Un vrai... Qui ne semblait pas habitué à ce genre de piège, à en juger par la manière dont il tentait de s'en défaire en ne parvenant qu'à se blesser un peu plus à chaque tentative. De plus, il n'avait visiblement pas coniance en Ralia, qui ne parvenait pas à ouvrir le piège, tant le captif semblait déterminé à continuer à se blesser et à ne surtout pas être libéré. Manque de chance, Ralia aussi était têtue.
Après de longues minutes de lutte, elle finit par parvenir à l'en sortir... Avant de devoir le récupérer dans ses mains. En effet, les ailes de la créature avaient certainement été endommagées, au même titre que le reste de son corps, car il ne parvenait plus à voler. Cependant, même si, grâce à son mentor, elle disposait à présent des bases vétérinaires, elle n'était clairement pas professionnelle dans ce domaine. Elle avait même peur de lui faire plus de mal que de bien en cherchant à soigner son petit protégé, à en juger par la gravité de ses blessures. Mais il fallait tout de même faire quelque chose, il ne tiendrait pas longtemps dans cet état.
Prenant soin de ne pas le blesser plus qu'il ne l'était déjà, Ralia descendit de l'arbre avec son protégé, puis observa les quelques personnes présentes autour de la curiosité que représentait l'immense végétal.
- Quelqu'un serait-il doué en soins vétérinaires ? Sachant que je peux servir d'assistante si besoin.
Elle avait envoyé sa requête à la ronde, ignorant combien de chances elle avait de trouver un vétérinaire parmi les croyants et les touristes... Probablement peu. Mais elle voulait y croire.
Néréa referma l’ouvrage volumineux posé devant elle et s’étira. Ses muscles étaient endoloris après avoir passé de nombreuses heures assise à la table de travail. Comme souvent quand elle était prise dans ses recherches, la jeune femme ne voyait pas le temps passer.
Elle rangea ses affaires dans son sac et replaça l’épais volume dans la section des plantes médicinales où elle avait élu domicile depuis quelques jours, dès que la bibliothèque était ouverte.
Une fois hors du bâtiment, Néréa pris le chemin de son petit logement à quelques rues de là. Cet appartement en duplex lui permettait d’accueillir et soigner des animaux dans son salon tant dis qu’elle réservait la partie nuit de l’étage exclusivement pour son usage personnel.
Néréa gravit les marches quatre à quatre pour récupérer son sac de voyage et pris la route en direction de l’arbre sacré. Marcher jusqu’à ce lieu de pèlerinage ne l’enchantait guère mais l’excitation de découvrir des plantes médicinales dans leur milieu naturel et qui sait, peut-être de voire des espèces endémiques, l’avait emporté.
Le trajet fut long et épuisant. Les nuits dans les différentes auberges où elle avait pu s’arrêter, n’avaient pas été très reposantes. Le bruit ambiant lié au stress de ne pas être dans un environnement connu l’avait rendu insomniaque.
Bien que Néréa ait les nerfs à vif, la solitude durant ses journées de marche était apaisante. La jeune femme avait tout de même pu mettre se temps à profit en récoltant diverses plantes, augmentant ainsi ses stocks gratuitement pour la production des médicaments et autres crèmes dont elle avait besoins pour ses patients.
Après ce périple qui lui parut interminable, Néréa arriva près de l’arbre sacré. Plusieurs personnes se trouvaient sur les lieux. Elle ne leur prêta que peu d’attention, trop occupée à chercher la plante qui l’avait conduite jusque-là. Pour elle, les touristes ou les croyants n’avaient aucun intérêt puisqu’elle considérait qu’elle ne faisait partie d’aucune de ces catégories.
Néréa mit peu de temps à trouver les plants de weissium recherchés. Il faut dire que les amas de pétales brillants étaient facilement repérables. Cette plante avait beau être facile à trouver à la capitale, elle restait trop chère pour la bourse de la virtuose. Elle ne faisait pas non plus confiance aux apothicaires de son quartier car ils avaient tendance à mélanger des plantes thérapeutiques de qualité avec d’autres plantes totalement inutiles, sans pour autant en diminuer le prix. C’est pour cette raison qu’elle avait décidé d’aller cueillir du weissium. Au moins, il n’y aurait aucune ambiguïté sur la qualité des feuilles ou du pollen. Elle espérait également rapporter un plant avec ces racines pour essayer de le cultiver chez elle.
Une fois que Néréa eut récupéré tout ce dont elle avait besoin, elle se rendit compte de l’agitation derrière elle. Prudemment, elle s’approcha du petit groupe qui s’était formé. La jeune femme suivi leurs regards et vit une personne ressemblant à un bonbon à la violette ; à cause de la couleur de ses cheveux et de ses vêtements ; descendre de l’arbre sacré avec une petite créature rose dans les bras.
Néréa trouvait la jeune femme, toute vêtue de violet, magnifique. Elle l’admira, impressionnée par l’aura qu’elle dégageait, traduisant une certaine force de caractère et de détermination à sauver la créature qui ne cessait pourtant de se débattre. Cette impression fut renforcée par la demande qu’elle fit ensuite.
- Quelqu'un serait-il doué en soins vétérinaires ? Sachant que je peux servir d'assistante si besoin.
Néréa n’osa pas se manifester dans un premier temps, attendant de voir s’il y avait un vétérinaire dans les parages. Après tout elle n’était pas encore officiellement vétérinaire. Après quelques instants durant lesquelles chacun observa ses voisins, personnes ne se présenta pour aider le petit animal. Néréa prit alors son courage à deux mains et, ne s’attardant pas sur les détails de sa situation, dit :
- Moi ! Je suis vétérinaire.
Un soulagement parcourut l’assistance. Néréa ne sut si c’était des soupirs de soulagement pour l’animal qui avait désormais plus de chances de s’en sortir ou si c’était pour signifier qu’ils n’auraient pas besoin de prendre de leur temps pour aider. Sans que Néréa ait besoin de demander de l’espace pour examiner le dragon de cerisier, les gens s’en allèrent.
- Est-ce que vous pouvez essayer de me montrer ses blessures s’il vous plaît.
Néréa, triste de voir souffrir la petite boule rose, regarda les blessures du dragon tout en continuant de parler à sa sauveuse.
- Vu comme il est agité, je ne pourrais pas utiliser mon pouvoir de guérison pour le moment. Je vais avoir besoin d’aide pour lui appliquer un onguent qui va apaiser ses douleurs.
Imaginant toutes les possibilités pour que le petit dragon se retrouve dans cet état, Néréa sentit la colère monter en elle. Elle n’était pas destinée à la jeune femme mais plutôt aux personnes à l’origine de ces blessures. Pour une raison qu’elle ignorait, Néréa n’avait pas un seul instant envisagé que la personne qui tenait le dragon pouvait faire le moindre mal à un animal. Peut-être était-ce dû à ses actions ou à sa façon de tenir la créature.
- Vous pouvez m’expliquer comment c’est arrivé ?
