Ils laissèrent donc leurs montures dans la grange tandis qu’ils se lançaient par leurs propres moyens à l’assaut des routes. L’air matinal était frais et agréable, le ciel était complètement dégagé : promettant au duo une journée chaleureuse mais belle.
Il valait toutefois mieux profiter de la fraîcheur matinale pour mener à bien leur récolte avant d’être assommés par l’astre solaire.
 
Ayah, qui suivait docilement le baroudeur prit une grande inspiration : appréciant les doux embruns de la mer, un peu plus agitée ce jour-là, sans pour autant être démontée. Ils firent mine de gagner les docks du petit village : les pêcheurs étaient partis de bon matin et reviendraient certainement d’ici quelques heures.

L’endroit était donc peu animé et ils purent s’avancer sur les pontons de bois sans la moindre difficulté.
 
Askr était un personnage des plus intriguant. Vu comme ça, c’était indéniablement un homme d’action et d’ailleurs, tout chez lui le rappelait. De ses cicatrices à sa carrure en passant par la froideur guerrière qui habitait son regard.
 
Il n’avait vraiment rien d’un érudit, vraiment. Néanmoins, il était bien loin d’être ignare.

En fait, il paraissait même plutôt bien renseigné : du moins sur les plantes qu’ils recherchaient.
Il avait raison, les asclius ne seraient probablement pas sur les côtes.
La nature quelque peu fragile de ces algues les empêchait de se développer correctement dans un milieu soumis à une agitation trop intense.
 
Aussi préféraient-elles des cotés un peu plus reculées que le front de mer : une crique seraient l’idéal, mais y en avait-il une dans le coin ?

Ayah ne connaissait pas les environs et ne pouvait le certifier…
En tous cas, Askr semblait désireux d’observer le littoral depuis les pontons des bateaux de pêcheurs. Une bonne idée ? Peut-être, en tout cas ça ne mangeait pas de pain.
 
Sentant des regards sur eux Ayah regarda par-dessus son épaule et surpris quelques villageois en train de les observer avec un air suspicieux.
 
* Ils sont si tendus… Il va falloir tirer tout ça au clair, peut-être en toucher un mot ou deux à Valentino quand on rentrera au Bastion… *
 
« Tu vois quelque chose de ton côté ? »
 
La voix de son partenaire la tira de ses songes, il se tourna vers elle : la tonalité de sa voix était très calme, c’était reposant.
 
« Oh heu… Tu vois là-bas ? J’ai l’impression que ces rochers protègent ce qui se trouve derrière : un peu comme des brise-vagues naturels. Ce doit être un petit renfoncement de terre, l’eau devrait être moins soumise aux courants et aux vagues. »
 
D’un commun accord, ils convinrent qu’il s’agissait certainement là de leur meilleure piste et ils se dirigèrent vers la sortie du village.
 
« Reprenons nos armes. » Glissa-t-elle doucement à son partenaire, tandis que l’une des sentinelles de la veille les regardait approcher.
 
La milice ne leur posa aucun problème et les autorisa à reprendre leurs possessions à conditions qu’ils quittent le village avec. Ils pourraient revenir plus tard, mais devraient toujours déposer leurs armes dans ce grand coffre de bois.
 
Le regard de l’un des mercenaires fut particulièrement pesant sur eux. La guérisseuse sentit une espèce de curiosité malsaine : une impression qui fut largement confortée quand elle perçut du coin de l’œil la sentinelle se pencher vers son collègue pour une messe-basse qui sembla beaucoup les amuser.
 
Un peu mal à l’aise, elle tâcha de les ignorer, reportant pleinement son attention sur la route qui les attendait. La présence réconfortante de son arme à sa hanche ne parvint cependant pas à adoucir cette gêne.
 
Ils ne conversèrent pas beaucoup sur le chemin qui devait mener à la pseudo-crique que la jeune femme avait cru apercevoir. Ils échangèrent simplement quelques banalités sur la qualité de leur sommeil, sur leurs impressions de l’alchimiste, de leur ressenti vis-à-vis des villageois… Ils n’évoquèrent même pas les sentinelles qui semblaient très intriguées par le duo.
 
Néanmoins, aussi futiles furent ces échanges, c’étaient tout de même des paroles qui les accompagnèrent sur la courte route qu’ils remontaient en direction du nord. Finalement, ce qu’Ayah avait vu ne serait pas de nature à protéger suffisamment la cote des remous maritimes, et ils prirent le parti de continuer leur route.
 
Grand bien leur prit ! Car au bout d’une bonne heure de marche ils aperçurent en contrebas une minuscule crique, peut-être d’une vingtaine de mètre de diamètre : mais presque entièrement fermée. Il n’y avait quasiment aucun vague et l’eau était très calme en comparaison avec ce qu’il y avait en dehors.
 
« Regarde ! Cet endroit me semble idéal ! Descendons voir. » Fit la jeune militaire, laissant un air satisfait éclairer son visage.
 
Ils descendirent ensemble une pente quelque peu escarpée. Ayah manqua de glisser une fois main la main ferme et assurée de son compagnon se referma sur son bras et l’empêcha de tomber. La leçon était bien comprise : elle le remercia d’un simple hochement de tête et continua prudemment sa descente.
 
Il fallait le dire, la pente était plutôt raide, et les minuscules gouttelettes d’eau que charriait le vent marin humidifiait la roche, ce qui n’arrangeait pas vraiment leurs affaires, il fallait bien le reconnaître.
 
Mais ils arrivèrent finalement à destination : au bord de l’eau et se mirent à scruter la surface pour tenter de trouver ce qu’ils recherchaient. Askr s’éloigna et Ayah parti dans une autre direction, étudiant attentivement la surface scintillante de la mer.
 
Et puis, tout à coup, un éclat mauve attira son attention un peu plus loin… Elle s’arrêta, se pencha, et laissa un grand sourire triomphal barrer son visage :
 
« Askr ! Il y en a ici ! Et en bonne quantité ! » S’exclama-t-elle, se redressant et lui faisant de grands signes, joviale.

Avait-elle remarqué les léviarans dans l’eau ? De prime abord, non.
S’attendait-elle à la réaction de Askr ? Oh mais, Que nenni !
 
Ayah eut le souffle coupé quand son compagnon l’écrasa brusquement après un placage de toute beauté qui figurerait fort aisément dans les annales des plus belles actions au football américain.
Reprenant ses esprits quelques secondes après l’impact, elle le dévisagea d’un air stupéfait tandis qu’il lui intimait le silence en plaquant une main sur sa bouche, confortablement installé sur elle.
 
* Qu’est-ce que… *
 
La garde n’était vraiment pas d’un naturel violent, mais il était hors de question qu’elle se laisser agresser de la sorte. Et là, disons qu’il allait un peu trop loin, même s’il lui avait évité une bien mauvaise chute.
 
Aussi s’apprêtait-elle à lui envoyer un crochet bien senti en plein dans le foie quand, à quelques centimètres de sa face, il lui expliqua la raison de son geste, lui redonnant la faculté de parole.
 
Une moue indéchiffrable sur le visage, elle lui lança un coup d’œil perplexe tandis qu’il roulait sur le côté. Elle se redressa en position assise sans dire un mot : elle avait très bien entendu et compris ce qu’il venait de lui dire.
 
* Des léviarans ? Ici ? Quelle veine… *
 
Elle tressauta quand il entreprit de lui épousseter le sable des épaules : probablement sa façon à lui de s’excuser ? Fort heureusement la jeune femme n’était vraiment pas du genre à nourrir de rancune, et encore moins pour ce genre de malentendu.
 
« S’il ne le sont pas déjà… » Fit-elle en haussant les épaules, continuant de se débarrasser elle-même du sable qu’elle avait un peu partout.
 
Elle observa Askr réfléchir à haute voix, expliquant ce qu’il savait sur les bestioles.  Encore une fois, elle fut assez surprise de constater à quel point ses connaissances pouvaient être vastes en matière d’animaux et de plantes. Ce type était un vrai bestiaire vivant.
 
Deux choix s’offraient donc à eux : rebrousser chemin ou tenter d’éloigner les créatures pour ramasser quelques plantes avant de prendre la poudre d’escampette. Ayah considérait pensivement la question, les yeux rivés vers le bord de l’eau : direction dans laquelle elle avait vu les fameuses plantes.
Combien de temps faudrait-il pour ramener ce dont ils avaient besoin ? Effrayer les léviarans pourrait être une solution viable, mais peu durable, il faudrait certainement se hâter avant qu’ils ne reviennent.
 
Les plantes étaient plutôt grandes, mais n’étaient pas particulièrement difficiles à ramasser, le tout était de bien faire attention à ne pas abimer les grappes de fleurs qui accompagnait les algues : mais ça pourrait le faire…. La jeune femme avait l’habitude de les manipuler.
 
Elle l’écouta avec respect, mais aussi avec curiosité, tandis qu’il exposait davantage son plan : expliquant la nature de son pouvoir. Enfin… « Expliquer ». Elle se demanda s’il se serait exprimé d’une façon différente s’il avait eu affaire un à enfant de cinq ans.
 
Non mais, « faire des booms devant soi » ? Sérieusement ? Néanmoins, un léger sourire bienveillant se dessina sur son visage : il ne pensait pas à mal, elle en était sûre ! C’était juste une maladresse de ça part, en soit, ça avait un petit côté mignon.
 
Elle reprit néanmoins bien vite son air sérieux, un peu plus grave, tandis qu’elle lui donnait son avis sur la question :
 
« Je partage ton avis. Je pense que ces créatures ne sont pas les plus dangereuses qui soient même si effectivement leur nombre pourrait vite poser problème… Si tu te sens de les tenir à distance une petite minute je devrais être capable de récupérer une paire d’asclius. » Elle fronça les sourcils, réalisant au fur et à mesure qu’elle parlait que c’était un pari plutôt risqué. « Néanmoins, je compte sur toi pour protéger mes arrières au cas où. »
 
L’affaire était donc entendue et, fidèle à son plan, Askr s’approcha du bord de l’eau pour tenter d’effrayer les bestiaux.
Après un dernier échange implicite entre eux, ils sentirent qu’ils étaient tous deux prêts pour la suite des évènements… Ils avaient un plan simple… Difficile de ne pas s’y tenir.
 
Quant à savoir s’il allait marcher…
 
L’aventurier se mit à hurler en décrivant de larges mouvements avec ses bras, lançant violemment à deux reprises une grosse pierre qui fendit les eaux.
Sur le qui-vive, Ayah scrutait la surface des eaux : on pouvait très distinctement distinguer des remous, certainement les léviarans qui se mettaient brusquement en mouvement !
 
