Le séjour d’Ayah à la Capitale fut un tantinet bref, parfois un peu creux, parfois très vif. Elle y avait vécu des jours parfois un peu longs… Mais avait également fait de belles rencontres : des gens formidables qu’elle espérait de tout cœur devoir un jour.
Cependant, elle l’avait vite senti au plus profond d’elle-même : son destin n’était pas là-bas… En réalité, elle ne s’était jamais vraiment sentie chez elle à la Capitale. Il y avait ce quelque chose, ce je-ne-sais-quoi qui la rappelait sans cesse à ses origines, car quoi qu’il arrive, en suivant le fleuve on revient à la mer.
La mer, elle sentait avec elle une profonde liaison et aimait sa proximité, même si elle était également la source de ses pires frayeurs. Un vrai paradoxe qu’elle avait du mal à s’expliquer.
Avant même qu’elle ne parte à la capitale suite à sa première affectation elle avait des vues sur une tout autre affectation : le régiment du Sud, basé à Grand Port. Mais, peu assurée de ses capacités, elle avait suivi docilement la répartition de sa hiérarchie sans faire valoir ce désir.
A ce moment-là, il avait l’air d’exister avoir un fort besoin de renforts à la capitale et elle était curieuse de voir de ses propres yeux la plus grande ville du pays.
Mais dernièrement, il était parvenu dans la caserne de la garde régulière un nouvel avis de recrutement qui faisait état d’un besoin urgent de garde dans l’unité médicale du régiment Al Rajika du capitaine du même nom.
Le régiment du sud… Durant sa formation et avant qu’elle ne soit affectée à la capitale la jeune femme avait eu plusieurs occasions d’en voir de loin quelques membres. Elle ne connaissait ni leur nom, ni leur rang, mais ces hommes et ces femmes lui avaient fait une forte impression sans qu’elle ne puisse expliquer exactement pourquoi.
C’étaient des gens qui pouvaient être autant disciplinés dans leur travail que complètement détendus hors de leurs fonctions. Des gens qui, elle y croyait dur comme fer, avaient un grand sens de l’honneur et de l’engagement pour la cause.
De véritables professionnels qui savaient différencier les moments de devoir des moments de franche camaraderie. Du coup, elle les voyait comme ça et les admirait, même si ce n’était pas forcément comme ça que tous les membres de la garde régulière les voyaient.
C’était même parfois un sujet de plaisanteries entre eux. Peut-être y avait-il une petite rivalité entre les régiments après tout. Mais il était plutôt commun durant des discussions, tout à fait informelles, de parler du régiment du sud comme le régiment spécialisé « barbecue et plage » comme ils disaient.
Elle n’avait pas opposé à ces quolibets sa propre vision des choses, elle gardait donc pour elle son admiration et cela n’avait jamais entaché ses rapports amicaux avec ses collègues.
Et la voilà maintenant, après plusieurs jours de voyage depuis la capitale, finalement là où tout avait commencé : Grand Port.
Il y avait régulièrement des transferts de troupes entre les deux villes, pour des affectations ou des déplacements divers de la garde.
Ayah en avait donc profité pour prendre place dans l’un des convois de la garde à la suite de sa demande de mutation à Grand Port, qui avait été finalement acceptée pour sa plus grande joie.
La caravane, tirée par d’imposants chevaux de trait, n’était certes pas le moyen de locomotion le plus rapide qui soit, mais il avait le mérite de ne pas nécessiter beaucoup d’attention de la part des passagers. Les convois n’étaient pas surpeuplés et elle avait réussi à s’installer confortablement et à s’occuper pendant les quelques jours que dura le voyage.
Quand elle en descendit, elle se retrouva devant un édifice qui lui parut presque familier, et resta plantée là, à contempler le Bastion avec admiration. Les autres gardes se dispersaient déjà et elle détailla seule le magnifique fief du régiment Al Rajika.
Le lieu était majestueux et presque intimidant, avec ses immenses murs de pierres immaculées, blanchies par le sel et le soleil depuis de longues années. Elle aperçut brièvement quelques gardes patrouiller sur le chemin de ronde de ces fiers remparts et se demanda quelle vue ils pouvaient bien avoir sur la mer.
Se tirant de ses pensées, elle jeta un regard aux alentours, il y avait de la vie ici, et beaucoup de monde. Mais bien qu’elle connût un peu le coin, elle ne pu reconnaître aucun visage, aucune personne qui pouvait avoir été avec elle à l’internat. Ce n’était pas étonnant quelque part… Chacun pouvait avoir pris des assignations différentes.
Elle tira de sa poche son ordre d’affectation, soigneusement plié, et parcourut encore une fois son contenu. Non pas qu’elle le connaisse déjà par cœur à force de l’avoir lu, mais cela lui donnait un repère. Le document faisait état d’un bâtiment administratif auquel elle devait se présenter, et indiquait que ses affaires, telles que son armure, devaient être transférées quelques jours plus tard via un autre convoi.
C’est ainsi qu’elle pénétra dans l’enceinte du bastion et regardait autour d’elle d’un air mal assuré, il y avait pas mal de monde, et elle ne savait pas exactement par où commencer. Elle s’arrêta devant un bâtiment et ressortit encore une fois son ordre de mission, se tenant le menton l’air pensive :
« Est-ce que ce serait ici ? » Se demanda-t-elle à voix basse en levant les yeux vers l’édifice, ça y ressemblait...
Elle jeta un coup d’œil à l’intérieur, mais il n’y avait personne. Elle hésita encore quelques instants puis entra timidement, toujours personne, s’était-elle trompée d’endroit ? Quelqu’un devait-il l’accueillir ici ? Il n’y avait que le brouhaha ambiant du bastion derrière elle.
« Il y a quelqu’un ? » Appela-t-elle.
Dans le chaos de sa vie actuelle, Calixte avait tout de même été gracié d’une journée somme toute plus frivole que les autres. Après sa tournée du matin, son emploi du temps s’était dégagé d’une belle plage de temps libre qu’il comptait bien employer à profiter de ses familiers. S’il arrivait à accorder à la plupart – à ceux partageant sa chambre – son attention presque quotidiennement, on était loin d’un temps de qualité, et sa loutre géante, consignée aux écuries de par sa taille et son statut, lui manquait terriblement. C’était donc ainsi, armé de sa tribu de compagnons divers et variés, que Réno l’avait trouvé au manège jouxtant les box. Profitant de l’espace pour câliner, toiletter et faire travailler ses familiers. Réno était un coursier comme Calixte et, depuis l’arrivée de ce dernier au Bastion un an auparavant, l’un de ses plus proches collègues et amis. Cela n’empêchait guère le premier d’être un puit sans fond de problèmes – comme source récurrente de migraines et pulsions meurtrières – pour le second, et ce jour-ci ne devait visiblement pas faire exception. Peut-être, aussi, s’il n’avait pas été aussi loyal – bonne poire – Calixte aurait-il pu s’éviter ce genre de complications. Mais alors, sa vie aurait été bien différente.
Ainsi donc sur une histoire fumeuse d’erreur de colis, pains de savons échangés par du charbon, mauvais timing pour une tripotée d’infidèles à leurs vœux de mariage, et assignations redistribuées au petit bonheur la chance, Réno avait pris la route pour les abords du plateau de sable flottant et Calixte était resté bêtement à contempler la feuille volante que son ami lui avait remise. Jusqu’à ce que ses familiers, bien trop curieux et enthousiastes, ne lui eussent rappelé qu’il y avait un certain code à respecter dans le cadre de ses fonctions, que celui-ci ne comprenait aucunement la présence mal disciplinée de ceux-ci. Dans un soupir, après une dernière caresse, le coursier avait donc laissé Kaname au palefrenier, déposé Ayren, Ashae et Mélyne à la chambre qu’il partageait avec Khalie, et pris le chemin des bâtiments administratifs en la compagnie seule de Vreneli, habitué à le suivre dans son travail. Et peut-être d’Apolline. Si le soldat pouvait jurer avoir laissé de côté de bavard Abdallah, rien n’était jamais moins sûr concernant la trousse de cuir. Elle n’en faisait usuellement qu’à sa tête, se glissant discrètement dans le moindre recoin de ses affaires ou parcourant librement les allées du Bastion. Du Grand-Port. D’Aryon. Il y avait des choses sur lesquelles Calixte avait cessé de s’interroger, et les pérégrinations d’Apolline faisaient partie de celles-ci.
Il traversa l’une des cours baignées des rayons chaleureux du soleil, et nota que la végétation endormie par les lunes de saison fraiche, puis froide, semblait reprendre des couleurs de plus en plus vives. Plus rapidement, à première vue, que celle de la Capitale. Certainement plus prestement que celle de la région septentrionale. A nouveau, le temps de quelques secondes, les pensées de Calixte s’envolèrent au contact de la Valkyrie qu’il avait laissée aux vents glacials du nord, puis la rudesse d’un muret contre ses orteils le ramena promptement à des préoccupations bien plus présentes. Poursuivant son chemin en sautillant et en jurant, le coursier finit par retrouver un pas moins endolori alors que le bâtiment qu’il avisait se découpait au détour d’une allée d’arcades. Devant celui-ci, observant d’un air hagard les silhouettes en armure légère vaquant à leurs obligations, se tenait celle dont il avait la charge pour quelques minutes. Heures ; avec sa malchance et sa maladresse.
- Ayah Stormsong ? demanda-t-il d’un ton affable accompagné d’un ersatz de salut militaire.
- Non, lui répondit sèchement la jeune femme sur un froncement de sourcils. Je cherche mon glooby.
- Oh, fit bêtement l’espion, déconfit. Hé bien je vous souhaite…
- C’est de votre faute, si Rhubarbe a disparu.
- Ah bon ?
- Votre collègue l’a relâchée n’importe comment après notre entrevue. Et maintenant je la cherche part… REGARDEZ OÙ VOUS METTEZ LES PIEDS !
- Pardon, pardon ! sursauta Calixte en baissant un regard inquiet sur les pavés, espérant ne pas avoir réduit Rhubarbe en compote. Vous savez, les glooby ont une excellente mémoire, peut-être est-elle déjà en train de rentrer chez vous ?
- Mpf.
- … voulez-vous qu’on mette un avis de recherche ? Dans le Bastion ?
- Non. Vous avez réussi à me la perdre, je n’ai aucune confiance en vos méthodes.
- … que je vous aide à la chercher ?
- Non. Vous avez très visiblement deux mains et deux pieds gauches.
Attaquer ? lui siffla mentalement Vreneli, qui s’impatientait de la situation.
Non. On n’est déjà pas avance, évitons de faire esclandre.
- Bonne journée, alors ? proposa-t-il avant de se soustraire au regard agacé de la jeune femme qui, de toute façon, se désintéressait de lui pour reprendre ses fouilles, et de s’éclipser d’un pas prudent – il ne tenait pas à écraser malencontreusement le glooby – dans l’enceinte du bâtiment administratif.
Où, à tenter de prêter attention à chaque centimètre du parterre tout autour de lui, il percuta la silhouette baillant aux corneilles dans l’entrée. Gage de sa maladresse et de sa médiocrité en dépit de sa bonne volonté.
- Oups, pardon, s’excusa-t-il en levant son regard ambré sur la nouvelle inconnue.
Elle semblait un peu plus jeune que lui, presqu’aussi grande, et avait des traits remarquablement doux malgré son air actuellement principalement perdu. Ses yeux d’un bleu saphir s’appareillaient à merveille avec ses mèches du même camaïeu, et Calixte s’emmêla un instant les pensées tandis qu’il se perdait dans cet univers aux teintes océaniques.
- Auriez-vous vu un glooby ? Enfin, je veux dire : auriez-vous vu la soldate Ayah Stormsong ? demanda-t-il à son vis-à-vis céruléen lorsqu’il lui apparut que personne d’autre n’était présent dans la pièce.
D’ailleurs, à bien y réfléchir, il ne connaissait décidemment pas ce visage. Quelle était la probabilité qu’il fût tombé sur l’une des rares personnes du régiment que ses yeux avisés de coursier – et d’espion – n’eussent jamais appréhendées ? Ses neurones se détricotèrent davantage, et l’évidence lui apparut enfin.
- Seriez-vous la soldate Ayah Stormsong ? tenta-t-il à nouveau, les sourcils s’arquant haut sur son front. Calixte Alkh’eir, coursier du régiment Al Rakija, se présenta-t-il succinctement en répétant son ersatz de salut militaire, deux doigts contre sa tempe. Ton guide, ou bien la personne qui vous adressera de nouvelles excuses en fonction de la réponse.
Attaquer ? réitéra Vreneli en s’extirpant du col de sa veste pour serpenter au-dessus de son épaule dans un vrombissement électrique peu engageant.
Non, non. Ça ne serait vraiment pas très aimable d’accueillir notre nouvelle collègue d’une décharge. Et si ça n’est pas notre nouvelle collègue, on aura déjà bien à faire avec l’affaire Rhubarbe pour pouvoir se passer d’une « électrocution de civils » dans l’enceinte du Bastion, répondit mentalement – et fermement – l’espion à son familier.
Avant d’adresser un sourire encourageant à la jeune femme.
C’était là qu’elle avait percuté quelqu’un qui souhaitait manifestement entrer dans le bâtiment. Quelle empotée, pourquoi restait-elle comme ça en plein dans l’entrée aussi ? Ce n’était pas très malin de sa part.
L’inconnu s’excusa avant même qu’elle ne le fasse, la surprise ayant diminué le temps de réaction du médecin qu’elle était. Elle se répandit immédiatement après en excuse pour faire bonne mesure, après tout elle n’avait pas fait très attention :
« Non c’est moi, je ne devrais pas traîner comme ça dans l’entrée. Veuillez m’excuser. » Dit-elle un peu gênée.
Le nouveau venu était un jeune homme, manifestement pas bien vieux, peut-être à peu près du même âge, c’était un peu difficile à dire. Ses mèches blondes surplombaient une paire d’yeux dorés qui brillaient d’une intelligence curieuse et pétillante.
- Auriez-vous vu un glooby ? Enfin, je veux dire : auriez-vous vu la soldate Ayah Stormsong ?
Ayah fut un peu prise de court par la première question, un glooby ? C’étaient de petits familiers que les gens appréciaient beaucoup posséder même si elle-même ne s’en était pas encore encombrée. Elle n’avait pas fait spécialement attention d’ailleurs, il était parfois difficile de savoir si un glooby errant était réellement perdu.
En revanche la seconde question la fit réagir, mais la surprise de la première laissa le temps à l’inconnu d’enchaîner avant qu’elle ne lui réponde. Il venait de se présenter comme un membre du régiment Al Rakija et comme son guide, puisque c’était manifestement elle qu’il cherchait.
Elle soupira de soulagement, il tombait très bien et elle était très contente de le voir :
« Oui c’est bien moi. Je viens rejoindre l’unité médicale du régiment, enchantée, Calixte ! » Dit-elle avec enthousiasme, même si après réflexion elle se disait que Calixte devait sûrement être au courant, puisqu’il connaissait déjà son nom.
Elle effectua également le salut de la garde militaire, celui de la garde civile et rangea son ordre de mission dans une poche à sa ceinture.
En y repensant… Elle imagina un instant que le jeune homme recherchait un glooby soldat du nom d’Ayah Stormsong et cette pensée l’amusa, elle se mordit discrètement l’intérieur de la joue pour éviter d’en rire et reprit contenance, après tout ils n’étaient pas là pour s’amuser.
Calixte Alkh’eir, coursier du régiment Al Rakija. C’était encore pour elle une notion un peu floue, il n’y avait pas de telles distinction dans la garde régulière et ça brouillait un peu ses repères. Mais de ce qu’elle en savait, il faisait donc partie de l’unité axée sur la logistique, et devait connaître un sacré paquet de choses sur cet endroit, le guide idéal en somme.