Enfin... Peut-être avait-elle parlé trop vite. Lorsqu'une jeune femme se signala comme étant vétérinaire, Ralia se dirigea immédiatement vers elle, sans aucune considération pour les éventuels humains lui bloquant le passage. Ils avaient refusé de l'aider, elle ne voyait donc pas pourquoi elle ferait attention à eux. Tout en maintenant le dragon comme elle le pouvait pour l'empêcher de tomber à force de vouloir s'échapper, tout en évitant de lui faire plus mal que ce qu'il devait déjà supporter, elle rencontra la vétérinaire à mi-chemin de leurs positions respectives précédentes. Lorsque l'étrangère lui demanda de lui montrer le patient, Ralia avait déjà amorcé le geste, qu'elle termina donc, pour déposer avec précaution le petit animal dans les mains de la demoiselle, gardant cependant les siennes à proximité, en prévision d'une énième tentative de fuite :
- Faites attention, il est en panique. Un moment d'inattention, et il pourrait vous échapper.
Lorsqu'elle lui demanda son aide, Ralia secoua négativement la tête, avant de sortir l'une de ses fléchettes... Et d'hésiter. En effet, elle n'avait jamais utilisé cet objet sur un animal d'aussi petite taille. Etait-ce dangereux ? La dose était-elle trop importante ? D'un autre côté, si elles ne faisaient rien, le dragon les empêcherait involontairement de l'aider. Alors, il n'y avait plus qu'à espérer que la magie de la fléchette n'était pas nocive pour les animaux les plus petits. Rapidement, pour ne pas lui laisser le temps de se rendre compte de ce qui arrivait, elle appliqua la fléchette, directement dans le cou de l'animal, comme elle le faisait habituellement. À si faible distance, elle n'avait même pas sorti sa sarbacane. Puis elle expliqua sa manoeuvre à son alliée du jour :
- Une fléchette gros-dodo. Avec ça, il dormira pendant un bon moment. Je pense que ça peut faire office d'anesthésie.
Et puis, elle se souvint. Elle devait fournir des explications... Elle soupira. Elle n'aimait pas faire de longs monologues, mais, visiblement, elle n'allait pas avoir le choix.
- Avant tout, il faut savoir que je suis garde-chasse... Et que j'aime particulièrement grimper aux arbres. C'est comme ça que j'ai trouvé ce petit dans un piège, dont il essayait de se défaire... Mais les braconniers avaient sans doute prévu ce comportement, puisqu'en se débattant, il a aggravé son cas. Et ça a été pire quand je suis arrivée... Honnêtement, je pense qu'il aura peur des humains, à l'avenir. Et il a raison.
Puis, un peu malgré elle, elle lâcha :
- C'est fou comme ils ont évolué, dernièrement...
En effet, à l'époque où elle avait infiltré le groupe de son père, les pièges étaient posés au pied des arbres, mais pas dans les branches. Et que le captif se débatte ou non, cela ne changeait rien à son état. Et dire que cette période remontait à peine à une dizaine d'années... C'était fou comme ces crapules savaient s'adapter... Pas étonnant que ses collègues et elle-même ne réussissent jamais à capturer tous les membres d'un groupe : s'ils savaient adapter leurs pièges aux comportements de leurs proies, ils savaient probablement également s'adapter aux méthodes de traque de la Garde et des garde-chasses... Il faudrait penser à des techniques plus originales, et certainement plus discrète... Elle en parlerait, la prochaine fois qu'elle croiserait un collègue ou un garde.
Soudain, elle se souvint où elle était. Il y avait actuellement plus urgent que le renouvellement des méthodes de travail...
- Vous avez besoin de quelque chose en particulier pour votre onguent ? De mon côté, je suis assez douée en bandages... Et mon mentor a visiblement mis un point d'honneur à s'assurer que je sache faire une attelle, même si je pense qu'ici, ce ne sera pas utile.
Néréa remarqua que le visage de la garde-chasse s’était couvert d’un voile de tristesse pendant son récit. Le blanc qui suivit, ne fit qu’accentuer cette sensation. Néréa essaya d’imaginer ce que la jeune femme avait pu vivre pour se perdre dans sa mélancolie.
Soudain la jeune femme aux cheveux violet repris la parole. Néréa fut surprise de l’entendre reprendre la parole tant elle était concentrée sur son patient.
- Dans un premier temps, il faudrait désinfecter les plaies. Ensuite je lui appliquerai l’onguent et vous pourrez m’aider à faire les bandages. Une attelle ne sera pas en effet pas nécessaire, il ne s’est rien cassé. Cela préparera les blessures à la guérison et mon don n’en sera que plus efficace.
Néréa réfléchit à comment elle allait procéder. Faire des soins d’urgence dans la nature n’étaient pas un problème si la vie de l’animal était en jeu ou qu’il était agité mais maintenant qu’il dormait ce n’était plus une nécessité. Cependant, la jeune vétérinaire avait trop peur qu’il se réveille avant qu’elle n’ait fini et décida d’agir sur place.
Elle sortit tout le nécessaire de son sac de voyage. Et oui, vétérinaire un jour, vétérinaire toujours ! Néréa ne se déplaçait jamais sans un minimum de matériel au cas où elle en aurait besoin comme en cet instant.
Néréa étala un drap propre sur lequel elle déposa précautionneusement la créature endormie. La virtuose répéta le geste qu’elle avait appris à l’académie pour appliquer le désinfectant et l’onguent. Pour finir de penser les plaies, elle montra à son assistance de fortune comment elle comptait s’y prendre pour faire les bandages. Elle ajouta :
- Attention à ne pas trop serrer les bandes pour ne pas abîmer les ailes.
Une fois la tâche accomplie, Néréa, qui était toujours à genoux à côté du dragon, baissa la tête et embrassa son ventre quelques secondes. Elle su qu’elle pouvait se relever quand elle n’eut plus l’impression que son corps se vidait de son énergie. Cette perte d’énergie n’était pas trop conséquente vue la taille de l’animal et de ces blessures mais cela lui faisait toujours une drôle de sensation. Comme si le blessé lui aspirait une partie d’elle-même.
Néréa plaça délicatement le dragon rose sur sa veste, le temps de ranger tout le matériel utilisé, tout en s’adressant à la garde-chasse.
- Est-ce qu’il y a un lieu près d’ici où nous pourrions l’emmener pour qu’il puisse se reposer ? Je n’ai pas envie qu’il se réveille pendant le trajet et qu’en nous voyant, il se refasse mal sous le coup de la panique. Je dois avouer qu’un peu de repos me ferait également le plus grand bien.
Néréa n’en revenait pas, elle venait de soigner un dragon de cerisier. Elle était euphorique d’avoir pu approcher d’aussi près cet animal rare. Pourtant, au fond d’elle, elle savait qu’elle aurait préféré ne pas rencontrer cette espèce car elle n’avait pu le faire qu’à cause d’un piège posé par des braconniers.
