Cela faisait un bon moment que Kasha se contentait de petites missions de contrôle pour le compte de personnes plus ou moins désoeuvrées ayant des soupçons plus ou moins important au sujet de l'un de leurs semblables. Kasha devait alors s'infiltrer aux côtés de la personne soupçonnée pour aller jeter un oeil dans certains de leurs documents, qu'elle rangeait ensuite, sans rien leur voler, puisqu'elle notait les informations nécessaire sur son calepin. Le but était que sa cible ne sache jamais qu'elle était passée par là. Même si elle se souvint avec un sourire de sa dernière mini-mission dans ce genre : pour une fois, la cible semblait avoir quelque chose à se reprocher, mais la demoiselle n'avait jamais eu l'occasion de s'en assurer, puisqu'un certain conseiller royal semblait avoir décidé de lui mettre des bâtons dans les roues... En tous cas, cette fois-là n'était pas la première fois qu'il arrivait quand elle voulait être seule...

Mais d'un autre côté, peut-être que Lucy l'avait simplement envoyé pour lui faire passer un message : il était temps de refaire une mission plus importante, en groupe. Ce qu'elle avait fait. Une fois de retour à la Guilde, elle avait commencé par faire une longue sieste... En réalité, elle avait dormi presque vingt-quatre heures d'affilée. C'était ça, de ne pas pouvoir se reposer après une utilisation intensive de pouvoir et des émotions tout aussi intenses...

Toujours était-il qu'après sa longue sieste, elle était directement allée chercher sa prochaine mission. En groupe. Elle avait appris sa leçon. Elle avait choisi la première mission qui lui correspondait un minimum. Il s'agissait là d'exploration. Normalement, aucune infiltration ne serait nécessaire, elle n'aurait donc pas à encombrer ses bagages des déguisements qu'elle emportait normalement partout avec elle.
Mais, quand on a dormi si longtemps, on a d'autres besoins urgents. C'est pourquoi elle confia à un hôte présent près d'elle son intention de se rendre au reliquaire, ainsi que la mission de retenir un éventuel autre candidat, ou de lui demander de revenir. En effet, son estomac criait famine, elle se donnait donc le temps d'un repas pour trouver avec qui partir.

Une fois son repas terminé, elle revint dans le hall, comme prévu. Et elle ne tarda pas à repérer son acolyte du moment, lequel était en train de discuter avec une jeune femme. Elle avait probablement trouvé sa partenaire. La saluant d'un signe de tête si leurs regards se croisaient, elle se plaça dans le champ de vision de l'hôte et attendit qu'il lui fasse son compte-rendu... Quand il serait prêt à le faire.

Elle n'eut pas à attendre bien longtemps. Il releva la tête et lui fit signe :

- Kasha, cette jeune femme sera ta partenaire.

Puis il fit les présentations :

- Voici Agneta Lindahi, une jeune recrue prometteuse. Et Agneta, je te présente Kasha Shlinma, notre spécialiste de l'infiltration ! Même si, pour être honnête, je ne pense pas que ce talent vous sera utile dans cette mission.

Kasha hocha la tête, et sourit à Agneta :

- Enchantée.

Puis elles étaient parties. Kasha ne se souvenait pas de si elles avaient mis du temps pour se préparer, si elles avaient fait autre chose, une pause, peut-être avant de se metrre en route. Toujurs est-il qu'elles n'avaient pas vraiment discuté. C'était dommage, se dit-elle. Vu la manière dont l'hôte les avait présentées, il s'attendait peut-être à ce que Kasha serve en quelque sorte de mentor à sa jeune compagne. Il allait être déçu.

Revenant à la réalité, elle observa les alentours. La caravane était toujours en marche, traversant des lieux paisibles. Les deux aventurières devraient en profiter pour discuter. Après tout, si elles devaient travailler ensemble, il faudrait qu'elles en sachent un peu plus l'une sur l'autre que simplement son nom et sa spécialité. Mais, alors qu'elle cherchait un sujet de conversation, le chef de caravane leur signifia qu'elles étaient arrivées.

Offrant un sourire à sa partenaire, lequel avait été son principal moyen de communication depuis leur départ, elle l'accompagna dans le village, après avoir remercié le chef de caravane et son équipe.

Elles ne tardèrent pas à rencontrer une jeune femme dont Kasha ne put s'empêcher d'admirer la tenue... Et le professionnalisme, qui devint très vite évident. Kasha hocha la tête aux explications, préparant déjà quelques questions qu'elle pourrait poser. Mais très vite vint la proposition d'une pause avant de s'y mettre. Remerciant la femme avec l'un des signes de tête associés à un sourir dont elle avait le secret, elle se tourna vrs sa partenaire :

- Qu'est-ce que tu préfères ? On visite ou on y va tout de suite ? Personnellement, j'aimerais bien discuter un peu, histoire de te connaître un peu mieux avant de s'y mettre. Mais on peut aussi discuter en cours de route, comme tu préfères.

C'était le plus long monologue qu'elle avait prononcé depuis qu'elle connaissait Agneta. Elle espérait simplement qu'il ne s'agissait pas de quelqu'un de trop réservé, sans quoi, une personne qui parlait trop pourrait l'effrayer...

Elle ne l'avait pas imaginé comme ça. Au final, la guilde des aventuriers était un repère comme l'avait été son auberge pour les alcooliques, sauf qu'ici, il s'agissait d'hommes et de femmes rêveurs, sanglants, avides de découverte et de combat. Elle n'avait jamais su pourquoi son instinct l'avait poussé jusqu'ici, elle n'avait pourtant pas l'étoffe d'une aventurière dans sa robe longue rose pâle qui dénotait avec l'atmosphère terne d'ici. Puis, Agneta ce n'était pas ce petit bout de femme qui se plaisait à aller fouiner chez les autres, non, tout le monde était bien à sa place, et la sienne, elle ne l'avait pas encore trouvée.

Elle ne savait combien de jours voire de semaines s'étaient écoulés depuis qu'elle avait fièrement mis les pieds dans la guilde, elle se souvient juste de cette monotonie qui s'était progressivement installée et lui avait fait remettre en question tous ces choix : et si finalement, ce n'était pas pour elle ? Elle regardait sans cesse les missions dans les registres : dangereuse, lointaine, pour les expérimentés. Elle soupira. L'hôtesse qu'elle harcelait depuis le premier jour s'empressa de lui faire un signe de la main, elle avait quelque chose à lui proposer. Reliquaire de Sainte Pampersa. Elle s'émerveilla et s'empressa d'accepter.