La jeune femme s’approcha sans ménagement du bord, apportant sa pierre à l’édifice pour effrayer les paisibles créatures aquatiques. Les pauvres n’avaient rien demandé, mais il valait mieux ça que les exterminer. En considérant que c’était chose possible, évidemment…
 
En tous cas, la manœuvre semblait porter ses fruits et elle ne vit plus aucun animal à proximité des précieuses plantes. Confiante dans les capacités de l’aventurier, elle entra dans l’eau : le dénivelé était très abrupt et elle eut immédiatement de l’eau jusqu’à la taille.
 
Elle frissonna, l’eau n’était pas particulièrement chaude… Mais elle n’était pas particulièrement frileuse ! Elle ferait avec. D’ailleurs, elle réalisa trop tard qu’elle aurait dû retirer ses manches et sa ceinture avant d’entrer dans l’eau : elle sentait déjà ses vêtements l’alourdir.
 
Heureusement, les asclius n’étaient pas loin, elle n’aurait pas besoin de perdre pied pour y accéder.
Askr s’évertuait toujours à beugler quand elle arriva à portée de son but, quelques mètres plus loin. L’eau lui arrivait au cou et elle dû plonger pour cueillir la première asclius : une algue de deux bons mètres qu’elle enroula savamment en travers de son corps.
 
Elle essaya de regarder autour d’elle, Askr ne semblait pas crier de mise en garde, et elle plongea une seconde fois, arrachant une deuxième algue et la fixant fermement elle en travers de son torse.
 
Une troisième fois ! Elle poussait sa chance, mais elle voulait être sûre de ramener les plantes en quantité suffisante, bien qu’une seule aurait pu largement suffire en soi.
La guérisseuse se décora donc de cette dernière écharpe avant de considérer qu’elle était peut-être un peu trop en train de flirter avec le destin.
 
Elle entreprit donc de se rapprocher péniblement vers la cote. Elle avait de l’eau jusqu’au nombril quand elle lança à Askr un grand sourire triomphal :
 
« Ça a marché ! »
 
Bon… Il fallait encore sortir complètement de l’eau : plus elle avançait et plus s’était difficile à cause de ses vêtements imbibés d’eau de mer.


HRP (troll)

Le cri de guerre de Askr pour intimider les léviarans:

L’effort était intense.
 
Alourdie par les algues et ses vêtements détrempés, Ayah peinait à rejoindre la rive : et plus elle s’arrachait à l’eau, plus la gravité se rappelait à son bon souvenir. Néanmoins, la jeune femme persista dans son avancée et ne s’arrêta pas une seule fois, mue par le désir de bien faire.
 
Askr semblait toujours tenir les léviarans à une distance respectable, mais certains d’entre eux semblaient déjà s’enhardir et s’approcher dangereusement, bien qu’il n’y eût rien de bien menaçant dans leur attitude… De la curiosité tout en plus ?
 
La guérisseuse marcha vers son compagnon, un grand sourire aux lèvres : oui, il ne restait plus qu’à déguerpir ! Elle se retourna, les léviarans les suivaient de loin, apparemment de moins en moins sujets à l’intimidation.
 
« Merci. » Souffla-t-elle, reconnaissante, quand l’aventurier la débarrassa du poids des asclius.
 
Ainsi allégée, elle put se mouvoir plus facilement, bien qu’elle se sentît toujours très alourdie par ses vêtements détrempés. Le duo se mit à courir vers la falaise : mais Ayah marcha sur quelque chose et manqua de tomber dans sa course.
 
Il y eut un crac sinistre, suivi d’un silence de mort. Quelques instants passèrent dans une sorte de calme avant la tempête avant que la fureur des léviarans se déchaîne. Apparemment, était VRAIMENT temps de changer d’air !
 
Ayah s’extirpa tant bien que mal et reprit la course : très vite ils se retrouvèrent face à la falaise : assez abrupte mais pas impossible à escalader. Simplement… Il fallait se dépêcher s’ils ne voulaient pas avoir à défendre leur vie face à une meute enragée.
 
Elle commença à tenter d’escalader, et l’aventurier sembla faire en sorte de surveiller ses arrières. La bleue voulut lui intimer de commencer lui aussi à monter mais elle réalisa bien assez vite qu’ils avaient un autre problème… Trempée et alourdie comme elle était, elle avait le plus grand mal à gravir cet obstacle naturel et glissait toujours après avoir monté quelques mètres.
 
* Pas question d’être un boulet * Songeait-elle, dents serrait tandis qu’elle partait à nouveau à l’assaut de la paroi, ne répondant à la question d’Askr que par une sorte de grommellement frustré.
 
Elle l’écouta quand il parla, mais se demanda si elle avait bien compris. La propulser en haut à l’aide de son pouvoir ? Non, elle ce n’était sûrement pas ce qu’il voulait dire…
 
Faisant comme si de rien n’était, la jeune femme était très concentrée sur son ascension : cette fois elle allait y arriver ! Un pas, puis un autre…
 
Elle perdit l’équilibre et bascula un peu en arrière : son postérieur entra en contact avec quelque chose qu’elle n’eut même pas le temps d’identifier, l’instant d’après elle se retrouva propulsée dans les airs avec un grand « WAAAAAAH » de surprise.
 
Après un beau vol plané, la bleue atterrit lourdement au sol : se ramassant sur le flanc droit.
Ayah était très confuse tandis qu’elle se redressait, grimaçant de douleur sur le coup : la rencontre avec le sol n’avait pas été des plus agréable, mais elle n’avait pas l’impression de s’être cassé quelque chose.
 
* Qu’est-ce qu’il s’est passé ? *
 
Askr ! Elle se souvint qu’il lui avait parlé d’utiliser son pouvoir sur elle. Elle pensait avoir mal compris, mais le bougre l’avait réellement fait !
Elle ne lui en voulait pas, après tout il fallait bien reconnaître qu’elle n’était pas très bien partie, et c’était sûrement nécessaire…
 
Un cri plus strident que les autres se fit entendre : les léviarans ! Par pur instinct Ayah se faisait du souci pour le baroudeur. Se tenant le coté endolori, elle s’avança aussi vite qu’elle le pu vers le bord de la falaise pour voir ce qu’il en était.
 
Elle le vit ramasser les plantes et se lancer vivement à l’assaut de la paroi de la falaise en courant, comme s’il prenait de l’élan. Ce n’était pas comme ça qu’il pourrait monter, et les créatures se faisaient de plus en plus proches et de plus en plus menaçantes !
 
Quelle ne fut pas la surprise de la soldate quand elle assista, la mine interdite, au saut que faisait l’aventurier en direction de leurs ennemis ! Qu’est-ce qu’il fichait ? Il allait se faire réduire en miette : les monstres en bas n’avait pas vraiment l’air très accueillant…
 
BAM ! Juste avant que la gravité ne réclame son dû, une nouvelle détonation se fit entendre et l’aventurier fut violemment propulsé dans les airs. Stupéfaite, Ayah ne put rien faire d’autre que de le suivre des yeux avec une impuissance manifeste.
 
Il tomba lourdement au sol, comme elle avant lui : la jeune femme était pétrifiée de surprise, ce qui l’empêcha de se précipiter vers lui…
 
Elle crut voir du coin de l’œil quelques léviarans siffler avec colère dans leur direction, mais ils ne semblaient pas en mesure de les suivre : la falaise constituait un rempart naturel qu’ils ne semblaient pas désireux de tenter.
 
Plusieurs d’entre eux retournèrent dans l’eau tandis que d’autres restaient plantés en bas de la falaise, sur la rive, l’air menaçant. C’était un peu comme s’ils les mettaient au défi de redescendre ! Ce que la jeune femme n’avait assurément aucune intention de faire.
 
Askr c’était déjà redressé et elle se précipita à ses cotés aussi vite qu’elle le put. Son flanc la faisait un peu souffrir, mais elle estima que ce ne serait qu’un gros bleu : elle douta avoir subis une fracture costale.
 
« Askr. » L’appela t’elle en posant un genou au sol à son coté.
 
Il avait l’air de se tenir l’épaule : cette dernière décrivait un drôle d’angle et était très probablement déboitée en plus d’être écorchée… Mais la médecin de terrain avait l’habitude de ce genre de traumatisme : le soigner ne serait qu’une formalité.
 
« Attends je vais m’en occuper. Essaie d… » Elle s’interrompit brusquement en croisant son regard. « Tes yeux… Est-ce que ça va ? N’hésite pas à me dire si ce n’est pas le cas. »
 
La jeune femme le dévisagea avec un air perplexe, ce regard…
C’était un regard de bête.

Était-ce son pouvoir qui lui donnait cet aspect ? Cela pouvait paraître bête, mais ça lui rappelait douloureusement ce qu’est devenue la furie rouge.

Sans surprise, Ayah se montra très avenante vis-à-vis de l’aventurier. Sans une once d’hésitation, elle se précipita au chevet d’Askr afin d’évaluer la gravité de ses blessures. Bien évidemment, ce n’était que superficiel et il n’avait pas vraiment besoin de soin magique tout du moins. Seule son épaule démise lui lançait des piques de douleurs lorsqu’il essayait de la bouger.

La soigneuse prit tout de même l’initiative de prendre en charge le soin de ses égratignures sur son épaule. C’est alors que leurs regards se croisèrent et ce que craignait l’aventurier arriva : une expression de surprise étrangement mêlée à de la peur pouvait se lire sur le visage d’ordinaire très doux de la bleue.

« Tes yeux… Est-ce que ça va ? N’hésite pas à me dire si ce n’est pas le cas. » Lui demanda-t-elle tout en le dévisageant.

Askr avait l’habitude qu’on lui lance ce genre de regard, voire même qu’on le décrive comme n’étant pas humain mais cette fois c’était différent : Ayah semblait plus inquiète pour lui, qu’elle n’avait réellement peur.

« Tout va bien… C’est un phénomène naturel chez moi. » Répondit-il sans grande conviction.

En quoi était-ce naturel de voir ses pupilles s’iriser d’un orange luminescent après l’utilisation de son pouvoir ? Encore, si ce dernier avait un lien avec les yeux, pourquoi pas, mais là ce n’était absolument pas le cas. De plus ce n’était pas la seule chose qui changeait chez le baroudeur lors de l’utilisation de son pouvoir. Il sentait aussi un gros pique d’agressivité monter en lui, une agressivité qu’il avait appris à dompter au fil du temps. C’était devenu une routine pour lui, et ce point n’avait absolument aucun impact sur son comportement lorsqu’il restait maitre de ses émotions.

« Tu veux bien m’aider à remettre cette épaule en place ? » Demanda-t-il à la soigneuse.

Un énorme cri assourdissant se mit à retentir juste avant que sa partenaire ne lui réponde. Le rugissement venait de la baie mais de leur point de vue ils n’avaient aucune visibilité sur son origine. En essayant d’identifier la source sonore, Askr se rendit compte que le ciel avant rapidement tourné. L’orage qui était au loin c’était dangereusement approché et un rideau de pluie masquait l’horizon.

