Comme prévu, le débat fut houleux. Contrairement à Ralia, Cristaline n'était pas dupe et savait que la quantité de sang versée, si tant était qu'on puisse utiliser ce terme, était trop faible pour attirer les prédateurs. Peut-être que cette assurance lui venait du fait qu'elle était elle-même un prédateur ? Ou qu'elle avait un meilleur odorat que les humains ? Ou simplement qu'elle était trop ravie de pouvoir contredire Ralia avec raison pour s'en priver ? La véritable réponse tenait probablement un peu des trois.

Toujours est-il que, pour une fois, elle ne se fit pas prier pour rejoindre le trio, et, sans la moindre considération pour les deux garde-chasses, vint immédiatement renifler les blessures de la vétérinaire.

- Pas beaucoup. Pas de danger.
- Peut-être, mais tu pourrais la laisser respirer ?

Comme si elle se rendait compte d'une erreur, la créature consentit à s'éloigner de quelques pas, pour une fois sans protester. Ce qui amena une expression satisfaite sur le visage de Ralia :

- Je crois que j'ai trouvé comment communiquer de manière plus efficace avec elle !

- Félicitations. Tiens, puisqu'elle est là, peut-être qu'elle pourrait nous aider à transporter Mademoiselle ? Ce serait plus simple que de la forcer à boiter jusqu'au refuge.

Ralia hésita, son regard faisant des allers-retours entre ses trois compagnons. Puis elle s'expliqua :

- Elle a déjà eu du mal à t'accepter, toi, Flo. Donc je ne sais pas... Mais d'un autre côté, elle a l'air de tenir à aider les blessés, c'est comme ça qu'on s'est rencontrées, d'ailleurs, c'est grâce à elle si j'ai fini par respecter tes instructions, et à voir comme elle n'a pas protesté à l'instant... Cristaline ? Je sais que tu as entendu.

Implicitement, elle lui demandait son avis. Alors, semblant prendre un malin plaisir à faire attendre la compagnie, elle revint étudier la blessée. Puis elle lança mentalement, l'air de dire "je ne suis toujours pas décidée" :

- Je sais pas... Blessures pas trop graves. Elle peut marcher ?

Ralia soupira, avant de répondre, cette fois sur le même ton :

- Probablement. Mais je pense qu'elle aura du mal. Ce serait plus rapide et plus simple si tu acceptais d'aider.
- Elle va pas mourir si je fais rien !
[color:9966=cc6699]- C'est vrai, mais tu abandonnerais quelqu'un de blessé, toi ? Franchement, ce n'est pas l'impression que tu m'as donnée, tu sais, quand tu me forçais à rester tranquille pour guérir...

Cette fois, l'animal ne répondit pas. Avait-elle réussi ? Néanmoins, lorsqu'elle s'approcha de la demoiselle, un souvenir poussa Ralia à venir s'interposer :

- Par contre ! Si tu acceptes de la porter, merci, mais c'est NOUS qui la faisons monter ! Un peu de douceur !

Puis elle se retourna vers les humains pour leur expliquer :

- Elle est du genre brusque. Si on la laisse faire, elle peut facilement te balancer sur son dos, Néréa. Et ça m'étonnerait que ça te plaise. Par contre... Elle s'est plainte, tout à l'heure, que deux personnes, c'était lourd. On ne va pas monter à trois. Néréa ira, c'est sûr. Si je l'accompagne, je ne sais pas trop comment on sera accueillies, les autres savent trop de quelles bêtises je suis capable. Toi, Flo, ils te font confiance, mais sans moi, impossible de guider Cristaline. Qu'est-ce que vous en pensez ?

Il y eut un instant de silence, puis l'homme proposa :

- Honnêtement, vous n'avez pas à me ramener, je pourrais en profiter pour faire un contrôle par ici. Si tu veux, je peux te faire une lettre de recommendation, mais bon, je pense surtout que tu ne te fais pas assez confiance. La question principale, c'est vous, Mademoiselle. Qui voulez-vous pour vous accompagner ?

Alors, tout le monde se tourna vers Néréa.

Quand Néréa vit apparaitre le familier de Ralia, elle n’en cru pas ses yeux. C’était réel ! Après avoir soigner un dragon de cerisier, elle pouvait observer un flobais, en chair et en os, assis à quelques mètres d’elle. Surprise de voir l’élégante monture s’approcher, Néréa dû loucher pour la suivre du regard tant elle avait réduit l’espace entre elles. La jeune femme ne savait pas vraiment ce que l’animal avait en tête et, intimidée, elle laissa Cristaline vérifier ce qu’elle voulait avec sa truffe.

Si elle n’avait pas eu peur de faire fuir l’animal qui devait l’aider, Néréa aurait tendu la main pour caresser le flobais. Dès qu’elle l’avait aperçu, la virtuose avait eu envie de faire un câlin à la grosse boule de poils ailée.

Les deux gardes-chasses discutèrent ensuite de son transport vers un refuge. Il lui sembla que Ralia dû négocier afin que Cristaline accepte que l’inconnue qu’elle était, grimpe sur son dos. La jeune femme aux cheveux violet finit par clarifier la situation, autant pour son familier que pour elle, laissant Néréa avec un choix à faire. Elle hésita à donner sa réponse, en proie à un débat intérieur.

- Euh, je…

Ok ! Super de devoir faire un choix. Bon, pour commencer Ralia a fait beaucoup depuis le début et Cristaline est son familier. Mais quand même, j’ai dérangé Flo, ça ne serait pas correct de lui dire de se débrouiller pour rentrer. Après, être aussi près d’un homme… très mauvaise idée. Pfff… Je suis vraiment nulle de faire mon choix sur ce critère.

Alors que les délibérations prenaient fin dans son esprit, Néréa remarqua qu’elle était restée muette trop longtemps. Ces deux interlocuteurs la regardaient fixement, attendant sa réponse.