Etonnamment, on lui avait accordé, la proposition aurait pu être simplement par pure politesse, mais il n'en était rien, à croire que cette mission était si peu importante qu'on prenait le premier venu pour s'en débarrasser. Elle ne s'en plaignait pas, ses yeux étaient remplis d'étoiles et son cœur battait comme pour un premier amour. Elle allait enfin voyager. Du moins, c'est ce qu'on lui avait dit. Elle avait encore attendu, attendu ce partenaire mystérieux dont on ne lui avait soufflé que le nom de Kasha.

Puis elle était arrivée, Agneta ne sachant pas dire s'il elle avait à faire à une femme ou à une ombre. Il y avait cette aura mystérieuse, ce regard sûr et peut-être aussi la lueur d'une aventurière expérimentée. C'était donc ça, la vraie vie. Elle n'en revenait pas. Elle parlait à demi-mots à tous ceux qui l'approchaient, fixant du regard sa nouvelle partenaire. Elle lui avait parlé. C'était un signe.

- Enchantée, balbutia-t-elle.

Elle ne décrocha pas son regard une seule fois, le paysage lui passant sous les yeux pendant tout le trajet. Elle n'osait rien dire par peur de se ridiculiser, rien faire par peur de mal le faire. Kasha semblait inébranlable, comme si l'exploration qui les attendait était d'une simplicité sans égal. Après tout, pour une spécialiste de l'infiltration, il ne doit pas y avoir de grandes difficultés se dit-elle.

Le village de Havrepin ressemblait plus ou moins à ce qu'elle avait imaginé, un lieu de vie, de rire et éphémère. Elle descendit de la caravane, accompagnée de Kasha et d'autres voyageurs, mais une sensation ne disparaissait pas. Crainte ? Joie ? En vérité, elle ne savait pas trop à quoi s'attendre concernant ce reliquaire, en fait elle ne comprenait pas forcément les enjeux derrière, après tout, qu'est ce qu'une petite boîte ou un réceptacle aurait de si grande valeur ?

Agneta avançait, lentement, admirant la ville vivre sous les brouhahas incessants. Puis il y eut cette femme, Queenie. Encore plus impressionnante que Kasha aux yeux d'Agneta, une femme assidue, concentrée et rigoureuse, voilà ce qu'elle en pensait. La tension se relâcha, Queenie savait débloquer les situations, et Agneta ne refuserait sûrement pas un en-cas au vu du son de son ventre. Elle s'étonnait d'ailleurs qu'aucune remarque ne lui ait été faite depuis.

- Qu'est-ce que tu préfères ? On visite ou on y va tout de suite ? Personnellement, j'aimerais bien discuter un peu, histoire de te connaître un peu mieux avant de s'y mettre. Mais on peut aussi discuter en cours de route, comme tu préfères.

Agneta tourna le regard, un peu à la manière d'une statue de pierre dont le buste et la tête se séparait en asynchrone. Son ventre émit un énième gargouillis.

- A vrai dire ... Si on pouvait aller se manger un petit quelque chose avant la route. Ce serait dommage de commencer à piquer dans les réserves, dit-elle en accompagnant un sourire un peu gêné.

Elles se dirigèrent dans l'antre de la ville, les pieds remuant la poussière à chaque pas. Cette première mission serait aussi pour elle l'occasion de découvrir d'autres villes, d'autres contrées, à commencer par une nouvelle auberge. Pour certains, l'auberge était un lieu de convivialité qui proposait autre chose que du gruau, pour Agneta, il s'agissait d'une deuxième maison, et ses standards étaient biaisés.

Le panneau en bois qui indiquait l'auberge semblait neuf, elle poussa la porte en bois et laissa sa partenaire rentrer. C'était un monde à part. Il n'y avait pas d'alcoolique, du moins, pas assez. Où était la fête ? Les rires ? Quel était ce monde si sérieux dans lequel elle venait de pénétrer ? Nerveusement, elle fit des petites boules avec les plis de sa robe et s'avança en silence vers l'une des tables vides. Elle pris place sur le banc en face de sa comparse et regarda avec insistance l'un des jeunes hommes qui semblait servir ici.

Il ne se fit pas prier, et tout sourire proposa un plat du jour, Agneta n'eut pas la force de refuser et accepta en priant pour qu'elle ne se retrouve pas avec un plat douteux ou bien trop classique. Le jeune homme reparti, elle se décida à briser la glace, mieux fallait être naïve que muette.

- Dis-moi Kasha, tu as beaucoup voyagé pour tes missions ? Elle poussa un petit rire nerveux. Je veux dire, je pense que tu as beaucoup plus d'expérience que moi ! Tu viens de finir la dernière ? Comment c'était ?

Ses yeux brillaient comme ceux d'une enfant à qui on comptait la planète au trésor. Elle avait volontairement omis de signaler que pour elle, c'était sa toute première mission. Elle se savait débrouillarde, pas forcément dans les bons moments, mais elle saurait faire de son mieux.

Les plats arrivèrent, et plantant sa fourchette dans un morceau de ce qu'elle jugeait être de l'aubergine confite, elle se demanda si ses questions n'étaient pas trop intrusives.

Hmm ? Elle avait eu peur de lui parler de son manque d'expérience ?

- Mais pourquoi avoir peur de ça ? On a tous commencé quelque part, il n'y a aucune honte à cela !

Puis elle développa, arrachant un nouveau sourire attendri à Kasha quand elle se traita de "gamine rêveuse". De ce dont elle se souvenait, cela avait aussi été son cas, plus jeune. Rêveuse et surtout ayant soif d'apprendre. Et elle hocha la tête à la mention d'un "ami" qu'elle pensait recroiser.

- Je suis dans le même cas. C'est un cousin qui m'a donné l'envie de rejoindre la Guilde, et on ne s'est plus vus depuis mes 15 ans... J'en ai 27 aujourd'hui, autant dire que je désespère de recroiser sa route un jour...

Elle se détacha un instant de la conversation, s'autorisant un instant de rêverie. Elle tentait d'imaginer ce que faisait ce spécimen qu'était son cousin à cet instant... Mais, évidemment, elle ne trouva rien. En train de vider une choppe de bière, sans doute. Elle ne savait pas grand-chose de plus à son sujet. Peut-être en avait-elle oublié une grande partie, cela dit.

Elle revint alors à la conversation, quand sa cadette lui confia son aversion pour le combat. C'était LE sujet épineux.

- Ah, ça... Moi non plus, je n'aime pas ça, mais tu découvriras vite qu'en tant qu'aventurière, tu as besoin de maîtriser au moins les bases d'une ou plusieurs armes.

En guise de démonstration, elle sortit l'un de ses poignards (le normal, il ne manquerait plus qu'elle fasse des dégâts sans le vouloir avec l'empoisonné) et fouilla dans ses vêtements pour trouver l'une des dagues qu'elle y cachait toujours. Les présentant alternativement, elle expliqua :

- Par exemple, ce poignard fait partie des armes que j'ai prises sur cette mission. De la même manière, où que j'aille, je cache toujours plusieurs dagues comme celle-là sur moi. Evidemment, je ne suis experte avec aucune de ces lames, mais je sais me défendre. C'est le minimum nécessaire.