Cela ne disait rien qui vaille, une visibilité réduite, un crie étrange, des léviarans redoublants d’effort pour escalader la falaise…

Le baroudeur se leva précipitamment et s’approcha du tronc d’un arbre à proximité.

« On ferait mieux de déguerpir d’ici au plus vite. J’ai un mauvais pressentiment. » Dit-il en plaçant son épaule contre le tronc avant d’effectuer un mouvement sec suivi d’un léger bruit de claquement. Il étouffa un son de douleur et se mit à bouger doucement son épaule maintenant remboitée.

Il revint rapidement en direction de la jeune femme alors que l’obscurité qu’apportait la pluie accentuait le scintillement de ses yeux. Une expression dure sur son visage il se baissa afin de ramasser les plantes avant de tendre sa main vers Ayah qui était toujours à genoux par terre.

Quelques gouttes de pluie frappèrent le pourpoint de l’aventurier. Il fallait rapidement se remettre en route, la pluie allait les ralentir et baisser leur visibilité donc il valait mieux éviter de devoir subir un assaut dans ces conditions.

Askr se demandait bien ce que pouvait réellement penser Ayah de lui. Peut être le voyait-elle comme un monstre après tout. Entre ses yeux et ses agissements très tête brulée, il n’avait pas vraiment fait bonne impression jusqu’à maintenant. Il faut dire qu’il n’avait pas du tout l’habitude de faire équipe avec des personnes comme elle, douce, altruiste et avec un bon sens du devoir et de responsabilité.

« Il faudra que tu m’expliques pourquoi mes yeux semblent autant t’affecter. »

Ayah était très perturbée par le changement physique que l’utilisation du pouvoir d’Askr avait provoqué sur sa personne. Ses yeux étaient passés d’une teinte grisée à une couleur dorée comme l’ambre et bizarrement luisante. Ses pupilles étaient rétractées et allongées, comme des yeux de chat.
 
En temps normal, cela lui serait totalement passé par-dessus la tête, mais le souvenir de la furie rouge était encore un peu trop présent pour qu’elle puisse l’ignorer.
 
L’aventurier décrivait ce changement comme un « phénomène normal » chez lui. Soit, les pouvoirs d’hybridation existaient bien sans que cela ne choque personne… Il y avait Hryfin par exemple, qui prétendait pouvoir se transformer en hippogriffe, bien qu’elle ne l’ait jamais vu à l’œuvre.
 
Se préoccupait-elle un peu trop de ce cas ? Oui, très certainement. Mais c’était comme plus fort qu’elle.
 
Un rugissement épouvantable se fit entendre tandis qu’elle s’apprêtait à lui remettre l’épaule en place : une formalité pour elle, elle avait l’habitude.
 
Mais Askr se dégagea vivement et semblait bien décidé à se remettre d’aplomb lui-même : ce qu’il fit sommairement, prenant appui sur un arbre, sous le regard perplexe de la guérisseuse.
 
* ça aurait été moins douloureux s’il m’avait laissée faire... * Songeait-elle, grimaçant légèrement face à la moue de douleur qui était apparue sur le visage d’habitude si fermé de son acolyte.
 
Elle garda toutefois ces considérations pour elle, cela n’avait pas vraiment d’importance, et de toute façon le mal était déjà fait.
 
Il n’y avait rien de plus à dire, d’un simple haussement d’épaule elle accepta la main tendue du baroudeur et se leva. Elle se sentait lourde, terriblement lente, mais ensemble ils parvinrent tout de même à avancer d’un pas rapide, trottinant un certain temps.
 
Les entraînements subis dans le régiment portaient clairement leurs fruits : et bien qu’alourdie, Ayah garda un rythme soutenu et une bonne endurance pour distancer la menace. Askr avait quant à lui pris soin de récupérer les précieuses asclius avant leur départ précipité, comme il le laissait bien entendre : il fallait déguerpir rapidement.
 
Comme si ce n’était pas suffisant, la pluie et l’orage s’invitèrent aux festivités : les couvrant d’un linceul d’eau. La visibilité en était bien amoindrie, mais le duo savait déjà parfaitement dans quelle direction avancer et ils continuèrent donc de distancer les léviarans furieux.
 
Ces derniers ne les suivraient probablement pas aussi loin : ils pouvaient se mouvoir sur la terre mais ils restaient des créatures profondément liées au domaine aquatique. La pluie pourrait les enhardir, certes, mais la jeune femme doutait fortement qu’ils viennent les chercher aussi loin : surtout au rythme soutenu qu’ils avaient adopté.
 
Elle ne répondit pas à sa dernière remarque, son trouble était-il si apparent ? En son for intérieur elle se referma quelque peu, devait-elle apprendre à mieux se contenir et à empêcher les autres de lire aussi facilement en elle ?
 
Elle regarda quelques instants Askr, elle avait l’impression qu’il était encore un parfait inconnu tout en sachant beaucoup de choses sur lui. En tout cas cette particularité de son pouvoir était intrigante pour elle.
 
Ils alternaient course et marche rapide depuis déjà plus d’une dizaine de minutes quand Ayah, sans baisser le rythme, lança un regard par-dessus son épaule.
 
« Je pense qu’on est déjà hors de leur portée ! Mais quelque chose m’inquiète… Ce cri… Je ne suis pas experte en la matière mais je n’ai pas l’impression qu’il s’agissait d’un léviaran. »
 
Elle fronçait les sourcils, tentant d’apercevoir à travers le lourd rideau de pluie. Son niveau  de connaissance du bestiaire, encore tout relatif, ne lui permettait absolument pas d’associer ce cri à une créature précise.
 
Quoi que ce soit, ça ne viendrait probablement pas des airs, vu comme le ciel était déchaîné. Elle ne voyait rien :
 
« Quoi que ce soit, ça n’a pas l’air de nous avoir suivi... »

Ils reprirent la route à travers bosquets et plaines. La pluie s’était rapidement intensifiée, les privant de l’horizon ainsi que de tout repère géographique mais cela n’avait pas vraiment d’importance pour le moment. L’important était de s’éloigner rapidement de la meute de léviaran et de l’origine du crie tonitruant qui avait résonné dans la baie quelques instants plus tôt.

Ils coururent et trottinèrent pendant une bonne dizaine de minutes sans qu’un mot ne soit prononcé. L’aventurier commençait à sentir ses jambes faiblir sous le poids des plantes alourdies par l’eau qui ne cessait de tomber. Il avait beau être plutôt endurant, il n’en restait pas moins qu’un homme et non pas une bête de trait. Une douleur dans son épaule pulsait par moment, comme un signal d’alarme lui indiquant de ralentir la cadence afin de le ménager.

Le silence fut finalement rompu par Ayah afin de mettre des mots sur ce que tout deux pensaient tout bas : ils avaient maintenant distancé la meute de léviaran et il n’y avait aucune chance pour qu’ils les aient suivis. Elle fit également part des ses inquiétudes concernant le rugissement bien plus lourd que celui d’un léviaran dont ils furent témoins.

Ce cri ne provenait définitivement pas d’un léviaran. Seul une créature plus massive aurait pu produire un tel vacarme, mais quoi ? Le baroudeur lui-même l’ignorait, il avait bien quelques idées mais il ne pouvait rien affirmer avec certitude. Quoi qu’il en soit, la chose ne semblait pas être à leur trousse comme le soulignait la guérisseuse et c’était tant mieux !

« Non, ce n’était clairement pas le cri d’un léviaran. Je ne saurais dire exactement de quelle créature cela provenait mais une chose est sure : la créature était bien plus massive qu’un simple léviaran. »

L’orage s’intensifiait et la foudre frappait le sol provocant d’impressionnantes détonations sonores qui prenaient aux tripes. Ils étaient maintenant arrivés dans une plaine à proximité d’un bosquet et des côtes. N’ayant que très peu de repères ils avaient fait le choix de longer cette dernière pour éviter de se perdre.

Le regard de l’aventurier se perdit dans les yeux azurs de la jeune femme, ne sachant comment lui avouer sa faiblesse physique. De toute manière, le plus judicieux serait de s’abriter, qu’ils soient en pleine forme ou non.

« Vue le temps, on ferait mieux de trouver refuge avant de se faire frapper par la foudre. Je ne donne pas cher de notre peau si cela venait à se produire ! » Déclara-t-il en criant à moitié afin d’être sûr de bien se faire entendre, au cas ou le ciel déciderait de lui couper la parole.

« En plus je commence à faiblir sous le poids de ces plantes gorgées d’eau. » Renchérit-il en prenant soin d’omettre sa douleur qu’il s’était lui-même infligé à l’épaule. Ce n’était pas de la fierté, mais juste que de toute manière le mal était fait et ni lui ni elle n’aurait pu apaiser ses douleurs.

« Dans cette plaine on a aucune chance de trouver refuge, je propose donc de regagner la côte afin de trouver un petit renfoncement dans la roche. Peut être qu’une souche pourrait nous servir d’abri dans ce petit bosquet, vu qu’on doit le traverser pour regagner la côte, ça ne coute rien de regarder. » Termina-t-il tout en replaçant plus confortablement les plantes sur ses épaules.

La bleue acquiesça d’un signe de tête et tout deux se mirent en route vers la côte qui se trouvait à quelques minutes de marche d’eux. Ils ne trouvèrent aucune souche digne de pouvoir leur servir d’abri dans le sous-bois et arrivèrent rapidement sur la cote rocailleuse.

Ce morceau de littoral n’était que très peu sablonneux : seul une petite langue de sable d’un bon mètre léchait la rocaille omniprésente. Comme par réflexe, l’aventurier jeta un regard en direction du lieu vers où ils avaient fait l’étonnante rencontre de la meute d’écailleux. Sa visibilité ne lui permettait pas de voir bien loin, mais il fut rapidement rassuré de voir qu’une barrière de récif tranchant brisait l’océan mouvementé. Elle devait s’étendre sur une bonne dizaine de mètres et formait une bonne barrière infranchissable par quelconque créature rampante.

Ils progressèrent quelques mètres plus loin avant de se rendre compte que le sol était jonché de morceau de bois. Pas du petit bois, mais plutôt ce qui semblait être des vestiges de navire. Rien de bien intéressant pour le binôme toujours en proie aux intempéries.

Une forme de dôme d’un bon mètre de haut attira son regard et il s’en approcha : il s’agissait d’un morceau de coque de navire usé par le temps. Après réflexion, il devait plutôt s’agir des restes d’une barque de sauvetage ou d’embarquement qu’il y a dans tout gros navire. Elle n’était que très peu ensevelit sous le rare sable de cette plage, et le vent la faisant légèrement vibrer par moments.

