Résumé MJ:

Un peu de repos ne serait réellement pas du luxe. Après les évènements de la Furie Rouge, Ayah ne s’était pas attardée en capitale après la fin de l’assignation.
 
Bien sûr, elle avait célébré sobrement leur victoire autour d’une réconfortante boisson chaude dans une salle un peu à l’écart dans le bâtiment de l’illustre caserne de la Garde Royale, néanmoins… Quelque chose ternissait le tableau.
 
La guérisseuse était heureuse et soulagée que ses deux amis, Arthorias et Calixte, soient revenus sains et sauf de toute cette aventure : mais pour autant, elle ne parvenait pas à se réjouir de la capture de la furie rouge.
 
Cette créature… C’était une humaine, tout comme elle, mais la nature l’avait affublée d’un don devenu incontrôlable. Une tragédie.
Et maintenant, qu’allaient-ils faire d’elle ?
Trouveraient-ils un moyen de complètement la faire revenir à elle sans prendre le risque qu’elle se déchaine à nouveau ?
Ou bien resterait-elle pied et poings liés, étudiée comme un pauvre rat de laboratoire ?
 
Ayah était d’humeur plutôt maussade quand elle se retrouva enfin seule et prit avec sa monture un bateau pour descendre le fleuve jusqu’à Grand Port. Ceci, pour la simple et bonne raison que ça lui permettrait peut-être de se reposer un peu avant de reprendre son poste dans le pôle médical du régiment Al Rakija à grand port.
 
Le repos fut bien plus difficile à trouver qu’elle ne l’avait escompté.
 
 
« Ayah. »
 
« Hm ? »
 
L’intéressée leva vers son interlocuteur un regard interrogateur. Assise à son bureau, elle étudiait les dossiers médicaux qui avaient été traités en son absence. Ce n’était absolument pas une obligation, elle était juste curieuse de connaître l’activité du pôle pendant qu’elle était en assignation.
 
« Bon, si tu permets, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Tu n’as vraiment pas l’air dans ton assiette depuis ton retour. Ton assignation était-elle si éprouvante ? Tu peux prendre du repos si tu en as besoin. C’est plutôt calme en ce moment. »
 
Sacré Désiré, toujours attentif à ses camarades, surtout ceux du pôle médical. Le pauvre avait dû gérer le centre de soins tout seul un bon moment avant d’avoir du renfort en la personne d’Ayah. Mais cette dernière n’était pas toujours présente. Contrairement à Désiré, la jeune femme était une soldate de terrain, et elle était régulièrement amenée à partir en assignation avec d’autres gardes.
 
La guérisseuse tâcha d’afficher un air serein et sourit affablement à son collègue et ami avant de baisser les yeux vers la tasse bleue qu’elle tenait entre ses mains, profitant du contact encore chaud d’un thé qui refroidissait rapidement.
 
« Ce n’est pas ça… Je vais bien ne t’en fais pas, disons que c’est un petit coup de mou passager. » Fit-elle avec bienveillance. « Dis-moi... Tu avais besoin de quelque chose ? »
 
Il n’était pas exclu qu’il n’ait besoin de rien et qu’il venait simplement s’enquérir de sa situation. Néanmoins, il y avait dans les yeux de Désiré cette petite lueur qui présageait généralement qu’il avait une tâche à confier ou une faveur à demander. Il n’était pas très doué pour le cacher, ce qui arracha à la soldate un petit sourire amusé.
 
« Oui, alors… C’est que ça m’embête un peu de te demander ça maintenant. Ça vient du Major Guyo Sashang. »
 
Il s’interrompit et sembla hésiter. Ayah le considéra avec une curiosité qui rendit encore un peu d’éclat à ses traits, quelques peu préoccupés.
 
« Je t’écoute. »
 
« Une demande de la part de la guilde des aventuriers lui est parvenue ce matin. Il paraît qu’une de ses connaissances là-bas a rapporté une quête avec un alchimiste tout près d’ici. Il voudrait que l’un d’entre nous aille sur place pour récupérer des informations sur cet alchimiste : il ne figure pas dans nos bases de connaissances. » Il soupira et se gratta distraitement l’arrière de la tête. « Franchement, j’aime autant rester ici pour le moment, touitefois j’irais moi-même si tu me dis que tu as besoin de repos. »
 
Une quête ? C’était donc ça qu’il voulait lui demander ? En y repensant bien, elle n’avait jamais eu affaire à la guilde des aventuriers…
 
Cette proposition semblait être un signe de la Providence, et une motivation inattendue était née de la curiosité et de l’intérêt qu’avait éveillés l’insouciant Désiré. Un grand sourire barra à nouveau le visage de la médecin quand elle entreprit de le rassurer :
 
« Désiré… Ne t’ai-je pas dit que je vais bien ? » Fit-elle, légèrement taquine « C’est une très bonne excuse pour moi d’aller prendre l’air. Alors ne t’en fais pas, je m’en charge et je reviendrai avec des informations satisfaisantes pour le major ! »
 
 
 
Tirant la monture qu'on lui avait confié par la bride, Ayah se demandait si elle n’avait pas surestimé son sens de l’orientation quand elle fut enfin dans les rues de grand port au petit matin, en quête du bâtiment de la guilde des aventuriers.
 
Il y en avait un dans chaque grande ville paraît-il…
 
Elle ne s’y était jamais rendue : les assignations de la Garde suffisaient généralement amplement pour la garder occupée, mais il semblerait que cette période soit plutôt calme.
 
Toujours était-il, elle s’auto-congratula d’avoir un sens de la ponctualité qui la poussait à toujours partir en avance par rapport à l’heure prévue, sinon elle serait déjà en retard. Elle avait rendez-vous à l’aube, à six heures, avec un représentant de la guilde : son partenaire de quête semblerait-il.
 
A cette heure-ci, les rues n’étaient pas trop bondées et le soleil pas trop insistant : un climat frais ou l’on n’étouffait pas. Mais ce ne serait certainement plus le cas dans quelques heures.
 
Le problème était qu’elle ne pouvait pas demander son chemin à un passant. Quelle honte en y repensant… N’était-elle pas originaire du coin ?
 
Elle nota dans un coin de son esprit qu’elle devrait certainement sortir un peu plus souvent du Bastion.
 
Après quelques détours, elle déboucha enfin sur la rue qu’elle recherchait : le bâtiment de la guide devait être dans le coin…
 
Il était tout juste six heures et elle descendit la rue d’un pas rapide et assuré, détaillant prestement les bâtiments qu’elle dépassait. Il y avait bien quelques personnes dehors, mais aucune ne semblait l’attendre… Hormis peut-être… Cet homme là-bas…
 
Ayah le vit au loin : cet individu plutôt grand, vêtu de noir, à la chevelure gris cendré.
 
Elle s’approcha prudemment, continuant de l’étudier tandis qu’elle n’avait pas encore attiré son attention : il se tenait résolument devant un bâtiment qui ressemblait fortement à ce qu’elle recherchait.
 
Elle put croiser son regard quand elle fut suffisamment proche pour qu’il fut évident qu’elle venait à sa rencontre. Son visage était barré d’une cicatrice sur l’œil gauche et il paraissait bien plus âgé qu’elle, sans pour autant être bien vieux.
 
En fait, il y avait en lui une sorte de contradiction : sa chevelure grise, sa barbe fournie et son regard empreint d’une expérience froide faisaient penser à un vétéran. Mais, sa corpulence athlétique et son visage, bien que fermé, laissaient penser qu’il n’avait probablement pas plus de la quarantaine.
 
* Il ne paraît pas très commode… *
 
La guérisseuse soutint un instant ses pupilles vert-de-gris avant de se présenter :
 
« Askr Belial ? » Fit-elle d’un ton posé et calme, avant d’effectuer un rapide salut militaire. « Garde Ayah Stormsong, du régiment Al Rakija. Je suis missionnée pour vos accompagner dans votre quête. »
 
Elle voulut afficher un léger sourire pour détendre l’atmosphère, mais l’individu qu’elle avait en face d’elle avait quelque chose d’un peu… Écrasant. Il était plutôt intimidant de prime abord, et, bien qu’Ayah n’en ait nullement peur, il la mettait quelque peu mal à l’aise.

Elle se contenta donc de rester professionnelle, entrant pleinement dans son rôle de garde.
 
Cette froideur calculatrice… Cet air désabusé... Elle se demanda le genre d’homme qui se cachait derrière ces traits durs.

HRP

Inventaire:

La précédente mission d’Askr l’avait amené dans le sud aux abords de grand port afin d’occire un léviaran spongieux qui avait élu domicile sous une cascade proche d’un petit village.  

