Un baisé sur le front de sa fille. Un instant hors du temps. Une main agrippe son pantalon, attirant son regard vers les iris bleues claires de son fils juste à côté. Il n'a pas envie de dormir mais malgré son insistance précédente il à très vite compris que "les grands avaient besoin de parler". Le temps d'un sourire, une caresse sur son front, le volte-face est amorcé et immédiatement le décor de la cuisine familiale s'impose sous ses yeux. Sa mère les mains en coupe sur son visage, ses épaules secouées de sanglots pourtant retenus de toutes ses forces. Son père prêt d'elle dépose une main aimante sur son épaule pour signifier tout son soutient dans cet instant.
A l'intérieur du torse de Yuduar enfle soudainement de la colère, de l'incompréhension, comme un sentiment de trahison aussi injuste qu'injustifié envers ses propres parents. Les mots fusent, le ton monte, qui est-il, la question tourne sans admettre de réponse, qui se cache derrière l'identité de ce Cesario K. Almeida. Elle ne veut plus en entendre parler, ne veut pas croire que cette lettre est arrivée jusqu'au bureau de son fils, ne veut pas admettre que son supposé frère est encore vivant au sein du Royaume. Refuse de lui conter l'histoire telle qu'il aimerait l'entendre. Refuse de donner sens à ce mystère qui ne fait que déchirer les liens pourtant si chers qui relient les membres de la famille Al Rakija. Pourquoi. Le sens lui échappe, comme une sensation de glissement sous ses pieds, la tête lui tourne, les images se mélangent et les sons se superposent pour ne former qu'un brouhaha informe s'infiltrant jusqu'au coeur de ses tympans. Pourquoi.
"Pourquoi..."
Le mot résonne malgré son faible murmure. D'une voix qui n'est pas la sienne. Relevant la tête il se retrouve au coeur de la grande cour principale de la Caserne de la Capitale. Le soleil est haut dans le ciel malgré les nuages lourds qui menacent de perturber la journée douce jusque là. A côté de lui se tient Selim, le visage fermé et la mâchoire serré, les yeux perdus dans les échos de sa propre question sans réponse, d'un simple mot qui retourne l'estomac de son père. Instinctivement le grand brun s'agenouille prêt de la prunelle de ses yeux et lui chahute les cheveux d'une main surement trop joueuse pour être comprise par l'enfant. Il n'est plus un enfant comme il aime à lui rappeler. Il n'as pas tort. Ni raison non plus. Il ressent la colère, l'incompréhension, se heurte à ce pourquoi qui hante les vies de plus d'un. Mais comment lui expliquer que c'est simplement parcequ'il est le fils du Capitaine Al Rakija. Que ces regards, que ces murmures, que cette apparente désapprobation vient de ce simple fait. Que tout ça ne dépend pas de lui du haut de ses douze ans. Qu'il paye surement une partie des erreurs commises par ce grand dadet qui lui sert de géniteur. Comprendrait-il seulement ces mots? Ressentirait-il une même colère et une même incompréhension que celles qui ont crées ce mot dans sa petite bouche. Probablement pas. Car dans ses yeux danse la fierté de regarder son père à ses côtés, la même fierté qui partage la danse dans les yeux de Yuduar face à son fils qui soudainement se retrouve du côté des cadets nommés pour entrer à l'Académie de la Garde. Plus de colère dans son torse, plus d'incompréhension, seulement une peur mue par l'inquiétude et mêlée de joie, de bonheur, de fierté, de tant de choses que les larmes lui en montent aux yeux. Des larmes qu'il retiendra malgré la brillance qui perle le long de ses cils. Dans sa grande main il peut encore sentir la pression de celle de son fils au moment où il à été nommé par l'Instructeur Général. Il n'y avait aucun doute qu'il serait pris à l'Académie. Aucun doute qu'il deviendrait un homme meilleur que lui. La sensation d'un regard insistant sur sa nuque lui fait quitter la scène des yeux un court instant. Un instant suffisant pour voir un carosse passer dans la rue pourtant si loin, une chevelure blonde à sa fenêtre ornant deux saphirs implacables et profond.
"Où était-tu?"
