées par les bavardages et l'alcool en avaient fait de même au quatre coin de la salle. La femme à la chevelure sombre en profita pour examiner les personnes autour d'elle, tout en prenant soin de croiser le moins de regard possible. Mal lui en pris car un groupe de trois jeune gens vinrent à sa rencontre, aussitôt que la jeune fille du trio vint à remarquer la garde esseulée. Vêtue d'une robe de taffetas rose dragée, à la doublure de satin et aux manches gigots, elle portait un masque de cochon ornementé, choix original pour une personne aussi jeune. La bouche en cœur et les yeux pétillants, elle faisait rebondir ses boucles châtains coiffées en fontange, tout en trottinant vers la jeune femme seule. Arrivée à sa hauteur, elle fit une petite révérence et lui décrocha un grand sourire.
- Madame, c'est un crime ! Un crime vous dis-je ! Lui dit-elle en riant. La jeune fille fut bientôt rejointe par ses deux compagnons, deux jeunes hommes. L'un avait un masque vénitien aux dorures et peintures violettes, concordant avec son habit de velours prune. L'autre, plus excentrique, avait un masque de lion, rougeoyant à la crinière faite en plumes, à l'habit militaire pourpre. "Humpf, faux habit militaire, pour se donner de l'allure je suppose ?" Ne put s'empêcher de penser l'amiral en détaillant la veste du Lion. Elle se reconcentra sur le petit porcinet qui venait de lui parler.
- Comment donc Madame ? Répondit donc la femme au masque d'argent. La jeune fille pouffa et regarda ses deux amis.
- Dame, bien je ne sais pas si je dois le dire...
- Voyons Sixtine, ne nous embarrasse plus que de raison ! S'exclama le vénitien, faussement embarrassé.
- Oui, nous n'aimerions pas paraître désagréable à cette divine créature ! Renchérit le lion, en laissant parcourir son regard sur le corsage de la naïade. La garde dû se forcer à continuer de sourire, maintenant qu'elle avait engagé la conversation.
- Va tant pis, j'ose ! Mes amis et moi même avons fait un pari ! Je suis certaine que vous Madame, avez eu la malchance d'avoir vu votre cavalier ne pas respecter ses engagements pour ce soir, mais ces deux goujats soutiennent que la raison est toute autre. De grâce, chère amie défendez-vous, défendez-moi ! Expliqua la jeune porcinette sur un ton mi scandalisé mi amusé.
La jeune femme eut beaucoup de mal à garder son calme. Ils se moquait ouvertement d'elle. Evidemment, si elle répondait la première, elle serait plaint. Et il était hors de question qu'elle donne une autre "raison". Elle détestait la manière dont la fille aux cheveux châtains avait prononcé sa dernière phrase, comme si elle ne savait pas ce qu'auraient pu sous entendre ses deux amis, alors qu'elle le savait pertinemment. Ce genre de fausse naïveté écœurait la garde. Le masque de cochon ne lui allait pas si mal finalement. La femme au masque coralien pris un inspiration et puisa dans son fort intérieur tout le calme et la sérénité qu'elle pouvait puiser. Elle prit un air légèrement gêné, ouvrit son éventail et le referma brusquement. Il y eut un moment de flottement. L'amiral avait aussi un peu potassé le langage de l'éventail, car apparemment c'était quelque chose de très en vogue en ce moment dans la haute société. Son geste pouvait être interprété comme "vous m'avez traité de manière impolie" ou "vous êtes bien cruel". La jeune femme laissa à loisir son audience choisir la signification exacte de son geste, puis ce qu'ils aimaient faire des paris.
- Mon cavalier est bel et bien venu avec moi, Madame. Malheureusement, le devoir l'a appelé et il a dû partir là où sa présence était urgemment requise . Ne voulant pas me priver d'une aussi belle soirée, j'ai décidé malgré tout de m'y rendre. Est-ce un mal ? Répliqua la femme à la chevelure noire et aux mèches bleues d'un ton mêlant savamment politesse et reproche. - Quant aux allégations de vos amis, je ne saurais quoi vous dire. Quelles pourraient être ces autres raisons dont parlent-ils ? Demanda-t-elle, jouant elle aussi la fausse naïveté.
Les trois compères ne riaient plus. Pris au piège par leur propre plaisanterie, ils n'avaient plus vraiment d'autres solutions que de devoir rester faire la conversation avec la personne qu'ils voulaient moquer ou sinon c'est eux qui perdraient la face. Le lion fut le plus rapide à reprendre ses esprits.
- Eh bien, c'est sur le malheur de votre cavalier que nous allons trinquer, car sans lui je n'aurais pas eu la chance de converser avec si charmante compagnie ! Il se rapprocha de l'amiral de sorte à ce que leurs épaules se touchent. La garde dû se retenir de lever les yeux aux ciel. Elle n'avait décidément pas de chance aujourd'hui.
Les deux autres amis acquiescèrent en cœur et reprirent un peu de leur entrain. Ils restèrent là, à bavasser sur tout et rien mais surtout à critiquer leur entourage. Le lion en profitait pour chuchoter des banalités à l'oreille de la naïade, comme si ils étaient deux confidents or, en réalité la jeune femme s'ennuyait à mourir. Telle ne fut donc pas sa surprise lors qu'un duo étonnant déboula dans leur petit groupe, détruisant l'intimité superficielle qu'essayait de créer l'homme au faux habit militaire en se tenant si proche d'elle.
Une magnifique femme au masque noir dans une robe sirène grenat accompagné d'un grand homme en queue de pie à l'air un peu décontenancé vinrent à sa rencontre. la vamp dédaignait totalement les trois partis présents pour ne s'adresser qu'à la femme au masque coralien. Entendant les compliments venant d'une si belle personne et sentant qu'elle lui tendant une main presqu'inespérée pour la sortir de cette situation insupportable, elle tendit la main vers la femme au masque noir, que cette dernière prit aussitôt dans la sienne.
