La Joueuse d'Harmonica
Isolée sur son bout de toit, la garde s’était réfugiée dans l’un des rares endroits où elle savait ne jamais croiser personne. Sa journée avec été longue et assez mouvementée. Les ronflements de Solveig l’avait réveillée assez tôt, trop tôt. Elle s’était donc dirigée à la salle d’entrainement dans l’idée de se défouler un peu, seule de préférence. Mais bien rapidement, ce fut Sammael qui vint la rejoindre. La Valkyrie ne lui avait laissé aucun répit, l’épuisant avant même que le soleil ne se lève ! Puis ce fut au tours d’Ahia de venir lui chercher des puces, au sens propre du terme… Sous sa forme de fourmi, la garde était apparue au beau milieu du petit déjeuner de sa cadette avant de reprendre forme humaine pour lui parler dès le matin de cafards et autres immondices des planchers… Thépa avait ensuite prit le relais, la chargeant d’aller régler un problème sur la voie publique. Il s’agissait d’un nudiste dans le quartier touristique, pas très bon pour l’image de la ville ! L’après-midi s’était ensuite déroulée sans grand accroc. Quelques ivrognes à mettre au trou pour la nuit, histoire qu’ils dessoûlent, et une dispute entre pécheurs sur le port. Somme toute, une longue journée assez éreintante.
La jeune femme avait donc pris une bonne douche, puis une fois changée et débarrassée de son uniforme, était venue chercher un peu de calme dans son petit oasis de paix. Quelques mouettes curieuses s’étaient approchées pour écouter le son si atypique produit par l’harmonica. Les yeux clos, Leoven ne pouvait s’empêcher de sourire tout en jouant. Elle appréciait ces petits moments de tranquillité.
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Elle s'était permis un petit détour sur le chemin de la capitale, pour passer par cette ville qu'elle aimait tant. Qui sait, peut-être qu'en plus de pouvoir se réapprovisionner en vivres, elle croiserait une jeune âme égarée à recruter ? Ou un ancien frère d'armes qui lui paierait sa note à l'auberge et quelques verres – soyons optimistes !
Et le soleil laisse lentement sa place à la lune douce. Java se permet un petit détour par son quartier préféré... Et elle sera très vite sortie de ses pensées, par un son faible mais distinctif qui ne manquera pas d'attirer son attention. Intriguée, elle le suit au fur et à mesure qu'elle le reconnaît : qui donc pourrait jouer de l'harmonica à une heure pareille ? Ses pas se calent inconsciemment sur le rythme.
Petite figure, sur un toit, perchée, tenait en son bec un harmonica. Java, par le son, attirée, lui tint à peu près ce langage :
▬ Tu joues super bien pour une gosse !
Grimpant au mur pour la rejoindre, elle est bien déterminée à en savoir plus sur cette jeune musicienne. Elle avait entendu parler d'une petite jeune à la tignasse enflammée qui avait récemment intégré le régiment local, mais ne s'attendait certainement pas à croiser une Valkyrie de cette manière, ou à cet endroit là.
▬ C'est toi la « petite dernière » ? Tu devrais... pas être couchée... à cette heure ?
Difficile de parler en grimpant. Sa tête arrive enfin au niveau du toit, puis ses bras, puis le reste de Java, bien décidée à s'installer à côté d'elle. Après tout, il y a une belle vue, pas trop de crottes d'oiseaux, et de la bonne musique. Que voulez-vous ? C'est une femme avec des goûts simples.
▬ Tu vas être fatiguée demain, tu sais ?
Avec un grand sourire, elle lui ébouriffe les cheveux avec cette familiarité qu'elle réservait à ses petits devenus grands. Quelque part, cette joueuse d'harmonica dont elle ne connaissait que la réputation lui rappelait les recrues qu'elle promenait à travers le royaume.
Malheureusement, elle n'avait encore jamais entendu parler de son caractère, ni retenu la moindre information sur son pouvoir. Mais il fallait bien que sa nonchalance finisse par avoir des conséquences, non ?
La Joueuse d'Harmonica
Adieux paisibilité...
Vexée elle regarda l’inconnue la rejoindre en escaladant le mur. Ne pouvait-elle donc pas passer par l’intérieur, comme tout le monde ? Elle vit une mèche brune apparaître, puis un crane à demi rasé, puis un visage moqueur, puis un buste vêtu de bleu et enfin, des jambes sportives qui ne pouvaient appartenir qu’à une garde. Un sourcil relevé d’un air railleur, l’adolescente détailla du regard son aîné. Sa carrure sportive ne laissait aucun doute sur sa profession, tout comme la plaque dorée qui luisait autour de son cou. La rouquine plissa les yeux d’un air suspicieux puis s’empourpra en l’entendant, à nouveau, s’adresser à elle comme à une gamine ignorante. Sa fierté l'empêchait de discerner une note chaleureuse, presque affectueuse, dans la voix de la soldate.
Calme Leo… Calme ! Faut pas mordre les inconnus. Cette nana pourrait être une lieutenante ou je ne sais quoi. Inutile de créer encore du drama.
Avec un regard noir, la rouquine s’apprêtait lui grogner gentiment dessus lorsqu’une main étrangère s’approcha près, trop près, beaucoup trop près ! Par réflexe, la jeune femme recula mais il était déjà trop tard … le mal était fait. Les griffes, irritées par cette journée harassante, s’étaient montrées encore plus sensibles et délicates qu’à leur habitude. En reculant, Leoven se cogna contre la rambarde du toit derrière elle et réalisa alors que la femme face à elle avait les mains en sang. Elle détourna aussitôt le regard en troquant son air sauvageon pour une mimique honteuse. Bon sang… Pourquoi fallait-il que ce pouvoir lui échappe sans cesse ?!
« Désolée… »
Elle finit par se rapprocher et regarda timidement les plaies de l’inconnue. Voir quelqu’un d’innocent être blessé par sa faute lui pesait toujours, mais son caractère grincheux et râleur la poussait systématiquement à rejeter la faute sur l’autre, oralement du moins… Elle ajouta donc d'un ton plus irrité :
« Mais c’est ta faute aussi ! On ne t’a jamais appris à ne pas toucher les inconnus ? Tu as de la chance que je me sois reculée à temps, ton visage aurait pu subir le même sort. »
Malgré son apparente contrariété, Leoven était assez troublée. Il lui semblait que plus le temps passait, moins elle contrôlait son aptitude. Elle ne savait plus quoi faire et commençait à en être effrayée. Elle craignait le moindre contact physique et sa propre peur accentuait son manque de contrôle. Sans vraiment s’en rendre compte, elle serra ses bras nerveusement et détourna le regard. Devait-elle l’aider à bander ses mains ? Non, elle risquait d’aggraver les choses… Et puis, elle n’avait qu’à pas poser ses pattes là où elles n’avaient rien à faire ! Mais après tout, si elle avait su contenir ses griffes...
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Elle regarde sa main déjà bandée, les bandages déchirés, et le sang qui goutte sur le toit. Ca, c'est ce qu'on appelle un accueil... piquant ? Oui, probablement. Java se fait la remarque qu'elle aurait été une excellente troubadour dans une autre vie, jusqu'à ce que la douleur la lance. Vous savez, ce petit moment de flou, où on ne ressent pas encore pleinement la douleur d'une blessure à vif ? Il est fini.
▬ Nnnngggggggg.
Déclare-t-elle avec éloquence en grinçant des dents. Au moins, la petite s'excuse. Ah non. Finalement, elle l'engueule. Java commence à lentement dérouler les bandes de gaze qui entourent sa main gauche – il n'en restait plus grand chose, mais le fait de se délivrer du tissu imprégné de sang lui permettait au moins d'essayer d'oublier sa douleur.
Si elle n'y avait pas risqué sa main, la situation l'aurait bien amusée : des petits jeunes colériques avec des pouvoirs chaotiques, elle en croisait à la pelle. Quelque part, c'était même devenu sa spécialité. Et elle savait très bien que les cicatrices que lui laisserait cette rencontre feraient inévitablement partie de sa collection de « je me suis pris un pouvoir mal maîtrisé dans la tronche », qui ne faisait que se compléter avec le temps. Qui sait, peut-être qu'elle finirait par pouvoir se vanter d'avoir battu un record dans le domaine, un jour ? Ou peut-être qu'elle essayait un peu trop de positiver sur une réaction, techniquement, répréhensible.
▬ T'as raison, j'aurais dû faire gaffe.
Mais ce n'était pas son genre de jouer les victimes, encore moins devant les jeunes. C'est qu'il faut garder la face, vous comprenez ?
▬ T'aurais pu y aller doucement quand même... Tu m'as vraiment pas loupée ! Mais t'inquiète pas, c'est pas la première fois que ça m'arrive, et je pense pas que ce sera la dernière.
Avec sa main propre, elle fouille dans sa poche arrière pour sortir sa précieuse flasque d'eau-de-vie. Gâcher une recette familiale sur un bobo évitable était un petit peu triste, dans le fond, mais elle n'allait certainement pas laisser le temps à cette blessure de s'infecter. Aussi elle en versa un peu sur sa main, grimaçant à nouveau au contact de l'alcool brûlant sur ses plaies. L'odeur de l'alcool fort et fruité se mélangeait étrangement avec l'odeur du sang – un petit peu comme ses sentiments vis-à-vis de cette espèce de pouvoir de hérisson invisible auquel elle venait d'assister.
▬ Moi c'est Java. Tu vois ? Comme ça je suis plus une inconnue.
Elle lève la tête vers la petite rousse, le visage adouci. Oh, sa main lui faisait toujours un mal de chien, bien sûr. Mais elle ne pouvait pas s'empêcher de remarquer un détail, mais alors un tout petit détail, qui faisait légèrement tâche.
▬ Pourquoi tu t'excuses pour ton pouvoir ? T'as séché les entraînements à l'académie ?
En temps normal, ce genre d'attaques involontaires venaient de gamins qui n'étaient pas encore formés. Pas de gardes officiels, encore moins dans un régiment réputé pour son efficacité. Java se penche vers elle et parle un peu plus bas, les lèvres étirées dans un sourire moqueur, avec un faux ton choqué.
▬ ...Il est au courant, ton capitaine ?