L’aventurier s’accroupit et déposa les plantes à proximité du vieil embarcadère afin de les abriter du vent. Il plaça ses mains sous le bois et le souleva avec un peu de difficulté mais constata la possibilité de la chose. D’un coup de pied il fit glisser les précieuses plantes en dessous avant de reporter son attention sur la guérisseuse :

«  Les plantes, et les dames d’abord ! » Dit-il avec humour en inclinant légèrement la tête sur le côté.

Il se glissa ensuite en dessous et s’allongea sur le dos aux côtés de la garde. Le vent sifflait mais ne s’engouffrait pas dans leur abri de fortune. Une forte odeur de plante et de sel s’installa rapidement dans l’habitacle.

Askr avait un caillou qui lui écorchait le dos entre les omoplates mais il ne put s’en défaire et prit son mal en patience : ils n’allaient pas rester des heures ici. Ce genre d’orage ne durait jamais bien longtemps, une demi-heure tout au plus et en sachant qu’ils avaient déjà crapahuté pendant une vingtaine de minutes, ils ne leur restaient qu’une dizaine de minutes tout au plus avant que le ciel se montre plus clément.

Il devenait évident qu’il fallait s’abriter au risque de subir les foudres célestes… Mais où ? La plaine était plongée dans un chaos grondant et la visibilité était très mauvaise.
De temps à autre, l’électricité dans l’air « explosait » dans un éclair qui tombait tout proche : bien trop proche…
 
Askr proposait de rejoindre la coté pour trouver un abri, et la jeune femme se contenta d’hocher la tête : après tout elle n’avait vraiment rien de mieux à lui proposer, et il semblait avoir une certaine expérience en matière de survie.
 
Vu la distance qu’ils avaient déjà parcourue, il était fortement improbable qu’il se confrontent à un nouveau problème de léviarans, ou de toute autre créature d’ailleurs. La guérisseuse ne voyait pas quel genre de monstre pourrait les embêter dans un contexte pareil.
 
Elle voulut lui proposer de l’alléger de quelques plantes, mais le baroudeur était déjà en marche. Ils cherchèrent en chemin de quoi s’abriter, mais l’environnement ne leur offrit absolument rien d’exploitable.
 
Quand ils arrivèrent sur une petite langue de sable, Ayah regarda autour d’eux, en quête de quelque chose qui pourrait les protéger de ce vent cinglant et de cette pluie battante. Ils n’étaient plus sur un point culminant et le risque de se faire frapper par la foudre était maintenant bien amoindri.
 
Askr semblait avoir trouvé quelque chose et la garde s’approcha : il cherchait à soulever ce qui semblait être une coque d’une embarcation échouée. Le bois avait été tanné par le soleil et le sel, mais ne semblait pas pourri.
 
 Encore une fois, il sembla mettre un point d’honneur à soulever l’obstacle seul et après avoir passé les plantes en dessous invita Ayah à… Entrer là-dedans ? Elle lui jeta un regard circonspect mais une nouvelle bourrasque insidieuse la fit frissonner : elle avait froid.
 
Ils étaient tous les deux détrempés et il n’y avait rien à faire là, dehors, tant que la pluie plus ne s’était pas calmée… Ils étaient si proches du but : une petite trentaine de minutes de marche et ils seraient de retour dans le village. Mais pour l’heure il fallait patienter le temps que le calme revienne.
 
Ayah se glissa donc sous la coque protectrice de l’embarcation retournée et fut rapidement rejointe par l’aventurier.
 
Il faisait noir, et l’air était empreint d’une prégnante odeur d’iode : mais au moins le duo était préservé des affres de la pluie et du vent. Temporairement du moins…
 
L’espace ici était très restreint et ils étaient très proches l’un de l’autre. Bien que, dans un premier temps, chacun tenta de garder son petit espace vital : la situation était un peu gênante.
Toutefois, vu l’état dans lequel ils étaient : partager un peu de chaleur corporelle ne serait pas du luxe, surtout que maintenant ils ne bougeaient plus et que le froid allait rapidement se rappeler à leur bon souvenir.
 
Timidement, progressivement et en silence, ils arrivèrent à une espèce d’accord commun : la situation était suffisamment délicate pour ne pas avoir à mettre de mots dessus, Ayah se blottit contre le baroudeur pour bénéficier de sa chaleur et partager la sienne.
 
Ils restèrent ainsi l’un contre l’autre, silencieux, attendant que la tempête dehors cesse : ou du moins se calme suffisamment pour leur permettre de reprendre la route. La bleue était plutôt mal à l’aise, mais heureusement son trouble était difficilement percevable dans cette obscurité : et elle ne savait pas ce que l’aventurier penserait de tout cela.
 
Elle espéra toutefois qu’il ne se méprendrait pas sur les intentions de la militaire.

Askr la rejoint bien rapidement sous leur étroit et humide abri de fortune. Il faisait froid, l’air était lourd, saturé d’humidité relâchée par corps respectifs. Bien qu’Askr avait froid, il n’en tremblait pas pour autant, car c’était un tout autre souci qui occupait ses pensées : le roc qui lui labourait le dos en lui causant des piques de douleurs.


Ils étaient tous deux dans une position inconfortable entamant leur espace vital respectif et ni l’un ni l’autre n’osait ouvrir la bouche pour quoi que ce soit bien qu’Ayah semblait frigorifiée. L’idée de partager sa chaleur corporelle traversa bien l’esprit du baroudeur, mais il n’en fit rien, étant dans l’incapacité de se déplacer. La soigneuse glissa peu-à-peu contre lui et ce geste ne le dérangeait nullement, bien au contraire, il n’était pas contre un peu de chaleur dans ces circonstances. Evidemment il aurait tout aussi bien pu endurer le froid seul, mais en cet instant, il ne l’était pas.


Il avait déjà agi comme s’il était seul en arrivant aux abords du village et sa partenaire lui avait, à juste titre, rappelé que ses actes pourraient avoir des conséquences aussi bien pour lui que pour elle. Fut un temps où la vie des autres ou leur bien-être passait avant le sien. Qu’était-il devenu ? Avait-il à ce point changé durant toutes ces années à ne se soucier que de sa personne ?


On n’échappe pas facilement à sa nature et Ayah en était le parfait exemple : il avait tout de même du respect pour sa personne et de la considération pour son bien-être malgré le fait qu’il ne la connaissait que depuis peu. Il pourrait même se lier d’amitié avec elle malgré le fait qu’elle fasse partie de la garde. Elle semblait avenante et était débordante de gentillesse. Tous ces traits allaient bien avec sa beauté générale mais plus particulièrement celles de ses expressions faciales.


Askr oublia bien rapidement la douleur dans son dos pour se concentrer sur une tout autre chose. Ce rapprochement fit germer quelques idées toutes aussi saugrenues les unes que les autres. Depuis quand n’avait-il pas touché une femme ? Il s'était détourné d’elles voilà bien des années mais voilà qu’il se retrouvait dans une position assez délicate avec Ayah, si bien que ses instincts d’homme l’envahirent progressivement.


La honte s’insinua peu à peu en lui, car il n’avait aucun contrôle sur ce qui se produisait en ce moment. Il se surprit à prier intérieurement pour que la jeune femme ne remarque rien et prit son mal en patience afin que ses bas instincts le quittent, mais ils étaient tenaces. Il se racla la gorge et pivota très légèrement sur le côté opposé à Ayah de manière à éviter que son anatomie ne la touche par inadvertance.


« Je… Je suis désolé… » Dit-il simplement au cas où la demoiselle aurait compris ce qu’il se passait chez le baroudeur.


Il reprit rapidement la parole afin de balayer ces excuses qui pourraient n’avoir aucun sens aux oreilles de la bleue si elle n’avait rien remarqué.


« Le temps semble s’être calmé. On devrait sortir jeter un coup d’œil. »


Une bonne dizaine de minutes, c’était écoulé depuis qu’ils avaient trouvé refuge là-dessous. Le vent semblait moins intense et le tumulte de la pluie frappant le bois, c’était considérablement atténué. Askr souleva l’embarcadère avec l'aide d'Ayah jusqu’à le retourner puis il se glissa péniblement en roulant sur le sable rocailleux. L’une de ses jambes était complétement engourdie et la douleur dans son dos revint de plus belle lorsqu’il roula. Il se hissa en position assise avant de porter sa main où le roc lui avait charcuté le dos.


Du sang, sa main en était recouverte. Au toucher de sa plaie, une chose l’interpella : était-ce bien une pierre qui lui avait effectué cette blessure là-dessous ? Il avait plutôt l’impression d’avoir reçu un coup de lame émoussée.


« Le temps est plus clément, je pense qu’on pourrait reprendre la route. Mais avant, je veux vérifier un truc. » Déclara-t-il en regardant les plantes éparpillées sur le sol.


Askr s’accroupit et tâtonna le sol jusqu’à mettre la main sur l’objet de sa torture : ce n’était en rien une pierre. Il tira dessus afin de l’extirper du sable : il s’agissait d’une sorte d’outil des champs, comme une vieille bêche à moitié rouillée et déformée. Seule une dizaine de centimètre de bois du manche y était encore accroché.


« Je me disais bien... » Grommela-t-il avant de jeter l’objet devant lui.


Son entaille était au beau milieu de son dos et était difficilement accessible par ses propres moyens. Ce fut avec gêne qu’il posa son regard sur la soigneuse toute sablonneuse. Ses vêtements mouillés lui collaient à la peau et mettaient en valeur certaines de ses courbes. Le gris se remit à penser à ce qui c’était passé là-dessous quelques minutes plus tôt. Il secoua doucement la tête afin de chasser toutes ses pensées et se retourna afin de lui montrer son dos.


« Cela m’embête de te demander ça, mais tu penses que tu pourrais nettoyer un peu ça ? » Demanda-t-il doucement en pointant son dos avec son pouce par-dessus son épaule.


Entre la rouille et le sable, il valait mieux assainir cette plaie au plus vite. La pluie avait cessé de tomber, et le vent soufflait légèrement. La visibilité étant bien meilleure qu’à leur arrivé, l’aventurier balaya les lieux d’un rapide coup d’œil : une belle épave de navire était étalée sur plusieurs dizaines de mètres le long des récifs.

L’attente lui avait semblé plutôt longue sous cet abri de fortune…
Était-ce la forte odeur qui régnait dans l’air ? L’humidité suffocante ? Les ténèbres écrasantes ? Ou alors… La douce chaleur que dégageait Askr ?
 
Cela faisait déjà une dizaine de minutes qu’ils se blottissaient l’un contre l’autre pour tenter de garder le peu de chaleur qu’ils avaient : ils étaient trempés.
 
Ayah était franchement mal à l’aise face à cette situation, mais avaient-ils vraiment le choix ?
En tous cas, il était fort arrangeant pour elle que l’obscurité ne permettait pas au baroudeur de voir l’expression de malaise ancrée sur son visage.
 