- Cristaline étant le familier de Ralia, je pense que c’est mieux si c’est elle qui m’accompagne.

Inquiète de la réaction du jeune homme, Néréa insista pour être sûre qu’il n’y avait pas de problème avec lui et qu’il ne lui tiendrait pas rigueur pour sa décision.

- Vous êtes vraiment sûr que ça ne vous pose pas de problème de ne pas venir avec nous ?
- Non, ne vous inquiétez pas. Les gardes-chasses se déplacent beaucoup, je ne comptais pas rester là où Ralia m’a trouvé. Et puis, il y a beaucoup de braconnage dans le secteur donc je vais avoir du travail.
- D’accord. Merci pour votre aide.
- De rien.

Sur ce, le sujet était clos et les deux jeunes gens aidèrent Néréa à se mettre debout puis à se hisser sur le dos de Cristaline.
Une fois installée en haut de son perchoir, pendant que Ralia et Flo discutèrent, certainement en rapport avec leur chasse aux braconniers, Néréa glissa quelques mots à l’oreille du flobais.

- Je suis désolée que Ralia t’ai demandé de me porter. Merci beaucoup d’avoir accepté. Je ne sais pas comment j’aurais fait sans vous trois. Pour te remercier, je vais essayer de te trouver quelque chose à manger.

Quelques secondes plus tard, Ralia s’était assise derrière Néréa et Cristaline s’éleva dans les airs pour les amener, sans encombre, à leur point d’arrivée.

La réponse qui vint n'était clairement pas de celles auxquelles on pourrait s'attendre. Prompte à l'impatience, Ralia aurait probablement exigé une réponse plus développée, si son collègue, qui la connaissait bien, n'avait pas eu un geste d'apaisement dans sa direction. Alors, prenant son mal en patience, elle se contenta de se taire et de retourner accorder quelques caresses à Cristaline. Elle, au moins, elle savait s'exprimer. Même pour ceux qui ne comprenaient pas le flobais, comme la majorité des humains.

Finalement, le verdict tomba. C'est elle qui se chargerait de jouer les gardes-malades. D'un autre côté, qu'elle le veuille ou non, elle avait déjà commencé, et sa compagne animale ne lui aurait de toutes façons pas permis d'abandonner la demoiselle. Même si elle refusait de l'admettre. C'était l'une des seules choses dont Ralia était certaine : Cristaline n'abandonnerait jamais une personne blessée.

Alors, elle se contenta de hocher la tête, et, ensemble, les deux humains valides aidèrent leur camarade à rejoindre son futur moyen de transport... Qui ne put retenir un grognement. Ralia se fit la réflexion qu'il allait lui falloir beaucoup de poisson pour se faire pardonner de lui avoir demandé de transporter deux inconnus dans la même journée... Enfin, c'était là une autre histoire.

Avant de se séparer, les deux collègues eurent une discussion cette fois purement professionnelle. Enfin, c'était plutôt Ralia qui lui donnait des indications sur ce qu'elle avait pu remarquer dans le secteur, puisqu'elle s'y trouvait déjà avant que toute cete histoire de sauvetage ne débute. Et cela dura jusqu'à ce qu'elle soit interrompu par un joyeux rugissement dans sa tête :

- Manger !

Elle soupira.

- Désolée, je crois que je vais avoir quelques détails à régler. Une sombre histoire de récompense sous forme de nourriture, je pense.

Partageant un rire complice, ils finirent par prendre congé l'un de l'autre. Puis Ralia, reprenant son sérieux, alors qu'elle rejoignait la demoiselle, lui lança, sur un ton faussement outré :

- Alors, on s'est permis de lui promettre de la nourriture ? En tous cas, elle n'arrête pas de me saturer l'esprit avec un discours sur le thème de la nourriture... Offre-lui du poisson, tu seras sa meilleure amie.

De toutes manières, elle ne pouvait pas sérieusement lui en vouloir, puisqu'elle-même avait pensé à récompenser sa compagne de la sorte.

Alors, tentant de son mieux de calmer les ardeurs mentales de leur monture, Ralia s'efforça malgré tout de profiter du voyage, s'assurant malgré elle de l'équilibre de la jeune blessée, la rattrapant dès qu'elle faisait mine de commencer à tomber. Si quelqu'un d'autre, qui la connaissait, avait pu la voir, nul doute qu'elle se serait fait taquiner, sur le thème : "Oh, on prend soin d'un autre humain, maintenant ? Qu'est-ce qui s'est passé ?"
Enfin. Elle ne voulait pas y penser.

Lorsqu'elles arrivèrent enfin à bon port, Ralia n'hésita qu'une fraction de seconde avant de lancer :

- Il y a quelqu'un ? On a une blessée à aider !

Quelques personnes vinrent alors leur donner un coup de main. Ralia put, pendant un instant, croire que tout se passerait bien... Jusqu'à ce que Néréa soit escortée en sécurité. Après quoi, elle se retrouva perdue sous un flot... Pas de reproches, non. Plutôt, de questions :

- Qui est-ce ?
- D'accord, elle est blessée, mais pourquoi l'avoir ramenée ici ? Tu as ton familier, tu aurais pu carrément la ramener chez toi, non ?
- Et si elle tombe sur nos documents et veut les regarder, ce qui a de fortes chances de tout déranger ?
- Et si elle tombe sur notre réserve d'armes en cas d'urgence ?
- Et si elle fait peur aux animaux qu'on garde ici ?
- Et si elle nous méprise, comme la plupart de ceux de la ville ?
- Et si elle nous assomme de questions ?
- Pour l'instant, c'est vous qui m'assommez de questions. Laissez-moi passer.