Elle glousse, et pour le coup, les rôles s'inversent complètement : à cet instant précis, dans l'histoire, c'est elle qui est une véritable gamine. Mais en même temps, elle ne pouvait pas s'empêcher d'être curieuse devant la situation. Même si elle aurait bien aimé que le concert continue. Et que sa main saigne un peu moins. Mais ça, ce n'était que des détails, devant un sujet de conversation aussi croustillant.
La Joueuse d'Harmonica
Nerveuse et désorientée, elle hésitait toujours à s’approcher puis décida d’arrêter de trépigner comme un cheval fou. Elle vint timidement s’accroupir devant son aînée. Le regard baissé sur sa main blessée, elle n’osait plus relever les yeux vers elle. Son visage crispé et fermé était devenu totalement inexpressif, signe de la tempête qui régnait dans sa jolie tête rousse. En entendant l’adulte concéder qu’elle aussi était en tort, elle ne put s’empêcher de se mordre la joue, honteuse. Bien qu’elle ne risquerait pas de l’admettre, Leoven ressentait une profonde gratitude envers cette femme qui tentait de relativiser sans la blâmer. Elle se demanda un instant si Solveig et les autres auraient réagit de cette manière…
Elle ne releva pas la petite pique de l'inconnue et l’observa silencieusement arroser ses griffures avec ce qui devait être un peu d’eau de vie. Elle finit enfin par relever les yeux lorsque Java se présenta. Son air joyeux et léger finir par rassurer la jeunette qui força un sourire, ou tout du moins tenta de forcer un sourire… Mécaniquement, elle répondit :
« Je m’appelle Leoven. »
Puis elle s’empourpra de nouveau en entendant les questions qui lui étaient posée. Pourquoi s’excusait-elle de son pouvoir ? Son capitaine était-il au courant ? Mal à l’aise, elle détourna à nouveau le regard et grimaça au mot " capitaine ".
Non. Thépa ne savait rien des difficultés que traversait actuellement sa cadette. Et comment aurait-elle pu ? Les seules à côtoyer quotidiennement Leoven étaient les autres Valkyries, mais aucune ne la connaissait depuis suffisamment longtemps pour remarquer que quelque chose ne tournait pas rond avec ses griffes. Certes, elle n’avait jamais été capable de les maîtriser, mais au moins elle parvenait un minimum à les retenir ! Auparavant…
« Je… euh… »
Embarrassée, la petite rouquine cherchait difficilement ses mots. Elle n’avait jamais été du genre bavarde et n’étalait pas ses faiblesses au grand jour, du moins, pas volontairement. Malgré tout, elle était suffisamment mature pour savoir que seule, elle ne risquait pas de régler son petit problème… Mais comment savoir si Java était la bonne personne à qui s’adresser ?
« Mes griffes sont un peu… susceptibles. »
Confuse, elle n’avait pas de meilleurs explications à offrir qu’une moue désemparée.
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▬ Susceptibles, hein ?
Le mot est bien trouvé. Même s'il semble plus décrire Leoven que son pouvoir, pour le coup. La recruteuse lui jette un regard rieur, avant de prendre une expression plus douce. Vu sa tête, le sujet est délicat. Et peu importe à quel point elle aimerait continuer à se moquer gentiment d'elle, son côté grande sœur ne pouvait pas s'empêcher de prendre le dessus.
▬ Faudrait peut-être leur apprendre un peu la politesse, tu crois pas ? Tu joues dans la cour des grands maintenant, tu vas avoir des problèmes si tu blesses un allié ou que tu massacres un pont parce que tes « griffes » se sont vexées.
Son ton est un peu plus ferme. Il faut dire qu'on arrivait sur un terrain un peu délicat, pour Java. Certes, elle avait l'habitude de subir de plein fouet des pouvoirs de débutants – mais là encore, cela concernait généralement des civils mal informés, ou des enfants turbulents. Une fois dans la garde, ces derniers s'engageaient à servir et à protéger la couronne et ses sujets... Pas à leur taillader la main. Et peut-être que son multiclonage était moins directement agressif, mais elle s'était quand même retirée du régiment régulier lorsqu'elle avait commencé à perdre la main sur son pouvoir.
Un soupir lourd comme les pierres lui échappe enfin, alors qu'elle détaille le visage de la petite garde... Peut-être qu'elle avait été un peu trop dure. Peut-être qu'elle avait une occasion unique, en rencontrant ce petit hérisson humain. Celle de prononcer des paroles qu'elle aurait aimé entendre quand elle-même a eu des problèmes de nature magique.
▬ Ça se travaille, t'inquiète pas. Faut juste trouver la racine du problème, et t'entraîner, toujours t'entraîner !
Elle se rend compte en parlant que, si son pouvoir est l'équivalent d'un chat énervé invisible qu'on vous balance au visage, ce n'est peut-être pas si facile que ça de trouver des partenaires pour s'entraîner. Elle porte une main à son menton et plisse les yeux... jusqu'à ce qu'elle ait une illumination.
▬ Pour l'entraînement, je sais exactement qui pourrait t'aider ! Je te la présenterai demain, si ça t'intéresse. Et pour la source de ton problème...
Ce n'est qu'une supposition, ou peut-être juste qu'elle se projette. Mais elle tente quand même :
▬ A tout hasard, est-ce que t'aurais pas aussi un pouvoir lié à tes émotions ? J'ai l'impression qu'il s'est activé parce que tu t'es aussi sentie brusquée... Mais dis-moi si je me trompe.
Java essaie de choisir ses mots au mieux pour être la plus délicate possible – bien que ce ne soit pas vraiment son meilleur talent.
▬ Tu peux aussi me dire de la fermer, si tu veux juste reprendre ta jolie musique de tout à l'heure !
La Joueuse d'Harmonica
Leoven savait bien que son aînée avait raison. Elle lui jeta un regard noir, pour la forme, mais ne se permit pas de la contredire. Comment aurait-elle pu sans être de mauvaise foi ? Souvent jugée comme impulsive, la jeune femme n’était pas encore tout à fait stable et perdait assez rapidement son calme. Néanmoins, elle faisait son possible pour ne pas se montrer hypocrite et accepter que, parfois, elle pouvait ne pas avoir raison. Elle détourna donc le regard, les sourcils froncés et la mâchoire crispée, comme une enfant qui se faisait réprimander. A vrai dire, accepter la critique n’était pas vraiment dans ses habitudes. Elle avait été éduquée par des gens qui n’acceptaient pas que leur progéniture dévie du chemin qu’ils avaient tracé pour elle. Depuis petite, elle n’avait jamais réagi autrement devant l’autorité que par des ruades rebelles. Plus on lui imposait des liens, plus elle se montrait sauvage et agressive. Alors recevoir des conseils bienveillant, elle ne savait tout simplement pas gérer ! Son bon sens la poussait néanmoins à écouter.
Peut-être Java parvint-elle à lire sur le visage de l’adolescente, mais toujours est-il qu’elle la réconforta d’un ton presque fraternel. Elle devait s’entrainer, les choses étaient encore rattrapables ! Bon, sur le papier, ça pouvait paraitre simple, mais Leoven savait bien que ce genre de chose n’était jamais simple. Elle hocha de la tête avec résolution et força un sourire. Mais la grande question était : Qui serait assez fou pour s’entrainer avec elle ? Seule, Leoven n’avait pas autant de problèmes pour gérer ses griffes, c’étaient le contacte des autres qui la rebutait.
A nouveau, Java sembla se montrer particulièrement attentive et compréhensive. Elle devina bien vite que la foule ne se pressait pas pour tester l’action des griffes… pourtant, elle semblait connaître quelqu’un capable d’encaisser ce genre de traitement. La petite rouquine releva rapidement des yeux plein d’espoir vers elle et ne put s’empêcher de répondre spontanément :
« Vraiment ? »
Sa voix n’avait plus la dureté du début de leur échange. Inconsciemment, elle avait laissé la guerrière passer ses barrières et venir la voir plus faible et naïve qu’elle ne voudrait paraitre. Elle sourit avec sincérité en apprenant que son nouvel entrainement de remise à niveau pouvait commencer dès le lendemain. C’est en entendant ces paroles qu’elle senti un poids énorme s’envoler de ses épaules. Jusqu’alors, elle n’avait pas eu conscience de la pression que représentait son pouvoir à ses propres yeux. Elle était profondément soulagée de se sentir entourée par une personne à priori connaisseuse dans le domaine.
Elle ricana timidement à la dernière remarque de la garde qui sous-entend qu’elle accepterait un refus de sa part. Java était assez observatrice pour l’avoir deviné, le petit oiseau de feu avait finalement accepté de venir l’approcher.
« Merci. »
A nouveau, la voix de la rouquine semblait adoucie, rajeunie. Ce simple mot et son regard plus calme et confiant indiquait à Java qu’elle venait de gagner son estime. En si peu de temps et par une telle approche, un record ! Plus compréhensive, la jeune femme se mit donc à penser à voix haute avec une spontanéité retrouvée. Elle n’était pas suffisamment idiote pour cacher le peu qu’elle savait sur son " don " à celle qui tenait de l’aider sans même la connaitre et en connaissant le risque.
« J’ai un peu de mal à comprendre comment fonctionne mon pouvoir. Je sais juste qu’il se manifeste lorsque je suis surprise, que j’ai peur ou mal quelque part. C’est instinctif, un peu comme un réflexe. Si je te jette de l’eau à la figure, tu fermeras les yeux sans même y penser. C’est un peu la même chose avec mes griffes. Je sais que c’est mal, alors je me force à les retenir, mais parfois, elles m’échappent. Je peux les sentir, sous ma peau, lorsqu’elles veulent sortir et que j’essaie de les garder prisonnières. Lorsque j’étais à l’école militaire, c’était plus simple pour moi. Je connaissais les lieux, les personnes et leurs habitudes. Mes griffes ne se déclenchaient qu’en cas de réel danger. »
Au souvenir de la pauvre gamine qu’elle avait défiguré inintentionnellement, Leoven grimaça. La cicatrice au creux de ses reins témoignerait à jamais de la terrible nuit qui avait opposé les deux enfants qu’elles étaient. Si l’une avait bien faillit finir handicapée, l’autre n’avait désormais plus de visage entier… Chassant ces sombres pensées comme un nuage de moucherons intrusif, la jeune fille continua son analyse légèrement bancale de son propre organisme :
« Mais ici, c’est plus compliqué. Les gens sont étrangement tactiles et je ne connais pas bien le quartier. Je dois sans arrêt faire attention aux personnes qui passent un peu trop près et me forcer à ne pas imaginer un bandit derrière chaque individus caché sous une cape. Dès que je me sens un peu nerveuse, elles m’échappent. »
Mal à l’aise, elle peinait à mettre des mots sur un phénomène qu’elle ne maîtrisait pas. Avant de venir au Grand Port, ce manque de contrôle ne s’était pas fait savoir. Elle n’avait pas besoin d’être constamment sur ses gardes en découvrant un nouvelle environnement parce qu’elle avait toujours considéré l’académie comme étant son véritable foyer. Plus encore que la maison qui l’avait vu naître.