Néanmoins, autre chose finit par attirer son attention. L'attitude de la demoiselle l'intriguait. Pourquoi une telle affection envers ce petit animal ? Certes, elle comprenait qu'on puisse les aimer, et elle mentirait si elle disait que l'expression d'un amour si sincère ne lui plaisait pas, mais... Etait-ce vraiment nécessaire ? En public ? Et avec un animal probablement capable de la blesser s'il se réveillait trop tôt ?
Et puis, mine de rien, la demoiselle lui demanda un refuge... Ralia mit un moment à réaliser que c'était à elle qu'elle parlait. Tout cela était-il donc si naturel ? Etait-ce elle qui surréagissait, ou n'était pas assez perspicace pour comprendre ce qui se tramait ?
Néanmoins, elle devait à présent indiquer un endroit. Pour elle qui connaissait cette forêt comme sa poche, cela devrait être un jeu d'enfant. Elle pensa d'abord à chez elle. Mais cela se trouvait dans le Village Perché, qui se trouvait après tout à une certaine distance de là où elles se trouvaient... Il n'était pas certain que la magie n'aie pas cessé de faire effet d'ici à ce qu'elles y parviennent... Et puis, il y avait aussi Agneta. Certes, elle savait se faire discrète, mais, sans trop se l'expliquer, Ralia avait du mal à lui faire confiance en ce qui concernait les petits protégés qu'elle ramenait de temps en temps.
Il y avait également les refuges de s garde-chasses, disséminés un peu partout. Mais, même si elle n'était pas sûre de rencontrer un collègue, accepteraient-ils quelqu'un ne faisant pas partie de leur corps de métier ?
Sinon, elle pouvait aussi proposer de monter dans un arbre. Mais elle ne savait pas si la demoiselle en était capable. Néanmoins, ce serait l'endroit le plus sûr qu'elles pourraient trouver.
- Honnêtement, les arbres sont le meilleur des refuges. Un arbre au hasard, pas isolé ni spécial, aurait moins de chances d'avoir été choisi comme terrain de chasse. Et, de là-haut, on est aussi à l'abri des prédateurs. Maintenant, est-ce que vous seriez capable de me suivre dans les hauteurs ? Sinon, deuxième option, on a des refuges un peu partout dans la Forêt. Je ne sais pas si vous y serez la bienvenue, mais notre protégé, lui, y sera en sécurité tout le temps qu'il y restera.
Evidemment, elle ne proposa pas son propre logement. Si elle l'avait pu, elle n'aurait d'ailleurs même pas mentionné les refuges. Mais il fallait bien lui montrer que, même si elle ne pouvait pas rivaliser avec les singes, il lui restait une option...
C’était tellement plus simple avec les animaux. Au moins, eux, elle arrivait à les comprendre, à savoir pourquoi ils agissent de telle ou telle manière en fonction de ses actions. Les humains par contre… c’est une autre paire de manches. Peu importe son attitude, Néréa avait toujours la désagréable impression d’être à côté de la plaque.
Quand son interlocutrice reprit la parole, Néréa se décomposa et son cerveau hurla dans sa tête :
QUOI !!!! Monter dans un arbre ?! Misère... La dernière fois que j’ai fait ça, je devais avoir huit ans et mon père a dû venir me chercher pour m’aider à descendre.
Elle réfléchit quelques instants avant de donner le résultat de ces délibérations internes. La liste des pour et des contre n’était clairement pas en faveur des pour. Ces derniers se limitaient à une unique chose : la sécurité de l’animal. En revanche, côté contre la colonne comportait plus d’éléments : grimper dans un arbre, le risque de chute, la fatigue… Et pourtant, avant d’avoir terminée son énumération mentale, elle s’entendit répondre :
- Je veux bien essayer de grimper dans un arbre mais je ne suis pas sûre d’y arriver et encore moins seule. Je n’ai pas le vertige mais je ne suis pas très sportive.
Mal à l’aise, Néréa laissa quelques secondes s’écouler pour que la garde-chasse envisage toutes les possibilités. Pour ne pas que le blanc entre elles ne s’éternise, Néréa ajouta :
- La priorité est la sécurité et la santé du dragon de cerisier, alors peu importe ce que l’on fait. Vu la situation, si tu penses que le mieux c’est d’aller au refuge, il n’y a pas de problème. Je pourrais m’accommoder des critiques ou comportements hostiles. Je demande juste de pouvoir faire une petite sieste avant de reprendre la route pour rentrer chez moi.
Même si Néréa ne donnait pas de réponse définitive, elle espérait, voire elle suppliait du regard la garde-chasse de choisir la deuxième option. Elle avait moins peur du rejet de ses pairs que de tomber d’un arbre.
La virtuose n’aimait pas prendre des décisions, elle préférait s’en remettre à l’avis des autres de manière à faire passer leurs besoins avant les siens. Son manque de confiance en elle face aux relations sociales la bloquait et la faisait agir de la sorte pour éviter tout conflit. C’est pour cela que le regard améthyste de la jeune femme augmentait sa nervosité tandis qu’elle attendait sa décision.
Enfin, là n'était pas la question. Elle ne l'avait qu'à moitié écoutée alors qu'elle réagissait à ses propositions, trop perdue dans ses questionnements intérieurs. Néanmoins, elle avait bien compris qu'elle lui demandait son avis. Avec un petit sourire ironique, elle lança :
- En effet, sa sécurité est plus importante. Là-haut, il sera loin des prédateurs, et puis, ne l'oublions pas, c'est une créature volante. Bloqué au sol, il pourrait se sentir piégé à son réveil. Alors, c'est parti, on monte !
Néanmoins, elle prit soin de récupérer leur protégé. Sa complice n'était pas à l'aise avec l'escalade ? Ralia lui permettait de s'y adonner avec ses deux bras. Et, venant d'elle, c'était un cadeau inestimable. Mais, bien sûr, pour le savoir, il fallait la connaître...
À peine gênée par la présence de la petite créature, elle n'utilisa qu'une main pour aider ses pieds à la propulser dans les branches. C'était évident, si elle était un animal, Ralia serait un singe. Un singe qui adore passer du temps avec les oiseaux... Hum, pas très logique, tout ça. Mais personne ne dirait jamais de Ralia qu'elle était logique, alors... L'image collait finalement assez bien.
Une fois arrivée à destination, en attentant la demoiselle aux cheveux de feu, elle installa le dragon miniature le plus confortablement possible. Elle aurait aimé passer à la suite d'elle-même, mais voilà... Elle n'était pas vétérinaire, et ne pouvait se débarrasser de cette encombrante peur de faire une bêtise si elle se faisait confiance... Alors, elle n'eut d'autre choix que d'attendre la deuxième humaine. Si cette dernière manquait de tomber, Ralia l'aiderait à se hisser à ses côtés. Mais si tout se passait à peu près bien... Elle se débrouillerait, voilà tout.
C’est la première pensée qui vint à l’esprit de Néréa quand la garde-chasse lui exposa son choix. Elle s’était décomposée une nouvelle fois en entendant ses mots mais la peur s’était rapidement en colère. Celle-ci était dirigée comme elle-même et son incapacité à imposer son avis.