Ils étaient deux pour cette quête, et l’aide d’un combattant aguerrie ne fut pas de refus pour Askr car la bestiole mesurait tout de même six bons mètres de long. La chasse se termina sans problème majeur bien que tout d’eux eurent quelques éraflures en souvenir. Les deux compagnons d’arme rentrèrent au siège de la guilde du Grand Port afin de récupérer leur due.  

“Hey Askr ! On va s’en jeter un petit dans le gosier ?” Lui balança amicalement son partenaire.  

"Je ne dis jamais non à un godet après une bonne traque." Acquiesça Askr.  

Le binôme prit la route vers la taverne où ils burent et jouèrent aux cartes dans une bonne ambiance festive. Aucune bagarre de comptoir ou problème de main baladeuse pour ce soir...Mais son collègue voulut pimenter la fin de soirée en lançant un pari à Askr :  

“Dit voir, sur cette dernière manche ça te dit qu’on mette en jeu autre chose que de l’argent ? Celui qui gagne choisi la prochaine quête que fera l’autre ! “ Déclara-t-il d’un ton joueur.  

N’ayant pas encore les cartes en main, la proposition semblait honnête. Il acquiesça d’un hochement de tête avant de poursuivre verbalement :  

“Qu’il en soit ainsi.”  

Les cartes furent distribuées et la manche, jouée. Comme souvent Askr perdit, pour la plus grande joie de son confrère.  

“Ah Ah Ah ! Décidément, les cartes sont rarement de ton côté ! Je sais déjà exactement quelle quête tu vas faire ! Ce sera de la cueillette de plantes ! “Askr le jardinier” ça sonne mieux que “Askr le tueur de monstre” tu ne trouves pas ? “ Termina-t-il avant de rire de plus belle.  

“Baaaaah j’en ai soupé, je suis fatigué, je vais aller prendre une couche et je verrai ça demain.”  

Sur ces paroles, les deux hommes se quittèrent afin de se mettre en quête d’une couche respectable pour passer la nuit.


Le lendemain matin, Askr se rendit au bâtiment de la guilde afin d’aller scruter les quêtes disponibles. Son partenaire de beuverie et de jeu de la veille l’y attendait avec un grand sourire.  

“Te voilà enfin ! Regarde, ce sera cette quête que tu vas réaliser ! Je l’ai déjà prise à ton nom. Tu feras même équipe avec un membre de la garde du sud ! “  

Askr s’approcha de l’affiche afin d’en lire le contenu.  

*Récolte d’Asclius. Hummm c’est donc bien juste une quête de récolte de plante pour un alchimiste...* Songea-t-il.  

“Tu as rendez-vous demain aux aurores avec ton futur partenaire de cueillette” Dit-il en étouffant un rire dans sa main. “Sur ce j’te laisse, j’ai une nuée de globack à tuer ! Ces sales bestioles sont en train de ravager les côtes, parait-il.” L’homme donna une tape amicale sur l’épaule d’Askr avant de s'éloigner.  

“Et fais honneur à la guilde espèce de vieux rustre !” Termina-t-il avant de disparaître sur le pas de la porte.  


Ayant dormi au siège de la guilde de Grand port, Askr était déjà sur le lieu de rendez-vous pour retrouver le membre de la garde qui devrait l’accompagner dans sa future quête de récolte. Sans trop tarder, l’homme prit son équipement et allât s’asseoir en tailleur à l’extérieur du bâtiment proche de l’entrée principale. L’aube se lèverait d’ici une petite heure, il en profita donc pour rester ainsi assis pour méditer.  

Le garde devrait arriver d’une minute à l’autre. L’aventurier se releva, laissant son regard vagabonder dans le vide. Il s’était revêtit d’un manteau à capuchon noir, car cette matinée était particulièrement fraîche pour la saison. Il fit alors tomber la capuche afin que son rendez-vous puisse le reconnaître si on lui avait transmis une description visuelle de sa personne. Il avait un gros doute sur ce point, car de son côté, il n’avait eu aucune info concernant le ou la garde qui devait le rejoindre. Après vue les circonstances du lancement de cette quête, c’était plutôt normal pour lui de ne pas avoir plus d’information que cela.

Une fine silhouette se dessinait droit devant et semblait s’approcher lentement de notre aventurier qui la scrutait du coin de l’œil, prenant garde de ne pas donner l’impression qu’il l’avait remarqué. Dévisager les gens qui marchent tranquillement dans les rues étaient assez mal vue et il ne voulait pas attirer l’attention plus que ça.

Quelques instants plus tard, la fluette personne arriva à ses abords. C’était une femme, dans la vingtaine, de faibles corpulences avec un physique élancé. Elle portait à sa ceinture une rapière, laissant supposer qu’à défaut d’avoir de la force physique, elle devait être habile et rapide pour manier une telle lame. Elle était vêtue d‘habits d'un bleu sombre et clair par endroit. Sa chevelure était sensiblement de la même couleur que ses yeux. Elle ne devait pas passer inaperçu en pleine forêt, heureusement notre quête devait nous mener sur le littoral.  

Les traits de son visage étaient assez doux, mais cachaient comme une sorte de malaise. Peut-être due à la vue de l’aventurier qui de prime abord ne donnait jamais une impression très accueillante.  

La jeune soutint son regard un instant avec détermination avant de prendre la parole :

« Askr Belial ? » Fit-elle d’un ton posé et calme, avant d’effectuer un rapide salut militaire. « Garde Ayah Stormsong, du régiment Al Rakija. Je suis missionnée pour vos accompagner dans votre quête. »

*Un salut militaire ? Vraiment ? Les gardes font donc ce genre de salut même auprès des civils ? Etonnant. De mon temps, ce n’était que pour les graders. Peut-être que ça a changé avec le temps...* Songea-t-il tout en jugeant son geste.  

“Askr suffira.” Répondit-il d’un ton neutre avant d’enchaîner : “Al Rakija dis-tu ? J’ai connu un homme portant ce nom il y a bien des années...”  

Ce nom évoquait une partie de sa vie, et faisait surtout un rappel à son passé dans la garde. Al rakija était donc maintenant à la tête du régiment du sud ? Eh bien, comme quoi, tout est possible dans ce monde.  

“Bon, je suppose que tu n’as pas vraiment plus d’information que moi sur notre destination... Je te propose donc de gagner les côtes afin de les remonter pour trouver ce petit village de pêcheurs dont fait mention le parchemin. “  

Constatant qu’un destrier accompagnait le bras de la garde, Askr prit alors la route des écuries de la guilde afin d’y récupérer sa jument.  

“Je reviens, je vais chercher Ablette.” Dit-il, sans donner davantage d’explication.  

Quelques instants plus tard, Askr sortit de l’écurie à dos de canasson et s’arrêta aux abords de la jeune garde toujours pied à terre.  

“Aller, on va prendre la route sans plus attendre.” Déclara-t-il en clôturant sa phrase par un claquement de langue indiquant à sa monture d’entamer le pas.  

Askr prit soin de ne pas trop presser le pas de manière à ce qu’Ayah puisse le rejoindre sans trop de difficulté.  

Elle arriva rapidement au côté de l’aventurier qui ne lui adressait pas un regard. Il restait très songeur, et se remémorait comment il en était arrivé là, à devoir courir la pampa avec un membre de la garde afin de cueillir des plantes. “Et fais honneur à la guilde” qu’il disait en plus. Bon, il fallait bien faire un effort, cette petite n’avait pas l’air méchante du tout et la voir ainsi mal à l’aise était quelque peu dommage.  

“Ayah ? Cela fait combien de temps que tu es garde ?” Demanda-t-il afin de lancer un banal échange de politesse avant de poursuivre : “Et à quelle unité appartiens-tu ?”  

La glace était brisée, les plates discussions pouvaient alors commencer afin de meubler un peu le voyage à cheval vers les côtes.


HRP :

Inventaire:

Résumé MJ:

De prime abord, cet homme s’était exprimé d’une manière très neutre, un peu froide, mais polie.
En soit, il ne s’exprimait pas mal, mais allait directement à l’essentiel des choses : sans détour, sans fioriture. Le nom du capitaine du régiment armé de Grand Port sembla le faire tiquer quand la guérisseuse le prononça, indiquant qu’il avait connu un homme portant ce patronyme dans le passé.
 
Ayah fut très intriguée sur le coup, mais ne releva pas.
 