- Je vous remercie Madame, venant de vous, ces compliments me vont droit au cœur. je n'ai pas encore eu la chance de voir l'exposition. Si vous et votre amis étiez assez bons pour m'escorter ? Je n'ai pas la prétention de m'y connaitre excessivement en art mais je suis sensible aux jolies choses.
Acceptant le verre tendu par le grand homme au masque d'argent, elle le remercia avec un grand sourire, en prenant soin de ne pas dévoiler ses dents. Il semblait aussi à l'aise qu'elle. En le voyant baisser la tête quand il lui tendit son verre, elle ne put s'empêcher de le trouver attendrissant. C'était le premier geste attentionné qu'on avait eu pour elle depuis le début de cette satanée soirée.
-Allons, mon ami. Vous ne seriez pas intimidé par notre invité pour ne pas lui tendre votre bras ?
-C’est que j’ai ma main prise…
Par un verre, effectivement. Et que ce n’est pas pratique de tenir le bras un verre à la main. Sans se décontenancer, elle se saisit de mon verre que je libère promptement avant de le déposer sur le plateau d’argent d’un serveur passant à proximité.
-Ainsi, vous êtes libres. Plus d’excuses.
-Pourquoi ça sera moi qui…
-Enfin, mon ami. Vous n’oseriez pas séparer une femme de son éventail ? Comment pouvons-nous dissimuler nos délicats mots pour vous seuls ?
Elle échange un regard complice avec la nouvelle arrivée avant de revenir placer son éventail devant sa bouche comme pour mieux illustrer son propos. La nouvelle fait de même, par mimétisme. Face à un argument à la logique discutable de mon point de vue, mais résolument imparable dans son ton, je me résous à tendre mon bras au Loup Argenté qui s’en saisit avec une vigueur insoupçonné qui me surprend sur l’instant, réprimant un petit bruit plaintif avant de faire comme si rien ne s’était passé. Ne vous l’ai-je pas dit ? Je dois absolument ne pas attirer l’attention. Attention que j’attire invariablement au bout de quelques pas en direction de la galerie d’art et des œuvres exposées là. Pourquoi ? Masque Noir fait justement un commentaire sur le sujet.
-Mon ami, vous devez être ravie. Peu d’hommes peuvent se vanter d’avoir à ses bras deux jolies femmes telles que nous, en toute modestie, n’est-ce pas, très cher ?
En d’autres circonstances, j’aurais très certainement saisi la chance que j’ai à la première seconde. Mais face à ma situation que peu d’hommes ont pu expérimenter, beaucoup d’hommes posent des regards souvent hautains, parfois moqueurs, mais très souvent jaloux, admirant mes compagnes du moment là où j’en suis tout à fait incapable. Je ne vais tout de même pas tenter des œillades sur le côté que les centaines d’yeux pourraient capter et rapporter à des cercles peu enclins à brosser le meilleur portrait de ma personne. Masque Noir et Loup Argenté semblent totalement à l’aise, défilant à mes bras en observant les alentours, agitant leur éventail dissimulant leur bouche et leur gorge aux yeux de l’extérieur. Les miens restent bien droit vers le prochain obstacle, apercevant parfois un serveur au plateau chargé de verre. J’ai soif. C’est fou comment on peut avoir rapidement soif dans ce genre de circonstance. J’essaie bien d’accélérer, mais je suis contraint de me caler sur le pas de mes compagnes, la moindre accélération accroissant le risque de marcher le pied d’une de mes voisines, ce qui ruinerait à coup sûr ma soirée. Et des dizaines d’autres.
Nous passons devant la partie de l’exposition réservé au Désert Volant sans s’arrêter, sous l’impulsion de Masque Noir, ce qui est tout de même étonnant vue la passion qui semblait l’animer en parlant de ce sujet-là. Puis nous nous arrêtons près d’une longue vitrine centrale à l’intérieur de laquelle on trouve plusieurs statues de marbre. Au mur, des œuvres de peintres renommées au point que je reconnais certaines œuvres.
-Mon ami s’y connaît beaucoup en art, n’est-il pas ? Je suis moi-même une néophyte dans cette catégorie d’œuvres, tout comme vous, je présume, mon amie. Heureusement que nous pouvons compter sur un bel homme éduqué pour parfaire notre savoir.
Bien sûr, elles lâchent mes bras et se permettent de prendre un nouveau verre d’un serveur se tenant à disposition. Je m’en approche pour me servir aussi, mais Masque Noir me donne une nouvelle tape sur la main au moment de me saisir d’un verre comme on réprimande un enfant, haussant un sourcil derrière son masque, dissimulant un sourire mi-moqueur derrière son éventail.
-Enfin, mon ami. Ne buvez pas trop. N’oubliez pas que nous comptons sur vous pour nous protéger autant que notre réputation. Vous devez rester totalement maître de vous.
Maitre de moi-même, ce n’est pas le mot que j’aurais employé. Quant à les défendre, je ne pense pas que l’endroit soit le théâtre d’un affrontement, quoi qu'il suffît d’un bon bourre-pif pour commencer une bataille, mais on n’est pas dans une taverne. Quant à leur réputation, quoiqu’il arrive, c’est surtout la mienne qui va en pâtir. Ce serait étonnant qu’elles n’arrivent pas à remettre la faute sur moi. Pour des gens de haute société, d’autant plus des femmes, rejeter la faute et se positionner en victime, ça ne doit pas être difficile. Je regarde autour de moi pour trouver quelque chose que je maitrise un petit peu, faisant rapidement une liste très courte, il faut se le dire. Je crois un instant trouver un échappatoire quand j’entends Masque Noir chuchoter en direction de Loup d’Argent, couvrant toujours ses lèvres de son éventail. Je me rapproche pour mieux entendre, pensant que je fais partie de la conversation. Grosse erreur. Elle me fait les gros yeux sans que je puisse voir à nouveau son sourire moqueur.
-Mais enfin, mon ami. Cela ne se fait pas d’écouter les conversations des dames !
