Souvenir d'enfance partagé
Des trois personnes qui avaient partagé sa mésaventure, Nir était sans doute celui sur lequel revenir en enfance pendant un instant avait eu le moins d'impact... Logiquement. Et il regagna vite la pleine possession de ses moyens, son caractère actuel étant revenu avec ses souvenirs, le temps d'adaptation passé. Il savait néanmoins avoir besoin d'y réfléchir, perturbé par cet équivalent de saut dans le temps en l'espace de quelques heures, se rendant compte d'un coup de la vertigineuse évolution qu'il avait eu depuis.
Mais pour l'heure, il avait d'autres préoccupations. Il voulait initialement être un peu seul pour y penser, mais au final, avec ses souvenirs, le reste revenait naturellement. Il n'avait rien de particulier à faire, et regrettait déjà un peu de ne pas avoir essayé de faire plus ample connaissance avec Raina. Elle l'avait salué avec naturel et sympathie, même si étant maintenant adultes, il ne pouvait pas être sûr que ça ne soit pas juste une façade polie.
Enfin, elle avait peut-être à faire de toute façon! Mais le cas de Sylvestre l'avait intrigué. Enfant, il avait semblé gentil, perdu, et adulte... Trop de mystères l'entouraient, et même si Nir savait que ça flairait des choses dangereuses, sans doute même illégales - même si c'était un peu tôt pour juger, il avait peut-être simplement un pouvoir pouvant expliquer cela - il ne pouvait s'empêcher de garder en tête le petit garçon en pleurs juste avant qu'ils ne redeviennent tous adultes. Il avait entendu son cri de cette voix caverneuse caractéristique, sous sa forme adulte, et était naturellement allé dans la direction d'où il était venu.
Naturellement, ça ne lui garantissait pas de le retrouver, la femme blessée représentant sa forme adulte étant partie avant eux, mais elle semblait aussi avoir du mal à se déplacer, alors qui sait... Il suivit son instinct, un peu son odorat aussi, et il finit par atteindre une ruelle ou une forme se trouvait au sol. Si ses traits étaient cachés, l'odeur, elle, était forte et reconnaissable. Nir s'approcha prudemment, mais sa voix, bien que plus adulte, rappelait à l'intonation celle de l'enfant qu'il était encore il y a peu.
- Sylvestre...?
Et maintenant qu'il l'avait retrouvé, il se sentait comme un idiot, ne sachant pas quoi dire. Réconforter des inconnus n'était pas son fort. Avec des animaux, ça allait. Avec ses proches, il se débrouillait, il savait à peu près comment faire. Mais avec un presque inconnu dont tout ce qu'il savait ne s'appliquait qu'à son lui enfant, et qui semblait vouloir tout sauf sa présence et son aide au vu de sa réaction en partant? Non, vraiment, il ne savait pas, mais à part attendre de voir la réaction du concerné, il ne se voyait pas faire autre chose. Il ne voulait pas reculer, il voulait essayer de l'aider, et qui sait, peut-être que l'inspiration lui viendrait bientôt...
Sylvestre, ou plutôt Khepra, percevait encore des restes de sensations issues de cette brève expérience durant laquelle il avait eu l'occasion de retomber en enfance. Il y avait retrouvé son innocence, sa santé mentale mais plus important encore, sa vie passée. Celle d'avant sa première mort, le jour maudit où son crâne d'origine avait été brutalement broyé par une pierre colossale. Sous formes d'images vives, il revivait encore l'accident, le passage d'un crâne à l'autre, la vue de son sang. Des larmes coulaient sur les joues grisâtres de son enveloppe d'emprunt alors qu'il sanglotait d'une voix monstrueuse mêlant celle de la femme dont il avait volé le corps et la sienne, d'une sonorité sifflante et étouffée par la mort elle-même. Puis soudain, une voix presque familière vint briser le chaos de ses pensées confuses.
"Sylvestre...?"
La chose se tut brusquement, les yeux écarquillés par le choc d'entendre son ancien nom prononcé à nouveau. Depuis près d'un siècle, nul être n'avait été témoin de la profonde tristesse qui emplissait réellement le cœur de Khepra, annihilant avec elle tout semblant d'humanité. C'était donc avec cette faiblesse retrouvée malgré lui que la créature pivota fébrilement sur le côté, jetant un regard en coin au perturbateur qui n'était autre que l'un de ses "amis d'enfance", ou en quelque sorte tout du moins.