Elle ne savait vraiment pas grand-chose de Yuduar Al Rakija, son capitaine. Et d’ailleurs, n’avait jamais eu l’occasion de le rencontrer. Peut-être avait-il de la famille, un frère, un père, un cousin, ou simplement un homonyme.
 
Ou alors… Cet aventurier avait-il réellement rencontré le grand chef du régiment ? Ce n’était pas une possibilité à exclure après tout, il semblait déjà avoir une certaine expérience de la vie.
 
« Ce sera donc Askr. » Fit-elle doucement risquant un léger sourire affable à l’attention de son partenaire pour au moins cette journée.
 
Concernant les Al Rakija, elle aurait sûrement l’occasion d’en savoir davantage, mais souhaitait éviter de se faire une impression trop arrêtée sur une personne qu’elle n’avait encore jamais vue en chair et en os. En soit… Elle et Askr auraient surement pas mal de route à faire, et ils auraient tout le temps de délier les langues : mais pour le moment il valait mieux commencer le voyage.
 
« Ah ? Heu… En effet… Maintenant que vous le dites… Je n’ai pas d’autres informations sur la destination. Je pensais que la guilde serait en mesure de les fournir. » Répondit-elle, un peu surprise par cette annonce de la part de son nouveau camarade, avant de se radoucir. « Mais vous avez raison, nous trouverons sûrement en chemin. »
 
Elle continua de le vouvoyer par reflexe bien qu’Askr se soit déjà mis à la tutoyer. Non pas qu’elle affectionnait particulièrement cette façon de s’exprimer, mais il y avait quelque chose chez son interlocuteur qui la poussait à ne pas faire preuve d’excès de zèle.
 
Était-ce le faire qu’il soit manifestement plus âgé et probablement plus expérimenté qu’elle ?
Sa façon de parler ? Sa façon de la jauger avec ce regard inquisiteur ?
 
Askr était parti chercher sa monture et Ayah leva les yeux vers la sienne, caressant pensivement le museau du cheval : une bête simple, mais efficace, qu’on lui avait confié. Le même qu’elle avait utilisé pour se rendre à la capitale. Ce n’était pas le sien, il appartenait au royaume, mais elle savait à peu près à quoi s’attendre avec lui.
 
* Ablette ? Comme c’est mignon. * Pensa-t-elle, amusée en observant son compagnon de route s’éloigner.
 
Ce n’était absolument pas moqueur, mais quand elle n’était pas très à l’aise Ayah avait tendance à dédramatiser les choses à sa manière.
 
Le « vétéran » était déjà perché sur son destrier quand il ressortit des écuries, il prit le temps de lui adresser une courte phrase avant de lancer son cheval, d’un simple claquement de langue. Eh bien, en voilà un qui n’avait pas l’air de vouloir s’éterniser ici.
 
Intriguée par l’obéissance de la docile Ablette, qui s’éloignait déjà en emportant l’homme sur son dos, Ayah enfourcha agilement son propre coursier. Elle s’assura un instant que l’aventurier ait le dos tourné pour faire une petite expérience inspirée.
 
« Allez Boris, en avant. » Murmura-t-elle gentiment à l’adresse de son cheval.
 
Elle claqua la langue une fois… Pas de réaction de la part du canasson… Avait-il bien entendu ? Non, il n’avait sûrement pas entendu…
 
« Allez Boris… Je suis sûre que tu comprends… »
 
Deuxième claquement de langue… Toujours rien… Ah si, il se secoua légèrement avec impatience.
 
* Appelons-ça une victoire… *
 
Et son taciturne partenaire continuait de s’éloigner. Le bougre prenait de l’avance !
 
La guérisseuse se résigna et soupira, espérant que l’homme n’ait rien suivi de tout ce manège.
 
Mais en fait, il ne semblait pas lui prêter trop d’attention. Fort heureusement dans cette situation. Elle enfonça doucement ses talons dans les flancs de l’animal, qui, cette fois, comprit le signal de sa cavalière.
 
Elle rejoignit vivement Askr, au trot, et repassa sa monture à une allure plus calme quand elle arriva enfin à sa hauteur. Elle lui adressa un sourire innocent avant de reporter son attention sur la route.
 
Quelques instants plus tard, la jeune femme l’entendit prononcer son nom et elle le considéra avec curiosité et bienveillance tandis qu’il la questionnait.
 
* Il veut parler ? Il n’est peut-être pas si fermé que ça après tout… * Songeait-elle tandis qu’il s’exprimait d’une manière très claire et directe.
 
« Combien de temps que je suis garde ? Eh bien… »
 
La bleue prit quelques instants pour réfléchir, le regard tourné vers la route, une légère moue sur le visage, un peu prise de court par cette question :
 
« Officiellement… Sans compter les années passées à l’académie, ça fait déjà huit ans. » Elle reporta son attention sur son camarade. « Je suis médecin de terrain dans la garde, en ce moment je suis donc dans le pole médical du régiment Al Rakija. Mais en fait… Je ne suis pas arrivée ici depuis très longtemps : moins de deux mois. J’ai passé le plus clair de mon temps dans la garde régulière de la Capitale. »
 
Askr avait-il réellement envie d’en savoir plus sur elle où était-ce simplement une forme de courtoisie un tantinet mal placée ? Toujours est-il… On pouvait difficilement nier que son approche était la bonne s’il souhaitait se rendre un peu moins intimidant, un peu plus accessible.
 
Ce premier échange était comme l’infime braise de leur discussion qu’Ayah ne désirait surtout pas voir mourir. Il serait plutôt oppressant et bizarre pour elle de cheminer dans un silence religieux en tête à tête avec un parfait inconnu.
C’est pourquoi elle se montra curieuse, mais avec une certaine réserve, de peur d’offenser son interlocuteur.
 
Elle commença naturellement par lui demander si elle pouvait le tutoyer, puisqu’il avait lui-même commencé à le faire : il avait sobrement acquiescé, mais au moins leurs échanges seraient un peu plus simples et directs.
Il était toujours plus facile de tisser des liens quand on ne s’encombrait pas des fioritures de langage.
 
 
L’aventurier n’était manifestement pas du genre particulièrement bavard, mais l’empathique Ayah parvint à s’adapter tranquillement à son caractère, laissant parfois quelques moments de silences entre deux échanges.
 
A un moment, elle se surprit à le comparer à Calixte, dont il semblait être l’exact opposé. Cet homme paraissait si fermé, si sérieux et si peu enclin à s’ouvrir aux autres : contrairement à l’affable coursier du régiment.
 
Eh bien, ne fallait-il pas de tout pour faire un monde ? C’était très bien comme ça…
 
La journée naissante s’annonçait belle et le soleil levant se brisait en mille éclats sur la surface légèrement abîmée des flots. La vision était si belle que la jeune femme profitait des silences qui s’installaient parfois entre eux pour l’admirer, un léger sourire apaisé flottant sur son visage.
 
Oui, cette quête était une très bonne chose pour elle.
 
Ils conversèrent quelques heures, le jour se levait tandis qu’ils s’échangeaient quelques bribes d’informations sur leurs vies respectives.
 
Ayah le questionna prudemment sur divers sujets, cherchant à tâtons ceux sur lesquels il était ouvert à la discussion, et ceux sur lesquels il ne valait mieux pas s’aventurer. Ceux-là, elle les identifiait assez vite au vu de la façon dont son partenaire se braquait instantanément, elle n’insistait donc pas.
 
Elle aborda divers sujets : son rôle dans la guilde, ses aventures, les créatures qu’il avait eut l’occasion de voir, les personnes qu’il avait rencontrées…
Il ne semblait pas très à l’aise quand elle évoquait son passé et elle évitait donc de lui poser des questions dessus, préférant le laisser apporter des précisions quand l’envie lui prenait.
 
De son coté, elle répondait toujours avec sincérité et précision aux questions qu’il lui posait, elle n’avait rien à cacher.
 
En tous cas… Sa curiosité ne semblait jamais déplacée et elle n’eut jamais de raison de se sentir gênée.
 
Bien qu’il fût plutôt secret, c’était une personne qui s’exprimait très bien et il n’était pas désagréable de conserver avec lui. Enfin… Sauf quand il ne se braquait et quand il n’avait à pas envie de parler. De toutes manières, quand ce n’était pas le moment, il savait très bien le faire ressentir sans pour autant se montrer grossier.
 
Ils ne croisèrent pas grand monde de si bon matin, et seul le doux clapotis des sabots de leur monture respective foulait le silence qui parfois naissait de leurs échanges.
 
Néanmoins, ils apprenaient peu à peu à se connaître, bien qu’Ayah douta fortement voir en lui un ami. Et lui d’ailleurs ne semblait avoir qu’une hâte : expédier cette quête au plus vite. Il n’était rien d’un cueilleur de plantes.
 