L’instant d’après, elle avisa quelque chose au-dessus de l’épaule de Calixte, cette chose venait de sortir de son col et ne semblait pas l’importuner plus que cela. Ayah observa l’étrange créature avec curiosité et surprise, un familier ? Elle n’en avait jamais vu de tels, ni entendu parler d’ailleurs.
Quel drôle d’animal, on aurait dit qu’il était fait d’énergie pure.
* D’électricité* se corrigea-t-elle intérieurement en détaillant l’être. Il pouvait facilement passer inaperçu car il était assez peu visible en plein jour, mais toujours était-il qu’il savait fort bien manifester sa présence par le bruit.
Il émettait en effet un vrombissement étrange qui était plutôt menaçant, comme un chien qui montre les crocs ou un chat qui hérisse le poil, comme s’il était sur la défensive.
Elle lança un regard perplexe à la bestiole, ne sachant pas trop comment réagir face à l’hostilité manifeste de la créature. Elle savait que les animaux de ce royaume étaient souvent dotés d’intelligence et pouvaient comprendre le langage des humains, même si elle ignorait parfaitement si c’était le cas pour celui-ci en particulier.
Elle prit le parti d’essayer de se montrer amicale avec l’étrange familier et lui adressa un sourire jovial :
« Contente de te rencontrer toi aussi. » Lança-t-elle à son adresse, elle se sentit un peu bête sur le coup, mais il fallait bien considérer les familiers dotés d’intelligence comme des personnes.
Elle reporta son attention sur Calixte, elle avait constaté qu’il avait commencé à la vouvoyer avant de passer au tutoiement dans le cas où elle serait bien la personne qu’il recherchait. Cela devait fonctionner comme dans la garde régulière après tout, les garde vouvoyaient les civils et se tutoyaient entre collègues. En tout cas, Calixte semblait plutôt sympathique et elle se sentit tout de suite plutôt à l’aise.
Ils ne restèrent pas plantés dans l’entrée du bâtiment administratifs et dégagèrent le passage, revenant à l’extérieur, dans la rue. Tout en suivant son nouveau camarade, Ayah lança à nouveau un regard vers le bâtiment dans lequel ils étaient quelques instants plus tôt :
« Il n’y avait personne là-dedans. C’était peut-être un mauvais moment, il semble y avoir tant de monde ici. »
Tout en marchant elle repensa à leur premier échange, il avait évoqué un glooby par erreur, et elle se demanda si c’était juste une étourderie ou s’il était vraiment perturbé par une histoire de familier égaré.
Mais elle ne savait pas trop si c’était vraiment le moment d’aborder le sujet et le chassa dans un coin de sa tête, elle lui demanderait un peu plus tard ce qu’il en est. Tant qu’à visiter elle pourrait l’aider à le retrouver s’il lui en faisait une description. Toutefois, dans le doute, elle regardait autour d’elle pour voir si elle pouvait repérer quelque chose ressemblant à un familier triste et livré à lui-même.
« Ça fait longtemps que tu arpentes ces rues, pas vrai ? » Dit-elle tranquillement tout en le suivant, elle aimait bien en apprendre davantage sur les gens, mais était vigilante à ses réactions pour éviter de le mettre mal à l’aise ou d’aller trop loin. « Surtout en tant que coursier. »
- Alors : bienvenue ! s’exclama-t-il après sa brève présentation.
Au-dessus de son épaule, le vrombissement orageux de Vreneli lui donna un écho moins accueillant, mais le teisheba finit par se résigner au calme de la situation ne requérant aucunement ses éclairs et, dans un hululement dédaigneux répondant aux salutations de la soldate, glissa au sommet de la blonde chevelure de l’espion pour s’y faire son nid. Avivées par la nébuleuse électrique, les mèches l’entourant se soulevèrent en points d’interrogation, donnant un air quelque peu ébouriffé à leur propriétaire.
- Viens, je vais te faire faire le tour des lieux, invita Calixte en indiquant d’un geste vague, du bout de sa main tenant toujours la fiche que lui avait donné Réno, l’issue du bâtiment. Et fais attention où tu poses les pieds, apparemment on a un glooby perdu qui se promène dans le Bastion.
Ils quittèrent le pôle administratif et son accueil désert pour rejoindre le soleil chaleureux baignant toujours les reliefs de la caserne de teintes vives. Il faisait presque bon, et on sentait que la saison froide ferait bientôt place à la douce. Le climat, de toute façon, avait toujours été plus clément dans la région méridionale d’Aryon que sur les terres du nord. Contournant d’un pas prudent la jeune femme qui fouillait minutieusement les alentours en écartant d’une main agacée chaque militaire, en retournant chaque pierre et en fendant la végétation sur son passage, Ayah et Calixte s’éclipsèrent sous la rangée d’arcades que ce dernier avait empruntée quelques minutes plus tôt.
- Tu as vu l’accueil de l’administration, le bâtiment se prolonge naturellement sur le pôle logistique auquel tu devrais avoir peu affaire dans le cadre de tes fonctions, commenta le coursier en se servant toujours de son papier comme d’une baguette de présentation. Par là, la salle d’armes principale. Je n’ai pas fait attention ; as-tu déjà tes propres affaires ? Elles arriveront séparément ? Tu peux emprunter pas mal de vêtements, d’armes et d’outils de dépannage à la caserne, mais ils sont rarement d’une qualité remarquable. Lara et Marianne, de la logistique. Elles sont ensemble, mais si tu es de ce bord elles ne disent pas non à quelques invités. Globalement, tous ceux qui fréquentent les sous-sols ne disent pas non aux… aventures diverses et variées. D’ailleurs, en passant par les sous-sols tu peux accéder à pas mal d’endroits. Il faut juste faire attention aux passages désaffectés et à ceux réaffectés aux… besoins de promiscuité. Ici, l’accès aux écuries. Qui hébergent toutes sortes de montures et de familiers de grandes tailles. As-tu des familiers ? Avec Khalie – ma colocataire, qui fait partie de l’Avant-Garde ; tu connais l’Avant-Garde ? – on a toute une ménagerie dans notre chambre. Principalement par ma faute. Entièrement par ma faute. Si on monte par là, on peut arriver aux salles de repos et à la bibliothèque. Moins grandes que celles de la Caserne Principale de la Capitale, mais tout de même bien fournies. Agatha, des Valkyries – tu connais les Valkyries ?
A mesure qu’ils longeaient différentes façades et croisaient différents collègues, il se prit au jeu d’énumérer le nom et la fonction de chacune et chacun, dans un désordre d’informations multiples, probablement superficielles et inintéressantes pour la plupart. Mais l’aura douce et bienveillante d’Ayah exacerbait l’enthousiasme de Calixte, l’incitant à lui déverser un large échantillon de ses connaissances sur les lieux et les âmes qui y gravitaient.
- C’est un peu le bazar, en ce moment, avec l’arrivée de cette île volante ayant décidé d’égrainer du sable toujours plus au-dessus des terres d’Aryon, commenta-t-il à la remarque de la jeune femme. D’aucun estime qu’elle a ralenti sa progression depuis son passage du littoral, ce qui remue davantage les paniers à crabeaux de la Guilde et de la Garde du sud. Mais il n’est pas non plus impossible qu’on soit passé au moment de la pause café. Ici comme ailleurs, il y a des traditions bien ancrées dans les services administratifs.
Ils dépassèrent un large porche pour débouler sur une large cour et le coursier, toujours armé de ses grands gestes maladroitement démonstratifs – il faillit d’ailleurs éborgner un collègue ayant eu le malheur de passer à proximité – présenta chaque chemin qui y arrivait et repartait. Celui qui menait aux cuisines, au réfectoire, au garde-manger, emprunté à toute heure de la journée et de la nuit. Celui, plus large, menant aux terrains d’entrainements. Celui, couvert d’arches, menant aux baraquements le long d’une enfilade de patios. Celui menant au pôle médical. Et tous ceux se mêlant et s’entremêlant, ici ou quelques mètres plus loin, sur le rez-de-jardin ou via les passerelles reliant les différents bâtiments sur leurs hauteurs.
- A première vue c’est un peu le bazar, accorda Calixte. Mais si tu as survécu aux casernes de la Capitale – c’était bien là ta précédente affectation ? – le labyrinthe du Bastion ne devrait pas te poser de soucis très longtemps.
Jetant un coup d’œil à la feuille toute froissée qu’il tenait entre ses doigts et où « Ayah Stormsong » se lisait aisément en larges lettre capitales, il se dit qu’il aurait sans doute pu faire l’effort de s’y intéresser davantage. Car à la vérité, en dehors du nom et de la mention indiquant « nouvelle arrivante », il ne s’y était pas penché. A sa défense, on l’avait un peu surpris par la délégation de cette mission, et le temps n’avait pas joué en sa faveur.
- Cela va faire un an que je suis coursier ici, répondit-il alors qu’ils s’avançaient vers le cœur de la cour. J’étais auparavant à la Capitale. Mais cela ne m’étonne pas que l’on ne s’y soit jamais croisés, la Caserne Principale grouille de monde, et mon poste m’emmène souvent loin sur les routes du Royaume. Quoi qu’on aurait pu se croiser à l’infirmerie, avec ma maladresse… Connais-tu Wendy ? Elle était médecin à la Caserne de la Capitale, avant d’être affectée à celle de la Forteresse, il y a… un peu plus d’un an, aussi.
Saluant joyeusement des collègues de la logistique traversant la place d’un pas preste, Calixte indiqua à Ayah le passage menant aux cuisines. Et bien que ce fut un endroit que tout bon soldat se dût de connaitre pour recouvrer des forces – et satisfaire sa gourmandise – son objectif final était tout autre.
- Il est vrai que le travail de coursier m’a fait – et continue à me faire – arpenter ces allées de long en large et en travers, et me perdre aussi un sacré nombre de fois. Penses-tu rester principalement au Bastion ou feras-tu aussi du terrain, de par ton rôle de soignante ? demanda-t-il avec curiosité à la jeune femme. Passons par-là, pousse le portillon, ajouta-t-il d’une voix révélant une excitation enfantine. Voici l’ensemble des jardins botaniques, jouxtés du potager et du verger !
Idéalement situé entre les cuisines et l’une des extrémités du pôle médical, le lieu présentait notamment, en plus de ravissants parterres floraux, une large sélection de plantes médicinales aussi singulières qu’utiles. La saison n’était probablement pas la plus propice à l’émerveillement des sens, mais cet écrin de verdure, luxuriante en comparaison au reste Bastion, ajoutait aux yeux du coursier une touche de couleurs et de fraicheur bienvenue dans cette caserne aux relents d’uniformes protocolaires et de sueur iodée.
- J’avouerai ne pas avoir eu le temps de lire la fiche de liaison que l’on m’a confiée, fit-il alors qu’ils s’approchaient d’un parterre de phumes en dentelle, visiblement adroitement entretenues loin de leurs terres d’origines. Si ce n’est pas indiscret : tu nous rejoins pour les assignations plage et mojito ? Ou parce que tu as des attaches dans le coin ? Ou peut-être tout autre chose ?
Leurs pas s’arrêtèrent au pied d’une grande lhant airne, refermée sur elle-même à cette heure-ci de la journée, et le temps de quelques secondes les yeux ambrés de l’espion balayèrent songeusement le décor végétal. Il était amusant que, un an quasiment jour pour jour, sa vie l’eût ramené à cet endroit en des circonstances similaires. Il aimait à penser que, bien qu’elle fût encore chaotique, elle s’était un peu apaisée au fil des douze lunes passées au Bastion. La plaie béante de la mort de Ruth avait fini sa longue cicatrisation, et ses doigts avaient trouvé ceux de Solveig pour l’accompagner sur le chemin accidenté de son futur. Et si son lien avec les espions n’était certainement plus aussi solide qu’auparavant, nul doute avait-il trouvé céans une famille de cœur toute aussi dévouée.
- Dans tous les cas, j’espère que tu te plairas ici, ajouta-t-il avec un sourire plus doux, à l’adresse d’Ayah.
Au moins, j'peux dire qu'il n'y a pas spécialement de laisser aller parmi mes subalternes directs! Certains passent un peu la langue, d'autres semblent avoir du mal à continuer mais ils serrent les dents et ils agissent, j'en demande pas moins de toute manière! J'suis toujours le premier pour aller me jeter un godet avec eux dans la taverne de Gérold mais j'ai toujours été très clair : si vous savez picoler la nuit, vous savez suer le matin! Du moment qu'ils sont droits avec moi tout se passe bien mais j'veux pas de tire au flanc dans mon unité! Le capitaine m'a fait confiance, j'refuse catégoriquement de le décevoir, c'est que la confiance ça se mérite et surtout, moi j'la rembourse avec du respect, de la droiture et en mouillant cette chemise à moitié ouverte si ce n'est trois boutons! Sauf que bien-sûr, l'entraînement c'est bien mais faut pas non plus abuser des bonnes choses - en plus ça donne des courbatures - heureusement j'ai le moyen parfait pour savoir quand cela fait trop longtemps que nous sommes sur le terrain : Aja! Quand le dragonnet se réveil, c'est qu'il est temps d'arrêter et justement, le voici qui baille en s'étirant de toute sa longueur.
"Soldats, repos! Vous vous êtes bien donnés, allez prendre une douche, manger un morceau, faire vos assignations on se revoit demain matin, même heure, même endroit!"
"Oui Lieutenant!" Répondent-ils à l'unisson et je souris doucement, fier des hommes et des femmes sous mon commandement. Entraînement terminé, première chose à faire se débarrasser de toute cette sueur! Direction donc ma chambre et surtout la douche, rapide et glaciale, pour m'extirper de mes fringues et en enfiler d'autres : un pantalon noir et une longue veste que je laisse ouverte sur mon torse. Comme toujours, cache-œil pour masquer mon oeil mort et l'énorme anneau qui me sert de collier viennent compléter la panoplie. Sans oublier les chaussures à larges semelles du genre qui font mal au cul juste à les voir, et à imaginer se prendre un coup de pied dans l'arrière-train avec! Cela fait, on reprend la direction de la cour mon familier et moi car après l'effort, le réconfort et quoi de mieux après une activité éreintante qu'une clope? Faut bien un peu de carburant pour conserver un corps si bien-entretenu - et j'emmerde toute personne qui osera me dire que la clope a l'effet négatif, chacun son poison après tout - et c'est alors que j'suis tranquillement installé, la cigarette au bord des lèvres, le dos appuyé contre l'un des murs du bastion, l'oeil perdu dans le vide à me demander ce que cette putain d'île va nous ramener que je les vois : Calixte et une inconnue!
Le coursier qui était encore mon colocataire il y a quelques mois avant que mon grade ne soit revu à la hausse, ce jeune "prince" avec lequel j'ai vécu une énorme chasse au trésor, ce type sympathique mais qui avait tellement d'amis qu'il sortait le soir pour picoler sans moi en plus! Bien-sûr je l'apprécie et même s'il n'est pas de mon unité ou qu'il n'est plus dans ma chambre, c'est normal d'aller saluer les amis non? J'écrase donc mon bâton de poison personnel contre la semelle de ma botte - vu qu'ils se sont dirigés vers le jardin botanique, je doute que ce soit très bien vu que j'arrive avec en main un petit objet capable d'y foutre le feu - et j'me mets en route avec toute la discrétion qui fait mon charme c'est-à-dire : absolument aucune! Cal'! Fait longtemps que j't'ai pas vu, la dernière fois ça d'vait être au barbecue non?" Que j'lui demande en foutant mon bras autours de sa nuque, le déposant sur ses épaules en me penchant légèrement. "C'est quand que tu participes à l'entraînement matinal? Ça te ferait pas de mal tu sais, puis j'suis sûr que ce serait utile, un bon cardio c'est essentiel quand on court autant que toi dans les couloirs du bastion... On pourra même aller se jeter un verre après!" Dis-je avant de lever la tête vers la jeune inconnue. Ouaip, j'confirme jamais vu la donzelle... J'pose donc deux doigts de ma main libre sur mon front à son adresse.