Alors qu'elle rangeait ses lames avec précaution, elle poursuivit :

- Pour cette fois, je veux bien m'engager à assurer ta sécurité si nécessaire. Mais une fois rentrée à la Guilde, tu devras trouver quelqu'un pour t'enseigner les bases. Et ce ne sera pas moi : il te faudra quelqu'un qui maîtrise plus que bien ce que tu auras choisi comme arme.

Néanmoins, elle voulut nuancer son propos, pour le faire mieux passer, mais elle fut coupée de court. Repartir... Oui, évidemment. En sortant, dans le silence, elle se mit à sa hauteur pour lui presser doucement l'épaule de façon rassurante. Oui, elle veillerait sur elle... En espérant ne pas croiser de monstre ou toute autre menace dépassant ses compétences... Mais ça, il était hors de question qu'elle le lui dise. De toutes façons, en cas de danger trop important, elle comptait en premier lieu s'arranger pour que sa cadette puisse fuir. Si elle-même pouvait la suivre, ce serait parfait, mais... Ce ne serait que du bonus. La meilleure des solutions étant évidemment de ne pas croiser de danger... Et donc, de ne pas en provoquer inutilement. Par exemple, si elles croisaient une bête qui ne les avait pas vues, il faudrait s'arranger pour qu'elle ne les voie jamais.

Elle sortit de ses sombres pensées pour saluer Queenie... Qui les quitta presque immédiatement pour aller au petit coin. Bon. Alors qu'elle cherchait un sujet auquel penser, ou auquel discuter avec Agneta, elle ne put s'empêcher de pouffer à la blague du propriétaire des lieux... Avant de se demander pourquoi. Cette blague n'avait rien de spécialement drôle, elle était plutôt classique... Du genre à la laisser indifférente... Habituellement. Peut-être la présence d'Agneta la rendait-elle plus joyeuse, et en tous cas plus agréable, pensa-t-elle. C'était un effet intéressant, qui vaudrait la peine d'être étudié de plus près...

En suivant la soeur, Kasha reporta son attention sur la jeune femme. Elle semblait anxieuse. Et il était impossible de lui en vouloir. Se voulant rassurante, Kasha lui saisit la main et la pressa doucement :

- Quoi qu'il arrive, n'oublie pas que tu n'es pas seule. Si tu as besoin d'aide, ou juste de soutien, n'hésite pas à me demander.

Elle avait réussi à garder une voix calme et confiante, mais, lorsqu'elle aperçut les lieux, elle ne put empêcher un frisson de curiosité la traverser. Elle aimait découvrir de nouveaux lieux. Même si elle se doutait que cette visite n'aurait rien d'une partie de plaisir, elle ne pouvait s'empêcher d'être fascinée. Lâchant la main de sa cadette, elle s'avança, presque sans s'en rendre compte, vers les gardes, et s'arrêta à leur niveau, plissant les yeux pour essayer de percer les ténèbres qui semblaient avaler l'escalier. Elle avait envie d'aller explorer, là maintenant tout de suite. Mais elle se souvint alors de ce qu'elle avait dit : "tu n'es pas seule"... Cela comptait pour elle aussi. Alors, se reprenant, elle revint vers sa compagne :

- Qu'est-ce que tu en penses ? Personnellement, j'aime explorer, découvrir, c'est mon rôle, après tout, donc aller voir les environs est très tentant. Mais si c'est déjà fait, autant directement demander à ces gens ce qu'ils ont trouvé. Ou on peut y aller directement, même si je déconseillerais de se plonger dans l'inconnu alors qu'on a la possibilité de se renseigner avant.

Elle pensait lui avoir exposé correctement les différentes options et ce qu'elle en pensait. À Agneta désormais de prendre la décision finale.

Les ténèbres. Si une seule fois dans sa vie elle avait du dire qu'elle s'était confrontée au mal, cela aurait été à cet instant précis. Les pierres sculptées par le temps et le vent ne faisaient que pâle figure, de simples figurants sur une vaste pelouse, fade, désolée. Ses yeux se dirigeaient sans le vouloir vers cet antre noirâtre dont émanait une étrange sensation. Elle le savait maintenant, cette quête qu'elle croyait être sans grande importance se révélait plus délicate qu'il n'y paraissait. Un village, un escalier, deux univers. Elle se souvenait du rire de l'aubergiste comme un son d'antan, comme si tout n'avait plus d'importance.

Décontenancée, elle posa son regard sur Kasha qui, même sans trembler, semblait elle aussi intriguée.

- J'en pense que tu es la mieux placée pour savoir quoi faire.

En disant cela, elle s'arrêta. La paranoïa ? Elle scruta Queenie et les deux gardes, l'apparence angélique de l'une et loyale des autres, mais qui avait osé dire que tous ici étaient dignes de confiance ? Agneta n'avait jamais douté de personne. Jusqu'à maintenant. Ce n'était pas un doute vil et porté par une haine des gens, c'était un doute lié à l'incertitude : et si quelque chose avait été oublié, là, dehors, parmi ces rochers ?

- On est jamais mieux servi que par soi-même. Garde, aventurier, tout le monde peut commettre une erreur. On repasse derrière.

Les mots prononcés par sa partenaire plus tôt revenaient en boucle. Une mauvaise chanson. Bien qu'elle ne sache pas se défendre comme une guerrière, elle savait se servir d'un couteau, passablement, disons pour cuisiner. Elle n'y avait jamais réfléchi, était-elle capable de planter l'un deux dans une chair pour lui ôter la vie ? Elle secoua doucement la tête et s'avança vers la structure de pierres.

C'était aussi pour ça qu'elle reculait l'échéance.

La brise caressait chaque être, chaque rocher et l'atmosphère ici, sans voir ce trou béant vers l'inconnu, était bien plus paisible. Le ballon roula entre deux mégalithes, instinctivement, Agneta le suiva. Derrière, le calme régnait en maître. Elle comprenait désormais d'où venait toutes ces sensations étranges. La mort, omniprésente. Là, sous un amas de rochers imposants formant une arche, se trouvait quelques pierres plates et quasiment lisses dont on devinait encore une inscription. À la mémoire de ceux qu'on avait chéri, de ceux que l'on avait haït. A nos anciens et à nos enfants.

Un peu plus loin trônait un petit autel, lui aussi tout de pierre, où quelques maigres restes d'offrandes gisaient. Même si Agneta n'avait jamais été croyante, elle comprenait que certains dédient leur vie à la Déesse. Lucy était pour quelques-uns une lueur, un espoir, une vocation. Elle regarda au loin la silhouette de Queenie et se demanda ce qui l'avait bien poussé à choisir cette voie et si aujourd'hui elle était épanouie dans celle-ci. Comme tout le monde, elle pouvait regretter ses choix.