C'est vrai. Où était-il. La voix était à la fois froide et tranchante et pourtant dans ses notes perçaient une touche d'attention propre à l'inquiétude que l'on porte aux êtres aimés. Les yeux fermés, ses paupières s'ouvrirent à cette seule question dont l'interrogation sembla s'éterniser des heures. Un courant d'air frais caressa sa peau nue, coulant de la grande fenêtre qui s'ouvrait sur le théâtre rougeoyant des arbres commençant à sentir l'emprise de la saison fraiche se refermer sur leurs feuilles. Le jour se vieillissait en parant le ciel de dorures aux reflets violacés zébrant la grisaille mâte des cumulus endormis. Opérant un simple quart de tour sur lui-même, sa nudité rencontra la peau fraiche voisine dont l'albâtre ferme embrassa la moindre de ses formes. Les cheveux blonds. Les saphirs de glace dans lequel perçaient le feu de la passion qui les reliaient. Pouvait-il seulement répondre à sa question précédente. Leurs instants étaient si rares, si comptés. Devaient-ils ainsi parler? Où avait-il été? Par monts et par vaux, de réunions en préparation, de l'herbe sèche des plaines du Sud aux courants ascendants des ballons aériens le menant vers le sable qui hante les cieux. De villages en inquiétudes et de soucis en solution. Il avait essayé mais avait-il réellement pris le temps d'avoir le temps? Il aurait aimé dire qu'il avait besoin de soutient mais n'était-il pas celui qui avait d'abord commis l'abandon? Les questions se tassaient à la suite de la première à laquelle il n'avait toujours pas répondu. Pardon. Un lien se tendit autour de son coeur, serrant sa poitrine à nouveau, un lien qu'aucun d'eux deux n'avait admis comme existant. Alors pourquoi était-il là? Pourquoi devait-il demander pardon? Un sourire anima ses lèvres à la pensée de revoir ce pourquoi s'inviter à un moment si inopportun. Un sourire qui déclencha un soupir, un soupir qui invita un rire, un rire qui glissa en baisé, puis en caresse, puis en corps qui se mêles pour se demander mutuellement les raisons véritables de leurs présences l'un contre l'autre. Avaient-ils seulement besoin d'une raison. Souffles courts, soupirs rauques, leurs mains se joignirent pour ne se lâcher qu'au chant des oiseaux du petit matin.
Cette main.
Cette main si douce.
Son bras se tendit pour ramener son corps prêt de sa source de réconfort mais aucune résistance ne vint à la rencontre de son mouvement. Cette main. Resté dans la sienne. Seule. Attachée à ses doigts. Cette main qui était si différente, à la peau mât et au fin duvet blanc, aux ongles acérés et aux cales marquées. Cette main. Son souffle s'accéléra et soudainement un flot commun de toutes les émotions remontèrent à travers lui, soudainement esseulé dans le noir le plus complet, sa vertu mise à nue et son véritable visage exposé. L'injustice, la douleur et l'incompréhension. La peur, la crainte, cette inquiétude aimante. L'irrépressible envie de s'excuser, les milles questions de savoir où il était jusque là. Une sensation de chute infinie face à un visage dont les traits se dessinèrent dans l'ombre oppressante. La douleur d'une amie, sa tristesse palpable, sa perdition qui ne trouvait pas de réponse dans les regards et attentions autour d'elle. La main encore enchevêtrée à la sienne devint tour à tour celle de sa mère, celle de son fils, celle de Queen, celle de Solveig. Puis la sienne. Portant à son annulaire l'anneau d'or que sa femme lui avait passé au jour de leur mariage. La vision de l'anneau s'imposa à l'entièreté de son champ de vision, brillant de milles feux, incarnant tant de douleur à lui seul. Il tenta de s'y arracher, de gesticuler en tout sens, de lutter à s'en déchirer les muscles, aucuns sons ne franchissaient le pas de ses lèvres, aucuns gestes n'anima son corps immobile, même sa respiration sembla lourde, étouffante, incapable de faire exploser la panique qui enserrait sa gorge peu à peu.
Un cri déchira la nuit au Bastion du Grand-Port. Dont les échos se perdirent dans la vaste chambre du Capitaine Yuduar Al Rakija, seulement rythmés par son souffle court qui soulevait sa poitrine couverte de sueurs froides. Les draps étaient collés à sa peau, sa literie sans dessus-dessous, les oreillers de tête se retrouvant à presque perdre l'équilibre au pied du lit. L'air frais de la fenêtre ouverte fit fourmiller sa peau de milles et uns frissons, avalanche de chair de poule qui électrisa son être des pieds à la tête. Des pas rapides et inquiets se firent entendre dans le couloir adjacent et il ne fut question que de secondes avant que plusieurs coups vinrent frapper à la porte du brun encore grogui de ses songes.
"Capitaine? Tout vas bien?" s'enquit une voix aux accents presque sévères. Yuduar de son côté laissa aller un profond soupir de soulagement avant de finalement répondre "Tout est bon Lindberg, désolé du dérangement. Mauvais rêve, fausse alerte." la voix grommela une réponse tout juste audible mais déjà le Capitaine n'écoutait plus et était tout concentré à son état du moment. Un mauvais rêve c'était le cas de le dire. Les commissures de ses lèvres ne tardèrent pas à s'étirer en un sourire en coin des plus significatif. Il se riait de lui. A crier ainsi tel le poupon perdu qu'il était derrière sa dense barbe, ses cheveux longs et ses yeux criants d'arrogance amusée. Sacré Capitaine qu'il donnait à voir là.