Elle était littéralement frigorifiée et cette chaleur n’était vraiment pas du luxe pour elle. Mais l’aventurier n’avait pas l’air du même avis et finit par pivoter pour lui tourner le dos. Avait-elle été trop loin dans son espace personnel ?
 
« Ah désolée… C’est moi. » Murmura-t-elle, balayant succinctement ses excuses, elle n’avait en réalité pas vraiment idée ce qu’il se passait du côté de Askr et continuait de nourrir le quiproquo.
 
Il était difficile pour elle de dire s’il était contrarié ou non tandis qu’il sortait de leur cachette : elle l’aida néanmoins à soulever et retourner le large morceau de bois. Une mine désolée flottait sur son visage, mais au moins le temps se montrait déjà bien plus clément avec eux !
 
Bientôt ils ramèneraient les plantes à la commanditaire de la quête, et le malentendu serait dissipé, il serait dommage qu’ils se quittent en mauvais termes pour ça ! L’aventurier était un peu bourru, mais il ne représentait pas une compagnie désagréable.
 
La jeune femme tenta de retirer la grande quantité de sable qui la recouvrait, mais c’était vraiment compliqué. Le sable ne quittait ni ses vêtements ni sa peau humide, et elle abandonna bien vite cette ridicule entreprise.
 
D’ailleurs Askr n’en menait pas large non plus, la garde réprima un sourire amusé : non, décidément, l’un n’était pas mieux loti que l’autre ! Mais quelque chose semblait perturbé l’aventurier, qui se contorsionnait pour toucher son dos : assis au sol.
 
Il retourna à l’endroit où ils étaient allongés quelques instants plutôt, sous le regard confus de la guérisseuse. Avait-il perdu quelque chose ? Elle n’avait pas remarqué la trace sanguinolente dans son dos.
 
Il sembla trouver bien vite ce qu’il recherchait et jeta devant lui ce qui semblait être un objet pointu fait de métal. C’est alors qu’elle comprit qu’il était blessé, et elle ne put qu’accepter de l’aider quand il le lui demanda : pointant du pouce sa plaie.
 
« Ah ! Oui bien sûr. Assieds-toi je m’en occupe. » Elle s’approcha de lui et s’assit juste derrière, levant délicatement de petits pans de vêtements autour de la blessure pour examiner la lésion.
 
Ce n’était pas grand-chose, en tout cas rien qu’elle ne pouvait régler rapidement et facilement avec son pouvoir.
 
« Ça va aller, c’est très superficiel. Oh, je n’imaginais pas t’en faire la démonstration si vite ! » Ajouta-t-elle, ajoutant une touche de légèreté à son intervention. « Tu verras, ça te donnera une petite sensation de froid, mais ça passe bien vite, et tu seras comme neuf ! »
 
* Et puis ça peut être une bonne occasion de me faire pardonner pour tout à l’heure. *
 
Ayah avait une grande hâte de rentrer à la caserne, mais elle se demandait si l’orage pourrait reprendre en chemin. Mais que faire autrement ? Ils venaient à peine de dépasser midi : elle se voyait mal passer toute la journée dans ce petit village de pêcheur.
 
« J’y vais. »
 
Oubliant ses préoccupations, la bleue concentra sa magie dans ses mains avant de les poser doucement sur le dos de son partenaire de quête. Le flux réparateur de son énergie passa dans le corps de l’homme et commençait déjà à renfermer et nettoyer la blessure : la débarrassant des grains de sable qui la souillaient.
 
En deux minutes, le tour était joué, cela n’avait pas demandé beaucoup d’énergie : la blessure était vraiment mineure et assez peu profonde. Néanmoins, elle était très certainement extrêmement douloureuse.
 
 « Et voilà ! » Elle se redressa et se remit debout, un petit sourire triomphal accroché aux lèvres. « Comme neuf ! On se remet en route ? On ne devrait plus être très loin du village ! »
 
Souriante, elle lui tendit une main amicale pour l’aider à se relever, et ils reprirent la route ensemble.
 

« Quelle aventure ! » Commença-t-elle, un peu maladroitement pour meubler un peu. « Dommage pour cette pluie : mais ces asclius sont magnifiques, j’espère que l’alchimiste les reconnaîtra à leur juste valeur. »
 
« Ce n’était pas si désagréable comme quête au fi… » Elle se corrigea aussitôt. « Ahem… Je veux dire… On ne s’en est pas trop mal sortis… »
 
Repensant aux derniers moments qu’ils avaient partagé, elle se braqua quelque peu et se découvrit une passion pour le sol. Pourquoi cette confusion ?
 
Normalement elle aurait pu dire cette simple phrase sans le moindre problème. Mais c’est comme si elle craignait qu’Askr interprète mal les choses… Ou alors, au contraire, qu’il ne les interprète trop bien ?
 
La guérisseuse se referma sur elle-même comme un coquillage : une attitude un peu différente de son comportement de la veille.
 
 
Le village fut bientôt en vue !
Ils n’avaient pas beaucoup parlé sur cette dernière ligne droite, et cette vision apparaissait à la jeune femme comme une sainte délivrance. Elle ignorait toujours pourquoi sa gorge était nouée à ce point, son esprit ne pouvait se focaliser : peut-être avait-elle pris froid finalement ? Était-elle tombée malade ?
 
Oui, c’était très certainement ça. D’ailleurs si la pluie s’était arrêtée, le vent quant à lui continuait de balayer la côte, faisant frissonner la jeune femme. Il faudrait trouver une couverture pour pouvoir rentrer dans de meilleures conditions : peut-être que l’alchimiste pouvait avoir ça en stock ?
 
Encore faudrait-il qu’elle accepte de la donner… Et rien n’était moins sûr.
 
« Le ciel à l’air de se dégager… Penses-tu que nous pourrons rentrer au grand port après avoir livré ces plantes ? »

Que s’était-il passé pendant ce rapprochement physique sous l’ombre de la charpente de bois marin ? Pourquoi la bleue c’était elle excuser ? Sans doute à cause de son rapprochement physique, à tous les coups elle avait mal interprété le geste de replis du baroudeur. Mais, pouvait-il s’en excuser au risque d’augmenter la gêne dont il était sujet ? C’est pourquoi il ne dit mot et laissa le quiproquo s’installer dans leurs esprits.

Askr prit bien soin d’éviter le regard saphir de sa partenaire lorsqu’il s’extirpa de leur abri de fortune. Dans le fond, en avait-il vraiment quelque chose à faire de trouver l’origine des tourments qu’avait subis son dos ? Bien évidemment que non, tout ceci n’était qu’un subterfuge, de la poudre aux yeux pour déguiser sa gêne envers la jeune femme.

Il restait là à lui tourner le dos lorsqu’elle s’approcha de lui pour soigner sa plaie. Elle souleva avec délicatesse le vêtement abimé au niveau de la blessure, sans doute pour l’examiner. La soigneuse le rassura en lui indiquant que sa blessure était plutôt superficielle. Pourtant, de son point de vue, le baroudeur avait plutôt la sensation de bien douiller comme il faut. Était-ce parce qu’il avait reporté toute son attention sur ce petit bobo pour fuir Ayah ?

Cette dernière posa doucement ses mains autour de la plaie sablonneuse qui trônait fièrement au beau milieu de son dos. Elle l’avait prévenue, quelques instants plus tôt, qu’une sensation de froid devrait le parcourir mais il n’en fut rien. Il sentit ses omoplates se réchauffer, non pas à cause de la magie mais grâce au contact des mains de la soigneuse. Était-ce parce que tous deux avaient froid ? Ou bien, était-ce dû à une tout autre chose ?

Le processus ne dura que quelques brèves minutes :

« Et voilà ! Comme neuf ! On se remet en route ? On ne devrait plus être très loin du village ! » Déclara-t-elle en se redressant avant de lui tendre la main, l’invitant à se lever, tout sourire aux lèvres.

C’est avec un grand plaisir qu’il l’a saisi pour se relever et se surprit même à lui rendre son sourire. Ce n’était pas un sourire que l’on esquisse vaguement par politesse : il était authentique et venait du cœur. Comment pouvait-il en être autrement ? Elle était si radieuse et une sorte de halo de bienveillance semblait émaner de tout son être.

Le baroudeur dessina de petits cercles avec ses épaules afin de constater l’efficacité implacable du pouvoir de guérison de la jeune garde. Il ne ressentait plus aucune gêne. Il avait même l’impression de se sentir mieux que d’habitude et ça en était assez perturbant sur le moment. Peut-être avait-elle dénoué de vieux nœuds dans son dos par effet de bord ?

« Je te remercie, tes soins sont vraiment convaincants ! Je pourrais y prendre gout tu sais… » Plaisanta-t-il maladroitement avant de se remettre en route.


Ils marchèrent silencieusement, frissonnant à chaque petite bourrasque de vent sur leurs habits qui étaient toujours bien humide. Le vent ne soufflait pas bien fort mais cela était bien suffisant pour donner un petit coup de froid à chaque fois. Le baroudeur avait l’habitude et endurait plutôt bien la chose mais cela ne semblait pas être le cas pour Ayah qui se crispait à chaque embrun rapporté par l’océan.

En l’état, Askr ne pouvait rien pour elle et mieux valait se hâter de regagner le village afin d’y trouver le réconfort d’un bon feu. Le silence fut brisé par la jovialité d’Ayah qui se sentait le besoin d’exprimer son ressentit sur leur aventure :

« Ce n’était pas si désagréable comme quête au fi… Ahem… Je veux dire… On ne s’en est pas trop mal sortis… » Baragouina-t-elle maladroitement avant de river son regard vers le sol.

Avait-elle dit quelque chose de mal ? Askr la sentit bien mal à l’aise et répondit rapidement pour tenter de la rassurer :

« Je suis content que tu aies trouvé cette quête agréable ! Je partage cet avis. » Commença-t-il en portant sa main sur l’une de ses épaules pour épousseter le sable qui avait commencé à sécher grâce au vent.

« Je dois bien reconnaitre qu’initialement je n’avais pas vraiment envie de partir à la cueillette de plantes, et encore moins avec la compagnie d’un garde… Enfin, je n’ai rien contre les gardes mais d’habitude ils ne sont pas d’une compagnie des plus agréables, contrairement à toi… »

Venait-il vraiment dire tout haut ce qu’il pensait tout bas ?

« Heuu enfin tu vois ce que je veux dire… » Enchaina-t-il avant de se faire couper la parole par une impressionnante bourrasque de vent. Alors qu’il ouvrait à nouveau la bouche pour continuer de préciser sa pensée, un petit morceau d’algue ou une feuille d’arbre environnant s’invita chaleureusement dans son gosier. Le baroudeur se mit à tousser pour le recracher : cette saloperie de verdure avait failli passer par le mauvais trou.