Niraen, le petit garçon ailé. Khepra le reconnut instantanément mais ne comprit pas la raison de sa venue. Était-ce la violence avec laquelle le non-mort qui poussait cet homme à venir à sa rencontre ou bien était-ce le mystère suscité par son éclat de voix cadavérique ? Chose bien rare, Khepra se sentit acculé par la présence de cet homme qui avait découvert un fragment de son passé et ce fut dans l'angoisse la plus totale que le mort-vivant parvint à se dresser tout en relevant fébrilement ses guenilles pour éviter d'exhiber ses atouts féminins. La demoiselle pâle comme la lune se retrouva accroupie, telle une bête blessée prête à bondir pour se défendre. Elle porta machinalement une main à sa poche arrière, fermant le poing sur le manche de sa dague en cas d'attaque surprise. En pleine psychose, sa paranoïa poussait le non-mort à se montrer encore plus prudent qu'à l'accoutumée.
Toujours appuyée à une main sur un mur, la silhouette obscurcie révéla malgré elle le flamboiement caractéristique de ses yeux de saphir, tout en dévoilant inconsciemment la nature magique de son apparence curieuse. Elle s'avança lentement, laissant ses doigts froids glisser le long du mur de la battisse, tout en fixant avec une rare intensité celui qui était venue la déranger. Toujours à une distance raisonnable, elle répondit à l'interpellation de cette voix aussi hybride qu'étrange, et qui avait le don de glacer le sang des vivants.
"Je ne réponds plus à ce nom, ni à aucun autre d'ailleurs."
Un véritable tourbillon d'émotions se lisait dans les yeux lumineux de la chose qui n'appréciait nullement d'être dérangée dans un tel état. Elle songea immédiatement à s'inventer un alibi, une nouvelle vie fondée de toute pièce, mais cette proximité surnaturelle qu'il avait connu avec Niraen et Raina créait en lui un curieux sentiment. Un attachement irrationnel, comme si l'enfance les avait liés d'une certaine manière. La créature s'exprima à nouveau, corrigeant avec réticence sa précédente affirmation tout en laissant un sourire mélancolique apparaître sur son faciès blafard.
"Appelle moi Silana, ça fera très bien l'affaire."
Mensonge éhonté certes, mais révéler son nom véritable n'était pas à l'ordre du jour malgré l'expérience qu'ils avaient vécu ensemble. La créature parvint à maîtriser vaguement ses sentiments, lui évitant de s'écrouler à nouveau et de sombrer dans un autre délire. Elle devait garder le contrôle, exhiber ainsi sa blessure profonde était une erreur qu'elle nous pouvait se permettre de commettre face à un inconnu.
"Que me veux-tu ?"
Sec, tranchant, le ton était donné.
Liés par l'enfance
Alors elle se mit à courir. Le son catégorique à vous glacer le sang de la voix d'adulte de Sylvestre étant extrêmement facile à reconnaître, elle sut au son des cris dans quel direction elle devait se lancer. En courant elle se rappela de la dague trouvée dans les vêtements de la mystérieuse femme, et claqua sa langue. Elle regrettait d'avoir laissé sa hache à l'auberge, mais bon elle pouvait toujours improviser. Si elle activait son pouvoir il devenait difficile de lui infliger un coup mortel avec une lame courte, ceci dit si elle pouvait éviter une autre blessure grave durant ses semaines de repos après les précédentes, ce serrait préférable.
« Appelle moi Silana, ça fera très bien l'affaire. »
Continuant de courir, elle finit par entendre la voix caverneuse s'exprimer à nouveau et pu plus facilement trouver l'emplacement exacte. Il fallu quelques essais et erreurs de plus avant qu'elle n'entende à nouveau la voix, caverneuse, sombre mais surtout froide. En arrivant dans la rue et en voyant Nir de dos se faire sèchement interroger, la rousse eu une impression étrange.
« Que me veux-tu ? »
Elle ne fut pas si surprise de voir Nir, car justement elle comprenait les sentiments de l'homme oiseau, probablement similaire au sien. Mais au contraire l'étrange femme était froide, sèche, comme si leur expérience ensemble n'avait pas d'importance à ses yeux. Pendant un temps, Raina se dit que c'était peut être elle qui était déraisonnable. Fondamentalement ils n'avaient fait que partager l’expérience d'un mystérieux accident alchimique pendant une petite heure. Ils n'étaient pas ami et encore moins d'enfance...et pourtant ils s'étaient connues tels qu'ils étaient à leur prime jeunesse et Sylvestre leur avait partagé ses peines et inquiétudes. Le voir ainsi entièrement rejeter tout cela ne prouvait il pas que le petit garçon avait raison de s'inquiéter, et qu'il ou elle avait donc bien besoin d'aide ?