La fin de la phrase est peut-être un poil plus fort, pas suffisant pour que nos voisins fassent attention, mais suffisamment pour me donner l’impression que si. Et qu’il vaut mieux que je ne m’oppose pas à la bienséance envers mes deux compagnes. Je les laisse donc à leur conversation et je choisis un tableau. Je fais mine d’attendre qu’elles finissent, mais visiblement, Masque Noir trouve que mes explications ne sauront les déranger dans leur dialogue privé. Je m’humecte donc les lèvres avec trop peu de salives avant de m’approcher d’un tableau, suivi par les deux dames.
-Ceci est l’œuvre d’un artiste inconnu sévissant sous le pseudonyme d’Ibai. A l’origine, c’est un tableau du « Général » comme il se faisait appeler, peintre réputé de l’Archipel du début du dixième siècle, représentant, sur un fond de trois couleurs ; bleu, blanc et rouge ; plusieurs symboles de notre beau royaume. Au centre, sur la partie blanche, le visage en ombre du Roi de l’époque que l’on reconnaît plutôt bien à ces sourcils. En dessous, il y a une représentation du musée de la Couronne, une reproduction de l’explorateur en chef de la célèbre mission « Ultime Frontière », une représentation de la Porte de la Victoire, plusieurs musiciens aux styles très différents pour l’époque sur le fond rouge ainsi qu’un représentation d’un personnage bien connu de nos contes pour enfants sur le fond bleu. Il y a d’autres petits détails qui ont disparu à cause, ou grâce c’est selon, l’œuvre de ce dénommé Ibai. Celui-ci a, comme vous pouvez le constater, altérer l’œuvre du « Général » en ajoutant des milliers de petits points de couleurs différentes, comme si la toile dans son ensemble était attaquée par une multitude de petits insectes. C’est une œuvre célèbre, mais controversée. Notamment par sa nature, qui consiste à, grosso modo, saccager une très belle œuvre du « Général », mais qui a son lot de soutiens, car si le procédé semble destructeur, il questionne notre relation à l’art. Là où nous voyons le saccage, d’autres voient la création. Là où nous voyons la laideur, d’autres voient l’art. Nous ne sommes pas tous pareils, voudrez sûrement dire ici l’artiste. Et tels des milliers de petits pinceaux, nous avons le pouvoir d’altérer le présent, la réalité. Là où l’œuvre du Général est le passé immuable, Ibai par ses petites pointes traduit le changement en cours. Vers une autre œuvre. Comme si chaque petite pointe de couleur peut en changer pour représenter autre chose, par la force de chacun d’entre nous. Certains voudraient que l’on poursuive cette vision de l’art que l’on prête à cette artiste en donnant la possibilité à chacun de poser une touche de couleur sur ce tableau. Pour qu’il évolue par l’apport de chacun. Que chaque petite touche de couleur finisse par former un tout qui sera l’œuvre de tous. Un collectif réalise ce genre d’opérations tous les cinq ans en prenant une toile vierge et laissent, chacun leur tour, des visiteurs apposer une touche de couleur jusqu’à une date limite avant d’exposer l’œuvre qui est véritablement le fruit de tous. Si je comprends les critiques, je trouve l’œuvre d’Ibai très intéressante. J’aime cette vision du monde, qu’il traduit à travers l’art, que chacun peut donner un petit coup de pouce pour que l’ensemble de nos actes fassent évoluer le monde. En mieux, je l’espère.
Maintenant, j’ai très soif. Heureusement, mon salut arrive bien vite car le regard de Masque Noir est attiré par quelque chose et elle revient vers nous un instant.
-Je dois m’absenter une minute. Une affaire urgente. Attendez-moi. Et vous, ma chère, ne faites rien à mon ami, voulez-vous ?
Elle ne dissimule pas son sourire ce qui n’est pas un bon présage, ne connaissant pas la teneur de ce qu’elles ont discuté. Je la suis du regard, découvrant bien vite qu’elle se dirige vers un homme attendant non loin d’une porte à double battant menant à des corridors davantage désertés. L’individu ne semble pas être un invité, mais ressemble plutôt à un homme de main de luxe. Je n’ai pas le temps de m’en étonner que je me rappelle que je ne suis pas seul et que n’avoir que d’yeux pour Masque Noir peut s’interpréter de bien des manières, en bien ou en mal, du côté de Loup d’Argent. En l’occurrence, elle me dévisage, s’étant déjà fait une idée de la situation et de ce que je pourrais bien penser. Je m’empourpre même derrière mon masque, baissant une nouvelle fois le regard. Il faut bien meubler l'absence de Masque Noir, alors j'y vais de ma tentative de faire la conversation. De quoi parle les dames, ici ?
-Et sinon, qu’est-ce que vous pensez du Désert Volant ?
Sans aucune transition, donc.
En tout cas, il était sûr que la femme à la robe de satin s'amusait grandement de la situation. Elle prenait grand plaisir à taquiner son ami au masque d'argent, la garde ne put s'empêcher de soupçonner une quelconque relation entre ce duo de choc. Elle faisait aller son regard bleu pâle entre la diva et le grand gaillard qu'était à présent son partenaire. Prenant un air faussement à l'aise, la femme au masque coralien se mit à jouer de son éventail, non content d'avoir enfin un tant soit peu de répit. Les vautours s'étaient repliés, voyant qu'elle n'était à présent plus seule. Elle jeta un dernier coup d'œil dédaigneux aux compères lion, porcinet et vénitien qui la regardait se faire la malle sans vergogne, avec un regard mauvais luisant à travers leur masque de mauvais goût. L'amiral poussa un léger soupir de soulagement, puis se cala sur la cadence de sa nouvelle compagne de bal. Elle remarqua que l'homme au masque argenté était guidé comme jamais, regardant droit devant lui, droit comme la justice. Elle pencha légèrement la tête, pour essayer de distinguer la couleur des yeux de cet inconnu. Il avait du sentir son regard, car ses yeux se détournèrent un instant de leur trajectoire initiale. La jeune femme détourna bien vite le regard, intimidée d'avoir pu être surprise à le dévisager.