La sécheresse de sa réponse eut au moins le mérite de faire taire les pipelettes. Néanmoins, elle savait que cela ne durerait pas, aussi, une fois qu'elle eut pu rejoindre Néréa et s'assurer que tout allait bien pour elle, elle reprit :

- Au départ, je ne voulais pas spécialement qu'elle vienne. Mais j'ai croisé Flo, et il a semblé penser que ce serait une bonne idée. Quant à chez moi... Je vous rappelle qu'il y a Agneta, je ne sais pas si je survivrais à la cohabitation constante avec deux personnes. Et pour ce qui est de la confidentialité et de nos affaires, je me porte garante pour elle. Je vous promets de la surveiller, et si elle fait quand même une bêtise... Ce sera ma faute. J'accepterais n'importe quelle sanction. D'accord ? Maintenant, je pense qu'il faudrait la laisser un peu tranquille. Tenez, quelqu'un aurait du poisson pour Cristaline ?

L'attention de ses collègues ainsi détournée, elle se concentra sur Néréa :

- Désolée... Je ne m'attendais pas à ce que ce soit à ce point... Ni à ce qu'il y ait autant de monde, honnêtement. Enfin, j'espère qu'après mon petit discours, tu seras un peu plus tranquille...

La remarque de Ralia quant à la récompense de Cristaline, fit réagir Néréa. Elle n’avait pas vraiment réfléchi à la façon dont elle pourrait se procurer du poisson. Après tout, ces animaux ne poussent pas dans les arbres. Malheureusement, les arbres, c’est à peu près tout ce que Néréa pouvait voir dans le coin. Elle aviserait quand elles auraient atterrit.

Arrivées à destination, Néréa ouvrit des yeux ronds de surprise quand une nuée de personnes assaillit Ralia. Les questions fusèrent et Néréa se sentie mal à l’aise. Avant même d’avoir mis un pied à terre et qu’elle ait ouvert la bouche, les gardes-chasses lui avaient déjà prêté des intentions malveillantes.

La timidité de Néréa prit le dessus. Malgré son envie de leur expliquer la situation, elle ne réussit qu’à ouvrir et fermer la bouche comme un poisson hors de l’eau. En réfléchissant à ce qu’elle aurait pu leur dire, la vétérinaire se trouva démunie et à court d’arguments face à ce groupe qui lui faisait perdre ses moyens.

Afin de ne plus paraitre aussi hautaine ou dangereuse, Néréa descendit tant bien que mal du dos de Cristaline. Elle espérait ainsi changer ce que les autres semblaient voir d’elle. Elle se tordit plusieurs fois de douleurs et fit des efforts importants pour ne pas crier toutes les injures qui lui passaient par la tête. Une fois les pieds au sol, elle ne s’éloigna pas du familier dont la présence était rassurante. Néréa en profita pour lui faire quelques caresses de remerciements.

- Merci de m’avoir amené jusqu’ici Cristaline.

La virtuose fut rassurée de voir Ralia prendre sa défense. Puis, quand cette dernière demanda à ses collègues s’ils pouvaient trouver du poisson pour Cristaline, Néréa se sentie bête d’avoir promis une telle récompense alors qu’elle ne savait même pas où elle aurait pu s’en procurer. Après l’atterrissage, elle avait envisagé d’aller en chercher dans le premier marché qu’elle trouverait mais cela obligerait le flobais à attendre un peu sa récompense.

Lorsque la garde-chasse se retourna pour faire face à Néréa et s’excuser du comportement de ses acolytes, celle-ci fut surprise.

- Tu n’as pas à t’excuser, tu ne pouvais pas savoir. Après tout tu m’avais déjà prévenu que je n’aurais certainement pas droit à un accueil chaleureux.

Néréa s’approcha d’un pas mal assuré de Ralia et ajouta en désignant un espace aménagé devant la cabane :

- Je vais aller me poser sur l’un de ses sièges si ça ne te dérange pas.

Une fois assise, une multitude d’idées envahirent l’esprit de Néréa. En cet instant, il n’y avait qu’une personne qu’elle voulait assommer de questions : Ralia. L’anxiété avait à nouveau annihilé son éducation et ses bonnes manières et ne retint pas le flot de demandes, encore une fois.

- Depuis quand Cristaline est ton familier ? Et quel âge a-t-elle ? Comment est-elle devenue ton familier ? Comment vous vivez ensemble ? Est-ce que tu as d’autres familiers ? Est-ce que Cristaline à une famille ? Est-ce qu’elle t’aide dans ton travail ? Ah oublie cette dernière question. Bien sûr qu’elle t’aide ! Un compagnon aussi gentil qu’elle ne doit pas laisser qui que ce soit derrière elle, surtout si ce quelqu’un à besoin de soins, sinon elle ne m’aurait pas aidée. Je suis désolée de lui avoir promis du poisson mais d’après ce que je sais, il me semble que c’est ce que les flobais préfèrent manger donc je me suis dit que ça serait bien pour la remercier d’avoir accepté de me transporter jusqu’ici.

Néréa fini par arrêter de parler le temps de reprendre son souffle. Elle comprit en observant le visage de Ralia, qu’elle avait encore dépasser les bornes avec son monologue.

- Ne serait-ce que ça, d'habitude, il n'y a pas autant de personnes, dans un tel refuge. Quelque chose s'est passé, c'est évident. Quoi ? Je m'en inquiéterai plus tard.

Elle la laissa s'éloigner. Visiblement, elle avait besoin de prendre physiquement ses distances avec tout cela, et Ralia ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. Alors que la garde-chasse se préparait à aller s'occuper autrement, en allant étudier les rapports de ses collègues au cas où elle se trouve sur leur secteur, par exemple, la voix de Néréa retentit à nouveau. Elle soupira. Il allait visiblement encore falloir faire un monologue. Sérieusement, une fois cette journée terminée, elle ferait une cure de silence d'au moins une semaine ! Elle ne communiquerait qu'avec Cristaline, la télépathie lui permettant de le faire sans ouvrir la bouche.