Suite à ça il n’osa pas ouvrir à nouveau la bouche, et c’était sans doute mieux ainsi car il se serait sans doute encore plus enfoncé. Le silence reprit naturellement sa place entre les deux partenaires de quête qui continuaient de marcher vers le village.


Ils arrivèrent finalement aux abords de la pittoresque bourgade de leur commanditaire. Ayah frissonnait de plus belle, il était vraiment temps d’arriver !

Deux des gardes mercenaires étaient en poste au niveau de la porte. Ils les accueillirent d’une bien étrange manière :

« Hé mais regardez qui voilà ! Ce ne seraient pas nos deux tourtereaux partis dans la pampa cueillir des plantes ? Ils ont l’air bien vivant hein Billy ! Aller, par ici la monnaie ! » S’exclama l’un des gardes en tendant les mains ouvertes vers son partenaire de guet. Ce dernier émis une sorte de grommellement avant de faire tinter un cristal en l’envoyant voler vers leur interlocuteur.

Avaient-ils réellement parié sur leur vie ? Qu’importe, Askr était bien trop fatigué pour relever.

« Bon, vous connaissez la règle : pas d’armes dans le village. Vous savez où les déposer ! » Termina-t-il en sautant sur sol avec son partenaire pour leur ouvrir la porte.

Tous deux déposèrent leurs armes et pénétrèrent dans le village en prenant la direction de la maisonnette de l’alchimiste. Il devait être tout juste midi et il leur restait encore un bon gros morceau de journée devant eu pour finaliser cette quête.

« Il est encore tôt dans la journée et je pense qu’on pourrait regagner grand port à condition de repartir sans trainer. » Répondit Askr tout en continuant d’ouvrir la marche vers la maison un peu reculée de l’alchimiste.

« Par contre, je ne te cache pas que j’aimerais bien prendre le temps de me sécher un peu avant de repartir donc je ne sais pas si on aurait le temps de regagner grand port avant la nuit. Si tu as des obligations, je comprendrai que tu veuilles partir seule devant… » Acheva-t-il en frappant à deux reprises sur la porte en bois de l’habitation de l’alchimiste.

Sans attendre de réponse, il tourna la poignée et pénétra dans l’habitat. Il était chargé des plantes sur ses épaules et puait la marée basse. Ces dernières ne dégoulinaient plus mais restaient tout de même bien humide mais en bon état. L’aventurier n’eut pas le temps de s’annoncer oralement que la furie débarqua dans la pièce :

« Vous êtes maaaaagniiiifiiiiique !!! » S’exclama-t-elle en regardant le baroudeur.

« Je… Humm.. Merci je suppose ? »

« Je parlais des plantes, et certainement pas de vous ! Grossier personnage ! » Répliqua-t-elle avec une moue de gamine sur le visage avant de reporter son regard sur les plantes avec émerveillement. Askr se sentit bien bête et lança un regard en coin vers Ayah en faisant une sorte de grimace.

L’alchimiste s’empressa de récupérer les plantes pour les amener dans la pièce d’où elle venait de faire irruption quelques instants plus tôt. On pouvait l’entendre chantonner une sorte de berceuse pour enfant… Était-ce destiné aux plantes ?

Voyant que la furie ne revenait pas vers eux, Askr s’exclama haut et fort afin de la rappeler à l’ordre :

« Nous ne voudrions pas abuser de votre hospitalité mais, pourrions-nous rester un moment afin de se réchauffer auprès de votre feu et ainsi sécher nos vêtements ? » Osa-t-il demander.

« La la li lo la ! Li la la la la ! Hein ? Ouai ouai d’accord ! » Répondit-elle en marquant une brève pause dans son horrible comptine.

L’aventurier fut surpris par sa réponse : avait-elle ne serait-ce qu’écouté sa demande ? Toujours étant, elle avait accepté alors à quoi bon se faire prier ? Il se dirigea vers le feu et enleva ses bottes ainsi que son haut troué. D’un geste de la main il invita la guérisseuse à le rejoindre. Elle semblait manifestement mal à l’aise de profiter ainsi de l’hospitalité de leur commanditaire.

L’esprit hanté de mille questions, Ayah avait cheminé aux coté d’Askr jusqu’à ce qu’ils reviennent enfin à leur point de départ : le village gardé par des mercenaires.
D’ailleurs, il restait la question du pourquoi les citoyens de cette bourgade ressentaient le besoin de s’entourer de ce genre de protection…
 
Il allait falloir qu’elle le fasse remonter dans son rapport : Lucy seule sait à quel point ce genre de situation peu dégénérer. Donnez une puissance armée à une poignée d’hommes, et ils essaieront de conquérir le monde.
 
Mais ces considérations lui semblaient résonner comme un écho lointain, car d’autres pensées occupaient son esprit. Des pensées parfaitement futiles… Sans importance… Mais elle ne pouvait s’empêcher de leur prêter une oreille attentive.
 
Dans quel genre de quiproquo s’étaient-ils mis ? Voilà qu’Askr lui avouait que malgré sa réticence envers les gardes il avait apprécié cette quête. Était-ce de la courtoisie ? Était-ce sincère ?
Pour la guérisseuse on était plus sur l’optique de la courtoisie, mais le baroudeur n’alla pas au bout de sa remarque car il s’étouffa avec quelque chose. Bien sûr, Ayah le surveilla du coin de l’œil pour s’assurer qu’il ne suffoque pas, mais il sembla s’en sortir sans aide extérieure. Leur marche fut bien silencieuse.
 
 
Ayah avait froid en arrivant devant ces sentinelles à la langue bien pendue. Elle était frissonnante, tandis que son camarade semblait à peine sentir le vent sur sa peau. Et pourtant, il y avait de belles bourrasques.
 
Par Lucy, pourquoi fallait-il que ces deux idiots en remettent une couche ? Ayah garda le regard braqué vers le sol pour ne pas avoir à affronter celui de Askr tandis qu’elle le suivait docilement à travers le village.
 
Ils se débarrassèrent de leurs armes, comme la règle ici-bas l’exigeait. Les quais étaient plus animés que la veille : les pêcheurs terminaient de ranger, de saler ou d’écouler la prise sur jour sur de grands étals. Des charriots tirés par des chevaux, remplis de victuailles semblaient prêts à partir en direction du grand port.
 
Allaient-ils réellement prendre le risque d’affronter l’orage pour livrer leur marchandise ?
Ayah ne le savait que trop bien : oui, ils n’avaient pas le luxe de choisir de toutes façons. Ou bien, l’avaient-ils ? Ces pensées la ramenèrent dans un passé qu’elle chérissait autant qu’elle le maudissait.
Une période avec sa famille, sa vraie famille. Mais aussi une période marquée par la misère : quand son père disparut en mer. Était-ce une journée comme celle-ci ?
 
La voix de Askr la ramena au présent quand il répondit à sa question.
Il était aussi d’avis de rentrer, et elle ne pouvait pas lui en vouloir : il n’y avait pas grand-chose à faire ici et elle préférait largement le confort du dortoir de la caserne à la chaleur toute relative de la grange de la sorcière… Heu… Alchimiste.
 
« Je ne sais pas si quelqu’un ici acceptera de nous offrir un feu, Askr. Mais rien ne coûte d’essayer. » Répondit-elle, perplexe à l’idée que les gens, qui paraissaient si hostiles, leur facilite la tâche. « On a commencé cette quête ensemble, on la finira ensemble. Je reste avec toi. »
 
Mais il avait raison : des vêtements secs ne seraient clairement pas un luxe dont elle avait envie de se priver. Une nouvelle bourrasque balaya la cote. Oui, c’était décidé ! Il fallait se sécher ! Mais comment ?
 
 
Il fallait à présent affronter l’alchimiste : une drôle de bonne femme qui leur avait réservé un accueil des plus mitigés la veille, en plus de ne pas porter la garde de grand port dans son cœur.
 
* Décidemment… Qu’est-ce qu’ils ont tous contre la garde ? * Se disait-elle en franchissant la porte derrière Askr, tête baissée, le laissant bien volontiers s’adresser à cette femme si étrange.
 
Un commentaire sur cette nouvelle entrevue ? L’alchimiste était égale à elle-même. Etaient-ce les vapeurs qui émanaient de ses chaudrons ? Ou alors était-elle réellement sous le charme de leurs asclius.
 
Ayah la détaillant d’un œil prudent, faisant bien attention à ne pas croiser son regard, tandis qu’elle partait dans un délire assez spécial : traitant les algues comme un animal chéri. Bon, au moins elle savait déjà à peu près quoi écrire dans son rapport à Désiré.
 
Elle avait gardé dans une petite sacoche l’extrait d’asclius dont ils avaient besoin pour lancer une nouvelle culture dans le jardin botanique.
 
* Au moins on n’aura pas fait tout ça pour rien… Et puis l’alchimiste semble satisfaite. » Songeait-elle, laissant flotter sur ses lèvres un sourire un peu fatigué.
 
Qui aurait cru qu’une quête de récolte aurait été si éprouvante ?
Qu’avaient-ils fait de mal pour que le glaive de l’infortune s’abatte à ce point sur eux ? Entre l’orage soudain, la colonie de léviarans et cette malheureuse destruction d’un œuf, il fallait dire que le sort avait plutôt tendance à s’acharner contre eux.
 
Mais les choses semblaient revenir dans l’ordre, et la chance leur sourit à nouveau quand l’alchimiste accepta nonchalamment de les laisser profiter de son humble cheminée.
Quoi ? Il suffisait vraiment de demander ?
Ayah fut on ne peut plus surprise par cette conclusion inattendue, et elle n’était manifestement pas la seule au vu de l’expression quelque peu septique qu’arborait l’aventurier. L’alchimiste semblait complètement perchée… Genre vraiment. C’était un peu comme si elle accepterait n’importe quelle demande, et cela fit tiquer quelque peu Ayah.
 
Cette drôle de femme était-elle vraiment maîtresse d’elle-même à cet instant ?
L’idée de profiter de la situation la dégoutait, mais il était difficile de dire si ses doutes étaient fondés ou non… C’est donc avec quelques hésitations qu’elle rejoignit Askr, qui s’était déjà mis à l’aise auprès du feu.
 
Absorbée comme elle était par ces pensées, elle avait à peine remarqué qu’il s’était mis torse nu et était près du feu.
 
« Je ne pensais pas que ce serait si facile… » Murmura-t-elle en lançant par-dessus son épaule un regard à l’alchimiste qui travaillait déjà les plantes qu’ils venaient de lui fournir. « J’espère qu’elle est lucide au moins… Hier elle n’avait pas l’air train contente de nous voir chez elle… »
 
Elle se retourna vers lui et écarquilla légèrement les yeux quand elle le retrouva face à elle. Cet homme avait une présence indéniable… Comme elle s’était déjà fait la réflexion, elle le trouva beaucoup plus âgé qu’elle, mais il y avait quelque chose d’envoutant.
 