Il va vraiment falloir que j’apprenne à m’imposer !
Plongée dans ses pensées, Néréa ne comprit pas immédiatement se qu’il se passait au moment où la jeune femme récupéra l’animal. C’est quand elle la vit grimper dans un arbre d’une seule main qu’elle revint à la réalité. Elle la regarda faire, tel un singe, bouche bée en se demandant comment elle allait faire pour la suivre.
Une fois arrivée au pied de l’arbre, Néréa paniqua en voyant jusqu’à quelle hauteur il lui faudrait escalader le tronc.
- Allez courage Néréa, tu vas y arriver !
Elle serra les poings un instant pour se donner du courage puis arrangea son sac de voyage sur son dos et chercha sa première prise.
L’énergie dépensée pour soigner le dragon était minime. Cependant le manque de sommeil des nuits précédentes l’avait beaucoup plus épuisée. L’effort physique nécessaire lui parut donc plus important que ce à quoi elle s’attendait.
Elle se félicita intérieurement d’être à mi-chemin quand l’une de ses mains dérapa, ce qui la fit redescendre d’un ou deux mètres. Son corps commençait sérieusement à fatiguer et cette chute n’arrangea rien. La suite de sa progression fut grandement ralentie. Durant la suite de son ascension, Néréa n’osa pas regarder en haut, de peur de voir la demoiselle aux cheveux violets s’impatienter au mieux, rire de ses difficultés au pire.
- Allez, tu vas y arriver ! Tu y es presque !
Néréa chuchota ses mots en les répétant comme un mantra pour se motiver et oublier la fatigue de plus en plus pesante.
Les muscles tétanisés, Néréa fini par attraper la branche juste en dessous de celle sur laquelle la garde-chasse s’était installée avec son protégé. Essoufflée, elle grommela quelques reproches à sa comparse.
- Enfin ! Il n’y avait vraiment pas moyen de s’arrêter plus bas ?! C’était nécessaire de monter à 3 branches de la cime ?! Pfff, j’en peux plus, je vais faire une sieste.
Néréa savait qu’elle pouvait être détestable quand elle était épuisée et sur les nerfs comme c’était le cas à ce moment-là. Elle choisit donc de ne pas en rajouter même si son esprit ne se gênait pas pour continuer à râler.
Avant de sombrer dans les bras de Morphée, à califourchon sur sa branche et calée contre le tronc, elle demanda peut-être un peu plus sèchement qu’elle ne l’aurait souhaité :
- On doit rester là combien de temps ?
Lorsqu'elle manqua de tomber, Ralia eut un mouvement pour aller la récupérer. Elle dut se faire violence, mais elle parvint à rester installée sur sa branche. Elle était censée être la garde-chasse qui s'en contre-fichait des humains. Et, quoi qu'il arrive, elle devait conserver cette image. Cette image d'indifférence, donnant l'impression qu'une réussite ou un échec de la part de la demoiselle ne ferait aucune différence pour elle.
Toute à ses pensées, elle sursauta quand les reproches fusèrent. Et elle se contenta de hausser les épaules :
- ... Non ? C'est naturel, pour moi, je n'y ai pas fait attention. Mais, au moins, notre protégé est en sécurité.
En disant ces mots, elle le désignait du menton. Le dragon miniature dormait à présent paisiblement, sans aucune trace de son agressivité précédente.
Néanmoins, lorsque sa comparse lui demanda pour combien de temps il fallait rester, elle ne put retenir un rire incrédule :
- Pardon ?! C'est vous qui vouliez le laisser se reposer en sécurité ! Donc j'imagine que maintenant qu'on est là, il faudrait terminer les soins. Après ça... Je pense qu'on pourrait le laisser se reposer tranquillement. Normalement, je veille les animaux que j'endors jusqu'à leur réveil, mais dans son cas, il vaudrait peut-être mieux le laisser. Je ne pense pas qu'il sera capable de refaire confiance aux humains... Il a dû voir les braconniers, je ne vois pas d'autre explication.
Tandis que sa comparse semblait décidée à dormir, Ralia, elle, veillait le petit dragon. Elle se remémora ce que la vétérinaire lui avait dit. Apparemment, les soins étaient terminés... Donc, techniquement, elles pouvaient déjà redescendre. Elle dut retenir un nouveau rire en s'imaginant déclarer à cette non sportive qu'en fait... Elle aurait pu ne pas la suivre. C'était Ralia qui avait mal compris quelque chose. Elle aurait peut-être simplement pu aller déposer le dragon avant de repartir immédiatement... Dans l'arbre d'à côté. Décidemment, elle ne pouvait pas se résoudre à le laisser seul. Elle pouvait le tromper, lui faire croire qu'il était seul, mais l'observer depuis des branches voisines. C'était ce qu'elle ferait si sa collègue d'infortune était d'accord avec elle. Mais d'abord... Il fallait attendre son réveil. Quelle plaie. Pourquoi les humains étaient-ils si peu endurants ?
La jeune femme regarda autour d’elle, enfin plutôt au-dessus d’elle pour voir si le dragon et la garde-chasse étaient toujours là. Elle ne savait pourquoi, elle s’attendait à se réveiller seule, à plusieurs mètres de haut, sans savoir comment descendre. De toute évidence, son acolyte n’était pas aussi mesquine. A moins… qu’elle ne soit restée que pour leur patient ? C’était une possibilité mais peu importe, la demoiselle était toujours là et Néréa n’aurait pas à descendre seule de ce végétal géant.
- Salut… J’ai dormi combien de temps ? Je suis désolée, je t’ai laissé t’occuper seule du dragon.
Elle préféra ne pas évoquer son comportement après son ascension. Néréa ne voulait surtout pas lui tendre le bâton pour se faire battre. Elle choisit de poursuivre son monologue en axant ses questions sur la boule rose qui semblait toujours endormie.
- Est-ce qu’il est revenu à lui ? Il va bien ?
Assaillir sa colocataire d’arbre n’était pas la meilleure des idées mais Néréa se sentit soudain nerveuse d’avoir à faire la conversation avec une presque inconnue. Elle ne gérait pas très bien le stress et encore moins les blancs qu’il pouvait y avoir dans ce genre de situation, ce qui n’arrangeait pas son anxiété naturelle. Elle dit alors tout ce qui lui passa par la tête sans organiser ses pensées.
- Au fait, je ne me suis pas présentée, je m’appelle Néréa. Je suis virtuose vétérinaire à l’Académie. Et toi, comment tu t’appelles ? Tu vas de temps en temps à la capitale ? Je trouve qu’il y a trop de monde en ville mais je n’ai pas vraiment le choix, pour apprendre mon métier il faut que j’y reste. Mais quand j’aurais terminé ma formation, je pense m’installer à la campagne. Je n’ai pas encore décidé où. Tout ce que je veux c’est pouvoir soigner tous les animaux qui en ont besoin. Je déteste les voir souffrir. Je suis contente d’avoir pu t’aider avec ce dragon. Tu aimes vivre…
Quand Néréa se rendit compte que son interlocutrice n’avait pas pu placer un seul mot depuis plusieurs minutes et que sur son visage se peignait diverses émotions ; que la virtuose interpréta comme de la surprise, de l’incompréhension avec, peut-être une petite pointe d’agacement ; elle se stoppa net, la bouche encore grande ouverte.