« Enfin je… Je crois que ça fonctionne comme ça. Alors oui, je pense bien que tout
est lié à mes émotions. Je sais bien que tout finira par aller mieux lorsque je commencerais à me sentir ici chez moi. Mais si je dois partir, si je suis mutée dans une nouvelle ville, tout recommencera encore. Et je ne veux pas faire ce que je viens de te faire à quelqu’un d’autre… »
Tout au long de ses explications, elle avait gardé les yeux posé sur ses bras et ses mains qu’elle avait parfois encore du mal à considérer comme sienne. Mais ces quelques dernières phrases avaient été accompagné d’un regard plus franc et ouvert. Ses prunelles vertes cherchaient celles de Java, comme pour lui montrer qu’elle plaçait en elle sa confiance.
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Complètement attendrie, elle hausse tout de même un sourcil lorsque sa cadette commence à lui expliquer ses problèmes avec son pouvoir. Visiblement, elle avait touché un point sensible. Mais pour une fois, avec sensibilité : pas besoin d'être un génie pour voir qu'elle se confiait complètement à elle. Tout en l'écoutant attentivement, Java regarde sa main. Effectivement, c'était là un pouvoir redoutable... un mécanisme de défense, matérialisé par la magie. Son pouvoir maîtrisé, Leoven serait probablement capables d'exploits légendaires ! Ses yeux, déjà en amande, se plissent alors qu'elle essaie de visualiser comment l'entraîner... Bien qu'elle avait déjà sa petite idée.
▬ Yep, même si t'es basée au Grand Port, il suffira que tu te retrouves hors de ta zone de confort pour que ça dégénère, du coup.
La recruteuse hausse les épaules. Elle avait côtoyé suffisamment de pouvoirs non-contrôlés pour se faire une idée de la situation, et suffisamment d'adolescents pour savoir que les protéger de la réalité leur faisait plus de mal que de bien. A cet âge là, et dans sa position, elle ne pouvait que gagner à avoir un retour honnête. Java lui montre sa main, salie par le sang, commençant à peine à cicatriser.
▬ J'peux t'assurer que si tu fais ça alors que t'es sur un cheval, tu vas vite te retrouver dans une position compliquée. Mais y a pas que ça... Un pouvoir comme le tien, ça donne une réputation. Et même si les gardes apprennent à être efficace sans se servir de la magie, faut aussi être capable de contrôler un minimum son pouvoir, pour rester efficace, justement.
Java ferme la main qu'elle lui tend, et la retourne, pour lui montrer son poing. Ses phalanges écorchées, recouvertes de croûtes de sang coagulé, en disent probablement plus long sur elle que toute la narration du monde. Mais pas autant que ce qu'elle se prépare à lui confier. La voix plus basse, un peu plus amère, Java continue sa tirade, en regardant ce poing qu'elle expose. La douleur de ses plaies est toujours aussi vive. Que ce soit celles ouvertes par le pouvoir de Leoven, ou celles ouvertes par leur discussion.
▬ Tu vois ça ? Je dois toujours mettre des bandages autour de mes poings, sinon ça cicatrise pas bien. Y a que ça qui me vide la tête. Je tape des mannequins, des arbres, des cons. Tout le temps. Parce que j'ai besoin de me vider la tête, sinon, mon pouvoir se retourne contre moi.
Son sourire vacille.
▬ J'te dirai pas que c'est facile. J'te dirai pas que tes problèmes vont s'envoler comme ça. Au contraire, tu vas t'en prendre plein la tronche. Tu vas te rater plein de fois.
Son regard s'assombrit, et elle soutient son poing avec son autre main pour le rapprocher de son cœur, après s'être rendue compte qu'il avait commencé à trembler. Elle voyait en Leoven cette adolescente qu'elle n'avait pas su sauver – pas une recrue, pas une cadette, mais tout bêtement elle-même. Elle voyait la possibilité de lui éviter ça. N'était-ce pas hypocrite de sa part, de prétendre avoir la solution à un problèmes qu'elle n'avait jamais su résoudre ? Java préférait se dire qu'elle était uniquement bien placée pour savoir quoi dire, et savoir quoi faire.
▬ Et à chaque fois, tu te relèveras plus forte.
Elle détourne lâchement les yeux, comptant sur les ombres pour cacher l'humidité qui s'y installait.
▬ Tu vas faire plein d'erreurs, et tu vas apprendre plein de choses. J'te connais pas Leoven, mais j'entends comment tu parles et j'vois bien que t'es une bonne gamine. Eh, t'as quand même intégré les Valkyries, c'est pas rien ça ! Et puis, ça te fait une bonne base.
Sa main propre vient finalement essuyer ses yeux, et son sourire lui revient. Peut-être que c'était trop tard pour elle – mais la petite rousse avait encore toute la vie devant elle. Qui sait, d'ici dix ans, Java serait peut-être même sous ses ordres ! L'idée lui arracha un petit rire amusé, et lui remonta le moral pour de bon.
▬ Faut pas que tu t'habitues seulement aux gens du coin, ou à l'endroit où t'es assignée. Le mieux, ce serait que tu te sentes chez toi partout... Et que tu arrives à voir les imprévus comme des défis, pas comme des obstacles. Et même si on va commencer à travailler ça demain, tu te doutes bien que c'est plus facile à dire qu'à faire, ça va prendre du temps...
Beaucoup, beaucoup de temps. Mais pas la peine d'en rajouter. Elle savait très bien que sa tirade devait être aussi pesante qu'une enclume sur ses petites épaules. Et puis après tout, même si elle avait réussi à entrevoir ses soucis, elle ne restait qu'une vulgaire inconnue...
▬ En attendant, tu devrais trouver quelque chose qui te permet de te détendre, je pense ! Moi, c'est l'entraînement, mais je médite pas mal, aussi. Qu'est-ce qui te détend, toi ? Qu'est-ce qui t'aide à te rappeler que le monde t'appartient autant que tu lui appartiens ?
Java louchait sur son harmonica. La façon dont elle en jouait trahissait des années de pratiques, ou une oreille musicale très développée. Mais peut-être que ce n'était qu'un passe-temps. Peut-être que Leoven lui ressemblait plus que ce qu'elle ne pensait.
Peut-être que Leoven finirait également par devoir bander ses phalanges.
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Elle se senti donc reconnaissante envers Java qui sut comment la tirer vers le haut sans l’enchainer. Elle l’écouta avec attention, suivant son regard lorsqu’elle sous-entendit qu’elle aussi n’avait pas toujours la maîtrise sur son pouvoir. En apprenant qu’elle n’était pas la seule à ne pas gérer parfaitement son propre corps, elle réalisa qu’il n’était pas impossible qu’un jour, à force de ténacité et de volonté, elle vienne à bon des réticences de ses griffes à êtres domptés. Savoir que Java avait réussi l’aiderait certainement à ne pas perdre le moral. Si elle avait pu le faire, pourquoi pas elle ?
Elle sourit d’un air gêné lorsque l’adulte la complimenta. Le petit ricanement de Java lui en arracha un aussi. Le genre de petit rire timide mais spontané que l’on ne peut pas retenir. Ses doigts crispés sur sa tuniques se relâchèrent tandis qu’elle reprenait confiance en elle. Après tout, elle n’avait pas eu pour habitude de baisser les bras !
Se sentir partout chez soi.
A nouveau, dis comme ça, tout semblait assez facile ! Mais se battre contre quelque chose d’aussi intime et personnel que la définition du ‘’ chez soi ‘’ n’était facile. Java devait l’avoir deviné, elle proposa bien rapidement une solution à la jeune un peu paumée qu’elle était : une distraction. Quelque chose pour se détendre et apaiser son esprit. Suivant son regard, Leoven attrapa son harmonica et le fit glisser entre ses doigts. Elle l’avait acheté lors de sa première sortie hebdomadaire, à l’internat militaire, lorsqu’elle n’avait que douze ans. Chacune des bosses, des imperfections et des rayures qui rendait ce petit objet unique lui était familières. La jeune fille ne connaissait que deux choses qui lui permettaient réellement de baisser sa garde : la musique et les animaux. Contre tout attente, se faire surprendre par un cheval ne l’effrayait pas. Ces animaux étaient pourtant connus pour leur tempérament craintif et leurs réactions assez imprévisibles. Après quelques secondes de silence, la joueuse d’harmonica releva les yeux avec détermination :
« Jouer me rappelle d’où je viens et ce que je ne veux plus être tandis que les chevaux m’aident à canaliser ma peur et me sentir libre. »
Avec un sourire plus sincère, elle ajouta :
« Je ne veux pas être garde pour me battre, je veux juste aider ceux qui ne peuvent pas s’aider tout seul. Je dois vraiment réussir à ne pas mettre en danger mon entourage. »
Avec curiosité, et toujours un brin de timidité naïf, elle releva les yeux vers Java.
« Tu es une instructrice non ? C’est pour ça que m’aide ? »
Son regard vert luisait de compréhension et d’intelligence. Leoven avait toujours été du genre observatrice silencieuse. Elle n’était pas particulièrement sociable ou extravertie et se sentait bien souvent mal à l’aise au milieu d’une foule. Mais sa grande curiosité naturelle la poussa à s’avancer vers ce qu’elle ne connaissait pas. A condition de pouvoir gérer ses griffes… Son sourire retrouvé, elle baissa enfin sa garde et regarda avec admiration la guerrière qui s’agenouillait à son niveau. Son pouvoir sembla s’endormir sous sa peau, tel un petit chaton inoffensif. Le devinant, la petite rouquine se frotta le nez et souffla, l’air de rien :
« Mais va falloir trouver quelque chose qui puisse vraiment me surprendre demain… Je ne te vois plus comme une potentielle menace, mes griffes ne se manifesteront pas face à toi. »
Avec un petit sourire désolé et un regard malicieux, elle écarta les mains en signe d'excuse. Java risquait bien vite de regretter sa proposition ...