Tirant entièrement le drap de sa peau encore moite de ses sueurs qui commençaient tout juste à se calmer, Yuduar se leva pour se diriger vers son office où trainait plusieurs dossiers encore ouverts de la veille. Le travail n'arrêtait pas de s'accumuler en ce moment et à moins de trouver une recette lui permettant de rallonger les jours, il en aurait surement jusqu'au mois prochain avant de retrouver une quiétude digne d'être nommée ainsi. Attrapant un pantalon de tissu qui pendait lamentablement sur le dossier de sa chaise, il s'affaira de s'en habiller avant de passer devant la fenêtre dont il referma l'un des battant pour réduire le courant d'air nocturne qui continuait à le faire frissonner. Le petit matin commençait à pointer le bout de son nez au large du Grand-Port, chassant doucement les halos lunaires pour faire renaitre ses teintes bleutées dans le ciel du Sud. Les rondes devaient êtres entre deux cycles car plusieurs voix se hélaient dans la grande cour centrale, certaines fatiguées et d'autres plus taquines et rythmées. Ramenant son attention dans sa pièce de vie, Yuduar s'en alla attraper un pichet en terre cuite à côté duquel trônait un verre esseulé. L'eau fraiche coula dans la céramique et aussitôt se fit charrier jusqu'aux lèvres assoiffées du soldat dont la gorge se fit tirailler par son passage. Deux généreuses goulées plus tard, un soupir de satisfaction ponctué d'un claquement de langue amateur résonnèrent dans la chambre. Il était hors de question qu'il se laisse abattre par ces visions nocturnes, malgré les frissons qui venaient contester cette pensée comme une menace sous-jacente qui peinait à retirer son emprise à peine acquise.
Enfilant le reste d'une tenue des plus sommaires, Yuduar se décida à quitter le havre que représentait sa chambre pour mieux embrasser le début de cette journée qui s'annonçait déjà longue. Quelques saluts et autres bonjours rythmèrent son passage à travers couloirs et vestibules du Bastion. Certains surpris et d'autres plus indifférents. Alors qu'il se dirigeait vers les cuisines, il entendit la voix distinctive de Valentino entrain de tonner prêt des baraquements de l'Avant-Garde. Vrai qu'il avait manoeuvre avec eux de bonne heure aujourd'hui se rappela t-il en notant que de fait il ne pourrait compter sur le soutient de son Lieutenant pour au moins toute la matinée. Triste nouvelle avec laquelle il devra composer sommes toutes.
Une imposante tasse de café accompagnée d'une assiette d'oeuf et de jambons plus tard, le soleil caressait déjà les murs blancs du Bastion de ses premiers rayons. Quelques soldats avaient rejoint le Capitaine pour son petit-déjeuner matinal, dont Leffe et le Major Windbell qui vinrent lui compter quelques singulières rencontre de leur nuit de patrouille. De quoi déclencher quelques beaux rires insouciants sur le dos de citoyen malavisés ou de nobles aux oreilles qui devaient siffler. Loin déjà étaient les songes qui avaient écourtés sa nuit pour finalement lui faire profiter d'une auguste matinée des plus agréables. Mais alors qu'il se dirigeait à nouveau vers ses quartiers, l'arrivée en trombe d'une tête blonde attira toute son attention.
"Hey bien Alkh'Eir, vous avez croisé un Smilodon au marché ou bien?" plaisanta le gradé en levant un sourcil interrogateur malgré son air des plus plaisantins. Il était rare de voir Calixte si pressé pour ainsi dire ou tout du moins pas sans une bonne raison. Le messager lui tendit simplement le journal du jour avec un air des plus concernés sur le visage. Il ne fallut qu'un rapide coup d'oeil aux gros titres pour que Yuduar comprenne le sérieux qui avait amené le pas du Garde à se presser de la sorte.
Empyrée.
Les nouvelles ont donc commencées à se répandre. Comme si l'incendie de la Compagnie Althair et le cas des essais de Lin sur les côtes ne lui faisaient pas assez de travail comme ça. Ce n'est pas comme si il avait aussi un énorme roché volant au dessus de la tête à quelques lieux de ça, peuplé de créatures aussi curieuses à descendre que les aventuriers l'étaient à monter à leur rencontre. A son premier soupir se succéda un second déjà plus fatigué que son prédécesseur. Il s'était dit en se levant que la journée allait être longue, sur ce point il n'avait certainement pas eu tort. La population allait être intenable le temps que tout le monde digère la nouvelle, maudite soit cette Regina Skeeter et sa manie à fourrer son nez partout.
Il allait être temps de quitter les songes insidieux de sa nuit, de tourner le dos à la douce ambiance de sa matinée bien accompagnée. Et de retourner à la réalité.
"On vas avoir du pain sur la planche, il est temps de s'y remettre."