"Yo!" Ouai je sais, une présentation on ne peut plus éloquente mais en même temps j'suis pas réellement au courant qu'on attendait une nouvelle recrue...
Son étrange familier ne semblait finalement pas décidé à attaquer et avait trouvé refuge sur le sommet du crâne de son maître, lui donnant un petit air comique, mais Ayah parvint à garder son sérieux et écouta attentivement ses explications tandis qu’il lui faisait visiter les alentours. Bien entendu elle fit attention à ne pas marcher par inadvertance sur un pauvre glooby égaré…
C’était une belle journée ensoleillée, de celles qui donnent envie de profiter de la vie, bien qu’il fasse encore un peu frais. Mais la fraîcheur ne la dérangeait pas vraiment, elle n’était pas particulièrement frileuse. Elle remarqua que Calixte regardait autour de lui comme s’il cherchait quelqu’un d’autre et semblait prendre des détours superflus, mais elle ne le questionna pas. Peut-être avait-il un ami gênant qu’il n’avait pas envie de croiser.
Il lui désigna un bâtiment un peu plus loin :
- Par-là, la salle d’armes principale. Je n’ai pas fait attention ; as-tu déjà tes propres affaires ? Elles arriveront séparément ? Tu peux emprunter pas mal de vêtements, d’armes et d’outils de dépannage à la caserne, mais ils sont rarement d’une qualité remarquable.
Elle jeta un coup d’œil à l’intérieur, il semblait y avoir toute un attirail divers et variés d’armes et d’armures en tous genres : épées, arbalètes, lances, boucliers… Certains paraissaient usés, d’autres plus récents. Une personne était de dos et semblait affairée à faire l’inventaire.
« On m’a dit que ça arriverait dans quelques jours. » Indiqua-t-elle, espérant avoir les bonnes informations à ce sujet. « Mais je suppose que de toutes façons je serai amenée à venir ici à un moment ou à un autre. »
Elle laissa Calixte continuer la présentation :
- Lara et Marianne, de la logistique. Elles sont ensemble, mais si tu es de ce bord elles ne disent pas non à quelques invités. Globalement, tous ceux qui fréquentent les sous-sols ne disent pas non aux… aventures diverses et variées. D’ailleurs, en passant par les sous-sols tu peux accéder à pas mal d’endroits. Il faut juste faire attention aux passages désaffectés et à ceux réaffectés aux… besoins de promiscuité.
Voilà qui était tout à fait inattendu et Ayah fut prise de court par cette remarque, elle avait parfaitement compris ce qu’il voulait dire par là et, sans savoir exactement pourquoi elle avait brièvement senti une légère chaleur sur ses joues. Non, elle n’était pas particulièrement intéressée par les femmes. Néanmoins, elle irait sûrement rencontrer Lara et Marianne, mais pas en tant « qu’invitée » comme Calixte disait, plutôt en tant que simple collègue.
En tout cas les sous-sols paraissaient être un endroit un peu spécial et elle prit en compte ses conseils pour éviter de se retrouver dans une situation gênante si elle décidait d’explorer le bastion par elle-même plus tard.
La gêne qu’elle avait ressenti sur le coup passa vite. * Quelle idiote je fais * Se dit-elle intérieurement en se maudissant de réagit comme ça, c’était assez ridicule.
En lui montrant l’accès aux écuries il évoqua ses familiers et l’avant-garde. Il semblerait que le coursier ait une affection toute particulière pour les bestioles en tout genre. Elle ne savait pas pourquoi mais cela ne l’étonnait pas vraiment. Elle jeta un regard sur le teisheba qui se reposait paisiblement sur la tête du jeune homme : il avait l’air plutôt farouche, cet animal, et il semblait falloir pas mal d’expérience et de patience pour le domestiquer.
« Non, je n’ai aucun familier. » Dit-elle tranquillement, l’air pensif. « Et pour ce qui est de l’avant-garde, j’ai eu un petit aperçu dans l’annonce de recrutement. Il me semble que ce sont les éclaireurs en plus d’être une bonne ligne de front. »
Elle admirait cette division du régiment, composée d’hommes et de femmes dotés d’un courage exemplaire, les amenant au-devant du danger. Courage ou inconscience, témérité ou folie, la ligne était mince, toujours est-il que ce devait être de sacrées personnalités ! Elle ne doutait pas qu’elle serait amenée à en « réparer » un à l’occasion s’ils étaient blessés.
Et puis vint le tour de la présentation des Valkyries, une division qu’elle savait vaguement être l’élite du régiment Al Rajika. Calixte lui expliqua qu’il n’y avait que des femmes dans cette division et qu’elles se mêlaient régulièrement aux autres unités pour les soutenir.
La jeune médecin considéra avec curiosité Agatha, membre de ce groupe si particulier. Elle semblait être plutôt forte et émanait une sorte de dignité admirable qui était plutôt impressionnante. Ayah commença à se demander si elle serait réellement à la hauteur de tous ces gens, si intimidants vu d’ici.
Toujours avec cet entrain si agréable, le jeune homme blond continua la présentation, posant régulièrement des questions courtes, mais faciles, auxquelles Ayah répondait généralement d’un signe d’acquiescement de la tête pour ne pas le couper dans ses explications. Le flot d’informations était plutôt dense, mais pour le moment elle arrivait plutôt bien à le suivre. Sauf peut-être sur une histoire d’île volante, elle l’avait aperçue dans le ciel, mais ignorait tout à ce sujet et personnes jusque là n’avait pu lui en parler plus en détail.
Ne souhaitant pas le perturber dans la visite elle rangea l’île dans un coin de ses pensées, quelque part entre le glooby perdu et le glooby soldat…
Calixte faisait de grands gestes pour désigner un bâtiment ou un autre, on aurait dit qu’il parlait autant avec la bouche qu’avec les gestes. Il avait même failli envoyer gaiement son index tout droit dans l’œil d’un autre garde et ce dernier lui avait jeté un regard indéchiffrable avant de passer son chemin.
Sa maladresse le rendait dangereusement amusant et Ayah le suivait totalement dans cette bonne humeur qu’il incarnait, elle se retourna vers le garde qu’ils venaient de croiser tandis que Calixte continuait son chemin et se retint de rire de cette situation si incongrue. Cela lui permettait de se sentir plus à l’aise au milieu de ces gens qui l’impressionnaient beaucoup.
Ainsi, il était dans le régiment depuis un an, c’était peu et beaucoup à la fois… C’est vrai qu’il ne paraissait pas bien vieux, comme elle s’était déjà fait la réflexion. Il avait été à la capitale mais il était impossible qu’ils s’y soient rencontré. Tout au plus elle arrivait au moment où il partait, ce qui ne laissait pas beaucoup de temps entre les deux. Et du coup elle ne connaissait pas Wendy non plus si cette femme avait reçu une autre affectation il y a un peu plus d’un an.
« Je suis désolée, mais non, tout cela ne me dit rien. Vous avez dû quitter la capitale avant même que j’y arrive. Mon séjour là-bas a été très court tu sais… » Répondit-elle gentiment.
Ils croisèrent d’autres collègue, que le jeune homme salua, toujours avec sa légendaire bonne humeur et, leur souriant aussi, Ayah inclina la tête en signe de salut bref tandis qu’ils les croisaient.
« J’aimerais être là où on a le plus besoin de mes services. » Répondit-elle.
Puis, pensive elle se tint le menton et considéra l’envie qu’elle avait d’aller sur le terrain. Elle avait soif d’aventure et voulait voir ce qu’il y avait en dehors de la ville.
« Mais je t’avoue que j’aimerais bien être sur le terrain ! Ce n’est pas trop très drôle d’être enfermés ici. » Dit-elle avec un air jovial.
Ayah n’était pas vraiment d’un naturel agressif, mais elle n’affectionnait pas non plus l’inactivité et aimait l’idée de soutenir ses amis et camarades sur un champs de bataille, surtout s’il s’agissait de combattre des menaces.
Ils entrèrent alors dans un lieu qui avait l’air de beaucoup tenir à cœur au jeune homme au vu de l’excitation qu’il manifestait. Il aurait dit un enfant chez le marchand de bonbons. Et elle le comprenait parfaitement.
Ce lieu était une sorte de havre de paix, loin de l’agitation fiévreuse qui régnait au bastion. Il y flottait de douces odeurs florales et les murs autour faisaient comme une barrière au bruit, qui étouffait largement l’effervescence des rues alentour. Quelques instants, elle ferma les yeux et pris une grande inspiration, profitant pleinement de ce calme bienvenu après les diverses allées qu’ils venaient de parcourir.
Elle prit également le temps de s’accroupir près d’un parterre de plantes qu’elle reconnut comme des plantes médicinales destinées à favoriser la cicatrisation et apaiser les douleurs. Du bout des doigts elle effleura la fleur délicate qui ornait la plante, elle semblait en bonne santé, les gens ici prenaient vraiment soin de leur jardin botanique. Ayah se sentit apaisée.
Elle leva les yeux vers Calixte tandis qui la questionnait sur ses motivations à rejoindre la garde du Sud. Elle ne sut pas exactement comment répondre et marque un temps de réflexion pour trouver la meilleure façon de tourner les choses.
« Eh bien… » Commença-t-elle, se grattant l’arrière de la tête d’un air distrait.
Elle croisa le regard doré et pétillant de positivité de son guide :
« Je suis née pas loin d’ici. Disons que j’ai senti le besoin de revenir, je ne saurai pas vraiment l’expliquer. » Elle hésita quelques instants
« Et je pense qu’au fond de moi-même j’ai toujours admiré ce régiment et les gens qui le composent. » Avoua-t-elle, un peu gênée, ça pouvait paraître un peu bizarre comme motivation.
« Ceci dit, je n’ai rien contre les assignations plages et mojito ! » Ajouta-t-elle en laissant échapper un éclat de rire. « Merci beaucoup pour ton accueil en tout cas. »
D’un coup, une autre personne apparut dans le champ de vision de la jeune femme, elle était si absorbée par les plantes et les explications qu’elle donnait à Calixte qu’elle ne l’avait pas remarqué s’approcher. En tout cas les deux paraissaient se connaître fort bien à la façon qu’avait ce nouvel arrivant de prendre le jeune blond sous son bras et de lui parler.
Ayah le considéra avec curiosité tandis qu’il parlait avec Calixte, il avait l’air d’être plutôt bons amis.
Il était manifestement plus âgé et avait une sorte de spontanéité impressionnante qui était presque captivante, envoutante. Pour Ayah, c’était en quelque sorte l’archétype du militaire, et ce gars avait l’air d’en avoir vu des choses à l’extérieur.
C’était un sentiment qu’elle avait en le voyant, il y avait dans ces yeux gris métalliques une sorte de calme froid mêlé d’une sorte de détermination implacable, le genre de regard qui vous transperçait en un instant, et qui cachait un esprit éminemment rebelle.
Elle ne sut pas exactement pourquoi elle pensait cela, mais elle lui trouva un air plutôt bagarreur… Peut-être à cause de ce bandeau qu’il portait à l’œil droit ? Ou alors à sa façon de se comporter ? Son apparence générale plutôt athlétique ? Sa tenue vestimentaire décontractée et décomplexée ?
Non, en fait il faisait typiquement partie de ces gens du régiment qui étaient plutôt dans la catégorie des "plutôt impressionnants" de son point de vue.
En tout cas il devait certainement s’agit de l’un de ses futurs collègues et elle le considéra avec attention :
« Yo ! » Lança-t-il à son adresse.
Sur le coup elle ne sut pas vraiment s’il fallait le saluer conventionnellement, avec un salut militaire, s’il fallait le vouvoyer ou autre…
Disons que certaines personnes étaient plus attachées que d’autres aux protocoles, mais la jeune femme n’avait pas particulièrement l’impression que cet homme là avait de telles préoccupations, elle opta donc pour une approche simple et naturelle :
« Bonjour ! » Lança-t-elle avec légèreté en lui adressant un sourire bienveillant. « Je suis Ayah, une nouvelle dans l’unité médicale du régiment. »
Un familier trottina à coté du nouveau venu, c’était une espèce de dragon miniature d’apparence arboré, comme s’il était fait de branches et de feuilles. Ayah considéra un instant le petit animal et lui adressa également un sourire, décidément les gens ici étaient des amoureux des animaux !
Elle reporta assez vite son attention sur le nouveau venu, ne voulant pas lui faire l’affront d’être trop distraite par le familier alors qu’il ne s’était même pas encore présenté :
« Vous avez l’air de voir connaître tous les deux… Tu fais partie du régiment toi-aussi ? » Demanda-t-elle avec intérêt, elle croisa son regard et se sentit un peu intimidée sur le coup, quel grade, quel rôle, pouvait-il bien avoir dans le régiment ?
- Salut, Val ! Bonjour, Aja. Ça remonte un peu, oui, acquiesça-t-il sans chercher à se défaire de la prise de l’homme sur ses épaules.
Entre sa tendance tactile, l’aisance du lieutenant et l’amitié simple entre eux deux, rien n’était plus naturel que cette position familière, même si cela faisait effectivement quelques lunes qu’ils ne s’étaient vraiment croisés.
- Ceci dit, je ne vois pas non plus beaucoup Khalie ces derniers temps, avoua-t-il. A-t-elle enfin trouvé le chez-elle qu’elle ambitionnait d’avoir ?
Il savait que sa colocataire cherchait une demeure qu’elle pourrait appeler la sienne, sans avoir à la partager bon gré mal gré avec l’un de ses collègues de régiment – même si, ironiquement, sa situation actuellement lui ferait certainement tendre les clefs au lieutenant de l’Avant-Garde – mais n’avait pas eu l’occasion d’en discuter davantage avec elle. Entre leurs assignations, leurs rythmes de vie et leurs découchages à la faveur des lits de leurs amants respectifs, la fée et le prince ne s’étaient que peu croisés dernièrement.
A la mention des exercices martiaux menés par Valentino, Calixte grimaça franchement avant de lever un regard boudeur vers son ami. Vreneli lui, toujours posté sur le sommet de son crâne, avisa l’homme avec intérêt, se méprenant sur la teneur desdits entrainements et y voyant la possibilité d’y laisser libre cours à ses éclairs.
Cal et Eli aller entrainement matinal ! Attaquer tout !
Heu non. Personne n’attaque personne, et ni Cal ni Eli n’ont de place dans leur planning pour des entrainements supplémentaires actuellement.
- Emeor Calyx – avant sa réaffectation – a tenté de m’emmener sur cette voie-ci ; garde à l’esprit que ce ne fut pas une grande réussite. Mes articulations s’en souviennent douloureusement, le matériel d’entrainement aussi. Encore un point de dépenses évitables devant assurément alimenter les discussions entre le Capitaine et la Trésorière Royale, ajouta-t-il presqu’innocemment.
Comme Valentino s’intéressait à Ayah qui observait ce dernier avec la curiosité prudente des nouveaux venus, Calixte écouta cette dernière se présenter succinctement avant de sentir l’amusement gonfler en vagues chaleureuses au creux de sa poitrine. L’interrogation candide de la jeune femme avivait en lui la flamme du jeu, et si ses traits, habitués aux masques de l’espionnage, ne cillèrent guère, une lueur espiègle agita l’ambre de ses yeux.
- Valentino dormait avec nous – Khalie et moi – avant de décider de nous quitter et faire chambre à part, expliqua-t-il joyeusement. Pour se rapprocher du Capitaine, assurément. D’ailleurs, poursuivit-il en se penchant légèrement vers Ayah dans un murmure conspirateur. C’est pour lui que Val aurait adopté la règle des trois boutons.