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Leoven est pourtant très perspicace : effectivement, Java avait pris l'habitude de mimer ses instructeurs préférés face à un individu en difficulté. Quel meilleur modèle pour aborder un garde confirmé mais désorienté, ou pour préparer un futur élève à ce qui l'attendait ? Elle n'en avait aucun en tête, ou en tout cas, aucun qui soit aussi ambivalent.
▬ Presque !
C'était une réponse de lâche, mais elle n'avait pas vraiment envie de se dévoiler complètement devant cette jeune valkyrie admirative. Sa propre fragilité restait bien sûr un atout indéniable pour comprendre la situation de Leoven, mais Java était trop habituée à jouer les fières pour s'étendre dessus.
▬ C'est une bonne chose, ça, ma grande ! De toute façon, je comptais pas repartir du Grand Port couverte de cicatrices, ça fait peur aux civils...
Elle rit de bon cœur, et se permet un petit clin d'œil à sa collègue. Ça n'avait rien d'une pique, c'était juste sa façon de dédramatiser. En se foutant de sa gueule. Oui, elle est comme ça.
▬ Pour demain, je te donnerai pas d'indices. J'ai une jolie surprise pour toi, mais il faut que je garde le secret pour qu'elle marche bien !
Et maintenant, ce sont ses yeux qui rient pour elle. Elle avait effectivement un petit programme qui se dessinait dans sa tête... qui risquait de faire grogner la petite rousse. Mais il semblait qu'elle allait devoir se préparer à l'agacer pour réveiller ses griffes. Un mal nécessaire. Elle profite d'être assise pour s'étirer les jambes, et poser une question essentielle.
▬ Tu préfères qu'on se retrouve où et quand, d'ailleurs ? Je me lève très tôt et je suis tout-terrain, donc je m'adapterai à toi.
Java n'était pas non plus mesquine au point de venir la réveiller dès l'aube ; et puis, elle ne connaissait pas son emploi du temps, et ne se serait pas permise de l'arracher à ses devoirs de garde. Peu importe la nature spontanée de sa proposition, elle n'oubliait pas qu'il fallait rester terre-à-terre sur certains sujets.
Machinalement, elle fait craquer sa nuque. Son corps était réglé comme une horloge : passé une certaine heure, il commençait à réclamer son dû. Et si elle était certes rassasiée, pas besoin d'être un expert pour voir qu'elle commençait à fatiguer physiquement. C'était un peu gênant, mais pas non plus au point d'abandonner une rencontre aussi amusante si tôt.
La Joueuse d'Harmonica
« Solveig, ma colocataire, est de garde cette nuit. La connaissant, elle me réveillera en rentrant, donc je devrais me lever assez tôt aussi. Pourquoi pas de bon matin, avant le lever de soleil que les autres soient réveillés ? Je pourrais travailler dans la journée et tu seras libre toi aussi. »
Tout en réfléchissant à voix haute, elle laissait son esprit choisir les solutions qui lui paraissaient plus logiques sans la moindre hésitation. A nouveau, elle fournissait inconsciemment à Java des indices sur sa personnalité. Encore assez naïve sous certains aspects, elle ne réalisait pas qu’une personne suffisamment observatrice pouvait sans problème lire sur son visage. Elle releva les yeux vers Java qui était toujours assise. Le soleil couché, le ciel avait pris une teinte mauve aussi surréaliste que magnifique. Son harmonica coincée entre ses doigts fins, l’adolescente se demanda comment allait bien pouvoir tourner cette histoire ! Elle soupira un grand coup, comme pour évacuer toute cette timidité qu’elle détestait ressentir. Demander de l’aide n’était pas ses habitudes ; elle avait toujours préféré se débrouiller toute seule pour ne pas avoir à se sentir redevable envers un inconnus. Chassant ses mauvaises pensées, elle se redressa et reprit son assurance habituelle. D’un geste un peu mécanique et brutal, elle s’avança vers Java et l’enlaça quelques secondes, à l’improviste.
« Merci de t’occuper de moi. »
Son visage caché dans les plis des vêtements de la garde, elle tenta de lui transmettre son ressenti par son geste. S’il valait mieux éviter d’approcher la rouquine sans la prévenir, il était d’autant plus étonnant que ce soit elle qui fasse un pas vers un autre ! Mais au fond, derrière ses airs de femme résistante elle restait une enfant qui avait parfois besoin d’un bon câlin pour retrouver le moral ! Elle finit par reculer et se leva, soudainement plus détendue.
« A demain alors ! J’apporterai des pansements.»
Elle tira un instant la langue à Java, les yeux rieurs, puis se glissa souplement sur le corniche pour rejoindre l’étage inférieur par lequel était monté la garde. Rapide et agile, elle avait préféré filer rapidement. Ses cheveux voletèrent derrière elle tandis qu’elle se laissa tomber deux mètre plus bas, rejoignant sa chambre avec l’habilité d’une habituée.
©LUNY
Java se fit la remarque qu'elle aurait probablement le droit à d'autres surprises, venant d'elle – Leoven semblait pleine de potentiel. Elle la suit du regard alors qu'elle file dans la nuit, ayant encore la mélodie qui l'avait attirée jusqu'ici dans la tête. Puis elle se lève à son tour, et décide d'aller dormir à la belle étoile, près du bruit des vagues.
(…)
A l'aube, Java s'éveille. Elle médite, bande ses poings, fait bouillir un peu d'eau avec des feuilles de menthe, boit son infusion, se met en route. Après quelques détours, elle arrive devant le bastion du Grand Port. Sous son bras, un fagot de petit bois, récupéré auprès d'un vieil ami marchand. Sur son épaule, trois gros draps, empruntés à des cordes à linges qu'elle trouvait « un peu trop chargées » sur son chemin. Sur son visage, un énorme sourire.
Elle salue joyeusement et bruyamment les quelques gardes qui la croisent, jusqu'à reconnaître Leoven, qu'elle rejoint d'un pas guilleret.
▬ On y va ? J'ai une petite plage isolée sympa en tête.
D'un geste de la tête, elle enjoint sa camarade à la suivre et pivote pour mener la marche. Java prend un malin plaisir à marcher en silence, sans se retourner, se fiant au bruit des pas derrière elle pour s'assurer qu'elle est toujours suivie. Après avoir emprunté quelques ruelles endormies, elles arrivent à une porte dérobée qui mène à l'extérieur de la ville. Java fait briller sa médaille sous les yeux des gardes fatigués, et jette un œil à la petite rousse avant de foncer entre deux buissons à toute vitesse. Après l'exploration urbaine, la course ! Est-ce qu'elle serait capable de la suivre, ou au moins de la pister ? Bonne question !
Mais c'était déjà un début pour la déstabiliser. Et puis, c'était plutôt équilibré : Leoven semblait relativement agile, et Java avait le handicap d'être un peu encombrée par ses fournitures d'entraînement. Après avoir descendu un petit chemin escarpé, elle arrive jusqu'à son terrain de jeu. Ni une, ni deux, elle balance ses bouts de bois et ses gros draps au sol, sur le sable, et pose la main sur le sol. Les yeux fermés, elle inspire un grand coup. Utiliser son pouvoir à plein potentiel d'un coup était toujours un peu plus exigeant que lorsqu'elle répartissait ses dédoublements dans le temps, mais elle voulait faire de son mieux pour cette petite fleur qui avait illuminé sa routine.
Six silhouettes apparaissent dans l'ombre. Trois se saisissent d'un drap et d'un bout de bois, la dernière se lâche les cheveux avant de courir dans l'eau. Les deux dernières... Il y en a une qui est perdue dans ses pensées, et l'autre qui sanglote bruyamment. Bon sang.
Java mène ses deux clones inutiles jusqu'au milieu de la plage, et les force à s'asseoir à côté d'elle, à côté du tas de bouts de bois. Trois Java sont cachées dans les fougères aux alentours. Une dernière est cachée dans l'eau, sous un petit d'amas d'algues verdâtres et collantes.
Java qui pleure, Java qui pense, et Java qui mène, elles, sont postées sur la plage, toutes les trois assises en tailleur. Une fois que l'originelle sait que tout le monde est à sa place, elle adresse enfin la parole à Leoven, pour la première fois depuis qu'elle l'avait saluée au bastion.
▬ Je te présente mon pouvoir.
D'un geste de la main, elle désigne le double d'elle enfermé dans son mutisme et ses réflexions, puis celui qui renifle bruyamment et essuie ses larmes.
▬ Comme tu peux le voir, ça ne réussit pas toujours. Tu peux leur parler un peu si tu veux... et on passera à l'action quand tu seras prête !
Bien qu'elle ne soit pas complètement à l'aise avec le fait de donner vie à ces deux facettes dysfonctionnelles d'elle-même, elle se disait que c'était un bon avertissement. Java avait l'inconvénient d'avoir un pouvoir capable de parler de lui-même. Peut-être était-ce cette liberté d'expression qui manquait aux griffes de Leoven.
Que diraient ses griffes si elles pouvaient parler ?
La Joueuse d'Harmonica
Sa colocataire couchée, l’adolescente se leva silencieusement sans être dérangé par l’heure matinale. L’avantage d’avoir des horaires tantôt nocturne tantôt diurne était de ne pas souffrir du manque de sommeil au réveil. Une question d’habitude…
Elle s’habilla machinalement puis hésita. Devait-elle prendre son armure ? Elle regarda quelques instants l’étincelante carapace d’acier puis lui tourna le dos. Java avait parlé d’apprendre à maîtriser ses griffes, s’encombrer de métal ne lui serait d’aucune utilité pour ce genre d’exercice. Et puis elle préférait être libre de ses mouvements. Juste au cas où... Saisissant sa lance, elle sortit sans un bruit de sa chambre et se glissa dans les couloirs avec une grande discrétion. Le Bastion était désert à cette heure-ci, la relève n’avait pas encore eut lieux et une sorte d’engourdissement se faisait sentir.