Elle se força à se calmer en soufflant un grand coup avant de reprendre la parole.
- Désolée. Je recommence, je m’appelle Néréa. Et toi ?
Alors qu'elle continuait à observer ses deux marmottes de compagnie, l'une d'elles finit par se réveiller... Et l'assaillir de questions. Ralia laissa échapper un grognement. Voilà exactement pourquoi elle n'aimait pas ses congénères féminines. Elles parlaient trop, ne laissaient pas l'occasion au calme d'apaiser correctement l'esprit...
Néanmoins, pour une fois, elle se trouvait en présence d'une femme ayant du plomb dans la cervelle. En effet, elle eut la présence d'esprit de se reprendre pour résumer ses questions à une seule. Alors, Ralia laissa échapper un petit sourire appréciateur. En voilà une qui savait comment elle fonctionnait.
- Ralia.
Inutile d'en dire plus. Après tout, elle lui avait donné l'information demandée, c'était tout ce qu'il fallait, non ?
Néanmoins, il y avait quelque chose qu'elle voulait lui dire, et, même si elle savait que cela risquait de ne pas lui faire plaisir, elle se devait de le faire avant que le dragon ne se réveille :
- Alors... Ce ne sera peut-être pas de votre goût, mais il risque de ne pas tarder à se réveiller... Et il vaudrait mieux qu'il ne nous voie pas à ce moment. Alors, je propose soit de descendre... Soit de continuer à l'observer, mais à partir de là-bas.
En disant ces mots, elle désignait l'arbre voisin. Malgré elle, elle ne pouvait s'empêcher d'éprouver une certaine curiosité vis-à-vis de la réaction qu'aurait sa comparse. Oh, elle se doutait qu'aucune option ne lui plairait vraiment, mais elle était curieuse de voir comment cette désapprobation s'exprimerait... Et, surtout, de découvrir quelle sorte d'amusement elle pourrait en retirer.
Néréa sortit de ses pensées quand l’acrobate en herbe reprit la parole. Celle-ci lui rappela pourquoi elles avaient grimpé dans un arbre à plusieurs mètres du sol. Ralia exposa également deux propositions dont le seul but était d’observer leur protégé.
- Euh…
Ce fut tous les sons qui franchirent ses lèvres dans un premier temps.
Réfléchis Néréa, réfléchis ! Plouf, plouf… Je suis trop bête des fois, je vais pas faire comme les enfants !
Alors qu’elle essayait de déterminer si elle devait redescendre ou tenter à nouveau sa vie pour changer d’arbre, Néréa cru voir le dragon rose bouger. Elle s’empressa de dire :
- Je vais déjà défaire les bandages et examiner le dragon de cerisier avant qu’il ne se réveille. Je vais lui remettre de l’onguent sur les marques laissaient par les plaies et on pourra le laisser tranquille. Pour aller plus vite, tu peux m’aider à enlever la bande s’il te plait.
La virtuose grimpa tant bien que mal sur la branche supérieure pour rejoindre son patient. Elle défit délicatement le bandage d’une des ailes pendant que la garde-chasse s’occupait de l’autre. Néréa étala une nouvelle couche d’onguent sur les traces, à peine visible, où se trouvaient les lésions quelques heures plus tôt.
- Voilà, c’est fait. L’onguent devrait permettre à la peau de se régénérer totalement. A première vue, personne ne pourra savoir qu’il a été blessé.
Et maintenant il fallait qu’elle se décide entre l’arbre voisin et le sol. Aucune des deux solutions ne l’enchantait guère, cela va de soi. Mais il fallait bien en choisir une, elle ne pourrait pas rester indéfiniment sur cette branche.
D’un côté, la jeune femme serait plus rassurée d’avoir de nouveau les pieds sur la terre ferme. Mais en même temps… avoir la chance de pouvoir voir un dragon de cerisier évoluer dans son milieu naturel d’aussi prêt… C’était une occasion en or qu’elle ne pouvait surtout pas laisser passer.
Advienne que pourra ! La science l’emporte !
- Je récupère mon sac et je te suis dans l’autre arbre.
Néréa essaya de montrer au maximum son enthousiasme malgré la peur. Elle était arrivée jusqu’ici, elle pourrait changer de végétal, ce ne serait pas si compliqué, n’est-ce pas ?!
Elle rejoignit la branche qui lui avait servi que lit quelques minutes plus tôt et fit un signe de tête à son acolyte indiquant qu’elle était prête à la suivre.
C'est alors qu'elle fit diversion. Ah, tiens. ça, Ralia ne l'avait pas prévu... Mais soit. Elle ne pouvait qu'admettre que c'était du bon sens. En effet, elles n'allaient pas relâcher un animal dans la nature sans le libérer de ses entraves, même si ces dernières avaient été posées pour son bien. Elle aida donc la vétérinaire, s'adonnant sans poser de questions aux tâches qui lui furent confiées. Par conséquent, il ne leur fallut pas beaucoup de temps pour libérer le petit dragon. Elle hocha la tête, satisfaite, lorsque sa comparse lui livra ses conclusions :
- Merci pour votre aide. À présent, c'est sûr, il pourra continuer sa vie tranquillement... Surtout s'il reste loin des humains, comme ce sera probablement le cas.
Puis elle fit son choix. Ralia ne put empêcher un petit air surpris de se peindre sur ses traits pendant quelques secondes, avant qu'elle ne reprenne son attitude légèrement ironique.
- Oh, vraiment ? Pour quelqu'un de non sportif, tu as bien du courage, ma chère !
Elle ne réalisa pas immédiatement qu'elle était passée au tutoiement... Et lorsque ce fut le cas, elle décida de l'ignorer. Soit. S'il le fallait, elle pouvait s'adresser à elle ainsi. Après tout, c'était peut-être un réflexe de mimétisme, puisque la demoiselle passait son temps à la tutoyer... Oui, c'était ça. Elle ne se sentait absolument pas proche d'elle. Après tout, c'était une humaine.
Balayant ces pensées, elle jeta un regard plein de défi à la demoiselle, avant de reculer de quelques pas pour prendre son élan, puis... De s'élancer vers les branches de l'arbre voisin.
Elle n'atterrit pas exactement là où elle l'avait prévu, et dut se raccrocher à une branche puis faire un peu d'escalade pour atteindre son premier objectif, mais elle finit par y parvenir, heureuse de cet exercice physique. Et non, elle n'avait pas eu peur de tomber. Peut-être l'aurait-elle dû... Mais la prudence était un concept qui lui était totalement inconnu. Alors, ce fut tranquillement, comme s'il ne s'était rien passé d'extraordinaire, qu'elle vint s'asseoir sur sa branche, et, consciente qu'elle se trouvait hors de portée de voix, adressa un signe à sa comparse. Un signe qui signifiait : "à toi !"