La rousse s'avança avec confiance. Pas la confiance feinte d'une petite noble refusant de montrer des signes de faiblesse, mais la marche assurée d'une femme ayant une solide croyance en ses capacités et en ses principes. Elle ne savait pas si Nir avait été intimidé par l'attitude de son interlocutrice étant donné qu'il était de dos. Mais dans le doute elle posa une main sur son épaule, se voulant rassurante et continuant de fixer celle qui prétendait se nommer Silana. Avec un sourire franc, la servante s'exprima.
« Allons, pas la peine de prendre son ton. Je suis sûr que comme moi Nir est simplement un peu curieux. »
Enfin, bien moins tendu... Façon de parler. Il cacha tant bien qu'il pouvait son corps et se redressa avec l'attitude caractéristique des bêtes apeurées, acculées, prêtes à tout en cas de menace. Nir ignorait ce que sa main était allée cherchée dans son dos, mais il doutait que ce soit un appui vu la position. D'instinct, comme avec les animaux, sachant que nombre d'humains avaient assez d'expérience aux eux pour lire un minimum leur langage, il adopta une attitude apaisante, n'effectuant pas le moindre geste pour prendre ses propres dagues - qu'il avait ramenées, bien sûr, parce qu'elles lui servaient autant à sa sécurité que pour son boulot, les deux étant parfois liés - afin de ne pas l'affoler encore plus.
Par contre, ses yeux... Ils n'étaient pas ordinaires, c'était une évidence. Nir aussi avait les yeux bleus, mais ils ne brillaient pas de cet éclat si particulier. Il y avait forcément de la magie à l’œuvre quelque part de toute façon. Ou alors l'enfant qu'ils avaient vu n'était pas la vraie forme d'enfant de la femme en face de lui? Difficile à dire... Est-ce que ce qui avait provoqué ce retour en enfance avait eu un effet différent sur lui à cause d'interférences avec sa propre magie par exemple?
Sa réponse, avec cette voix toujours aussi étrange, l'intrigua. Si Sylvestre, le nom qu'il portait pourtant étant enfant, n'était pas le bon, alors lequel était le bon? Il devait bien y en avoir un! Nir était intrigué, mais plutôt encouragé par cette réaction, certes pas super engageante, mais toujours beaucoup moins négative que ce à quoi il s'attendait. Et il se félicita rapidement d'avoir laissé flotter quelques secondes de plus en voyant les émotions dans les yeux si étranges de la femme et surtout ce sourire mélancolique qui paraissait sincère.
Cela semblait être une bonne base pour la suite, et puis il y eu cette question simple sur un ton sec et tranchant. C'était pas la situation idéale, mais encore une fois, par rapport à ce qu'il avait prévu, c'était presque engageant. Presque.
Et puis il entendit des bruits de course venir par ici. Il tourna une oreille pour se rendre compte que la personne venait exactement ici. Zut, est-ce que la voix bizarre de Sylvestre - non, Silana du coup, même si c'était visiblement un faux nom et que ça lui faisait très bizarre - l'avait intriguée et incité à venir?
Le langage corporel de Nir était assez confus, l'étant lui-même. Pas réellement tendu, pas encore du moins, mais plus vraiment apaisant non plus, essayant à la fois de se concentrer sur la personne en face de lui et celle qui arrivait alors qu'il cherchait une réponse.
Puis une main se posa sur son épaule, et une autre voix connue répondit à sa place. Un coup d’œil lui apprit que Raina avait décidé de les suivre aussi - par quel hasard serait-elle venue ici en particulier, si rapidement après, et surtout en arrivant en courant - et apparemment pour les mêmes raisons que lui, à peu près. Ce qu'ils avaient vécu était trop particulier pour être balayé d'un geste de main, surtout pour eux, qui semblaient tous tout de même plutôt amicaux étant enfants. Et même si ils pouvaient changer entre temps, certaines choses ne trompaient pas.