Leoven n’eut aucun mal à rejoindre Java qui détonnait parmi les gardes impatients de rejoindre leur lit. La femme en bleu rayonnait de joie, hélant bruyamment quiconque croisait son chemin. Avec une moue moqueuse et amusée, la petite rouquine la rejoint. La bonne humeur de sa camarade détint sur elle, lui arrachant un sourire enjoué. Sans perdre une minute en bavardage inutile, l'adulte lui annonça leur mystérieuse destination. Une plage isolée ? Sympa !
« Je te suis ! »
L’adolescente lui emboîta donc le pas en observant avec curiosité le drôle de paquet qu’elle portait sur l'épaule. Des draps et du bois ? Voilà qui s'annonçait prometteur ! A la fois nerveuse à l’idée de la décevoir et excitée d’essayer quelque chose de nouveau, Leoven la suivait d’un pas frémissant d’impatience. Comme souvent, elle avait cet air d’animal au corps nerveux et électrique, prêt à réagir au quart de tour et constamment sur ses gardes. Respectueuse, elle attendait que Java, qu’elle avait deviné assez bavarde, lui adresse la parole en première. Mais étonnamment, ce moment ne vint pas.
Est-ce que j’ai fais quelque chose de mal ? Et si elle regrettait de m’avoir invité à m’entraîner ?
Légèrement inquiète, elle calma son empressement et cala son pas sur le sien. Ses yeux verts scrutaient les ruelles du Grand Port qui lui étaient encore étrangère. Difficile de croire que, des deux, c’était elle qui vivait ici ! Elle enregistra de son mieux le parcours que lui faisait prendre Java. Un bonne petite élève modèle bien attentionnée. En passant les portes de la ville, elle n’eut pas besoin de décliner son identité. L’un des deux gardes en poste avait déjà fait une patrouille avec elle et connaissait son grade de Valkyrie. Il lui adressa un sourire amical en la reconnaissant et la laissa passer. Malgré elle, l’adolescente rougit. Fichu pigmentation faciale trop sensible… Elle n’eut néanmoins pas le temps de s’inquiéter pour son image, Java était déjà parti en bondissant dans les bois.
« Hé Java, attends moi !! »
Mais qu’est ce qui lui prend ?! Est-ce qu’elle me teste ?
Comprenant – enfin – l’évidence de la situation, la petite rouquine se mit à sourire. Elle adorait les défis. Sans perdre plus de temps, elle s’élança. Sa lance, coincé par une lanière de cuir dans son dos, la gênait un peu, mais elle se félicita de ne pas s’être encombrée de son armure. Java aussi semblait être ralentie par son étrange paquetage, si bien que Leoven parvint à ne pas la perdre de vue. Toutes deux se ruèrent ainsi dans un sous-bois pendant de longues minutes, courant silencieusement.
Elle est rapide, mais pas autant que Red…
En repensant à l’aventurier qui avait eu le culot de la porter comme un vulgaire sac à viande, elle sourit de plus belle. Ce défi là lui avait bien marqué l'esprit... Distraite, elle ne vit pas une branche vers laquelle elle fonçait. La Valkyrie n'était pas bien grande, elle n’eut aucun mal à se glisser dessous. Mais sa lance qui dépassait de dix bon centimètre derrière elle percuta de plein fouet l’épaisse racine. Tirée en arrière, Leoven tomba sur les fesses avec une désagréable sensation de déjà-vu. Elle se releva en grognant et chercha immédiatement Java des yeux. Malheureusement, cette dernière avait disparu. Trop tenace pour abandonner, la rouquine se mit immédiatement à sa recherche. Elle parvint à repérer des traces de pas non loin. Alourdie par son matériel, la garde laissait des empreintes bien plus profondes et voyantes dans la terre meuble des forêts côtières.
Leoven parvint à rejoindra la crique cachée où l’attendait Java. Elle plissa les yeux et cru voir double (ou plutôt triple) et repérant trois Java soigneusement alignées sur la plage. Déstabilisée, elle se frotta les yeux en descendant un talus assez abrupte. Mais rien n’y fit, les trois Java restaient au nombre de trois. En s'approchant, elle remarqua que chacune avait un petit quelque chose de différent. L’une semble être perdue dans ses pensées, le regard dans le vague. La seconde, au milieu, la fixait d’un air mi-sérieux, mi-amusé. Et enfin, la troisième pleurait à chaude larmes.
Celle du centre prit alors la parole, lui annonçant qu’il s’agissait là de son pouvoir, et qu’elles pouvaient parler. Parler… En cet instant, la petite rouquine n’en avait plus du tout envie. Son regard ne pouvait se détacher de la Java effondrée qui sanglotait bruyamment. Elle ne voyait qu’elle. Elle et cette douleur qui semblait émaner de son corps tout entier. La gorge nouée, Leoven se racla la gorge et jeta un regard confus à la Java du milieu, celle qu’elle devina être la vrai Java. Elle se retourna ensuite vers celle qui pleurait et s’agenouilla auprès d’elle.
« Je… Hé, tu vas bien ? Enfin je veux dire, tu as besoin de quelque chose ? » demanda-t-elle maladroitement.
Tu vas bien ?! Sérieusement… Et pourquoi pas '' T'as vie est misérable aujourd'hui, mais t'inquiètes, elle sera p'tête mieux demain ! "
Frustrée de ne pas pouvoir trouver des mots qui ne sonnaient pas affreusement creux, Leoven s’approcha un peu plus de la pauvre femme. Son visage avait pris une expression inquiète et concernée, celle qui se peignait souvent lorsqu’elle ressentait cette forte empathie que l’on ne voyait pas toujours chez elle. Voir un inconnu dans une telle position lui aurait déjà serré le cœur, alors que ce soit quelqu’un qui justement avait tenté de l’aider… Elle se sentait étrangement touchée par cette version perdue de Java. Timidement, elle tendit une mains vers elle, oubliant un instant la présence des deux autres. Elle ne savait pas quoi faire, ni quoi dire. Rien que d’y penser, elle en avait honte, mais généralement, c’était elle que l’on aidait, pas l’inverse. Un peu perdue, elle se retourna vers les deux autres Java. L’une l’observait, tandis que la seconde n’avaient toujours pas cessé de fixer le vide. Hésitante, Leoven demanda :
« Qu’est ce qui leur arrive ?»
L’entrainement lui était sorti de la tête. Elle ne voyait plus que la détresse de celle qui, la veille, lui avait tendu la main après s’être faite griffer… Son envie de l'aider en retour se fit plus forte et elle ne comprit pas pourquoi Java lui avait montré cette part d'elle même. Encore trop naïve, elle ne comprit pas qu'il n'était pas seulement question de la Java-qui-pleur, mais aussi des griffes-trop-nerveuses.
©LUNY
▬ Elles sont apparues comme ça, tu pourras pas faire grand chose pour elles.
Celle qui réfléchit se retourne et fixe l'originelle d'un regard perçant, qu'elle se force à ignorer pour continuer de parler, comme si de rien n'était.
▬ Quand je me dédouble, je ne leur transmets pas que mon apparence. Elles ont aussi mes souvenirs, mes émotions... Et certaines le vivent un peu moins bien que moi, on va dire.
Celle qui pleurait essaie de bafouiller quelque chose, mais celle qui pensait lui coupe la parole.
▬ Nous sommes comme tes griffes. Nous sommes les reflets d'une réalité que Java ne maîtrise pas. Mais nous pouvons parler, et nous-
▬ Je t'ai demandé de l'ouvrir ?
▬ Leoven a demandé des explications, que tu ne lui donnes pas.
▬ Et ? Pas besoin des détails. La gamine sait réfléchir par elle-même.
▬ Et toi ?
L'originelle, scandalisée, regarde ce clone silencieux devenu insolent. Non mais, elle se prend pour qui ? C'était elle la créatrice, la patronne, celle qui donnait les ordres ! Vexée, elle plonge ses doigts dans le sol, et lui jette une poignée de sable au visage. Et... voilà. L'autre a fait pareil. Elles sont parties pour une bataille de sable.
La pleureuse profite de l'agitation pour se lever, et se rapprocher de Leoven. Elle essuie une coulée de morve avec le revers de son bras avant de se pencher pour lui parler dans l'oreille, en chuchotant timidement.
▬ Elle nous considère comme des copies difformes d'elle, parce qu'elle ne veut pas reconnaître ses propres problèmes. Je pleure parce que j'ai mal pour elle. Je porte le poids de tous les sentiments qu'elle refoule. C'est si dur...
Cette Java là savait bien qu'elle se prendrait bien pire que du sable, si jamais la « vraie » l'entendait. Mais comme les cinq autres, on lui avait donné la tâche d'aider la jeune garde à maîtriser son pouvoir. Et n'était-ce pas une leçon en soi, de voir quelqu'un littéralement se battre avec elle-même ? Ou, pour être plus exact, de voir quelqu'un essayer d'empêcher de parler une facette entière de sa personnalité. Ce spectacle lui arrache le cœur, et elle sent de nouveau les larmes monter. Elle ne verra pas le pied de l'originelle, venant taper dans le creux de ses genoux pour la faire tomber. L'autre, les yeux pleins de sable, essayait désespérément de se nettoyer le visage.
▬ Tu vois ? C'est des ratées. Elles savent pas rester concentrées, donc je peux pas compter sur elles face à un ennemi. Tout ça parce que je les maîtrise pas.
▬ Tu m'as fait mal !
▬ T'aurais évité mon coup, si t'étais restée attentive.
▬ C'est vrai...
Et elle recommence à pleurer doucement. Java pousse un grognement dégoûté, avant de reprendre les rênes de cette leçon. Ce n'était pas du tout ce qu'elle avait prévu ! … Comme d'habitude. Elle se retourne pour fusiller du regard celle qui reste, qui a finalement décidé de garder les yeux fermés et de continuer à réfléchir dans son coin. Enfin, de bouder, quoi.
▬ Pas très glorieux, hm ? Mais bon, même si elles m'énervent... Elles font partie de moi. Elles sont là quand j'ai besoin d'elles. Y a quelques années, c'était vraiment pas mieux.