Ralia ne perdit pas de temps pour prendre son envole vers sa destination. Son atterrissage un peu maladroit ne diminua en rien l’admiration que Néréa ressentie face au saut et à l’agilité de sa compère. Cependant la peur reprit rapidement le dessus. Quand la virtuose comprit que c’était à son tour de s’élancer, elle pâlit et s’approcha prudemment de l’extrémité de la branche. Une fois n’est pas coutumes, Néréa s’encouragea mentalement pour avoir le courage de bouger.
Allez Néréa ! Tu peux le faire ! Vas-y, tu vas y arriver !
Après s’être répété une dizaine de fois son nouveau mantra, elle prit son courage à deux mains et finit par sauter…
- AAAAHHHH…
Malheureuse ! Elle n’avait pas pris exemple sur son acolyte et n’avait pas reculé pour prendre son élan avant de décoller. Toutefois, Néréa avait réussi à sauter assez loin pour ne pas tomber entre les deux arbres mais elle dû tendre les bras pour attraper le bout d’une branche dans sa chute. La première qu’elle eut le temps de tenir lui glissa entre les mains, ce qui la précipita deux ou trois branches plus bas. Le jeune femme s’écrasa alors sur un autre bras du végétal, plus gros et large, qui ne rompit pas sous son poids fort heureusement. L’atterrissage était déjà assez douloureux comme ça.
La première partie de son corps à être entrée en contact avec l’arbre fut sa cage thoracique. Ses poumons s’étaient alors vidés d’un seul coup de leur air qu’ils contenaient. Elle ressentit ensuite une vive douleur dans toute sa poitrine et à chaque respiration elle avait l’impression d’avaler du feu.
Tant bien que mal, elle se hissa correctement sur la branche qui l’avait rattrapée pour s’asseoir dos au tronc et reprendre son souffle… ou du moins essayer. Néréa décida de rester quelques instants sans bouger avant de descendre définitivement de ces maudits végétaux géants. Plus vite ses pieds toucheraient la terre ferme, mieux elle se sentirait. Elle regrettait amèrement d’avoir imaginé pouvoir changer d’arbre sans repasser par le sol. Non, mais quelle idée !
La jeune femme leva les yeux pour essayer de voir de quelle hauteur elle était tombée et surtout essayer d’apercevoir la réaction de sa compère. Elle avait honte de s’être ridiculisée et que son enthousiasme l’ai emporté sur la raison. Elle ne distinguait pas assez bien la silhouette de Ralia pour savoir ce qu’elle pensait mais elle imaginait très bien un sourire moqueur dessiné sur ses lèvres. Si c’était bien le cas, elle ne pourrait pas lui reprocher sa stupidité.
Aussi fort qu’elle le pu, Néréa expliqua la situation, sans savoir si elle serait entendue.
- Je crois que je me suis cassée une côte ou deux. Je vais rester un peu là avant de redescendre. Est-ce que notre ami s’est réveillé ? Si oui, il va bien ?
La virtuose étala sur elle l’onguent qu’elle avait utilisé quelques heures plus tôt sur le dragon pour soulager la douleur. Quand elle sentirait un peu moins la douleur et que ses mouvements seraient plus aisés, sans risquer de déclencher des nausées dues à la douleur, Néréa rejoindrait le sol. Tant pis, elle ne verrait pas le dragon de cerisier se réveiller et prendre son envol.
À présent, il était temps de se demander quel châtiment correspondrait à la grosse erreur que venait de faire la demoiselle... Et, avant cela, il fallait l'observer, pour déterminer...
En la voyant, Ralia ne put se retenir d'exploser de rire. Sérieusement ? Comment pouvait-on être aussi empotée ?
Lorsque l'empotée en question lui annonça sa situation, Ralia soupira, avant de descendre pour arriver à son niveau.
- Alors, déjà, cesse de crier comme ça, tu vas faire fuir toute la faune. Quant au dragon... Eh bien, tu lui as fait peur, qui sait où il est, maintenant...
Puis, elle prit un moment pour l'observer, avant de lâcher, d'un air parfaitement insensible :
- J'ai déjà rencontré un empoté d'un tel niveau... Mais lui, il a eu la présence d'esprit de rester au sol. Un éléphant ne devrait pas se prendre pour un oiseau.
Elle ne se rendait pas compte de combien cette dernière phrase pouvait être perçue comme blessante. Pour elle, tous les animaux étaient égaux, un éléphant n'était donc pas connoté négativement chez elle. Même si elle n'en avait jamais vu autrement que dans les livres qu'elle adorait éplucher.
- Bon, sinon... On ne va pas rester ici toute la journée. Voici un marché : je descends prudemment, et tu fais comme moi. Et sache que tu y seras la seule gagnante, alors, ne pense même pas à refuser.
Si elle lui offrait un tel service gratuitement, c'était uniquement pour l'empêcher de se tuer en tentant une nouvelle action insensée. Non, c'était faux, elle n'éprouvait aucune compassion pour elle. Où êtes-vous allés chercher ça ? Une humaine n'en était pas digne, voyons.
Lorsque les critiques de la garde-chasse atteignirent les oreilles de la virtuose, le regard de celle-ci s’embua de larmes. Ce n’est pas tant la douleur que la honte qui l’avait fait réagir même si c’est l’excuse qu’elle utiliserait si la jeune femme la questionnait. On ne l’y reprendrait pas à deux fois. Plus jamais elle ne jouerait les acrobates.
Ralia, lassée d’attendre une réaction de la part de Néréa, proposa de redescendre tranquillement de l’arbre. Les médicaments commençaient à faire effet et Néréa hocha la tête pour signifier qu’elle allait la suivre. Refuser son aide, surtout maintenant, n’était pas envisageable. Elle n’avait pas envie de faire une nouvelle chute de plusieurs mètres. Surtout que cette fois-ci, ce ne sont pas les branches qui allaient l’arrêter mais bel et bien le sol. Néréa était déjà en piteux état, pas besoin d’en rajouter.
La garde-chasse montra les différentes prises à Néréa pour l’aider à descendre. Cette dernière suivit scrupuleusement tous les conseils qui lui étaient prodigués. Malgré la douleur qui se réveillait un peu plus à chaque mouvement, elle réussit à poser les pieds sur la terre ferme sans blessure supplémentaire.
- Merci.
Néréa remercia timidement sa partenaire d’escalade et s’assit au pied de l’arbre, le temps de reprendre son souffle et d’essayer de calmer la douleur lancinante qui courait au niveau de ses côtes. Pour ne pas laisser Ralia dans l’attente, Néréa reprit la parole.
- Merci pour ton aide. Je vais me reposer un peu ici. Quand j’aurai un peu moins mal, je rentrerai chez moi. Tu peux partir si tu veux, tu dois certainement avoir des choses plus intéressantes à faire que de rester là, avec moi.
