Cette fois-ci, Aelith comptait bien redoubler de prudence. Pas question de tourner de l’œil une seconde fois ! Elle était déterminée à tripler, voire quadrupler sa mise. Les bottes fermement ancrées dans la poudreuse, elle inspira une grande goulée d’air frais et se mit en route. Tout en s’éloignant de la grange, elle se remémora les conseils de l’inconnu qui leur avait tenu compagnie la nuit précédente. Se rapprocher très lentement des fleurs, s’éloigner à la moindre sensation de fatigue… Rien de bien ardu à priori.

Des pics rocheux effilés, nappés d’une fine couche de givre, se détachèrent à l’horizon. Formant deux rangées de cercles distordues, ils semblaient prêts à se refermer sournoisement pour dévorer le moindre imprudent qui s’y glisserait. L’aventurière s’en approcha, espérant parvenir à dénicher des fleurs entre deux pierres. Les sourcils froncés, elle se planta au sommet d’un rocher pour observer plus aisément les alentours.

« Bingo ! »

Un grand sourire aux lèvres, elle se pencha sur une crevasse pour y cueillir, avec bien plus de méticulosité que le jour prédécèdent, une herbe blanche. Enthousiaste, elle poursuivit consciencieusement ses recherches, et parvint finalement à mettre la main sur une seconde fleur en fin de matinée.  

« Je suis également heureuse de vous revoir ! Vous êtes parti si vite hier soir, ça m’ennuyait de vous savoir seul dans les montagnes au milieu de la nuit. De mon côté, je récolte des herbes blanches avant d’entamer le chemin du retour. D’ailleurs, est-ce que vous n’auriez pas croisé mon partenaire sur votre route ? Il est parti sans un mot. »

Elle avait peu d’espoir de le retrouver un jour, mais elle souhaitait comprendre les raisons de son départ. Si Lucy était avec elle, le vieillard saurait peut-être la renseigner… Lorsqu’Aroh lui indiqua s’être perdu, elle poursuivit.

« Eh bien, je serais ravie de vous aider à retrouver votre chemin. Mais avant cela, j’aimerais ramasser encore quelques herbes. Si ça ne vous ennuie pas de patienter encore un peu, nous pourrons partager un bout de trajet ensemble. »

Elle hésita à lui demander son aide pour repérer les précieuses fleurs, mais s’abstint finalement, craignant d’abuser de sa générosité.

« Honnêtement non, ça m’échappe, déclara Aelith, les sourcils froncés. Si ce n’est qu’il a peut-être moins bien supporté le climat des montagnes que prévu… »

Quoiqu’il en fût, tout laisser penser que son départ était volontaire. Bien que son insatiable curiosité poussait Aelith à chercher davantage d’indices sur la disparition de son compagnon de route, sa raison l’emportait. Elle se reconcentra sur Aroh.

« Oh vraiment ? Quel hasard ! Je serais ravie que vous m’y emmeniez, déclara-t-elle en souriant avec reconnaissance au vieil homme. Merci beaucoup. »

Visiblement, Lucy était avec elle ces jours-ci ! Sa mission ne tarderait pas à s’achever. L’aventurière n’avait plus qu’à espérer que le chemin du retour se déroule aussi paisiblement que l’aller.

« Oooh je les vois ! Merci beaucoup, Aroh. »

Ce n’était peut-être qu’une dizaine de fleurs, mais ça représentait bien plus que tout ce qu’elle avait pu récolter jusque-là. Aelith se pencha sur le sol poudreux, d'où s'échappaient quelques brouissailles verdoyantes, et cueillit délicatement les végétaux gelés. Ses doigts rêches glissaient doucement sur les tiges frêles, qui semblaient prêtes à rompre à tout moment. Tant de pouvoir réuni en une herbe si fragile… Le monde végétal ne cessait de l’impressionner. Fronçant ses sourcils, elle constata néanmoins que les pétales de certaines des plantes avaient flétri. La moue bougonne, elle ramassa consciencieusement les fleurs rescapées.

« Oh zut, si j’étais arrivée quelques jours plus tôt j’aurais pu récolter le double. Vous pensez que les herbes fanées pourraient toujours être utilisées pour faire du thé, même si elles n’ont plus toutes leurs vertus ?»

Après tout, la boisson chaude que lui avait servi Aroh le soir dernier avait ravi ses papilles. Si certaines fleurs n’étaient plus en état d’être rapportées au commanditaire de sa quête, elles pourraient peut-être néanmoins s’avérer utiles d’une autre manière.

Une fois sa récolte achevée, l’aventurière reporta son attention sur Aroh.

« J’ai tout ce qu’il me faut ! Je pense qu’on ne va pas tarder à repartir. Vous vouliez vous rendre à la Capitale, c’est bien ça ? Je peux vous conduire jusqu’à la route principale. »

Satisfaite par la réponse d’Aroh, la jeune femme s’empara des fleurs d’herbes blanches fanées. Elle s’imaginait déjà le soir venu, sirotant son délicieux thé au coin d’un feu grésillant. Elle rejoignit ensuite son bienfaiteur, pour arpenter à ses côtés le chemin qui les mènerait aux portes de la capitale.

« Nous voilà partis pour un voyage assez long, j’espère que vous êtes en forme ! Lucy soit louée, le temps semble plus clément qu’à l’allée. Bien que ça ne change pas grand-chose pour vous, sourit-elle. »

Un vent frais s’engouffra entre les pans de leurs manteaux et saupoudra leurs visages de flocons, hérissant les poils d’Aelith. Elle enfouit son nez rougi par le froid dans son écharpe et accéléra le pas. Plusieurs sentiers permettaient de rejoindre l’aval de la montagne ; certains pentus et rocailleux, d’autres sinueux et bordés par des rangées de pins. L’aventurière opta pour la voie boisée, qui lui semblait plus sécurisante et qui avait l’avantage d’être abritée des intempéries. Le trajet en fut rallongé de quelques heures, mais cela ne semblait déranger aucun des deux voyageurs, qui bavardaient joyeusement. Le voyage parut presque trop court à la jeune femme, qui avait fini par s’attacher à son compagnon de route. Elle partagea ses provisions avec lui, mais celles-ci étaient malheureusement insuffisantes. Quelques heures de cueillettes et de chasse leur permirent de résoudre ce problème à mi-parcours. Leur voyage se poursuivit sans encombre.

A la vue des reliefs délicats des monuments de la Capitale qui se dessinaient à l’horizon, Aelith échangea un sourire sincère avec Aroh.

« Nos routes vont bientôt se séparer. Encore une fois, merci pour tout. Au plaisir de vous retrouver une prochaine fois autour d’un verre ! »

Après un bref partage de coordonnées, l’aventurière s’éloigna en direction de la Guilde.