Ils s'arrêtèrent enfin à la hauteur de plusieurs peintures, et bien vite la naïade regretta d'avoir dit qu'elle s'intéressait à l'art. ce n'était pas faux en soit, mais pas ce genre d'art en tout cas. Elle regardait les toiles, seulement ne ressentait rien en le regardant. Ce la ne lui inspirait rien. Elle avait été beaucoup plus intriguée par les sculptures en marbre de la Déesse, les armes d'ornements et plusieurs maquettes de bateaux arrangés un peu plus loin, or ils étaient passé très vite devant sans s'arrêter et la brune n'avait pas oser exprimer son désir de s'y arrêter pour admirer ce qui y était exposé. Elle essaya de garder un sourire poli devant ses œuvres d'arts qui ne titillaient absolument pas son intérêt et, voyant un plateau de champagne arriver, s'apprêtait à se servir avec joie. Si ce n'était pas pour les beaux yeux de leur amie, qui non contente de taquiner son partenaire, lui interdit aussi formellement de boire sous couvert d'une réputation à protéger. Incrédule, l'homme semblait une fois de plus se laisser faire, mais ne pas en penser moins que ça. La sublime créature en profita pour entamer la conversation :
- Ma foi, mon amie vous êtes extraordinaire. Lui dit cette dernière d'une voix un peu plus basse, de sorte à ce que seulement elle puisse l'entendre. - Je vous ai entendue rabattre le caquet de votre cavalier à l'entrée du manoir, c'était tout bonnement époustouflant. J'adore les femmes avec du caractère. Dès que je vous ai vue, je me suis dit qu'il fallait que je vous retrouve dans la salle de bal et que nous passions la soirée ensemble ! Nous allons bien rire, surtout avec ce garçon ici présent.
Elle lança un regard plein de miel à son partenaire. L'homme en question, qui semblait perdre un peu plus de ses couleurs au fur et à mesures que les minutes passaient, remarqua qu'on le regardait et s'approcha d'elles. Seulement, la diva, mesquine, prétexta une conversation privée pour envoyer paître le pauvre bougre et l'encourager à un exposé sur un des tableaux devant lequel ils étaient postés depuis tout à l'heure. Le grand homme ne se laissa pas démonté et parti dans un monologue digne d'un livre sur l'histoire de l'art et la femme au loup argenté eut du mal à rester concentrée entre ce que lui chuchotait la femme en robe grenat et ce que déclamait son ami. Surtout sur une toile qui semblait pour la garde, somme toute banale. Vivement les maquettes.
Alors qu'elle élaborait une demande très élaborée et la plus polie qu'elle n'eusse jamais à faire pour aller dans l'allée qui l'intéressait, la femme au masque noir expliqua devoir s'absenter. Mmmh ? Elle avait l'air plutôt pressée de rejoindre ce qui avait l'air d'être un homme à l'allure louche, malgré son costume de qualité et son masque de luxe. Surtout qu'elle gardait un sourire qu'on aurait pu qualifié de politicien, ce genre de sourire que la garde connaissait bien. Elle salua celle qui les quittait d'un hochement de tête et se retrouva seule en compagnie de la personne qui n'était pas forcément ravie d'être avec elle. Il y eut u petit moment de flottement et l'homme au costume sortit de but en blanc une question sur le Désert Volant. La jeune femme se retint de soupirer de désarroi. Elle ne savait que trop répondre à cette question sortie de nulle part.
Après un silence un peu gênant, la femme à la robe indigo haussa les épaules, puis avec un clin d'œil amical s'empara de deux coupes de champagnes et les plaça d'un geste élégant dans chaque main du grand gentleman. Voilà qui devrait le réconcilier un peu avec la gente féminine pour ce soir. La militaire en jupe de mousseline en profita pour se servir elle-même et se délecta de sa troisième coupe de vigne à bulle de la soirée. Quand on aime, on ne compte pas. Elle en avait bien besoin, et apparemment son accompagnant aussi.
- Je ne sais pour le Désert Volant, mais je rêvais de ce verre depuis un petit moment, pas vous ? Dit-elle avec un air de malice à peine dissimulé, les joues rosies de plaisir apporté par le délicat arôme que prodiguait la vigne à bulle finement distillée.
Loin du duo improbable du Conseiller de la Guilde des Aventuriers et de l’Amirale du Grand port, la troisième pièce de leur étrange troupe s’est mise à l’écart des jeux mondains pour une raison qu’elle garde bien pour elle. Derrière son masque se cache une femme à l’esprit entreprenariat acéré. Retrouvant l’un de ses hommes de mains, elle abandonne avec aisance ces minauderies et son ton sensuel pour aller directement à l’essentiel d’une voix autoritaire et si froide qu’elle aurait choqué de surprises ces accompagnateurs actuels.
-Alors ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Son larbin est bien embarrassé, se frottant les mains contre les autres, évitant son regard sans trop savoir où le mettre sans paraitre trop désobligeant. S’il peut se dérober un instant à son regard, il ne peut rester silencieux éternellement.
-On ne sait pas comment ils les ont retrouvés, Madame.. J’ai placé les hommes chargés du transfert à l’écart pour éviter une autre déconvenue. S’il y a eu un informateur.
-J’espère pour toi qu’il n’y en a pas. Cette perte tombe au plus mauvais moment. Heureusement que nous avions quelques stocks. Il faudra s’en contenter pour faire bonne figure.