Néréa lui adresse un petit sourire de gratitude avant de fermer les yeux et d’essayer de se concentrer sur autre chose que sa douleur.
Elle revint donc vers l'arbre. Une fois arrivée, elle appela mentalement Cristaline... En priant pour qu'elle accepte d'obéir, pour une fois. Enfin, en priant... En l'espérant très fort, plutôt. Comment une non-croyante pourrait-elle en effet prier ?
Néanmoins, le flobais femelle finit par apparaître, sans pour autant lui avoir répondu. Mais Ralia ne s'en formalisa pas : après tout, elle avait fini par apprendre qu'avec sa compagne, il était inutile de s'attendre à la moindre coopération. Oui, il lui arrivait de coopérer... Mais seulement lorsqu'elle le décidait. Ou que Ralia en avait absolument besoin. Cette dernière n'avait jamais aucun contrôle sur le niveau de coopération dont elle pourrait bénéficier.
Lorsque l'animal se posa à ses côtés, Ralia lui accorda une caresse rapide, avant d'expliquer :
- Il va nous falloir un médecin. Si tu es là, c'est pour qu'on aille plus vite... Donc tu le laisseras monter, d'accord ?
- Un étranger, monter ? Nan.
- Pour une fois, je t'en prie, ne fais pas ta mauvaise tête...
- Et puis, pourquoi ? Toi, besoin d'un médecin ?
- Pas moi... Une vétérinaire.
- Oh !
Alors, une fois n'étant pas coutume, Ralia se retrouva de nouveau placée de force sur le dos de sa monture, qui prit immédiatement son envol. Bon. Maintenant, il fallait garder son équilibre... Et savoir où aller, pour donner des instructions correctes à celle qui gérait le voyage de leur curieux duo.
Finalement, elle finit par penser à l'un de ses collègues. D'accord, il n'était pas médecin, mais il l'avait soignée efficacement lorsqu'elle s'était faite attaquer par un warg... Et, surtout, elle le connaissait bien. Alors, elle mit son pouvoir à contribution pour le localiser. Mine de rien, ce don était utile, finalement.
Lorsque le flobais se posa devant lui, l'homme eut un mouvement de recul, mais, rapidement, son expérience du contact avec les animaux se ressentit dans l'approche prudente qu'il adopta. Néanmoins, Ralia n'avait pas le temps d'attendre qu'il l'approche comme s'il s'agissait d'un animal sauvage :
- Eh, Flo ! Tu ne crains rien, c'est mon familier. Viens, on va avoir besoin de tes talents médicaux.
- Oh, Ralia ? Bonjour... Mais tu ne peux pas demander à un vrai médecin ?
- Pas le temps. Et toi, je te connais, j'ai pu te retrouver facilement. Dépêche-toi de monter !
Il chercha de nouveau à parlementer, mais, finalement, suivant de nouveau les indications de Ralia, Cristaline finit par déposer les deux humains devant la vétérinaire. Une fois les deux descendus, elle en profita pour se plaindre :
- Lourd...
Ralia se hâta donc d'aller lui prodiguer bon nombre de caresses et de marques d'affection, tout en s'excusant :
- Oui, désolée... Mais c'était nécessaire. Je te promets que tu n'auras plus à le transporter, ma belle. Il rentrera par ses propres moyens. Mais merci de nous avoir fait gagner du temps. Tu pourrais venir demain ? Je connais un endroit où tu pourras pêcher !
La créature laissa alors échapper un cri de joie qui ressemblait vaguement à un rugissement, avant de prendre son envol pour retourner vivre sa vie un peu plus loin. Ralia ne put retenir un petit rire en la voyant agir ainsi, avant de vite se souvenir de la situation au pied de cet arbre. Alors, elle rejoignit Néréa, que le garde-chasse examinait déjà. Néanmoins, elle ne savait pas quoi faire, ni même si elle pourrait être utile, par conséquent, elle resta juste là, se sentant parfaitement idiote et inutile.
Quoi ?? Elle va me laisser là sans dire au revoir ! Je ne demande pas grand-chose, juste « au revoir » ou « bon voyage » ! C’est pas compliqué, c’est la moindre des politesses !
Néréa regarda à nouveau ses pieds. Après la douleur et la honte, c’est la déception qui pointa le bout de son nez. Malgré tout ce qui s’était passé, elle n’avait pas imaginé une seule seconde qu’elle finirait par être laissée de côté. Cette sensation d’abandon lui serra le cœur et les larmes revinrent troubler sa vision.
Qu’est-ce que je vais faire maintenant ? Je ne vais pas rester là indéfiniment. Allez, bouge tes fesses Néréa. Il faut rentrer.
Néréa tenta de se remettre debout mais une douleur vive dans ses côtes la rappela à l’ordre et la fit crier. Elle glissa le long du tronc pour se rasseoir. Elle posa sa tête en arrière pour l’appuyer contre l’arbre et ferma les yeux un instant.
Cet instant dura plus longtemps que prévu. Elle rouvrit les yeux, l’esprit un peu embrumé, en entendant des bruits de pas. Par peur, elle fit semblant de ne pas savoir que quelqu’un approchait.
Quand elle vit deux pieds s’arrêter devant elle et un homme s’accroupit pour être à son niveau. Elle fixa le nouvel arrivant ne sachant pas quoi faire. C’est alors que ce dernier fit un geste dans sa direction. Néréa n’était pas rassurée qu’un inconnu l’approche et encore plus vu son état de santé déplorable à ce moment-là. Si cela avait été possible, Néréa se serait reculée jusqu’à ce que son corps soit incrusté dans le tronc. Mais la jeune femme n’avait aucune marge de manœuvre.
- Qui êtes-vous ?
- Je vais vous examiner.
A la vue de son visage paniqué, l’inconnu précisa ses intentions. Néréa se contenta de hocher la tête pour lui donner la permission de regarder ses blessures. Elle n’avait pas vu revenir Ralia, mais pour quelle autre raison cet homme serait-il là sinon ? A moins qu’elle ait eu la chance d’être abordée par un promeneur qui avait vu sa détresse ? Il y avait peu de chance que la seconde hypothèse soit la bonne vu le peu de passage dans les environs depuis plusieurs heures.
Alors que l’homme palpait la zone que lui montrait la virtuose, celle-ci détourna le regard en grimaçant. C’est à cet instant qu’elle remarqua que la garde-chasse se tenait debout derrière le soigneur. Les traits de la vétérinaire se détendirent légèrement. Ralia ne l’avait pas abandonné à son sort sans dire au revoir ni merci. Elle était partie chercher de l’aide.
- Merci.
Dans un souffle, Néréa avait remercié les deux personnes à ses côtés. Elle doutait que Ralia ait pu l’entendre mais le sourire qui accompagnait ses paroles devait au moins être une bonne indication de ce qu’elle voulait transmettre.