La petite brune effleura l'autel de ses doigts. Perdue dans ses pensées, sans même savoir si Kasha l'avait suivie, elle pensa à voix haute.

- Qu'est-ce que tu en penses ?

Qu'en était-il vraiment de ce reliquaire ? Pourquoi nul ne s'était enfoui dans cet escalier pour y dénicher la vérité ? Y-avait-il là d'autres motivations. Elle sentait sa raison s'évanouir, elle ne devait plus réfléchir, il fallait y aller.

- Quand tu veux. Les ténèbres nous attendent.

Elle retira sa main de l'autel et se tourna en direction de l'escalier maudit.

Résumé:

Sa cadette semblait ne pas trop savoir que faire. Après l'avoir observée un moment, Kasha ne put s'empêcher de se sentir attirée par ce lieu. Bien sûr, il lui semblait tout sauf accueillant, mais il était surtout inconnu. Et l'inconnu avait un étrange pouvoir d'attraction sur elle. Néanmoins, elle savait que cela pourrait être du suicide d'y aller seule. Alors, en attendant qu'Agneta se décide à y aller, ou exprime une volonté, quelle qu'elle soit, elle décida de vérifier son équipement... Et c'est là qu'elle réalisa une erreur qui pourrait lui coûter cher, surtout dans un endroit visiblement si sombre. En effet, elle avait bien pris des torches... Mais rien pour les allumer. Autant dire qu'il ne s'agissait plus que de morceaux de bois inutiles, tout juste bons à l'encombrer pour rien. Pestant contre elle-même, elle ne put cependant se résoudre à les abandonner. En effet, elle restait convaincue qu'elle pourrait leur trouver une utilité : Agneta ou Queenie auraient peut-être de quoi faire du feu, si cela devenait indispensable. Et, dans le pire des cas... Elle pourrait peut-être s'en servir à la manière de gourdins, même si la forme ne correspondait pas et qu'elle ne savait de toutes façons pas utiliser le gourdin. Mais elles pouvaient toujours être utiles, tenta-t-elle de se convaincre.

Alors qu'elle rangeait de nouveau ses affaires, elle fut surprise par la question de sa partenaire. Avant de répondre, elle prit le temps d'explorer les environs une fois de plus :

- Tu veux une réponse honnête ? J'en pense que cet endroit est peut-être un peu inquiétant, mais que je suis aussi extrêment curieuse. C'est peut-être une mauvaise idée, mais j'ai envie de l'explorer... D'un autre côté, nous sommes là pour ça.

La remarque qui suivit lui arracha un grognement. Les ténèbres... Elle ne croyait pas si bien dire, pensa-t-elle, amère, son esprit, farceur, lui montrant tous les objets qu'elle aurait pu amener et qui lui auraient permis d'aller ses torches.

Néanmoins, l'un des gardes semblait pouvoir lui sauver la mise... En fait non, il n'y avait pas de flamme. Alors, elle fit ce qui s'imposait. S'approchant d'Agneta, elle lui demanda :

- Ecoute... C'est une erreur de débutante, mais je n'ai rien pour faire de feu... Est-ce que tu as su mieux te préparer que moi ?

Sous-entendu, est-ce que tu as l'un de ces objets qui me tournent vicieusement dans la tête en ce moment précis ? Si elle répondait positivement, Kasha lui laisserait la lanterne, n'en ayant de toutes façons aucun utilité.

Et cette lanterne se révéla bien vite inutile, à en croire l'illumination soudain de la salle où elles avaient atterri. Kasha ne put retenir son émerveillement devant chaque détail de ces lieux.

Elle en était encore là de ses explorations, quand une voix se fit entendre, la faisant sursauter. Une énigme assortie d'une menace de mort ? Sérieusement ? Elle ne pensait pas que ce genre de choses existaient dans la réalité. Pour elle, tout cela n'était que pure fiction. Néanmoins, était-elle prête à tester la véracité de ces propos en ne tentant rien pour les élucider ? Et d'ailleurs, ces mots étaient certes menaçant, mais ne donnaient aucune indication sur les circonstances de cette fameuse "fin funèbre"... Si elles fuyaient par l'escalier, y échapperaient-elles ? Cette menace serait-elle plutôt mise à exécution si elles restaient trop de temps sans trouver la bonne réponse, auquel cas, il leur faudrait se dépêcher ? S'exécuterait-elle en cas de trop nombreuses mauvaises réponses ? Aucune de ces questions ne lui semblaient plus légitime que les autres, et, surtout, elle ne savait répondre à aucune d'elles. Ce qui la faisait sérieusement douter. Cependant, elle ne pouvait nier qu'un autre avis l'éclairerait certainement sur la question.

- Agneta...

Elle attendit d'avoir son attention, puis demanda :

- Sincèrement, que t'inspire cette petite poésie ?

Si Kasha venait à chercher à la résoudre, ce serait plus par curiosité qu'autre chose. Elle se sentait un peu mal à l'aise, mais pas franchement en danger. À moins, évidemment, que sa cadette réussisse à la convaincre qu'il fallait la prendre au sérieux.

Rien ne préparait à ce tourment, à cette angoisse qui dévorait de l’intérieur. Ni les romans, ni l’adrénaline. Pourtant, plus d’une fois, elle avait imaginé ces scénarios rocambolesques dans sa tête, tout comme d’autres les avaient contés au coin d’un feu ou autour d’un repas. La sensation d’étouffer prenait de plus en plus d’ampleur à mesure que les marches pénétraient au centre de la terre, elle ne montrait rien, Agneta restait digne et droite comme un piquet, pour se rassurer ou pour rassurer la religieuse qui les suivait. Tout s’envolait à chaque marche : les paroles, les éclats dans les yeux, et même les espoirs. Pourquoi diable ce trou n’avait-il pas été exploré auparavant ? Qui fallait-il sacrifier pour trouver la vérité ?

Puis vint la lumière, dans ce trou sombre, jaillit des milliers de lumières tels des petits diamants. La salle était d’une architecture tout bonnement banale, mais révélait des décorations plus qu’atypiques. Un petit musée niché sous les ancêtres. Elle se prit à contempler avec admiration et ferveur les gravures anciennes : comme dans un livre illustré, on y retrouvait ces batailles épiques contre des bêtes légendaires. Si la brune oubliait sa quête, elle aurait pu rester une éternité dans cette caverne fantastique, à démembrer chaque morceau.

Mais la voix la ramena à la réalité.