Ce que beaucoup de gens savent, c’est que l’intrigante s’intéresse beaucoup à l’art. Ce que peu de gens savent, c’est qu’elle est extrêmement impliquée dans un trafic de recel d’objets d’art volés. Comme l’a précisé la représentante de la marine, il y a une recrudescence de la piraterie et quand ceux-ci tombent sur des objets d’arts, il leur faut des personnalités de bonnes réputations pour écouler leur butins dans des cercles restreints plutôt aisés qui peuvent se permettre de racheter ces œuvres tout en ayant suffisamment peu de scrupules pour se désintéresser de leur provenance. C’est alors qu’elle entre en scène, mettant son carnet d’adresses, ses relations et son sens des affaires au service de ceux qui ne distinguent pas le chef-d’œuvre de la pale imitation grotesque. Cette soirée doit être l’un des évènements les plus importants de sa saison de vente. Le bal masqué des Liberalis étant la réunion du monde artistique et des gens aisés, on y trouvait l’alliance subtile de ceux qui s’y connaissent suffisamment en art pour daigner débourser certaine sommes pour en récupérer quelques merveilles. Si certaines pièces sont mises en ventes de manière on ne peut plus officiel et légal, afin d’avoir la confiance des Liberalis, la majorité de la collection provient de vols et d’actes de pirateries. Si des gens connaissent cette vérité, ils préfèrent se taire, profitant avantageusement de la situation. Mais il a fallu qu’une récente cargaison prometteuse soit retrouvée par la garde avant qu’elle soit parvenu entre ces mains.
La receleuse enrage. Pour une fois que la garde fait son travail avec diligence, il faut que cela tombe aujourd’hui, à devoir gérer à distance ses associés qui ont failli alors que sa tache principal devrait être la même que d’habitude : dénicher des pigeons qui pourraient être aptes à participer à la vente aux enchères qui doit se dérouler dans l’heure qui arrive, à l’étage de la demeure, dans des salons très privés offrant toute la discrétion possible pour ce type de divertissement que l’on préfère le plus éloigné des autorités.
-Que fait-on ?
Elle réfléchit à toute vitesse. La plupart des clients de ce soir attendaient beaucoup de la cargaison volée. En son absence, ils ne vont surement pas se pointer et en l’absence de beaucoup d’enchérisseurs, tout va partir à des prix bien trop bas. Il faut trouver des pigeons. Justement, elle en avait trouvé deux particulièrement innocents, l’un plus que l’autre. Elle regarde dans leur direction pour les voir s’éloigner, comme si le destin s’acharne sur sa malhonnête double vie.
-Occupe-toi d’avertir les clients de cette cargaison et de prévenir les autres des modalités d’usages. Je vais essayer de sauver cette soirée.
-D’accord.
-Maintenant, disparais.
Fulminant, elle prend quelques secondes pour se calmer avant de reprendre son rôle toute en mièvrerie et manipulation et de chercher du regard deux de ces victimes du soir qui pourraient peut-être mordre à l’hameçon du frisson de l’illégalité.
Revenons à l’improbable duo.
C’est toujours un peu difficile de bien cerner les gens, en société. Il y a la façon d’être en présence de gens aussi différents qu’inconnus, puis il y a être soi dans l’intimité d’une discussion en tête à tête, ou avec des gens que l’on connait. Pour moi, l’un et l’autre, c’est pareil. Je ne sais pas me faire passer pour quelqu’un d’autre que je ne suis pas. D’autres savent et peuvent ainsi naviguer dans les eaux troubles de la politique et des jeux d’influences. En un geste et quelques mots, Loup Argenté parait de suite plus avenante. Visiblement, elle ne s’intéresse pas particulièrement à ce pan entier de l’exposition qu’est le Désert Volant. Elle lui préfère la compagnie savante des bulles et je ne peux pas trop la contredire sur ce point. J’apprécie tout autant qu’elle le verre qu’elle m’accorde. Elle parait comme libéré, peut-être que la présence de Masque Noir la met autant sur la défensif que moi, même si dans mon cas, je suis pied et poing lié. Justement, elle semble en pleine discussion avec un homme bien mystérieux et ne fait pas très attention à nous. Il me vient alors une idée.
-J’en ai pas mal rêvé oui. Et maintenant, ce que j’aimerais bien, c’est jouer un petit tour à notre inconnue et disparaitre. Il n’y a pas un coin qui vous plairait d’aller voir ?
Les maquettes ? Les maquettes. C’est joli ça. C’est un travail de précisions et de reproductions fidèles qui n’intéressent pas les plus célèbres disciples du grand Art, négligeant toutes les disciplines inférieures, mais il y a certaines choses qui sont plus merveilleuses qu’une peinture rien que par le soucis accorder aux moindres détails à une échelle où c’est du domaine de l’orfèvre. Ça me dit bien. Alors, je lui donne mon bras, parce qu’il faut garder certaines conventions, et on se dérobe à la vue de l’autre, je baisse la tête comme si ça me rend moins voyants, attirant le regard d’autres personnalités qui se demandent bien ce qu’on fait. Heureusement qu’il y a les masques, qu’est-ce qu’on dirait si on me reconnaissait ? Des choses vilaines assurément, mais le point positif, c’est que je pourrais observer tous les traits de ma voisine des plus charmantes.
On n’y va pas tout droit, je guide notre duo, visant les larges groupes d’individus pour nous enlever à la vue de Masque Noir, profitant même d’une colonnade pour s’y planquer un instant et glisser une œillade derrière nous pour vérifier qu’on l’a semé. J’ai l’impression d’être un agent secret même si je ne sais pas trop ce que ça implique. Il parait que le Royaume a des espions. Je n’en ai jamais vu. Ça doit être des gens bizarres qui restent tout le temps invisible. Evidemment qu’on n’est pas aussi invisible qu’eux, mais seul le résultat suffit. Histoire de casser un peu la glace entre nous, parce que je me sens un poil plus en confiance, comme si Loup Argenté n’était en vérité une femme habituée à cette débauche d’opulence et de cultures, donc quelqu’un d’un peu comme moi, j’hésite à lui dire mon nom. Mais c’est quelque chose d’important un nom quand tout le monde le dissimule. C’est une grande marque de confiance. Peut-être que je m’emporte un peu trop. Je préfère en dévoiler juste assez sans trop me trahir.
