La jeune femme retira son épée de son adversaire et ce dernier s’écroula pour ne former qu’un tas de sable. Les équipements métalliques tombèrent au sol mais le bruit était couvert par le combat qui faisait rage autour de l’aventurière : les nuées de corbeaux ne cessait d’attaquer les escouades avec leurs becs et griffes, les tornades soufflaient et par dessus les échos des armes qui s'entrechoquent autour, la musique provenant de l’autre bout de la salle… jusqu’à ce qu’une attaque bien placée vienne taire ce fond sonore.

Ain était aux prises des soldats de sable, trop occupée à s’occuper de sa propre survie et celle de ses familiers pour voir ce qui se passait sur l’ensemble de la scène. Dès qu’un soldat tombait, deux autres prenaient sa place, la jeune femme avait l’impression qu’ils ne verraient jamais la fin. Ils n’étaient pas arrivés dans le désert depuis bien longtemps, mais son endurance était mise à rude épreuve. Il n’y avait aucun moment de répit, aucun endroit en sécurité. On était bien loin du climat d’Aryon…

Soudainement, une vague d’explosion magique arriva jusqu’à la jeune femme et son Solnar. Si la première ne la propulsa que de quelques mètres, son familier en revanche, plus léger, valsa contre l’un des piliers :

- MIEL !

Aucune réponse du familier. Sondant le lien qui le liait à elle, elle le sentit toujours présent. Elle pu s’autoriser un soupire intérieur après s’être relevé elle se précipita sur son compagnon. La rencontre avec le pilier lui avait certainement donné un choc à la tête, il était inconscient mais parvenait encore à respirer doucement. Le Solnar n’était pas un grand prédateur, tout comme Vif elle n’aurait pas dû l'emmener ici… Ni même y venir tout simplement. Il y a quelques années, elle n’avait que faire de ce qui pouvait lui arriver mais maintenant elle avait bien trop à perdre. Elle ne pouvait plus résonner comme elle le faisait à l’époque : foncer au devant du danger, ne se préoccupant guère de sa propre survie.

Puis elle entendit du mouvement autour, levant les yeux après le claquement des doigts de la liche qui se trouvait face à eux, elle vit les soldats arriver par dizaines, les uns après les autres par toutes les entrées de la pièce. Non loin, ses camarades d’escouades étaient toujours aux armes, faisant face à cette ennemie toujours plus puissante et écrasante. Ain était dans un coin de la pièce, au sol avec Miel inconscient… Elle ne pouvait pas le laisser derrière elle, mais qu’importe les efforts qu’ils allaient mettre dans le combat, c’était perdu d’avance…

Bien que les soldats se transformèrent tous en sable par un miracle de Lucy, toutes les attaques contre l’impératrice semblaient vaines. Les corbeaux s’étaient rassemblés pour former deux grands golems, la magie de l’impératrice semblait intarissable, laissant des gerbes d’énergies sans interruptions. Elle leur parlait, elle se moquait, elle les narguait. Tout cela ne semblait n’être qu’un jeu pour elle, elle jouait avec leur vie.

Ain était complètement immobile, ne ressentant que son infériorité et sa faiblesse face à cet ennemi dont la puissance n’avait pas de limites. Elle voyait ses camarades continuer à se battre, ne voyaient-ils pas que le combat était vain.

- ça suffit…

Sa voix était si basse que nul l’entendit dans le brouhaha ambiant. Elle ne parvenait pas à bouger, ne restant que passive devant cette scène absurde. Comme simple spectatrice du combat, elle le voyait se dérouler sous ses yeux sans parvenir à s’y joindre ou l’interrompre. Elle avait l’impression de nager en plein rêve, ou plutôt en plein cauchemar… Seulement, elle ne pouvait pas simplement se réveiller.

Elle entendit plus qu’elle ne vit le coup venir : un carreau siffler à toute vitesse vers les deux compagnons. Au moment où elle aperçut le coin de l'œil, le projectile était déjà sur elle. C’est uniquement par réflexe et habitudes, dûes à ses années en tant qu’aventurière, que son corps bougea tout seul, se jetant sur le côté entraînant le corps inerte de Miel avec elle. Seulement, elle ne pu esquiver complètement l’attaque qui vient la toucher à la hanche, arrachant un bout de chair et faisant couler le sang sur le sol sableux. Cela lui tira une grimace de douleur, dans sa poitrine un pic vint lui transpercer le cœur. Comme si on lui avait retiré une partie d’elle…  Sa jambe flancha et elle s’étala au sol, trébuchant sur Miel.