 
Cela faisait déjà quelques temps qu’ils n’avaient pas échangé un mot. Le soleil s’était déjà bien levé et Ayah n’avait pas vraiment idée de l’heure qu’il pouvait bien être. Ils venaient de gravir une longue pente douce, et la silhouette d’un village sur la coté venait de leur apparaître.
 
« Askr… »
 
Quand elle vit qu’elle avait l’attention de son partenaire d’aventure, elle poursuivit d’un ton calme :
 
« C’est le premier village qu’on croise depuis un certain temps il me semble… Ne penses-tu pas que nous devrions y faire une halte ? Si ce n’est pas le bon on le saura sûrement bien assez vite. »

Le duo pénétra donc dans le village sans trop de difficulté : la route qui y menait, descendant de la falaise qu’ils venaient de gravir, paraissait plutôt bien entretenue pour un coin aussi perdu.
 
Askr avait raison, les chevaux devaient boire et se reposer avant de reprendre la route : si du moins ils devaient la reprendre immédiatement. Qui sait, peut-être étaient-ils déjà à destination ?
 
Le village, si on pouvait le qualifier en tant que tel, ne semblait être qu’un groupement de maisons de pêcheurs, toutes semblaient d’ailleurs bâties par la même personne au vu de leur architecture plus que semblable.
 
Le point phare de ce hameau semblait être cette jetée parsemée de pontons et d’étals de bois couverts de filets de pêche. C’était là où les pécheurs déversaient leur prise du jour. L’endroit était désert, mais c’était plutôt normal à cette heure -ci.
 
Ayah contempla avec une sorte de nostalgie le port de pêcheur, leurs navires n’étaient pas visibles même par temps dégagé, ils étaient bien trop loin en mer. Elle se remémora ces journées où son père disparaissait un certain temps avant de revenir. Jusqu’au jour où il ne revint pas. Qu’avait-il bien pu se passer ce jour-là ? Il lui semblait que ça resterait toujours un mystère : une chimère à laquelle il valait mieux ne pas trop songer.
Les habitants qui n’étaient pas sur les flots ne leur prêtèrent aucune attention tandis qu’ils cheminaient dans l’artère principale du village. Chacun avait une occupation et aucun ne semblait disposé à perdre son temps avec des étrangers. Néanmoins, aucune crainte ne semblait les animer à leur égard, et c’était plutôt une bonne chose : bien que la méfiance semblât bien présente.
 
Regardant autour d’elle, Ayah ne repéra aucun poste de garde : cet endroit était-il livré à lui-même ? La Garde du Sud ne semblait avoir aucun pied ici.
 
Ils avisèrent rapidement un puit et l’accostèrent avant de descendre de leur monture. La jeune femme lança un coup d’œil interrogatif autour d’eux pour voir s’ils pouvaient se servir en eau, mais personne ne leur accorda la moindre attention, et ils entreprirent donc de puiser le précieux liquide pour les bêtes et pour eux-mêmes.
 
Elle avait un mauvais pressentiment, il y avait dans l’air quelque chose de particulièrement pesant, même si elle n’arrivait pas vraiment à mettre le doigt sur ce qui n’allait pas ici.
 
« Ils n’ont pas l’air d’être ravis de nous voir. » Murmura-t-elle à l’adresse de Askr tandis qu’elle remplissait une espèce d’abreuvoir de pierre qui se trouvait à côté du puit. « Je me demande s’il y a une raison particulière ou s’ils n’aiment juste pas les étrangers… »
 
Elle se racla la gorge, le sable très volatil et le vent rendaient l’air quelque peu chargé et désagréable à respirer, sans être insupportable.
 
C’est alors que quelqu’un vint les interpeller.
 
La bleue se retourna pour accueillir le nouveau venu :
 
« Nous venons à la demande d’un alchimiste oui. » Fit-elle, ne prenant toutefois pas la peine de corriger son interlocuteur sur le fait qu’elle n’était pas vraiment une aventurière. « Auriez-vous des informations à nous communiquer ? »
 
Il ne paraissait pas particulièrement à l’aise, et une espèce d’inquiétude voilait son regard. C’était assez bizarre, Ayah l’étudia avec curiosité, se demanda de quoi il retournait tandis qu’il exprimait le fond de sa pensée.
 
Eh, bien, apparemment ils n’étaient pas arrivés au bon endroit, la jeune femme échangea un regard avec son camarade de route tandis que leur informateur leur désignait le sud : indiquait que le village était encore assez loin mais qu’ils pourraient y arriver avant la tomber de la nuit s’ils se hâtaient.
 
Il ne paraissait pas l’air particulièrement ravi que les deux étrangers troublent la tranquille routine du village et semblait fort aise de leur indiquer le chemin de la sortie. Il le faisait néanmoins d’une manière aimable et civilisée.
 
Ils remercièrent l’informateur et échangèrent ensemble sur la décision à prendre. Il fut sobrement convenu que le mieux serait de prendre la route, car ils n’avaient pas grand-chose à faire ici toute la journée, comme Askr le faisait justement remarquer.
 
Ils laissèrent les chevaux s’abreuver et brouter quelques herbes qui trainaient là avant de remonter sur leur dos : il ne fallait pas trainer. Ayah n’avait pas vraiment prévu de passer de nuit dehors et d’avait donc aucun matériel pour le faire dans de bonnes conditions.
Alors autant miser sur le fait qu’ils atteindraient ledit village avant la tombée de la nuit.
 

Les deux compagnons s’étaient donc remis en route, il faisait chaud. Le soleil frappait sur leurs épaules et leur tête, épuisant leurs forces tandis qu’ils cheminaient. Des trots, quelques galops, entrecoupés de temps de repos.
 
Cela faisait déjà une heure qu’ils avaient repris leur périple, et ils n’avaient pas vraiment échangé : le rythme plus soutenu ne leur permettait pas toujours de cheminer cote à cote.
Ayah tentait de prendre du repos sur le dos de son cheval, contemplant la mer qui s’étendait à leur droite.
 
Un léger gargouillis la tira de sa trance, et elle réalisa qu’elle commençait à avoir faim tandis qu’ils étaient dans une phase de repos : les chevaux avançant d’un pas rapide.
 
« Ah, je crois qu’il vaudrait mieux manger quelque chose, ou je vais finir par tomber de cheval. » Fit-elle tranquillement, sur un ton léger.
 
Attrapant son sac à dos, elle en sorti une ration de la garde : elle en avait quatre sur elle.
Croisant le regard de son partenaire, elle approcha sa monture de la sienne et lui en tendit une :
 
« Tu devrais reprendre des forces. Tu en veux ? » Lui proposa-t-elle avec bienveillance, toutefois préparée à essuyer un refus.
 
Askr n’était pas du genre à accepter par politesse s’il n’avait pas besoin de quelque chose qu’on lui proposait.

Aucune présence de garde, une population locale sur les nerfs... La méfiance pouvait se lire sur le visage des locaux et cela n’avait rien de surprenant. Cette petite bourgade était une place bien reculée et visiblement, les lieux n’étaient pas sous la protection de la garde du sud.

Askr avait l’habitude de traverser ou de faire escale dans ce genre d’endroit où il était rarement bien accueilli. Sa dégaine n’inspirait pas vraiment confiance, mais cette fois, c’était différent, il était au côté d’une figure de l’autorité. Cette dernière ne passa pas inaperçus auprès des marmots qui semblaient envier son statut de garde. Les figures de l’autorité suscitent souvent une admiration chez les plus jeunes alors qu’un mépris voire un dégoût animera le cœur du plus âgé. Être garde n’était pas chose aisée, se faire marcher dessus tout en restant cordial et bienveillant envers diverses agressions verbales n’était pas de tout repos.

Sa partenaire semblait songeuse en regardant la jetée parsemée d’étales et de matériel de pêche en tout genre. Elle avait rapidement évoqué son passé et fait mention de son paternel disparus en mer. La petite avait bien fait son deuil depuis le temps, mais ce n’est jamais chose aisée lorsque l’on n’est pas directement confronté à la preuve de la mort d’un être cher. Rester dans le doute et sans réponse pouvait devenir une réelle torture et Askr entrevoyait bien ce que la jeune femme pouvait ressentir, mais après tout il ne la connaissait que depuis quelques heures et n’était pas du genre à jouer de la corde sensible avec le premier ou la première venue. Tout le monde possède son lot de souffrance et il faut savoir vivre avec et avancer, chose que la soigneuse semblait très bien gérer après tout.