Étaient-ce les effluves des potions qui crépitaient çà et là qui lui faisaient tourner la tête ?
La jeune femme détacha son regard d’Askr pour le tourner vers le foyer de la cheminée.
 
Une douce chaleur s’en échappait, elle s’en approcha : ce serait idéal pour sécher le plus gros de ses vêtements.
Méthodiquement, elle détacha donc ses manches et les disposa près du feu, non loin de Askr, évitant soigneusement de croiser son regard. Non pas que la situation était trop gênante, mais elle sentait bien que quelque chose avait changé depuis la veille.
 
Les bottes, les collants et les longs pans de tissus qui couvraient ses hanches suivirent bien vite le mouvement : après tout, maintenant qu’ils étaient là… Autant en profiter avant que l’alchimiste ne change d’avis…
 
Débarrassée de ce qu’elle voulait sécher, Ayah prit place devant le feu, enlaçant ses genoux contre son buste comme elle avait l’habitude de le faire. Elle aimait bien cette position, elle avait quelque chose de réconfortant pour elle.
 
« Il n’y a plus qu’à attendre, je suppose. »
 
Elle risqua un coup d’œil vers son compagnon et détourna instantanément le regard quand elle se rendit compte qu’il se mettait VRAIMENT à l’aise.
 
« Ahem. »

* Oh par Lucy…. *
 
Askr avait tranquillement retiré son pantalon pour le mettre à sécher, dans le plus grand des calmes et Ayah ne détachât plus ses yeux du feu crépitant, une insidieuse gêne rosée apparut sur ses joues.
Si elle avait quelques instants hésité à mettre sa combinaison à sécher, c’était maintenant officiellement mort. La situation était déjà assez tendue entre eux pour qu’elle se dénude davantage.
 
Au diable le rhume, elle préférait largement tomber malade que rendre cette situation encore plus gênante ! D’autant plus qu’elle sentait le regard de l’aventurier sur elle, même si sur les rares fois qu’elle jetait un coup d’œil dans sa direction elle ne l’avait jamais surpris en train de la regarder…
 
Le silence entre eux était pesant, il fallait une diversion ! Vite ! N’importe quoi !
 
« Les orages comme celui-ci sont plutôt rares dans la région… »
 
Ils allaient enfin pouvoir parler de quelque chose d’intéressant, d’enrichissant et de… SERIEUSEMENT ?! La pluie et le beau temps ?! C’est tout ce qu’elle trouvait à sortir dans un moment pareil.

* Idiote…* Elle se frappa le front de la paume de la main.
 
Une sorte de mine défaite sur le visage, elle reporta ensuite son attention vers Askr, qui était un peu trop dévêtu pour qu’elle l’ignore complètement. Quand soudain...
 
« Naana naaaaa naaanaa. Moi s’que j’aime dans les ballaaaaades c’est qu’on peut se balladeeeer. » Le duo se retourna vers l’alchimiste apparemment très prise par son œuvre « On peut ceuillir des salaaaaaades et après on peut les mangeeeeeer. »
 
Ayah lança un coup d’œil inquiet vers l’aventurier et se pencha légèrement vers lui pour s’assurer de ne pas être entendue :
 
« J’ai l’impression qu’on devrait s’assurer qu’elle aille bien non ? »
 
« Sur le bord de la rivièèèèère, on peut aller se prom’neeeeeeer, mais c’est un p’tit peu galèèèèère, si on glisse on peut s’noyeeeeeer. » Coupure, regard vers la bleue, celle-ci se raidit instantanément. « Eh ! J’t’ai entendue bleusaille ! Fini les messes basses ou j’vais vous faire filer droit moi vous allez voir ! Et remet tes yeux dans ta poche ! »
 
Ayah blêmit quelque peu rentra sa tête dans ses épaules et pivota immédiatement face au feu tandis qu’un air de nanana reprenait de plus belle.
 
* Elle est effrayante… *
 
La guérisseuse n’osa plus parler après ce recadrage magistral, mais le feu semblait fort bien faire l’affaire pour ce qui était de sécher leurs vêtements.

Ils pourraient bientôt reprendre la route…  Elle oubliait totalement la prime qu’ils étaient censés toucher : n’ayant pas vraiment l’habitude de travailler avec la guilde des aventuriers.

Le nanana de l'elfe ! (chanson de l'alchimiste):

Un doux foyer crépitant les attendait. Ils n’avaient plus qu’à se dévêtir pour faire sécher leurs habits et se réchauffer la couenne par la même occasion.

Tout comme lui, Ayah était surprise de la facilité avec laquelle l’alchimiste les accepta dans son humble demeure. Mais visiblement elle avait bien mieux à faire et semblait comme possédé par un esprit depuis qu’elle avait posé le regard sur les plantes.

En parlant de regard, celui de la soigneuse était étrangement fuyard. Avait-il dit ou fait quelque chose qui lui aurait déplu ? S’il en était ainsi, sans doute lui en aurait-elle parlé mais peut être avait-elle peur de lui ?

A quoi bon se tourmenter, l’aventurier s’approcha près du feu et commença à enlever ses bottes tout en jetant un regard en coin vers sa partenaire. Cette dernière commençait également à se dévêtir. Il détourna alors le regard afin de lui laisser un minimum d’intimité, non pas qu’ils allaient se mettre nue non plus, mais tout de même.

Une fois ses bottes enlevées, le baroudeur jeta un regard rapide vers Ayah afin d’éviter de trop se dévêtir comparer à elle. Il ne voulait pas que la situation devienne gênante. La demoiselle détachait les pans de tissus de ses bras avant de les déposer à proximité du feu. En guise de réponse, Askr ôta sa chemise et la déposa également près du feu.

La soigneuse se mit alors à enlever ses collants ainsi que ses autres pans de tissu sur ses hanches. L’aventurier se retourna et fit glisser son pantalon sur ses chevilles alors que sa partenaire lui indiquait oralement qu’ils n’avaient plus qu’a attendre que leurs vêtements sèchent. Il termina d’enlever son pantalon lorsqu’il entendit un raclement de gorge.

Askr se retourna et vit la frêle Ayah assise prêt du feu : elle enlaçait ses genoux de ses bras et son regard restait river vers les flammèches alors même que l’aventurier s’approchait d’elle. Ses joues étaient rosées : * Elle reprend bien rapidement du poil de la bête ! * Songea-t-il bien naïvement.

N’ayant pas réussi à capter son attention, le gris s’installa à proximité d’elle tout en respectant son espace vital. Elle était toujours vêtue de son haut détrempé : il ne sècherait pas avant des heures en le gardant sur elle. Pouvait-il vraiment lui demander d’enlever son haut là comme ça ? Elle le prendrait sans nul doute pour un pervers s’il émettait la suggestion frontalement. Mieux valait abandonner cette idée. Après tout Ayah est une grande fille, si elle souhaite garder son haut mouillé alors grand bien lui fasse.

« Les orages comme celui-ci sont plutôt rares dans la région… »

L’aventurier fut pris de court par cette déclaration pour le moins surprenante.

« Heuuu… Oui… Enfin, je suppose. En tout cas celui-ci nous a bien mouillés… » Répondit-il poliment sans vraiment réfléchir à ses paroles.

Sans nul doute cette dernière révélation allait changer la vie future de la soigneuse : Les orages ça mouille ! Aurait-il mieux fait de ne rien répondre ? Sans doute.

Leur intense échange sur la pluie et le beau temps fut rapidement, et bien heureusement, écourté par l’alchimiste. Cette dernière chantait une « chanson » d’une voix criarde et aux paroles très enfantines. Ayah s’inquiéta même de son état mental mais fut bien rapidement rappelée à l’ordre par le sujet de ses inquiétudes : « Eh ! J’t’ai entendue bleusaille ! Fini les messes basses ou j’vais vous faire filer droit-moi vous allez voir ! Et remet tes yeux dans ta poche ! »

Et bien, cette petite furie avait un sacré franc parlé ! Ayah ne moufta pas davantage et reporta toute son attention vers le feu.

* Remet tes yeux dans ta poche ? * S’interrogea l’aventurier en se demandant ce qu’elle pouvait bien regarder. Sans doute avait-elle réitéré ses regards curieux pour toutes ces choses étranges que l’on pouvait trouver de-ci delà.

La commanditaire s’en alla de nouveau dans son arrière maison en continuant de chantonner. Askr commençait à se demander si elle n’allait pas oublier de les payer pour leur dur labeur. Le gris se redressa et prit fièrement les devants avant de se rappeler qu’il n’était qu’en sous-vêtement. Peut-être valait-il mieux se rhabiller avant de se faire insulter d’exhibitionniste ou de je ne sais quoi d’autre. * Que diable ! * Songea-t-il avant de traverser la pièce pour retrouver l’alchimiste.

« Hum Hum » se racla-t-il la gorge avant de poursuivre : « Nous ne comptons pas nous éterniser ici et nous vous remercions pour votre feu. Le contrat ayant été rempli, vous serait-il possible de nous remettre notre dû ? »

La chansonnette s’interrompit subitement et aussi surprenant que cela puisse paraitre, la jeune femme reprit son sérieux afin de lui répondre :

« Oui, bien sûr. Je vous apporte ça dans quelques instants, le temps de terminer ma préparation de potion. » Répondit-elle d’une voix tout à fait neutre avant de reporter toute son attention sur son chaudron.

Askr tourna les talons afin de lui laisser son espace pour terminer la réalisation de son étrange potion. De plus une odeur assez étrange embaumait la pièce.

« Ca te laissera le temps de te rhabiller ! Espèce d’exhibitionniste ! » S’écria la furie avant de se remettre à chanter de plus belle.
Evidemment elle n’avait pas manqué de mettre le doigt sur la nudité partielle du baroudeur qui revenait tout penaud auprès d’Ayah.

« Eh beh… J’en ai aussi eu pour mon compte… Bon, au moins elle n’a pas oublié de nous payer. Elle nous apportera la prime une fois qu’elle aura terminé sa préparation de potion. » rapporta Askr aux oreilles de sa partenaire toujours recroquevillé prêt du feu.

Ils restèrent là une bonne dizaine de minutes en silence. Ce laps de temps suffit à Askr pour sécher complètement ses vêtements contrairement au bustier d’Ayah qu’elle avait gardé sur elle. L’alchimiste revint vers eux alors que le baroudeur terminait tout juste d’enfiler son pantalon.