- Je ne sais pas trop quel est ton lien avec l'enfant qu'on a vu, mais je pense que vous êtes la même personne, si on excepte l'apparence et ton vécu. Et Sylvestre, il... Semblait se souvenir de son futur juste avant la fin de l'effet de la potion. Et il était en détresse. Je ne peux pas passer à côté de ça comme si de rien était. Et ton attitude juste après n'a fait que me confirmer que, adulte aussi, tu avais cette détresse. Alors oui, sûrement que Raina et moi, on a pas de solution miracle à te proposer... Mais ça ne coûte rien d'essayer.
Juste dire qu'ils étaient là, que ce qu'ils avaient vécu n'était pas insignifiant pour eux, cela pourrait peut-être aider. Si Silana avait voulu refuser cette main tendue, elle ne lui aurait pas répondu, elle l'aurait rejeté comme elle avait rejeté l'employée, et elle serait partie avant même que Raina n'arrive.
Raina, bien plus imposante et terrifiante qu'elle l'avait été sous sa forme infantile, se dressait de toute sa hauteur aux côtés de Niraen, apposant une main sur l'épaule de l'hybride en signe de soutien. Khepra réprima un crachat et plissa ses paupières noircies, exprimant clairement sa désapprobation quant à l'arrivée de cette seconde perturbatrice. Avec assurance et dureté, elle tâcha d'apaiser la créature acculée en lui expliquant qu'il était inutile de se montrer si belliqueuse, un conseil que le non-mort était contraint de reconnaître à sa juste valeur, car il était dans une situation représentant un important danger pour sa propre sécurité.
Le monstre jeta un regard anxieux à ses propres jambes, qui tremblotaient toujours du fait de son inaptitude à contrôler convenablement cette enveloppe encore fraîche. Il n'avait aucune idée des facultés martiales de ses deux "amis d'enfance", mais la stature colossale de Raina pouvait laisser présager qu'elle était tout à fait à même de maîtriser sans mal un zombie affaibli, ce qui forçait Khepra à redoubler de prudence et à ne rien tenter d'irresponsable. La chose extirpa sa dague des plis de ses haillons, révélant la lame crasseuse aux yeux de ses vis-à-vis. Si elle se savait incapable de se défendre efficacement, elle ne voulait pas risquer de faire étalage de sa propre faiblesse en se désarmant.
"Curieux ? On ne vous a jamais dit qu'il était impoli de fourrer sa truffe dans les affaires des autres ?"
Cette vaine attaque marmonnée à la hâte n'eut pas l'effet escompté, car Niraen se contenta d'adopter une posture qui se voulait évidemment très rassurante, traitant Khepra avec des gestes censés susciter l'accalmie. Ses instincts primaux étant en pleine suractivité du fait de son angoisse, la créature se laissa malencontreusement appâter par la bienveillance de l'hybride et, sans même qu'elle ne puisse s'en rendre compte, sa lame vint s'abaisser légèrement et sa posture défensive se fit soudain moins menaçante. Pour la première fois depuis près d'un siècle, une profonde tristesse apparut sur le faciès glacé de la créature dont les lèvres se mirent à trembloter fébrilement lorsque l'homme ailé évoqua la détresse de son interlocutrice. Ce sentiment si humain fut balayé quelques instants plus tard par une colère vive et sourde, si puissante que la voix monstrueuse fit surface à nouveau dans un grognement d’outre tombe.
"Une solution, tu veux m'aider à trouver une solution ? Deux simples mortels tels que vous ne peuvent même pas envisager de comprendre une once du tourment que constitue ma malédiction. Le fléau qui me frappe est d'origine divine, bien au delà de notre perception. Tu ne peux RIEN pour moi, personne ne le peut. Sauf moi."
En appuyant sur ce mot d'une voix venimeuse, la chose vint frapper le mur de son poing fermé, manquant de peu de broyer l'une de ses jointures du fait de son manque de contrôle sur son enveloppe. La simple bienveillance du pauvre Niraen était bien assez pour déclencher une haine viscérale chez la créature chaotique, son innocence débectait Khepra à un point tel qu'il en vint à perdre totalement sa contenance et se révéla malgré lui, ignorant le danger que représentait le don inconsidéré de tant d'indices quant à sa magie.
"Et par pitié, arrête de prononcer le nom de cet enfant. Sylvestre est mort il y a près d'un siècle, l'abomination qui se tient devant toi n'en est que le fantôme."