Et d’un geste équivoque de la main, il indiqua la chemise effectivement ouverte de tant de boutons sur le torse musclé du lieutenant, avant de se soustraire fluidement au bras de ce dernier et de mettre un peu de distance entre eux deux, des fois que celui-ci ne décidât de se venger de ses taquineries. Gloussant d’amusement, passant dans le dos d’Ayah pour adopter une position presque similaire à celle que Valentino avait eu avec lui – posant ses mains sur les épaules de la jeune femme, à la fois par enthousiasme naïf et pour pouvoir se servir de celle-ci comme distraction si le besoin de prendre ses jambes à son cou devait s’en faire sentir – il adressa un large sourire à son ami par-dessus la clavicule de la soignante avant de continuer à l’adresse de celle-ci :
- Sais-tu déjà dans quelle chambre tu poseras tes bagages ?
La feuille que lui avait remis Réno tenait présentement plus du brouillon froissé qu’autre chose, et il n’arrivait pas à y trouver cette information.
"Rien de nouveau de ce côté à ma connaissance, faut dire que j'pense pas qu'elle ait réellement eu l'occasion de chercher... Puis bon, tu la connais hein? Elle a beau dire, se rendre jusqu'à une demeure pour la visiter ça lui demanderait toute son énergie vu sa flemme légendaire."
Léger rire bon enfant, comme celui d'un gamin qui partage ici une information sur l'un de leurs amis communs - secret de polichinelle mais dont nous sommes les seuls réellement détenteurs - mais reprends bien vite mon air des plus sérieux, celui du lieutenant plus que de l'ami devant les récalcitrantes de mon compagnon à l'annonce d'un potentiel entraînement... Certes, je ne doute pas que Emeor, avant son départ pour la garde royale, ait maintes fois tenté d'entraîner le jeune homme sur le terrain d'entraînement mais il y a une énorme différence entre l'ancien lieutenant et moi : je ne suis pas du genre à abandonner une idée au premier refus, bien au contraire d'ailleurs! Dans le cas contraire, j'aurais certainement rendu mon insigne bien vite vu le nombre de fois durant lesquelles la commission m'a emm... légèrement ennuyé sur certains sujets. Je secoue donc la tête de droite à gauche, accompagné d'un petit claquement de langue faisant montre de mon refus catégorique d'une telle réponse avant de sourire en coin. Un regard à droite, un autre à gauche : personne si ce n'est nous trois? Parfait!
"Alors déjà, j'sais pas comment s'entraîner Emeor mais c'est pas en s'occupant de la paperasse toute la journée qu'il pouvait faire un bon entraîneur. Avec tout le respect que je lui dois, j'pense qu'à ce niveau j'ai l'avantage sur lui! Ensuite, concernant le budget... Entre nous, j'pense que le capitaine te serai presque reconnaissant de lui donner des raisons de voir la trésorière, après tout faut bien l'aider un peu non?" Et me voici à pouffer comme un véritable gamin alors que la jeune demoiselle me répond et j'arque un sourcil... Oups, dire ça devant une nouvelle recrue? Pas le meilleur mouvement sur le coup Valentino! Mais bon, ce qui est fait est fait... Ayah donc et surtout, l'unité médicale? En voilà une excellente nouvelle! J'pense sincèrement que les autres en ont marre de me voir et d'entendre mes blagues foireuses - mais absolument géniales - après pratiquement chacune de mes missions... Un peu de sang neuf ça va forcément faire du bien. Un regard vers Cal' alors qu'elle relève le fait qu'on semble se connaître - observatrice en plus la petite j'aime ça - et avant même que je ne puisse répondre, mon ami donne sa version des faits.
Une minute... Quoi? J'le regarde sans réellement réagir, bon dans les faits il commence bien avec la mention du partage des chambres, par contre, malgré son attitude ayant pour but de faire penser à des confidences, il n'est absolument pas discret et le pire, c'est que je sais parfaitement que c'est volontaire! Comment ça me rapprocher du capitaine et en plus il ose détourner la sacro-sainte règle des trois boutons? Avec prestance, il se défait de mon emprise pour aller courageusement se réfugier derrière la jeune demoiselle, en plus il prend un otage pour le placer entre lui et moi? Une précaution bien inutile cependant... Je suppose que certains pourraient s'offusquer d'une telle déformation de la réalité mais je ne suis pas ce genre d'homme, que du contraire! C'est le genre de connerie qui ne provoque chez moi qu'un rire sincère dans lequel j'éclate simplement.
"WOUARFOUAFOUAF Sérieusement? Me rapprocher du capitaine? Non pas que je doute de mes capacités à le faire mais, il a un peu trop de barbe pour moi..." Dis-je dans un rire des plus sonore avant de secouer la tête. "Mais ne mets pas n'importe quoi dans la tête de cette pauvre Ayah, j'suis certain que vu ma réputation certains à la capitale pourraient penser que c'est réellement ainsi que j'ai eu mon post!" Petit clin d'oeil complice, mon appréciation de la commission n'étant pas secrète après tout. "Cela étant, Ayah, permets moi de refaire des présentations un peu plus correctes et sérieuses... Lieutenant Valentino Rivolti! Mais vu qu'on est entre amis, on va pas se faire chier avec le protocole, Val' ce sera bien suffisant. Un plaisir de t'avoir parmi nous en espérant que tu seras plus assidue que ce fuyard pour les entraînements." Léger sourire en coin, suis-je seulement en train de plaisanter? Bonne question! Cependant, pas le temps de réellement réfléchir à cela vu la question de Calixte. "Oh tu lui fais faire le tour du bastion? Permettez-moi de vous suivre, plus on est de fous..." Et puis, ça me permettra peut-être de me venger à un moment ou un autre? Il faut se méfier du scorpion qui dort...
A les entendre, on oublierait presque qu’il s’agit de militaires accomplis, dans l’exercice de leurs fonctions : ils paraissaient très décontractés et évoquaient des anecdotes de leur vie « civile » sans gêne particulière. En soit cela ne la dérangeait pas le moins du monde, il fallait juste s’adapter comme on dit.
Ils parlaient d’achat d’immobilier, d’une de leur collègue, Khalie, et se tiraient gentiment dans les pattes pour des histoires d’entraînement matinal. Non vraiment, Ayah avait l’impression d’être de retour à l’Académie et c’était plutôt amusant, elle devait bien le reconnaître.
Ce fut Calixte qui reprit en premier la parole une fois qu’elle eut terminé sa brève « présentation » au nouveau venu. Le blondinet lui indiqua qu’il partageait autrefois la même chambre que lui, et qu’ils avaient une autre colocataire en la personne de Khalie.
Elle se souvenait que Calixte avait évoqué ce point quand il lui avait parlé de ses familiers, il disait que leur chambre s’était littéralement transformée en ménagerie. Distraitement elle imagina la situation et se demanda quel genre de capharnaüm ce devait être.
Et ensuite, dans le plus grand des calmes, le jeune homme lui avait indiqué que le nouveau venu avait en réalité changé de chambre pour… S’attirer les faveurs du capitaine ? Elle se demanda ce qu’il voulait dire par là et si c’était bien ce qu’elle pensait.
En tout cas quand il évoqua la fameuse règle des trois boutons, dans une sorte de confidence et lui indiquant la tenue de Valentino, elle crut comprendre où il voulait en venir. Mais essaya de ne pas relever, après tout chacun faisait ce qu’il voulait !
« Oh… Heu… Je comprends. » Lui dit-elle sur le même ton de confidence, un peu perdue, ne sachant pas trop quoi répondre. Elle ne voulait surtout pas porter un jugement sans connaître cette personne !
Instantanément Calixte se déroba à l’emprise de Valentino et se glissa dans son dos, comme un gamin qui aurait fait une bêtise et qui essaierai de se dérober à la punition. Elle eut comme l'impression qu’elle était en train de servir de bouclier humain tandis que le coursier faisait en sorte d’avoir un obstacle entre lui et son adversaire.
Son autre interlocuteur paraissait médusé par ce qu’il venait de dire. Mince… Peut-être que ça devait rester entre eux ?
« Heu… Calixte ? Il n’avait peut-être pas envie que tu m’en parle. »
Elle ne comprit pas vraiment la situation et se contenta donc de reporter son attention sur l’homme aux cheveux noir qui ne s’était pas encore présenté. En tout cas sa réaction face aux explications du blondinet ne se firent pas plus attendre, et il éclata d’un rire franc et communicatif.
Prestement, il balaya d’un revers de main les accusations du blond, invoquant le fait que le capitaine Yuduar avait un peu trop de barbe pour lui.
Elle comprit bien vite que Calixte, très joueur s’amusait à provoquer son camarade dans une sorte de jeu enfantin, sacré lui, il n’en perdait pas une apparemment. Néanmoins, elle se retint de préciser qu’il pouvait toujours demander au capitaine de se raser en cas de besoin… Cette pensée l’amusa et lui arracha un sourire, mais elle n’était pas d’un naturel aussi taquin que Calixte.
Enfin, le lieutenant Rivolti s’était maintenant présenté. Et Ayah chassa de ses pensées les taquineries dont il faisait l’objet, il y avait surement encore un peu de place quelque part dans sa tête…
Toujours était-il : il n’avait pas l’air de souhaiter être traité avec la rigueur protocolaire que l’armée associait généralement à son grade. Ayah, était cependant une personne plutôt disciplinée et avait un peu de mal à se sentir sur un pied d’égalité avec ses supérieurs dans ses échanges.
Toutefois, elle n’en dit rien et respecta son souhait d’éviter les fioritures protocolaires, elle essaya donc de continuer à échanger avec lui sur le même ton, bien que cela n’était pas très naturel pour elle.
« Merci Val. Eh bien… J’espère être à la hauteur pour les entraînements ! » Dit-elle avec un air gêné en se grattant l’arrière de la tête.
Elle ne rechignerait assurément pas à la tâche, puisqu’elle était là pour ça, mais elle ignorait l’intensité des entraînements de ce régiment.
Quand Calixte lui demanda si elle savait dans quelle chambre elle allait devoir poser ses bagages, elle fouilla quelques instants dans la poche de sa ceinture.
Valentino semblait plutôt d’attaque pour les accompagner, très bien, ça lui donnerait peut-être l’occasion d’assister à une nouvelle joute verbale entre les deux loustics. Le reste de la visite s’annonçait haute en couleurs.
« Je crois que c’est écrit sur mon ordre de mission… C’était… La chambre P302 il me semble ? Attendez, il faut que je vérifie… »
Mais, alors qu’elle continuait de fouiller dans les plis de sa ceinture, elle sentit quelque chose d’inhabituel sur son poignet : c’était doux et tiède, mais un peu gluant.
Elle ressortit sa main avec précaution et constata qu’une drôle de créature s’y était accrochée. C’était un petit être d’une dizaine de centimètres de long, avec des formes rondelettes. Elle plaça sa main devant son visage pour mieux observer la bestiole, avec curiosité et intérêt. La créature avait une sorte de visage sommaire, composé d’une petite bouche et de deux yeux ronds.
« Mais c’est… » Commença-t-elle.
* Un glooby ? * Finit-elle intérieurement.
« Calixte… Tu ne cherchais pas un glooby par hasard ? »
Elle savait ce qu’était un glooby, mais c’était la première fois qu’elle en voyait un de si près. Plutôt mignon comme familier, elle comprenait que certaines personnes en soient folles, bien que leur aspect un peu limace ne fasse clairement pas l’unanimité.
Avec douceur elle gratta gentiment la tête de la créature.
- Tu pourrais être étonné, Emeor a bien des facettes, répondit simplement Calixte en poussant le vice à tirer la langue à son ancien colocataire par-dessus l’épaule d’Ayah. Savais-tu que le premier jour de notre rencontre il m’a emmené boire un thé au-dessus d’un magasin d’accessoires érotiques ?
Le rire puissant de Valentino ricocha contre les murs bordant les jardins, faisant sursauter le teisheba qui leva un museau surpris sur les mèches claires de l’espion, cueillant presque les premiers bourgeons précoces alentours, vrillant les tympans d’une joie communicative. Les yeux ambrés du coursier papillonnèrent quelques secondes d’amusement redoublé, le temps de reprendre contenance, avant de se tourner vers le visage de la soignante.
- Ca ferait de toi notre nouvelle colocataire, à Khalie et moi. Et tous nos familiers. Tous mes familiers, nota songeusement Calixte à la mention de la chambre P302, une fois que les présentations eurent été plus correctement faites. Ca peut ne pas en donner l’impression ainsi présenté, mais ce Régiment est aussi sérieux et efficace que les autres. A peu près. Presque. Si on y regarde dans le noir, les yeux fermés. Promis, affirma-t-il d’un ton léger, tapotant amicalement sur les épaules d’Ayah avant de lui rendre son espace personnel.
Les yeux à nouveau rivés sur la feuille froissée que Réno lui avait remis, cherchant à confirmer ou infirmer les propos de la jeune femme, le coursier fut surpris lorsque celle-ci lui parla de glooby.
- J’en ai assez mais, ah, commença-t-il avant d’aviser la petite créature engluée sur la main de la soignante.
Avec curiosité, il se rapprocha à nouveau d’Ayah, et se pencha légèrement pour mieux observer le glooby qui semblait être décidé à occuper la paume de celle-ci.
- Une civile cherchait un glooby nommé Rhubarbe, dans la cour d’entrée, indiqua-t-il à Valentino pour le mettre au parfum. Celui-ci aurait servi de témoin pour une affaire quelconque, et un collègue aurait été peu prévenant sur la fin de son entretien.
Amenant sa dextre à la hauteur de celle de la jeune femme, imitant cette dernière, Calixte caressa le renflement servant de tête à la petite bête afin d’attirer l’attention de celle-ci. Deux yeux ronds se levèrent vers lui d’un air attentif mais un peu simplet.
- Rhubarbe ? tenta le coursier. Rhuuubarbe ? Soit ton moyen de communication est réservé à ta propriétaire, soit tu n’es pas Rhubarbe, conclut-il devant la vacuité persistante du regard de la créature, en dépit de ses mimiques ravies laissant le doute sur un possible acquiescement. Peut-être pouvons-nous poursuivre par le pôle médical, proposa-t-il en se redressant. On peut y accéder par cette porte-ci. Et puis retourner vers l’entrée ensuite, voir si Rhubarbe est bien Rhubarbe.
Ouvrant la marche, il les fit contourner un parterre de frileuses tiges déplumées de leurs atours en cette saison, et poussa le battant qu’il avait indiqué. Dans le couloir monochrome dans lequel il pénétra, une odeur prégnante de désinfectant donnait le la. Tenant la porte pour laisser passer Ayah puis Valentino, l’espion claqua un ersatz de salut militaire au passage de son supérieur avant de lui emboiter le pas.
- Plus on est de fous, plus on est efficaces pour trouver l’origine du vent, commenta-t-il d’un ton taquin en souvenir de leur colocation. Le passage à droite, Ayah, et on tombera sur l’accueil, indiqua-t-il à l’adresse de la jeune femme avant de reprendre à celle de son ami. Comment se passe le boulot ? Pas trop de paperasse avec les galons ? Je sais que Khalie arrive encore à t’avoir en tête à tête pour des assignations – et ça compte comme un rencard ou pas ? – mais tu te fais au travail de superviseur ?
Il y avait du mouvement en haut de la hiérarchie, plus ou moins à l’étude, plus ou moins établi, mais l’espion en avait eu vent par Feuille. Il se doutait que dans un avenir proche, si ce n’était déjà le cas, le lieutenant se retrouverait certainement propulsé sur des hauteurs encore plus riches en devoir et en contrôle. Plus lourdes en responsabilités.
- Sais-tu ce qu’il est prévu concernant cette île volante ? demanda-t-il d’une innocence feinte mais d’une curiosité bien réelle.
Il y avait dans le rôle d’espion une gymnastique des informations à emmêler les neurones les moins précautionneux, mais sur ce sujet qui faisait présentement la une des gazettes du Royaume, Calixte pensait peu s’avancer – surtout aussi succinctement. Il était cependant intéressé de voir ce que son ami avait perçu du commandement, et ce qu’il avait comme latitude pour l’exprimer.