Mais en attendant, elle devait faire contre mauvaise fortune bon coeur.

- Depuis combien de temps ? Pas tant que ça, en fait. Peut-être une lune, deux ? Pas beaucoup plus. Et je ne connais pas son âge exact, je ne le lui demanderai d'ailleurs pas. Qu'elle soit jeune ou pas, je l'aime de la même manière... Et c'est réciproque, je ne saurais pas l'expliquer, mais... On sent ces choses-là.

Elle marqua une pause. Leur rencontre ? Devait-elle vraiment en parler ? Après tout, ce serait admettre qu'elle ne savait pas suivre les règles... Finalement, elle décida d'éluder :

- Disons juste... Qu'elle m'a forcée à prendre soin de moi. Faut pas croire, c'est elle qui dirige, dans notre duo ! Je la guide en vol, mais ce ne sont que des conseils. Si elle veut aller ailleurs, je ne peux rien faire.

Oh, bien sûr, une personne sans coeur serait probablement capable de forcer un animal à agir contre son instinct ou sa volonté. Par la torture, le mensonge, ou peut-être bien d'autres moyens auxquels elle ne voulait même pas penser. Mais pour Ralia, elles étaient partenaires. Cristaline l'aidait... Quand elle le voulait, et Ralia ne pouvait rien faire quand elle décidait de ne pas répondre à ses appels. Oh, bien sûr, elle pestait, mais au fond d'elle, elle considérait simplement que le flobais décidait de ses moments de liberté. Et l'humaine ne pouvait pas lui en vouloir.

Puis elle reprit la réponse aux questions :

- On ne vit pas ensemble. Quand j'ai besoin d'elle, je l'appelle, elle répond si elle veut. Et si elle a besoin de moi, ou estime que j'ai besoin d'elle mais que je refuse de l'admettre, elle vient, tout simplement. C'est d'ailleurs impressionnant, elle sait toujours exactement où je suis... Pour ce qui est de sa famille, comme je te le disais, je n'en sais rien. Peut-être, peut-être pas. Peut-être que, quand elle ne répond pas, c'est pour prendre soin des siens. Peut-être qu'elle n'en a juste pas envie. Peut-être qu'elle estime que je peux me débrouiller seule. Qui sait ? On ne vit pas ensemble, donc je ne sais pas grand-chose sur elle, finalement. Mais je pense qu'elle, elle sait tout sur moi.

Puis, lorsque la demoiselle sous-entendit qu'elles travaillaient ensemble, Ralia ne put retenir un rire franc :

- Elle ! M'aider ? Mais elle s'en contrefiche, des braconniers ! Honnêtement, elle m'aide parfois quand il y a un animal à soigner, et encore... Elle aime prendre soin de la santé d'autrui, tu l'as sans doute remarqué, mais la plupart de mes "patients" ont peur d'elle...

Elle prit un moment pour aller flatter l'encolure du gros félin, qui, ayant remarqué qu'elle étaient sorties, s'était approché.

- J'aimerais qu'elle puisse communiquer avec toi. Mais tu sais, les autres... C'est vrai que je leur ai demandé ça pour me débarrasser d'eux, mais ils ne reviendront pas sans le poisson. Et elle ne sera pas assez idiote pour partir avant de l'avoir obtenu. Tiens, d'ailleurs, tu veux la caresser ?

Le changement de sujet était un peu abrupt, mais elle n'avait pas réfléchi et avait lancé l'idée lorsqu'elle lui était venue. Et elle était certaine que Cristaline elle-même ne serait pas contre.

La virtuose ne voulut pas interrompre la jeune femme qui semblait bien partie pour lui parler à coeur ouvert. Ce serait peut-être là seule fois, alors elle garda ses réflexions pour elle. Mais le fait qu’autant de gardes-chasses soient présents et que cela indique un problème rendait Néréa à nouveau anxieuse.

Est-ce que des braconniers sont dans les parages ? Si oui, est-ce que d’autres animaux ont été blessés ou pire ? Si c’est le cas, il vaudrait peut-être mieux s’occuper d’eux en premier ?

Néréa se reconcentra sur les paroles de Ralia pour laisser ses pensées déplaisantes de côté pour le moment. Néréa fut ravie d’avoir les réponses à ses questions ou du moins que Ralia essaye de lui donner le plus d’informations possible étant donné qu’elle même ne les avait pas toutes. Finalement, Néréa se moquait bien d’avoir des réponses précises à chacune de ses demandes, elle avait appris bien assez de choses sur la créature et sa partenaire humaine. Elle en avait peut-être même appris davantage sur Ralia que sur Cristaline. Par exemple, d’après les dires de la garde-chasse, Cristaline avait un certain caractère mais elle s’en doutait déjà vu les réactions du flobais. Le simple fait de l’entendre la fit sourire.

- Ce n’est pas grave si elle ne veut pas communiquer avec moi. Enfin, par la télépathie parce qu’il y a d’autres moyens de communiquer et elle sait les utiliser. Comme tu viens de le dire, Cristaline est un être à part entière. Elle réfléchit et ressent les mêmes émotions que nous. Ça ne sert à rien de la forcer. Je suis sûre qu’elle a un grand cœur, même si elle essaye de le cacher en faisant sa tête de mule.

Néréa adressa un grand sourire à Ralia. Néréa prit son temps pour se mettre debout. Tant pis si sa lenteur désespérait Ralia, elle ne pouvait pas faire mieux avec ses blessures. Elle répondit avec enthousiasme à l'interrogation de son acolyte.

- Oui, toujours partante pour faire des câlins à un animal surtout quand il m’a aidé.

Néréa remercia une nouvelle fois le flobais avec des caresses et lui embrassa le haut de la tête au moment où Cristaline la baissa pour apprécier les flatteries.