Ils se dirigèrent tout deux naturellement vers le point d’eau du village afin d’abreuver leurs bêtes ainsi que leurs propres gosiers.

« Ils n’ont pas l’air d’être ravis de nous voir. » Murmura-t-elle avant de poursuivre : « Je me demande s’il y a une raison particulière ou s’ils n’aiment juste pas les étrangers… »

La soigneuse avait pris soin de remplir l’abreuvoir d’eau pour les chevaux.

“Va Ablette...” Murmura Askr à sa jument avant de mettre pied à terre. La jument s’exécuta et s’abreuva tandis qu’Askr passait sa main dans sa crinière.

“Cela ne me surprend guère. Un village aussi reculé qui ne bénéficie pas de l’appui de la garde doit souvent avoir à des troubles fêtes.”

Un homme vint les interpeller afin de savoir si nous étions les aventuriers venus à la demande de l’alchimiste. Ayah s’occupa de lui répondre et d’obtenir des informations sur la localisation du dit alchimiste. Visiblement, il n’était pas dans ce village.

L’homme avait indiqué que les routes n’étaient pas vraiment sur la nuit tombée, mais qu’il était possible de gagner le village avant que cette dernière ne tombe.

Les deux camarades échangèrent quelques mots sur la décision à prendre entre rester sur place afin de ne pas risquer de mauvaises rencontres de nuit, ou galoper jusqu’au village dès à présent. Le binôme était du même avis : il vaudrait mieux reprendre la route plutôt que de perdre une après-midi dans ce village à ne rien faire.

Ce court interlude fut bénéfique aux montures qui en avaient profité pour brouter quelques brins d’herbe et s’abreuver convenablement. Sans plus attendre tous deux remontèrent sur leur monture afin de reprendre la route vers le sud.


Du trot au galop, ces rythmes de courses ne laissèrent point de place aux bavardages. Un soleil de plomb frappait et cuisait les épaules d’Askr sous son pourpoint de cuir clouté. Le paysage était plaisant à regarder, de plus ce sentier côtier semblait peu fréquenté. L’aventurier ne pensait à rien en particulier, il restait vigilant et observateur sur ce qui l’entourait comme à sa grande habitude lorsqu’il voyage sur les routes.

Cela faisait maintenant une bonne heure qu’ils avaient repris la route et ils n’avaient croisé personne. Le silence entre les deux compagnons était toujours de mise, mais plus pour longtemps :

« Ah, je crois qu’il vaudrait mieux manger quelque chose, ou je vais finir par tomber de cheval. » Fit-elle tranquillement, sur un ton léger.

Elle attrapa son sac et se saisit de ce qui semblait être des rations de la garde puis approcha sa monture de celle de l’aventurier avant de lui proposer de reprendre des forces en lui tendant une ration.

Askr accepta d’un signe de tête et prit la ration avant de la porter à ses lèvres. Il en prit un morceau qu’il avala bien rapidement :

“Baah je constate que ces rations sont toujours aussi dégueulasse...” Grommela-t-il avant de se raviser : “Néanmoins, je te remercie. Mes paroles n’étaient qu’un simple constat et ce n’était nullement pour m’en plaindre. “

Il s’était bien rendu compte qu’insulter ainsi la nourriture offerte de bon cœur par sa partenaire de route pourrait être blessant. Ce goût, il ne l’avait pas eu en bouche depuis bien des années et c’était un gout plutôt amer pour son palais.

“Cela fait bien des années que je n’avais pas mangé ce genre de ration et leur goût ne s'est pas amélioré avec le temps.” Dit-il comme cherchant à se justifier.

“M’enfin, je pense qu’on devrait presser l’allure si on ne veut pas se faire rattraper par la nuit.” Déclara-t-il en regardant Ayah, attendant qu’elle termine sa ration.

Une fois les rations terminées, ils reprirent la route à vive allure pendant quelques heures. Le voile du soir faisait peu à peu son apparition au fur et à mesure que le soleil déclinait.

Les lumières du village se dessinèrent à l’horizon tandis que la nuit s’installait doucement. Une dizaine de minutes plus tard, ils arrivèrent enfin au village. La nuit était tombée.

“Eh bien, nous y sommes. Il n’aurait pas fallu faire une heure de chevauchée de plus.” Déclara l’aventurier avant de poursuivre “Il ne nous reste plus qu’à trouver l’alchimiste et un lieu au dormir.”

Il y a deux types de personnes dans ce monde. Celles qui détestent les rations de la garde, et celles qui ne les trouvent pas si mauvaises que cela.
 
Askr semblait plutôt dans le camp des premiers, tout comme Ayah.

Eh bien, cela ne leur faisait-il pas au moins un point commun ?
Toujours est-il, l’aventurier n’osa pas cracher dans la soupe et consomma l’offrande sans trop se faire prier. Vu comme ça, il n’avait pas vraiment l’air du genre à faire la fine bouche en pleine mission, et c'était tout à son honneur.
 
Après tout, s’il était une chose qui mettait tout le monde d’accord au sujet des rations de la garde, c’était bien qu’elles étaient consistantes, nutritives, et coupaient durablement la faim.
Et tout ceci, en plus d’être facile à manger, et donc consommables à cheval si on avait l’estomac bien accroché.
 
Néanmoins, aussi peu agréables furent-elles sur le palet de son camarade : les bouffées qu’il en prit eurent au moins le mérite de lui faire délier la langue. Il prétendait en avoir déjà mangé il y a fort longtemps… Ces paroles firent légèrement tiquer la jeune soldate.
Un ancien militaire ? Ce n’était pas vraiment clair… Mais pourquoi pas après tout, ce ne serai pas le premier, ni le dernier qui se reconvertirait.
 
* J’y pense… N’avait-il pas fait un commentaire sur les Al Rakija ce matin ? *
 
Cela faisait déjà deux indices plutôt intéressants, et elle commençait à se faire sa petite conviction sur la question.
C’était assez intrigant, et l’homme semblait plutôt avare en détail quand il était question de cette partie de sa vie : qui resta donc pour le moins obscure aux yeux de la guérisseuse. Mais cette dernière commençait à nourrir de sérieux doutes sur un potentiel passé dans la garde.
 
Toutefois, pour ce genre de chose, Ayah était loin d’être d’un naturel insistant.
Elle se contenta donc d’hausser les épaules en l’écoutant parler, tout en consommant sa propre nourriture.
 
 
Le soleil déjà était bien bas quand ils arrivèrent enfin aux pieds d’un nouveau petit village fortifié.
La bleue balaya du regard les champs et forêts qui s’étalaient à sa gauche. Les alentours se nimbaient progressivement d’un épais voile de ténèbres tandis que la nuit chassait impitoyablement les derniers éclats solaires d’un jour mourant.
 
Était-ce la fatigue ? Elle crut voir de petites lueurs presque au raz du sol, mais estima que son esprit lui jouait des tours. Elle n’imaginait pas un seul instant que ces bois soient occupés de créatures susceptibles de les attaquer… Et pourtant.
 
« Oui. » Fit-elle simplement. « Mais le village a l’air plutôt bien gardé. J’imagine que ce ne sont probablement pas des membres de la Garde... Allons voir de quoi il retourne. »
 
Cela faisait longtemps qu’elle ne s’était pas sentie fatiguée de la sorte, et elle n’avait absolument pas utilisé ses pouvoirs aujourd’hui !

Une longue traversée à cheval, passée à affronter le soleil, le vent iodé chargé de sable et à accompagner le mouvement de la selle sur des rythmes plus rapides, avait réellement quelque chose d’éreintant.

Néanmoins, ce n’était pas le premier voyage qu’elle entreprenait, et ce ne serait sûrement pas le dernier !
 
Le dernier en date, celui qui a mené jusque dans l’antre sanglante de la furie rouge, était encore bien frais dans sa tête et dans son corps.
 
Après tout, il fallait être de constitution plutôt solide et avoir de l’endurance pour faire partie de la garde. Ce type de résistance était le minimum demandé pour quiconque était destiné à intervenir sur le terrain.
 
Tandis que le duo s’approchait au petit trot des barricades de bois qui encerclaient le village : deux hommes apparurent au sommet du mur, juste au-dessus d’une grande porte encore désespérément close.
 
Ils s’arrêtèrent devant l’entrée et Ayah leva un regard interrogateur vers la sentinelle qui avait passé sa tête par-dessus la balustrade, leur demandant la raison de leur présence ici.
Un peu prise de court, la jeune femme échangea un rapide regard avec son compagnon de route avant de le rediriger vers l’inconnu. Il était évident pour elle qu’il ne représentait pas la force armée du royaume… Mais elle ignorait que les villages pouvaient prendre la liberté d’organiser leurs propres milices.