- Bonjour, Désiré, salua-t-il l’homme derrière le comptoir d’accueil les regardant venir vers lui d’un œil prudent. C’est ni pour moi, ni pour le lieutenant casse-cou, assura-t-il en levant les mains en signe de paix. Voici Ayah, nouvelle recrue du régiment et du secteur médical.
La méfiance de Désiré laissa place à un large sourire rayonnant, et à un déluge de questions à l’adresse de la jeune femme. Ca n’était pas tous les jours que l’équipe soignante se voyait renforcée pour panser bleus et bosses des soldats zélés, et visiblement si les finances avaient permis d’ériger une statut en l’honneur de la jeune femme, Désiré se serait empressé de prendre ses mensurations. A la place, il l’interrogea dans un souffle sur ses origines, son parcours, ses habitudes de sommeil, ses préférences en thé et/ou café, son avis sur les bonbons à la menthe, ses ambitions dans la Garde, ses projets de congés pour l’organisation des gardes, son choix de couleur pour la tasse attitrée qui la suivrait bientôt au long de ses journées chargées, et l’utilisation du glooby – oui, celui sur sa main, car n’était-ce pas le sien ? – comme compagnon de soin.
- Elle s’en sort pas mal, non ? fit Calixte avec amusement à Valentino, regardant l’affable soignante se dépatouiller de l’enthousiaste Désiré. Ayah, on peut t’attendre là, si tu veux déjà faire un petit tour du pôle. A moins que tu ne préfères repasser plus tard, plus longuement ?
Mais bon, cela étant dit, j'vois surtout qu'il faut que je rétablisse une réalité absolue, j'vais pas non plus le laisser raconter n'importe quoi sans démentir, encore une fois j'ai ma réputation et apparemment, notre nouvelle camarade n'est pas du genre à remettre ce genre de confidence en question : potentiellement naïve donc? La pauvre, avec tous les spécimens qu'on a dans le régiment elle risque de tourner un peu en bourrique non? On verra bien, j'vais surveiller ça de près malgré tout. Quelques brimades ça fait pas de mal et ça forge le caractère mais si c'est à ses dépends, c'est aussi mon rôle de lieutenant de pas laisser cela se faire. J'sais bien qu'avec Calixte il n'y a pas de risque, j'le vois pas trop profité de la crédulité de la demoiselle mais avec certains autres "personnages" on n'est jamais trop prudent.
Déjà un bon point, elle semble pas trop à cheval sur le règlement! Sans dire qu'elle soit particulièrement à l'aise avec ce fait, elle accepte de laisser tomber le protocole à ma demande, un bon point pour elle! J'veux pas forcément des rebelles intenables dans nos rangs mais quelqu'un qui sait se détendre c'est une bonne chose. Bon, j'vois bien qu'elle a l'air gênée mais j'apprécie l'effort et ça me fait doucement sourire.
Chambre P302? Putain que le monde est petit, cela veut dire que la demoiselle va sans doute récupérer mon ancien lit. Ça veut aussi dire qu'il faudra que je sois plus prudent si j'vais réveiller Khalie le matin pour une raison quelconque... Avec Calixte, je sais qu'il est bien plus lève-tôt que ma compagne donc, généralement, j'défonce la porte d'un grand coup de pied sans aucune douceur en sachant que j'vais juste faire sursauter ma conjointe. Avec Ayah dans la chambre... Mouai, vaut mieux éviter! J'ai déjà une réputation, anciennement justifiée, de dragueur beauf invétéré, on va faire en sorte de pas se retrouver dans une situation compromettante à cause de mes vieilles habitudes... Manquerait plus qu'on me prenne pour un voyeur ou une autre connerie du genre, comme si mon dossier n'était pas déjà assez bien rempli. Évitons les quiproquos...
"Hey! J'peux pas te laisser dire ça Cal'! Notre régiment est tout aussi bon que les autres, voir même meilleur! Déjà, parce que j'y suis lieutenant, un avantage qu'aucun autre n'a..." Dis-je sans aucune modestie avec un sourire éclatant. "Puis on a d'excellents éléments : les Valkyries, l'unité de cavalerie, Khalie quand elle n'a pas la flemme..." Je continue en énumérant avant de me marrer doucement. "Ouai, Khalie est un excellent élément, suffit de savoir la motiver un peu et j'suis particulièrement doué pour ça! WOUARFOUAFOUAF" Amis de la délicatesse et du bon goût, bonjour... "En plus maintenant on a un médecin de terrain en plus pas vrai Ayah? Faut pas être faussement modeste mon vieux!" Même si, au fond, j'suppose que ça donne un certain équilibre avec moi qui ne suis absolument pas modeste?
"Bon allez, allons voir le pôle médicale et ensuite on verra pour Rhubarbe... Je sens que ça va encore être n'importe quoi cette histoire." Dis-je, soupirant d'avance alors que cette civile va sans doute me tenir la jambe une fois qu'elle aura apprit mon grade. Les joies des responsabilités... Et en parlant de cela... "M'y faire? J'étais fais pour ce boulot ouai! Effectivement, j'vais pas dire que c'est de tout repos puis bon, j'suis plus un homme de terrain que de bureau - c'est bien pour ça qu'on va vite apprendre à se connaître toi et moi Ayah - mais faut ce qu'il faut, avec les responsabilité viennent les papiers... Concernant l'île, ouai je sais des trucs, être lieutenant ça donne ce genre "d'avantages" si j'peux dire mais rêves pas Cal' j'vais pas satisfaire ta curiosité! Temps que le capitaine n'en parle pas, j'suis muet comme une tombe diablement sexy... Enfin, autant que peut l'être une tombe!" J'suis certes une grande gueule mais quand il s'agit de la garde et des information, j'laisse passer que le nécessaire. J'sais bien que le capitaine est du genre à partager les informations mais moi, j'suis plus discret, surtout lors d'un événement aussi inquiétant. Sans savoir si le plan sera réellement efficace, vaut mieux ne pas en parler présentement, c'est ma manière de voir les choses en tout cas.
On arrive au pôle médicale et immédiatement, ce cher Désiré semble déjà inquiet de nous voir le jeune coursier et moi. Faut dire qu'entre sa maladresse et mon tempérament impulsif, on doit être ceux qu'il voit le plus souvent. Un grand soulagement se fait voir lorsqu'on lui présente sa nouvelle membre d'équipe et j'soupire doucement. "Le laisse pas te mettre n'importe quoi en tête Ayah!" Dis-je en riant doucement avant de la laisser s'éloigner avec ce bon vieux Désiré qui ne semble pas près de la lâcher. "Plutôt oui! En tout cas, elle a l'air sympa... J'pense que ça va être intéressant de l'avoir ici même si la pauvre n'est pas au bout de ses peines héhé" Faut dire qu'entre Calixte, Solveig ou même moi, elle est au meilleur endroit pour avoir du boulot.
Ayah connaissait le principe de cohabitation dans les chambres des casernes. Elle avait d’ailleurs déjà eu différents colocataires durant toutes les années qu’elle avait déjà passées au sein de la garde, et elle n’avait jamais eut de problème avec les autres.
A peine Calixte eut-il évoqué quelques réserves ironiques sur le sérieux du régiment du sud que Valentino le reprit immédiatement, d’une voix sûre et sans équivoque.
Le lieutenant Rivolti semblait défendre bec et ongles les qualités du régiment, dont il ne semblait pas peu fier. Et c’était une bonne chose ! Il fallait de l’entrain et de la motivation pour diriger des troupes, ce qu’il semblait parfaitement détenir.
Elle acquiesça quand il l’interpella et évoqua son rôle de médecin de terrain. Oui, il faisait fort bien de le préciser de cette manière. Elle n’aspirait pas particulièrement à rester cachée derrière les murs réconfortants d’une caserne et avait réellement l’envie d’aller au front.
Le régiment Al Rakija n’avait réellement rien à envier aux autres, elle en était intimement convaincue et se sentait très fière de l’intégrer officiellement.
Pour en revenir à nos bestioles. Calixte semblait perplexe sur le fait que celui qu’elle avait dans la main soit bien celui qu’il recherchait. Selon les explications qu’il avait données au lieutenant de l’avant garde, il recherchait un glooby pour une civile.
Ayah ignorait totalement sur quoi il se basait pour décréter que la bestiole n’était pas Rhubarbe… Mais comme un dit, les voies de l’expert en gloobies sont impénétrables. La jeune femme haussa donc les épaules et plaça gentiment la créature sur son épaule droite pour se libérer les mains. Il était plutôt collant et semblait pouvoir se maintenir ici sans tomber par inadvertance.
Le blondinet ouvrit la voie, toujours dans son attitude enthousiaste qui était si rafraichissante et le trio traversa le jardin botanique pour arriver très vite dans un nouveau bâtiment, très sobre, et très propre. Au vu de l’odeur caractéristique d’antiseptique qui y régnait, la soignante imagina qu’ils étaient finalement arrivés dans le pôle médical et elle lança des regards curieux autour d’elle.
Le coursier l’avait alors invitée à partir devant, et elle s’exécuta, le laissant un peu seul avec Valentino.
Peut-être avait-il une affaire importante à évoquer, elle ne souhaitait pas faire office d’oreilles indiscrètes et s’engagea dans le passage qu’il lui avait indiqué.
Elle s’avança donc en tête du trio, un peu à l’écart des deux autres dans le couloir, il y avait au bout de ce dernier une porte à double battants, plutôt imposante, elle l’ouvrit.
Il y avait derrière cette prote un comptoir. Et de l’autre côté de ce comptoir : il y avait un homme, qui regarda les arrivants avec l’air méfiant de celui qui s’attend à ce qu’on lui demande une faveur.
« Heu, bonjour ? » Tenta Ayah, un peu hésitante en lui adressant un sourire gêné.
Quelle idiote, elle ne savait même plus se présenter correctement.
Heureusement les deux autres étaient là aussi, et l’attention de l’homme semblait être portée plutôt vers eux : des habitués de l’infirmerie ? Ayah le comprenait, l’infirmerie de la caserne de la capitale avait elle aussi ses habitués…
Ce fut Calixte qui répondit le premier à l’homme. Il avait levé les mains : comme si son interlocuteur le fusillait du regard ou brandissait vers lui une arme, en assurant qu’il ne venait pas pour être soigné, mais pour présenter une nouvelle recrue.
Ayah ne sut pas exactement par quelle sorcellerie il avait réussi ce tour, mais à ces paroles l’air méfiant du dénommé Désiré s’était immédiatement évanoui pour laisser place à un grand sourire.
Et c’était là que la partie drôle commençait.
"Le laisse pas te mettre n'importe quoi en tête Ayah !"
La jeune femme hocha la tête. Bah, Désiré ne paraissait pas méchant. Ils allaient se présenter l’un l’autre, il allait présenter brièvement le matériel… Eh bien non. Quelle erreur, elle comprit immédiatement ce qu’il avait voulu dire par là.
Ils s’éloignèrent un peu du duo. Désiré s’était littéralement transformé en une tornade infernale de questions. Ayah répondait autant qu’elle le pouvait, du tac au tac à ses questions courtes et faciles, et puis il sembla perdre le contrôle de la machine et posa à la suite plusieurs questions qui la laissèrent sans voix.
Son avis sur les bonbons à la menthe ? Ses congés ? Quelle tasse elle voulait ?
Bouche bée, elle échangea un regard perplexe avec le glooby sur son épaule, qui lui rendit un regard un peu niais. Non, la bestiole ne lui serait d’aucune aide dans cette situation… Elle reporta donc son attention sur son interlocuteur, qui paraissait très enthousiaste d’avoir du sang frais dans son service.
Bon, en reprenant depuis le début, elle parvint tout de même à répondre à chacune de ses questions.
Thé ou café ? Heu… Thé ? Les bonbons à la menthe ? Oui, mais sans sucre ! Bonne réponse !
Bon au moins il paraissait d’accord et elle s’épargna un débat sans merci avec lui sur les méfaits des bonbons à la menthe contenant du sucre.
Elle essayait de lui expliquer qu’elle n’avait pas particulièrement réfléchis à ses congés, qu’elle venait juste d’arriver le jour-même et que ses ambitions étaient d’être sur le terrain, avec ses camarades du régiment.
On en vint rapidement au sujet phare de cet échange : les tasses. Bah oui, comment travailler correctement sans une tasse attitrée ? Le choix de la couleur était également très important et stratégique. Enfin, d’après lui… En fonction de la couleur initiale de la tasse il faudrait la nettoyer plus ou moins souvent… Oui… Mais encore ?
Tout en l’écoutant, Ayah posa son regard sur la table sur laquelle il avait soigneusement disposé des tasses sans assignation.
D’un coup elle s’imagina les tasses lui parler en chœur avec une petite voix
* Couuuurs * *Va-t’en * *Fuiiiis*
Mouais… Pour le moment Désiré lui faisait cet effet-là. Mais c’était loin d’être un mauvais bougre hein. Elle choisit une tasse bleue, et son interlocuteur approuva le choix avec enthousiasme.
Elle tenta de rassembler ses esprits et se mit à discuter un peu plus calmement avec lui.
Très vite, elle se rendit compte qu’il semblait vraiment gentil, mais que l’unité médicale manquait de ressources. Cela expliquait l’engouement qu’il avait ressentit en apprenant qu’elle venait renforcer l’équipe. Peu à peu, elle se mit à commencer à l’apprécier.
« Le glooby n’est pas à moi. On doit retrouver sa propriétaire. »
« Oh… Je vois… Mais en tous cas saches que tu peux très bien avoir un familier qui t’accompagne dans tes soins ! Franchement parfois ça fait du bien au moral. »
Dans la confidence, il fit un signe de tête vers les deux hommes qui attendaient à l’entrée et lui confia qu’ils étaient des clients réguliers de l’infirmerie mais que ce n’étaient pas les seuls. Oh non, loin de là, malheureuse.
Il se désola ensuite que les gardes du régiment ne fassent pas plus attention dans leur mission, et à quel point il se sentait parfois comme une maman pour des gosses trop casse-cou qu’il fallait réparer régulièrement.
« Tu verras bientôt ce que je ressens ! Tu verras, ils te sortiront bien vite par le nez ces loustics ! Ces barbares sans merci qui méprisent leur propre santé ! » Dit-il en retrouvant le regard méfiant qu’il avait eut au tout début de leur rencontre et tandis qu’il observait le duo lieutenant-coursier.
La jeune femme eut un sourire amusé à ces mots. Les paroles étaient fortes, mais elle ne douta pas le moins du monde qu’en réalité Désiré appréciait beaucoup son poste et y mettait beaucoup de cœur. Bon, au moins il semblait y avoir du boulot dans cette caserne. Elle n’allait pas s’en plaindre et avait hâte de commencer.
« Ayah, on peut t’attendre là, si tu veux déjà faire un petit tour du pôle. A moins que tu ne préfères repasser plus tard, plus longuement ? »
Ayah lança un coup d’œil à Calixte, qui venait de l’interpeller, puis elle reporta son attention vers Désiré.
« Calixte et le lieutenant Rivolti me font visiter le Bastion. » Expliqua-t-elle en lui souriant chaleureusement. « J’aimerais profiter de leur présence pour finir de faire le tour. Est-ce que je peux revenir te voir un peu plus tard ? J’ai tellement de question sur l’unité médicale… »
L’agréable Désiré, ne refusa pas, bien au contraire. Il lui indiqua qu’elle pouvait revenir quand elle voulait et qu’il se ferait un plaisir de lui faire visiter le bloc plus en détail à leur prochaine rencontre.
Ils revinrent donc tous les deux vers le duo de « barbares sans merci » comme Désiré les avait appelés dans la confidence.