Pendant qu’elles s’occupaient du flobais, Néréa tenta de connaître un peu plus la garde-chasse. A chaque nouvelle tentative, Ralia semblait plus réceptive et encline à discuter avec Néréa. Bien que pour le moment, elle était dépendante de la jeune femme aux cheveux violets, Néréa l’appréciait sincèrement.

- Tu es garde-chasse depuis combien de temps ? Ça te plaît comme travail ? Ça doit être un métier très intéressant de pouvoir rencontrer tous ses animaux. Bon par contre, je ne suis pas sûre que la chasse aux braconniers soit aussi appréciable.

Sa compagne ne voulait pas communiquer par télépathie avec l'humaine ? Vérifiant néanmoins ce fait auprès de la principale concernée, Ralia finit par expliquer, aussi patiemment qu'elle en était capable :

- Ce n'est pas qu'elle ne veut pas... C'est qu'elle ne peut pas. Je ne sais pas trop pourquoi ni comment, mais ce mode de communication ne fonctionne qu'entre nous deux.

Néanmoins, elle ne put se retenir de hocher la tête d'un air entendu à la suite. Une tête de mule ? Oui, c'était une évidence. Mais c'était également une créature qui se souciait d'autrui, du moins des humains, elle le lui avait prouvé à plusieurs reprises. D'ailleurs, avec un peu d'imagination, on pourrait imaginer que ce serait Cristaline qui enseignerait à Ralia la manière d'interagir correctement avec ses semblables ? Aussi improbable que cela puisse paraître, la garde-chasse était persuadée que c'était possible... À condition qu'elles soient toutes les deux volontaires. C'était cet aspect qui risquait d'être compliqué.

Puis elle resta légèrement en retrait, laissant ses deux compagnes faire connaissance et s'apprivoiser mutuellement. Plus elle observait le flobais qui l'avait choisie, plus Ralia se faisait la réflexion qu'elle semblait savoir faire la différence entre un humain digne de confiance et un qu'elle pouvait se permettre de torturer, comme un braconnier. Etait-ce cela, l'instinct des félins ? Et, plus important, Ralia elle-même devrait-elle s'inspirer de sa grande amie pour reprérer, parmi ses semblables, ceux avec qui elle pouvait se permettre de s'ouvrir ? Cristaline serait-elle encore sur le point de lui rendre un service inestimable, gratuitement ?

Instinctivement, elle s'approcha elle aussi, et lui prodigua elle-même quelques caresses, tout en lui murmurant :

- Merci à toi. Si un jour je vois la vie avec positivité, ce sera entièrement grâce à toi.

Cela lui valut un coup de tête qu'elle interpréta comme amical. Un moment de complicité naquit entre les trois demoiselles, jusqu'à ce que la rousse le brise avec une simple remarque. Visiblement, elle semblait ne pas voir la chasse aux braconniers d'un bon oeil... Et ça, Ralia ne pouvait pas le laisser passer :

- C'est pour poursuivre et éradiquer les braconniers que j'ai choisi ce métier !

Puis, elle prit un moment pour se calmer, et, s'assurant que personne ne se trouvait aux environs, elle finit par décider d'ouvrir son coeur à celle qu'elle pourrait peut-être oser appeler son amie :

- Mon père était braconnier. J'ai infiltré son groupe, pendant des années. Finalement, j'ai réussi à les faire arrêter, avec l'aide d'un ami. Mais cela ne m'a pas suffi. À présent, je veux démanteler tous les réseaux de braconnage. Sans ça, je serais probablement devenue vétérinaire, ou propriétaire ou employée de refuge. J'aime prendre soin de animaux, mais arrêter ceux qui ne les voient que comme un moyen de faire du profit est bien plus important pour moi. D'autant plus que, durant ces années d'infiltration, j'ai appris certaines choses qui m'aident aujourd'hui pour la traque. Je veux que tous les braconniers se reconvertissent... Ou soient exterminés.

Aucune forme de compassion n'avait transparu dans ses mots lorsqu'elle avait prononcé cette dernière phrase. Son ton était froid, insensible. La demoiselle n'avait jamais tué personne, mais si, un jour, elle rencontrait un braconnier qui refuserait d'entendre raison, et si on lui donnait la certitude que jamais personne ne saurait qu'elle avait été impliquée... Elle ne réfléchirait probablement pas longtemps avant de sauter le pas. Elle était prête à tout pour que le cauchemar de son enfance ne se reproduise pas.

Malgré le moment de complicité entre elles, Néréa avait réussi à tout gâcher avec ses questions. Ses paroles sur les braconniers ne semblaient pas avoir été bien interprétées. Sa réussite quant au fait de mieux connaître Ralia, laissa un arrière-goût amer à Néréa. Son acolyte avait une grande rancœur envers les braconniers. De toute évidence, elle ne supportait pas quiconque n’accepte ne serait-ce que l’idée que les braconniers doivent ou peuvent exister. La froideur de la garde-chasse l’avait fait reculer d’un pas.

- Excuse-moi, je ne voulais pas dire qu’il ne fallait pas faire la chasse aux braconniers. Je suis d’accord avec toi, c’est important. Les animaux n’ont rien demandé et ne méritent pas d’être maltraités de la sorte.

Penaude, Néréa essaya de s’expliquer pour lui prouver qu’elles avaient une vision similaire des choses, du moins en ce qui concerne les animaux.

- Je voulais seulement dire que ce n’est pas la meilleure partie de ton travail bien qu’elle soit nécessaire.

Néréa fit un pas vers Ralia et posa sa main sur son épaule en signe d’apaisement. Néréa n’était pas à l’aise avec les émotions d’autrui. Mais pour une raison qu’elle ignorait, son empathie s’était réveillée et ça lui fendait le cœur de voir Ralia dans cet état. La virtuose voulait faire quelque chose pour la réconforter. Ce geste et les quelques mots qu’elle prononça furent tout ce qui lui vint à l’esprit alors que des larmes s’accumulaient aux coins de ses yeux.