Elle ne trembla pas. Elle n’était certes pas la plus affûtée du tiroir, mais elle avait assez feuilleté de bouquins et rêvé d’aventure dans sa jeunesse pour savoir que tout énigme avait une solution. Il ne fallait pas faiblir. Ses commissures se levèrent doucement à la demande de sa comparse. Une poésie, si c’était comme ça qu’elle le voyait, cela lui facilitait les choses : Kasha ne cédait pas à la peur.

Agneta sortit de son sac son petit carnet, en arracha une feuille et dégaina l’un de ses crayons qu’elle peina à trouver.

- Je m’attendais à une sortie survie, mais pas de ce genre.

Elle enjamba le grand port sculpté au sol et s’approcha des murs endoloris de bas-reliefs et de gravures. Elle les scrutait, minutieusement : elle ne savait pas si cela allait lui apporter grande information. Elle laissa sa main effleurer d’un d’eux. La chose la plus ancienne ? Elle soupira. Si ces combats existaient, alors Aryon était plus vieux déjà puisque le pays les avait accueillis. Il en était de même pour le joli faciès de Lucy, bien que non-croyante, elle se doutait que pour certains l’existence d’une divinité remontait à bien avant, mais encore, faute de preuves, il était impossible de statuer. Elle revint au centre et posa un pied de chaque côté du grand fleuve, les mains tenant respectivement un crayon et une feuille de carnet, toutes deux posées sur ses hanches.

- Bon, ma petite dame…

Elle griffonna quelque chose avec ardeur, le plia en quatre et le remit du bout des doigts à sa comparse. Dessus, cinq arcs de cercle inversés se rejoignant, formant une petite étoile, suivi d’un point d’interrogation.

- J’ai bien peur que le moindre mot sortant de ma bouche soit pris comme une réponse définitive par notre Dieu de pacotille, dit-elle dans un clin d’œil subtil. J’attends ta propre interprétation maintenant.

À deux, elles allaient réussir.

Sortie survie... D'accord, Agneta croyait à cette histoire de "fin funèbre". Et elle tentait réellement de résoudre l'énigme. D'un autre côté, avaient-elles vraiment le choix ? Avec un soupir, elle se soumit à son tour à l'exercice. Sa cadette avait fait son choix. Elle pensait aux étoiles. En lui rendant le papier, elle se contenta d'un :

- D'accord, laisse-moi étudier tout ça une nouvelle fois avant de te répondre.

Après tout, si rien ne disait qu'elles avaient tout leur temps, rien ne disait non plus qu'elles avaient un temps limité. Elle décida donc qu'elle pouvaient largement se permettre de réfléchir afin de donner la meilleure réponse. Alors, elle revint vers l'entrée, tentant de se remettre dans son état d'esprit de lorsqu'elle était arrivée dans la pièce. La première chose qu'elle remarqua fut le manque d'issue. Mais elle ne pensait honnêtement pas que cela faisait partie de l'énigme.

Ensuite, elle observa le plafond. C'était une copie d'une incroyable précision du ciel nocturne, chose qu'elle n'avait pas remarquée de prime abord. Mais on ne lui demandait pas de faire une critique d'art. Elle se concentra donc et reprit son exploration.

Le Temple et Lucy. Même si elle n'était pas pratiquante, elle croyait en cette dernière, mais la placer chronologiquement avant les étoiles ? Impensable. Certains diraient que les divinités pouvaient créer le monde, et, si les étoiles étaient considérées comme en faisant partie, Lucy leur serait donc antérieure. Mais Kasha considérait ce point de vue comme alambiqué. Elle décida donc que, jusque-là, Agneta avait juste.

Observant ce qui restait, elle hocha la tête négativement. Aryon et ses guerriers étaient clairement bien plus récents. Elle se préparait à donner sa réponse, puis se ravisa. Agneta lui avait clairement dit qu'elle soupçonnait que la première réponse pronocée serait considérée comme étant la leur. Elle décida de lui faire confiance sur ce point. Elle saisit donc elle aussi son carnet, qu'elle considéra un moment. Il s'agissait du même carnet que celui qu'elle utilisait pour prendre des notes au cours de ses petites infiltrations quasi quotidiennes... Elle devrait faire attention à ne pas l'égarer. Et, en tournant la page, elle nota également que cela pourrait être une bonne idée de s'en racheter un : en effet, elle avait dépassé la moitié des pages disponibles, et puisqu'elle utilisait cet accessoire très souvent, autant prendre de l'avance sur le besoin qui se ferait bientôt sentir.

Enfin, le moment était plutôt mal choisi pour se poser des questions d'ordre pratique. Elle inscrivit donc rapidement sur la page vierge qu'elle venait de dévoiler :

"ça se joue entre Lucy et les étoiles. Mais je vais te faire confiance."

Puis elle lui passa son carnet et attendit qu'elle ait terminé de lire, avant d'annoncer d'une voix claire :

- Nous choisissons les étoiles.

Tic. Tac. Tic.

Ses yeux restaient posés sur Kasha. Un soulagement, une angoisse. Si celle aux yeux dorés avait décidé de lui faire confiance, il fallait maintenant que la solution s'avère être la bonne. Quelques secondes déjà que les mots furent prononcés, et depuis, le silence dans lequel pourtant, Agneta pouvait ressentir chaque frisson du temps qui passe.

Tic. Tac. Tic.

Elle fit un pas en arrière, surprise de voir cette pauvre Déesse se faire ouvrir en deux, pile entre les yeux. Remettant une mèche derrière son oreille, la jeune femme adressa un regard soutenu à Kasha et toutes deux avancèrent prudemment vers l'espace béant qui s'était créé. Encore un foutu escalier. Si le dernier lui rappelait une descente aux enfers interminable, elle espérait que celui-ci se révèle plus clément. Et il le fut.

Peu habituée des sensations fortes, Agneta ne put réprimer son petit cri de surprise. Elle toucha dans la panique la main de son acolyte et lui murmura doucement son excuse.

- J'ai cru que Queenie avait été changé en pierre.

En le disant, elle sut que la probabilité pour que cela arrive était proche du néant, mais après s'être fait menacer par une voix mystérieuse, elle s'attendait à tout. Un pas de plus en avant, et comme auparavant, les diamants illuminèrent le ciel. À bas la pièce cubique, à bas les gravures et les bas-reliefs, ici commençait la véritable histoire bourrée d'énigmes, celle que tout le monde avait suivie avec fougue dans leur jeunesse étincelante.

Agneta ne prêtait pas vraiment attention aux diverses zones qui se dévoilaient sous la lueur chaleureuse des cristaux, elle ne pouvait s'empêcher de penser à cette statue. À Queenie. Quelque chose ne tournait pas rond. Elle ne savait l'expliquer, elle ne le comprenait pas bien elle-même, mais toute cette histoire de relique lui paraissait farfelue. De ce qu'elle en savait, la religion était une affaire de temps plus que de croyance : tout se transmettait par les fidèles, de génération en génération pour perpétuer ce qui avait été créé, ou ce qui avait été. Agneta ne savait pas comment une relique, quelque chose de si important, soit tombée dans l'oubli sans que personne ne le remarque. À moins qu'elle ne l'ait été en toute conscience, pour une bonne raison, ou que cette Sainte n'ait jamais existé. Elle n'arrivait plus à réfléchir, ses yeux se refocalisèrent sur ces trois zones puis son attention fut reprise par cette même voix grave et monotone.