« On peut continuer la visite ! » Déclara gaiement Ayah. Elle se tourna vers Désiré. « Merci pour tout, on se revoit très vite ! »
Tandis qu’ils quittaient l’accueil du bâtiment de l'unité médicale, Ayah s'affaira à ressortir son ordre de mission pour y vérifier l'information concernant la chambre. Elle préférait être sûre de ne pas dire de bêtise, et fut rassurée de voir que ce n'était pas le cas.
Elle fit donc un signe de tête vers le glooby, toujours perché sur son épaule:
« On pourrait voir si on peut rendre ce pauvre glooby à sa maîtresse, enfin... S'il s'agit bien de Rhubarbe. »
- Sol m’a offert une Trousse du Parfait Maladroit pour le nouvel an, je crois qu’elle avait de la suite dans les idées. Et j’avouerai avoir fait la même chose à son égard. Je ne sais pas si dans ce cas là on peut parler de grands esprits, mais en tous cas les grands boulets se rencontrent ! Tu penses que la bonhomie d’Ayah va durer combien de temps avant qu’elle ne se transforme en fenrir et nous gronde pour toutes nos imprudences martiales ?
Il était amusant de voir la jeune femme aux prises de l’enthousiaste Désiré, tentant tant bien que mal de ne pas perdre le nord et répondre assidument à toutes ses interrogations sérieusement et sincèrement. Elle était vraiment un parangon de douceur et de gentillesse ; lumineuse et adorable comme un lumios, quoi que moins timide peut-être. Pour combien de temps ? Les heures à courir de patients en impatients, à vivre selon l’arrivée des blessures et les départs en assignation, à panser les maux des uns sans penser aux siens. Combien de temps, accrochée à sa tasse aussi bleue que ses prunelles, supporterait-elle sourire aux lèvres les maladresses et hardiesses butées de ses camarades à la délicatesse de grognours ? Quelque part, et bien que son calme tranchât avec la vivacité de Wendy, Ayah rappelait au coursier cette dernière. Et il se dit que s’il ne pouvait prendre soin de son amie affectée à la Forteresse, il pourrait certainement y mettre du sien pour veiller sur l’affable soignante.
- A propos de pôle médical et de peines, Val, il faut que je te demande… commença l’espion alors que ses pensées accrochaient l’ombre du souvenir de son dernier passage dans les montagnes avec Solveig.
Il s’interrompit néanmoins comme la jeune femme leur déclarait qu’ils pouvaient continuer la visite, et ses sourcils se froncèrent légèrement alors que sa volonté s’étiolait.
- Plus tard, conclut-il abruptement tandis qu’Ayah revenait gaiement à leur hauteur. Désiré ne t’a pas trop effrayée pour une première approche ? fit-il plus légèrement à l’adresse de celle-ci.
Ils quittèrent le bâtiment par sa porte principale, et la soignante fouilla à nouveau ses affaires pour vérifier son ordre d’affectation, et la ligne mentionnant sa chambre. Jetant un coup d’œil par-dessus son bras pour lire les indications tracées de noir, Calixte sentit son embarras croitre à mesure que sa lecture confirmait les propos précédents de la jeune femme. Assurément auraient-ils pu, Khalie et lui, tomber sur bien pire colocataire. Mais dans sa condition actuelle plus que particulière, l’espion appréhendait tout de même cette intrusion dans leur bulle bien rodée.
- Si tu as quelques jours de libres avant de prendre tes fonctions, n’hésite pas à les passer à flâner dans les rues du Grand Port ou dans les alentours. En cette saison il y a moins d’affluence que l’été, mais par beau temps la ville comme le littoral sont très agréables. Et si tu as encore de la famille dans le coin, c’est l’occasion de leur rendre visite. Par la suite, je craints qu’on ait du mal à se passer de tes services !
Le ton, à nouveau, était bienveillant. Mais la suggestion de passer ces premiers jours à découcher n’était pas tout à fait innocente. S’il était d’une résilience forgée et nécessaire à son statut officieux, Calixte ne cracherait pas sur quelques jours de battement pour discuter de certaines choses avec Khalie avant que leur nid ne trouvât un troisième occupant.
- Mais oui, retournons dans l’entrée du Bastion, poursuivit-il en se refocalisant sur l’instant présent et le glooby qui trottait toujours sur l’épaule de la soignante.
Ils empruntèrent un chemin moins alambiqué qu’à l’aller, ce qui n’empêcha pas le coursier de se perdre à nouveau dans un monologue – régulièrement ponctué des exclamations enthousiastes et rectificatrices de Valentino – d’explications aléatoires sur les âmes et les bâtisses défilant autour d’eux. Cela l’aidait notamment à se détacher du doute qui venait de ceindre son esprit, et à distraire ses songes d’inquiétudes inutiles.
Une fois la majeure partie du trajet effectuée, il ne leur fallut pas longtemps pour appréhender la silhouette de l’inconnue qu’ils avaient croisée quelques minutes auparavant, comme il semblait qu’elle avait réussi à mettre à contribution dans ses recherches une escouade de jeunes soldats. Nul doute n’avaient-ils pas osé laisser la civile à ses déboires, et s’étaient-ils laissés inquiéter par son caractère acerbe. Pensant innocemment qu’il serait fort mauvais pour l’image de la Garde qu’un familier fût perdu – voire écrasé – dans l’enceinte du Bastion, en partie par la faute d’un collègue. Rivant son regard sur le glooby qui trônait toujours sur l’épaule d’Ayah, Calixte éprouva une once de soulagement à la trépignation bienheureuse de la créature appréhendant l’inconnue plus loin. Ce devait finalement bien être Rhubarbe. Ou alors il se passait d’étranges choses dans sa petite tête de gastéropode.
Tandis que le lieutenant s’occupait des jeunes militaires quelque peu perdus dans leurs devoirs, le coursier et la soignante avisèrent la jeune femme qui récupéra le glooby d’un geste empressé. Et, pour la première fois, ses traits s’adoucirent de contentement. L’échange fut cependant très bref, l’inconnue se désintéressant très vite des soldats son Rhubarbe retrouvé et, glissant dans une étrange conversation d’allure mi verbale mi mentale, s’en fut bien vite regagner les ruelles du Grand Port.
- Une bonne chose de faite, commenta Calixte en se balançant joyeusement sur ses pieds. Peut-être pouvons-nous retourner à notre tour du Bastion. On peut passer par les terrains d’entraînement pour aller jusqu’aux baraquements, puis poursuivre en boucle jusqu’au réfectoire, proposa-t-il avant de se tourner vers Valentino. Tu vois d’autres points d’intérêt ?
Son regard balaya quelques secondes les reliefs qui les entouraient, avant d’accrocher l’un des toits les surplombant.
- On peut aussi monter sur la terrasse du bâtiment des bureaux des gradés. La vue y est chouette, quoi que venteuse en cette saison, et peut te donner une bonne idée de l’agencement des lieux.
Sauf que voici que Calixte prend la parole, j'reporte donc mon attention sur lui - rien de plus normal quand quelqu'un vous parle après tout - et j'arque un sourcil alors qu'il semble vouloir me demander quelque chose mais se ravise presque immédiatement... J'dois avouer que c'est surprenant, j'ai pas pour habitude qu'il soit si discret ou hésitant que du contraire même. J'm'apprête à le pousser un peu, essayer de lui soutirer une bride d'information sur ce qui peut bien occuper son esprit mais le retour de Ayah le sauve de mon interrogatoire bienveillant... Merde! Bon, ce n'est que partie remise cependant, après tout il a dit "plus tard" et je ne comptes pas le laisser s'en tirer sans rien dire! C'est con mais j'suis quand même lieutenant ici, j'ai pas réellement envie qu'un de mes subalternes ait un problème quelconque et le garde sur lui, surtout pas en cette période trouble. Entre cette foutue île et les anciens marines corrompus qui tentent de jeter le discrédit sur tout le régiment... C'est aussi mon rôle d'être là pour tout le monde.
J'dois avouer que j'suis légèrement suspicieux. Certes je ne doute pas que cela soit dit avec sympathie et parte d'une bonne volonté mais, proposer à notre nouvelle recrue de ne pas emménager immédiatement dans la chambre? C'est définitif, il se passe quelque chose avec Cal'! J'suis peut-être pas aussi présent qu'avant mais, malgré ma réputation de rentre dedans, c'est surtout mes talents d'enquêteur qui m'ont valu mon post et là, y a pas besoin d'être un putain de détective pour se rendre compte qu'il y a réellement quelque chose qui le préoccupe... Cela étant, j'suppose que s'il le dit c'est que c'est réellement nécessaire donc... "Cal' a raison... Profites un maximum temps que c'est possible, le boulot est prenant ici, surtout en ce moment." Dis-je en levant l'index dans les airs, désignant le toit du bâtiment mais surtout, par extension, le ciel et ce rocher flottant qui approche. Nul doute que l'on va tous être occupé avec ce morceau de terre volant.
Direction ensuite l'entrée du bastion, j'laisse Calixte et Ayah s'occuper de la dame et de son glooby pendant que j'donne mes consignes aux soldats, autrement dit : qu'ils se prennent pas trop la tête à cause de madame, ils ont fait ce qu'il fallait en proposant leur aide et tout est bien qui finit bien! C'est important de savoir encourager les troupes parfois, puis j'suis pas connu pour être le sévère du bastion - même si ça dépend des cas j'suis aussi reconnu pour faire preuve de tolérance zéro dans certaines situations - mais bref. J'retrouve Cal' et Ayah. "Avant de parler de la terrasse on va surtout parler de l'aile des officiers. C'est con à dire mais ce serait pratique que tu saches où se trouve le bureau du capitaine et celui d'Alathea... C'est l'autre lieutenant. Pour le miens... Mouai, t'as plus de chance de me trouver sur le terrain d'entrainement que dans mon bureau mais si on dit ça, t'as aussi plus de chance de trouver le capitaine dans la cuisine avec le chef que dans le sien..." Nouveau léger rire. "Quoi qu'il en soit, faudra aussi te montrer la chambre! Même si tu décides de profiter de notre conseil et de passer encore un peu de temps avec ta famille avant de venir t'installer au bastion, ce serait bien que tu saches quand même dans quel coin se trouvera ton lit pour les années à venir... Allez, allons-y mauvaise troupe!" Et, faisant volte-face, je reprends la route en direction des terrains d'entraînements comme suggéré par Calixte, après tout c'est sans aucun doute l'endroit que je connais le mieux du bastion.
Désiré était un professionnel passionné qui se dédiait corps et âme au rôle qui était le sien dans la garde. C’était aussi, elle était certaine, une personne de laquelle elle aurait énormément à apprendre.
« Il est très… Chaleureux ? Mais je pense que c’est vraiment quelqu’un de bien, la garde a de la chance de compter sur quelqu’un aussi dévoué que lui. » Répondit-elle tranquillement tandis que son précédent interlocuteur s’était déjà éloigné.
Quand elle avait ressorti son ordre d’affectation pour vérifier le numéro de la chambre qu’elle devrait occuper. Elle sentit que Calixte prélevait lui aussi cette information, mais elle ne chercha absolument pas à l’en empêcher, au contraire.
C’est juste qu’elle ne s’attendait vraiment pas à la suite de leur échange...
La proposition de Calixte avait été pour le moins étrange : prendre du temps pour aller voir de la famille et flâner dans Grand Port ? Elle n’avait pas particulièrement pensé à prendre quelques jours pour s’installer, d’autant plus qu’elle connaissait déjà plus ou moins les rues de Grand Port, surtout celles du quartier commerçant et celles qui menaient aux quais.
C’était surtout le Bastion qui recelait quelques secrets pour elle, même si elle avait fait quelques années de service dans la garde civile aux alentours de Grand Port. Elle n’y avait en réalité que trop rarement mis les pieds, restant plutôt dans les bourgades alentours.
« Ah heu… Entendu. Je te remercie pour tes conseils. » Se contenta-t-elle de répondre, haussant les épaule, l‘air dubitatif, sentant une sorte de malaise émaner du coursier.
Avait-elle dit quelque chose de mal ? Elle se demanda si elle aurait dû rester avec Désiré pour leur laisser un peu d’air et se sentit un peu mal à l’aise, persuadée d’avoir fait une bourde. Le lieutenant Rivolti s’y mettait aussi d’ailleurs. C’était une sorte de rituel d’intégration ? C’était à ne plus rien y comprendre.
Mais bon, en y réfléchissant bien, c’était peut-être normal après tout. Elle débarquait comme ça et s’incrustait dans des habitudes certainement déjà bien brossées.
« Vous avez raison, je pense que je devrais passer les voir à l’occasion. » Mentit-elle gentiment et avec le sourire pour rassurer le blondinet.
Un mal pour un bien.
Elle trouverait bien une façon de dormir ailleurs de toutes manières, elle avait l’habitude. Bon part contre il restait encore à définir exactement où elle irait.
Elle ne souhaitait pas forcément en parler, mais il n’y avait personne à Grand Port pour l’héberger. Ça fait longtemps qu’elle n’avait plus aucune famille, depuis bientôt sept printemps pour être exacte.
Bouh ! Demi-mensonge, faudrait vraiment qu’elle repasse les voir, sur leur dernière demeure, à l’occasion.
Bon, en revanche il y avait autre chose, que le lieutenant de l’avant-garde ne manqua pas de faire remarquer tandis qu’il appuyait les dires de son ami. Ayah suivit des yeux la direction dans laquelle il pointait nonchalamment son index.
"Cal' a raison... Profites un maximum temps que c'est possible, le boulot est prenant ici, surtout en ce moment."
La jeune garde, perplexe, afficha un air interrogateur en observant les toits que semblait désigner Valentino.
Bah quoi ? Il fallait refaire la toiture et il manquait de la main d’œuvre ?
Qu'est-ce qu'il voulait dire ? Elle se doutait bien qu'il évoquait un tout autre sujet, mais elle était laissée dans le flou. Et s'il parlait du fameux "désert volant"? Bien entendu, elle en avait entendu parler, mais il était parfois difficile de démêler des faits des fables
En capitale il y avait diverses histoires et rumeurs sur une "île volante", mais pas de rapports officiels… Du moins aucun n’était parvenu à sa connaissance.
De quoi pouvait-il bien s’agir ? Quel danger cela pouvait-il bien représenter ? Comment pourraient-ils intervenir ?
Calixte reprenait déjà gaiement sa visite guidée du bastion tandis que Valentino entreprenait de corriger et d’appuyer les discours du blondinet avec enthousiasme, Ayah était un peu perturbée par toutes ces questions mais essaya de les balayer pour suivre ses camarades.
Néanmoins, en mettant tout ceci de côté, la jeune femme sentait bien que Val’ ne paraissait pas du tout convaincu par l’apparente bonne humeur de Calixte. Bien qu’il participe activement à la visite, il semblait un peu préoccupé. Se faisait-il du souci pour son ami ? Si c’était le cas, c’était bien à son honneur, car les meilleurs chefs sont ceux qui savent aussi écouter…
Hormis cela, il sembla à la jeune garde qu’il n’y avait pas meilleurs guides que ces deux là pour une visite très instructive et agréable. Ces gens irradiaient une sorte de positivité et de joie de vivre très belle, chacun à leur manière. Bien que le doute n’épargne malheureusement personne.
Pour ce qui est des pérégrinations de Rhubarbe, le glooby perdu, elles connurent un dénouement heureux. Non pas que la bestiole paraisse particulièrement traumatisée par sa mésaventure, mais sa maîtresse semblait quant à elle très heureuse de le retrouver
Sa joie d’être réunie avec son familier sain et sauf était communicative, mais si elle n’était pas particulièrement douée avec les autres humains. Toutefois, son bonheur manifeste fut bien suffisant pour barrer le visage d’Ayah d’un sourire rassuré et satisfait.