Passant d'un extrême à l'autre, le mort-vivant chancelant laissa un sourire épuisé apparaître sur son visage tandis qu'une larme roulait de ses yeux dont émanait encore cette mystérieuse lueur bleutée. Khepra fixa désormais Raina, la foudroyant de ses iris luminescents dans une œillade mauvaise où transparaissait toute sa folie. Entre deux sanglots étouffés, la bête morbide parvint à articuler quelques mots en murmurant. De sa propre lame, elle vint pointer sans assurance sa propre poitrine, faisant jouer le fil d'acier à quelques centimètres seulement de l'hypothétique emplacement de son cœur pourri.
"Tu l'as sentie, pas vrai ? Tu sais très bien ce qui se cache sous ces haillons. C'est ton instinct qui t'a intimé de t'en éloigner et il a eu raison."
Sans crier gare, la chose vint se poignarder en plein cœur avec fermeté, sans sourciller. Son regard soutenait toujours celui de Raina tandis que le couteau s'enfonçait lentement dans sa chair. Après quelques instants, elle l'extirpa de ses propres entrailles et dévoila au grand jour une épaisse coulée de sang noirci par la stagnation. Elle éclata d'un rire sifflant à très faible volume, en proie à une crise d'aliénation évidente.
"Les cieux m'ont fait ainsi. Je ne vaux pas mieux qu'une goule et c'est à moi que revient la mission de retrouver cette existence qui m'a été volée. Dans sa cruauté sans limite, cette divinité sadique qui m'a conçue m'a offert une maigre étincelle de vie en votre compagnie, vous n'avez fait qu'être témoins de la torture qu'elle me réserve au quotidien pour me punir."
Le rire maniaque se changea alors en nouveau flot de larmes et la chose tomba à genoux, relâchant son arme par mégarde. Vaincue par le flux d'émotions, elle venait d'exprimer pour la première fois la triste réalité de sa présence illogique en ce monde tordu jusque dans ses fondations primitives, et ce face à deux inconnus.
Liés par l'enfance
Raina se contenta à la base de tilter sa tête quelque peu en entendant le ton vaguement agressif mais peu convaincu des premières réponses de l'étrange être qui leur faisait face. Il n'était clairement pas aussi effrayant qu'il n'aurait pu, comme si il (ou elle finalement ?) n'était pas si convaincu par son choix de rejeter leur aide. Niraen avait parfaitement résumé sa position dans l'affaire et Raina n'avait pas grand chose à ajouter pour justifier sa présence. Elle était là parce qu'elle voulait savoir ce qui était arrivé et aider le petit garçon qu'elle avait brièvement connu. Cependant, le niveau de rejet monta rapidement d'un cran après une vague impression que la compréhension était possible, l'étrange être se mit à hurler de sa voix terrifiante et Raina dut utiliser toute sa volonté pour ne pas reculer devant son attitude.
Il lui fallu un instant pour saisir la portée des paroles qui avaient été prononcées. Des mortels ? Une malédiction ? Un fantôme ? La rousse commençait à perdre le fil et à ne plus savoir quoi comprendre. Sylvestre était il simplement devenu fou en grandissant ? Avait il un pouvoir l'ayant mené à cette situation ? Ou était il réellement à un niveau d'existence supérieur ? Peut être un peu de chaque. Au final Raina ne pouvait pas se permettre de trop douter, le concerné lui faisait face elle pouvait toujours le laisser s'exprimer d'avantage jusqu'à comprendre. En espérant que la situation ne dérape pas. Raina voulu tenter une réplique apaisante mais avant cela se fit prendre a partie ce qui ne fit qu'augmenter le nombre de questions.
« Allons peu importe comment tu veux te faire appeler, comment avoir plus de personne voulant t'aider pourrait être une mauvaise chose ? »
Pour Raina dont le cœur de métier se basait justement sur le fait que les personnes importantes avait besoin d'aide pour compléter toutes les tâches qui leur incombent, il semblait assez illogique que quelqu'un puisse s'imaginer trop important pour avoir besoin d'aide. Bien sûr c'était en admettant que sa raison de refuser de l'aide venait de là et pas d'un soucis psychologique plus profond. La deuxième hypothèse paru immédiatement plus évidente avec l'action suivante. Voyant l'étrange femme lever sa dague, Raina eu comme premier réflexe de placer une main sur la poitrine de Niraen, ne sachant pas si ce dernier avait une quelconque formation martiale, il avait paru naturel de priorisé sa protection. Mais le véritable usage de cette dague dans l'immédiat ne fut pas ce que la rousse avait cru. Du sang noir, du sang de cadavre vieux d'au moins plusieurs heures coulait actuellement de la plaie auto infligée par cette étrange créature. Elle disait vrai, son corps n'était pas en vie.