Voir son clone se jeter du haut d'une falaise, ce n'est pas très glorieux non plus, en effet.
▬ J'ai été méchante... L'autre avait raison. Je peux pas les contrôler une fois que je les ai invoquées parmi nous, mais au moins, je peux leur parler et avoir une réponse.
▬ C'est gentil de le reconnaître.
▬ De rien, moi-même.
Celle qui boude semble se détendre un petit peu. Java continue, ne se gênant pas pour jeter un regard mauvais à celle qui sanglote à nouveau.
▬ Tu vois le problème de mon pouvoir ? Si je fais pas attention, je dévoile mes faiblesses à l'ennemi, et mes pions se retournent contre moi. Je peux les disperser, et m'en servir pour couvrir une petite zone à moi toute seule. Mais ça me sert à rien si je peux pas compter sur... moi-même, j'imagine.
La pleureuse s'interrompt et la regarde, surprise. Java qui s'autorise à être vulnérable ? C'était un spectacle aussi rare que rassurant. Sans le savoir, la petite rouquine avait franchi une sacrée muraille.
▬ Tes griffes réagissent en fonction de tes émotions. C'est moins visuel et plus offensif, mais ça t'expose tout autant.
▬ Une solution temporaire consiste à savoir retenir tes émotions, mais il y aura un retour de bâton... Hahaha. Bâton.
▬ Sur le long terme, tu dois apprendre à t'écouter toi-même pour pouvoir remonter à la source du problème.
Trois conseils pour le prix d'un. L'originelle sourit. Comme d'habitude, elle avait réussi à rattraper ses propres catastrophes. Mais que penserait Leoven d'elle, après avoir vu sa plus grande faille ? Est-ce qu'elle voudrait encore de l'aide d'une personne aussi instable ? Java jeta un regard rapide vers la mer, puis se tourna à nouveau vers elle, attendant de voir sa réaction.
hrp : je t'ai mis des couleurs de dialogue différentes pour les 3 java histoire de faciliter la lecture, parce que sinon c'était un peu hardcore :')
java originelle / java qui pense / java qui pleure
La Joueuse d'Harmonica
Loin d’être aveugle, la jeune fille comprit rapidement que Java avait honte des deux clones qui ne semblaient pas maîtriser leurs émotions aussi bien qu’elle. Son regard se radoucit tandis qu'elle se demanda avec inquiétude ce qui avait bien pu laisser ce genre de marques.
La troisième Java prit alors la parole et Leoven se tourna vers elle d’un air surprit. Elle l’avait complètement oubliée. Celle là semblait plus calme, en apparence du moins... Son ton était plus bouillonnant de colère et paradoxalement, assez froid et détaché. Une chose bien étrange. Elle lui expliqua que, tout comme ses griffes, les clones étaient très indépendants. Java ne pouvait pas totalement les contrôler.
Mais au moins, ils ne blessent personne eux…
La jeune fille fut assez surprise du ton véhément et agressif qu’avait l’originelle envers ses doubles. Elle avait l'habitude de voir une Java plus rassurante et patiente. Sans trop réfléchir à ce qu'elle faisait, la rouquine prit leur défense, bien que personne ne l’écouta :
« Nous sommes comme tes griffes. Nous sommes les reflets d'une réalité que Java ne maîtrise pas. Mais nous pouvons parler, et nous-
- Je t'ai demandé de l'ouvrir ?
- Java laisse là par…
- Leoven a demandé des explications, que tu ne lui donnes pas.
- Et ? Pas besoin des détails. La gamine sait réfléchir par elle-même.
- Et toi ? »
Aussitôt, l’originelle se mit à balancer du sable à la figure de l’autre, qui renchérit immédiatement, aussi sanguine et colérique que l’avait deviné Leoven… Mal à l’aise, cette dernière referma la bouche d’un air crispé et recula vers celle qui sanglotait, comme pour la protéger de la folie des deux autres. En voyant les deux Java se disputer, elle eut l'impression de voir deux sœurs jumelles. Comment pouvait-on être aussi peu en accord avec soi-même ?
La pleurnicheuse profita de cet instant pour se rapprocher aussi discrètement que ses reniflements bruyant le lui permettaient. Elle lui chuchota de nouvelles explications au creux de l’oreille. Son ton confirma les doutes de l’adolescente : Java n’aimait pas laisser ses deux clones difformes en liberté et refusait de les écouter. Elle n’avait pas à se mêler de ce qui ne la regardait pas, mais la petite Valkyrie ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle devrait agir. Néanmoins, avant qu’elle n’ait le temps de prononcer un mot, l’originelle frappa la pleurnicheuse dans le genoux, toujours aussi désagréable avec elle.
« Java, arrête ! » s’écria la rouquine d’un ton offusqué en se levant, protégeant une Java d'une autre.
Elle se mordit ensuite la lèvre en se demandant : Est-ce que je me comporterais ainsi avec mes griffes si elles pouvaient me parler et être tangibles ? Peut-être…
L’adolescente connaissait la frustration de ne pas pouvoir contrôler ce dont elle était responsable. Elle aussi avait eu envie de se débarrasser de ce pouvoir handicapant. Peut-être était-elle hypocrite en reprochant à Java son comportement violent et hautain envers les deux répliques d’elle-même qu'elle ne maîtrisait pas. Mais après tout, pourquoi ne pouvait-elle pas les accepter tout simplement ?
Les accepter… Comme si je le faisais, moi !
Voir cette scène était assez difficile pour l’adolescente. Elle mourrait d’envie de raisonner l’originelle et de lui faire la morale, mais sa droiture l’empêchait d’exiger des autres ce qu’elle n’était pas capable de faire elle-même. Elle ne voulait pas entrer dans la catégories des " fais ce que je dis, pas ce que je fais ".
Elle fut donc soulagée lorsque Java s’excusa auprès de la pleurnicheuse, s’attirant le pardon implicite de la boudeuse. Malgré leur dissonances, elles parvenaient à s’entendre un minimum et coopérer. A nouveau, c’est l’image d’une famille blessée qu’eut Leoven. La rouquine comprit que l'orage était passé et se rassit, les yeux baissé. Oui, elle avait comprit la leçon que tentait un peu maladroitement de lui donner Java. Elle devait apprendre à ne pas laisser son anxiété naturelle contaminer ses griffes. Après tout, elles n'étaient pas uniquement un fardeaux.
« J'ai compris. Je dois être plus détendue. Si je n'ai pas peur de mon pouvoir, je pourrais plus facilement le contrôler, c'est ça ? »
Elle allait se contenter de cette toute petite phrase, mais elle ne put s'empêcher de rajouter :
« Oh et puis, ne tape pas sur tes clones toi non plus. Comme tu dis, il faut être à l'écoute de soi-même. Tu as de la chance de pouvoir parler à ton pouvoir ! Moi je les trouves gentilles. Elles n'ont pas peur de te tenir tête, je ne pense pas que beaucoup de monde puisse s'en vanter ! »
Étrange à dire... Elle sourit un peu en se disant que Java devait bien être la seule personne à pouvoir taper la discute avec son propre pouvoir !
©LUNY
▬ Tu les trouves gentille parce que tu me trouves gentille, ma grande. Et elles savent me tenir tête parce qu'elles ont mon sale caractère, j'imagine ?
Elle en regarde l'une, puis l'autre, puis continue avec un petit sourire satisfait.
▬ Mais t'as raison, ça sert pas à grand chose de les frapper. Même si ça défoule, c'est un peu l'équivalent de donner un coup de tête dans un miroir...
Pour l'anecdote : oui, elle avait déjà essayé. Non, ce n'était pas une bonne idée. Mais ça l'amusait, que Leoven ait réussi à lui faire se remémorer ce genre de choses. Quelque part, elle était très heureuse de lui avoir réservé sa matinée : un des plaisirs qu'elle avait toujours envié aux instructeurs, c'était celui d'apprendre de leurs élèves en même temps qu'ils leurs transmettent leur expérience. Un bon exemple de gagnant-gagnant, pour la recruteuse.
▬ Être détendue, c'est un pas dans la bonne direction. Tu dois apprendre à accepter que ton pouvoir est une partie entière de ton identité. Tu es rousse, tu joues de l'harmonica, tu es basée au Grand port, et tu as ce pouvoir.
Et cette fois, ce sont ses doubles qui la dévisagent. Bon, très bien : elle-même voyait parfaitement l'ironie dans ses propos. Mais il n'empêche que cela restait un bon conseil. Elle attrape deux petits bouts de bois qu'elle leur met dans les mains, et conclut.
▬ Tu es encore jeune, donc tout n'est pas figé. Tes griffes semblent prendre les devants quand tu es brusquée, mais peut-être que tu finiras par pouvoir les contrôler très précisément, qui sait ? En attendant, tu dois pouvoir assumer les conséquences de ta magie.
Et sur ces mots, elle se lève, avant d'aider les deux autres à se relever également.
▬ Tu les aimes bien, hm ? Alors on va changer un peu l'exercice d'aujourd'hui. Tu vas devoir les protéger. Elles sont pas très utiles, mais vois-les comme tes alliées.
Java utilise ses mains pour moduler un sifflement, produisant un son qui ressemble étrangement à un chant d'oiseau. Un signal qu'elle avait volé à des ennemis pour le retourner contre eux, et communiquer avec ses doubles à distance. Avec un sourire malicieux, elle recule doucement pour laisser la scène à Leoven. Alors, comment gérera-t-elle la situation ?
▬ Je ferai de mon mieux pour ne pas être un fardeau...
▬ Ne t'en fais pas si tu nous blesses. Tu ne baisseras pas dans l'estime de Java.
C'est la Java dans l'eau qui sortira en premier de sa cachette. Enfin, difficile de la reconnaître sous les algues puantes qu'elle avait enroulé tout autour d'elle. Encore plus difficile alors qu'elle sortait de l'eau en rampant à toute vitesse dans le sable, comme une espèce de monstre des marais répugnant. L'originelle hausse un sourcil devant ce spectacle haut en couleur (et en odeur), et se demande si elle n'est pas allée un peu trop loin. Bah, si la gamine avait passé l'examen, elle allait bien pouvoir gérer un tas d'algues, non ? Elle se bouche les oreilles quand son clone puant pousse un long cri strident, semblable à celui d'une harpie. Au moins, on ne pourrait pas lui dire qu'elle n'avait pas le sens de la mise en scène.