Comme disait si bien Calixte, « une bonne chose de faite »
Elle devait avouer que maintenant l’absence de Rhubarbe sur son épaule lui manquait un peu. Mais au moins avait-il retrouvé sa propriétaire, lui rendant par la même occasion une certaine bonne humeur dans son malheur.
Le jeune homme proposa de monter sur la terrasse du bâtiment, de laquelle il prétendait qu’il y avait une belle vue d’ensemble sur le quartier, mais le lieutenant avait une autre idée en tête. Et ce qu’il proposait faisait parfaitement sens : visiter l’aide de l’état-major du régiment. Un bon plan.
Une nouvelle fois, Ayah hocha la tête en signe d’acquiescement quand le lieutenant Rivolti évoqua de nouveau l’idée qu’elle passe un peu de temps en famille avant de prendre son affectation, ne sachant pas trop quoi répondre à cela.
Elle se perdit quelques instants dans ses pensées, songeant distraitement à cette idée.
En tout cas elle il était sûr qu’elle ne souhaitait pas que sa présence dérange qui que ce soit et trouverait une solution temporaire.
Le trio se dirigea donc vers les terrains d’entraînement, comme Calixte l’avait suggéré.
C’étaient de grands espaces découverts, bien entretenus, parsemé de matériel d’entrainement divers et varié : armes, mannequins, obstacles, cibles… Il y avait de tout. Le sol aride, couvert d’une sorte de sable épais et de petits gravillons clairs renvoyait l’éclat du soleil.
La jeune femme s’arrêta pour détailler les lieux, plutôt impressionnée par l’ordre qui y régnait. On sentait bien que cet endroit faisait l’objet d’une attention toute particulière.
Il y avait assez peu de monde, l’entraînement matinal devait être terminé depuis bien longtemps, mais il y avait toujours quelques individus, des soldats vraisemblablement, qui semblaient s’atteler à l’affinage d’une technique ou d’une autre.
Le lieutenant Rivolti semblait très fier de cet endroit et de tout ce qu’il représentait. S’il fallait le chercher quelque part, c’était bien ici et non dans son bureau. Enfin, la plupart du temps.
En le regardant bien, c’est vrai qu’il avait plus l’air d’un homme d’action que d’un érudit, mais elle ne douta pas un seul instant qu’il menait rondement toutes les tâches administratives relatives à son unité.
Mais quelque chose d’autre retenait son attention, la distrayant quelque peu de l’enthousiaste présentation des lieux… Tout était à ciel ouvert. Et les questions qu'elle tentait tant bien que mal de taire lui brûlèrent de nouveau les lèvres.
Elle n’y tenait plus et elle avait avec elle deux personnes qui pourraient la renseigner sur ces histoires. Elle ne savait pas à quel point c’était un sujet sensible pour l’état-major, mais rien ne coûtait d’essayer. Après tout, peut-être qu’elle serait amenée à intervenir ?
« Si je peux me permettre… Vous avez l’air de dire que le pôle médical devrait être bientôt plutôt occupé. » Commença-t-elle prenant un air sérieux. « C'est au sujet de cette étrange rumeur sur une île volante ? »
Elle reporta son attention sur ses deux guides, ne sachant pas trop si elle empiétait déjà sur une pente glissante.
- Tu as une arme de prédilection, Ayah ? demanda Calixte tandis qu’ils dépassaient la rangée de cibles servant aux entrainements de tirs divers. Ou un type de combat que tu affectionnes plus que d’autres ?
Peut-être qu’étant soigneuse de base, ses compétences martiales se réduisaient au minimum syndical. Mais elle avait rapidement acquiescé à l’idée de faire du terrain, et le coursier l’imaginait donc difficilement inapte de ce côté. Ou peut-être était-elle, comme lui-même, particulièrement douée pour l’esquive – et la fuite – et comptait s’éclipser de camarade en camarade pour leur porter ses soins au-devant du danger tandis qu’ils faisaient la peau à celui-ci. Imaginant un temps la jeune femme, boostée d’une potion d’endurance, bondissant dynamiquement de blessé en blessé, l’espion dut retenir un sourire amusé. La question d’Ayah lui permit de revenir à des considérations plus sérieuses.
Alors qu’ils poursuivaient leur chemin en contournant l’arène d’humble diamètre où un petit groupe de jeunes recrues profitait d’une période de creux pour mettre en compétition leur habileté au corps à corps, le regard de Calixte effleura par instinct la silhouette de Valentino avant de redescendre vers celle d’Ayah.
- Pour ma part c’était en ce sens, oui, répondit-il en haussant négligemment les épaules. Sauf si elle ne fait que passer pour disparaitre au-delà du ciel de la Frontière, je pense qu’on aura droit à une expédition armée pour s’assurer qu’elle – et ses possibles résidents – ne pose pas de menace. Je doute cependant que ce soit tout à fait le cas.
Cela serait certainement trop demander à Lucy – ou toute autre entité gérant la faune et la flore de l’île volante – et les précédentes expéditions liées à la découverte de nouveaux domaines magiques avaient été loin de se révéler dépourvues de risques. Calixte avait encore en mémoire les wärdans de la Cité Enfouie, le large tentacule de ténèbres qui avait définitivement happé Krista, la disparition du Prince suite à la Tour en Ruines, et les différents rapports sordides qu’il avait pu lire du fait de son statut officiel comme officieux.
- J’ai un passage à proximité prévu dans deux jours, à l’occasion d’une tournée du courrier sur le littoral sud-est, poursuivit-il songeusement.
Il aurait ainsi à loisir d’épancher une partie de sa curiosité, mais aussi de passer de longues heures moins attrayantes à détailler son rapport d’observation à l’attention de sa hiérarchie. Il espérait que cette fois-ci Apolline s’abstiendrait de rajouter d’inappropriés commentaires salaces de sa scribouilleuse, il n’avait plus tellement la place dans son emploi du temps de rajouter une énième corvée de latrines.
- Par-là, on va pouvoir couper par ce passage pour se rendre à l’état-major, indiqua-t-il en attrapant à nouveau instinctivement le bras d’Ayah pour la faire bifurquer vers le chemin que Valentino empruntait déjà. Pas sûr que celui-ci n’ait plus d’informations au sujet de l’île volante pour le moment. Ou tout du moins, officielles, poursuivit-il en relevant le regard vers le lieutenant.
Ils passèrent sous un ensemble d’arches, laissant les bruits grégaires des jeunes soldats s’affrontant derrières eux, et Valentino prit naturellement la tête de leur trio. Les yeux ambrés détaillèrent un instant la haute stature coiffée d’un hérisson noir avant de se réintéresser à leur environnement.
- Quelle sont les rumeurs qui courent là-dessus dans les casernes de la Capitale ? demanda-t-il intrigué à la jeune femme.
Il lui semblait avoir entendu tout, et de tout, mais il était curieux de connaitre la version d’Ayah. Qui, peut-être, se limitait à ce qu’elle leur avait avancé. Une île volante et c’était tout.
Sur le sommet de sa tête, s’agitant parmi ses mèches blondes relevées en points d’interrogation en raison de l’électricité statique, Vreneli sembla finalement décider de quitter son nid pour s’aventurer aux côtés du drarbuste. Comme il avait déjà croisé Aja et avait fini par comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une grosse volaille n’attendant qu’à être mangée au moment opportun, il tournoya un temps autour de la créature ailée avant de vrombir de plus en plus fort pour lui signifier son envie de jouer.
Doucement, indiqua le coursier en observant prudemment du coin de l’œil son familier.
Parce que jouer, pour le teisheba, signifiait souvent décharger une salve d’éclairs sur sa cible du moment.
- Tu lui as partagé, ou il a développé, des pouvoirs ? demanda-t-il à l’adresse de Valentino en regardant les réactions du drarbuste. Dans la boutique pour familiers côté Quartier Touristique j’ai vu qu’ils avaient un large présentoir de parchemins de magie ; j’hésite à doter Vreneli de capacités supplémentaires. Mais je ne suis pas certain que ce soit une excellente idée, ajouta-t-il en grimaçant alors que son familier se mettait à courser celui du lieutenant.
Bref, direction l'état-major! Machinalement, je sors mon paquet de cigarettes et ma pierre de feu pour m'allumer un nouveau bâton de nicotine, c'est pas spécialement volontaire, juste une habitude quand j'me perds dans mes pensés mais bon, au moins ça va me permettre de savoir si notre nouvel toubib est du même genre que Désiré à me gueuler dessus parce que j'm'abime la santé avec ce poison en tube comme il l'appel. J'peux paraître distrait et pourtant, j'écoute attentivement la conversations des deux nouveaux colocataires en devenir. C'est que ça m'intéresse de voir ce qu'ils racontent, parfois on en apprend plus sur les gens en écoutant qu'en discutant avec eux. Même si, naturellement, j'peux quand même pas m'empêcher d'y aller d'un ou l'autre commentaire par moment. "Pfeuh! Qui a besoin d'une arme quand on a des poings?" Dis-je en rejetant la fumée que j'avais en bouche dans les airs. J'sais bien que le capitaine voudrait bien que j'utilise plus d'arme et moins mes poings - ou ma tête - quand il s'agit d'un affrontement mais non, j'vais plus confiance à la puissance de mes bras, la solidité de mes os et la violence de mes coups qu'en une lame quelconque! J'crois que Désiré apprécierait aussi que j'utilise une épée - et sans doute une putain d'armure - ou qu'au moins je fasse appel à mon pouvoir plus rapidement mais merde, j'peux pas cacher ma belle gueule au monde quand même...
Concernant l'île... Pour sure ça va apporter du boulot à l'unité médicale, j'doute pas que quelques gardes vont se faire un plaisir d'aller explorer. Moi-même j'aurais aimé mais vu que, si exploration il y a, le capitaine devra sans doute s'y trouver, j'pourrais pas y aller également. Faut bien un connard en place pour s'occuper du merdier que ça provoquerait sur la terre ferme et, vu que j'suis sans aucun doute le mieux placé pour remplacer temporairement le capitaine en cas d'une absence quelconque, j'vais juste gentiment le saluer et fermer ma gueule en restant sur le plancher des vaches. Pas de chance... Cependant, j'pense pas que ce sera la seule cause de boulot de nos chers médecin : entre cette putain d'ile, les rumeurs de corruption qui risque de devenir plus chiantes encore - non parce que si on veut faire passer le sud et son capitaine pour des connards, me semble que le passage d'une putain d'île qui vole c'est le meilleur moment - et j'parle même pas de cette histoire de malandrins proche du temps dont on devrait définitivement s'occuper sans en avoir l'occasion pour l'instant. Cette foutue île est sans doute le plus préoccupant mais c'est pas le seul soucis qu'on a dans le sud et même si j'en donne pas l'impression, j'pense à tout ça moi... On ne peut pas se prétendre une lumière vouée à éclairer le monde si on ne voit pas tous les problèmes que ce dit monde rencontre.
"J'en sais autant que j'dois en savoir et c'est pareil pour vous!" Ouai, j'aime pas le protocole mais parfois faut le faire respecter. Bien-sûr j'en sais plus que je ne le dis mais j'ferme ma grande gueule temps que c'est pas nécessaire d'en dire plus. Les rumeurs de la capitale, j'm'en tamponne le fondement pour être honnête, la commission va encore nous dire quoi faire sans qu'un seul membre ne bouge son cul de son fauteuil donc bon, pas très important. "Est-ce que ça te fait peur Ayah?" Voilà la vrai question après tout, mais avant qu'elle réponde, j'donne mon propre avis. C'est parfois plus simple d'en parler quand quelqu'un d'autre le fait avant. "Personnellement... Ça m'intrigue autant que ça me terrifie! D'abord une tour qui apparait de nul part, ensuite une cité qu'on trouve sous terre et maintenant une putain d'île qui passe tranquillement dans le ciel? C'est inquiétant de voir le nombre de merde dont on ne sait encore rien vous trouvez pas?" Nouveau rejet de fumée alors que j'écrase mon mégot sur la semelle de ma botte. J'vais quand même pas balancer une clope à terre surtout pas avec Aja qui se promène à côté. D'ailleurs, ce-dernier se met à courir dès que le familier de Cal' vient le titiller un peu.
"Partage de sens!" Dis-je en réponse à la question de mon ami. "Avec ses feuillages il a un camouflage naturel et il me sert d'espion personnel en me laissant voir à travers ses yeux... C'est dingue comme c'est utile un familier en plus d'être une excellente compagnie! J'aurais pas cru avant de l'avoir!" Dis-je en riant avant de bifurquer une nouvelle fois, enfin dans l'aile des officier, j'ouvre une porte sans aucune hésitation. "Ça c'est mon bureau, pas grand chose à voir dedans mais j'te le signal parce que quand on aura terminé le petit tour faudra qu'on remplisse quelque papier toi et moi Ayah... J'm'occupe un peu plus de la paperasse depuis qu'Emeor est parti." Dis-je en ajout en regardant Calixte.
« Hum… J’ai une préférence pour les épées légères. » Fit-elle après un court instant de réflexion. « Quant au style de combat… »
C’était une question qu’elle ne s’était jamais vraiment posée à vrai dire. Elle avait réellement vocation à faire du terrain mais n’avait jamais obtenu d’assignation sur des missions qui demandaient réellement des compétences martiales très élaborées… Une escorte par ci, de l’assistance médicale par là…
L’espace d’un instant elle repensa à cette aventure contre un mâne dans les sous-sols de la Capitale et à quel point elle avait été inutile sur l’aspect combat… Mais c’était un contexte particulier, elle était sûre qu’elle pouvait mieux faire. Toujours est-il, elle avait bien failli y laisser sa peau.
« Je mise beaucoup sur la rapidité et la souplesse. Sur de vraies interventions, mon rôle sur le terrain est plutôt un rôle de support : j’essaie de porter assistance aux blessés tout en les protégeant s’il le faut. »
Elle marqua une courte pause avant d’avouer à sa grande honte :
« On va dire que la force brute n’est pas vraiment mon point fort… »
Bon ça… Il fallait s’en doutait, en mettant Ayah à coté d’un type comme Hryfin on sentait bien qu’il y avait comme un petit écart logistique entre leurs deux carrures…
Oui, l’hippogriffe de la garde royale était une comparaison peut-être un peu exagérée, mais même à côté d’une carrure plus « commune » pour un garde, comme le lieutenant Rivolti, elle faisait plutôt pâle figure.
Mais c’était comme ça… Parfois elle aimait bien enfoncer des portes ouvertes.
Valentino semblait suivre tranquillement leurs échanges, une cigarette à la main. Il paraissait un peu perdu dans ses pensées.
Il fumait. Avait-il été correctement sensibilisé aux méfaits de ce genre d’habitudes ? Elle nota dans un coin de son esprit qu’elle devrait discrètement s’en assurer un jour ou l’autre sans pour autant se permettre de lui faire la morale, c’était un supérieur après tout.
"Pfeuh! Qui a besoin d'une arme quand on a des poings ?"
Quoi ? Se battre à mains nues ? En voilà une drôle d’idée.
Elle lui jeta un regard interrogateur, cherchant à déterminer si c’était de l’humour ou s’il était sérieux. Cela dit… En le regardant bien, il était vrai qu’il présentait par endroits ce qui ressemblait à des stigmates de blessures passées…
Elle ne le connaissait pas vraiment, mais il lui donnait plutôt l’impression qu’il fallait prendre cette remarque complètement au pied de la lettre le concernant… De toutes façons elle serait bientôt fixée quand il aurait son prochain rendez-vous à l’unité médicale.
Était-ce donc ce genre de comportement qu’évoquait Désiré quand il parlait de « barbares sans merci qui méprisent leur propre santé » ? Tout ceci sonnait plutôt comme une bonne explication…
Les considérations médicales l’avaient donc poussées à les questionner au sujet de la fameuse île volante. Mais la réponse de Calixte lui sembla quelque peu évasive : il confirma cependant qu’il estimait que ce phénomène était effectivement une source d’inquiétude pour la garde du Sud et que des troupes seraient dépêchées sur les lieux.