Raina plaça une main sur sa bouche, choquée, non pas par l'aspect physiquement peu ragoutant de la scène mais par ce que cela impliquait. Vivait il comme un mort vivant ? Si il avait vraiment vécu aussi longtemps alors...la seule explication était qu'il change d'enveloppe, cela expliquait également à quel point sa forme actuel ne ressemblait en rien à son corps d'enfant. Était ce vraiment un tour de la déesse ? Pouvait elle se montrer aussi horrible avec qui que ce soit ? Non ce n'était pas la question. La servante ne devait pas perdre des yeux son vrai rôle, elle avait choisit de consacrer sa vie aux autres en particulier à ceux qui avaient réellement besoin d'elle, ou au moins d'essayer. Ainsi malgré la terreur intuitive que la situation de celle qui prétendait s'appeler Silana lui inspirait Raina marcha vers le cadavre mutilé d'un pas décidé.
« Allons, même les êtres les plus incroyables ont besoin d'aide. Même si on ne peut que te donner un tout petit coup de pouce à ton échelle est ce que ça n'en vaudrait pas la peine pour regagner quelque chose de si précieux? »
Le dresseur ne payait peut-être pas de mine, surtout à côté de l'imposante stature de Raina, mais il avait l'habitude des créatures effrayantes. De celles qui se faisaient passer pour plus dangereuses qu'elles ne l'étaient pour intimider, et de celles qui l'étaient réellement. Au vu de ses mouvements et du tremblement de ses jambes, Nir mettrait plutôt l'individu qui leur faisait face dans la 1ère catégorie, mais il préférait tout de même rester prudent. D'abord parce que rien n'est plus dangereux qu'un être acculé, humain comme non humain, et aussi parce qu'il préférait garder ses distances aussi pour l'apaiser.
Raina répondit très bien à sa gueulante sur le fait d'être seul à pouvoir régler son propre cas. Nir, lui, se demandait surtout ce qu'il entendait par malédiction de nature divine, mais les changements d'attitude soudains de Silana ne l'incitaient pas à donner entière confiance en ce qu'elle racontait. Sylvestre était bien plus cohérent et ne montrait pas cet aspect lunatique, changeant. Un vécu difficile expliquait sans doute une telle réaction, mais Nir n'en savait pas assez.
Néanmoins, il hocha la tête pour soutenir ce que disait la servante, puis grimaça quand Silana dénigra sa propre enfance. Ainsi, c'était bien Sylvestre et pas Silana qui se tenait devant lui. Mais l'enfant qu'il avait connu un peu plus tôt avait visiblement vécu des choses bien horribles depuis, le poussant ainsi à ignorer son propre passé, et ce que Nir entrevoyait le glaçait, surtout quand il réalisa que la créature avouait que l'enfant qu'ils avaient vu était mort il y a un siècle.
Un siècle?! C'est long un siècle! Bien plus que la plupart des humains sans pouvoir peuvent vivre! Oui, il y avait quelques centenaires, mais très peu, et aucun avec cette apparence.
- Son enveloppe est peut-être morte, mais lui est toujours là, quelque part, sous ce vécu douloureux. Tu veux rejeter notre aide, mais tes moments de peine, c'est comme si c'était Sylvestre qui nous entendait, qui voulait saisir notre main tendue.
Nir aurait bien continué, oser dire que c'était Silana qui semblait étouffer l'identité de Sylvestre - façon de parler - lorsque la créature s'adressa à Raina, à nouveau agressive, la narguant avant de se poignarder. Nir ne remarqua la main de Raina sur sa poitrine que quand elle le retint, annihilant son réflexe qui, sans elle, aurait été de se précipiter en avant pour l'empêcher de faire ça.
Pourtant, il savait. Il savait depuis longtemps, grâce à son odorat, la cicatrice, tant de choses que l'eau avait caché la première fois qu'il avait vu le cadavre que l'esprit de l'enfant qu'il avait connu habitait. Pour autant, son réflexe, sa première pensée avait été de l'empêcher de faire ça, même si causer plus de dégâts à un corps déjà en décomposition n'aurait sans doute rien fait à l'esprit qu'il accueillait.