Il n'y avait cette fois rien à observer si ce n'était ce que les deux femmes voyaient d'où elles étaient. À choisir, à l'instinct, elle aurait pris la cuisine pour son attrait naturel, parce qu'elle y avait toujours vécu et qu'au fond, elle saurait gérer un drame en cuisine. Plus ou moins, si cela n'impliquait pas un meurtre au couteau à beurre.

Chou blanc, c'était le terme, elle avait su proposer quelque chose pour la salle précédente, celle-ci était une autre paire de manche. Elle ne voyait que des pièges, partout, des signes grondants et menaçants, mais arrivée jusqu'ici elle ne voulait surtout pas faire demi-tour.

- Je sais améliorer les ingrédients.

Elle passait les détails, elle ne savait même pas si cette information avait quelconque importance, mais elle jugeait que s'il y avait un moment pour dévoiler son pouvoir pas très impressionnant, c'était maintenant. Ses lèvres se tortillaient sur son visage, trahissant son incertitude et ses craintes.

- Je n'ai pas forcément mieux à proposer, elle fit un pas en arrière comme pour montrer que leur choix n'était pas fait. Pas très glorieux comme talent, je sais.

En y réfléchissant bien, la quête ne prévoyait pas d'arrêt marmites et souper, ni de trésor coruscant. Il s'agissait de trouver le reliquaire, tout simplement. Ce court périple qui les avait menées à ce choix final ne laissait place qu'aux ténèbres suivies de la lumière. Elle prit une inspiration. Il fallait croire en ce feu intérieur, qui maintient éveillé, en vie et courageux. La vraie peur était celle qui se faufilait comme un animal dans la colonne vertébrale, du bas vers le haut, rampant à chaque seconde et qui paralysait le plexus d'une force inhumaine. Si Agneta avait ressenti ça, elle se serait enfuie. Mais tout était calme, la petite inconsciente ne savait pas ce qu'était la peur et ne le saurait sûrement jamais.

- Mais je pense aussi que mon feu intérieur, celui qui brûle en moi, est capable d'éclairer les chemins les plus sombres. En tout cas, ce n'est pas ici que j'aspire à la richesse.

Lorsque la statue se brisa, Kasha ne prit pas le temps de s'inquiéter. Plissant les yeux, elle émit une simple conclusion :

- J'imagine que c'était la bonne solution.

Les nouvelles marchent à gravir ne la dérangèrent pas excessivement... Ce furent les toiles d'araignées qui la firent râler alors qu'elle se frayait un chemin parmi elles. Heureusement pour elle, le calvaire prit bientôt fin, alors qu'elles arrivaient dans une nouvelle salle.

Alors qu'elle commençait à l'observer, elle sentit la main d'Agneta sur la sienne. Par réflexe, elle se saisit de cette main, qu'elle serra dans un geste rassurant. Puis l'explication la convainquit de regarder autour d'elle. La statue. L'observant, Kasha comprit.

- C'est vrai que c'est très... Réaliste. Mais je pense que ce bâton est une sorte de signe de reconnaissance ou quelque chose comme ça.

Puis, lâchant la main de sa cadette, elle s'avança prudemment pour observer, d'abord la cuisine, puis le gouffre. De délicieuses oderus lui parvenaient de derrière la porte... Ce qui éveilla sa méfiance. Lorsqu'elle s'avança, elle dut se retenir à la statue, prise de vertige face à la profondeur du gouffre. Elle n'était normalement pas sujette au vertige, mais le fait de ne pas voir le fond de ce trou l'impressionnait. Prudente, elle revint au centre de la pièce, sans un regard pour le trésor. Au lieu de quoi, Agneta elle-même se chargea de lui donner quelque chose sur quoi se concentrer. Améliorer les ingrédients ? Pourquoi lui dire cela maintenant ? D'un autre côté...

- Est-ce que je dois comprendre que la cuisine t'intéresse ? Personnellement, c'est mon cas aussi... Et c'est précisément la raison pour laquelle je ne pense pas qu'elle soit la bonne solution.

Puis sa cadette élimina le trésor. Ne l'ayant jamais envisagé, Kasha ne put qu'acquiescer. Puis elle exposa son propre avis :

- Les choix les plus tentants sont probablement là pour nous induire en erreur. Alors que la route à l'apparence dangereuse pourrait en fait s'avérer être la plus sûre.

D'autant plus que cette fois, elle avait de la corde avec elle. Donc elle pouvait descendre en rappel. Elle ne savait pas si Agneta était également équipée pour ce genre d'expédition, mais cela ne l'inquiétait pas : une corde, ça peut se partager. Elles devraient simplement passer l'une après l'autre. Si Agneta n'avait pas de corde. Et si elle était d'accord avec elle. Et si ce bâtiment semblant doté d'une volonté propre ne leur facilitait pas une fois de plus la tâche. Après tout, ce gouffre était si sombre qu'il serait facile d'y cacher un énième escalier...

Alors qu'elle attendait la réponse de sa cadette, elle préparait déjà sa corde, bien décidée à prendre le chemin qu'elle avait choisie. Si sa partenaire du jour n'était pas d'accord, elle n'aurait qu'à tenter de la convaincre. Et si elle n'y parvenait pas... Eh bien, elle aurait encore fait une action inutile. Mais si elles tombaient d'accord, cette préparation leur ferait gagner de précieuses minutes, même si cette série d'épreuves ne semblait pas chronométrée.

Elle n'avait pas véritablement de raisons de choisir un chemin ou l'autre, si ce n'était des capacités. Effectivement, le souterrain n'aidait pas le corps à résister à la cuisine, et potentiellement au repas qu'il y avait derrière : ne plus voir le jour, c'est perdre la notion du temps, mais il y avait aussi son envie de se sentir utile. Elle se lamentait intérieurement, allait-elle devenir ce fardeau tant redouté ?

Kasha avait sûrement raison, la quête du reliquaire se transformait peu à peu en une épreuve de confiance, et même si les deux femmes ne se connaissaient que depuis quelques heures, Agneta se sentait en sécurité avec elle. Qu'importe l'issue de ce choix, elles étaient persuadées que sa gardienne saurait la sortir de toutes les situations. Voyant son aînée sortir une corde, la brune se rendit compte qu'elle n'y avait pas songé. Certes, son gabarit n'était pas des plus imposants et une corde pour deux suffirait amplement, pourtant ce goût amer de la défaite stagnait dans sa gorge : erreur de débutante. Ce serait un peu plus long, un peu plus dangereux, mais pas bloquant pour autant. Pour tenter de faire bonne figure, elle esquissa un léger rictus.