On ne pourrait pas non plus lui dire qu'elle ne savait pas faire une diversion efficace. En effet, pendant ce cri assourdissant – et, soyons honnêtes, un peu glauque – les trois dernières Java avaient choisi leur moment pour se dévoiler à leur tour. Enfin, façon de parler, puisqu'elles étaient toutes les trois couvertes par un drap différent, avec seulement deux petits trous pour les yeux. Leurs mouvements ralentis, cela ne les empêche pas de courir vers Leoven, chacune venant d'une direction différente. Avec le petit bâton que leur a distribué l'originelle au début, elles donnent des coups dans sa direction, sans se retenir de viser les points vitaux.
Entre Java-monstre qui hurlait, les trois Java-fantômes qui l'agressaient, et les deux Java-fardeaux qui la ralentissaient, que ferait Leoven ? Java-de-base ne la quittait pas du regard, impatiente de voir si elle jouerait le jeu de son exercice improvisé.
La Joueuse d'Harmonica
La jeune appréciait le regard adoucit que posait la recruteuse sur elle. Inconsciemment, il lui semblait qu’elles avaient toutes deux une influence positive sur le tempérament de l’autre. C’était assez inédit pour la petite garde. Ses professeurs de l’académie ne faisaient pas dans les sentiments, ce qui avait probablement participé à brusquer ses griffes, et avant eux, elle n’avait eu que des précepteurs impersonnels dont elle ne prenait même pas la peine de retenir les noms ! Java était en quelque sorte la première à lui apprendre en la poussant à se mettre en avant, à se considéré comme unique et non comme une simple arme humaine remplaçable.
Malgré tout, elle ne pouvait s’empêcher de rester fidèle à elle-même. Sans s’en rendre compte, elle avait gardé sa place entre l’originel et la pleurnicheuse avec une attitude protectrice, sur le qui-vive. Les vieilles habitudes ont la vie dure…
C’est en entendant les mots " assumer les conséquences de ta magie " que Leoven commença à s’inquiéter. Qu’allait donc lui faire faire Java ? Elle espéra qu’elle n’attendait pas d’elle qu’elle charcute un de ses clones… L’adolescente avait été formée à tuer, mais il y avait une différence entre la théorie et la pratique. Un instant, elle se demanda si Java était le genre de personne capable de sacrifier une vie ; et ce questionnement l’inquiéta. Était-elle méfiante au point de douter d’une personne qui était en train de l’aider ?
On ne sait jamais ce qui se passe dans la tête des autres…
Et voilà que sa nervosité revenait ! Elle observa silencieusement Java donner des bâtons aux deux clones. Son comportement avait changé, elle était désormais sur ses gardes et ses yeux verts plissés ne lui donnaient plus du tout l’air d’une enfant. En l’espace de quelques secondes, elle avait retrouvé son air farouche. Protéger les deux clones, d’accord, mais de quoi ? Le long sifflement de l’originel sonna comme un signal d’attaque qui ne pouvait signifier qu’une chose : il y en avait d’autres.
Avec la rigueur propres aux jeunes diplômés qui souhaitent bien faire, Leoven appliqua les leçons qu’on lui avait donnés. Attraper rapidement son arme, jeter un regard circulaire pour repérer les dangers, mettre en condition ses " alliées " :
« Toi, tu seras Jara, et toi Jane. Mettez-vous dos à dos, contre moi. Ne communiquez que les informations essentielles. »
En cherchant du regard ses assaillants, la Valkyrie avait discerné du mouvement dans les buissons aux alentours, mais c’était bel et bien le monstre venu de la plage qui avait retenu son attention.
Punaise, mais où est-elle allée chercher tous ces trucs en une seule nuit ?! Et depuis combien de temps sont-ils là ?
Elle se mit en position de défense, sa lance en avant, pour se préparer à parer les coups à venir. A la voir, il était évident qu’elle refusait encore d’utiliser ses griffes. Leoven était persuadé que Java voulait lui apprendre à retenir ses griffes, pas à s'en servir correctement.
Le monstre marin poussa un cris aussi terrifiant que ceux de l’iguanard pilleur qu’avait déjà affronté l’adolescente. Elle ne réalisa pas sur le moment qu'il ne s'agissait pas d'une étrange créature, mais bel et bien d'une nouveau clone. Les jambes fléchies pour se préparer à attaquer, la jeune fille eut tout juste le temps d’éviter un coup venant d’un autre assaillant, sur sa gauche. Elle se retourna brusquement et frappa du bois de sa lance l’espèce de fantôme déguisé qui s’en prenait à elle. En plein dans le ventre ! Elle n’avait pas encore eu le temps de se redresser qu’un violent coup de bâton s’abattait sur son dos, la projetant à terre.
Au sol, elle était vulnérable et ses agresseurs ne retenaient pas leur coup. En position foetal pour limiter les dégâts, elle évalua rapidement la situation. En plus du monstre marin, trois inconnus s'en prenaient à elle et ses deux alliées. Et manifestement, ils avaient une dent contre elle et se fichait royalement de la couvrir de bleus ! Elle avait intérêt à se relever, et vite, si elle ne voulait pas finir défigurée... D’une roulade sur le côté, accompagné d’un coup de talon dans le tibia d’un des fantômes, elle se redressa. Malheureusement, elle n’avait pas eu le temps de garder sa lance en main durant sa roulade de secours. Elle se mit donc en position de combat au corps à crops, les deux poings serrés au niveau des yeux, prête à parer un coup. Coup qui ne tarda pas à venir, directement dans son visage… Java ne la ménageait pas !
Assaillie de toute part avec la sensation d’être seule, elle commençait à perdre pied. Ses griffes électrisaient l’air, faisant se dresser ses poils sur ses avants bras et sa nuque. Elles semblaient lui murmurer '' utilise nous, n'ai pas peur, sans nous, tu es morte ! '' Leoven peinait à se concentrer. Une partie de son esprit était occupée à repousser son pouvoir tandis que l’autre s’affairait à éviter les coups qu'on lui donnait. Du coin de l’œil, elle chercha Jara et Jane. Les deux ne semblaient pas très bien s’en sortir non plus. Jara, la pleurnicheuse, n’avait même pas l’air de savoir comment tenir son bâton… La garde tenta de se rapprocher d’elle, mais évoluer dans une masse vivante aussi compacte n’était pas évident. Il lui sembla un instant que ses assaillants tentaient un maximum de la priver d’espace, de l’étouffer le plus possible entre leurs corps.
« Jane, aide Ja… Hmpf ! »
Un autre fantôme, sorti d’on ne sait où, venait de lui donner un grand coup de bâton dans le diaphragme, chassant tout l’air de ses poumons. Sans qu’elle ne le réalise, Leoven relâcha la pression sur ses griffes pour encaisser mentalement la douleur. Le résultat fut immédiat : deux fantômes tachèrent leurs draps blanc de sang, l’un au visage, l’autre à l’épaule, tandis que Jara se retrouvait avec une oreille tout ensanglantée. Dans la panique, les griffes avaient fait ce qu’elles faisaient de mieux, trancher toute chaire trop proche d’elles, amies comme ennemies.
Agenouillée au sol avec la sensation d'étouffer, la petite Valkyrie en avait assez. Chaque partie de son corps lui était douloureuse et être collée de la sorte par des étrangers la faisait paniquer. Avoir relâché ses griffes une première fois, c'était comme perdre les rênes d'un cheval devenu fou : impossible de les récupérer avant qu'il ne ce soit calmé. A quatre patte dans le sable, Leoven leva une main tremblante en l'air et se couvrit le visage de la seconde :
« Reculez ! Ça suffit, reculez tous ! »
Son ton se voulait autoritaire, mais n'importe qui aurait pu y déceler sa peur. Elle sentait que le contrôle lui échappait totalement. Un coup dans le visage lui avait fait saigner du nez, mais le sang qui tachait le sable n'était pas le sien. Des larmes de rage rougissaient ses yeux. Elle qui ne supportait pas l'échec devait admettre qu'à nouveau, elle n'avait pas été capable de se montrer à la hauteur.
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Ce qui devait arriver arriva : Leoven, complètement submergée, avait laissé ses griffes se déchaîner. Jane et Jara s'éloignèrent lentement d'elle, l'une d'entre elle grimaçant de douleur en sentant le sang couler dans son oreille et le long de son coup. Deux des Java-fantômes semblaient également blessées, quant à la Java-monstre... difficile de savoir ce qui se passait là-dessous, mais elle n'était probablement pas en reste.
Java s'approche de la petite valkyrie, visiblement complètement paniquée. Pas folle au point de se mettre à portée de ses griffes, elle s'agenouille à une distance correcte pour lui parler. Autour d'elles, trois draps et un tas d'algues gisent au sol. Maintenant, elles sont à nouveau seules. Java récupère les souvenirs de ses clones, leur agacement envers l'originelle, leur détermination à mettre en difficulté la jeune fille, et tout ce qui vient avec.
L'exercice est terminé.
▬ Reprends ton souffle. Tu es une excellente garde, Leoven.
Elle lui aurait bien fait un câlin pour la rassurer, mais bon. La petite rousse devrait se contenter de sa voix calme et attendrie, et du bruit des vagues qui l'accompagnait.
▬ Gérer une situation, ça ne veut pas toujours dire en sortir entier. Tu as encaissé les coups mais tu n'as pas failli. Tu as fait de ton mieux pour protéger « Jane » et « Jara ». Tu as utilisé ton pouvoir pour désamorcer le combat, que les résultats te plaisent ou non.
Java se relève et s'approche un peu plus, pour récupérer les algues et les jeter à la mer. Puis elle va chercher les draps, qu'elle plie soigneusement pour les mettre de côté.
▬ Je pensais que ça prendrait plus de temps que ça pour faire sortir tes griffes, mais elles sont mieux entraînées que tu le penses. Au moins, ça me fera du petit bois pour le feu, hein... Le sang qui coule est une conséquence nécessaire du métier, tu sais ? Celui des ennemis, et celui des alliés.