Décidément… Il semblait que bien des choses allaient de travers dans certains coins du royaume :

« Garde Ayah Stormsong, unité médicale du régiment Al Rakija au Grand Port. » Fit-elle simplement, pensant que des présentations en bonnes et dues formes seraient un terreau idéal pour un échange fructifiant.
 
Elle laissa le temps à Askr de se présenter sobrement, d’une manière un peu plus bourrue qu’elle. Toutefois, quand il se tut, la sentinelle ne semblait toujours pas décidée à les laisser entrer.
 
La guérisseuse l’étudia avec une surprise mêlée de curiosité à laquelle s’ajoutait une légère pointe de confusion. Il paraissait méfiant, très méfiant même… Comme s’il avait vécu de mauvaises expériences et qu’il voyait dans les deux voyageurs une potentielle menace.
 
« Nous devons nous entretenir avec une personne qui se trouve dans le village. Comme mon camarade vous l’a signalé il fait partie de la Guilde des aventuriers et a été missionné pour une quête de récolte dans les environs. Je suis chargée de l’accompagner, nous ne comptons vraiment pas causer de grabuge. »
 
L’homme ne semblait toujours pas convaincu et Ayah poussa un léger soupir de frustration : ils étaient enfin arrivés, à quelques dizaines de mètres d’un endroit où dormir… Mais il semblait qu’il fallait encore faire ses preuves.
 
« Vous n’avez pas des têtes à aller cueillir des fleurs… Enfin… Vous, peut être, mademoiselle, mais monsieur… Sauf votre respect… »
 
Il ne termina pas sa phrase, laissant la fin en suspens, indécis.
Il était vrai qu’Askr semblerait bien plus dans son élément dans une quelconque chasse au monstre, mais les choses étaient ce qu’elles étaient. La jeune femme reporta son attention sur lui, réalisant qu’effectivement son apparence de baroudeur pouvait laisser craindre le pire quant à ses intentions.
 
Mais elle, n’était-elle pas censée représenter l’ordre ? Elle voulut appuyer sur cet argument. L’aventurier se chargea fort bien de répondre aux interrogations de leur interlocuteur, gardant une prose simple mais suffisamment respectueuse pour ne pas braquer la sentinelle.
 
Il pouvait se montrer un peu franc, mais il n’était pas idiot et n’avait manifestement pas envie de rester au pied de cette porte.
 
Le gardien du village semblait indécis, et une autre voix se fit entendre à ses coté tandis qu’un nouveau visage apparaissait :

« Il y a bien un alchimiste ici… Et j’ai entendu dire qu’il avait fait passer une annonce… Alors leur histoire me semble tenir la route Bob. »
 
L’autre disparut derrière la balustrade, sa réponse ne semblait pas adressée au duo, mais ils l’entendirent tout de même fort bien :
 
« Leur histoire semble tenir la route ? Nan mais, t’es sérieux ?  Est-ce que t’as bien vu la tronche du bonhomme là en bas ? Franchement, il a une tête à bouffer des bébés chat au petit déjeuner. Le gars se balade avec deux épées dans le dos dans le plus grand des calmes… Notre boulot c’est de garder ce genre d'énergumène en dehors des murs. »
 
Il se tut et un léger murmure se fit entendre, son camarade lui répondait mais Ayah n’avait pas l’ouïe suffisamment fine pour entendre ce qu’il disait. Un silence, puis l’autre reprit, toujours à l’adresse de son ami :
 
« C’est vrai qu’elle est garde… En tout cas elle a l’insigne… Tu penses vraiment qu’il faut les laisser entrer ? » Un silence. « Ouais, la guilde lui tomberait dessus… Hm… Non… Non… Mouais… Hmf… T’as raison, pas trop envie d’avoir la garde qui vienne fouiner jusqu’ici… Pigé… Très bien… Bon c’est bon j’ai pigé ! »
 
Perplexe, la jeune femme caressa distraitement l’encolure de son cheval. Celui-ci paraissait fatigué et impatient de boire, manger et se reposer… Le rythme que leurs cavaliers leur avaient imposé était plutôt soutenu et il leur fallait bien ça.
 
Elle s’apprêtait à s’adresser au baroudeur quand un bruit mat se fit entendre de l’autre coté de la porte, comme si quelqu’un venait de sauter au sol…

Allégés de leurs armes, Ayah et Askr s’avançaient dans le petit village, tirant leur monture respective par la bride.
Il leur fallait trouver un endroit pour donner de l’eau au chevaux et les attacher le temps d’investir les lieux en quête de l’alchimiste.
 
La jeune femme était un peu perturbée par l’attitude de l’aventurier.
Pas contrariée mais presque. Son attitude aurait bien pu leur coûter une nuit à l’extérieur. Mais fallait-il lui en faire part ?
 
* Ce n’était pas très malin quand même… *
 
« Askr... On a eut de la chance qu’ils soient plutôt conciliants, j’imagine qu’avec certaines personnes on aurait pu rester dehors jusqu’au lendemain pour moins que ça. » Lança-t-elle, sobrement et fermement, lui lançant un regard de côté tandis qu’ils arrivaient hors de portée des oreilles des sentinelles.
 
La soldate ne cherchait pas le conflit, mais elle préférait vocaliser ce genre de chose pour essayer de lui communiquer son désaccord sur sa façon de faire.
 
Pour ce qu’ils en voyaient, les habitants des lieux n’avaient rien de couche-tard : les volutes de fumée qui émanaient des cheminées sur les toits des diverses bâtisses laissaient clairement entendre que chacun était déjà chez soi.
 
Cependant, s’il n’y avait pas réellement une insurrection dans les rues désertes du patelin, les remparts de bois érigés autour laissaient clairement penser que les villageois ne se sentaient pas particulièrement sereins. Et au vu de la façon dont cela avait été érigé : d’une part c’était assez récent, et d’autre part c’était plutôt une installation de fortune.
 
* Qu’est-ce qui peut bien les inquiéter autant ? *
 
Elle voulut demander l’avis de son compagnon, mais s’abstint, ne se sentant pas particulièrement d’humeur à converser sur le sujet. Pour le moment, la jeune femme n’aspirait qu’à une chose : trouver l’alchimiste et prendre une nuit de repos.
Et au vu de l’absence manifeste d’auberge, cette nuit allait probablement se faire dans la grange du village.
 
Une prégnante odeur de poisson se faisait sentir : une odeur très familière pour Ayah qui chercha avec curiosité des étals du regards. Ces gens devaient surement faire sécher les surplus de la pêche pour se constituer une réserve pour l’hiver.
 
Elle ne trouva cependant pas ce qu’elle cherchait.
Peu importe, ils n’étaient clairement pas là pour ça après tout.
 
« Bon, nous y sommes. » Fit pensivement la guérisseuse, reportant son attention vers son compagnon d’aventure. « Reste à trouver la demeure de notre cible. Et de l’eau pour les chevaux, enfin, en fonction de ce qu’on trouve en premier j’imagine. »
 
Trois maisons plus loin qu’il disait… Finalement l’information était fausse. Sûrement une étourderie de la part des gardes, ou juste un franc laxisme…. Ou un peu des deux.

Les bâtiments se ressemblaient tellement… Mais quelque chose finit par attirer leur attention.
L’aventurier semblait avoir un bien meilleur flair que celui de la militaire : il avait su décerner parmi les puissants effluves iodés du poisson une odeur qu’il trouva pour le moins caractéristique. Pas une odeur très naturelle en tout cas.
 
Cette émanation, Ayah ne put la sentir que lorsque, suivant son camarade, ils s’approchèrent d’une maisonnette qui n’avait visuellement rien de différent par rapport aux autres.
Juste un peu à l’écart des autres, peut-être ?
 
Le duo arriva aux abords du petit bâtiment :
 
« C’est sûrement ici. Bon rien de coûte de le vérifier, il y a l’air d’y avoir quelqu’un à l’intérieur. »
 
Ils attachèrent leurs chevaux aux unes petites barrières de bois juste à coté de la maison et s’approchèrent de la porte, s’immobilisant devant. Ayah regarda Askr, ne sachant pas trop que faire, puis se décida à agir.
 
« Il y a quelqu’un ? Nous sommes venus vous rencontrer pour une mission de récolte d’Asclius ! » Lança-t-elle d’une voix forte juste après avoir frappé.
 
Aucune réponse.