- Tu es plus prévenante que moi.

Ses mains tremblantes la trahissaient, si ce n'était une question, il y avait aussi la peur. Premièrement, le vide, même en plein jour elle n'était jamais confiante à l'idée de traverser un pont un peu trop surélevé ou de s'approcher du bord d'une falaise d'un peu trop près comme certains pouvaient s'y amuser. Cependant, le pire ici était le temps, elle se rappelait déjà de la première descente en escalier qui avait failli la rendre barge, elle espérait que celle-ci ne serait pas aussi longue, et qu'en cas de chute elle serait épargnée par la mort.

Elle reprit ses esprits d'un coup : et si ce gouffre ne cachait en réalité aucun gouffre. Aucune lueur ne se dégageait de cette partie de la pièce, tout pouvait s'y trouver. Kasha avait déjà préparé la corde et s'apprêtait à partir comme si le choix était évident. Agneta remonta ses bas et attacha les morceaux trop lâches de sa tunique entre eux pour éviter qu'ils ne se coincent. Un pas de plus en avant vers l'inconnu et la suite de cette aventure.

- Allons-y. Je te fais confiance.

Les deux jeunes femmes s'approchèrent du gouffre ténébreux.
En espérant que le reliquaire ne soit plus très loin.

Résumé:

Plus prévoyante ? Kasha ne put retenir un rictus ironique :

- Vraiment, c'est ce que tu penses ? Alors, qu'est-ce que tu dis de ça : j'ai pris des torches... Mais rien pour les allumer. Tu trouves ça prévoyant ?

Après un moment, elle lui énonça une nouvelle vérité :

- On fait tous des erreurs, quel que soit notre âge ou notre niveau d'expérience. C'est naturel, simplement parce que nous sommes humains. Concentre-toi sur tes forces plutôt que tes faiblesses, et tout se passera bien.

Elle n'était pas certaine de ce dernier point, mais il était inutile d'effrayer Agneta encore plus qu'elle ne l'était déjà.

Puis elles descendirent. Visiblement, la corde de Kasha n'avait pas été nécessaire. Alors qu'elle la rangeait, elle écouta avec attention. Elle entendait de l'eau goutter au loin. Elles se trouvaient donc probablement à présent dans une grotte. Malgré elle, Kasha éprouva une sorte d'appréhension. Ce n'était pas le lieu en lui-même qui l'inquiétait, mais ce qu'elles pourraient y trouver. Elle savait que les créatures des cavernes n'avaient rien à voir avec celles qui pouvaient être trouvées en surface, même si aucune idée précise ne lui venait en tête. D'un autre côté, elles se trouvaient dans un bâtiment religieux, certes ancien, mais pas en ruines, et surtout, encore fonctionnel. Nul doute qu'aucune bête sauvage n'aurait pu s'y glisser si sa présence n'était pas prévue. Mais, justement, qu'est-ce qui était prévu ?

La réponse vint rapidement, alors qu'elles arrivaient dans une nouvelle salle. Le visage de leur "guide" se révélait donc. Enfin, c'était un bien grand mot, puisque le visage en question était caché. Et ce qu'il leur demanda lui glaça le sang. Un combat ? Elles n'étaient pas combattantes, ni l'une ni l'autre ! Néanmoins, elle devait agir vite. Même si leur ennemi auto-proclamé n'avait pas encore bougé, il pouvait le faire à tout moment. Saisissant ses deux poignards, elle se plaça devant Agneta, dans une posture défensive. Elle donnait l'impression de savoir ce qu'elle faisait, mais il n'en était rien. Face à l'arme de leur adversaire, les siennes, même si plus nombreuses, ne faisaient pas le poids. Elles devraient une fois de plus se servir de leurs têtes.

Elle murmura alors son idée de stratégie entre ses dents, afin que seule Agneta l'entende :

- Ecoute-moi. J'ai peut-être une idée de comment on pourrait s'en sortir. Je vais le faire bouger, m'attaquer. Toi, j'aimerais que tu étudies tout ce que tu peux sur sa manière de se battre, mais surtout ses points faibles. Ensuite, on pourra affiner la stratégie.

Elle était très tentée de mettre l'un de ses poignards dans la main de la jeune femme, en cas d'imprévu, mais elle se doutait que sa compagne avait certainement prévu de quoi se défendre, même si elle se disait non combattante... Et puis, elle pourrait mal prendre le fait que Kasha ne la laisse pas se débrouiller. Elle résolut donc de s'en tenir à ce qu'elle lui avait dit, tout en gardant un oeil sur sa cadette au cours de l'opération.

Pour une première, elle s'était mise dans de beaux draps. En l'occurrence, ils étaient noirâtres et d'eux émanait une aura maléfique. À choisir, elle aura préféré faire du bénévolat en cuisine pour des orphelins. Elle se souvient encore de la brise joyeuse qui avait éclairé son visage au moment où ses pieds avaient touché l'eau quelques centimètres plus bas, une mélodie triomphante sonnait doucement dans ses oreilles, mais déjà à ce moment, elle sentait l'œuf pourri. Elle ne saurait dire pourquoi cette prison autour de son cœur commençait à se resserrer, il y avait des visions qu'elle ne savait comment interpréter : illusion ou fatigue, dans tous les cas elle n'osait en faire part à Kasha par peur d'être prise pour une parano avec qui plus personne ne souhaiterait faire équipe par la suite. Du moins, si elles s'en sortaient.

Son avis sur la question était mitigé : d'un côté, Queenie était bien utile pour faire office de lampe torche, mais quand il s'agissait de les aider sur la stratégie, elle avait l'utilité d'un porte-sopalin. Au fur et à mesure que les aventurières pénétraient dans l'antre sombre qu'était le domicile du reliquaire, Agneta avait senti cette pression grandissante sur ses épaules. D'un geste délicat, elle détacha la corde qui avait été préparée, la roula et la rendit à son acolyte. Chaque pas se faisait plus lourd. Puis ce fut en regardant les yeux de Queenie, là, dans cette grotte humide et obscure qu'elle sut. Le mal était partout.

Cela attendrait.

La véritable problématique, à savoir l'être gargantuesque face à elles, tenant une épée deux mains à une seule. Une force surhumaine, pour une créature pas forcément si humaine. Cela faisait sens. Pétocharde comme elle était, Agneta aurait bien voulu faire demi-tour à cet instant précis et rentrer chez ses parents en pleurant toutes les larmes de son corps. Ses jambes tremblaient. Il n'y avait aucun moyen de le vaincre, du moins pas dans l'état actuel des choses, surtout s'il se mouvait comme un agile guerrier.