Elle avait déjà une assez bonne idée de ce qu’elle devait faire avant cela, mais elle n’avait pas les moyens matériels pour mettre en pratique ces conseils. Elle devait avant tout se reposer et bander ses blessures. Pour le repos, l’arbre sous lequel elle était, était ce qu’il y avait de mieux pour le moment. Quant aux bandages, elle n’en avait plus assez après en avoir utilisé pour le dragon de cerisier.
Une fois l’examen terminé et les conseils de soins prodigués, Néréa redemanda :
- Qui êtes-vous ?
Néréa ne pouvait pas marcher et encore moins rentrer chez elle, elle décida donc d’entamer la discussion pour faire passer le temps.
- Je vis à la capitale, donc je ne vais pas pouvoir me reposer très longtemps ici. J’appliquerais vos conseils une fois rentrée.
Elle les rejoignit au moment où la blessée demandait l'identité de son potentiel sauveur... Oui, évidemment. Elle remarqua le regard malicieux de l'homme juste avant qu'il ne réponde :
- Pas un médecin, c'est certain !
Sans réfléchir, Ralia décida d'intervenir :
- Oui, mais tu sais y faire ! Après tout, c'est toi qui m'as sauvée après l'attaque de ce warg, c'est grâce à toi que...
- Oui, bon, si tu avais écouté mes instructions, tu n'en aurais pas eu pour aussi longtemps !
- Je... euh...
Alors que son collègue riait à nouveau, Ralia décida de cesser de chercher ses mots. Après tout, c'était elle qui avait été en tort, ils le savaient tous les deux. Mais plutôt mourir que de l'admettre ! Alors, elle préféra se reconcentrer sur Néréa :
- C'est un collègue. Et, honnêtement, le seul d'entre nous capable de se substituer à un vrai médecin si nécessaire. J'aurais pu aller chercher un médecin, mais lui, il a un avantage : je le connais. Et avec mon pouvoir, ce n'est pas difficile de le localiser. Donc, c'est plus rapide de le ramener.
Pour sa part, le dénommé Flo était retourné examiner la demoiselle.
- Non, il vaudrait mieux agir maintenant... Ne serait-ce que pour vous permettre de rentrer. J'ai au moins un désinfectant... Et non, Ralia, tu ne peux pas créer de bandages.
Alors qu'elle avait fait un geste pour prélever une bande de sa tunique, comme elle avait l'habitude de le faire lorsqu'elle n'avait pas de bandage à sa disposition, elle s'interrompit sans terminer son mouvement.
- Dans ce cas, comment tu comptes faire ?
Il soupira.
- Ralia... C'est sympa de vouloir aider, vraiment. Mais là, je pense que tu seras plus utile en surveillant les environs. Tu le sais, les possibles prédateurs attirés par le sang...
Elle en resta dubitative. Certes, de telles créatures existaient, mais à cet endroit, cela l'étonnerait. Et puis, même si Néréa était blessée, elle ne l'était pas assez pour que son sang se sente de loin... Voulait-il plutôt se débarrasser d'elle ? Enfin, elle pouvait se trouver une très bonne raison de rester :
- Cristaline s'en chargera. Je l'appelle.
- Oui, fais ça.
Alors que Ralia s'éloignait, prête à débattre farouchement par voie mentale avec son familier, le soigneur improvisé se recentra sur sa patiente.
- Je suis désolé, mais elle risque de faire plus de mal que de bien, à tant vouloir aider. Commencez par désinfecter vos blessures avec ça. Avec un peu de chance, ça atténuera aussi la douleur et vous permettra de marcher jusqu'à un de nos abris. Vous pourrez vous y reposer aussi longtemps que nécessaire. Il est hors de question que vous retourniez à la Capitale avant d'être guérie... Et vous, j'espère que vous savez écouter des instructions.
Au moment où la blessée allait prendre la parole, le garde-chasse la devança pour arrêter sa collègue dans son élan de générosité. Ralia s’apprêtait à utiliser l’un de ses vêtements pour faire un bandage. Néréa voulu la remercier de son geste mais n’en eut pas le temps. Les propos tenus par le garde-chasse lui firent rapidement oublier ce qu’elle s’apprêtait à dire.
D’un coup elle eut peur. Peur que les quelques égratignures sur son visage et ses bras n’attirent des prédateurs. Peur que ses blessures internes ne la rendent trop faible si elle avait besoin de fuir ou de se défendre. Enfin… jusqu’à ce que Ralia ne parle d’une troisième personne.
- Cristaline ? Mais… qui… qui est cette personne ?
Néréa questionna timidement la garde-chasse. Trop tard, elle était déjà plongée dans ses pensées. L’inconnu ramena la virtuose à la réalité de sa situation sans prendre la peine de répondre à ses interrogations.
- Je suis désolé, mais elle risque de faire plus de mal que de bien, à tant vouloir aider. Commencez par désinfecter vos blessures avec ça. Avec un peu de chance, ça atténuera aussi la douleur et vous permettra de marcher jusqu'à un de nos abris. Vous pourrez vous y reposer aussi longtemps que nécessaire. Il est hors de question que vous retourniez à la Capitale avant d'être guérie... Et vous, j'espère que vous savez écouter des instructions.
- Euh, oui. Mais, attendez… Dans mon sac, j’ai encore quelques bandages propres que je n’ai pas utilisés pour soigner le dragon de cerisier tout à l’heure.
- Tenez.
Le jeune homme avait fouillé dans son sac pour elle. Tant mieux, elle en était incapable sans se tordre de douleur. Elle désinfecta ses plaies avec le produit qu’il lui tendit. Pour éviter de crier de douleur, elle se concentra sur ses pensées.
Néréa se demanda alors si elle serait réellement la bienvenue dans l’abri des gardes-chasses. Ralia lui avait expliqué que ça ne serait peut-être pas le cas alors même qu’elles en avait besoin pour soigner un dragon de cerisier.
Qu’elle eut terminé, elle tenta d’engager de nouveau la conversation avec son médecin de fortune. Elle commença par cette question pour laquelle elle n’avait toujours pas eu de réponse.
- Vous ne m’avez toujours pas dit comment vous vous appelez.
- Flo.
La réponse fut laconique mais Néréa était ravie, elle avait enfin obtenue cette simple information qui lui tenait à cœur. Enhardie par cette première réussite, la jeune vétérinaire continua son interrogatoire.
- Qui est Cristaline ?
- C’est le familier de Ralia.
- Son familier ? De quelle espèce est-elle ?
- C’est un flobais.
D’un sourire ravi de toutes ces informations collectées, Néréa plongea dans sa mémoire afin de se souvenir de toutes les connaissances acquises sur cette espèce. Les dessins de ce magnifique animal prirent le dessus avant qu’elle eut le temps de finir la revue de ses lectures. Elle avait toujours beaucoup aimé les différentes espèces de montures volantes dont les flottais faisait partis.
- Voilà, j’ai terminé.
Le jeune homme rangea les bagages dans le sac de Néréa puis le désinfectant dans ses affaires. Attendant que Ralia reviennent vers eux, la jeune femme tenta de se mettre debout tout en demandant :
- Qu’est-ce que l’on fait maintenant ?