Sans conviction, Ayah tourna la poignée et la porte s’entrebâilla toute seule à sa grande surprise : elle n’était pas verrouillée.
Ils s’échangèrent un regard, puis l’homme prit à son tour les choses en mains. Il poussa résolument et fermement la porte qui s’ouvrit dans un grincement sinistre.
 
La soldate retroussa le nez, grimaçant légèrement, tandis que l’odeur acide lui assaillait les narines. Ce n’était pas une odeur puante, mais cela ne signifiait pas pour autant qu’elle était agréable.
 
Peu sûre d’elle, la jeune femme lui emboita le pas tandis qu’il pénétrait à l’intérieur. A peine eut-elle passé le pallier qu’une personne vociféra depuis une salle annexe.

« FERMEZ LA PORTE »

La soignante s’exécuta prestement tandis qu’une nouvelle personne faisait irruption dans la pièce : une jeune femme, et elle n’avait pas l’air particulièrement ravie de les voir. En fait, elle avait même l’air furieuse… Mais pourquoi ?
 
* Bon après tout on s’est introduit chez elle sans permission… * Songeait-elle en tâchant de garder une expression sereine et calme tandis qu’elle étudiait leur nouvelle interlocutrice se mettait à les sermonner.
 
Et elle y mettait du cœur, ne se gênant absolument pas pour bien leur signifier que leur intrusion était des plus malvenues. Néanmoins, son expression sembla se radoucir à la vue de Askr, bien qu’Ayah avait la nette impression que sa présence n’était pas particulièrement appréciée ici.
 
* Elle n’a pas l’air de beaucoup apprécier la garde. *
 
Si la bleue se désolait sincèrement de cette situation, elle était bien loin de se laisser décontenancer pour si peu. Elle comptait bien rassurer cette personne quant à ses intentions, bien qu’elle ne jugeât pas opportun de lui parler de l’application qu’avait l’unité médicale à tenir un petit registre d’experts en alchimie.
 
« Oh… Non, l’asclius est parfaitement légal, n’ayez crainte. Il arrive que la garde collabore avec la Guilde des Aventuriers sur certaines missions. » Elle lui adressa un sourire qui se voulait rassurant. « Je suis médecin, et je m’intéresse à certaines plantes pour des applications en matière de soin. Disons que je ne suis là que pour l’étude et parce que le pôle avait besoin d’un échantillon de cette espèce. »
 
Un demi-mensonge, mais un mensonge quand même, mais parfois il fallait arrondir les bords pour faire passer certaines pilules.
 
« Vous ? Médecin ? » Elle paraissait un peu suspicieuse.
 
« Unité médicale du régiment Al Rakija. »
 
« Jamais entendu parler. M’enfin, vous me paraissez bien jeune pour exercer dans ce métier. Un pouvoir en lien j’imagine, m’enfin, ce ne sont pas mes oignons. Tant que vous ne fourrez pas trop votre nez dans mes affaires je m’en accommoderai fort bien ! »
 
Elle balaya l’air de sa main et Ayah haussa légèrement les épaules, un peu confuse, ne sachant pas trop que répondre. Apparemment elle avait plus ou moins accepté son explication même si elle ne semblait toujours pas se réjouir de la présence d’une garde dans sa demeure.
 
L’alchimiste reporta son attention vers Askr et la guérisseuse en profita pour étudier discrètement du regard ce qui les entourait.
 
« Quant à vous. Pour être franche avec vous, je ne m’attendais pas vraiment à un gaillard de votre calibre. Je cherchais quelqu’un pour cueillir des plantes, et ce ne sont pas des plantes carnivores de deux mètres de haut : rien à pourfendre. Rassurez-moi, on parle bien de la même quête ? »
 
Les étagères étaient couvertes de bocaux, vases, bouteilles et contenants en tous genres. La plupart étaient remplis, bien que certains bien rangés dans un coin, semblaient prêts à accueillir de nouvelles préparations.
 
Le tout était rangé avec soin, il y avait assez peu de poussière et la tenancière des lieux semblait plutôt organisée sous ses airs un peu rustres. Certains bocaux irradiaient de jolies couleurs irisées : saphir, rubis, émeraude… Tandis que d’autres étaient dans des tons beaucoup moins ragoutants.
 
De nombreux ouvrages étaient ouverts ça et là, et sur l’un deux, à proximité de là où ils se trouvaient, Ayah distingua l’illustration parfaite d’un asclius. Le livre semblait détailler les propriétés connues de la plante et l’alchimiste semblait avoir consulté l’ouvrage très récemment.
 
« En soi, je m’attendais simplement à un aventurier ou une aventurière herboriste. Quelqu’un d’un peu plus… Hmm… Comment dire… Délicat ? M’enfin, je suppose que vous ferez très bien l’affaire. On n’est pas là pour enfiler des perles, vous allez avoir du pain sur la planche mes loulous. »

Ayah sursauta quand l’alchimiste la rappela brusquement à l’ordre l’invitant à ne pas laisser son regard errer sur ses effets personnels. Les coups d’œil de la soldate se voulaient discrets, mais ils ne l’étaient manifestement pas suffisamment pour échapper au regard inquisiteur de leur interlocutrice.
 
La guérisseuse n’avait absolument rien à y redire, elle était chez quelqu’un et reconnaîtrait bien volontiers que ce qu’elle faisait pouvait être perçu comme grossier.
 
Elle avait néanmoins une mission : rassembler des informations sur cette drôle de dame et récupérer quelques échantillons d’asclius pour renouveler le jardin botanique. Mais l’intéressée ne semblait pas être en mesure de fournir des informations de première main…
 
* Peut-être qu’elle se radoucira un peu après la mission. *
 
« Ah, veuillez m’excuser. » Fit-elle sobrement, baissant docilement les yeux avant de les laisser errer vers Askr, n’osant plus regarder ce qui l’entourait.
 
L’aventurier semblait avoir les choses bien en mains, aussi le laissa-t-elle poursuivre l’entretien.
Il semblait dans de bien meilleures grâces qu’elle auprès de l’alchimiste, même s’il en prenait aussi pour son grade. La jeune femme craignit cependant qu’il ne l’envoie sur les roses : même si elle n’était pas certaine d’avoir bien cerné le personnage.
 
Rien de tel ne se produisit.
 
La prose tranchante de cette femme lui attirerait un jour des ennuis. Mais au moins elle donnait l’impression d’être une personne franche qui cachant pas derrière de faux-semblants.
Ayah préférait bien largement que les choses soient ainsi.
 
Aussi, par on ne sait quelle sorcellerie : le baroudeur parvint à obtenir l’autorisation de passer la nuit sous un toit fourni par leur commanditaire.
 
Une grange.
Ce ne serait pas le grand luxe, mais au moins ils seraient à l’abris du vent et en sécurité pour dormir sur leurs deux oreilles.
 
Ils sortirent et rejoignirent leurs montures pour les mener vers l’endroit où ils passeraient la nuit.
A l’abris des oreilles de la redoutable alchimiste, Askr fit mine de vouloir réamorcer une conversation.
 
* Oh ? ça vient de lui ? Il n’a jusque là pas vraiment donné l’impression de vouloir parler… * Songeait-elle en lui jetant un regard un peu surpris.
 
« Non… Elle semblait réellement nous attendre mais en même temps elle n’était pas franchement ravie de nous voir. » Répondit-elle, un sourire léger apparut sur son visage, accompagnant une expression empreinte de positivité. « Mais tu as bien réussi à gérer ! Ce ne sera pas le grand luxe, mais ce sera mieux que rien ! »
 
Était-ce une amorce ?
En tous cas la première remarque de cet homme habituellement plutôt réservé laissa vite place à une interrogation plutôt bien ciblée.
 
Le sourire de la jeune femme disparut à mesure qu’elle l’écoutait, et sa mine s’assombrit légèrement.
 
Il n’y avait pas de noirs secrets autour de son enrôlement dans cette quête : l’unité médicale souhaitait simplement rester informée sur ce qui se fait en médecines et en potions.
Mais, si ça ne la blessait pas vraiment, elle se désolait quelque peu de la mine méfiante qu’arborait Askr. Que pouvait-il bien penser d’elle ? Lui faisait-il confiance ?
 
« L’unité médicale manque actuellement d’asclius, Askr, les spécimens que nous cultivions dans notre jardin botanique ont beaucoup souffert et l’un de nos apprentis a commis quelques graves erreurs d’entretien. » Répondit-elle d’un ton égal, le suivant du regard tandis qu’il se débarrassait méthodiquement de son armure de cuir. « Nous devons les renouveler. »
 
Quand il ôta sa chemise pour se débarbouiller auprès de l’abreuvoir des bêtes, elle l’observa sans trop réfléchir.
 