-Vous savez, je ne suis vraiment pas habitué à ce genre de soirée. J’y fais surtout des bourdes. Je préfère les choses simples. Et vrai.
C’est une certaine marque de confiance. On pourrait se moquer de moi pour ça, mais je me dis que ça n’arrivera pas avec Loup Argenté. Avec nos détours et notre destination finale, on passe par une grande zone ou des duos virevoltent en cadence avec une certaine virtuosité, dans une danse que je ne connais absolument pas, au son d’un quatuor à cordes accompagné d’un piano à queue, utilisés par des gens à la mine austère, les yeux fermés, presque en transe. Un truc de nobles embourgeoisés, je pense. Passer au milieu, c’est l’assurance de perdre bien comme il faut Masque Noir, mais il faut danser pour ça.
-Vous dansez ? Parce que moi, je suis très mauvais.
Si elle connait, elle pourrait me guider. Au moins. Et ne pas trop faire d’erreurs. Traverser cette espace nous mènera tout droit vers une galerie réservé aux arts un peu moins tape à l’œil, mais qui intéresse ma voisine. Comme j’ai fait le premier pas, il s’agirait de m’y aider un peu, non ?
Le regard pâle de la jeune femme brune s'illumina lorsque son compagnon, improvisé certes, mais compagnon tout de même, se dirigea vers les maquettes de bateaux. Elle alla peut-être un peu trop vite vers les vitrines, lui tirant gentiment l'avant-bras, comme une enfant qui avait hâte de voir une chalande de jouets rutilants. Elle ne lâcha pour autant pas le bras du grand homme au masque d'argent, consciemment ou non, peut-être par bienséance, peut-être parce qu'elle se sentait à l'ais avec ce grand gaillard un peu maladroit.
Heureusement ou malheureusement, il y avait peu de monde devant les maquettes, qui étaient pourtant de vrais travaux d’orfèvre. La femme au masque de corail posa une main gantée contre une vitre, devant une frégate plus vraie que nature, avec les plus jolies voiles miniatures qu’elle ait pu voir de sa vie. Elle reçut en réprimande un grossier raclement de gorge d’un des laquais, sûrement présent pour surveiller toute incivilité. Elle lui jeta un regard noir, mais baissa tout de même sa main, ne voulant pas attirer inutilement l’attention. Ce qu'elle n'allait pas tarder de faire, bien involontairement.
- Magnifique. Murmura-t-elle, admirative, en passant d’une maquette à l’autre. Elle montrait d'un doigt enjoué les maquettes qu'elle trouvait les plus réussies à son compère au masque d'argent.
Alors qu’elle allait se retourner vers son cavalier, un bateau attira son attention. C’était censé être un galion. enfin il semblait que le maquettiste avait pour but d’en représenter un. C’était la maquette la plus chère, qui plus est. L’âme de marin de l’amiral ne put supporter un tel travail bâclé.
- Non, mais…C’est désolant. Dit-elle en posant légèrement son éventail contre sa joue. - Ça ne va pas du tout ! Elle secoua la tête en transperçant la maquette du galion avec un regard aiguisé.
- Un galion est supposé avoir trois à cinq mâts, pas deux ! La coque doit être renforcée, non pas ventrue. C’est tout de même pas compliqué. Asséna-t-elle d’un ton sec en ouvrant son éventail.
Elle n’avait pas remarqué, mais une petite troupe de gentilhommes avait commencé à lui prêter oreille, très intéressés par les dires d’une femme, une femme qui avait l’air d’être noble en plus, et qui semblait s’y connaitre en bateau. Voilà qui valait le détour ! Un homme au masque de renard confirma avec empressement :
- Mais tout à fait Madame, c’est un scandale. Ils prennent vraiment les gens pour des imbéciles, et à ce prix là en plus !
- Les voiles ne sont même pas dans le bon sens ! Renchérit un petit gringalet au costume de pirate. Ironique, il fallait en convenir.
- Je suis bien d’accord, si je devais acquérir une de ses constructions, je partirais sur la frégate, qui est le plus fidèlement reconstituée, et le travail effectué est très fin et régulier. Expliqua la femme aux cheveux noir bleuté, ne relevant même pas son regard clair emprunt de perplexité des maquettes. Elle avait parlé machinalement, comme si elle était sur son lieu de travail. Cependant, elle se reprit bien vite. Zut de zut, elle n’était pas au Bastion actuellement ! La femme à la robe indigo releva la tête pour découvrir qu'elle et son ami était maintenant encerclés par plusieurs nobles qui avaient tous leur mot à dire sur cette pauvre maquette.
- Je suis bien d’accord avec vous ! S’exclama un autre bonhomme, un verre à la main, manifestement ivre.
Le laquais qui avait manqué de respect à l’Amiral ne savait dorénavant plus où se mettre. Il commençait à être assailli par quelques messieurs mécontents, et jeta un regard plein de reproches à la militaire en robe de bal. La jeune femme, qui commençait à ressentir les effets de ses coupes de champagnes et verres de liqueurs de fruit, ne put s'empêcher que de lui tirer la langue en guise de réponse.
- J’avais déjà commencé à enchérir sur ce galion ! Je veux être remboursé !
- M’enfin c’est qu’un bateau, on va pas en faire toute une barque.
- Divine créature, souhaitez-vous m’accompagner pour que nous puissions nous entretenir un peu plus sur les frégates…Ou peut-être plus ?
- Z’avez compris ? Bateau, barque ? Non, personne ?
- Messieurs un peu de calme s’il vous plaît !
- C’est pour ça que je préfère les chevaux.