« Tenez pour vous ! Maintenant j’aspire à un peu de tranquillité alors je vous invite à joyeusement débarrasser le planché ! En plus vous me l’avez à moitié dégueulassé… Allez, oust ! »

Elle s’en retourna dans la pièce où elle avait précédemment préparé la potion en ayant laissé un exemplaire de celle-ci ainsi qu’une petite bourse de cristaux.

« Bon, je suppose qu’on devrait reprendre la route. Je doute très sincèrement qu’elle accepte de nous laisser passer une nuit de plus dans sa grange. » Déclara l’aventurier.

Une fois rhabillés, ils récupérèrent leurs montures respectives ainsi que leurs armes avant d’entamer le chemin du retour. Ils n’échangèrent que peu de mots pendant le trajet et la nuit tomba assez rapidement. Ils trouvèrent une petite clairière avec un arbre relativement gros et creuser de sorte à former une sorte d’abri naturel contre le vent. La nuit allait être fraiche et il leur serait impossible d’allumer un feu avec les trombes d’eau qui venaient de tomber.

Le bon côté des choses c’est qu’il ne pleuvrait surement pas cette nuit. Le ciel était bien dégagé et on pouvait apercevoir les étoiles entre les feuillages des arbres. Askr attacha solidement la bride d’Ablette à l’une des branches d’un noyer non loin de leur abri de fortune pour la nuit.  

Le voile nocturne tomba rapidement alors qu’Askr s’installa dans le creux de l’arbre, dos à dos avec Ayah. Il ne manqua pas de remarquer que cette dernière ne cessait de grelotter et parfois même d’éternuer. Elle devait être frigorifiée.

L’aventurier prit son courage à deux mains et se retourna doucement avant d’enlacer la frêle guérisseuse tout en se collant à elle.

« Tu as surement dû attraper froid… J’espère que ça va aller. Essayons de dormir. » Souffla-t-il doucement à sa partenaire en fermant les yeux. Il ne pouvait pas s’empêcher de forcer son corps à ne pas réagir face à la proximité de leurs deux corps mais après tout, il n’en restait pas moins qu’un homme. Toujours étant, Morphée vint bien assez rapidement balayer toutes ses inquiétudes.

Ayah acquiesça en silence, elle tentait tant bien que mal de se sécher sur le peu de temps qu’il leur restait auprès du feu. Askr, dans le plus grand des calmes, avait été demander sa rémunération sans même prendre la peine de se vêtir de manière à peu près décente.
 
Si l’alchimiste ne semblait nullement s’en offusquer, elle n’avait cependant pas manqué de relever le point. Cette femme était vraiment bizarre… La guérisseuse faisait en sorte de limiter les contacts avec elle autant que peut se faire : du coup l’initiative de l’aventurier lui parut tout de même fort bienvenue.
 
Bien assez vite, le duo fut assez peu civilement prié de quitter les lieux, le baroudeur était à peine en train de se revêtir, mais au moins ses vêtements étaient secs. La plupart de ceux d’Ayah l’étaient aussi, à l’exception de son bustier qui dégageait une espèce de tiédeur moite et humide.
 
Face à cet état de fait, la jeune femme pria pour que le vent ne se soit pas levé à nouveau.
 
« Remettons-nous en route, nous devrions trouver de quoi faire une halte si le besoin s’en fait sentir. » Lui répondit-elle, à nouveau en pleine possession de ses moyens vis-à-vis de lui.
 
Elle songea au voyage : ils n’arriveraient certainement pas avant la nuit et il fallait espérer qu’une nouvelle tempête ne se lève pas. Mais ils n’avaient pas vraiment le choix, et Ayah n’était en outre pas particulièrement désireuse de rester sur les lieux.
 
La dernière partie de leur épopée s’avéra plutôt paisible, mais ni l’un ni l’autre ne semblait désireux de démarrer une conversation.
 
Juchée sur le dos de Boris, bras serrés contre elle pour limiter les pertes de chaleur, la jeune garde n’en menait pas large. Elle frissonnait légèrement et s’efforçait d’offrir le moins de prise possible au vent qui continuait de souffler.
 
Un vent de plaine, moins agressif que le vent de tempête qu’ils avaient affronté, mais qui savait toutefois fort bien se faire ressentir.
 
Le soleil fit quelques apparitions que la guérisseuse chérit le temps qu’elles durèrent, mais bientôt l’auguste astre du jour avait disparu derrière l’horizon plat de la mer : ne manquant pas d’accorder aux voyageurs une sublime vision.
 
De lourds nuages d’orage planaient un peu partout, et ce tableau était tel une peinture décrivant un chaos serein. L’inconvénient … C’était qu’avec la disparition du soleil, la température allait à nouveau baisser…
 
Il ne pleuvait pas, certes, mais Ayah peinait à garder la chaleur. Son bustier avait déjà bien séché, mais il avait encore une espèce de moiteur désagréable.
 
Intérieurement, elle regretta de ne pas avoir imité son partenaire… Mais il était très difficile pour elle d’abandonner cette pudeur élémentaire en compagnie d’un inconnu.
 
Surtout pas après l’espèce de rapprochement qu’ils avaient eue lorsqu’ils s’étaient protégés de l’orage.
Qu’allait-il penser d’elle ? Qu’allait-il penser de la garde ? Du régiment ?
Non. Elle prendrait sur elle, et elle resterait pro jusqu’au bout ! Dût-elle tomber malade en revenant : Désiré lui donnerait un traitement et elle prendrait un peu de repos.
 
Une fois de plus, Askr prit l’initiative de proposer une halte pour la nuit.
L’expérience parlait, et ce fut lui qui trouva leur abri pour la nuit.
 
Ayah devait bien le reconnaître : elle n’aurait pas trouvé mieux… Le baroudeur n’en était pas à son coup d’essai et il balaya l’idée d’allumer un feu sans manifester le moindre doute.
Il s’exprimait avec la certitude de celui qui avait déjà essayé et qui savait ce qui fonctionnait ou non. Pour lui allumer un feu était bien trop compliqué voire, impossible, dans les conditions actuelles.
 
Cela n’arrangeait vraiment pas les affaires de la jeune femme : elle était littéralement frigorifiée. Néanmoins elle comptait bien endurer cette nuit dignement : et c’est dans cette optique qu’elle se recroquevilla dans un petit coin de l’arbre creux.
 
Le dos lui d’Askr apporta rapidement une douce chaleur réconfortante : il y avait assez peu d’espace et ils étaient bien obligés de se toucher pour pouvoir dormir tous deux à l’abris des éléments.
Toutefois, aussi bienvenue que fut la proximité de l’aventurier, ce dos n’était pas suffisant pour l’empêcher de grelotter tandis que la nuit avançait et se refroidir.
 
Elle éternua une paire de fois et bougea légèrement.
 
« Désolée… » Murmura-t-elle à l’adresse de son partenaire tandis qu’elle le sentait remuer légèrement derrière elle.
 
* Et voilà que je l’empêche de dormir… J’espère qu’il ne m’en voudra pas trop demain. *
 
Ayah s’inquiétait de ce que cet homme, plutôt taciturne pouvait bien penser, elle espéra simplement que sa compagnie ne l’indispose pas trop…
 
Quelle ne fut donc pas sa surprise quand elle sentit deux bras robustes se refermer sur elle et un corps chaud l’envelopper presque tout entière. L’aventurier pressait son corps contre le sien, formant un bouclier contre le froid.
 
La soldate sentit le rouge lui monter aux joues tandis qu’elle acquiesçait simplement à la proposition d’Askr. Il était si proche, si chaud… Cette proximité, nécessaire mais tout de même assez intime, balaya plutôt facilement les frissons de la jeune femme qui avait soudainement chaud elle aussi.
C’était gênant, mais réconfortant… Elle se surprit par ailleurs à apprécier cette étreinte : bien plus qu’elle ne voudrait bien le reconnaître.
 
Elle ne grelottait plus, et restait immobile : un peu tendue au début.
La bleue finit par se détendre dans les bras protecteurs de son partenaire. Les minutes passèrent… S’était-il endormi ? Elle ferma les yeux, sentant le bout des doigts de l’homme bouger légèrement et effleurer son corps comme d’imperceptibles caresses. En temps normal elle y aurait mis fin, mais pas à cet instant. Elle le laissa faire, se laissant bercer.
 
La guérisseuse avait l’impression d’avoir chaud au visage, mais cela importait peu : il ne pouvait pas la voir et elle était persuadée qu’il dormait déjà au vu de sa respiration lente et profonde. Sans trop savoir si c’était une bonne chose, sans trop réfléchir, elle effleura doucement le dos de sa main du bout des doigts, jusqu’à ce que le sommeil ne vienne réclamer son dû.
 
Préservée du froid, elle s’endormait. Dans un geste à la limite de la conscience, elle fit légèrement remonter la main gauche du baroudeur vers son cœur : appréciant ce contact assez intime qu’elle lui concédait. Ayah passa doucement ses doigts entre les siens. Que faisait-elle ? Pourquoi ? Askr ne semblait pas contre, ou alors il était simplement endormi…
 
Assez rapidement, la jeune femme s’assoupit dans les bras de cet homme qui commençait peu à peu à aviver quelque chose en elle. Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? Certaines questions n’auraient malheureusement jamais de réponse…
 
 
Quand Ayah se réveilla, elle se trouvait face à Askr, blottie contre lui. L’une de ses jambes s’était réfugiée entre celles du baroudeur et la garde avait le front collé à son torse : les bras repliés devant elle. Les grandes mains de l’aventurier protégeaient en grande partie son dos nu, la tenant fermement. Avait-elle tant bougé que cela ?
 
Les légers mouvements des mains du baroudeur dans son dos lui laissaient penser qu’il ne dormait déjà plus, ces douces caresses avaient-elles pour but de la réveiller ?
 
Elle mit quelques instants pour réaliser leur situation, leur proximité, puis sursauta légèrement en s’en rendant finalement compte :
 
« Ah ! Désolée, je ne voulais pas empiéter autant sur ton espace vital. » Fit-elle, gênée, rougissant franchement. « Merci de m’avoir tenu chaud cette nuit… Je ne suis pas sûre que j’aurais pu dormir aussi bien sans… Heu… ça… »
 
Elle se dégagea, un peu maladroitement, mais sans violence, fuyant son regard. Que pensait-il ? Que pensait-elle ?  Elle devait avoir un peu de fièvre… Oui, c’était la seule explication logique : elle avait pris froid.
 
Elle s’assit en tailleur un peu précipitamment, continuant d’éviter le regard du baroudeur, essayant de se réveiller. Une franche teinte chaleureuse installée sur ses joues, elle ne savait plus où se mettre. Elle secoua légèrement la tête.
 
* Du calme bon sang… * Ayah ignorait pourquoi Askr lui faisait autant d’effet…
 
Elle ignorait pourquoi son cœur battait si fort.
La fièvre, certainement.
Désiré lui trouverait un remède...