- Je suis désolée, ça a dû être dur pour toi de voir ton père braconner. Je n’imagine pas non plus ce que ça t’a fait de le faire arrêter. Je suis désolée, je n’aurais pas dû dire ça.

Si elle avait pu, Néréa aurait pris tous les mauvais souvenirs de son interlocutrice, surtout si cela pouvait la soulager ne serait-ce que quelques secondes.
Déçue et triste de la tournure qu’avait prise leur échange à cause d’elle, Néréa s’éloigna en silence pour retourner s’asseoir là où elle s’était installée quelques instants auparavant.

Ce que tu peux être bête Néréa ! Il n’y a que toi pour dire des bêtises aussi grosses. Et dire qu’on commençait à bien s’entendre, j’ai tout gâché. Je vais pas pouvoir rester là. Il faut que je rentre demain. De toute façon les gardes-chasses ne veulent pas de moi ici alors ça les arrangera.

Néréa savait très bien que sa décision était lâche mais elle ne supportait pas d’être en conflit avec quelqu’un. Encore moins si elle appréciait ce quelqu’un et en l’occurrence c’était le cas. La vétérinaire connaissait aussi l’importance du travail des gardes-chasses et elle ne voulait pas importuner Ralia plus qu’elle ne l’avait déjà fait. La demoiselle avait déjà perdu au moins une bonne journée de chasse aux braconniers avec les maladresses de Néréa.

- Je pense que je vais partir demain.

A peine eut-elle terminé sa phrase, le ventre de Néréa se manifesta signifiant qu’il était tant qu’elle mange. Elle n’avait rien avalé depuis son départ de l’auberge le matin même.

Elle hocha la tête. Oui, les animaux méritaient bien mieux que leur traitement actuel. Certes, les braconniers étaient à blâmer, mais ceux qui gardaient des familiers comme animaux de compagnie valaient-ils vraiment mieux ? Après tout, ils restreignaient ainsi leur liberté...

Pas la meilleure partie ?

- Honnêtement, je ne me suis jamais posé cette question. Je dois le faire, c'est tout. Je ne cherche pas plus loin.

Inutile de se poser cinquante questions. Elle avait assisté à un massacre. Massacrer les meurtriers ne serait qu'un juste retour des choses, non ? Enfin, elle ne devait pas s'égarer dans ces pensées. Il était question de son père.

- Je vais te le dire, moi, ce que ça m'a fait. Quand je l'ai vu, je me suis sentie trahie. Quand il a été derrière les barreaux, je me suis sentie soulagée... Et libre. Libre de dire la vérité, libre de ne plus jouer la comédie... Libre de faire ce que je voulais. Et tant pis si les bien pensants ne sont pas d'accord. Jugez-moi, condamnez-moi, je m'en fiche ! Je reste fidèle à moi-même. Si je tombe, d'autres prendront la suite. Ce n'est pas que j'y crois, c'est qu'il le faut.

Toute à sa tirade enflammée, Ralia n'avait pas remarqué qu'il n'y avait plus personne pour l'écouter. Ce fut un coup de tête de Cristaline qui la ramena à la réalité. Pendant un instant, Ralia demeura perdue entre le monde de rage et de vengeance créé par son récit et le calme de la réalité. Mais cette errance fut de nouveau brisée par sa grande compagne, qui était allée arracher un fruit dans un arbre proche pour l'amener à Néréa. Cela rappela un autre souvenir à Ralia. Un souvenir bien plus heureux. Alors, en un instant, elle grimpa dans le même arbre pour récupérer un autre fruit sur la même branche, puis elle sauta à terre pour rejoindre Néréa, et, malicieuse, déclara :

- Et voilà un autre souvenir, plus ancien. C'est autour d'un lapin fuyard et d'un concours de cueillette de fruits que j'ai rencontré l'un des rares hommes dignes d'être considérés normalement. Peut-être parce qu'on a le même sang, maintenant que j'y pense... Oui, ça doit jouer. D'un autre côté, mon père...

Elle secoua la tête. Stop ! C'en était fini des pensées négatives !

- Enfin, lui, c'est pas la famille, on l'oublie !

Et, retrouvant l'énergie de cette période de sa vie, lorsqu'elle était toute enfant, elle mordit goulûment dans son fruit.

- Tu devrais essayer, ça vaut le coup !

Puis, jugeant qu'il manquait une convive à ce festin, elle lança le reste de sa ration à Cristaline :

- Hop ! En attendant ce poisson décidémment trop lent !

D'un bond agile, le flobais attrapa le fruit, puis l'engloutit tout rond, attirant les rires de Ralia :

- Rho, franchement ! Tu n'en as pas profité, là !

Néréa avait beau s’être éloignée pour s’asseoir, elle entendit tout de même les paroles prononcées par Ralia lui expliquant d’un ton amère ses sentiments à l’égard de son père. La vétérinaire ne pouvait toujours pas imaginer la profondeur des émotions qu’elle avait ressentie même après cela car elle avait été choyée toute sa vie par ses parents. Et même si sa sœur et elle n’étaient pas proches, la trahison ne faisait pas partie des émotions qu’elle avait un jour ressenties.

Bien que la jeune femme continurait probablement de cogiter sur ce sujet encore un moment dans ses moments de solitude, ce n’était pas le cas à l’instant présent. Alors que la garde-chasse s’avançait vers elle, lui proposant de goûter à un fruit qu’elle tenait dans la main.

Néréa s’empressa d’accepter cette nourriture avec un aspect très appétissant. Nourriture que Cristaline fut ravie de pouvoir également déguster. Néréa ne put s’empêcher de rire face au spectacle du flobais gobant littéralement le fruit entamé. La jeune femme hocha la tête, en accord avec les propos de Ralia : l’animal n’avait absolument pas profiter de l’aliment pourtant juteux et sucré à souhait. L’un des meilleurs qu’elle eut l’occasion de manger jusqu’à ce jour.