La naïade, voyant ce qu’elle avait provoqué, prit la main de son cavalier qui lui lança un regard qu’elle ne sût pas interpréter et l'entraîna un peu plus loin, en laissant fuser un rire cristallin. Certes, elle n’aurait peut-être pas dû s'exprimer si sévèrement sur cette maquette, mais elle trouvait la situation plutôt drôle. Bon, vraiment drôle. Elle s’amusait réellement, et cela faisait longtemps que cela ne lui était pas arrivé. Cette fois-ci, ce fut le gentleman barbu qui la guida à travers les convives, pour arriver devant tout un tas de personnes, virevoltant au rythme de valses jouées par un petit orchestre non loin d'eux, bien installé sur une estrade de velours bleu marine. La brunette les regardaient avec admiration, certains couples étaient assez doués pour soulever et faire tourner leur partenaire dans les airs, ce qui avait l'air drôlement amusant. Les froufrous des robes de satin, taffetas et mousselines bruissaient délicieusement aux oreilles de la femme au loup argenté. Ils restèrent ainsi un instant regardant les couples valser, tantôt sur un air joyeux, tantôt sur une mélodie plus mélancolique. Son partenaire devait trouver le moment assez opportun pour lui avouer que ce genre d'évènement n'était pas sa tasse de thé. Elle l'écouta avec attention, le regardant enfin droit dans les yeux. L'alcool lui donnait enfin plus de courage pour affronter le regard des autres, et surtout d'une personne qu'elle devinait bel homme.
- Je vous comprends tout à fait. Confidence pour confidence, c'est la première fois que je participe à ce genre d'évènement. A un évènement tout court d'ailleurs ! Je suis partagée entre la terreur et l'excitation. Je ne préfère pas penser à toutes les déconvenues que j'accumule depuis que l'exposition est ouverte. Et, j'ai l'impression mon ami que nos déboires ne font que commencer. Dit-elle en lui indiquant d'un mouvement de tête, leur amie au masque noir qui les recherchait activement.
La femme fatale s'était rapprochée des maquettes, et n'était plus très loin d'eux. Alors, la jeune femme prit un pan de sa robe aux sequins étincelants, et fit mine d'accepter une dance à son partenaire, alors qu'il n'avait rien demandé Elle l'entraîna au milieu des couples, au moment où une valse aux tons romantiques se mit à raisonner dans le hall de la galerie.
La brune posa délicatement sa main sur l'épaule du grand homme, et lui indiqua gentiment et avec un peu le rose aux joue qu'il devait poser la sienne sur sa taille et non sur son épaule, comme il s'apprêtait à le faire.
- Laissez-vous guider. Lui souffla-t-elle dans un sourire. Et avec étonnement beaucoup d'aisance, ils s'en allèrent plus loin, loin des yeux indiscrets de leur poursuivante. La naïade menait plutôt bien sa barque, ou plutôt son compagnon.
Sa passion ne s’arrête pas qu’aux maquettes visiblement, mais aux bateaux en règle générale quand elle commence à avancer des explications très techniques pour justifier du nom d’un bateau en particulier. C’est à ce moment-là que je me désintéresse totalement des maquettes et que j’ai bien du mal à espacer mes œillades dans sa direction, profitant même de l’attention générale qu’on lui porte pour ne plus faire semblant, mon esprit tournant à plein régime. Qui est-elle ? Probablement une noble avec des intérêts dans le commerce maritime, voire même un chantier naval. Peut-être est-elle originaire de l’Archipel ou de la Ville Aquatique ? Qui est-elle ? Une question qui se fait de plus en plus brûlante. Que veut-elle ? Que cherche t’elle ? Qu’est ce qu’elle attend de moi ? Je suis peut-être trop terre à terre à croire que chaque mot, chaque geste, chaque attention ont un but et ne sont pas dû au hasard. Si je suis toujours là, aux côtés de cette charmante noble, passionnée et aimable, c’est forcément pour une raison. Avec tous mes déboires avec la noblesse, je ne pense pas être suffisamment intéressant pour cette frange de la population. Alors, mon esprit fourmille de questions.
Et à nouveau, elle mène la danse, se saisissant de main, sans hésiter, m'emmenant vers d’autres horizons alors que nos voisins accablent de plus en plus le laquais. On échange un regard fugace. Elle rit. de celui qui paraît sans aucun artifice. du bonheur pur qui me trouble davantage et qui a raison d’une partie de mon appréhension, celle qui me protège à ne pas trop me livrer dans pareil environnement où chaque acte peut avoir des conséquences tragiques. Si la maintenant, elle faisait mine de vouloir me quitter pour vaquer à d’autres préoccupations, je m’attacherais. Je protesterais. Je pense. C’est une chance. Je ne crois pas particulièrement en Lucy où en une autre forme de divinité, plutôt au destin, mais celui-ci a mis cette inconnue sur mon chemin, c’est certains. Et ce serait une bêtise que de la laisser filer. Ainsi, je mets à reprendre la tête de notre duo, l'éloignant du tumulte de l’exposition des maquettes, cherchant ce qui pourrait m’aider à la connaître davantage. Si possible, un endroit plus calme. J’avise de hautes portes à travers duquel on peut trouver de nombreux salons intimistes pour discussions d’affaires ou autre. ça me semble être la meilleure solution, alors que nos pas nous mènent de nouveau du côté de la piste de danse qui attira le regard de Loup Argenté et je sentis dans la prise de sa main qu’elle voulait regarder. Alors je me plie à sa demande, enchaînant à nouveau mes regards entre le spectacle de la danse, évidemment, et les œillades de son côté, découvrant à nouveau un véritable émerveillement.