Franchement, on pourrait demander poliment non ? Il a quoi de si rare ce reliquaire pour qu'on veuille nous tuer à chaque pas.

Elle le pensait très fort. Elle savait aussi que la vie douce et clémente n'existait que dans les rêves les plus fous. Kasha avait raison : il fallait se concentrer sur ses points faibles, et faire de ses faiblesses une force. La brune envisageait rarement cette vision de la vie : elle n'avait aucune idée de ce que représentait une faiblesse ou une force, puisque celles-ci variaient selon les contextes.

L'opportunité parfaite : calmement, Agneta sortit le deuxième plus petit couteau de cuisine qu'elle possédait. Assez pointu pour faire des dégâts sans pour autant tuer, mais aussi tranchant à souhait, ce qui permettrait, en cas de besoin de faire d'assez larges ouvertures sans peine. Elle optait pour celui-ci aussi pour éviter de se blesser elle-même, certes elle avait de l'habilité avec, mais elle n'avait jamais mener de combat dans ces conditions.

La voix de sa camarade la ramena à la dure réalité.

Oui, c'était une possibilité. Jusqu'ici, tout était question d'intellect et non de muscles, il n'y avait pas de raison qu'à cet instant, la donne change. Elle observait attentivement leur adversaire, tout en jetant de temps à autre des coups d'œil rapide à leur accompagnatrice : elle n'avait pas une idée elle ? Non, évidemment, surtout si elle aussi était là pour leur défaite. Agneta se courba légèrement, prête à déguerpir au plus vite. L'espadon était si large que même l'une à l'opposé de l'autre, dans un mouvement de toupie, il pouvait les emporter d'un seul coup. C'était trop dangereux, et elle refusait le sacrifice inutile. Elle aurait aimé voir son visage, savoir qui les menaçait de la sorte, et voir aussi des iris flamboyantes pour tenter de prévoir un minimum les coups. La tâche ne se présentait pas bien.

Elle acquiesça d'un mouvement faible, assez perceptible, mais pas d'une manière évidente. Elle était perdue, convaincue autant qu'on peut l'être dans une situation où l'on ne maîtrise rien. Pour le moment, son rôle consistait à regarder.

Il y avait toujours cette odeur de brûlé dans l'air.
Cette odeur qui sentait le malheur.

Soudain, elle tendit son bras en direction de Kasha pour l'arrêter. Son regard était déterminé, mais des gouttes de sueur luisaient sur son front de l'angoisse qu'elle ressentait. Elle fit quelques pas en arrière et arracha des mains le bâton au cristal de leur accompagnatrice. Après tout, il n'avait servi qu'à éclairer, et ici les flambeaux prenaient le relais. Elle n'en aurait pas besoin de suite. Dans un chuchottement elle s'adressa à celle-ci tout en s'assurant que Kasha puisse entendre.

- Prouve-nous que tu es digne de confiance.

Ses yeux se dirigèrent vers Kasha qui ne comprenait pas forcément ce qui était en train de se tramer. Tout doucement, elle s'approcha d'elle et dans une messe basse lui avoua ses craintes.

- Je compte sur toi pour l'arrêter s'il s'avère que j'ai bien fait de lui retirer le bâton. La figure étrange n'avait toujours pas bougé, Agneta repris. Puis... je trouve ça démesurer de devoir risquer nos vies pour un reliquaire qu'on doit juste voir. Il y eu un silence de quelques secondes. Allez, toucher au grand maximum. Tu ne crois pas qu'on devrait négocier ? S'il est gardien du reliquaire, juste en prendre connaissance ne devrait pas le faire réagir de la sorte.

Elles n'avaient pas encore franchi la limite. Il leur restait peu de temps avant une potentielle attaque, mais après tout, elles n'étaient qu'aventurières.

Elles n'étaient pas là pour priver un gardien de son trésor.

Résumé:

Une pression sur son bras ramena l'attention de Kasha sur Agneta. Enfin... Elle craignait de quitter la créature des yeux, aussi ne prêta-t-elle que ses oreilles à sa cadette, tout en lui faisant comprendre d'un signe de tête qu'elle l'écoutait. Mais les mots qui suivirent, ainsi que la protestation les accompagnant, lui fit vite changer d'avis. Jetant un coup d'oeil derrière elle, elle réalisa que le bâton de la religieuse se trouvait dans les mains d'Agneta. Mais que se passait-il ici ? Son attention semblait requise partout à la fois dans cette pièce...

C'est alors que vinrent les explications. Une négociation ? Voilà qui lui plaisait plus... Rangeant ostensiblement ses armes, alors qu'elle gardait ses yeux sur ce qu'elle devinait être le visage de l'être, dans une posture signifiant : "je ne suis plus une menace, inutile de m'attaquer", elle s'autorisa à reporter son attention sur Agneta. Puis, sur le même ton que cette dernière, elle répondit :

- En effet, la négociation me plaît bien. Désolée, j'ai peut-être réagi un peu vite.

Puis, faisant quelques pas supplémentaires en avant, se plaçant face à la créature, alors qu'elle s'assurait discrètement de toujours avoir une dague à portée de main, juste au cas où l'être inconnu refuserait de coopérer, elle déclara, d'une voix claire :

- Pourquoi toujours tout ramener au combat ? Nous ne voulons rien voler, peut-être pourrions-nous trouver un accord, au lieu de nous étriper ?

Evidemment, elle ne savait rien de cette créature, et ne pouvait donc pas se permettre de lui faire confiance. Il était très possible que l'issue pacifique ne lui convienne pas. Après tout, peut-être les avait-il simplement attirées ici pour s'en débarrasser sans témoin... Ce qui revenait aux doutes d'Agneta. Dans le pire des scénarios qu'elle pouvait imaginer, Queenie serait le seul témoin de leur funeste destin. Mais si elle était une complice ? Cela serait une très mauvaise chose, les aventurières étant bloquées entre elle et la créature... Elle n'avait plus qu'à espérer qu'Agneta se trompait et que ses craintes étaient seulement dues au manque d'expérience. D'un autre côté, Kasha aussi était relativement inexpérimentée face à ce genre de situation également...

Mais, si on prenait en compte le fait que cette créature était également celle qui les avait soumises aux épreuves précédentes, peut-être trouverait-elle intéressant le fait de se livrer à une nouvelle bataille intellectuelle. Après tout, il avait dit qu'il fallait le "vaincre"... Sans préciser que la victoire ou la défaite seraient définies par les armes. Bravo, Agneta, pour le coup, tu as été meilleure que moi. Evidemment, elle ne pouvait pas se permettre de lui adresser ce compliment à voix haute. Pas tant qu'il ne se trouvait que dans le meilleur des cas de figure qu'elle imaginait...