Bon, elle aurait bien aimé ne pas tâcher les draps de complets inconnus, déjà qu'elle allait les ramener avec des trous... Mais au pire, elle profiterait du reste de la matinée pour les nettoyer comme elle pouvait et les remettre discrètement à leur place.
▬ Ton pouvoir t'a obéi. Il y avait trop d'informations à gérer, et tu avais besoin d'espace, alors il s'est exécuté. Tu n'as aucune raison d'avoir honte de ça... C'est même plutôt admirable, si tu veux mon avis !
Le contraste entre les deux gardes est plus accentué que jamais. Quand l'une tremblait et pleurait de rage, l'autre y voyait un exercice concluant. Java savait bien qu'il leur faudrait bien plus de temps que ça, si elle avait voulu l'aider à complètement maîtriser ses griffes : du temps que ni l'une ni l'autre n'avait vraiment, et des compétences que la recruteuse n'avait pas non plus.
Tout ce qu'elle voulait, c'était montrer à Leoven qu'un pouvoir, peu importe ses conséquences, ne doit jamais devenir une honte. Une honte que le sien lui avait apporté maintes et maintes fois, mais comment dit-on déjà ? Fais ce que je dis, pas ce que je fais, voilà.
La Joueuse d'Harmonica
Pitoyablement, elle ne releva même pas la tête lorsque la garde s’occupa à ranger le bazar qu’elles avaient semé. Elle l’entendit se déplacer, farfouiller autours d’elle, mais n’y accorda aucune importance. L’adulte continua de lui parler, rassurante et franche à la fois. Java ne lui masquait pas la vérité mais avait la délicatesse de prendre des pincettes avec la bombe qu’elle représentait.
L’enfant en elle mourrait d’envie d’aller se réfugier dans les bras de la garde, mais sa peur de la blesser et sa honte l’empêchèrent d’effectuer le moindre mouvement. Et puis… Une petite partie d’elle ne pouvait s’empêcher de la voir comme une menace. Après tout, elles ne se connaissaient que depuis la veille. Qu’elle assurance avait-elle que Java était une bonne personne ? Et si elle était à la solde d’un de ses supérieurs désireux de la tester pour la déclarer inapte au service ? Pire… Et si elle était une espionne non affilé à la garde qui voulait se servir d’elle pour s’en prendre aux Valkyries ?
Assez ! Je n’avancerai à rien comme ça. Java à raison, je dois cesser d’avoir peur.
D’un geste qui aurait horrifié sa mère, la rouquine s’essuya le nez de son avant-bras. Elle renifla bruyamment, se frotta les yeux, puis se releva maladroitement. Ses jambes lui semblaient fragiles et elle repéra un énorme bleu sur sa cuisse gauche, ainsi qu’une jolie éraflure sur son mollet droit. Son nez avait cessé de saigner, mais elle avait taché ses vêtements. Elle les épousseta, bien qu'elle sache que son geste était inutile. Du sable plein les chaussures, elle avait la désagréable sensation d’être plus que sale. Une des algues de la Java-monstre s’était même retrouvée dans ses cheveux ! Constatant le désordre que son aîné avait pratiquement terminé de ranger, elle soupira :
« Désolée pour les draps. Ce sont les tiens ? Je peux essayer de les recoudre si tu veux ? »
Enfin... Je ne sais pas tenir une aiguille et n'ai aucune idée de comment faire un point, mais ça ne doit pas être compliqué, non ?
Elle força un sourire qui sonnait tristement faux. Il était indéniable qu’elle avait été terriblement déçue par son propre échec. Au fond, elle avait naïvement cru que Java était un ange tombé du ciel pour résoudre tout ses problèmes. Mais elle n’était pas une petite fille. Et les anges, ça n’existe pas. Si on veut régler ses problèmes, on doit le faire soit même ! Leo ne voulait pas baisser les bras. Abandonner, ce n’était pas dans ses compétences.
« Je crois que je vais encore avoir besoin d'un peu d'entrainement. »
Elle fouilla nerveusement dans le sable pour se donner de la contenance, puis releva les yeux vers la garde. Ses joues rouges étaient sèches ; elle avait été capable de retenir ses larmes.
« Rassure-moi, tu n’as pas mal quand tes clones sont blessés … ? »
S’inquiéter pour les autres, voilà qui l’aidait à se recentrer. Java lui avait conseillé de se trouver un hobbit, et bien la jeune fille décida candidement que son hobbit serait de ne pas penser à soi. Drôle de volonté de la part d’une boule de nerf aussi méfiante qu’elle !
« Oh et, tu pourrais remercier Jara et Jane pour moi, s’il te plait ? Enfin, c’est peut-être bizarre étant donné qu’elles ne sont pas vraiment "là", et qu’elles ne sont peut-être pas réellement vivantes, mais j’aimerai bien que… enfin… tu vois. »
Maladroitement, la petite rouquine se passa une main dans les cheveux pour dissimuler sa gêne et en profita pour retirer l’algue poisseuse qui s’y était prise. Elle ne savait pas quoi dire, comment se comporter. Comme toujours dans ce genre de situation, elle se sentait embarrassée et peinait à garder sa contenance. Finalement, personne n’était mort et personne n’était réellement blessé. Mis à part son petit dérapage, elle ne s’en était pas trop mal sortie. Java avait raison de positiver, et son optimise finit par déteindre sur son élève.
« Je pense que je vais continuer de m’entraîner, toute seule. Essayer d’utiliser les griffes de ma propre initiative, sans qu’elles ne me servent de sortie de secours. Les forcer à m'obéir... Ce genre de chose. »
Courageusement, l’enfant tentait de reprendre les rênes du cheval fou. Elle tombait, souvent, mais finissait toujours par se relever toute seule. Son éducation l'avait forgée ainsi : apprendre à compter sur soi avant de compter sur les autres. Mais ce jour là, les choses étaient différente pour la petite Valkyrie. Ce jour là, quelqu'un était là pour l'aider. Java lui avait donné confiance en elle et la volonté de voir son pouvoir comme un atout et non un problème à éradiquer.
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Heureusement, alors que la recruteuse cherche ses mots, Leoven change instinctivement de sujet. Et son sourire amer balaie toutes les pensées de Java quant à l'obtention de ses draps. Moment difficile. Elle ne pouvait pas jouer la carte de la compassion aveugle – surtout après avoir, entre autres, utilisé l'entièreté de son pouvoir pour la mettre dans cet état. Mais elle ne pouvait pas se résoudre à rester professionnelle, ni professorale. Pas devant cette question pleine de doutes, ni devant ses remerciements, ni devant sa détermination.
Alors il fallait trouver l'équilibre entre ce qu'elle avait envie de lui répondre, ce qu'elle devrait lui répondre, et ce qu'elle pensait. Java commence par le plus simple.
▬ Non, je ne ressens pas leur douleur. Par contre, lorsqu'elles partent, je récupère leurs souvenirs. C'est pratique ! Mais ça peut vite devenir assez moche, comme histoire.
Oui, le plus simple, ici, c'était de rester transparente, même si ça l'amenait à aborder le contrecoup le plus difficile à approcher psychologiquement. Qu'est-ce que c'est, d'ajouter à ses souvenirs la même scène de six points de vue différents ? C'est perturbant, vous dirait Jara. Ce n'est pas aussi long qu'on pourrait le croire, vous dirait Jane. Et pour Java : c'est simplement pratique, et moche.
▬ J'peux pas vraiment leur dire, vu que ça reviendrait à juste me parler toute seule. Mais si ça t'aide à te sentir mieux, dis-toi qu'elles ont cru en toi tout du long. P'tet bien que c'est leurs souvenirs à elles qui me rendent aussi fière de toi !
Rendons aux Java ce qui est aux Java : effectivement, elles avaient fait du bon travail. Même la puante. Et ça, aussi, ça la rendait un peu fière. Même celles qu'elle trouvait complètement ratées avaient fini par jouer un rôle capital dans ce drôle d'exercice à moitié improvisé. Au final, est-ce qu'elles étaient si ratées que ça ? Peut-être pas.
▬ Entraîne-toi autant que tu le pourras. C'est jamais une perte de temps. Oh, et t'en fais pas pour les draps, j'm'en occuperai tranquillement, c'est pas grand chose tout ça.
Et bien sûr, en même temps qu'elle continue de l'encourager, elle en profite pour se débarrasser du sujet qui fâche. Avec un grand sourire, et sans aucune méfiance, elle s'approche de Leoven pour passer sa main dans ses cheveux. La même main qu'elle avait griffée la veille. Un geste symbolique, pour lui montrer qu'entre hier et aujourd'hui, il n'y avait plus rien à voir.
▬ C'est comme ça que j'ai appris quand j'avais ton âge, tu sais ? Dès le réveil, après cinq bols de soupe, j'invoquais une Java et on travaillait sur nos limites ensemble.
La belle époque. Celle où tout allait encore bien entre Java et ses doubles, celle où chaque jour marquait un nouveau progrès, un pas en avant de plus sur l'escalier vers la gloire. Jusqu'à ce qu'elle glisse. Mais est-ce que ça l'empêcherait de continuer de grimper ? Certainement pas.
▬ Le Sud est entre de bonnes mains. Ca va prendre du temps, ça risque d'être encore plus dur que mon petit défi, mais tu vas y arriver. Et si jamais t'as besoin d'une Java pour t'épauler, t'en auras sept à tes côtés avec une seule lettre ! C'est pas génial, ça ?
Grand sourire, Java joue la bonhomie pour atténuer ce goût d'au revoir dans ses paroles. Quelque part, elle avait juste envie d'emmener Leoven manger des pâtisseries et de l'écouter jouer de l'harmonica. Mais elle savait bien que la jeune garde devait bien plus rêver d'un bon bain que d'un pot-de-colle matinal... Ou en tout cas, pour aujourd'hui. Au fond d'elle, la recruteuse savait qu'elles seraient amenées à se revoir. Ou peut-être juste qu'elle le souhaitait très fort ? Ou peut-être qu'elle allait simplement débarquer à la caserne quand elle reviendrait au Grand Port pour à nouveau voler la petite rousse à son quotidien, et l'embarquer dans un de ses plans foireux.
▬ Tu veux que je te raccompagne, ou tu te rappelles du chemin ?