Mais il resta là où il était, retenu par cette main, bouche bée devant ce qui se passait devant ses yeux. Rarement il avait vu de spectacle aussi peu ragoûtant, mais il savait déjà. Il savait en voyant l'être sur le point de se poignarder ce qui allait en ressortir.
Et puis Silana s'écroula au sol, en pleurs. Nir craignait un nouveau changement brusque d'attitude, mais Raina, elle, n'hésita pas, ou beaucoup moins, à s'approcher pour continuer à lui tendre la main, malgré la preuve évidente.
Maintenant, la question, c'était : d'où venait ce cadavre? Si son corps d'origine était mort, comment survivait-il? C'était sans doute lié à son pouvoir plutôt que d'être une malédiction, mais comment...?
Malgré tout, Nir suivit le mouvement, doucement, restant un peu en retrait de Raina, prêt à utiliser ses réflexes d'hybride pour réagir si Silana faisait mine d'attaquer Raina. Mais en attenant, c'était comme si Sylvestre était un peu de retour, triste de ce qui était désormais sa vie, désireux d'en changer.
- C'est vrai que je ne sais pas comment t'aider à retrouver ton corps, admis Nir. Mais je suis sûr qu'on peut t'aider quand même, en te donnant des pistes, ou simplement en te soutenant mentalement, tu ne crois pas?
En tout cas, ça valait le coup d'essayer, car si son corps était bien un problème, il était évident qu'il souffrait mentalement de cette situation, même s'il ne ressentait pas la douleur de son corps d'emprunt. Et si lui et Raina pouvaient l'aider là dessus, se serait toujours ça de gagné.
"Ne m'approchez pas. Même si ça me peine de l'admettre et que je ne comprends pas bien pourquoi, vous faites tous deux partie de la liste très réduite de ceux que je n'ai pas la moindre envie d'égorger."
Dépassé par la situation autant que par ses propres mots, il ne parvint même pas à se reconnaître dans ces termes qu'il venait de prononcer. Ce qui se déroulait actuellement était tout bonnement impensable, autant en vue de ce qu'il était que de son vécu. Il était tout bonnement impardonnable et la simple venue de ces deux êtres bénis par leur ignorance suffisait pourtant à percer la coquille que son aliénation avait forgé au fil du temps afin de le protéger de ses propres remords. L'humain en lui avait disparu, ou du moins le croyait-il, et pourtant il lui semblait impensable de se résoudre à attaquer. Tout en jetant un regard plein de panique à Niraen, la créature rétorqua froidement :
"Mon corps d'origine a été broyé par un éboulement. Je ne retrouverai jamais cette enveloppe que vous avez brièvement connu. Ce à quoi j'aspire c'est..."
Un bref instant d'hésitation s'empara de lui. Il savait pertinemment que révéler ce genre d'information à deux inconnus risquait de lui couter bien plus qu'il ne pouvait l'imaginer, mais une force surnaturelle le poussait à leur donner la vérité. Après tant d'années de solitude et de noirceur, il en ressentait le besoin impérieux.
"...la résurrection. J'exige des cieux qu'ils me rendent ce qui m'a été volé. J'ai arpenté le royaume durant des décennies à la recherche des secrets de la vie et de la mort. C'est une quête que je mène seul mais qui semble sans fin. Je n'ai pas le moindre indice, pas même un conte ou une légende sur lesquels me reposer."
Chancelant, mais partiellement calmé après tant d'émotions, il reprit enfin un peu de contenance et parvint à se redresser en s'appuyant contre le mur glacé. Son poing se serra contre la roche, trahissant sa colère brûlante autant que son sentiment frustrant d'impuissance face à la grandeur de ce dessein qui semblait le dépasser malgré son immortalité. Haine, tristesse et folie étaient bien ses seules amies depuis sa renaissance sous cette forme cauchemardesque, alors pourquoi ces deux étrangers tenaient tant à lui venir en aide ?
"Non seulement vous ne pouvez pas m'aider, mais vous le ne voudriez pas non plus si vous saviez à quoi vous faites face. J'ai volé, pillé et tué afin de continuer à subsister en ce monde qui veut me voir disparaître. Je suis un véritable monstre et je vous en ai déjà trop dit. Passez votre chemin et oubliez-moi, cela vaut mieux pour vous."