- Arg…

La jeune femme porta sa main à ses côtes, elle commençait à  perdre beaucoup de sang : ses vêtements se coloraient de rouge sombre à chaque seconde qui passait. Se faisant oublier, elle fouilla dans ses affaires à la recherche d’une potion : il lui en restait encore trois. Elle en attrapa deux et en bu une première d’une traite, en administrant une seconde à Miel espérant que cela fonctionne comme pour Vif et qu’il reprenne vite conscience. Est-ce à cause de sa corpulence ? Il ne reprit pas connaissance de suite… Malheureusement, il n’y avait pas le temps pour ça.

Cherchant un coin où mettre Miel à l'abri, elle avisa une ombre derrière les piliers et se redressa. Sa plaie commençait déjà à cicatriser, la puissance des potions de soin… Elle en garderait certainement une trace, mais l’écoulement du sang s’était arrêté, c’était le principal. Les yeux lourds, elle observa les combats en face d'elle, ils lui semblaient si lointains, elle avait les jambes lourdes et toute la fatigue de l’accélération du soin qui commençait à se ressentir.

Au moment où elle se redressa, le contenu de sa poche du manteau se déversa au sol. Le carreau avait déchiré le vêtement mais qu’importe, ce n’était pas sa première préoccupation. Se baissant de nouveau pour essayer de traîner son compagnon à l'abri -un abris bien relatif compte tenu de la situation- une tache sanglante et plumée attira son attention. Vif dormait dans cette poche.

- VIF !

Se jetant au sol, les genoux heurtant le sol dur sans qu’elle n’y prête attention, elle alla ramasser son petit familier entre les mains. Le sang ne provenait pas de sa blessure à la hanche mais bien de l’oiseau.

- Vif ! Réveille toi !

Sortant sa dernière potion de soin de son grand sac, elle versa la totalité du contenu sur le petit animal. Quelques gouttes rentrèrent dans son bec. Ain attendit. Elle commençait à paniquer. Si Miel était toujours inconscient, elle sentait tout de même le lien mental qui le liait à elle. Elle sentait également Griis caché bien à l'abri dans ses affaires… Mais pas Vif. Elle ne sentait plus la présence du petit chantelune qui avait déjà passé deux années à ses côtés. Son corps était inerte, sa cage thoracique ne bougeait pas, il ne respirait plus.

- Vif ! Vif aller ! Vient embêter maman ! S’il te plait ! Vif !

Sans qu’elle ne puisse les contrôler, des larmes commencèrent à couler sur ses joues.

- Vif !

Elle continuait à l’appeler mentalement comme elle l’avait toujours fait. Elle s’attendait à tout moment qu’il se redresse et lui répond d’un air joyeux “Désolé Maman ! C’était une blague ! Hihi Vif est un marrant hein !” Elle entendait encore sa petite voix agaçante dans sa tête, elle se remémore le nombre de fois où elle n’avait pas voulu de lui et lui avait demandé de partir… Tout cela, elle ne le pensait plus. Même si la présence du chantelune était parfois lourde et pénible, jamais elle n’avait souhaité une telle fin.

Ain pensait avoir tout perdu. Mycem, Shnor. Elle s’était renfermée, ne souhaitant plus connaître à nouveau cette douleur. Cependant, Vif était né. Puis Miel est arrivé. Griis, Givre. Tant de petits êtres qui s’étaient attachés à elle et qui s’étaient fait une place dans son cœur. Elle commençait à croire de nouveau en la vie… Cependant une fois de plus, elle avait encore tout perdu.

- HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA

Elle serra le corps sans vie du familier. Tout était de sa faute, elle n’aurait jamais dû l'emmener. Elle n’aurait jamais dû venir ici… Une dernière expédition s’était-elle dit. Elle est jusqu’à présent revenue vivante de toutes les missions qu’elle avait effectuées, celle-ci n’aurait pas été différente. Elle n’avait pas pensé une seconde que tout n’allait pas forcément se passer comme il le devrait. Pourtant elle le savait, elle avait déjà perdu son premier amour. Elle perdait maintenant une partie de son âme. Le lien que Vif avait tissé en tant que familier était irremplaçable. Elle ressentait une douleur lui déchirer les entrailles, rien de comparable à  la blessure physique qu’elle avait reçue.

Elle ignorait la bataille qui faisait rage autour d’elle, les réactions de ses camarades, leurs combats, blessures, les pertes. Elle ignorait tout cela n’ayant que faire de leur sort, recroquevillée sur elle-même pleurant la mort de son premier compagnon.

Au sol, quelque chose tomba encore de sa poche.

C’était la pierre de rappel. Elle approcha doucement sa main pour la ramasser et son sceau magique réagit… Elle tourna la tête, derrière elle Miel respirait doucement… Elle ne pouvait plus rien pour Vif, elle le savait. Cependant, elle pouvait encore sauver Miel. Ramassant d’un geste la pierre au sol, elle s’approcha de son familier, gardant toujours le petit chantelune contre elle, elle serra le Solnar et sans même faire attention à la situation autour, elle activa sa pierre et disparut.