Il apparaissait que lui-même ne savait pas vraiment de quoi il retournait, et que les seules informations officielles soient perdues dans un flou artistique… Il révéla cependant qu’il allait prendre le temps d’observer les choses de loin à l’occasion d’une tournée plus au Sud.
A cela Ayah se souvint que Calixte s’était présenté comme un coursier du régiment, mais il n’avait pas vraiment évoqué d’autres fonctions.
« On est sûrement tous un peu polyvalent je suppose… T’arrive-t-il de te batte, Calixte ? »
Au vu de l’enthousiaste qu’il avait l’air de réserver aux entraînements matinaux de Val, sa curiosité la poussa à se demander s’il pouvait participer à des interventions armées impliquant des combats. Après tout, tout coursier fût-il, il restait garde…
Valentino, quant à lui semblait en savoir un peu plus sur le sujet, mais signifia habilement qu’ils auraient l’information adaptée à leur rôle en temps voulu. Sous-entendait-il que l’état-major détenait davantage de renseignements sur ce phénomène si singulier ? Peut-être, c’était vraiment probable…
Néanmoins Ayah ne chercha pas plus loin et se rangeait plutôt docilement du côté de la hiérarchie.
Calixte, dans un nouvel élan d'enthousiasme, avait saisi son bras pour bifurquer brusquement dans une autre direction. Ils suivirent le lieutenant de l'avant-garde dans un passage un peu dérobé. Là, le coursier manifesta un intérêt certain sur ce qui se murmurait dans la cité royale au sujet de l'île volante.
« Les rumeurs de la Capitale ? »
Elle prit quelques instants pour se remémorer globalement ce qu’elle avait pu entendre à ce sujet… Il y avait vraiment des informations loufoques qui pouvaient circuler.
« Hum… C’est plutôt décousu… Rien de bien concret je dois dire. Le truc le plus bizarre que j’ai entendu c’est qu’un homme en vert avec un pipeau accompagné d’un ours descendent chaque soir sur un nuage pour raconter des histoires aux enfants et leur jeter du sable dans les yeux… Enfin… Je n’ai pas très bien compris je crois… » Dit-elle, se tenant le menton.
Oui… Elle avait sûrement mal compris quelque chose, la scène lui semblait si incongrue…
"Est-ce que ça te fait peur Ayah ?"
Est-ce que ça lui faisait peur ?
La jeune femme étudia silencieusement la question tandis que le lieutenant évoquait un ensemble de phénomènes surnaturels survenus dernièrement. En y repensant bien… Il était vrai que le vaste monde recelait de nombreux secrets…
Est-ce qu’il fallait en avoir peur ? Sûrement, mais cela ne donnait-il pas de piment à la vie ?
En tout cas Valentino n’était pas homme à se cacher derrière de faux semblants et parlait avec une franchise presque déconcertante, ne cachant pas ses propres craintes. Il fallait du cran, elle lui reconnut cela.
« Honnêtement… Je ne vais pas prétendre que je n’ai pas peur. Mais sans peur pas de courage, pas vrai ? »
Un sourire optimiste apparut sur son visage tandis qu’elle haussant les épaules :
« Disons que je préfère vivre en l’affrontant que d’en mourir durant toute mon existence. »
Elle observa avec curiosité Vreneli qui paraissait s’intéresser au familier qui suivait le lieutenant de l’avant-garde. Les deux hommes discutèrent ensuite de préoccupations relatives à leurs compagnons et Ayah les écouta tranquillement en continuant de contempler les deux bestioles.
Partage de sens ? Les animaux qui accompagnaient ces deux militaires semblaient tout autant être des compagnons de vie que des aillés de mission…
Ils évoluaient à présent dans l’aile de l’état-major, et Val ouvrit sans hésiter l’une des portes, présentant le bureau sur lequel elle s’ouvrit comme le sien. En passant devant, la guérisseuse jeta un coup d’œil à l’intérieur :
« Entendu. » Dit-elle tranquillement à l’adresse de Valentino. « On peut régler ça après la visite alors ! »
Elle se demanda alors si les services logistiques de la capitale avaient bien transmis son dossier, ou si ce dernier était arrivé tout court… Elle lui lança donc un regard curieux :
« Il te manque beaucoup d’informations ? »
Pour le moment, elle avait donc vu les bâtiments de l’administration, le pôle logistique, le pôle médical, les salles d’armes, les écuries, le jardin botanique, le terrain d’entraînement, et pour finir l’aile de l’état-major.
On lui avait aussi indiqué la direction des sous-sols, de la salle de repos et de la bibliothèque… Cela faisait beaucoup de choses à retenir, mais Calixte et Val avaient mené la visite d’une main de maître et elle se sentait plutôt à l’aise pour retrouver tout ce qu’ils lui avaient montré.
Reportant son attention sur ses deux guides, la jeune femme cherchait toujours à satisfaire sa curiosité concernant l’organisation du régiment Al Rajika.
« Et donc, l’état-major actuel est composé du lieutenant Rivolti, du capitaine Yuduar… Qui d’autre ? Qui est responsable de l’unité médicale ? Désiré ? »
Elle espéra ne pas passer à coté d’un nom éminent, mais elle réalisa qu’elle ne savait pas grand-chose de la hiérarchie du régiment. Il faudrait quand même qu’elle rencontre son nouveau capitaine un de ces jours.
Ils terminaient de faire le tour des éléments d’intérêt dans le quartier de l’état-major quand Ayah reporta son attention sur son premier guide : l’optimiste blondinet.
« Je ne m’installerai pas immédiatement, mais ça te dérangerait de m’indiquer où se trouvent les dortoirs et la chambre ? » Elle eut un petit rire et se mit à se gratter l’arrière du crâne dans une attitude légèrement gênée. « Il faudra bien que je la trouve un jour ! ».
Son attitude s’adoucit tandis que ce léger passage de gêne pas vraiment justifié se dissipait, elle se sentait déjà plus apaisée.
« Et merci de tout cœur pour cette visite… Grâce à vous deux je me sens déjà presque à la maison ! »
- Il m’arrive de me battre, oui, répondit-il à la jeune femme. Mais comme toi, je suis bien plus utile en soutien qu’autre chose. Ou en reconnaissance. J’ai un pouvoir pratique de ce côté-là. Je peux me fondre dans les objets, fusionner avec eux, expliqua-t-il sommairement. Tu as un pouvoir en rapport avec ton statut ou pas du tout ? demanda-t-il intrigué à sa collègue.
Sans doute cette information, comme les autres, était-elle inscrite sur la feuille à présent complètement froissée qu’il tenait encore en main, mais il lui semblait plus intéressant d’obtenir la réponse directement auprès de la concernée.
Il prêta une oreille attentive aux réponses de celle-ci, et sourit doucement à la mention d’un homme en vert accompagné d’un pipeau. Lorsqu’on avait la curiosité d’écouter les rumeurs de la ville, toutes sortes de récits pouvait nous parvenir. Familier du cercle de la noblesse, Calixte était relativement bien au fait des racontars mondains, et son statut de coursier, l’amenant aux quatre coins du Royaume, lui permettait généralement de recueillir les dernières nouvelles des milieux plus modestes. Les esclandres des riches familles comme les improbables murmures des ruelles alimentaient plus ou moins intelligemment son travail d’espion. Probablement que cette rumeur-ci, de l’homme en vert, tout comme celle qu’il avait entendue d’une cuisinière ayant le goût suspect de mélanger les différentes parties conventionnelles d’un repas en une seule mixture informe, ne trouverait pas le chemin de son rapport auprès de la Maître-Espion. Ou, actuellement, de Lichael. Les songes s’échappant un temps du côté de son collègue du pôle d’espionnage, Calixte se dit qu’il pourrait peut-être mettre à profit son prochain compte-rendu pour rejoindre l’homme pour un thé. Mais assurément s’épancheraient-ils alors sur leurs vies personnelles, et le coursier avait certains points à régler avant de mettre au grand jour une vérité particulière.
Son attention revint un peu abruptement à sa situation présente lorsque Valentino leur posa une question, et il écouta la réponse d’Ayah pour tenter de rattraper ses wagons de retard. Il n’avait aucune idée du sujet actuel de la conversation, et avant de proposer une réplique qui risquait de tomber comme un cheveu sur la soupe, il préférait étudier les propos de la jeune femme. Qui parlaient de… courage ? Hochant la tête à la propre interrogation de la soignante, Calixte fut finalement soulagé de l’impatience de Vreneli détournant presqu’immédiatement son attention.
- Un compagnon plus discret que son maître, taquina-t-il lorsque Valentino répondit affablement à son changement de sujet. Mais pas moins courageux, ajouta-t-il lorsqu’il fut clair qu’Aja ne fuyait pas le teisheba teigneux mais se prenait au jeu de leur course-poursuite.
Ils pénétrèrent dans le bâtiment de l’état-major, et le lieutenant prit la direction de leur visite. Ils échouèrent dans le bureau de celui-ci, et il semblait que Valentino et Ayah devraient par la suite fignoler l’arrivée administrative ce celle-ci. Répondant d’un sourire amusé à la remarque de son ami, Calixte songea que oui, pour tous ses défauts, loin d’être un tire au flan, Emeor Calyx avait eu le mérite d’être redoutablement efficace pour tout le côté paperasse.
- Non, répondit-il à la jeune femme en la tirant doucement par l’épaule pour la faire ressortir du bureau et gagner la large plaque à l’entrée du bâtiment récapitulant les diverses factions et leurs chefs respectifs. Tout en haut, le Capitaine Al Rakija ; tu noteras qu’on est le seul régiment à porter le nom de son Capitaine, commenta-t-il en arquant les sourcils. Qui gère aussi directement la Cavalerie, poursuivit-il en indiquant du doigt la branche appropriée de l’organigramme. Le lieutenant Rivolti, ici présent, est en charge de l’Avant-Garde. Pour l’Unité Médicale, c’est auprès du Major Guyo Sashang que tu répondras. Et pour ma part, côté Logistique, c’est le Major Ochek qui nous gère depuis le départ du lieutenant Calyx. Il y a aussi les Majors Windbell, Loritza et Prêth – même si actuellement c’est un peu plus complexe que cela pour les Valkyries – pour les Fantassins, la Navale et les Valkyries respectivement.
Après avoir laissé Ayah s’imprégner de l’organisation du Régiment, il tourna un regard un peu surpris vers elle, ses méninges rétropédalant pour tenter de comprendre la soudaine gêne dont elle semblait faire preuve. Ses lèvres s’entrouvrirent sur un « non, ça ne me dérange pas » avant de se fermer pour suivre le fil de ses pensées, et finalement déclarer :
- J’ai l’impression de t’en avoir chassée. L’idée de ne pas t’installer tout de suite n’était qu’une proposition en fonction de ce qui t’arrangerait toi ; tu es la bienvenue à la P302 dès que tu souhaites y poser tes valises, ajouta-t-il en se penchant vers Ayah, plongeant son regard ambré dans celui saphir avec une pointe de curiosité et de suspicion.
Ce n’était pas tout à fait vrai. Il aurait été plus commode pour l’espion d’avoir eu quelques jours de délai pour organiser cette transition, mais s’adapter aux contraintes qui lui étaient imposées faisait entièrement partie de ses habitudes, et il avait la désagréable impression coupable que c’étaient ses propos de plus tôt qui embarrassaient présentement leur nouvelle collègue. Cédant encore à ses manières tactiles, il tapota doucement la couronne de mèches bleutées de la jeune femme en poursuivant :
- Comme à la maison, tu as le droit d’envoyer bouler ta famille – ou en l’occurrence tes collègues et colocataires – si tu as envie. Au pire Khalie ira bouder chez Val, et moi chez Sol ; mais n’hésite pas à nous dire les choses.
Quelle ironie. Attrapant le bras la soignante, il la tira doucement vers la sortie.
- Direction les chambres, donc. Tu as des frères et sœurs, Ayah ? embraya-t-il avec curiosité.
- Dé animation:
Ouai, ridicule sans doute mais la classe avant tout, c'est mon sourire ravageur qui illumine ce monde et c'est moins classe avec des mandibules! Bref, j'saute le passage sur les rumeurs de la capitale, ces conneries d'ours et de mec qui joue du pipeau là... Bien pour ça que j'aime pas les rumeurs, bientôt on va nous dire que c'est un nain blond et muet qui fait bouger le sable avec de grands mouvements de bras? Et puis quoi? Un vieux barbu qui ramène des cadeaux au solstice? Connerie ouai! Moi, j'suis plutôt curieux de savoir ce que Ayah en pense elle. Est-ce que cela lui plaît? Des gardes qui rêvent d'aventure, de combat, de gloire... Y en a un paquet et c'est pas forcément mal en réalité temps qu'ils font pas n'importe quoi. A-t-elle peur? Ce serait pas la première qui prierait Lucy en cachette, espérant que l'île ne fasse que passer et qu'elle ne soit pas annonciatrice de fin du monde. Toutes les possibilités sont bonnes en réalité, moi j'lui donne mon avis! Ouai ça m'intrigue, ça me plaît même! J'aimerai bien poser mes semelles sur cette terre inconnue mais en même temps, ça me fait aussi prendre conscience de tout ce que l'on ignore... J'ris doucement à sa réponse, elle mérite un petit signe du pouce.
"Une réponse en bonne et due forme Ayah! J'pense qu'on va bien s'entendre toi et moi!"
Sans peur pas de courage! C'est dingue le nombre de gardes qui n'ose pas avouer leur peur, par peur justement d'être jugé ou railler! Connerie, si vous n'avez pas peur, vous ne pourrez jamais devenir plus forts... "Plus discret? Faut le dire vite! Je te dis pas le nombre de fois qu'il s'est prit les pattes dans des buissons en faisant un bruit monstre au début!" Dis-je en riant à la remarque de Cal' concernant Aja. "Mais ouai, il est volontaire, courageux et il s'améliore. J'aurais pas pu rêver un meilleur compagnon." Que j'ajoute avec une certaine fierté en regardant le dragon végétal qui court avec le familier de mon ami...
"Hum? Oh non non! Pas trop d'informations, juste quelques menus détails..." Dis-je à Ayah en me grattant l'arrière de la tête. J'veux surtout savoir pourquoi elle semblait mal à l'aise précédemment en me disant que, peut-être se sentira-t-elle plus libre de m'en parler si Calixte n'est pas avec nous? J'laisse notre spécialiste expliquer exactement à notre nouvelle unité ce qu'il en est de l'organigramme du régiment, me contentant de faire un petit geste de la main à la mention de l'avant-garde. J'rajoute rien concernant les valkyries, j'ai encore un peu d'amertume concernant l'état du lieutenant - enfin major - Prêth. Pas que je ne me sente pas légitime, j'suis un bon lieutenant et j'fais du bon boulot mais... J'aurais aimé gagner ce post uniquement grâce à mon mérite et pas à cause du déclin de mon prédécesseur! Enfin, ça c'est ma fierté qui parle plus qu'autre chose. J'laisse les deux gamins s'expliquer concernant la chambre avant de rire doucement. "Ou bien Khalie ira bouder dans votre chambre à cause de moi? J'crois que c'est plus probable!" Ouai, vu mon comportement j'ai pas trop de doute sur ce fait. J'écrase mon mégot contre ma semelle et j'me remet en route, c'est que je le connais bien le chemin vers la chambre après tout! J'y vais souvent réveiller Khalie. "Mouai va falloir que j'évite d'ouvrir la porte d'un coup de pied!" J'me répète cela plus pour moi-même en vrai. "Hey! Bonne question ça Cal'... C'est vrai que ce serait pas mal d'en savoir plus sur toi en dehors du service Ayah! De la famille? Des familiers? Un copain? Vas-tu briser des cœurs dès ton arrivé?" Quoi? Comment ça j'suis un gamin?