- Merci pour le fruit, il était délicieux.

La virtuose adressa un sourire à son acolyte pour renforcer le poids de ses mots.
Un fruit n’était pas suffisant pour rassasier la jeune femme mais pour le moment, c’était le cadet de ces soucis et elle s’en contenterait pour cette nuit. Le soleil commençait à disparaitre derrière les arbres et Néréa avait de plus en plus de mal à repousser les bras de Morphée. Elle ajouta une première question à l’intention de Ralia.

- A ton avis, quand tes collègues vont revenir ?

Sa crainte de les voir la mettre dehors n’avait pas totalement disparu avec leur absence mais Néréa avait besoin de dormir. De plus, si elle voulait que ce repos soit assez efficace pour réduire la douleur qu’elle devrait supporter les prochains jours, un lit plutôt qu’un arbre ne serait pas du luxe. Entre deux bâillements, elle demande à Ralia si un lit était compris dans l’offre de bienvenue au refuge des gardes-chasses.

- Les évènements de la journée et la douleur m’ont vraiment épuisés, tu penses que je peux emprunter un lit à l’intérieur pour me reposer ?

Elle espérait pouvoir revoir Cristaline le lendemain mais ne dit pas un mot à ce sujet. Elle ne voulait obliger d’une quelconque façon la créature à rester sur place. Elle le découvrirait le matin suivant.

Elle hocha la tête. Pour elle, ces fruits avaient fini par devenir la norme, car elle en trouvait régulièrement sur les arbres environnants. Etaient-ils meilleurs que les autres ? Elle n'en savait rien, puisqu'elle y était habituée. D'un autre côté, s'ils n'étaient pas les meilleurs, elle ne les aurait probablement pas choisis... Enfin, elle pouvait réfléchir très longtemps sans jamais trouver de réponse, si elle se lançait dans de tels sujets. Il serait plus profitable de penser à autre chose.

À la question qui suivit, elle se contenta de hausser les épaules :

- Aucune idée. Et ça ne m'étonnerait pas non plus que l'un d'eux trouve le moyen d'aller donner son poisson à Cristaline sans qu'on puisse le voir. Ils ne sont pas idiots, ils savent que je voulais surtout qu'ils s'en aillent... Je suis connue dans le coin, tu sais. Pas forcément de la manière la plus positive, mais... Qui s'en soucie, sérieusement ? Si ça peut me permettre d'avoir la paix, je n'en demande pas plus !

Néanmoins, il y avait un sujet plus important. Comment passer la nuit... Ralia se mordit la lèvre. Un lit ? En ce lieu ? Il y avait juste un léger problème...

- Euh, en fait, ici, c'est un lieu de travail, ce n'est pas prévu d'y passer la nuit... Peut-être qu'il vaudrait mieux que tu passes chez moi...

Honnêtement, elle n'en avait pas spécialement envie. Son foyer était son refuge, son moyen de s'échapper de la société humaine. Accueillir quelqu'un chez elle, ce serait accepter une intrusion dans sa vie... Etait-elle prête à s'y résoudre ? D'un autre côté... Avait-elle vraiment le choix ? C'était une citadine, qui devait donc prendre pour acquis son petit confort. Mais, puisqu'elle était blessée, Ralia pouvait bien laisser passer ce problème... Ce qui ne voulait pas dire qu'elle ne râlerait pas.

Lorsqu'elle chercha Cristaline pour lui demander si elle accepterait de transporter la demoiselle une fois de plus, elle ne la trouva pas. Cela lui arracha un sourire amusé.

- On dirait que j'avais raison, et que quelqu'un est sur le point de profiter d'un festin !

Lorsque Ralia expliqua que le refuge n’était pas prévu pour accueillir de visiteurs nocturnes, Néréa se décomposa. L’idée de devoir se déplacer à nouveau ne l’enchantait pas le moins du monde. Ajoutez à cela, le fait que la garde-chasse ne semblait pas vraiment à l’aise avec le fait de l’amener chez elle, la vétérinaire avait une raison de plus de rester.

Sur le moment, elle n’avait pas bien compris la réticence de Ralia à l’inviter chez elle. En plus, si elle était d’accord pour l’inviter, pourquoi attendre d’être arrivé au refuge pour faire cette suggestion ? Pourquoi ne pas y être allé directement ? Néréa chercha dans les souvenirs de leurs conversations et se rappela d’une chose. Ralia était très indépendante et du coup solitaire. La jeune femme devait certainement avoir l’impression que Néréa envahirait son espace personnel voire son intimité. Sa réticence ne devait pas être uniquement envers Néréa, mais envers toutes les personnes qui pouvaient pénétrer son espace vital.

- Je veux bien aller chez toi…

Néréa accepta la proposition de la garde-chasse. Cependant, elle lui donna une alternative qui pourrait peut-être contenter les deux jeunes femmes. L’une n’aurait pas besoin d’amener un intrus chez elle et l’autre n’aurait pas besoin de marcher plus qu’elle ne l’avait déjà fait avec ses blessures.

- Mais je peux me contenter d’une ou deux couvertures pour me faire un lit de fortune sur le sol du refuge. En plus, comme tu l’as fait remarquer, Cristaline est partie. Elle doit se régaler.

Néréa n’était pas sûre que ces arguments suffisent. Elle insista donc, dans l’espoir de faire changer d’avis son acolyte.

- Je ne veux pas te déranger plus que je ne l’ai déjà fait. Alors, est-ce que tu penses qu’il y a moyen de trouver quelques couvertures pour que nous puissions nous reposer ici ?