C’est une valse. Je ne sais absolument pas comment ça se danse. ça fait même assez peur quand certaines sont soulevées dans les airs. J’aurais bien peur d’essayer pareil mouvement, mais c’est assurément très impressionnant à voir. Je ne sais pas danser, oui. A part des choses très populaires qui n’auront sûrement jamais leur place ici. Et qu’elle n’a sûrement pas l’habitude de danser en tant que noble. Alors oui, je danse très mal. Et cette confidence a le don d’en révéler certaines des siennes tandis qu’elle me regarde droit dans les yeux, que l’on tient pour la première fois. Elle prévient de Masque Noir, plus loin, mais il me faut un instant pour retourner à réalité réel, assimilant ces propos. Première fois ? Surement que c’est une noble qui n’est pas du Grand Port, découvrant les divertissements propres à son rang qu’elle ne pouvait pas trop avoir sur l’Archipel, peut-être, ou tout le monde doit se connaître. C’est un relatif petit milieu. Mon cœur s’est mis à battre la chamade, non pas à cause de la présence proche de l’autre, mais parce qu’elle avoue sa peur et son excitation alors qu’elle paraissait si maîtresse d'elle-même jusque-là. Il m’en vient à penser, peut-être à tort, que ce n’est pas cette fête qui l’effraie, mais ma présence. Effroi et excitation. Je ne suis pas physionomiste, mais ce n’est sûrement pas une jeunette. Peut-être comme moi, voire un poil plus jeune. Est-ce par dépit de ne trouver chaussure à son pied qu’elle a pris le risque de participer à cette fête sur le continent et que l’on en arrive au point où elle pourrait avoir jeté son dévolu sur moi ?
Vous pouvez facilement vous imaginer dans quel état je suis, alors. J’aimerais encore plus l’emmener dans un salon privé, mais on nous verrait sortir. L’autre nous verrait. Mais déjà, Loup Argenté prend les devants dans une démonstration efficace de sang-froid et de savoir -faire pour nous introduire sur la piste de danse. Je blanchis légèrement. Si je dois tout miser sur une danse, c’est cruel. Je me laisse guider sans rechigner car je n’y connais rien, rappelons là. Elle m’emporte facilement alors que moi, j’ai surtout le regard baissé pour éviter de lui marcher sur les pieds, ce qui serait du plus mauvais effet. Et ça attirerait l’attention. Evidemment. Chaque faux pas est une occasion de se jeter dans les problèmes. Au sens propre. Heureusement, le rythme est lent. Puis je me rends que si le rythme est lent, c’est qu’il correspond tout particulièrement à une danse romantique où, quand je regarde chez nos voisins, les corps semblent plus proches, les mots chuchotés dans le creux de l’oreille et les regards retenus avec passion. Je note à ce moment le rose de ses joues et je m’empourpre instantanément et sans demi-mesure. Mais Masque Noir est toujours là. Je l’aperçois droit devant moi, furetant sur chaque duo, le sourire pincé de celle qui en a assez de perdre son temps. Je me rapproche alors de Loup Argenté passant ma tête au-dessus de son épaule pour lui glisser un mot.
-Ne vous retournez pas. Elle est en face.
Et tandis que son visage reste caché, je dissimule le mien dans le creux de son cou, bien aidé par sa chevelure brune comme un rideau entre notre traqueur et nous. Aveugle de mes pas, je la laisse totalement me contrôler tandis que je reste attentif à la moindre de ses réactions, au moindre tremblement de sa peau sous mon manteau, de ma main dans son dos, de mes doigts dans les siens et de son souffle dans mon cou. L’autre surveille toujours. Elle passe sur nous, mais ne s’y arrête pas. Parce qu'on n'est pas tiré d’affaires, je reste ainsi et mes pensées ont tout le temps de vagabonder davantage, à semi-tête reposée.
J’aimerais que cette soirée ne soit pas la dernière. J’aimerais la connaître davantage. J’aimerais la voir, sans artifice. Malgré ce que je peux ressentir, ce que j’ai pu voir, ce qu’elle a pu me dire, ces masques sont toujours là. Ce sont des personnalités derrière lesquelles on se réfugie. Peut-être que finalement, elle a joué un rôle. Peut-être que je ne suis pas moi-même pour autant et que nos échanges jusqu’à maintenant sont purement artificielle, mais au fond de moi, je suis profondément curieux d’elle. La vraie elle. On ne connaît que la voix de l’autre, respectivement. Elle ne peut être altérée. Tout le reste, c’est juste une image que l’on se fait. Peut-être qu’on ne sera jamais du même monde, avec les mêmes passions et qu'au-delà des premières impressions, il n’y a nul place à davantage. Mais pour cela, il faut essayer. Par je ne sais quel moyen. Je ne suis pas du genre à dire les mots, à charmer en connaissance de cause. Il faut se connaitre un peu pour pouvoir en dire, mais chercher à se connaître un peu, n’est-ce pas un peu dévoiler que l’on est charmé ?
Déjà, la musique s’arrête. Je lève à nouveau mon regard et je m’aperçois que Masque Noir à fait demi-tour, ayant abandonné ses recherches. Nous sommes désormais libres. Je m’éloigne un petit peu pour lui faire à nouveau face, me plongeant à nouveau son séduisant regard oscillant entre le bleu et le gris. Je ne sais que dire. Pas même que l’autre est partie. Comme si avec cette information, elle me laisserait là pour ne plus jamais m’adresser la parole. Elle attend quelque chose de moi. Je bredouille. Je bafouille. Le peu de peau qui ne l’était pas rougit.
-Je…
Comment lui dire sans être gênant ? Sans être jugé ? Sans être à juste titre déçu ? Sans paraître offensant ? En étant respectueux ? En passant délicatement un doigt sur les siens. Oui. En jetant successivement un regard sur ses lèvres prunes, puis son regard. Cliché, mais je ne suis pas original. En se mordant la lèvre inférieure assez visiblement. Classique ? Des signes de la tempête que je dissimule derrière mon masque. Derrière le semblant de personnalité que je lui expose alors que j’aimerais être juste moi. Même si j’ai aucune chance. Même si ça fait mal.
-Est-ce que… l’on… peut-être…sans arrière… pensée… se voir… vraiment… dans un coin… tranquille… sans tout ça ?
Désignant le personnel, les nobles, les rires et les regards critiques qui obligent à ne pas être soi-même. Alors que je baisse les yeux, me mordillant la lèvre inférieure dans l’attente d’une réponse. Par défaut la pire. Lâche de ne pas la voir venir.