Non pas qu’elle souhaitait particulièrement se rincer l’œil : c’étaient plutôt les innombrables cicatrices qui couturaient son dos, ses flancs et son torse qui retenaient l’attention du médecin qu’elle était. Elle n’avait jamais vu un corps aussi marqué.
 
« Je suis aussi missionnée pour récolter des informations sur cette personne. Simplement pour alimenter nos répertoires, rien de bien grave. L’unité médicale essaie de garder une trace des alchimistes présents dans les environs pour pouvoir émettre des annonces auxquels ils pourraient répondre. »
 
Elle s’apprêtait à poursuivre, continuait d’observer avec intérêt les stigmates à jamais ancrés dans sa chair. Il paraissait aguerri mais sa carrure ne lui donnait pas un âge si avancé que ça.
 
* Qu’est-ce qu’il a bien pu vivre pour être dans cet état ? * Se demandait-elle, fronçant légèrement les sourcils.
 
Elle s’était interrompue le temps de se faire cette réflexion, ce qui sembla pousser son compagnon de route à regarder à nouveau dans sa direction.
 
Elle réalisa à ce moment qu’il pourrait se faire des idées si elle continuait de le détailler comme ça et détourna le regard, un peu mal à l’aise, mais sans plus :
 
« Je ne suis pas une menteuse. Je n’ai rien à cacher. Mais tu reconnaîtras bien que je ne pouvais pas présenter les choses de cette manière à cette jeune femme. » Ajouta-t-elle en débarrassant les bêtes de leur équipement : selle, harnais et diverses fixations.
 
Les chevaux s’ébrouèrent, apparemment soulagés du poids qui pesait sur leur dos. Ils avaient bien mérité un peu de repos.
 
Ayah sourit légèrement en flattant gentiment l’encolure de Boris, puis accorda quelques caresses à Ablette. Ce après quoi elle reporta son attention vers son interlocuteur, toujours perturbée par ce qu’elle avait vu sur le corps de son partenaire de quête.
 
Elle ouvrit la bouche pour lui poser une nouvelle question, hésita, puis se ravisa, se tut.
Une autre idée lui vint à l’esprit :
 
« Puisqu’on y est. Qu’est-ce qu’un tueur de monstres viendrait faire dans ce genre de quête ? Tes… Enfin… Tes cicatrices sont plutôt parlantes sur ce que tu as l’habitude de faire. » Elle haussa légèrement les épaules et commença à retirer ses mitaines de cuir, les rangeant dans une poche. « Certaines semblent même plutôt récentes sur je ne m’abuse. »
 
A ces mots, elle s’approcha à son tour du point d’eau pour s’en passer un peu sur le visage avant de laisser les chevaux s’abreuver.

Elle se contenta de s’asperger le visage à plusieurs reprises, se débarrassant du sable et du sel qui tiraient sa peau.

Un pari ?

Ayah, qui venait de se débarbouiller le visage lança un regard circonspect vers l’aventurier, tandis qu’il lui contait une histoire pour le moins surprenante.

En tout cas ce gars, derrière ses airs froids et réservés, avait plutôt l’air d’avoir fraternisé avec certaines personnes. Eh bien, c’était assez inattendu comme explication, ou alors elle l’avait vraiment mal cerné.
 
D’autres chasseurs de monstres ?
Etaient-ils tous du même acabit que lui ?
 
Il sentit le besoin de se justifier sur les innombrables cicatrices qui lui courraient sur tout le corps, confirmant qu’il s’agissait bien de traces laissées par des chasses. Elle s’en serait doutée. Il sembla par ailleurs préciser que nombre d’entre elles étaient dues aux missions en solitaire.
 
* Opérer seul ? Quelle idée… *
 
Dans sa propre expérience, que ce soit le mâne ou la furie rouge, la jeune femme était parfaitement certaine qu’elle ne s’en serait pas sortie vivante si elle avait dû affronter ces créatures seule.
Du coup cela lui paraissait un peu inconscient, mais comme il disait… Il était toujours là pour en parler.
 
Ne sachant pas vraiment quoi ajouter Ayah s’approcha du ballot de paille et entreprit d’en extraire une première brassée. Ce n’était pas la première fois qu’elle dormait dans de telles conditions, mais c’était assez inhabituel, généralement elle dormait plutôt à la belle étoile quand c’était possible.
 
Elle laissa tomber la paille au sol, à plusieurs mètres de son camarade et tâcha d’aller récupérer une seconde brassée qu’elle ramena auprès de la première. À la suite de quoi elle s’agenouilla et commença à éparpiller méthodiquement les épis pour se faire une couche de fortune.
 
Ce faisant, l’homme s’était déjà allongé sur la sienne, elle lui jeta un rapide regard, il avait les mains croisées derrière la tête et semblait prêt à passer la nuit. Elle détourna son attention, continuant de se préparer pour la sienne.
Elle l’écouta néanmoins, tandis qu’il reprenait une nouvelle fois la parole, la questionnant à nouveau, mais cette fois son expression semblait moins empreinte de défiance.
 
« Je ne sais pas ce qui lui fait dire ça. Trop jeune ? J’ai quand même vingt-cinq ans et j’exerce depuis de nombreuses années dans ce domaine. » Commença-t-elle, s’asseyant sur sa couche de paille et prenant des genoux dans ses bras. « Néanmoins, ma compétence reste assez limité. Je ne suis pas une experte en maladies, mon rôle consiste à guérir des blessés sur des champs de bataille et limiter les pertes. C’est tout. »
 
Elle marqua une courte pause, dirigeant à nouveau son regard vers lui et croisant son regard implacable.
 
« Pour ce qui est du pouvoir de guérison… C’est exact, mon pouvoir est bien de cette nature. Je m’entraîne régulièrement pour l’affiner, mais pour l’heure il consiste principalement à refermer des plaies et hémorragies. C’est en lien avec l’eau, celle présente dans ton corps, par exemple. »
 
Elle épousseta machinalement les quelques grains de sables toujours pris dans ses vêtements, la fatigue commençait à lui rappeler qu’un bon repos ne serait pas du luxe.
 
« En ce moment je travaille beaucoup pour lui trouver une utilisation offensive et défensive. C’est toujours utile d’avoir des ressources à disposition en combat… Enfin, c’est ce que mes dernières expériences m’ont enseigné. » Un léger sourire amical passa sur son visage. « Un jour, peut-être, je t’en ferai la démonstration. Mais pour le moment, j’imagine que nous devrions prendre un peu de repos. La nuit sera courte. »
 
Askr ne semblait pas contre cette idée et ils mirent un terme à cette conversation. Après avoir rajusté une dernière fois sa couche de fortune, Ayah s’allongea sur le côté et se recroquevilla légèrement, tournant le dos au baroudeur, passant l’un de ses bras sous sa tête pour s’en faire un oreiller.
 
Elle mit un certain temps à s’assoupir enfin, mais y parvint quand même.
Seuls les bruits divers des chevaux et celui du vent à l’extérieur se faisaient entendre, troublant le calme dans cette grange. Toutefois cet abri était bien mieux que de passer une nuit au pied des remparts.
 
La garde n’était pas frileuse et il ne fit pas particulièrement froid cette nuit-là, mais le confort était tout relatif et le repos plutôt sommaire. Néanmoins, c’était du repos tout de même.
 
Ayah sombra dans un sommeil sans rêve, entrecoupé de quelques réveils intempestifs au milieu de la nuit.
 
 
De l’agitation autour d’elle la tira de ses songes au petit matin. Confuse par le réveil, elle prit quelques instants avant de réaliser que Askr semblait déjà bien réveillé et s’affairait déjà.
 
Elle se redressa en position assise et se frotta un instant les yeux avant de s’étirer, émergeant peu à peu :
 
« Bonjour Askr. Tu es déjà levé, je ne t’avais pas entendu. » Fit-elle doucement, se débarrassant de la paille qu’elle avait dans les cheveux. Son regard se porta vers la porte de la grange, une légère lueur indiquait que le soleil était sur le point de se lever, il était très tôt. « Tu es bien matinal. A raison, ne nous attardons pas ici. »
 
La guérisseuse se redressa et commença à ramasser la paille qui lui avait servi pour la nuit pour la remettre à sa place un peu plus en hauteur.

Il leur fallait maintenant se préparer sommairement, seller les chevaux, remplir les gourdes et partir en quête des fameuses plantes. Plutôt simple non ? Tout ceci serait bien vite réglé !