La balle était dans le camp de Ralia. A elle de choisir si elle préférait que Néréa investisse son lieu de travail ou son domicile. A moins que…

- Sinon, on pourrait aller dans une auberge pour la nuit mais cela obligerait Cristaline à revenir et à nous transporter jusque là-bas.

Ce n’était pas l’idée préférée de Néréa mais elle n’imposerait plus sa présence de cette manière. La virtuose attendit patiemment la décision de la jeune femme.

Elle acceptait sa proposition... Oui, évidemment. Ralia aurait dû s'en douter. Pourquoi l'avait-elle proposé, elle ? Parfois, elle se détestait. Néanmoins, ces sentiments avaient dû ressortir, à en juger la réaction de la demoiselle. Néanmoins, ce qu'elle proposa...

- Non. Juste non.

Elle était blessée ! Malgré elle, Ralia savait qu'il lui faudrait donc un lit digne de ce nom... Et donc, qu'elle devrait se faire violence et l'accueillir chez elle, qu'elle le veuille ou non. Puis, la voilà qui proposait une auberge. Hum... ça, ça valait la peine d'y réfléchir... Elle-même n'aimait pas ce genre d'endroits, mais si sa protégée du moment en avait l'habitude, ou qu'elle savait, même vaguement, comment les choses fonctionnaient dans ces établissements... Peut-être pourrait-elle s'en sortir ?

- Tu es déjà allée dans une auberge ? Parce que moi non. Et ce n'est pas aujourd'hui que je commencerai. Mais si tu sais t'y débrouiller, je peux au moins voir si je peux t'en trouver une avec une bonne réputation et située par trop loin de chez moi... Et je te donnerai mon adresse. Comme ça, si tu as le moindre problème, viens me voir.

Contradictoire ? Pas vraiment. Il était vrai qu'elle ne voulait pas d'étrangers chez elle. Mais il était également vrai qu'elle s'était engagée envers elle-même pour le bien-être de son amie. Alors, si cette dernière ne se sentait pas à son aise... Ralia pourrait bien se faire violence et l'accueillir. Après tout, ce ne serait que pour une nuit...

Néréa fut surprise que Ralia veuille l’aider à trouver une auberge et surtout qu’elle lui donne également son adresse. Cette dernière serait probablement inutile car pour la jeune femme, aller dans une auberge pour la nuit voulait dire rentrer à la Capitale dans les jours qui suivraient. A bien y réfléchir, son aide ne serait toutefois pas superflue, la virtuose ne savait absolument pas où elle était. Elle avait eu l’impression que Cristaline les avait conduites vers l’Est mais la douleur lui ayant embrumé le cerveau, c’était peut-être vers l’Ouest finalement.

- J’ai déjà dormi dans des auberges quand j’ai fait le trajet pour aller à l’abri sacré. Comme je ne sais plus où on est, je veux bien ton aide pour en trouver une.

Son choix s’orientait définitivement vers l’auberge. Néréa n’avait jamais apprécié s’imposer et là, elle avait l’impression d’être un boulet depuis des heures. Elle avait horreur de ressentir ce genre d’émotions. Dormir à l'auberge libérerait Ralia de toutes les obligations qu'elle pensait avoir envers la virtuose.

- Je pense que je vais passer une ou deux nuits à l’auberge, le temps que la douleur passe un peu avant de prendre la route pour rentrer chez moi.

Au fil de la journée, Néréa avait apprécié la compagnie de la garde-chasse et l’idée de retrouver son quotidien de solitude lui serra le cœur. Néréa espérait que cette folle journée, riche en émotions et en découvertes, ne serait que la première d’une longue liste et qu’elle reverrait Ralia.

- On devrait peut-être se dépêcher avant qu’il fasse nuit et que l’on ne puisse plus bouger d’ici ? Est-ce que Cristaline peut m'aider encore une fois ?

Néréa sourit à Ralia pour faire bonne mesure mais l’idée de passer la nuit seule dans une auberge ne l’enchantait plus autant qu’à l’aller.

Elle avait déjà dormi à l'auberge. Bien. Et elle pensait rester quelques jours ? Cela donna une idée à Ralia. Mais avant tout cela, il fallait lui trouver une chambre. Alors, elle appela mentalement sa compagne animale... Qui, pour une fois, ne se fit pas prier. Ralia ne résista pas à l'envie de lui flatter l'encolure avec quelques mots prononcés d'une voix douce :

- Alors, tu as bien mangé ? On va te demander de faire un dernier voyage. Promis, après ça, tu pourras retourner vivre ta vie tranquillement.

Cela lui valut un coup de langue accompagné d'une réprimande mentale. Cette association la fit rire. Visiblement, la jeune flobais ne lui en voulait pas... Voilà qui changeait de leur relation compiquée habituelle ! D'un autre côté, elle n'allait pas s'en plaindre.

Se retournant vers Néréa, ce fut à elle qu'elle adressa les mots suivants, en lui tendant la main pour l'aider à enfourcher de nouveau leur monture :

- Viens, on peut y aller. Je t'accompagnerai jusqu'à ton lit, pour te servir de béquille. Et ce n'est pas négociable !

Cristaline se permit un nouveau signe d'affection, cette fois envers Néréa, alors que les deux femmes prenaient place, puis prit son envol... N'attendant pas que Ralia se soit installée correctement, comme d'habitude. Néanmoins, cette dernière ne prit pas le temps de lui en vouloir. Il lui fallait lui indiquer le chemin... Et gérer les réactions qu'attirerait forcément leur équipage une fois arrivé en ville... Mais il n'y avait pas d'autre solution. Cristaline les déposerait devant l'auberge, Ralia n'étant pas certaine de pouvoir soutenir la blessée pendant toute la durée de la traversée du Village... Elle se contenterait de le faire une fois dans le bâtiment, dans lequel sa grande amie ne pourrait jamais entrer.